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Pas de démocratie digne de ce nom sans tirage au sort pour que nos représentants restent nos serviteurs

On n’est pas pré­pa­rés à cette idée :
la pre­mière fois qu’on nous parle de tirage au sort en poli­tique, on ouvre tous des yeux incré­dules et on se demande quelle est cette nou­velle lubie.
Le mythe de l’é­lec­tion est très puis­sant et il n’est pas facile de s’en déprendre, même quelques minutes pour voir.

Pour­tant, je vous conseille cha­leu­reu­se­ment de lais­ser une chance à l’i­dée et de lire seule­ment quelques lignes sur le sujet : vous allez vite sen­tir en vous-même que, loin d’être une nou­velle lubie, c’est une bonne idée, et même une très bonne —et très vieille— idée, bien connue de nos aïeux et bien tes­tée (pen­dant des siècles !) avec d’ex­cel­lents résultats.

Récapitulatif Élection VS Tirage au sort

L’ÉLECTION
inéga­li­taire et corruptrice

LE TIRAGE AU SORT (TAS)
éga­li­taire et inci­tant à la vertu

1. L’é­lec­tion incite la mani­pu­la­tion
L’é­lec­tion repose sur la volon­té des gens et donc donne de nom­breuses prises aux escrocs, men­teurs sédui­sants, trom­peurs pro­fes­sion­nels de volonté.

1. Le TAS nous pro­tège des mani­pu­la­teurs
Le tirage au sort ne repose pas sur la volon­té des gens et donc ne donne aucune prise aux escrocs, men­teurs sédui­sants, trom­peurs pro­fes­sion­nels de volonté.

2. L’é­lu est incon­trô­lable
L’élection repose sur la confiance et pré­tend ser­vir elle-même de contrôle des repré­sen­tants ; elle ne pré­voit donc aucun contrôle, ni en cours ni en fin de man­dat, ce qui faci­lite la corruption.

2. Le TAS contrôle les résul­tats
Le tirage au sort repose sur la défiance et s’accompagne de contrôles en cours de man­dat et de red­di­tion des comptes en fin de man­dat, ce qui com­plique la cor­rup­tion des représentants.

3. L’é­lec­tion incite à men­tir
L’élection pousse au men­songe les repré­sen­tants : d’abord pour accé­der au pou­voir, puis pour le conser­ver, car les can­di­dats ne peuvent être élus, puis réélus, que si leur image est bonne : cela pousse méca­ni­que­ment à men­tir, sur le futur et sur le passé.

3. Le TAS rend inutile les men­songes
Le tirage au sort dis­suade du men­songe les repré­sen­tants, aus­si bien pour accé­der au pou­voir que pour le conser­ver :
d’abord le men­songe ne sert à rien (et on évite les intrigues) et ensuite il serait puni.

4. L’élection pousse à la cor­rup­tion
Elle per­met (à ceux qui le peuvent) d’aider des can­di­dats, et les élus ain­si « spon­so­ri­sés » sont ain­si méca­ni­que­ment dépen­dants de ceux qui ont finan­cé leur cam­pagne élec­to­rale et ache­té les médias pour les faire connaître davan­tage que les autres can­di­dats. Les acteurs poli­tiques ser­vi­ront des inté­rêts par­ti­cu­liers au lieu de ser­vir l’intérêt général.

4. Le TAS empêche la cor­rup­tion
Le tirage au sort ne per­met pas d’aider quelqu’un à accé­der au pou­voir. Ceci est abso­lu­ment déci­sif. Il ne peut pas y avoir de tirés au sort spon­so­ri­sés-donc-débi­teurs. L’indépendance des repré­sen­tants est donc garan­tie (alors que l’élection l’interdit !).
Les acteurs poli­tiques ser­vi­ront le bien com­mun au lieu de ser­vir des inté­rêts particuliers.

5. L’élection contri­bue à l’i­né­ga­li­té des classes
L’é­lec­tion favo­rise cer­taines classes sociales et en défa­vo­rise d’autres : ceux qui parlent bien, ceux qui savent s’imposer, et ceux qui ont des faci­li­tés (avo­cats et fonc­tion­naires), ce qui contre­dit gra­ve­ment l’égalité poli­tique reven­di­quée par la démo­cra­tie. Une assem­blée élue n’est jamais repré­sen­ta­tive, elle dif­fère tou­jours pro­fon­dé­ment de la popu­la­tion représentée.

5. Le TAS est impar­tiale et équi­table
La pro­cé­dure du tirage au sort est impar­tiale et équi­table : la loi des grands nombres garan­tit une jus­tice dis­tri­bu­tive, la pari­té hommes-femmes par exemple mais pas seule­ment (consé­quence logique, prio­ri­taire, et sou­hai­table, du prin­cipe d’égalité poli­tique). Une assem­blée tirée au sort est tou­jours repré­sen­ta­tive, elle res­semble au peuple représenté.

6. L’élection favo­rise la concu­rence déloyale
Elle incite au regrou­pe­ment en par­tis et sou­met l’action poli­tique à des clans et sur­tout à leurs chefs, avec son cor­tège de tur­pi­tudes liées aux logiques d’appareil et à la quête ultra prio­ri­taire (vitale) du pou­voir. Les par­tis imposent leurs can­di­dats, ce qui rend nos choix fac­tices. La concur­rence déloyale des par­tis dans la com­pé­ti­tion élec­to­rale prive la plu­part des indi­vi­dus iso­lés de toute chance de par­ti­ci­per au gou­ver­ne­ment et favo­rise donc le dés­in­té­rêt poli­tique (voire le rejet) des citoyens.

6. Per­met l’é­ga­li­té des chances
Le tirage au sort n’incite pas au regrou­pe­ment en par­tis pour aider des can­di­dats à conqué­rir le pou­voir, et ne sou­met donc pas la socié­té à leur logique hié­rar­chique (fin du com­bat des chefs et des logiques d’appareil). Débar­ras­sés de la concur­rence déloyale des can­di­dats impo­sés par les par­tis, les simples citoyens ont des chances réelles de par­ti­ci­per au gou­ver­ne­ment de la Cité, ce qui favo­rise l’intérêt de tous pour la chose poli­tique, avant même d’être dési­gné, pen­dant toute la vie.

7. L’élection asser­vit
L’élection est infan­ti­li­sante, une péda­go­gie de la ser­vi­tude. Savoir qu’il ne sera jamais élu décou­rage l’électeur de s’instruire pour par­ti­ci­per aux débats publics.

7. Le TAS éman­cipe
Le tirage au sort est éman­ci­pant, il traite en adulte. Savoir qu’il peut être tiré au sort incite chaque citoyen à s’instruire pour par­ti­ci­per aux contro­verses publiques.

8. L’élection déres­pon­sa­bi­lise les élec­teurs
N’avoir jamais été élu enferme chaque élec­teur dans ses pré­oc­cu­pa­tions per­son­nelles et le dis­suade de se pré­oc­cu­per du monde com­mun. N’avoir jamais sen­ti le regard public posé sur lui le dis­suade de s’instruire et de déve­lop­per ses compétences.

8. Le tirage au sort res­pon­sa­bi­lise les citoyens
Avoir été tiré au sort pousse chaque citoyen à s’extraire de ses pré­oc­cu­pa­tions  per­son­nelles et à se pré­oc­cu­per du monde com­mun ; sa dési­gna­tion et le regard public posé sur lui l’ont pous­sé à s’instruire et à déve­lop­per ses com­pé­tences par son travail.

9. L’é­lec­tion demande une confiance aveugle
Élire c’est abdi­quer, c’est renon­cer à sa sou­ve­rai­ne­té, accor­der une confiance exa­gé­rée et renon­cer à contrô­ler. L’élection porte à négli­ger le contrôle per­ma­nent des élus : on est prié de se conten­ter du « risque » de non réélec­tion (contrôle très illu­soire).
➔ L’élection néces­site par défi­ni­tion une bonne connais­sance des can­di­dats (puisqu’on est cen­sé les choi­sir puis les sur­veiller)
➔ l’élection est donc mal adap­tée pour les enti­tés de grande taille. Alors qu’on entend dire géné­ra­le­ment le contraire.

9. Le TAS per­met de gar­der le contrôle
Tirer au sort, c’est tenir à sa sou­ve­rai­ne­té, se méfier, et impo­ser des contrôles réels de tous les repré­sen­tants. Le TAS s’accompagne tou­jours de contrôles dras­tiques et bien réels à tous les étages (avant, pen­dant et après les man­dats).
➔ Le TAS ne néces­site donc pas de bien connaître les repré­sen­tants
(puisqu’ils sont beau­coup contrô­lés par ailleurs)
➔ le tirage au sort est mieux adap­té que l’élection pour les enti­tés de grande taille. Alors qu’on entend dire géné­ra­le­ment le contraire.

10. L’é­lec­tion fabrique des  gagnants qui sou­mettent les per­dants
L’élection crée des ran­cunes de la part de tous ceux qui ont « per­du », et des fier­tés chez ceux qui ont « gagné » qui deviennent vani­teux et se sentent supé­rieurs et légi­times pour déci­der seuls.
➔ L’élection fabrique des maîtres, qui se sentent supérieurs.

10. Le TAS est paci­fiant
Le tirage au sort ne crée jamais de ran­cunes : pas de vani­té d’avoir été choi­si ; pas de res­sen­ti­ment à ne pas avoir été choi­si : il a des ver­tus paci­fiantes pour la Cité, de façon sys­té­mique.
➔ Le tirage au sort fabrique des ser­vi­teurs, des égaux.

11. L’é­lec­tion créé de la domi­na­tion
Repré­sen­tants et repré­sen­tés ne sont pas sur un pied d’égalité. Les élus dominent les électeurs.

11. Le TAS rend égaux
Repré­sen­tants et repré­sen­tés sont à éga­li­té. Avec le tirage au sort, per­sonne ne domine per­sonne durablement.

12. L’élection délègue tout
Et donc dis­pense (éloigne) les citoyens de l’activité poli­tique quo­ti­dienne ; elle favo­rise la for­ma­tion de castes d’élus, pro­fes­sion­nels à vie de la poli­tique, tou­jours por­tés à tirer vani­té de leur condi­tion et cher­chant tou­jours à jouir de pri­vi­lèges, très loin de leurs élec­teurs pour fina­le­ment ne plus repré­sen­ter qu’eux-mêmes.

12. Le TAS res­pon­sa­bi­lise
Le tirage au sort peut mobi­li­ser n’importe qui et res­pon­sa­bi­lise (rap­proche) les citoyens de l’activité poli­tique ; il empêche l’apparition de poli­ti­ciens pros, il impose l’amateurisme en poli­tique ; les ama­teurs tirés au sort, for­cé­ment proches du peuple, par­tagent ses inté­rêts et objec­tifs, ils sont de bons porte-voix populaires.

13. Élire c’est abdi­quer et renon­cer à l’action poli­tique
L’élection étouffe les résis­tances contre les abus de pou­voir : elle nous prive de la puis­sance de parole et d’action d’homme libre. Le vote tous les cinq ans, déjà infan­ti­li­sant, est en plus trom­pé par un bipar­tisme de façade qui n’offre que des « choix » fac­tices. La consigne du « vote utile » est un bâillon supplémentaire.

13. Le TAS pro­tège des abus de pou­voir
Tirer au sort les repré­sen­tants, c’est les affai­blir (en les pla­çant à éga­li­té avec les autres), ce qui garan­tit à chaque citoyen l’initiative et le vote des lois, la parole et la par­ti­ci­pa­tion poli­tique, ce qui per­met de résis­ter à tout moment aux éven­tuels abus de pou­voir, indé­pen­dam­ment des jours de dési­gna­tion des représentants.

14. L’é­lec­tion donne le pou­voir aux pires d’entre-nous
L’élection donne le pou­voir à ceux qui le veulent (les can­di­dats), c’est-à-dire aux pires d’entre nous, alors qu’on sait depuis au moins 2500 ans qu’il ne faut sur­tout pas don­ner le pou­voir à ceux qui le veulent (lire Pla­ton et Alain).

14. Le TAS donne le pou­voir aux citoyens modestes et hon­nêtes
Le tirage au sort donne le pou­voir à ceux qui ne le veulent pas et qui sont pré­ci­sé­ment les meilleurs d’entre nous, modestes et hon­nêtes. Les man­dats courts et non renou­ve­lables per­mettent de ne pas les surcharger.

15. L’élection est aris­to­cra­tique
Par défi­ni­tion, elle désigne le meilleur (aris­tos) et ce n’est pas du tout démo­cra­tique. L’expression « élec­tion démo­cra­tique » est un oxy­more (un assem­blage de mots contradictoires).

15. Le TAS est vrai­ment démo­cra­tique
Le tirage au sort est démo­cra­tique par défi­ni­tion (il désigne un égal, un pair). L’expression « démo­cra­tie par tirage au sort » est un pléo­nasme (une répé­ti­tion de mots identiques).

16. DE FAIT depuis 200 ans…
(depuis le début du 19ème), l’élection donne le pou­voir poli­tique aux plus riches et à eux seuls, jamais aux autres : l’élection de repré­sen­tants poli­tiques SYNCHRONISE dura­ble­ment le pou­voir poli­tique et le pou­voir éco­no­mique, créant pro­gres­si­ve­ment des monstres irres­pon­sables écri­vant le droit pour eux-mêmes et s’appropriant le mono­pole de la force publique à des fins pri­vées, créant ain­si des for­tune colos­sales (et une puis­sance de cor­rup­tion sup­plé­men­taire en pro­por­tion). On est donc ten­té de pen­ser que c’est l’élection des acteurs poli­tiques qui a ren­du pos­sible le capi­ta­lisme : écrire la consti­tu­tion a per­mis aux riches de choi­sir la pro­cé­dure qui leur per­met d’aider les can­di­dats, de rendre débi­teurs les élus, et d’imposer leurs lois.

16. DE FAIT, pen­dant 200 ans…
de tirage au sort quo­ti­dien (au Ve et IVe siècle av. JC à Athènes), les citoyens riches n’ont JAMAIS gou­ver­né, et les citoyens pauvres tou­jours. Les riches vivaient confor­ta­ble­ment, mais ils ne pou­vaient pas tout rafler sans limite, faute d’emprise poli­tique.
Ceci est essen­tiel : méca­ni­que­ment, infailli­ble­ment, irré­sis­ti­ble­ment, le tirage au sort DÉSYNCHRONISE le pou­voir poli­tique du pou­voir éco­no­mique. C’est une façon astu­cieuse d’affaiblir les pou­voirs pour évi­ter d’être domi­né par eux.
On sug­gère ici que le tirage au sort reti­re­rait aux capi­ta­listes leur prin­ci­pal moyen de domi­na­tion : le capi­ta­lisme, c’est du droit
➔ la pro­cé­dure du TAS reti­re­rait toute prise aux capi­ta­listes pour impo­ser le droit qui les avantage.

Playlist de vidéos sur le tirage au sort (TAS)

Une sélec­tion de vidéos à retrou­ver sur la chaîne You­tube : Etienne Chouard
Cli­quer sur en haut de la vidéo pour affi­cher la playlist.

DÉMOCRATIE – TIRAGE AU SORT plutôt que ÉLECTION

Vidéos sur le tirage au sort

la vidéo du chal­lenge : tout dire en 18 mins :o)

Livres sur le tirage au sort et la démocratie 

M. H. Hansen, « La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène » (Les Belles Lettres, 2003)
M. H. Hansen, « La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène » (Les Belles Lettres, 2003)
M. H. Hansen, « La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène » (Les Belles Lettres, 2003)
Jacques Duboin, LA GRANDE RELÈVE (de l'Homme par la Machine), 1932. Texte intégral
Bernard Manin, « Principes du gouvernement représentatif » (Champs Flammarion, 1995)
M. H. Hansen, « La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène » (Les Belles Lettres, 2003)
Moses I. Finley, « Démocratie antique et démocratie moderne » (Petite bibliothèque Payot, 2003)
Yves Sintomer, « Le pouvoir au peuple. Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative » (La Découverte, 2007)
Yves Sintomer, « Petite histoire de l'expérimentation démocratique : Tirage au sort et politique d'Athènes à nos jours » (La Découverte, 2011) (2ème édition, très augmentée, du livre ci-dessus, "Le pouvoir au peuple")
Jacques Rancière, « La haine de la démocratie »
Bernard Manin, « Principes du gouvernement représentatif » (Champs Flammarion, 1995)
M. H. Hansen, « La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène » (Les Belles Lettres, 2003)
Jean Grenier, « Essai sur l’esprit d’orthodoxie » (1938)
Robert Michels, Les partis politiques (1911).
Philippe Braud, « Le suffrage universel contre la démocratie » (PUF 1980).
Alexis de Tocqueville, « De la démocratie en Amérique » (1835-1840).

Publications sur le tirage au sort

Résu­mé audio en 15 minutes chro­no de la  Confé­rence à BRUXELLES, le 25 mars 2012 POUR UN PEUPLE CONSTITUANT
Écou­ter

Un plai­doyer extrê­me­ment convain­quant, dans « À voix nue », sur France Culture, le 8 juin 2012 : Jacques Tes­tart : pas de démo­cra­tie sans Conven­tions de Citoyens tirées au sort.
Lire

Une syn­thèse sur le tirage au sort, au 6 juin 2012, en texte et en vidéo, pré­pa­rée par l’u­ni­ver­si­taire fran­çais, spé­cia­liste de la ques­tion, Yves Sin­to­mer : Tirage au sort et démo­cra­tie déli­bé­ra­tive, une piste pour renou­ve­ler la poli­tique au 21e siècle.
Lire

Sur tri​bords​.com, une inter­view de Paul, ce gen­til-virus qui a pen­sé et réa­li­sé le site le​-mes​sage​.org :
Tirage au sort : la démo­cra­tie réelle ?

Pre­mière syn­thèse :
1) Élec­tion ou tirage au sort ? Aris­to­cra­tie ou démo­cra­tie ?
2) Qui est légi­time pour faire ce choix de socié­té ? Le peuple lui-même ou ses élus ? »
Lire 

Deuxième syn­thèse, plus récente et dont les argu­ments sont arti­cu­lés avec nos pro­blèmes éco­no­miques (l’op­pres­sion des pauvres par les riches) : « CENTRALITÉ DU TIRAGE AU SORT EN DÉMOCRATIE »
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André Tol­mère, « Mani­feste pour la vraie démo­cra­tie »
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Des dépu­tés tirés au sort : pro­po­si­tion ico­no­claste pour des citoyens légis­la­teurs
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« L’ex­pé­rience for­mi­dable en Colom­bie-Bri­tan­nique : une Assem­blée consti­tuante tirée au sort ! »
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Jacques Tes­tart : « Pas de démo­cra­tie sans CONVENTIONS DE CITOYENS, évi­dem­ment tirées au sort ! »
Lire

Repenser le long terme. Pour une nouvelle Constituante

Repenser le long terme.
Pour une nouvelle Constituante.
Étienne Chouard, enseignant et blogueur

La Croix, 5 avril 2013

« Dans une démo­cra­tie digne de ce nom, les citoyens devraient avoir toute la place. Leurs repré­sen­tants devraient être des ser­vi­teurs, empê­chés de deve­nir des maîtres par le tirage au sort des charges, par des man­dats courts et non renou­ve­lables, et par de nom­breux contrôles avant, pen­dant et après leur man­dat. Dans la réa­li­té, cha­cun peut consta­ter que c’est exac­te­ment le contraire qui se pro­duit : sitôt élus, nos « repré­sen­tants » se com­portent comme s’ils étaient nos maîtres, tout en se met­tant au ser­vice exclu­sif des car­tels et des banques, contre l’in­té­rêt général.

Notre pro­blème fon­da­men­tal n’est donc pas tech­nique mais poli­tique : nos « repré­sen­tants » ne nous repré­sentent pas, pour la bonne rai­son qu’ils ne nous doivent rien. C’est méca­nique : celui qui passe le plus à la télé est élu, c’est tout. Il a donc suf­fi aux banques d’a­che­ter les médias de masse pour être sûres de gagner les élec­tions à tous les coups. Les élus ne repré­sentent que les banques parce qu’ils leur doivent tout.

Quant à nous, simples élec­teurs (pas citoyens), nous sommes pri­vés de toute ins­ti­tu­tion pour nous défendre contre ces faux « repré­sen­tants » : nous n’a­vons pas de Constitution.

Une Consti­tu­tion, c’est un texte supé­rieur qui sert à pro­té­ger le peuple contre les abus de pou­voir, en sur­plom­bant tous les pou­voirs, publics et pri­vés. Une Consti­tu­tion digne de ce nom doit être crainte par les pou­voirs : il ne faut donc à aucun prix lais­ser les pou­voirs en ques­tion l’é­crire eux-mêmes, ce n’est pas aux hommes au pou­voir d’é­crire les règles du pou­voir, ce n’est pas aux par­le­men­taires, ni aux ministres, ni à aucun pro­fes­sion­nel de la poli­tique, d’é­crire ou de modi­fier la Constitution.

Une bonne Consti­tu­tion – que les « élus » n’é­cri­ront jamais, à cause de leur inté­rêt per­son­nel – pré­voi­rait de (vrais) réfé­ren­dums d’i­ni­tia­tive popu­laire (RIP légis­la­tif, abro­ga­toire, révo­ca­toire et consti­tuant), la sépa­ra­tion des pou­voirs dan­ge­reux (légis­la­tif, exé­cu­tif, judi­ciaire, média­tique et moné­taire) pour les affai­blir, une des Chambres légis­la­tives tirée au sort pour une repré­sen­ta­tion fidèle du pays, des man­dats courts et non renou­ve­lables pour évi­ter la pro­fes­sion­na­li­sa­tion, la res­pon­sa­bi­li­té illi­mi­tée (et la révo­ca­bi­li­té) des déci­deurs publics, des chambres de contrôle tirées au sort pour sur­veiller tous les pou­voirs sans excep­tion, une créa­tion moné­taire uni­que­ment publique et des banques toutes publiques aus­si, des ser­vices publics d’in­for­ma­tion ren­dus indé­pen­dants (sur le modèle des juges) mais eux aus­si contrô­lés par des jurys citoyens tirés au sort, etc.

Aucune de ces ins­ti­tu­tions, néces­saires à la jus­tice sociale, ne ver­ra jamais le jour tant qu’on n’au­ra pas com­pris et éli­mi­né le conflit d’in­té­rêts majeur qui est à la racine com­mune de toutes nos impuis­sances : il faut que les consti­tuants soient désintéressés.

Alors, com­ment faire ? Soit on réunit une Assem­blée consti­tuante dans chaque com­mune ou quar­tier (où vien­dront ceux qui le vou­dront) et on en dégage une syn­thèse pour fédé­rer les prin­ci­pales exi­gences citoyennes. Soit on tire au sort une seule Assem­blée consti­tuante (au lieu de l’é­lire!) : c’est beau­coup plus simple et ça don­ne­ra pro­ba­ble­ment le même résul­tat, parce que fina­le­ment, nous avons tous inté­rêt aux mêmes ins­ti­tu­tions fondamentales.

Pour que cela advienne, il suf­fi­rait que nous soyons des mil­lions à le vou­loir ; c’est donc à nous de faire pas­ser le mes­sage de façon virale, auto­nome, sou­ter­raine, insai­sis­sable, pour deve­nir rapi­de­ment très nom­breux à dire ensemble : « Nous vou­lons avant tout une Assem­blée consti­tuante tirée au sort – car tout le reste suivra. »

C’est une vraie cause com­mune : ins­ti­tuons d’a­bord notre puis­sance, on se dis­pu­te­ra après. On n’é­chap­pe­ra pas autre­ment aux usu­riers, qui ont déjà volé presque tous les pou­voirs : si on veut une Consti­tu­tion, il fau­dra l’é­crire nous-mêmes.

Nous, on a com­men­cé ; si le cœur vous en dit, rejoi­gnez-nous (1). »

Étienne CHOUARD

(1) Site : https://​old​.chouard​.org/​E​u​r​ope

Source : La Croix, http://www.la-croix.com/Archives/2013–04-05/Repenser-le-long-terme.-Pour-une-nouvelle-Constituante.-Etienne-Chouard-enseignant-et-blogueur-2013–04-05–929560

DÉMOCRATIE ET CONSTITUTION

DÉMOCRATIE ET CONSTITUTION

http://​www​.uns​pe​cial​.org/​2​0​1​3​/​0​4​/​d​e​m​o​c​r​a​t​i​e​-​e​t​-​c​o​n​s​t​i​t​u​t​i​on/

Encore une syn­thèse, par­don­nez-moi : vous allez trou­ver ça saou­lant, à force.

Le jour­na­liste, Nico­las-Émi­lien ROZEAU du site UN Spe­cial (avec qui j’ai pas­sé quelques heures au télé­phone) a bien résu­mé l’es­sen­tiel, je trouve. Mer­ci à lui.

 

Étienne Chouard, vous êtes ensei­gnant en éco­no­mie-ges­tion en France. Vous êtes éga­le­ment un phi­lo­sophe poli­tique. Qu’y‑a-t-il de si pas­sion­nant dans la phi­lo­so­phie politique ?

Je suis un phi­lo­sophe poli­tique ama­teur, bien sûr, comme nous devrions tous l’être. Sui­vant la façon dont nous l’exerçons, cette acti­vi­té intel­lec­tuelle peut nous don­ner des moyens inédits pour régler la plu­part de nos pro­blèmes, qui ne sont pas tech­niques mais poli­tiques, y com­pris la pol­lu­tion, le chô­mage et les bas salaires que nous sau­rions très bien résoudre ; mais nous avons un sacré pro­blème poli­tique, avec nos pré­ten­dus « représentants ».

Une des rai­sons d’être de la phi­lo­so­phie poli­tique, c’est d’essayer d’organiser au mieux la vie ensemble pour évi­ter que règne l’arbitraire de la loi du plus fort, pour que l’on arrive à vivre ensemble sans s’entretuer, tout en se pro­té­geant contre l’adversité. Mani­fes­te­ment, la phi­lo­so­phie poli­tique ne tient pas ses pro­messes, et c’est parce que seuls les puis­sants s’en occupent. Ceux qui ont du pou­voir et ceux qui ont beau­coup d’argent ont un inté­rêt per­son­nel et vital à faire de la phi­lo­so­phie poli­tique, de l’économie et du droit. L’appropriation de ces clefs assure leur domi­na­tion durable. Elles pour­raient aus­si être les clefs de notre libé­ra­tion, si nous autres, les 99% res­tants, les pauvres, nous nous les appropriions.

Est-ce que les peuples s’intéressent à la vie de la cité du point de vue politique ?

La vie moderne pour­rait lais­ser croire que non. Aujourd’hui, après des siècles de condi­tion­ne­ment avec des ins­ti­tu­tions infan­ti­li­santes, nous avons désap­pris à faire de la poli­tique. Mais il y a des tas d’exemples qui montrent qu’à la pre­mière occa­sion, l’homme est res­té un ani­mal poli­tique. Il est prêt à agir à la condi­tion que sa voix soit prise en compte. Avec de bonnes ins­ti­tu­tions, on s’apercevrait que les humains réap­prennent très vite et ont le goût intense de l’action politique.

Qu’est-ce qui domine actuel­le­ment dans notre socié­té ? De façon entre­te­nue, mani­pu­lée, vou­lue, je dirais : la divi­sion, l’atomisation. Y com­pris la divi­sion de la pen­sée. Le zap­ping est une habi­tude que l’on entre­tient à la télé­vi­sion. Nous n’arrivons plus à nous concen­trer. Dès lors, nous n’arrivons plus à seule­ment VOULOIR un pro­jet glo­bal cohé­rent. Il ne faut pas lais­ser les médias, c’est-à-dire les pro­fes­sion­nels de la dés­in­for­ma­tion, nous dis­traire. C’est à nous de nous éman­ci­per de nos maîtres en nous for­mant entre nous, par édu­ca­tion populaire.

Fina­le­ment, en cou­rant après un gain de pro­duc­ti­vi­té et de com­pé­ti­ti­vi­té, n’avons-nous pas scié la branche sur laquelle nous étions tous assis ?

Le libre-échange, qui n’intéresse — depuis tou­jours — que les mul­ti­na­tio­nales, aura notre peau. Il rui­ne­ra les peuples comme il l’a tou­jours fait. Le libre-échange n’a jamais enri­chi aucun pays. Tous les pays riches ont tou­jours été pro­tec­tion­nistes. Tous. Tous les pays pauvres sont ceux qui ont sup­pri­mé leurs pro­tec­tions, sou­vent de force. C’est une course non néces­saire et per­due d’avance qui nous entraîne, en plus, dans des gas­pillages éhon­tés. Alors que l’on devrait tâcher de vivre une fru­ga­li­té heu­reuse comme le sug­gère Pierre Rabhi.

Là encore, le pro­blème est poli­tique car ce sont les mul­ti­na­tio­nales qui dirigent leurs marion­nettes poli­tiques, en ache­tant les médias qui per­mettent de les faire élire. Dans ces condi­tions, ce n’est pas éton­nant que l’intérêt du plus grand nombre soit négli­gé et celui de la mino­ri­té (les banques) favo­ri­sé. L’impression est trom­peuse, mais l’offre poli­tique est unique. Napo­léon le disait : « il faut enduire les actes d’une confi­ture de paroles. ». Nous y sommes. Mais ce n’est pas une fata­li­té. Reli­sez le Contrat Social de Rous­seau, cha­pitre « des dépu­tés ou repré­sen­tants » sur les désastres cau­sés par la démis­sion du citoyen. C’est d’une actua­li­té brûlante.

Les médias jouent-ils encore leur rôle d’information ?

Les médias sont une pièce maî­tresse de la domi­na­tion poli­tique des pauvres par les ultra­riches. Les pauvres, c’est nous tous, 99%, et les 1% riches sont une poi­gnée de gens hyper­puis­sants : ils ont com­pris avant tout le monde com­ment on créait la mon­naie et depuis, ils ont tout ache­té, y com­pris le politique.

Les médias devraient être sous la pro­tec­tion de l’État, comme le pou­voir judi­ciaire. Évi­dem­ment, l’État ne devrait pas pou­voir s’ingérer dans les affaires média­tiques. Les jour­na­listes devraient être pro­té­gés par le peuple parce que nos liber­tés dépendent de leur indé­pen­dance. Aujourd’hui, nous sommes dans une situa­tion dra­ma­ti­que­ment inverse : nos jour­na­listes dépendent pour leur sur­vie des puis­sants qui les font vivre. Ils se croient libres ; ils sont en fait au ser­vice du pou­voir. Ce ne sont plus des sen­ti­nelles du peuple, mais des col­la­bo­ra­teurs des tyrans.

Com­ment se répar­tit la res­pon­sa­bi­li­té de ce que nous vivons actuellement ?

Je ne trouve pas les causes du pro­blème dans ceux qui nous mentent, nous violent et nous volent. Ils sont dans leur rôle : tout pou­voir va jusqu’à ce qu’il trouve une limite. C’est nous qui sommes éteints poli­ti­que­ment, peu­reux et pares­seux. Il en va pour­tant de notre res­pon­sa­bi­li­té de chan­ger les choses. Quand un pou­voir abuse, cela ne sert à rien d’essayer de chan­ger ce pou­voir : c’est dans sa nature d’abuser, il essaie­ra tou­jours. Il faut donc lui résis­ter comme il faut. Qui fixe les limites ? La limite des pou­voirs est nor­ma­le­ment ins­crite dans la Consti­tu­tion. Ce n’est donc pas aux hommes au pou­voir, ni aux hommes de par­tis, ni aux par­le­men­taires d’écrire la Consti­tu­tion. Tout est là ! Nous devons créer dans nos com­munes des assem­blées consti­tuantes citoyennes.

Quelle défi­ni­tion don­ne­riez-vous aux mots « citoyen », « élec­teur » et « démocratie » ?

Un citoyen est une per­sonne qui accepte d’être gou­ver­né par les lois qu’il a votées lui-même, direc­te­ment. Il est auto­nome : il a pro­duit lui-même le droit auquel il consent à obéir. Au contraire, un élec­teur est hété­ro­nome ; il subit le droit écrit par quelqu’un d’autre qui est son maître. Une démo­cra­tie, c’est un régime de citoyens, au sein duquel le peuple tire au sort et contrôle ses repré­sen­tants pour qu’ils res­tent tou­jours à son ser­vice. Aujourd’hui, nous vivons en ploutocratie.

La révo­lu­tion est-elle une solution ?

Oui, mais seule­ment si elle est bien pré­pa­rée. Sinon, les mêmes causes géné­re­ront les mêmes effets. Les pro­fes­sion­nels de la poli­tique écri­ront la Consti­tu­tion et ils repren­dront le pou­voir. Les banques feront du lob­bying pour impo­ser leur mon­naie pri­vée et elles repren­dront le pou­voir éga­le­ment. Les usu­riers recom­men­ce­ront à cir­con­ve­nir les consti­tuants. À ce jour, aucun peuple n’a été capable d’être constituant.

Il y a des mil­liers d’acteurs qui pensent et agissent pour un autre monde, pour­tant rien ne semble chan­ger. Pourquoi ?

On dénonce sou­vent et fort bien les dan­gers (pes­ti­cides, publi­ci­té, libre-échange…) avec toutes les solu­tions tech­niques, mais sans rien chan­ger depuis 50 ans : il faut se rendre à l’évidence. Au lieu de dénon­cer les consé­quences de notre impuis­sance poli­tique, pre­nons le pro­blème à la racine, soyons radi­caux, et écri­vons nous-mêmes la Consti­tu­tion dont nous avons besoin ! Car il faut d’abord ins­ti­tuer notre puis­sance poli­tique, et seule­ment ensuite dis­cu­ter des solu­tions. Regar­dez les banques : elles l’ont, leur consti­tu­tion… Elles ont écrit elles-mêmes la Consti­tu­tion européenne !

Tous les gens qui œuvrent pour un autre monde doivent enfin se réunir pour intro­duire cette idée cen­trale et com­mune dans leur action.

Le mot de la fin ?

Il n’y aura pas de pros­pé­ri­té sans mon­naie publique. Il n’y aura jamais de mon­naie publique (gra­tuite et per­ma­nente) sans démo­cra­tie. Et il n’y a pas de démo­cra­tie sans tirage au sort. Cela s’applique à toutes les nations, c’est une réflexion à por­tée universelle.

Pour creu­ser la ques­tion : https://​old​.chouard​.org/​E​u​r​ope

Source : Revue des Nations Unies :
 http://​www​.uns​pe​cial​.org/​2​0​1​3​/​0​4​/​d​e​m​o​c​r​a​t​i​e​-​e​t​-​c​o​n​s​t​i​t​u​t​i​on/
 http://​www​.uns​pe​cial​.org/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​2​0​1​3​/​0​4​/​U​N​S​p​e​c​i​a​l​_​A​v​r​i​l​2​0​1​3​1​.​pdf

Le tirage au sort démonte le mécanisme qui conduit à notre impuissance actuelle 

Entre­tien avec Étienne Chouard (Nexus n°78)

Cher­cheur indé­pen­dant, citoyen sans par­ti, sans éti­quette et sans ambi­tions poli­tiques per­son­nelles, Étienne Chouard s’est fait connaître du grand public en 2005 à l’occasion du réfé­ren­dum sur le trai­té éta­blis­sant une consti­tu­tion pour l’Europe en argu­men­tant pour le « non ». Deve­nu depuis un adepte du tirage au sort, il en est aus­si l’un des prin­ci­paux pro­pa­ga­teurs et théo­ri­ciens. Confé­ren­cier infa­ti­gable, il sillonne les routes pour en expli­quer la logique.

Nexus : Qu’est-ce qu’il y a de révo­lu­tion­naire dans le tirage au sort ?

Étienne Chouard : Tout. Le tirage au sort démonte le méca­nisme qui conduit à notre impuis­sance actuelle. Il y a quan­ti­té de causes à notre impuis­sance, qui s’imbriquent les unes les autres. Ma méthode, emprun­tée à Hip­po­crate, consiste à cher­cher la cause des causes, à remon­ter à la racine du pro­blème. Quand j’étudie les rai­sons de notre fai­blesse par rap­port aux abus de pou­voir, de proche en proche, j’aboutis à tous les coups à la même chose : la Consti­tu­tion. La Consti­tu­tion est en effet l’outil génial que les hommes ont inven­té pour affai­blir les pou­voirs. Or, qui écritaujourd’­hui la Consti­tu­tion ? Des par­le­men­taires, des pro­fes­sion­nels de la poli­tique, des ministres, des juges… Autre­ment dit, ceux-là mêmes qui vont exer­cer le pou­voir et qui devraient craindre les lois ins­ti­tu­tion­nelles. Et il ne s’agit pas là d’un acci­dent iso­lé, mais d’une règle géné­rale : dans tous les pays du monde et à toutes les époques, ce sont les hommes au pou­voir qui dictent les règles du pou­voir — même si ces règles sont désor­mais sou­vent votées par les peuples, ce qui montre au pas­sage qu’il est assez facile de convaincre le peuple d’ac­cep­ter lui-même sa propre impuis­sance. C’est le grand para­doxe des consti­tu­tions : ori­gi­nel­le­ment pen­sées comme le moyen de pro­té­ger les citoyens contre les abus de pou­voir, elles donnent aujourd’­hui une légi­ti­mi­té aux abus de pou­voir ! Voi­là la cause des causes de nos pro­blèmes. Mal­heu­reu­se­ment, les humains, qui res­tent à ce stade des enfants, ne mesurent pas l’importance du pro­ces­sus consti­tuant. S’il est aus­si stra­té­gique qu’un tel pro­ces­sus soit dés­in­té­res­sé, c’est pour évi­ter très prio­ri­tai­re­ment les conflits d’intérêts. Pour cela, il faut radi­ca­le­ment sépa­rer le pou­voir consti­tuant des pou­voirs consti­tués. C’est là que le tirage sort s’impose comme solu­tion : en rai­son­nant a contra­rio, on peut dire que, méca­ni­que­ment, n’importe qui fera mieux pour l’in­té­rêt géné­ral qu’une per­sonne qui a un inté­rêt per­son­nel à défendre contre l’in­té­rêt général.

Seule manière de récu­pé­rer la démo­cra­tie à ceux qui l’ont confisquée ?

Ils ne l’ont pas tant confis­quée qu’empêchée d’advenir. La non-démo­cra­tie est écrite par des per­sonnes qui ont un inté­rêt per­son­nel à ce qu’il n’y ait pas de démo­cra­tie. Nos régimes sont déli­bé­ré­ment et sciem­ment pen­sés et vou­lus comme des non-démo­cra­ties. La plu­part des pères fon­da­teurs de nos régimes par­le­men­taires étaient des notables pleins de méfiance à l’encontre du peuple. Ils ont ins­ti­tué des gou­ver­ne­ments repré­sen­ta­tifs qu’ils ont, plus tard, fal­la­cieu­se­ment éti­que­té du nom de « démo­cra­tie ». Mais c’est une escro­que­rie qui ne fonc­tionne qu’auprès des naïfs. C’est pour­quoi je fais la grève du mot « démo­cra­tie ». Ce n’est d’ailleurs pas parce qu’on s’est fait ber­ner pen­dant deux cents ans que cela va durer éter­nel­le­ment. J’ai bon espoir que nous nous pas­sions le mot entre nous et que nous trans­for­mions en virus démo­cra­tique le prin­cipe du tirage au sort, seul anti­dote durable contre la confis­ca­tion du pou­voir par une oligarchie.

Mais vous l’avez dit, il y a quelque chose d’imparable dans la méca­nique élec­to­rale, c’est le consen­te­ment : le peuple consent à sa propre domination…

C’est le méca­nisme même de toute escro­que­rie. Les escrocs sont tou­jours des gens très sédui­sants, jamais des affreux qui font peur aux enfants. Ils nous piègent en nous flat­tant et en détour­nant la puis­sance libé­ra­trice de notre volon­té : « puisque vous votez, vous êtes le sou­ve­rain », nous disent-ils. Et c’est vrai qu’au niveau indi­vi­duel, l’exercice de notre volon­té nous per­met sou­vent d’a­mé­lio­rer notre sort, à la condi­tion qu’elle ne soit pas biai­sée par des escrocs (c’est le point essen­tiel). Notre erreur est de croire que notre volon­té, qui fonc­tionne bien au niveau indi­vi­duel, va pareille­ment fonc­tion­ner au niveau col­lec­tif, alors qu’à ce niveau, appa­raissent des rai­sons puis­santes de cir­con­ve­nir la volon­té géné­rale, des mobiles de crimes . De l’u­ti­li­té sou­vent confir­mée de notre volon­té indi­vi­duelle, nous dédui­sons fau­ti­ve­ment qu’il en sera de même au niveau col­lec­tif. C’est une erreur. Au niveau col­lec­tif appa­raissent des trom­peurs d’opinion et l’é­lec­tion donne une prise à ces voleurs de pou­voir.Le plus riche pour­ra finan­cer les cam­pagnes élec­to­rales et faire élire son can­di­dat qui, du coup, sera son débi­teur et mène­ra les poli­tiques qui lui sont favo­rables. Le tirage au sort écarte cette méca­nique cor­rup­trice de l’élection en ne don­nant aucune place à la volon­té. C’est la loi des grands nombres (incor­rup­tible par construc­tion) qui décide, et non plus une volon­té sus­cep­tible d’être trompée.

Mais on vous rétor­que­ra que le sort est arbitraire ?

Impar­tial, plu­tôt. Le pro­jet démo­cra­tique consiste à ne délé­guer que très peu de pou­voir aux repré­sen­tants. Ce que le tirage au sort per­met. Il ne cherche pas à rendre l’humanité par­faite, il veut au contraire s’adapter à son imper­fec­tion, en en tirant les consé­quences logiques : puisque nous sommes impar­faits, ne don­nons jamais la tota­li­té des pou­voirs à quelques-uns. Don­nons un tout petit peu de pou­voir, à un grand nombre de per­sonnes, pour très peu de temps, et jamais deux fois de suite. Le tirage au sort emporte avec lui la rota­tion des charges (des man­dats courts et non-renou­ve­lables) et le contrôle sys­té­ma­tique des repré­sen­tants. L’ex­pres­sion « démo­cra­tie indi­recte » est un oxy­more, une contra­dic­tion dans les termes. La démo­cra­tie est directe ou elle n’est pas. Certes, nous avons besoin de repré­sen­tants, mais pas pour voter les lois : seule­ment pour les exé­cu­ter, les inter­pré­ter et les pré­pa­rer. Ces repré­sen­tants doivent être tirés au sort pour qu’ils res­tent nos ser­vi­teurs et qu’ils ne deviennent jamais nos maîtres. Les dérives cor­po­ra­tistes qui viennent tou­jours avec la pro­fes­sion­na­li­sa­tion des fonc­tions de repré­sen­ta­tion sont pro­fon­dé­ment anti-démo­cra­tiques. Les démo­crates dignes de ce nom tiennent prio­ri­tai­re­ment à l’amateurisme politique.

Que répon­dez-vous aux deux objec­tions les plus cou­ram­ment for­mu­lées contre le tirage au sort, à savoir la dimen­sion tech­nique des pro­blèmes, beau­coup plus com­plexe aujourd’hui, et le chan­ge­ment d’échelle : les citoyens ne se chiffrent plus en dizaines de mil­liers comme à Athènes, mais en dizaines de mil­lions, sinon en centaines ?

La com­pé­tence d’un repré­sen­tant fraî­che­ment élu n’est pas innée. Il va devoir tran­cher sur une pro­fu­sion de sujets, juri­diques, tech­niques, scien­ti­fiques, etc. Il va acqué­rir sa com­pé­tence che­min fai­sant. Ce n’est pas un sur­homme omni­scient. C’est son tra­vail qui va le rendre com­pé­tent. Toutes les expé­riences d’assemblées citoyennes démontrent que des per­sonnes dis­tin­guées par le hasard se trans­forment, s’investissent, se res­pon­sa­bi­lisent et choi­sissent fina­le­ment les bonnes solu­tions, y com­pris sur des sujets com­plexes. Voyez com­ment les par­le­men­taires euro­péens, soi-disant si com­pé­tents, votent les lois : savez-vous qu’ils ont à leurs pieds une sorte de grande can­tine dans laquelle sont clas­sés tous les dos­siers du jour ? Ces dos­siers sont si nom­breux, si com­plexes, si ardus, qu’il est impos­sible de seule­ment les lire à temps. Chaque dos­sier com­porte donc un numé­ro et une consigne de vote four­nie par le par­ti. Le dépu­té moderne n’est donc alors qu’un auto­mate et l’ar­gu­ment de sa néces­saire com­pé­tence paraît bien surfait.

Et l’objection de la taille ?

Elle ne tient pas non plus. Rai­son­nons à par­tir de la cel­lule de base démo­cra­tique, qui n’est ni le conti­nent, ni le pays, ni la région, mais la com­mune, la démo­cra­tie ne s’imposant pas par le haut, mais par le bas. A cet égard, rien n’a chan­gé depuis les Grecs, la cel­lule de base pour nos démo­cra­ties reste la même. Au niveau com­mu­nal, les gens se côtoient et se connaissent. Ils peuvent se sur­veiller mutuel­le­ment. Au niveau plus large, la démo­cra­tie s’organise autour de com­munes libres gérées dans le cadre d’une fédé­ra­tion. Les exemples fédé­ra­tifs ne manquent pas (États-Unis, Suisse, Alle­magne, etc.). Il n’est pas exa­gé­ré de dire qu’ils fonc­tionnent très bien, à cette réserve près qu’ils uti­lisent tous, à la base, une pro­cé­dure aris­to­cra­tique : l’é­lec­tion. C’est cette pro­cé­dure qu’il faut chan­ger. Com­ment ? En la rem­pla­çant par la seule pro­cé­dure démo­cra­tique qui soit : le tirage au sort. Les citoyens de chaque com­mune déci­de­ront alors libre­ment des sujets qu’ils sont en mesure de trai­ter eux-mêmes, direc­te­ment, et ils délé­gue­ront les autres au niveau fédé­ral, selon le prin­cipe de la sub­si­dia­ri­té, qui veut que l’on ne doit pas faire à un éche­lon plus éle­vé ce qui peut l’être avec plus d’efficacité à un éche­lon plus petit.

Que pen­sez-vous des (rares) expé­riences de tirage au sort ?

Elles sont toutes enthou­sias­mantes, car elles montrent toutes que l’homme nor­mal n’est pas bête mais astu­cieux et avi­sé. Tant que ce sera des hommes de par­ti et des élus qui par­le­ront de démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive, les choses n’avanceront pas. Les pro­fes­sion­nels de la poli­tique n’accoucheront jamais de la vraie démo­cra­tie, non parce qu’ils sont mau­vais en eux-mêmes, mais parce qu’ils sont en conflits d’intérêts. Le conflit d’intérêts est la clé de com­pré­hen­sion de notre impuis­sance poli­tique. Les consti­tuants ne doivent plus être en conflits d’intérêts. Le jour où nous serons des mil­lions à dire qu’on ne veut plus d’hommes de pou­voir dans les assem­blées consti­tuantes, mais seule­ment des gens nor­maux et dés­in­té­res­sés, alors tout changera.

Pro­pos recueillis par Fran­çois Bousquet.

À visi­ter :
https://​old​.chouard​.org/​E​u​r​o​pe/

Source : revue Nexus, n°78 jan­vier-février 2012.

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