[Règles variables selon le détenu] Julian Assange à la prison anglaise de Belmarsh : injustice crasse en Grande Bretagne, qui n’est pas un État de droit

28/10/2019 | 5 commentaires

Julian Assange : Privation de justice et double standard à la prison de Belmarsh (21st Century Wire)

[Pre­mière par­tie – 28/8/2019] L’Histoire de deux pri­son­niers : Julian Assange, fon­da­teur de Wiki­leaks, et Tom­my Robin­son, per­son­na­li­té d’extrême-droite, sont trai­tés très dif­fé­rem­ment à la pri­son de Bel­marsh. Ana­lyse de Nina CROSS.

Source : Le Grand Soir, https://​www​.legrand​soir​.info/​j​u​l​i​a​n​-​a​s​s​a​n​g​e​-​p​r​i​v​a​t​i​o​n​-​d​e​-​j​u​s​t​i​c​e​-​e​t​-​d​o​u​b​l​e​-​s​t​a​n​d​a​r​d​-​a​-​l​a​-​p​r​i​s​o​n​-​d​e​-​b​e​l​m​a​r​s​h​-​2​1​s​t​-​c​e​n​t​u​r​y​-​w​i​r​e​.​h​tml

Alfred de Zayas, ancien Rap­por­teur de l’ONU, a décrit les actions des auto­ri­tés bri­tan­niques envers Assange comme ’.… contraires à l’état de droit et à l’esprit de la loi’. Ce que nous voyons à la sur­face est une illu­sion de la jus­tice bri­tan­nique qui mas­quant un pro­gramme politique.

La tris­te­ment célèbre pri­son de Bel­marsh, en Grande-Bre­tagne, est main­te­nant pré­sen­tée comme un exemple de bonne gou­ver­nance, révé­la­trice d’une socié­té juste et équi­table, équi­table mais ferme à l’égard de ceux qui ont enfreint la loi. Après un exa­men atten­tif du cas de Julian Assange, il ne fait guère de doute que pla­cer le jour­na­liste pri­mé dans un tel éta­blis­se­ment n’est rien d’autre que la der­nière étape avant sa res­ti­tu­tion aux États-Unis.

Jusqu’à pré­sent, Bel­marsh s’est acquit­té de cette volon­té de l’État.

Bel­marsh comme arme de choix de l’État

La juge Debo­rah Tay­lor a envoyé Assange à la pri­son de caté­go­rie A de Bel­marsh pour une infrac­tion à sa liber­té sur­veillée, même s’il a démon­tré qu’il avait de bonnes rai­sons de le faire.

Il est dif­fi­cile de ne pas conclure que son clas­se­ment en caté­go­rie A fut déci­dé pour l’affaiblir et le rendre vul­né­rable. Essen­tiel­le­ment, Assange a été envoyé à Bel­marsh pen­dant 50 semaines pour ne pas s’être pré­sen­té à un poste de police. Il n’y avait pas de pro­cès en cours ; il n’avait pas d’antécédents judi­ciaires ; il n’y avait pas d’accusations ; l’enquête sué­doise avait été aban­don­née. Donc, le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique n’avait rien d’autre contre lui que le fait de ne pas s’être pré­sen­té à un poste de police. Il convient éga­le­ment de sou­li­gner que la juge Tay­lor a com­mis une série d’erreurs lors de la condam­na­tion le 1er mai [2019], se réfé­rant à des accu­sa­tions de viol en Suède, qu’Assange a cor­ri­gées et qu’elle a ensuite recon­nues comme étant erro­nées. Ce qui montre que la juge Tay­lor s’est pré­sen­tée devant le tri­bu­nal sans être infor­mée, avec l’idée qu’Assange avait été accu­sée de viol quelque part, d’une manière ou d’une autre. Cela peut expli­quer en par­tie le rai­son­ne­ment qui sous-tend la condam­na­tion cruelle du juge Tay­lor, décrite par le Groupe de tra­vail des Nations Unies sur la déten­tion arbi­traire comme ’dis­pro­por­tion­née’, mais aus­si comme favo­ri­sant la pri­va­tion arbi­traire de la liber­té d’Assange. Qui plus est, il a été sou­li­gné que chaque année plu­sieurs mil­liers de per­sonnes au Royaume-Uni en liber­té sur­veillée ne se pré­sentent pas au poste de police sans pour autant être sou­mises à des peines aus­si sévères.

De toute évi­dence, le juge Tay­lor s’est appuyée sur les nar­ra­tives four­nies par l’État pour envoyer Assange dans un péni­ten­cier de caté­go­rie A, même si ces nar­ra­tives ont été com­plè­te­ment démon­tées. Une de ces fausses infor­ma­tions dif­fu­sées par l’État bri­tan­nique et ses prin­ci­paux par­te­naires média­tiques était que les auto­ri­tés sué­doises avaient aban­don­né les allé­ga­tions sexuelles qu’elles avaient por­tée contre Assange parce qu’elles ’ne pou­vaient pas faire avan­cer le dos­sier’ car il était enfer­mé à l’ambassade de l’Équateur à Londres. Cette dés­in­for­ma­tion était fausse, comme en témoigne le fait que les auto­ri­tés sué­doises avaient déjà réa­li­sé pas moins de 44 liai­sons vidéo ou entre­tiens avec des per­sonnes d’intérêt et étaient donc tout à fait capables d’interroger Assange à distance.

Quant à l’affaire elle-même, la ques­tion qui se pose main­te­nant est la sui­vante : quelle affaire ? Ouverte puis fer­mée, puis ouverte à nou­veau, puis fer­mée, puis fer­mée, puis ouverte, et pour­tant – le minis­tère public sué­dois a encore dit à l’époque qu’’une inter­view n’était pas à l’ordre du jour’.

Il n’est donc pas sur­pre­nant que les auto­ri­tés sué­doises semblent lais­ser l’affaire en sus­pens, comme elles le font depuis des années. Les tri­bu­naux sué­dois ayant récem­ment déjoué les ten­ta­tives du pro­cu­reur d’extrader Assange vers la Suède, la réou­ver­ture de l’affaire n’est-elle plus qu’une simple tac­tique de contrôle de l’opinion publique ? Peut-être l’ont-ils ouvert pour la troi­sième fois parce que clô­tu­rer défi­ni­ti­ve­ment le récit de plus en plus fal­la­cieux du « vio­leur » ris­quait d’attirer un sou­tien accru de la part des membres du public (et du gou­ver­ne­ment) qui n’étaient pas cer­tains aupa­ra­vant si Assange avait droit à un sou­tien moral quel­conque. Nous ver­rons si le pro­cu­reur sué­dois déci­de­ra si un ’entre­tien est à l’ordre du jour’ après avoir col­lé l’étiquette de vio­leur à Assange pen­dant plus de dix ans déjà.

C’est ain­si qu’avec toute la force que l’establishment bri­tan­nique pou­vait exer­cer der­rière un délit mineur d’infraction à une liber­té sur­veillée, Assange se retrouve pié­gé à l’intérieur de la pri­son de Belmarsh.

Bel­marsh refuse d’appliquer la loi

Le régime de haute sécu­ri­té de la pri­son de SM Bel­marsh s’est avé­ré jusqu’à pré­sent para­ly­sant pour les espoirs d’Assange d’organiser une défense juri­dique. Il est main­te­nant de noto­rié­té publique que les fonc­tion­naires du gou­ver­ne­ment de Bel­marsh ont impo­sé des res­tric­tions qui ont pour effet de pri­ver Assange de visites juri­diques suf­fi­santes, de lui refu­ser la pos­si­bi­li­té de par­ler à ses avo­cats amé­ri­cains, de lui refu­ser l’accès et la pos­ses­sion de docu­ments juri­diques et de lui refu­ser les moyens essen­tiels pour pré­pa­rer sa défense juri­dique, à savoir un ordi­na­teur portable.

Pour les lec­teurs qui ne connaissent pas le jar­gon juri­dique, les pas­sages sui­vants mon­tre­ront com­ment on peut mesu­rer le trai­te­ment d’Assange par Bel­marsh par rap­port aux pro­tec­tions et direc­tives recon­nues, telles que :

L’article 6.3 de la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme, qui revêt une impor­tance par­ti­cu­lière pour les pri­son­niers (Assange est clai­re­ment un pri­son­nier poli­tique) et sti­pule que les déte­nus doivent :

’.… dis­po­ser du temps et des faci­li­tés néces­saires à la pré­pa­ra­tion de leur défense…’

Le Conseil de l’Europe (CdE) a éla­bo­ré une défi­ni­tion de ce que cela signi­fie dans un guide sur l’article 6 de la CEDH :

386. Les ’faci­li­tés’ dont doit béné­fi­cier toute per­sonne accu­sée d’une infrac­tion pénale com­prennent la pos­si­bi­li­té de prendre connais­sance, aux fins de la pré­pa­ra­tion de sa défense, des résul­tats des enquêtes menées au cours de la pro­cé­dure.
387.Afin de faci­li­ter la conduite de la défense, l’accusé ne doit pas être empê­ché d’obtenir des copies des docu­ments per­ti­nents du dos­sier de l’affaire, ni de com­pi­ler et d’utiliser toute note prise.

NOTE : Lors de l’audience du tri­bu­nal d’extradition amé­ri­cain d’Assange en juin, Assange lui-même a été caté­go­rique sur le fait qu’il n’avait même pas reçu le texte de l’acte d’accusation amé­ri­cain contre lui et a décla­ré qu’il devait rece­voir les docu­ments juri­diques essen­tiels qui lui étaient adres­sés. Son équipe juri­dique a éga­le­mentréité­ré que la pré­pa­ra­tion de sa défense était entra­vée et que l’accès à son client était res­treint par le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique. Il est dif­fi­cile de croire que cette stra­té­gie n’est pas intentionnelle.

Les lignes direc­trices du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’homme ont éga­le­ment énon­cé dans ses Règles péni­ten­tiaires euro­péennes que :

23.6 Les déte­nus doivent avoir accès aux docu­ments rela­tifs à leur pro­cé­dure judi­ciaire ou être auto­ri­sés à les gar­der en leur possession.

Fair Trials, l’organisme mon­dial de sur­veillance de la jus­tice pénale, explique :

Une per­sonne fai­sant face à des accu­sa­tions cri­mi­nelles doit avoir le temps et les moyens néces­saires pour pré­pa­rer sa défense. Ce droit existe à tous les stades de la pro­cé­dure et com­prend le droit à des docu­ments, dos­siers et infor­ma­tions ain­si que la garan­tie d’une com­mu­ni­ca­tion confi­den­tielle avec des avo­cats.

En mai 2019, Nils Mel­zer, Rap­por­teur des Nations Unies sur la tor­ture, a indi­qué qu’Assange avait un accès limi­té aux docu­ments juri­diques dans sa cellule.

Plus récem­ment, le jour­na­liste lau­réat John Pil­ger, a éga­le­ment expli­qué qu’Assange n’avait pas eu accès à des docu­ments pour pré­pa­rer sa défense :

https://​you​tu​.be/​z​V​E​t​U​p​U​R​N​A​wEn ce qui concerne la demande d’Assange pour un ordi­na­teur por­table, les lignes direc­trices bri­tan­niques sur l’accès à la jus­tice montrent qu’il s’agit d’une demande rai­son­nable et le cas d’Assange semble répondre exac­te­ment aux condi­tions prévues :

L’orientation dit que les ordi­na­teurs por­tables devraient être accor­dés aux per­sonnes qui ne pour­raient pas se pré­pa­rer cor­rec­te­ment sans, mais ne devraient pas l’être uni­que­ment pour une rai­son de com­mo­di­té.’

Le guide du Conseil de l’Europe sur l’article 6.3 légi­time éga­le­ment cette demande :

387. Lorsqu’une per­sonne est déte­nue en atten­dant son pro­cès, la notion de ’faci­li­tés’ peut inclure des condi­tions de déten­tion qui per­mettent à la per­sonne de lire et d’écrire avec un degré rai­son­nable de concen­tra­tion. Il est essen­tiel que l’accusé et son avo­cat puissent tous deux par­ti­ci­per à la pro­cé­dure et pré­sen­ter des obser­va­tions sans souf­frir d’une fatigue excessive.

Suite à son éva­lua­tion d’Assange en mai à l’intérieur de la pri­son de Bel­marsh, Nils Mel­zer a publié une décla­ra­tion détaillant les condi­tions de déten­tion. Mel­zer était accom­pa­gné de deux experts médi­caux spé­cia­li­sés dans l’examen des vic­times poten­tielles de tor­ture ain­si que dans la docu­men­ta­tion des symp­tômes, tant phy­siques que psy­cho­lo­giques. En exa­mi­nant Assange Mel­zer a obser­vé ce qui suit :

«  Mais sur­tout, en plus des maux phy­siques, M. Assange pré­sen­tait tous les symp­tômes typiques d’une expo­si­tion pro­lon­gée à la tor­ture psy­cho­lo­gique, y com­pris le stress extrême, l’anxiété chro­nique et le trau­ma­tisme psy­cho­lo­gique intense. »

En plus de ces pré­oc­cu­pa­tions, des rap­ports indiquent éga­le­ment que des médi­ca­ments sont admi­nis­trés à Assange.

Mel­zer a éga­le­ment expli­qué que l’accumulation de pro­cé­dures judi­ciaires mul­tiples ajoute au stress et à l’incapacité d’Assange à faire face aux exi­gences de la pré­pa­ra­tion de sa défense. :

https://​you​tu​.be/​z​p​M​0​v​r​0​B​r​8​gIl est impor­tant de noter que les pré­pa­ra­tifs juri­diques d’Assange dans cette affaire n’ont rien à voir avec les fausses accu­sa­tions d’évasion sous liber­té sur­veillée pour les­quelles Assange fut ini­tia­le­ment arrê­té et déte­nu par le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique. Sa défense juri­dique consiste plu­tôt à com­battre ce qui pour­rait deve­nir un pré­cé­dent juri­dique déter­mi­nant pour notre géné­ra­tion – une affaire d’extradition amé­ri­caine dans laquelle un citoyen non amé­ri­cain fait face à des accu­sa­tions en ver­tu du Espio­nage Act de 1917 pour son rôle (en tant que jour­na­liste) dans la divul­ga­tion de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité par le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain – tous publiés par un média non amé­ri­cain. Par consé­quent, on peut sou­te­nir à juste titre qu’en limi­tant l’accès d’Assange à une défense juri­dique adé­quate dans une affaire aus­si média­ti­sée et his­to­rique, le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique agit contre l’intérêt public, non seule­ment à domi­cile, mais aus­si à l’étranger.

Mal­gré tout cela, Bel­marsh semble avoir igno­ré ou reje­té les pré­oc­cu­pa­tions concer­nant l’incapacité d’Assange d’avoir accès aux tri­bu­naux pour sa défense et lui refuse des ’faci­li­tés’.

Les res­tric­tions impo­sées par Bel­marsh à la capa­ci­té d’Assange de ren­con­trer ses avo­cats et son refus de lui per­mettre de par­ler à ses avo­cats amé­ri­cains semblent saper le fon­de­ment même de l’article 6, qui, selon le guide du Conseil de l’Europe :

’.…garan­tit le droit d’un accu­sé de par­ti­ci­per effec­ti­ve­ment à un pro­cès pénal.’

En recon­nais­sance de l’article 6, le site Web du gou­ver­ne­ment bri­tan­nique four­nit des conseils sur le droit de tous les déte­nus de contac­ter leur avocat :

Les pri­son­niers ont des droits, y com­pris celui d’entrer en contact avec un avo­cat.’

Les droits des déte­nus sont éga­le­ment sou­te­nus par le Citizen’s Advice Bureau (CAB) du Royaume-Uni, qui four­nit un ser­vice consul­ta­tif à tous les déte­nus. Ce qui suit résume les droits des déte­nus dans les domaines par­ti­cu­liers où Assange a deman­dé un accès mais s’est vu refu­ser ou res­treindre cet accès par Bel­marsh (gras ajouté) :

  • Des ins­tal­la­tions adé­quates pour pré­pa­rer une défense, y com­pris un nombre illi­mi­té de visites de leur conseiller juridique.
  • Appels télé­pho­niques illi­mi­tés à leur conseiller juri­dique ou au CAB. Un déte­nu peut être en mesure d’utiliser le télé­phone offi­ciel de la pri­son pour des appels juri­diques urgents avec l’autorisation écrite du gou­ver­neur. On s’attend à ce qu’un pri­son­nier paie pour ces appels, à moins que le gou­ver­neur ne soit convain­cu qu’il ne peut pas payer.
  • Un déte­nu a accès à des ins­tal­la­tions infor­ma­tiques, pour une durée limi­tée, afin de l’aider à pré­pa­rer une action en jus­tice, lorsqu’il peut démon­trer que son cas serait com­pro­mis sans cet accès – par exemple, s’il a un han­di­cap ou un autre pro­blème de san­té pertinent.

Il appa­raît donc clai­re­ment qu’Assange se voit refu­ser les droits des déte­nus en matière d’accès à la jus­tice. Le résul­tat de ces res­tric­tions impo­sées à Assange est qu’il ne peut pas par­ti­ci­per effec­ti­ve­ment à la pro­cé­dure judi­ciaire enga­gée contre lui. Les res­tric­tions actuelles de M. Bel­marsh semblent miner toutes ses ten­ta­tives d’accès à toutes les voies de jus­tice, ain­si que les moyens néces­saires pour par­ti­ci­per à sa défense juri­dique depuis qu’il est entré en pri­son. Ces atteintes aux droits et ces refus d’accès à la jus­tice sont sou­vent impu­tés à des pénu­ries, à des pro­blèmes de sys­tème et à des défaillances, et même jus­ti­fiés par la sécu­ri­té et la pra­tique ins­ti­tu­tion­nelle. Cepen­dant, toutes les lacunes du sys­tème bri­tan­nique dans ce cas pour­raient faci­le­ment être évi­tées ou cor­ri­gées par les auto­ri­tés pénitentiaires.

Dans le cas d’Assange, cela signi­fie que son équipe juri­dique est for­cée de perdre du temps et des res­sources à ten­ter d’obtenir un accès légal à la jus­tice, y com­pris éven­tuel­le­ment en inten­tant des pour­suites contre Bel­marsh et le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique. Il est facile d’imaginer pour­quoi les auto­ri­tés sont très satis­faites que cela se pro­duise : cela fait perdre du temps, épuise les res­sources de son équipe juri­dique et fait s’accumuler les litiges. Le nombre de batailles qui peuvent être livrées en même temps est limi­té ; l’appel d’Assange contre la sen­tence de Bel­marsh sur la vio­la­tion de liber­té sur­veillée a déjà été aban­don­né. Et même si cer­taines res­tric­tions seront moins sévères lorsqu’Assange se retrou­ve­ra pro­ba­ble­ment en déten­tion pro­vi­soire pour lut­ter contre l’extradition, le bon sens nous dicte que l’impact des res­tric­tions exer­cées avant cette date sera très pré­ju­di­ciable à sa défense.

L’accès à la jus­tice’ a été décrit par la CEDH comme suit :

L’accès à la jus­tice per­met aux indi­vi­dus de se pro­té­ger contre les atteintes à leurs droits, de répa­rer les torts civils, de deman­der des comptes au pou­voir exé­cu­tif et de se défendre dans les pro­cé­dures pénales. C’est un élé­ment impor­tant de l’État de droit…

Si nous pen­sons que les obs­tacles à la capa­ci­té d’Assange à se défendre contre l’extradition sont jus­ti­fiés par les cri­tères d’un sys­tème péni­ten­tiaire de haute sécu­ri­té ’sur­char­gé et sous-finan­cé ’, alors nous ne fai­sons que consen­tir à l’érosion de la loi et accep­ter à sa place les règles impo­sées par les admi­nis­tra­teurs des ins­ti­tu­tions de l’État – au détri­ment de la liber­té indi­vi­duelle. Ces jus­ti­fi­ca­tions pour refu­ser à Assange son droit légal fon­da­men­tal à la jus­tice sont des pré­textes com­modes pour Bel­marsh qui fut choi­sie – et pas par hasard – pour ser­vir un objec­tif poli­tique qui cherche à obte­nir sa res­ti­tu­tion aux Etats-Unis.

Deux poids, deux mesures : l’expérience de la pri­son de Bel­marsh selon le gouverneur

Bel­marsh est éga­le­ment la pri­son d’État de pré­di­lec­tion de Tom­my Robin­son (de son vrai nom Ste­phen Yax­ley-Len­non), per­son­na­li­té d’extrême-droite contro­ver­sée et fon­da­teur de l’English Defence League. M. Robin­son a été recon­nu cou­pable d’outrage au tri­bu­nal pour avoir dif­fu­sé le pro­cès d’un gang de tra­fi­quants sexuels sur Face­book Live à l’extérieur du tri­bu­nal de Leeds en 2018, et fut par la suite condam­né et enfer­mé comme « déte­nu civil » [caté­go­ri­sa­tion des déte­nus en fonc­tion de leur sta­tut et/ou nature d’infraction – NdT].

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Robin­son est entré en pri­son por­tant un t‑shirt « condam­né pour journalisme »

Contrai­re­ment à Assange qui a été pla­cé dans la popu­la­tion car­cé­rale géné­rale avant d’être pla­cé dans une aile médi­cale, le pla­ce­ment spé­cial de Robin­son semble appar­te­nir à la caté­go­rie des déte­nus à Bel­marsh qui, en rai­son de leur pro­fil public et média­tique, néces­site des dis­po­si­tions par­ti­cu­lières de ges­tion’ et a donc été iso­lé de tous les autres déte­nus. En consé­quence, il est déte­nu dans l’unité de haute sécu­ri­té à l’intérieur de Bel­marsh. Les déte­nus civils sont trai­tés de la même manière que les déte­nus condam­nés, à quelques excep­tions près, l’une d’entre elles étant le droit de visite. Selon l’un de ses récents visi­teurs, Ezra Levant, direc­teur du média cana­dien The Rebel Media, par qui Robin­son était employé, ce cer­nier reçoit des visi­teurs trois ou quatre fois par semaine. Levant a éga­le­ment décla­ré que le direc­teur de la pri­son, Rob Davis OBE, visite Robin­son tous les jours, notant que,

’…le gou­ver­neur de la pri­son, le direc­teur comme nous l’appelons en Amé­rique du Nord, lui rend visite tous les jours, ne serait-ce qu’un ins­tant, pour lui dire ’com­ment ça va’. J’ai trou­vé cela très inté­res­sant. Non seule­ment le direc­teur se met à la dis­po­si­tion de Tom­my, mais il ins­pecte pour s’assurer que tout va bien. J’ai trou­vé ça très inté­res­sant et ras­su­rant.’

Une autre visi­teuse de The Rebel MediaJes­si­ca Swie­to­niows­ki, a rap­por­té que Robin­son est auto­ri­sé à faire des appels télé­pho­niques illi­mi­tés entre 9h et 11h chaque matin, déclarant :

’… de 9 h à 11 h, il peut sor­tir de sa cel­lule, donc sa cel­lule s’ouvre de 9 h du matin à 11 h, à 11 h [il] revient dans la cel­lule. Pen­dant ce temps, il peut faire de l’exercice et pas­ser autant d’appels qu’il veut, ce qui est une bonne nou­velle.’

Il convient de noter ici que la capa­ci­té de Robin­son d’avoir un accès sans entraves aux appels télé­pho­niques est pro­ba­ble­ment due au fait qu’il est un déte­nu civil. Cepen­dant, cela montre le fos­sé qui sépare l’accès aux res­sources d’un déte­nu à un autre, et le peu de res­sources accor­dées à Assange en comparaison.

Swie­to­niows­ki a éga­le­ment décla­ré que le gou­ver­neur de Bel­marsh avait ’ fait une excep­tion pour moi ’ de rendre visite à Robin­son lors d’une ses­sion de visite le ven­dre­di 15 août au matin, et que le direc­teur de la pri­son tra­vaillait avec ’nous’ (The Rebel Media) pour assu­rer que leurs visites à Bel­marsh soient aus­si ’posi­tives que pos­sible’. Ceci est expli­qué dans les ’rap­ports de pri­son’ de The Rebel qui docu­mentent leurs visites à Belmarsh.

Il convient éga­le­ment de noter que si le gou­ver­neur a pris la déci­sion de faire une excep­tion pour un organe de presse qui a employé Robin­son et qui peut tou­cher les par­ti­sans de Robin­son – il y aura for­cé­ment des réper­cus­sions posi­tives en termes de rela­tions publiques pour Bel­marsh, et par exten­sion pour tous les fonc­tion­naires du gou­ver­ne­ment bri­tan­nique impli­qués dans le pro­ces­sus. Ils espèrent peut-être que les efforts de Bel­marsh auront un écho favo­rable auprès des par­ti­sans de Robin­son et contri­bue­ront à apai­ser les menaces d’agitation que craint le gou­ver­ne­ment. De même, aux yeux de la base de sou­tien de droite de M. Robin­son, le trai­te­ment glo­ba­le­ment posi­tif de M. Bel­marsh à l’égard de M. Robin­son pour­rait avoir des réper­cus­sions posi­tives sur le nou­veau gou­ver­ne­ment conser­va­teur et le cabi­net diri­gé par Boris John­son, alors que le Par­le­ment se dirige vers des élec­tions géné­rales. Il est rai­son­nable de consi­dé­rer qu’il s’agit là d’un résul­tat pré­vi­sible du trai­te­ment publi­que­ment favo­rable que le gou­ver­neur a réser­vé à Robinson.

L’État, par l’intermédiaire de Bel­marsh, tente-t-il de cal­mer les par­ti­sans d’un indi­vi­du tout en refu­sant à un autre l’accès à la jus­tice ? S’agit-il d’un pro­gramme fal­la­cieux qui se déroule actuel­le­ment dans le cadre d’un sys­tème car­cé­ral politisé ?

Le contraste frap­pant entre le trai­te­ment réser­vé par la pri­son à deux per­son­na­li­tés de pre­mier plan, Robin­son et Assange, est cer­tai­ne­ment évident. Bien que Robin­son soit trai­té équi­ta­ble­ment et léga­le­ment, Assange ne l’est pas.

 

John Pil­ger

@johnpilger

Visi­ting Julian #Assange in pri­son I glimp­sed his bar­ba­ric treat­ment. Iso­la­ted, denied pro­per exer­cise, access to the libra­ry, a lap­top, he can­not pre­pare his defence. He is even denied calls to his US lawyers. His UK lawyer wrote to the gover­nor on 4 June. Silence. How lawless.

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Selon John Pil­ger, le direc­teur de la pri­son n’avait pas non plus répon­du à la lettre envoyée par l’avocat d’Assange, Gareth Peirce, le 4 juin, à pro­pos des res­tric­tions impo­sées aux droits d’accès d’Assange.

Tout indique que l’État bri­tan­nique, via la pri­son de Bel­marsh, impose un régime de non-droit à Assange, qui se retrouve une fois de plus à se battre pour ses droits humains fon­da­men­taux et le res­pect de la léga­li­té en Grande-Bretagne.

[Deuxième partie – 3/10/2019]
Garder Assange en prison au nom des Néocons de Washington

La déci­sion ren­due le 13 sep­tembre par la juge Vanes­sa Barait­ser lors d’une ’audience tech­nique’ devant le tri­bu­nal de pre­mière ins­tance de West­mins­ter signi­fie que, bien qu’Assange pou­vait être libé­ré sur parole après avoir accom­pli la moi­tié de ce que les experts estiment être une peine dis­pro­por­tion­née de 50 semaines, il res­te­ra en pri­son pen­dant qu’il s’oppose à une extra­di­tion vers les États-Unis, un pro­ces­sus qui pour­rait prendre de nom­breuses années. Barait­ser a jus­ti­fié sa déci­sion ainsi :

’j’ai de bonnes rai­sons de croire que si je vous libère, vous vous enfui­rez à nouveau’

Elle a décrit son chan­ge­ment de sta­tut comme suit :

’.…de celui d’un déte­nu à celui d’une per­sonne mena­cée d’extradition’

Selon la jus­tice bri­tan­nique, M. Assange fut ini­tia­le­ment appré­hen­dé et condam­né à la pri­son parce qu’il avait ’vio­lé la liber­té sur­veillé’ en cher­chant refuge et l’asile poli­tique auprès de l’ambassade équa­to­rienne de Londres. Mal­gré le fait que l’enquête ini­tiale dans laquelle il était recher­ché pour inter­ro­ga­toire par les auto­ri­tés sué­doises (et auquel il s’était confor­mé) avait été aban­don­née, les tri­bu­naux bri­tan­niques trai­taient tou­jours Assange comme un cri­mi­nel dan­ge­reux et le condam­naient comme tel. Les nar­ra­tives conte­nues dans la décla­ra­tion de Barait­ser, les injus­tices qui en découlent et les pro­cé­dures entou­rant cette audience ont tous été sou­li­gnés et fer­me­ment condam­nés. De plus, mal­gré le chan­ge­ment de sta­tut d’Assange, il a jusqu’à pré­sent été main­te­nu à Belmarsh.

Ces inco­hé­rences devraient sou­le­ver de sérieux doutes quant au fonc­tion­ne­ment objec­tif et conforme aux normes juri­diques natio­nales et inter­na­tio­nales du sys­tème judi­ciaire britannique.

Le « risque de fuite »

Le rap­port d’inspection 2018 du gou­ver­ne­ment décrit Bel­marsh comme suit :

« Pro­ba­ble­ment la pri­son la plus pres­ti­gieuse du Royaume-Uni, elle conte­nait un mélange extrê­me­ment com­plexe d’hommes. Il y avait des jeunes adultes et des hommes à faible risque sem­blables à ceux déte­nus dans d’autres pri­sons locales, mais aus­si plus de 100 condam­nés à une peine d’une durée indé­ter­mi­née et d’autres déte­nus pour les infrac­tions les plus graves. »

Dans une récente inter­view, John Ship­ton, le père d’Assange, a expli­qué qu’Assange était un déte­nu de caté­go­rie ’B’. Cepen­dant, comme on peut le voir, l’infraction de 2012 d’Assange en rap­port à sa liber­té sur­veillée fait par­tie des cri­tères appli­cables aux déte­nus de caté­go­rie C. Selon les don­nées du Conseil de la déter­mi­na­tion des peines, seule une mino­ri­té d’affaires abou­tit à des peines pri­va­tives de liber­té. Les cri­tères de la caté­go­rie C sont expli­qués comme suit :

.…vous avez pris la fuite, omis de vous rendre, vio­lé la liber­té sous cau­tion, un couvre-feu de déten­tion à domi­cile ou une libé­ra­tion avec per­mis tem­po­raire au cours des trois der­nières années…

Il est impor­tant de noter que ’omis de se rendre’ n’est pas la même chose que s’évader ou prendre la fuite. Si le récit de la fuite est uti­li­sé pour main­te­nir Assange en déten­tion pro­vi­soire c’est aus­si un méca­nisme juri­dique pra­tique pour le main­te­nir dans la caté­go­rie A à Belmarsh.

Mais nous ne devons pas lais­ser le récit de Barait­ser sur le risque de fuite nous faire croire que c’est ain­si que les choses sont cen­sées fonc­tion­ner. Comme nous l’avons déjà sou­li­gné, chaque année plu­sieurs mil­liers de per­sonnes au Royaume-Uni échappent à leur liber­té sur­veillée – sans se retrou­ver à la pri­son de Bel­marsh. Il existe une dis­tinc­tion claire entre ceux qui ne se rendent pas à un poste de police et les indi­vi­dus dan­ge­reux qui s’échappent d’une garde à vue. Le cadre de sécu­ri­té natio­nale du gou­ver­ne­ment pour les pri­sons défi­nit les déte­nus de caté­go­rie A comme suit :

’Un déte­nu de caté­go­rie A est un déte­nu dont l’évasion serait très dan­ge­reuse pour le public, la police ou la sécu­ri­té de l’État, et pour qui l’évasion doit être ren­due impossible.

…le poten­tiel d’évasion n’aura nor­ma­le­ment pas d’incidence sur l’examen de la per­ti­nence de la caté­go­rie A, parce que la défi­ni­tion porte sur la dan­ge­ro­si­té du déte­nu s’il s’est éva­dé et non sur la pro­ba­bi­li­té qu’il s’évade et, de toute façon, il est impos­sible de pré­voir toutes les cir­cons­tances dans les­quelles une éva­sion peut survenir.’

Parce qu’il fut condam­né en avril 2019 pour une infrac­tion mineure, Assange ne pou­vait être trai­té pen­dant très long­temps comme un déte­nu de caté­go­rie A. Com­ment est-ce pos­sible ? La déci­sion du juge Barait­ser d’ordonner la déten­tion pro­vi­soire d’Assange ’en tant que per­sonne mena­cée d’extradition’ avec le récit selon lequel ’il s’enfuirait’ ne devrait pas ser­vir de pré­texte pour le sou­mettre à une déten­tion illi­mi­tée dans une pri­son de caté­go­rie A, où il a été démon­tré que l’accès à la jus­tice est refusé.

De délin­quant mineur à cri­mi­nel dangereux

Quelle que soit votre caté­go­rie, une fois à Bel­marsh, vous êtes sou­mis à de sévères res­tric­tions. C’est un point qui a été sou­le­vé à maintes reprises dans les rap­ports gou­ver­ne­men­taux. Suite à une ins­pec­tion gou­ver­ne­men­tale en 2013, le texte sui­vant a été rédi­gé :

’L’accent mis sur la sécu­ri­té dont HMP Bel­marsh avait besoin pour son petit groupe de déte­nus à haut risque avait un impact dis­pro­por­tion­né sur sa popu­la­tion plus générale.…

…de nom­breuses mesures de sécu­ri­té sup­plé­men­taires n’étaient néces­saires que pour un petit nombre de déte­nus sur la base de leur caté­go­rie de sécu­ri­té, mais la sécu­ri­té pour­rait deve­nir une expli­ca­tion fourre-tout des fai­blesses et des insuf­fi­sances des résul­tats pour les déte­nus de caté­go­rie inférieure…’.

En 2018, un rap­port de la Chambre des com­munes sur la san­té dans les pri­sons décri­vait comme suit les effets des mesures sévères de sécu­ri­té à Belmarsh :

« La popu­la­tion est très hété­ro­gène, allant des déte­nus de caté­go­rie A aux déte­nus de caté­go­rie D. Cepen­dant, seuls les déte­nus à très haut risque sont sus­cep­tibles de res­ter long­temps, car les délin­quants peuvent venir à Bel­marsh avant d’être trans­fé­rés dans d’autres pri­sons. Au moment de notre visite, Bel­marsh comp­tait plu­sieurs déte­nus de caté­go­rie D, en rai­son de pro­blèmes de pla­ce­ment, qui sont gérés avec le même niveau de sécu­ri­té que les déte­nus de caté­go­rie A. »

Le gou­ver­ne­ment recon­naît que les pri­son­niers qui se rendent à Bel­marsh, peu importe leur crime ou leur caté­go­rie, sont sou­mis à des res­tric­tions de sécu­ri­té de caté­go­rie A. Le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique qui pour­suit Assange depuis près d’une décen­nie peut comp­ter sur Bel­marsh pour lui infli­ger une ’expé­rience de déten­tion intense’ où les res­tric­tions sécu­ri­taires peuvent entra­ver l’accès à la jus­tice et la capa­ci­té de se pré­pa­rer à sa défense, tout en niant sa capa­ci­té à l’autodétermination.

Com­ment le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique peut-il s’en tirer en impo­sant la peine la plus sévère pos­sible à quelqu’un qui a com­mis l’infraction la plus mineure mais qui a aus­si embar­ras­sé le gou­ver­ne­ment et ses alliés ? Com­ment le faire en plein jour tout en le fai­sant paraître légal ? La réponse est le camou­flage : des cen­taines, des mil­liers d’hommes, qui ne repré­sentent aucune menace pour le public, ont fran­chi les portes de la pri­son de Bel­marsh et ont été sou­mis à de fortes res­tric­tions de sécu­ri­té – où tous les pri­son­niers sont trai­tés comme s’ils étaient de dan­ge­reux cri­mi­nels. C’est deve­nu la norme, même si le gou­ver­ne­ment lui-même recon­naît que la sécu­ri­té est dis­pro­por­tion­née. En se débar­ras­sant d’Assange, quoi de mieux que de le pié­ger dans un tel endroit, où les ques­tions d’équité et de pro­por­tion­na­li­té du trai­te­ment peuvent être jus­ti­fiées comme consé­quences des mesures de sécurité.

Plus tard, lorsque sa puni­tion extrême pour avoir enfreint la liber­té sur­veillé pren­dra fin, l’État bri­tan­nique pour­rait le gar­der jusqu’à ce qu’une occa­sion se pré­sente de le rendre à l’allié le plus puis­sant de la Grande-Bre­tagne, où Assange croit qu’il per­dra la vie à moins que les condi­tions dif­fi­ciles aux­quelles il est actuel­le­ment sou­mis ne le tuent pas avant.

L’emploi de Bel­marsh comme bour­reau d’Assange, tout en por­tant le masque de la bonne gou­ver­nance, est très effi­cace. Dans une récente inter­view, Kris­tinn Hrafns­son, rédac­teur en chef de Wiki­leaks, a rap­por­té que les avo­cats repré­sen­tant les pri­son­niers de caté­go­rie A à Bel­marsh ont affir­mé que les condi­tions dans les­quelles Assange est déte­nu étaient plus sévères que celles des cri­mi­nels vio­lents qu’ils représentent.

https://youtu.be/e0XdsC3jaXwC’est comme si le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique comp­tait sur les défaillances et la dis­pro­por­tion­na­li­té de son ins­ti­tu­tion la plus sévère pour deve­nir la norme et échap­per à tout contrôle.

Le pri­son­nier excep­tion­nel : Assange enfer­mé à Bel­marsh plus long­temps que le meur­trier moyen ?

En plus des direc­tives gou­ver­ne­men­tales, des ins­pec­tions et des conclu­sions par­le­men­taires, les sta­tis­tiques démontrent éga­le­ment qu’Assange pour­rait faire l’objet d’un trai­te­ment exceptionnel.

Les déte­nus ne rele­vant pas de la caté­go­rie A sont géné­ra­le­ment trans­fé­rés de Bel­marsh dans les mois qui suivent. Son rap­port d’inspection de 2018 montre que sur 769 déte­nus (âgés de plus de 21 ans), 120 seule­ment étaient encore là après un an. De ce nombre, six seule­ment n’avaient pas été condam­nés (en déten­tion pro­vi­soire), tan­dis qu’aucun déte­nu non condam­né n’y a pas­sé plus de deux ans.

De même, le rap­port d’inspection de 2015 montre que sur 808 hommes, seuls 112 (âgés de plus de 21 ans) y sont res­tés après un an, dont 8 seule­ment n’avaient pas été condam­nés. Un seul pri­son­nier non condam­né était encore déte­nu après 2 ans. Rien n’indique si les per­sonnes non condam­nées l’ont fina­le­ment été, une caté­go­rie de déten­tion pré­ven­tive qui s’applique main­te­nant à Assange, en ver­tu des dis­po­si­tions de la loi de 1989 sur l’extradition et de la loi de 1965 sur l’exécution des man­dats d’arrêt.

Il appa­raît clai­re­ment que Bel­marsh n’est ni équi­pé ni adap­té pour gar­der des déte­nus non clas­sés dans la caté­go­rie A pen­dant de longues périodes, en par­ti­cu­lier ceux en déten­tion pré­ven­tive. Le rap­port de 2018 sou­ligne que même les cri­mi­nels dan­ge­reux ne devraient pas être gar­dés à Bel­marsh pen­dant de longues périodes (indi­quées comme étant plus d’un an) :

Bel­marsh n’a pas été mis en place pour gérer des déte­nus condam­nés pour une longue période.’

La déci­sion de Barait­ser signi­fie qu’Assange ne sera pas libé­ré pen­dant qu’il son com­bat contre l’extradition vers les États-Unis, mais qu’il res­te­ra enfer­mé en tant que per­sonne mena­cée d’extradition, jusqu’à ce qu’il gagne son pro­cès ou soit extra­dé vers les États-Unis. Tou­te­fois, l’équipe juri­dique d’Assange a fait remar­quer que cette affaire pour­rait durer de nom­breuses années.

Cela signi­fie-t-il qu’Assange pour­rait pas­ser des années à lan­guir dans une pri­son de caté­go­rie A, un pri­son­nier non condam­né qui ne pré­sente aucun dan­ger pour le public, alors que cer­tains des cri­mi­nels les plus dan­ge­reux et les plus vio­lents du pays ne feront que pas­ser ? Si Assange devait être main­te­nu à Bel­marsh, ce serait pro­ba­ble­ment le cas. Lors d’une confé­rence de presse cette semaine, John Ship­ton a expli­qué que la lutte de son fils contre l’extradition vers les États-Unis pour­rait prendre jusqu’à cinq ans, si elle abou­tit devant la Cour euro­péenne des droits de l’homme.

https://​you​tu​.be/​i​K​S​M​0​s​E​J​S6AL’isolement pour soins de san­té : un récit trop commode

Bien qu’il soit déjà sou­mis à d’intenses res­tric­tions qui violent ses droits humains fon­da­men­taux, Assange est éga­le­ment sou­mis au dur régime d’isolement résul­tant de son incar­cé­ra­tion en tant que patient hos­pi­ta­li­sé dans l’unité de soins. Les uni­tés de soins offrent un autre moyen d’isoler une per­sonne – de la même manière que la sécu­ri­té peut être uti­li­sée pour jus­ti­fier le déni des droits des déte­nus. L’isolement dans les éta­blis­se­ments péni­ten­tiaires est lar­ge­ment recon­nu comme un pro­blème réel, comme le sou­lignent les ins­truc­tions de l’administration péni­ten­tiaire sur la foi et les soins pas­to­raux publiées par le gou­ver­ne­ment :

Un membre de l’équipe d’aumônerie doit rendre visite quo­ti­dien­ne­ment aux déte­nus dans le centre de soins. Non seule­ment il s’agit d’une exi­gence légale, mais elle recon­naît aus­si que les déte­nus qui reçoivent des soins de san­té peuvent sou­vent se sen­tir iso­lés ou dépri­més. Ils sont nor­ma­le­ment reti­rés de la rou­tine de la vie car­cé­rale et exclus de l’accès à de nom­breuses acti­vi­tés.

Les uni­tés de soins hos­pi­ta­liers sont des envi­ron­ne­ments com­plexes et dif­fi­ciles. Ils peuvent jus­ti­fier l’isolement comme mesure pré­ven­tive, par exemple en cas de mala­die infec­tieuse. Mais ce n’est qu’une par­tie de l’histoire. Le rap­port d’inspection Bel­marsh de 2018 réa­li­sé par le Conseil de sur­veillance indé­pen­dant sou­ligne que les patients hos­pi­ta­li­sés sont régu­liè­re­ment lais­sés dans leur cel­lule en rai­son des nom­breuses exi­gences liées à l’instabilité et à la fra­gi­li­té des ’patients hos­pi­ta­li­sés en san­té men­tale’, une situa­tion aggra­vée par un manque de personnel :

Ce qui pré­oc­cupe le conseil d’administration, c’est le nombre éle­vé de patients hos­pi­ta­li­sés en san­té men­tale, de patients « mul­ti-unlock » [ tra­duc­tion ? NdT] des patients sous sur­veillance constante. A titre d’exemple, chaque patient sous sur­veillance constante néces­site un membre du per­son­nel dédié pour le sur­veiller. Les soins sup­plé­men­taires dont ces patients ont besoin affectent le régime de san­té et d’autres sec­teurs de la pri­son lorsque le per­son­nel doit être mobi­li­sé pour leur appor­ter un sou­tien’.

Ain­si, l’isolement est pré­sen­té comme une rou­tine dans le sys­tème de san­té car­cé­ral, expli­quée par le manque de per­son­nel, et comme une ques­tion de san­té et de sécu­ri­té. La situa­tion décrite ci-des­sus n’est pas satis­fai­sante en soi, mais n’explique pas le niveau d’isolement que connaît Assange à l’intérieur de l’unité de san­té de Bel­marsh. Une visi­teuse d’Assange, Feli­ci­ty Ruby, a récem­ment rap­por­té qu’il semble y avoir un régime de sépa­ra­tion planifiée :

« Il explique qu’il est trans­por­té à l’intérieur et à l’extérieur de sa cel­lule, où il est déte­nu pen­dant vingt-deux heures par jour dans le cadre de ce que l’on appelle des ’dépla­ce­ments contrô­lés’, ce qui signi­fie que la pri­son est fer­mée à clé et les cou­loirs sont éva­cués. »

[note du tra­duc­teur : voir compte-ren­du de Feli­ci­ty Ruby en fran­çais : https://​www​.les​-crises​.fr/​a​s​s​a​n​g​e​-​d​e​r​r​i​e​r​e​-​l​e​s​-​b​a​r​r​e​a​ux/ ]

Bel­marsh ten­te­rait sans doute de four­nir un récit sur la sécu­ri­té ou la pro­cé­dure pour jus­ti­fier cela, mais l’isolement d’Assange a été constant et conti­nu pen­dant une longue période de temps. En août, John Pil­ger a révé­lé qu’Assange n’était pas auto­ri­sé à fra­ter­ni­ser avec d’autres déte­nus pen­dant les périodes d’activités communes :

«  Ils semblent lui impo­ser un régime – qui doit être puni­tif – d’isolement. Il est dans l’aile de san­té – ce qu’on appelle l’aile de san­té – de la pri­son de Bel­marsh, mais il est dans une seule cel­lule et il m’a dit : ’ Je vois des gens pas­ser et j’aimerais bien leur par­ler, mais je ne peux pas ’. Les pri­son­niers de caté­go­rie A, les meur­triers et les autres per­sonnes qui ont com­mis des crimes graves sont auto­ri­sés à fra­ter­ni­ser. Julian n’a pas le droit de fra­ter­ni­ser. Il n’a même pas le droit de télé­pho­ner à ses avo­cats amé­ri­cains… »

Plus récem­ment, dans une autre inter­view, John Ship­ton https://​you​tu​.be/​s​d​v​g​P​1​1​x​pSs qu’Assange est auto­ri­sé à assis­ter à la messe catho­lique, sinon il ne ver­rait jamais d’autres déte­nus. Il est impor­tant de noter que la pra­tique de la reli­gion est un droit humain ; ce n’est pas la même chose que la par­ti­ci­pa­tion à des acti­vi­tés com­munes, et elle s’exerce sous contrôle.

Le trai­te­ment constant doit cer­tai­ne­ment indi­quer qu’un régime a été impo­sé pour res­treindre autant que pos­sible l’interaction d’Assange avec les autres pri­son­niers, tan­dis que la seule conces­sion au culte pro­tège les auto­ri­tés d’une nou­velle contro­verse publique. C’est là que les pro­ces­sus admi­nis­tra­tifs de Bel­marsh assurent une fonc­tion indi­recte de rela­tions publiques.

Assange n’est pas un pri­son­nier condam­né qui purge une peine, mais un pri­son­nier non condam­né qui est innocent.

N’étant plus un pri­son­nier, les droits et ’pri­vi­lèges’ d’Assange ont chan­gé. En tant que per­sonne mena­cée d’extradition, il aurait droit aux condi­tions énon­cées dans l’ordonnance no 4600 de l’Administration péni­ten­tiaire. Voi­ci quelques-uns des droits par­ti­cu­liers accor­dés aux déte­nus non condamnés :

  • Avoir accès à ses frais à des livres, jour­naux, maté­riel d’écriture et autres moyens d’occupation.
  • Avoir des objets pour des acti­vi­tés et passe-temps dans sa cel­lule remis par des parents ou des amis ou achetés.
  • Exer­cer des acti­vi­tés commerciales
  • Por­ter ses propres vête­ments, sauf s’ils soint jugés inap­pro­priés ou inadaptés.
  • Être sui­vi par son propre méde­cin ou den­tiste agréé, à ses propres frais.
  • Rece­voir autant de visites qu’il le sou­haite, dans des limites rai­son­nables. Les déte­nus non condam­nés ont le droit de rece­voir autant de visites qu’ils le sou­haitent (la poli­tique de l’administration péni­ten­tiaire exige au mini­mum que les éta­blis­se­ments leur accordent trois heures de visite par semaine).

L’association cari­ta­tive Pri­so­ners’ Advice Ser­vice sou­ligne éga­le­ment que les déte­nus non condam­nés ont le droit de dépen­ser plus d’argent par semaine.

Il appa­raît que, très sou­vent, les déte­nus en déten­tion pro­vi­soire ne reçoivent pas les choses aux­quelles ils ont droit, pour diverses rai­sons. Il est rai­son­nable de s’attendre à ce que des res­tric­tions soient impo­sées à Assange et qu’il fau­dra une pres­sion publique pour les faire tom­ber. Tou­te­fois, il convient éga­le­ment de rap­pe­ler que Bel­marsh a fait tout ce qui était en son pou­voir pour accom­mo­der cer­tains pri­son­niers très en vue et qu’il a démon­tré publi­que­ment qu’il pou­vait s’assurer que les droits et les droits des pri­son­niers soient res­pec­tés. En quit­tant Bel­marsh le ven­dre­di 13 sep­tembre, le jour où Assange s’est vu refu­ser sa sor­tie de pri­son, Tom­my Robin­son (de son vrai nom Ste­phen Yax­ley-Len­non), fon­da­teur de la English Defence League, est sor­ti de la pri­son de Bel­marsh en disant qu’il n’avait rien de ’néga­tif’ à dire sur le gou­ver­neur. (…) Dans chaque article publié, M. Robin­son aurait féli­ci­té le gou­ver­neur pour son sou­tien, notam­ment en veillant à ce qu’il reçoive plu­sieurs visites sociales par semaine, ce qui était per­mis, puisqu’il était un déte­nu civil condamné.

Main­te­nant qu’Assange est un pri­son­nier non condam­né, toute per­sonne rai­son­nable s’attendrait à ce que l’administration péni­ten­tiaire l’aide à obte­nir son plein droit de visite, l’accès sans entrave à la jus­tice et tous les autres droits aux­quels il a droit en ver­tu de son ’sta­tut spé­cial de pri­son­nier’ d’homme inno­cent déte­nu à Belmarsh.

Bel­marsh : un hom­mage sym­bo­lique à l’empire américain

Alors pour­quoi Julian Assange est-il tou­jours à la pri­son de Bel­marsh, déte­nu dans les cir­cons­tances les plus oppres­santes, iso­lé et pri­vé des droits fon­da­men­taux d’accès à la jus­tice ? C’est un pri­son­nier non condam­né, il ne repré­sente aucune menace pour la sécu­ri­té publique, et son « pas­sé d’évasion » consiste uni­que­ment à avoir deman­dé et obte­nu l’asile poli­tique par crainte d’être per­sé­cu­té par le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain qui le pour­suit pour des accu­sa­tions spé­cieuses d’espionnage. Compte tenu de tout cela, il est dif­fi­cile de voir com­ment un jour­na­liste ou un poli­ti­cien hon­nête peut défendre ce que les gou­ver­ne­ments bri­tan­nique et amé­ri­cain font subir à Assange.

La façon dont le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique a pour­sui­vi Assange fut auda­cieuse et osten­ta­toire. Nous avons été témoins de l’exhibition embar­ras­sante de bataillons de poli­ciers métro­po­li­tains en uni­forme, debout devant l’ambassade de l’Équateur pen­dant des années, gas­pillant des fonds publics indi­cibles. Et tout cela pour quelqu’un qui n’a jamais été accu­sé d’un crime, mais dont le tra­vail jour­na­lis­tique a embar­ras­sé les États-Unis.

Les propres normes du gou­ver­ne­ment montrent qu’Assange est trai­té de manière dis­pro­por­tion­née et qu’il ne peut res­ter à Bel­marsh. Il est pos­sible qu’il puisse être trans­fé­ré dans une pri­son de caté­go­rie infé­rieure, ce qui serait cer­tai­ne­ment béné­fique à condi­tion qu’il ait plei­ne­ment accès à ses avo­cats et qu’il ait tous les droits des déte­nus : mais ce serait tou­jours une déten­tion arbitraire.

Son incar­cé­ra­tion à Bel­marsh n’est deve­nue rien de plus qu’un ’show’ osten­ta­toire des­ti­né à ren­for­cer le récit que ce jour­na­liste pri­mé est en quelque sorte une menace pour le public et à impres­sion­ner les néo­con­ser­va­teurs de Washington.

Nina CROSS

1ère par­tie : https://21stcenturywire.com/2019/08/28/julian-assange-deprivation-of‑j…

2ème par­tie : https://21stcenturywire.com/2019/10/03/britains-unconvicted-prisoner‑k…

Tra­duc­tion « ah, la scène de la Reine dans Alice au Pays des Mer­veilles… » par VD pour le Grand Soir avec pro­ba­ble­ment toutes les fautes et coquilles habituelles

Source : Le Grand Soir, https://​www​.legrand​soir​.info/​j​u​l​i​a​n​-​a​s​s​a​n​g​e​-​p​r​i​v​a​t​i​o​n​-​d​e​-​j​u​s​t​i​c​e​-​e​t​-​d​o​u​b​l​e​-​s​t​a​n​d​a​r​d​-​a​-​l​a​-​p​r​i​s​o​n​-​d​e​-​b​e​l​m​a​r​s​h​-​2​1​s​t​-​c​e​n​t​u​r​y​-​w​i​r​e​.​h​tml

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5 Commentaires

  1. etienne

    Le pouvoir contre la presse : les cas d’extradition de Pinochet et d’Assange


    https://​www​.les​-crises​.fr/​l​e​-​p​o​u​v​o​i​r​-​c​o​n​t​r​e​-​l​a​-​p​r​e​s​s​e​-​l​e​s​-​c​a​s​-​d​-​e​x​t​r​a​d​i​t​i​o​n​-​d​e​-​p​i​n​o​c​h​e​t​-​e​t​-​d​-​a​s​s​a​n​ge/

    Alors que Julian Assange risque d’être extra­dé de Grande-Bre­tagne vers les États-Unis pour avoir publié des secrets clas­si­fiés, Eli­za­beth Vos revient sur le cas paral­lèle mais bien dif­fé­rent d’un dic­ta­teur chi­lien notoire.

    Dans huit mois, l’une des audiences d’extradition les plus impor­tantes de l’histoire récente aura lieu en Grande-Bre­tagne, quand un tri­bu­nal bri­tan­nique et le ministre de l’Intérieur déter­mi­ne­ront si l’éditeur deWiki­Leaks, Julian Assange, sera extra­dé vers les États-Unis pour répondre d’accusations d’espionnage pour le crime de journalisme.

    Il y a 21 ans, dans une autre affaire d’extradition his­to­rique, la Grande-Bre­tagne a dû a dû déci­der d’envoyer l’ancien dic­ta­teur chi­lien Augus­to Pino­chet en Espagne pour le crime d’assassinats de masse.

    Pino­chet en 1982. (Ben2, CC BY-SA 3.0, via Wiki­me­dia Commons)

    En octobre 1998, Pino­chet, dont le régime était deve­nu syno­nyme d’assassinats poli­tiques, de « dis­pa­ri­tions » et de tor­ture, était arrê­té à Londres où il se fai­sait soigner.

    Un juge madri­lène, Bal­ta­sar Garzón, deman­da son extra­di­tion au motif de la mort de citoyens espa­gnols au Chili.

    Invo­quant l’incapacité de Pino­chet à subir un pro­cès en rai­son de son âge, le Royaume-Uni, en 2000, lui évi­ta fina­le­ment d’être extra­dé vers l’Espagne où il aurait fait l’objet de pour­suites pour vio­la­tion des droits de l’Homme.

    Au début de la pro­cé­dure, l’avocat de Pino­chet, Clare Mont­go­me­ry, fit valoir dans sa défense un argu­ment qui n’avait rien à voir avec l’âge ou la mau­vaise san­té du dictateur.

    « Les États et les organes de l’État, y com­pris les chefs d’État et les anciens chefs d’État, ont droit à l’immunité abso­lue contre toute pour­suite pénale devant les tri­bu­naux natio­naux d’autres pays », a décla­ré le Guar­dian, citant Mont­go­me­ry. Elle a fait valoir que les crimes contre l’humanité devraient être défi­nis de façon res­tric­tive dans le contexte de la guerre inter­na­tio­nale, comme l’a signa­lé la BBC.

    L’argument de l’immunité selon Claire Mont­go­me­ry fut reje­té par la Chambre des Lords. Mais le tri­bu­nal d’extradition jugea que le mau­vais état de san­té de Pino­chet, un ami de l’ancien Pre­mier ministre Mar­ga­ret That­cher, ne lui per­met­tait pas d’être trans­fé­ré en Espagne.

    Les mêmes participants

    Assange en 2014, à l’ambassade de l’Équateur. (Chan­cel­le­rie d’Équateur, CC BY-SA 2.0, via Wiki­me­dia Commons)

    Bien que plus de deux décen­nies séparent les affaires de Pino­chet et d’Assange, deux acteurs demeurent les mêmes, jouant cette fois des rôles très différents.

    Claire Mont­go­me­ry est réap­pa­rue dans l’affaire Assange pour plai­der le droit d’un pro­cu­reur sué­dois à deman­der un man­dat d’arrêt euro­péen contre Assange.

    Elle a, en fin de compte, été débou­tée. Un tri­bu­nal sué­dois a récem­ment reje­té le man­dat d’arrêt euro­péen. Pour­tant, comme dans l’affaire Pino­chet, Claire Mont­go­me­ry a contri­bué à faire gagner du temps à son camp, per­met­tant cette fois-ci aux allé­ga­tions sexuelles sué­doises de per­du­rer et de salir la répu­ta­tion d’Assange.

    Garzón, le juge espa­gnol qui avait deman­dé l’extradition de Pino­chet, se retrouve éga­le­ment dans l’affaire Assange. C’est un défen­seur bien connu des droits de l’Homme, « consi­dé­ré par beau­coup comme le gar­dien de la loi le plus cou­ra­geux d’Espagne et comme un fléau pour les res­pon­sables poli­tiques cor­rom­pus et les barons de la drogue du monde entier », ain­si que le dépei­gnait The Inde­pendent, il y a quelques années.

    Il dirige main­te­nant l’équipe juri­dique d’Assange.

    Amis et ennemis

    La ques­tion qui se pose est de savoir si le sys­tème judi­ciaire bri­tan­nique, qui a lais­sé en liber­té un dic­ta­teur notoire comme Pino­chet, enver­ra un édi­teur comme Assange aux États-Unis pour y ris­quer la pri­son à vie.

    Cli­mat hos­tile envers Assange dans le milieu politique.

    Avant que le ministre bri­tan­nique de l’Intérieur ne signe la demande d’extradition d’Assange, ce qui condui­ra le tri­bu­nal d’instance à orga­ni­ser une audience de cinq jours fin février 2020, les légis­la­teurs bri­tan­niques ont publi­que­ment deman­dé que les pour­suites contre Assange suivent leur cours. Peu d’élus ont défen­du Assange dont l’image est enta­chée par les allé­ga­tions de la Suède pour­tant non prou­vées et par des cri­tiques concer­nant les élec­tions amé­ri­caines de 2016, qui n’ont rien à voir avec la demande d’extradition.

    Pino­chet, en revanche, avait des amis haut pla­cés. Ain­si That­cher avait-elleouver­te­ment deman­dé sa libé­ra­tion.

    « [Pino­chet] aurait, dit-on, pris l’habitude d’envoyer des cho­co­lats et des fleurs à [That­cher] lors de ses deux visites annuelles à Londres ain­si que prendre le thé avec elle à chaque fois que c’était pos­sible. Deux semaines seule­ment avant son arres­ta­tion, le géné­ral Pino­chet était reçu par les That­cher à leur adresse de Ches­ter Square à Londres », rap­por­tait la BBC.CNN avait fait état de « leur proxi­mi­té bien connue ».

    On a aus­si la preuve qu’une même sym­pa­thie liait Pino­chet et l’ancien secré­taire d’État amé­ri­cain Hen­ry Kis­sin­ger. The Nation a fait état d’un mémo déclas­si­fié concer­nant une conver­sa­tion pri­vée à San­tia­go du Chi­li, en juin 1976, qui révé­lait les mani­fes­ta­tions « d’amitié, les assu­rances de sou­tien » et les sou­haits de suc­cès adres­sés par Kis­sin­ger à Pino­chet au plus fort de la répres­sion enga­gée par ce der­nier, alors que beau­coup de crimes tels que tor­tures, dis­pa­ri­tions, et actes de ter­ro­risme inter­na­tio­nal – étaient commis.

    Pino­chet, à gauche, saluant Kis­sin­ger en 1976. (Minis­tère des Rela­tions exté­rieures du Chi­li, CC BY 2.0, via Wiki­me­dia Commons)

    Vio­la­tion des droits de l’Homme sys­té­ma­tique et généralisée.

    Pino­chet est arri­vé au pou­voir le 11 sep­tembre 1973 à la suite d’un coup d’État violent de l’armée chi­lienne, sou­te­nu par les États Unis, qui a évin­cé le pré­sident démo­cra­ti­que­ment élu du pays, le socia­liste Sal­va­dor Allende.Ce coup d’État a été qua­li­fié de « l’un des plus bru­taux de l’histoire moderne de l’Amérique latine ».

    La CIA a finan­cé des opé­ra­tions au Chi­li avec des mil­lions de dol­lars d’impôts amé­ri­cains avant et après l’élection d’Allende, selon le rap­port de 1975 de la Com­mis­sion du séna­teur amé­ri­cain Church.

    Bien que le rap­port du Comi­té Church n’ait trou­vé aucune preuve que l’Agence ait finan­cé direc­te­ment le coup d’État, les Archives de la Sécu­ri­té natio­nale ont noté que la CIA « avait sou­te­nu acti­ve­ment la junte mili­taire après le ren­ver­se­ment du pré­sident Allende.. De nom­breux offi­ciers de Pino­chet ont été impli­qués dans des vio­la­tions sys­té­ma­tiques et géné­ra­li­sées des droits de l’Homme. Cer­tains d’entre eux étaient des contacts ou des agents de la CIA ou de l’armée des États Unis. »

    La vio­lence infli­gée par Pino­chet s’est pro­pa­gée au-delà des fron­tières du Chi­li. C’est sur ses ordres, le lien est éta­bli, qu’a été assas­si­né un dis­si­dent chi­lien en exil, Orlan­do Lete­lier, dans un atten­tat à la voi­ture pié­gée sur le sol des États Unis, atten­tat qui a éga­le­ment coû­té la vie à Ron­ni Mof­fitt, citoyen américain.

    La Vil­la Gri­mal­di, l’un des plus grands centres de tor­ture de la dic­ta­ture mili­taire de Pino­chet. (CC BY 2.5 via Wiki­me­dia Commons)

    Plus de 40 000 per­sonnes, dont beau­coup n’étaient liées qu’indirectement à des dis­si­dents, ont été « por­tées dis­pa­rues », tor­tu­rées ou tuées pen­dant les 17 années du règne de ter­reur de Pinochet.

    Le Chi­li de Pino­chet, presque immé­dia­te­ment après le coup d’État, est deve­nu le labo­ra­toire de la théo­rie éco­no­mique néo­li­bé­rale de l’École de Chi­ca­go, c’est-à-dire un nou­veau lais­sez-faire, impo­sé sous la menace des fusils. That­cher et le pré­sident Ronald Rea­gan se sont faits les cham­pions d’un sys­tème de pri­va­ti­sa­tion, de libre échange, de réduc­tion des ser­vices sociaux et de la déré­gle­men­ta­tion des ser­vices de banque et d’affaires, qui a créé les plus grandes inéga­li­tés du siècle.

    A l’inverse de ces crimes et de cette cor­rup­tion, Assange a publié des mil­liers de docu­ments clas­si­fiés mon­trant des fonc­tion­naires des États Unis et d’autres pays impli­qués dans de purs actes cri­mi­nels et de corruption.

    Pour­tant, il est loin d’être cer­tain qu’Assange béné­fi­cie­ra de la clé­mence dont Pino­chet a joui dans le cadre du pro­ces­sus d’extradition britannique.

    Après la mort du dic­ta­teur, Chris­to­pher Hit­chens a écrit que le minis­tère amé­ri­cain de la Jus­tice avait, depuis un cer­tain temps, une mise en accu­sa­tion concer­nant Pino­chet. « Mais l’acte d’accusation n’a jamais été ren­du public », a sou­li­gné Hit­chens dans Slate.

    L’acte d’accusation d’Assange, en revanche, n’a pas seule­ment été divul­gué, mais d’autres accu­sa­tions ont été por­tées contre lui.

    Compte tenu des dif­fi­cul­tés qu’il ren­contre depuis long­temps pour accé­der à la jus­tice, il est juste de dire que le Royaume-Uni et le reste du monde occi­den­tal sont en train de pro­cé­der à une lente « dis­pa­ri­tion for­cée » d’Assange.

    Eli­za­beth Vos est jour­na­liste indé­pen­dante et col­la­bo­ra­trice régu­lière deConsor­tium News.

    Source : Consor­tium News, Eli­za­beth Vos, 28-06-2019

    Tra­duit par les lec­teurs du site http://​www​.les​-crises​.fr. Tra­duc­tion libre­ment repro­duc­tible en inté­gra­li­té, en citant la source.

    Réponse
  2. etienne

    Assange derrière les barreaux

    Une visite à la pri­son de haute sécu­ri­té de Belmarsh

    Publié le 27 Sep­tembre 2019

    Je n’ai connu Julian Assange qu’en déten­tion. Depuis neuf ans, je lui rends visite en Angle­terre pour lui appor­ter des nou­velles d’Australie et de la soli­da­ri­té. À Ellin­gham Hall, j’ai appor­té de la musique et du cho­co­lat, à l’ambassade de l’Équateur, j’ai appor­té des che­mises en fla­nelle, la sérieRake et du sor­bet Wizz Fizz [spé­cia­li­tés aus­tra­liennes, NDT ] des feuilles d’eucalyptus, mais à la pri­son de Bel­marsh, on ne peut rien appor­ter, ni un cadeau, ni un livre, ni un bout de papier. Puis je suis retour­née en Aus­tra­lie, un pays si loin­tain qui l’a aban­don­né à presque tous les égards.

    Au fil des ans, j’ai appris à ne pas deman­der « Com­ment vas tu ? », parce que c’est évident qu’il est déte­nu, souillé, calom­nié, dif­fa­mé, pri­vé de liber­té, pié­gé – tou­jours plus à l’étroit dans des cou­loirs tou­jours plus froids, plus sombres et plus humides – pour­sui­vi et puni pour ses publi­ca­tions. Au fil des ans, j’ai appris à ne pas me plaindre de la pluie ou à évo­quer une belle jour­née, car il est à l’intérieur depuis si long­temps qu’un bliz­zard serait une béné­dic­tion. J’ai aus­si appris qu’il n’est pas récon­for­tant mais cruel de par­ler de cou­chers de soleil, de koo­ka­bur­ras [oiseaux d’Australie NdT], de voyages en voi­ture ; il n’est pas utile de lui assu­rer que, comme moi et mon chien, il retrou­ve­ra des traces d’animaux de la jungle quand il revien­dra, même si j’y pense presque tous les jours.

    C’est la nature pro­lon­gée et inten­si­fiée de son incar­cé­ra­tion qui me frappe alors que j’attends devant la porte d’entrée de la pri­son en briques brunes. Au centre d’accueil d’en face, on a pris mes empreintes digi­tales après avoir pré­sen­té deux attes­ta­tions d’adresse et mon pas­se­port. Après avoir vidé com­plè­te­ment mes poches, j’ai fer­mé mes sacs, ne gar­dant que 20 £ à dépen­ser en cho­co­lat et sand­wiches. Mal­gré le sys­tème de sécu­ri­té qui suit, l’argent est confis­qué à un moment don­né entre pas moins de quatre por­tiques qui sont ver­rouillés der­rière nous avant l’ouverture du por­tique sui­vant, un détec­teur de métal, fouille de haut en bas, une ins­pec­tion buc­cale et auri­cu­laire. Après avoir remis nos chaus­sures, nous tra­ver­sons un espace exté­rieur et sommes confron­tés à la réa­li­té de la cage : une clô­ture grise en treillis d’acier avec du fil bar­be­lé acé­ré d’environ 4 mètres de haut tout autour. Je me dépêche de péné­trer dans le bâti­ment sui­vant avant d’entrer dans une pièce où trente petites tables sont fixées au sol, avec une chaise en plas­tique bleu fai­sant face cha­cune à trois chaises en plas­tique vert.

    Il s’assoit sur l’une des chaises en plas­tique bleu.

    J’hésite main­te­nant, comme je le fais tou­jours, à le décrire. Cela aus­si, je l’ai appris : c’est une impul­sion pro­tec­trice contre la fas­ci­na­tion mor­bide de cer­tains par­ti­sans, et contre d’autres qui se délectent de ses souf­frances. Son état de san­té se dété­rio­rait déjà gra­ve­ment lorsqu’il a quit­té l’ambassade. Il confirme qu’il est tou­jours dans le ser­vice de san­té, bien qu’il n’ait pas vu de spé­cia­listes, ce qui est évi­dem­ment néces­saire après ce qu’il a vécu. Il explique qu’il est trans­por­té à l’intérieur et à l’extérieur de sa cel­lule, où il est main­te­nu vingt-deux heures par jour dans le cadre de ce que l’on appelle des « dépla­ce­ments contrô­lés », ce qui signi­fie que la pri­son est fer­mée à clé et les cou­loirs sont déga­gés. Il décrit la cour d’exercice. Il est écrit sur le mur : « Pro­fi­tez des brins d’herbe sous vos pieds », mais il n’y a pas d’herbe, seule­ment du béton. Il n’y a rien de vert, juste des couches de treillis métal­lique au-des­sus de sa tête, et du béton tout autour.

    Après un tel iso­le­ment et une telle pri­va­tion de com­pa­gnie humaine, il est bien sûr heu­reux de voir des amis. Il s’efforce de faire bonne figure, vient à ma ren­contre, sou­rit à mes blagues, fait preuve de patience face à ma mal­adresse, hoche la tête et m’encourage à me sou­ve­nir des mes­sages à moi­tié mémo­ri­sés. Je cours cher­cher des pro­vi­sions pour qu’il puisse ren­con­trer un autre ami. C’est alors que je me rends compte que je n’ai pas d’argent, alors je retourne leur en deman­der. A mon retour, une femme dans un hijab me dit : « Il n’a rien à faire ici. Il ne devrait pas être ici. Nous savons beau­coup de choses grâce à lui. Il a beau­coup de par­ti­sans dans la com­mu­nau­té musul­mane ». Cette décla­ra­tion et cette soli­da­ri­té m’aident à me cal­mer après l’épreuve qui est de péné­trer dans cet endroit sinistre ; même ici, il y a de la cha­leur, de l’amitié, de la gen­tillesse. Je suis très recon­nais­sante envers cette femme et je reviens avec un pla­teau de mal­bouffe et rap­porte ce qu’elle vient de me dire, ce qui montre une fois de plus que beau­coup de gens par­viennent à se faire une opi­nion, au delà de la mani­pu­la­tion média­tique inten­sive à laquelle Julian est sou­mis, et qu’ils font preuve d’humanité, de bon sens et d’empathie mal­gré tout.

    Julian a droit à deux visites sociales par mois ; la der­nière a eu lieu trois semaines et demie plus tôt, alors nous par­lons rapi­de­ment, échan­geons autant de mots, de mes­sages et d’idées que nous le pou­vons. Il n’y a jamais de silences entre nous et, car­bu­rant uni­que­ment au café jusqu’au petit matin, nous avons sou­vent par­lé en même temps, répon­dant pen­dant que les autres par­laient, mais le bruit dans la salle était trop fort. Julian a sou­vent besoin de fer­mer les yeux pour retrou­ver le fil de sa pen­sée, puis nous repre­nons, tel­le­ment conscients de l’accélération du temps, si lent en pri­son, durant les visites tel­le­ment bruyantes – une tren­taine d’autres pri­son­niers voient leurs amis et leur famille, les tout-petits essaient d’être enten­dus, et pro­ba­ble­ment les micros et les camé­ras font autant d’efforts que moi pour entendre ce qui se dit.

    L’expert de l’ONU sur la tor­ture qui lui a éga­le­ment ren­du visite à Bel­marsh a décla­ré que Julian montre les effets d’une tor­ture psy­cho­lo­gique pro­lon­gée. Il a été sou­mis à une déten­tion illi­mi­tée, et la pers­pec­tive de son extra­di­tion vers les États-Unis pour un pro­cès mis en scène, où il ris­que­rait 175 ans de pri­son – une peine de mort effec­tive – est sans aucun doute une forme de tor­ture. Pour­tant, je suis tou­jours frap­pée du nombre de fois où il ne veut pas par­ler de lui-même et ramène la conver­sa­tion aux prin­cipes et impli­ca­tions glo­bales de son affaire : « Il ne s’agit pas seule­ment de moi, Flick ; il s’agit de tant de gens, de tous les jour­na­listes au Royaume-Uni. Si l’on peut me prendre, n’importe quel jour­na­liste ou édi­teur aus­tra­lien tra­vaillant à Londres peut être pris pour avoir sim­ple­ment fait son travail ».

    Quelques semaines plus tôt, lors d’un évé­ne­ment des Verts à Syd­ney, j’ai per­du mon sang-froid lors d’une table ronde face à quelqu’un qui avait tenu les mêmes pro­pos : « Il ne s’agit pas de Julian ; il s’agit de jour­na­lisme ». J’ai répli­qué aus­si­tôt : « Eh bien, quand est-ce que ça va être à pro­pos de Julian aus­si ? Quand il sera mort ? Quand ils l’auront tué ? Quand pen­sez-vous qu’il pour­rait s’agir d’un édi­teur aus­tra­lien qui se trouve dans une cage bri­tan­nique puni par les États-Unis pour avoir publié la véri­té sur les guerres en Irak et en Afghanistan ? ».

    Il est dif­fi­cile d’imaginer, même pen­dant neuf minutes, les choix faits au cours des neuf der­nières années – les déci­sions sou­daines, les visites à la librai­rie, les voyages en cars, bêcher le jar­din, embal­ler les cadeaux – tout cela ne peut être mesu­ré, à moins de faire appel à sa mémoire loin­taine. Cela change radi­ca­le­ment une conver­sa­tion nor­male avec Julian. Rien n’est nor­mal ; chaque étape du pro­ces­sus juri­dique et poli­tique au cours des neuf der­nières années a été anor­male, et le contexte et les pré­textes ont éga­le­ment été mani­pu­lés par une kyrielle de stra­té­gies, dont cer­taines ont été révé­lées, pour cor­rompre et modi­fier la per­cep­tion qu’il a de son affaire, de son tra­vail et ses par­ti­sans. Cela change radi­ca­le­ment la conver­sa­tion nor­male à son sujet, même avec cer­tains de mes amis les plus attentionnés.

    Je prends dans mes bras un homme beau­coup plus mince que celui que j’ai connu aupa­ra­vant, et une per­sonne dif­fé­rente dis­pa­raît dans le cou­loir quand la visite est ter­mi­née, bien que nos deux poings gauches soient levés, comme d’habitude.

    Sur le che­min du retour de la visite, nous avons reçu un appel pour nous infor­mer qu’une audience tech­nique avait été repor­tée de façon inat­ten­due au len­de­main. Lors de cette « audience tech­nique », le juge de dis­trict a exclu par anti­ci­pa­tion la mise en liber­té sous cau­tion. Mais ce n’était pas une audience de mise en liber­té sous cau­tion, d’ailleurs les avo­cats de Julian n’avaient même pas eu la pos­si­bi­li­té d’en faire la demande. Le juge l’a exclue sans entendre aucun argu­ment ni aucun fait. Lorsque le juge lui a deman­dé s’il com­pre­nait, Julian a répon­du : « Pas vrai­ment. Je suis sûr que les avo­cats l’expliqueront ». Il n’a pas com­pris parce que c’était incom­pré­hen­si­ble­ment irré­gu­lier, encore une fois, mais aus­si parce qu’il n’a pas accès aux docu­ments judi­ciaires et aux dos­siers juri­diques pour l’aider à pré­pa­rer son affaire.

    Lun­di 23 sep­tembre, Julian a pur­gé sa peine pour vio­la­tion de la liber­té sous cau­tion et ne sera déte­nu par le Royaume-Uni dans le seul but que les États-Unis puissent ten­ter de l’extrader. Autre­ment dit, il aura pur­gé sa peine de pri­son pour avoir com­mis le crime de deman­der et de rece­voir l’asile poli­tique. L’Équateur a accor­dé l’asile parce qu’il était évident que les États-Unis avaient l’intention de le pour­suivre pour ses publi­ca­tions. Entre autres choses, il est pour­sui­vi pour avoir publié le nombre réel de civils qui ont été tués en Irak et en Afgha­nis­tan – des mil­liers de per­sonnes qui ont été vic­times de bom­bar­de­ments, de muti­la­tions et de tor­tures. Il a éga­le­ment publié des infor­ma­tions sur des jour­na­listes tués par les forces occi­den­tales, dont José Cou­so, le jour­na­liste espa­gnol tué en Irak par les troupes amé­ri­caines (les Espa­gnols ont alors fait l’objet de pres­sions de la part des États-Unis pour qu’ils ne demandent pas d’enquête). C’est pour­quoi ils veulent enfer­mer Julian : pour l’exemple, et pour qu’ils puissent conti­nuer de le faire à l’avenir sans être inquiétés.

    Julian avait donc rai­son depuis le début. Il a deman­dé l’asile à par­tir du scé­na­rio auquel il est actuel­le­ment confron­té : l’extradition vers un pro­cès spec­ta­cu­laire aux États-Unis et une condam­na­tion à mort effec­tive pour avoir publié des infor­ma­tions d’intérêt public. La nature extrême des accu­sa­tions a étouf­fé la haine féroce contre Julian, mais pas les décla­ra­tions sur sa « per­so­na­li­té pop » – une per­son­na­li­té que j’apprécie et que j’aime, comme Noam Chom­sky, Daniel Ells­berg, Sla­voj Žižek, Pat­ti Smith, P. J. Har­vey, Scott Lud­lam, Ken Loach et plu­sieurs autres pen­seurs et mili­tants divers. Aujourd’hui, le New York Times, le Washing­ton Post, le Wall Street Jour­nal et le Guar­dian font des remarques déso­bli­geantes sur la per­son­na­li­té de Julian avant d’exprimer leur vive inquié­tude face aux accu­sa­tions qui pèsent contre lui, car bien sûr, comme l’a décla­ré Amal Cloo­ney, envoyée spé­ciale du Royaume-Uni à la Confé­rence mon­diale pour la liber­té des médias de juin der­nier, ils « cri­mi­na­lisent les pra­tiques cou­rantes du métier de journaliste ».

    Enfin, les édi­teurs et les jour­na­listes du monde entier com­prennent que leur des­tin est lié à celui de Julian, qui n’a aucun espoir d’un pro­cès équi­table aux États-Unis. Il est accu­sé en ver­tu de la Loi sur l’espionnage, une pre­mière à l’encontre d’un édi­teur, où aucune défense d’intérêt public n’est per­mise. C’est pour­quoi le juge et le ministre de l’Intérieur bri­tan­niques ne devraient pas extra­der Julian Assange vers les États-Unis. Les voix s’élèvent de plus en plus à mesure que l’on se rend compte que si cette extra­di­tion est accep­tée, n’importe quel jour­na­liste d’investigation tra­vaillant sur le domaine de la sécu­ri­té natio­nale au Royaume-Uni ou ailleurs dans le monde peut être arrê­té, créant un ter­rible pré­cé­dent pour tous les jour­na­listes et éditeurs.

    Aux États-Unis, le minis­tère de la Jus­tice de Trump tente de contraindre Chel­sea Man­ning et Jere­my Ham­mond à témoi­gner contre Julian dans le cadre d’un pro­cès à huis clos devant le grand jury sans juge – une ins­ti­tu­tion qui a été abo­lie dans tout les autres pays sauf le Libé­ria. Alors qu’eux aus­si sont en pri­son indé­fi­ni­ment, Man­ning et Ham­mond résistent. Où cela va-t-il s’arrêter ? Cela devra ces­ser quand Julian sor­ti­ra de Bel­marsh, puis de l’aéroport de Syd­ney, pour que ses yeux, endom­ma­gés par tant d’années à l’intérieur, puissent enfin s’adapter pour retrou­ver les sen­tiers des wom­bats et de wal­la­bys ici à la mai­son. Jusque-là, nous devons conti­nuer de lut­ter contre son extra­di­tion, appe­lant le Royaume-Uni à résis­ter et le gou­ver­ne­ment aus­tra­lien à rame­ner ce citoyen et cet édi­teur chez lui.

    ***

    Les chefs d’accusations

    Julian Assange fait face à 18 chefs d’accusations :

    1. Com­plot pour vio­la­tion de la loi sur l’espionnage : 10 ans

    2. Vio­la­tion de la loi sur l’espionnage en obte­nant des dos­siers de Man­ning sur la base navale de Guan­ta­na­mo Bay (GITMO) : 10 ans

    3. Vio­la­tion de la loi sur l’espionnage par l’obtention de Cable­gate par Man­ning : 10 ans

    4. Vio­la­tion de la loi sur l’espionnage en obte­nant des jour­naux de la guerre d’Irak de Man­ning : 10 ans

    5. Ten­ter de rece­voir et d’obtenir des infor­ma­tions clas­si­fiées : 10 ans

    6. Obten­tion et récep­tion illé­gales de fichiers GITMO : 10 ans

    7. Obten­tion et récep­tion illé­gales de Cable­gate : 10 ans

    8. Obten­tion et récep­tion illé­gales des jour­naux de guerre de l’Irak : 10 ans

    9. Divul­ga­tion illé­gale par Man­ning des fichiers GITMO : 10 ans

    10.Divulgation illé­gale par Man­ning de Cable­gate : 10 years

    11. Divul­ga­tion illé­gale par Man­ning des jour­naux de guerre d’Irak : 10 ans

    12. Inci­ter Man­ning à com­mu­ni­quer, livrer et trans­mettre les fichiers GITMO : 10 ans

    13. Inci­ter Man­ning à com­mu­ni­quer, livrer et trans­mettre Cable­gate : 10 ans

    14. Inci­ter Man­ning à com­mu­ni­quer, livrer et trans­mettre les jour­naux de guerre de l’Irak : 10 ans

    15. ‘Publi­ca­tion pure’ de jour­naux de guerre afghans : 10 ans

    16. ‘Publi­ca­tion pure’ des jour­naux de la guerre d’Irak : 10 ans

    17.’Publication pure’ de Cable­gate : 10 ans

    18. Com­plot en vue d’enfreindre la Loi sur la fraude et les abus infor­ma­tiques (LFAFE) : 5 ans

    [Auteur Feli­cy Ruby : son blog : https://​feli​ci​ty​ru​by​.com. NdT]Source : Are­na, Feli­ci­ty Ruby, 27-09-2019

    Tra­duit par les lec­teurs du site http://​www​.les​-crises​.fr. Tra­duc­tion libre­ment repro­duc­tible en inté­gra­li­té, en citant la source.

    Source : https://​www​.les​-crises​.fr/​a​s​s​a​n​g​e​-​d​e​r​r​i​e​r​e​-​l​e​s​-​b​a​r​r​e​a​ux/

    Réponse
    • ève

      L’A­mé­rique doit être condam­née à 10 ans et c’est pas cher payé pour chaque vie éteinte durant les man­dats Bush , Oba­ma , Trump ! Pas­ser les pré­si­dents en exer­cice à cette époque devant la CPI devrait leur être impo­sé ! Abro­ger ces lois scé­lé­rates votées par des ban­dits qui tuent et condamnent la liber­té de le dire , de le publier au monde entier !
      C’est un aveu com­plet de leurs crimes !
      Julian Assange , lui , n’a fait que révé­ler au grand jour ce qu’on savait déjà en  » haut lieu » !
      Le Brexit , et ces retards inces­sants de sor­ties et de ratés , aurait-il un lien direct avec la date du pro­cès de Julian ?

      Réponse

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