Les quatrième et cinquième leçons d’Alain Supiot sur la gouvernance par les nombres s’intitulent
#4 « L’essence de la loi dans la tradition juridique occidentale »
#5 « Ritualisme et légalisme ».
Ce retour fondamental à l’idée de LOI (pour servir au mieux l’intérêt général) est utile pour comprendre la catastrophe néolibérale de « la gouvernance par les nombres ». Ces 5 premières leçons sont comme une « fondation » qui va donner leur assise, et donc leur solidité, aux leçons suivantes (à partir de la 6) que je trouve enthousiasmantes de pertinence et d’importance ; vous verrez, on y arrive presque 🙂
Voici les deux présentations de Merryl Moneghetti :
#4 « L’essence de la loi dans la tradition juridique occidentale »
Pourquoi « Le Dictatus Papae » de Grégoire VII représente-t-il un moment fondateur en 1075, un tournant dans l’histoire de l’Etat moderne ? Le juriste Alain Supiot analyse comment l’autonomisation de la sphère juridique s’est transmise aux premiers états séculiers, nés de la révolution grégorienne.
Image de Grégoire VII provenant de la Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs à Rome /Spirit of Justice by Ford Madox Brown (1845) / Dictatus papæ, archives du Vatican • Crédits : Wikicommons
Comment la culture juridique de Common Law est-elle celle qui a le plus de traits communs avec la Rome antique ?
Nous poursuivons aujourd’hui l’examen de « L’essence de la loi dans la tradition juridique occidentale » dans le cadre du cours qu’Alain Supiot, Professeur au Collège de France, titulaire de la chaire « État social et mondialisation : analyse juridique des solidarités » consacre au passage du « Gouvernement des lois à la gouvernance par les nombres. »
Dans sa présentation pour le Collège de France, Alain Supiot rappelle pourquoi il faut situer la notion de gouvernement, mais aussi l’État, l’histoire du droit, ce qu’il appelle « le gouvernement par les lois » dans la longue durée. Il s’attache notamment à la matrice juridique romaine de notre culture et à la division des empires romains d’orient et d’occident. Il souligne combien on méconnaît l’importance décisive de cette division dans l’histoire juridique. Nous allons découvrir comment la révolution grégorienne a fait naître une nouvelle conception de l’ordre juridique marquée par la distinction du pouvoir temporel et de l’autorité spirituelle. Droit et théologie sont séparés et cela a ouvert, et cela peut-être non sans paradoxe, la voie à la reconnaissance corrélative d’un pouvoir temporel et à la naissance de l’Etat moderne.
« Dès lors, le droit s’est affirmé comme une technique placée entre les mains d’experts qui n’ont pas besoin de s’interroger sur la raison des lois », nous explique Alain Supiot.
Poursuivant son histoire de l’évolution des institutions, Alain Supiot voit dans le droit dit « continental » et la Common Law « deux rameaux de la culture juridique occidentale », ainsi définie, malgré les spécificités de chacun qui ont pu être accentuées.
« Bien que rivaux, Droit continental et Common Law sont tous deux confrontés depuis l’entreprise coloniale à des montages institutionnels différents avec lesquels ils ont été et demeurent plus que jamais obligés de composer dans le contexte de la mondialisation. »
Il s’agit enfin d’interroger la notion de l’État de droit qui va naître de l’articulation de la loi et du droit à partir du XIXe siècle.
Nous gagnons l’amphithéâtre du Collège de France, pour le cours d’Alain Supiot, « L’essence de la loi dans la tradition juridique occidentale », le 12 janvier 2013.
#5 « Ritualisme et légalisme »
Pourquoi l’hétérogénéité de la loi en Afrique ? Qu’est-ce que l’Ecole des lois en Chine ? Soumission aux lois ou obéissance à un rituel pour garantir l’ordre social ? Le juriste Alain Supiot revient sur le ritualisme & questionne ces formes d’organisation des rapports sociaux parmi les plus anciennes.
Le caractère chinois fă 法, « loi » / Peinture de Bernard d’Agesci (1757−1828), La justice, musée de Niort. • Crédits : Wikicommons
Alain Supiot, Professeur au Collège de France, titulaire de la chaire « État social et mondialisation », met en valeur l’approche transnationale et trans-disciplinaires des questions posées par la mondialisation et la révolution numérique, qui bouleversent toutes deux nos sociétés et nos institutions. Aussi, nous propose-t-il dans le cadre de sa série consacrée au passage du « gouvernement par les lois à la gouvernance par les nombres », de se pencher sur l’École des lois dans la culture juridique chinoise.
« Penser un ordre en termes de loi n’a en effet rien d’universel », explique-t-il. Dans de nombreuses sociétés, c’est l’observance de rituels qui assure le bon ordre et non l’obéissance à des lois.
Le juriste ouvre sur l’exemple des « difficultés de traductions rencontrées dans de nombreuses langues africaines pour incorporer cette notion de loi, arrivée avec la colonisation ».
Si le cas chinois est particulièrement intéressant, souligne-t-il encore, c’est parce que « les institutions impériales sont nées d’un conflit, puis d’une combinaison du ritualisme et du légalisme ».
« Cette symbiose est à l’œuvre dans de nombreux traités classiques chinois sur l’art du gouverner, qui se sont efforcés de tempérer par le ritualisme la dimension proprement totalitaire du légisme. Et aujourd’hui encore, le légisme continue de percer sous le vernis confucianiste qui enduit l’économie socialiste de marché de la République populaire de Chine ».
La pratique de l’analyse juridique d’Alain Supiot, son approche qui mêle longue durée, comparatisme et interdisciplinarité, invitent à ouvrir le regard. Son cours a été publié chez Fayard, sous le titre La Gouvernance par les nombres. En ouverture du chapitre, qui présente les « Autres points de vue sur les lois », il remarque :
« chaque civilisation prête spontanément à ses catégories de pensée une universalité qu’elles n’ont pas. Les Occidentaux y sont d’autant plus enclins que, grâce à leurs techno-sciences, ils ont dominé depuis trois siècles le reste du monde. Cette période est en train de se clore, il leur faut désormais compter avec d’autres manières de concevoir l’organisation des sociétés humaines. » (p.81)
Et nous gagnons l’amphithéâtre du Collège de France, pour le cours d’Alain Supiot , le 28 février 2013 : « Autres points de vue sur la loi, ritualisme et légalisme »
Source : France culture,
https://www.franceculture.fr/emissions/les-cours-du-college-de-france/du-gouvernement-par-les-lois-la-gouvernance-par-les‑3
et
https://www.franceculture.fr/emissions/les-cours-du-college-de-france/du-gouvernement-par-les-lois-la-gouvernance-par-les‑4
Fil Facebook correspondant à ce billet :
Extrait de « La France contre les robots »
Essai de Georges Bernanos (1947)
« Un monde dominé par la Force est un monde abominable, mais le monde dominé par le Nombre est ignoble. La Force fait tôt ou tard surgir des révoltés, elle engendre l’esprit de Révolte, elle fait des héros et des Martyrs. La tyrannie abjecte du Nombre est une infection lente qui n’a jamais provoqué de fièvre. Le Nombre crée une société à son image, une société d’êtres non pas égaux, mais pareils, seulement reconnaissables à leurs empreintes digitales. »
NAZISME ET MANAGEMENT : DES LOGIQUES COMMUNES ?
sur le media
https://youtu.be/CjmH2fCVUyM