[À qui sert la prétendue « Union européenne »] Stathis KOUVELAKIS : Après la capitulation de SYRIZA… l’asservissement total du peuple grec (et bientôt le nôtre)

5/08/2016 | 10 commentaires

[IMPORTANT] Le véri­table objec­tif de l’Union euro­péenne, mis en évi­dence par L’EXEMPLE GREC

[DÉTAILS de l’assassinat de la Grèce par les auto­ri­tés euro­péennes, grâce à la CRIMINELLE TRAHISON des Grecs par leur prin­ci­pal par­ti « de gauche »]

Écou­tez bien (et notez sur un papier) le détail de ce qui est désor­mais infli­gé aux Grecs : ça nous pend au nez (parce qu’on regarde trop la télé et qu’on se fait intoxiquer).

Sta­this KOUVELAKIS : « Après la capi­tu­la­tion de SYRIZA quelles stra­té­gies pour la Gauche en Europe ? »

Il fau­drait retrans­crire cette inter­ven­tion, que je trouve très impor­tante (ça va cres­cen­do… ce qu’on fait aux Grecs est atroce).

Fil Face­book cor­res­pon­dant à ce billet :
https://​www​.face​book​.com/​e​t​i​e​n​n​e​.​c​h​o​u​a​r​d​/​p​o​s​t​s​/​1​0​1​5​4​3​9​1​8​4​8​1​3​2​317

[Edit : Véro­nique me dit qu’elle va s’oc­cu­per de la retrans­crip­tion. Mer­ci à elle 🙂 ]

 Voi­ci donc le script de cette inter­ven­tion (mer­ci Véronique !) :

STATHIS KOUVELAKIS :
APRÈS LA CAPITULATION DE SYRIZA, 
QUELLES PERSPECTIVES POUR LA GAUCHE EN EUROPE ?

Le LIEU-DIT
Paris, same­di 4 juin 2016

 

 

La conver­gence de fait entre un mou­ve­ment social comme Nuit Debout et l’occupation des places, et les mobi­li­sa­tions syn­di­cales et, c’est plus mul­ti­forme, contre la Loi Tra­vail, a pré­sen­té des res­sem­blances évi­dentes avec le mou­ve­ment mul­ti­formes aus­si tel qu’il s’est expri­mé en Grèce pen­dant les grandes années 2010–2011 de la mobi­li­sa­tion contre les pre­miers mémo­ran­dums. Même si les mémo­ran­dums c’était la loi El Khom­ri à la puis­sance 10, parce que ce n’était pas sim­ple­ment un ren­ver­se­ment com­plet du code du tra­vail et de la légis­la­tion du tra­vail mais un bou­le­ver­se­ment de l’ensemble, disons, du contrat social. Donc, ce qui se passe main­te­nant en Grèce nous informe de l’étape à venir et de la gra­vi­té extrême de ce qui est en train de se pré­pa­rer, et qui affecte, comme cela est deve­nu beau­coup plus clair, l’ensemble des pays européens.

La deuxième rai­son c’est que l’expérience grecque s’est sol­dée par une défaite, et je vais être très clair par rap­port à ça, je vais l’expliquer de façon un peu plus détaillée par la suite, nous sommes encore dans l’onde de choc de cette défaite.

Or cette défaite est celle d’un pari poli­tique de très grande ampleur qui a pola­ri­sé et sus­ci­té l’intérêt des mou­ve­ments sociaux des gauches radi­cales et anti­ca­pi­ta­listes de l’Europe et au-delà, pen­dant toute une période, et, c’est une expé­rience qui a vu la conjonc­tion d’un pari pro­pre­ment poli­tique avec Syri­za, mais aus­si de tout un capi­tal de lutte et de mobi­li­sa­tion sociale.

Donc, il est tout à fait cru­cial de tirer les leçons jus­te­ment de ce qui s’est pas­sé en Grèce, pré­ci­sé­ment pour que les poten­tia­li­tés qui se dégagent main­te­nant, en France et je l’espère ailleurs, avec la reprise de la mobi­li­sa­tion sociale et du com­bat de classe, connaissent une issue différente.

Alors, je vais com­men­cer par un pre­mier point qui est tout sim­ple­ment de vous dire un peu ce qui vient main­te­nant de se scel­ler avec les votes du par­le­ment grec au cours du mois de mai.

Au cours du mois de mai, en deux vagues suc­ces­sives, le noyau dur du troi­sième mémo­ran­dum qui a été signé par Tsi­pras l’été der­nier, est entré dans les faits. Alors la façon habi­tuelle dont ceci est pré­sen­té est que c’est un nou­veau paquet d’austérité, ce qui est bien sûr tout à fait exact. Ce nou­veau paquet d’austérité implique une réforme du sys­tème des retraites avec la sixième vague de dimi­nu­tion des retraites, et la des­truc­tion du sys­tème de retraites par répar­ti­tion et l’entrée dans un sys­tème de retraites par capi­ta­li­sa­tion, et la condam­na­tion à des niveaux de pau­vre­té et de misère de la grande majo­ri­té des retrai­tés grecs. Il se tra­duit aus­si par une nou­velle vague de sur-taxa­tion infli­gée aux ménages les plus fra­giles et les plus modestes et aux classes moyennes aus­si, qui sont déjà les plus lour­de­ment taxées en Europe, sans que rien bien enten­du ne soit fait pour chan­ger la scan­da­leuse non-impo­si­tion du capi­tal et des pri­vi­lé­giés en Grèce.

Donc tout ça si vous vou­lez c’est en rajou­ter une couche par rap­port à ce qui a déjà été fait, ceci dans un pays dont le désastre éco­no­mique et social conti­nue sans aucune dis­con­ti­nui­té. Pré­vi­sion pour cette année : 1,5 % de réces­sion après une réces­sion cumu­lée de près de 26 à 27 % depuis le début de la crise, supé­rieure à celle des années trente, je le rap­pelle. Donc on s’acharne sur un cadavre à l’heure actuelle. Mais ce n’est pas tout, et ce serait même gra­ve­ment insuf­fi­sant de ne voir que ça, et c’est ce sur quoi je veux insis­ter maintenant.

Ce qui se passe en Grèce est une véri­table entre­prise de néo-colo­ni­sa­tion du pays. Je pèse mes mots et je n’exagère en rien ce n’est pas du tout une figure de rhé­to­rique et je vais ten­ter de vous expli­quer pour­quoi. La néo-colo­ni­sa­tion passe par la com­bi­nai­son de deux choses. Pre­miè­re­ment un modèle d’accumulation, un modèle éco­no­mique si vous vou­lez qui est basé sur ce que David Har­vey a appe­lé l’accumulation par dépos­ses­sion. C’est-à-dire un sys­tème d’accumulation du capi­tal qui ne fonc­tionne pas sim­ple­ment et peut-être même pas essen­tiel­le­ment par l’exploitation capi­ta­liste habi­tuelle, celle de la force de tra­vail si vous vou­lez, mais par la pré­da­tion directe de res­sources et tout par­ti­cu­liè­re­ment de res­sources publiques. C’est une notion que David Har­vey a déve­lop­pé au cours de son ana­lyse de ce qu’il appelle « le nou­vel impé­ria­lisme ». Et pour com­prendre jus­te­ment les formes par­ti­cu­liè­re­ment vio­lentes et bru­tales par les­quelles le néo-libé­ra­lisme s’est impo­sé dans les pays du sud. Et c’est pré­ci­sé­ment ce qui est en train de se pas­ser en Grèce. La Grèce c’est l’application pour la pre­mière fois, il n’y a aucune ori­gi­na­li­té en réa­li­té dans la thé­ra­pie de choc qui a été appli­quée en Grèce, en tant que telle, c’est des choses que le FMI a fait dans les pays du sud glo­bal, la seule ori­gi­na­li­té c’est que c’est fait dans un pays d’Europe occidentale.

La deuxième chose, qui est tout à fait essen­tielle d’un point de vue poli­tique, c’est que se trouve déman­te­lé ce qui res­tait de la sou­ve­rai­ne­té de l’Etat grec et de ses ins­ti­tu­tions. Et là la Grèce se trouve main­te­nant pla­cée sous un régime de tutelle, qui exis­tait déjà bien enten­du depuis le début des mémo­ran­dums et du règne de la Troï­ka, mais qui se trouve main­te­nant ver­rouillée à un niveau sans pré­cé­dent. L’Etat grec a été dépouillé de tous ses leviers d’action pos­sibles. Ceci a été consti­tu­tion­na­li­sé en quelque sorte par le troi­sième mémo­ran­dum et va peser très lourd comme vous com­pre­nez dans toute la période qui vient et dans la manière dont les rap­ports de force vont se construire pen­dant la période qui vient. C’est-à-dire que ce à quoi vont faire face les résis­tances et les mobi­li­sa­tions popu­laires pen­dant la période qui vient c’est quelque chose de bien plus grave, bien plus féroce, bien plus ver­rouillé que ce qu’on avait jusqu’à pré­sent.

En quoi ce nou­veau modèle éco­no­mique s’applique ? Pre­miè­re­ment, et ça c’était l’une des pre­mières choses que le gou­ver­ne­ment Tsi­pras II a fait à l’automne der­nier, ce qu’on appelle la reca­pi­ta­li­sa­tion des banques grecques, c’est-à-dire leur vente à des fonds spé­cu­la­tifs, après avoir absor­bé près de 40 mil­liards d’argent public, pour lequel le contri­buable grec, le peuple grec,  s’est endet­té, tout cela a été reven­du à des prix com­plè­te­ment ridi­cules à des fonds spéculatifs.

Donc le sys­tème ban­caire grec qui se trou­vait majo­ri­tai­re­ment sous contrôle éta­tique en réa­li­té, même si ce contrôle n’était pas actif, avec toutes les injec­tions qui avaient été faites de fonds publics et de reca­pi­ta­li­sa­tion, est main­te­nant entiè­re­ment pas­sé dans les mains d’un sec­teur pri­vé, de fonds pri­vés et de fonds pri­vés étran­gers d’ailleurs, donc le sec­teur finan­cier a été com­plè­te­ment cédé aux vau­tours de la finance inter­na­tio­nale. Et c’est la pre­mière grande réforme du gou­ver­ne­ment Tsi­pras II.

Le deuxième méca­nisme c’est celui de la dette. Alors évi­dem­ment je ne vais pas déve­lop­per ce point, (devant Éric [Tous­saint], ce serait com­plè­te­ment ridi­cule, il va vous dire ce qui est néces­saire), ce que je veux sim­ple­ment sou­li­gner, c’est que l’un des bluffs de ce très grand bluf­feur et mani­pu­la­teur qu’est Alexis Tsi­pras au cours de la der­nière période, ça a été de dire, écou­tez ok on va pas­ser des mesures dou­lou­reuses etc. on peut pas faire autre­ment, nana­ni nana­nère, mais on obtien­dra un allè­ge­ment de la dette. Allè­ge­ment de la dette, allè­ge­ment de la dette, la pro­messe de l’allègement de la dette, on a fait un deal vous ver­rez, etc. Le résul­tat est qu’on a eu ces mesures d’austérité féroces et tout le reste,  les réformes de struc­ture dont je vais par­ler, et évi­dem­ment aucun allè­ge­ment sur la dette, une vague pro­messe que  la dis­cus­sion va reprendre à par­tir de 2018 (Éric nous en dira davantage).

Donc deuxième crime. Moi je consi­dère que tout ça c’est des crimes. Et je ne le consi­dère pas per­son­nel­le­ment, Éric pour­ra nous en dire davan­tage, c’est des choses qui sont pas­sibles péna­le­ment, pour tous les gou­ver­ne­ments anté­rieurs, et évi­dem­ment Syri­za a été le pre­mier à le dire, et main­te­nant pour le gou­ver­ne­ment Syri­za II.

Troi­sième chose, les pri­va­ti­sa­tions. Alors là on entre dans quelque chose qui est du jamais vu. Ce qui a été voté par le Par­le­ment grec c’est la consti­tu­tion d’une agence nou­velle, qui vient se sub­sti­tuer à l’agence exis­tante des pri­va­ti­sa­tions, et qui par rap­port à l’ancienne, qui s’appelait Tai­ped, pré­sente trois différences.

Pre­miè­re­ment, c’est une agence qui a une struc­ture de socié­té pri­vée, ce n’est pas une agence publique, même d’un point de vue for­mel, légal.

Deuxiè­me­ment, elle a été créée pour une durée de 99 ans, contre 6 pour l’agence qui exis­tait déjà.

Troi­siè­me­ment, sont pas­sés sous son contrôle la to-ta-li-té des actifs publics de l’Etat grec contre 25 actifs de l’agence qui exis­tait jusqu’à pré­sent. Je dis bien la tota­li­té des actifs de l’Etat grec. La pre­mière liste pro­vi­soire est de 11.900 actifs.

C’est le plus gigan­tesque trans­fert de pro­prié­té jamais opé­ré dans un pays euro­péen de l’ouest, je mets ici évi­dem­ment sous une caté­go­rie sépa­rée les pays des anciens régimes du socia­lisme dit réel, c’est l’opération du plus gigan­tesque trans­fert de pro­prié­té jamais opé­ré dans un pays occi­den­tal (il y avait un article du Guar­dian d’ailleurs très expli­cite sur cette question).

Que va faire cette agence ? Elle va vendre tout jusqu’à hau­teur des 50 mil­liards d’euros, c’est ça l’objectif, dont les recettes seront consa­crées à 50% pour la conso­li­da­tion des banques qui sont pas­sées sous le contrôle du sec­teur pri­vé, à hau­teur de 25 % pour le rem­bour­se­ment de la dette, et  à hau­teur de 25% pour des inves­tis­se­ments non spé­ci­fiés. Le Conseil d’Administration de cette nou­velle socié­té, entiè­re­ment indé­pen­dant de tout contrôle poli­tique, est fait de 5 membres, 3 sont nom­més par le gou­ver­ne­ment grec sous condi­tion expli­cite d’avoir reçu l’approbation préa­lable de la Troï­ka, les deux autres sont nom­més direc­te­ment par la Troï­ka. Et c’est pour 99 ans. La presse éco­no­mique inter­na­tio­nale a immé­dia­te­ment inter­pré­té cette durée tota­le­ment incroyable, c’est du jamais vu, dans aucun pays quelle que soit l’étendue des condi­tions de pri­va­ti­sa­tions n’a été créé une agence qui fonc­tionne selon ces prin­cipes, comme un désa­veu de toute « confiance » des ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales par rap­port à la Grèce.

Cerise sur le gâteau, dans le modèle éco­no­mique, pour déblo­quer une tranche sup­plé­men­taire de prêt,  qui est due en sep­tembre, en plus des 7 mil­liards qui vont être déblo­qués dans les jours qui viennent, la Troï­ka a deman­dé tout un nombre de condi­tions sup­plé­men­taires, concer­nant les taxes etc., mais le noyau dur c’est une réforme du code du tra­vail, et ceci alors que les conven­tions col­lec­tives en Grèce ont déjà été sup­pri­mées, ça n’existe plus, le seul ver­rou légis­la­tif qui existe c’est le Smic, alors vous vous deman­dez si le sys­tème des conven­tions col­lec­tives a été déman­te­lé qu’est ce qui reste à déman­te­ler ? Eh bien ce qui reste à déman­te­ler c’est : la libé­ra­tion com­plète des licen­cie­ments col­lec­tifs, la res­tric­tion du droit de grève, qui est pour le moment le plus favo­rable en Europe, la dimi­nu­tion de la pro­tec­tion dont jouissent les syn­di­ca­listes et les délé­gués syn­di­caux et la dimi­nu­tion dras­tique du finan­ce­ment public qui est des­ti­né aux syndicats.

Voi­là ce qui est au menu des négo­cia­tions d’ici le mois de sep­tembre. À ceci s’ajoutent les réformes de struc­ture. Les réformes de struc­ture sont essen­tiel­le­ment au nombre de deux. Pre­miè­re­ment a été créé un Conseil de dis­ci­pline fis­cale, depuis l’automne der­nier, com­po­sé de sept membres, là encore dont la nomi­na­tion se fait par le minis­tère des finances mais qui exige l’accord préa­lable de la Troï­ka. Quelle est la tâche de ce Conseil ? La tâche de ce Conseil, qui était déjà pré­vue en tant que telle par le mémo­ran­dum, est d’activer des coupes bud­gé­taires auto­ma­tiques si les objec­tifs d’excédents bud­gé­taires ne sont pas atteints, donc s’il y a un soup­çon qu’ils ne seront pas atteints. Or dans une éco­no­mie qui est en réces­sion pour la sep­tième année consé­cu­tive, et mal­gré un véri­table écra­se­ment de la dépense publique, l’objectif qui est fixé est un excé­dent bud­gé­taire pri­maire, c’est-à-dire avant le rem­bour­se­ment de la dette, de 3,5 % du PIB pour à l’horizon 2018. 

C’est des choses qu’aucune éco­no­mie au monde même les plus puis­santes n’est en mesure d’assurer. Donc il est cer­tain d’avance que cet objec­tif com­plè­te­ment irréa­liste ne va pas être tenu et les coupes bud­gé­taires seront acti­vées par le méca­nisme qui vient d’être voté main­te­nant et donc juri­di­que­ment ver­rouillé par le Par­le­ment grec de ce que les grecs appellent « κόπτης [kóp­tis] » ça veut dire au sens strict « le cou­peur », c’est-à-dire c’est ce méca­nisme auto­ma­tique qui va faire les coupes sans même que les coupes passent par un vote par­le­men­taire, par un simple décret. Donc dépos­ses­sion com­plète vrai­ment de ce qui pou­vait exis­ter encore de contrôle de la poli­tique, de ce qui res­tait de contrôle de la poli­tique macroé­co­no­mique, bon en réa­li­té très peu vu les mémorandums.

Deuxième réforme de struc­ture, le Secré­ta­riat d’Etat aux reve­nus, ce qu’on appel­le­rait ici le Tré­sor Public je pense, est deve­nu com­plè­te­ment indé­pen­dant. Alors il était déjà auto­nome, c’est-à-dire qu’il pou­vait déci­der de façon propre de son bud­get et de ses actions. Ça c’était une condi­tion qui avait été posée dès le pre­mier mémo­ran­dum et c’est l’un des obs­tacles d’ailleurs aux­quels le pre­mier gou­ver­ne­ment Syri­za a dû faire face. La vice-ministre de l’économie, Nadia Vala­va­ni, a écrit des textes extrê­me­ment inté­res­sants qui racontent les démê­lés jus­te­ment du minis­tère pen­dant les pre­miers mois du pre­mier gou­ver­ne­ment Syri­za quand il a essayé de pas­ser un mini­mum de mesures favo­rables aux couches popu­laires. Mais là ça devient une agence com­plè­te­ment indé­pen­dante dont les déci­sions ont valeur de décrets minis­té­riels, qui a l’exclusivité de l’interprétation de la légis­la­tion en matière fis­cale, qui est contrô­lée direc­te­ment par des gens approu­vés par la Troï­ka, et en réa­li­té ça veut dire que la Troï­ka contrôle direc­te­ment la col­lecte des taxes, de l’impôt et du reve­nu de l’Etat grec.

Donc on contrôle les taxes, on contrôle les dépenses, le sec­teur finan­cier est par­ti, la poli­tique moné­taire est à Frank­fort. Qu’est-ce qui reste ? Il reste que la Grèce est deve­nue un grand Koso­vo. Voi­là, en gros. Et cela se fait sous un gou­ver­ne­ment, Syri­za, qui dans les votes par­le­men­taires n’a eu qu’une seule perte en terme de voix et de dépu­tés c’est-à-dire moins que ce que le Pasok et la Nou­velle Démo­cra­tie avaient subi comme pertes au par­le­ment de leur propre groupe par­le­men­taire quand ils étaient au gou­ver­ne­ment et fai­saient pas­ser des mesures similaires.

Inter­ven­tion d’une per­sonne dans le public : « Ça veut dire qu’il n’y a qu’un  dépu­té qui les a abandonnés ? »

Kou­ve­la­kis répond et reprend : Un seul oui, une seule dépu­tée, qui a démis­sion­né. Elle a même, démis­sion­né ce qui veut dire que son siège a été rem­pli par le sup­pléant qui est un loya­liste elle n’a même pas pris la déci­sion disons de gar­der son siège et de conti­nuer à avoir une pré­sence indé­pen­dante au Par­le­ment (elle a voté contre deux mesures prin­ci­pales, c’était pas contre l’ensemble du paquet).

Alors la deuxième chose main­te­nant, et je vais conclure cette pré­sen­ta­tion par cela : quel est l’état d’esprit qui existe en Grèce à l’heure actuelle ?

Il ne faut pas se racon­ter des his­toires, on est dans l’onde de choc de la défaite. Les réac­tions sociales qu’il y a eu, des réac­tions sur le fond social en termes de mobi­li­sa­tions ou de grèves, étaient les plus faibles qu’on ait vues depuis le début de la période des mémo­ran­dums. Alors bien sûr on peut cher­cher des expli­ca­tions, l’état déla­bré du mou­ve­ment syn­di­cal, les choix qui sont faits  par des direc­tions syn­di­cales pour leur majo­ri­té cor­rom­pues qui, là, ont été aidées par la tac­tique à la fois atten­tiste et extrê­me­ment sec­taire du par­ti com­mu­niste. Mais ce qui à mon avis est encore plus impor­tant que cela c’est le cli­mat de démo­ra­li­sa­tion qui existe dans la socié­té. Les gens ont reçu un énorme coup de mas­sue sur la tête et l’état d’esprit qui règne c’est que quoi qu’on fasse, quoi qu’on vote, à la fin on se retrouve avec un mémo­ran­dum et il n’y a aucune issue qui appa­raît à ce tunnel.

Et il faut bien com­prendre que l’issue n’apparaît pas à ce tun­nel car la barre est pla­cée tou­jours à ce niveau-là, c’est une pers­pec­tive, si pers­pec­tive alter­na­tive il y a, ce n’est pas pour construire une petite force mino­ri­taire qui va conti­nuer à accu­mu­ler des forces, même si en réa­li­té on ne peut pas faire autre chose pour l’instant que ça, mais pour la socié­té ce qu’elle ne voit pas c’est quelque chose qui trace une véri­table voie alter­na­tive. Et cela veut dire que c’est un constat d’échec pour l’ensemble des forces qui ont lut­té y com­pris celles qui ont lut­té contre le tour­nant et la capi­tu­la­tion de Syri­za, et on pour­ra reve­nir, pen­dant la dis­cus­sion si vous vou­lez, sur les rai­sons plus profondes.

Alors ma der­nière remarque de conclu­sion sera la sui­vante : je crois que la vraie dis­cus­sion qui a com­men­cé en Europe c’est celle sur ce qu’on appelle les plans B, les plans alter­na­tifs. Alors vous savez qu’il y a déjà eu deux ini­tia­tives, l’une à Paris, l’autre à Madrid, Éric a par­ti­ci­pé aux deux il pour­ra nous en dire davan­tage. L’idée de ce plan B pour l’Europe c’est que il faut, si vous vou­lez, des plans B qui soient adap­tés aux diverses réa­li­tés et qui tirent la leçon de ce qui s’est pas­sé en Grèce. C’est-à-dire il est abso­lu­ment clair que si on s’engage dans une pers­pec­tive de rup­ture avec l’austérité et avec le néo­li­bé­ra­lisme sans avoir pré­vu les moyens concrets pour mener la confron­ta­tion avec les ins­ti­tu­tions euro­péennes, avec l’Union Euro­péenne, y com­pris d’ailleurs avec l’euro, avant tout d’ailleurs avec l’euro pour les pays qui en font par­tie, et avec les classes domi­nantes au niveau natio­nal, ces expé­riences n’auront pas d’issue dif­fé­rente que celle de la Grèce. Et par rap­port à ça, c’est bien sûr insuf­fi­sant comme conclu­sion mais c’est à mon avis le point de départ obli­gé pour toute réflexion, il faut abso­lu­ment aban­don­ner les illu­sions et les dis­cours sur chan­ger l’actuelle Union Euro­péenne, réfor­mer l’actuelle Union Euro­péenne, chan­ger gra­duel­le­ment le rap­port de force, reje­ter les gens qui pro­posent des solu­tions de rup­ture comme soit disant des natio­na­listes ou des gens qui veulent le repli natio­nal. Tout ceci en Grèce a fait la preuve du fait qu’il ne pou­vait conduire qu’au désastre. C’est un dis­cours de l’impuissance poli­tique. La rup­ture avec cela est une condi­tion abso­lu­ment pas suf­fi­sante mais tout à fait néces­saire pour enga­ger une réflexion sur le sujet.

Mais il faut aller au-delà. Et l’Union Euro­péenne ce n’est pas sim­ple­ment l’euro et l’utilisation poli­tique de l’euro comme cela a été fait en Grèce pour bri­ser tout gou­ver­ne­ment natio­nal qui veut rompre avec les poli­tiques d’austérité. L’Union Euro­péenne c’est un modèle éco­no­mique qui pro­duit de la pola­ri­sa­tion en son sein, qui pro­duit des diver­gences et des pola­ri­sa­tions crois­santes entre les pays dits du centre et les pays de la péri­phé­rie. Et il y a deux péri­phé­ries en réa­li­té en Europe, il y a la péri­phé­rie du sud euro­péen au sens où je par­lais aupa­ra­vant et il y a la péri­phé­rie de l’est euro­péen éga­le­ment. Et l’Union Euro­péenne ce n’est pas sim­ple­ment ce qui se passe à l’intérieur de l’Union Euro­péenne, c’est aus­si ce qui se passe à l’extérieur de l’Union Euro­péenne. On ne peut pas ici ne pas appe­ler les choses par leur nom. L’Union Euro­péenne n’est pas sim­ple­ment une construc­tion qui ver­rouille le néo­li­bé­ra­lisme. Elle n’est pas sim­ple­ment une construc­tion qui détruit la démo­cra­tie, dépos­sède les peuples et les citoyens de leurs moyens de contrôle et d’action, à quelque niveau que ce soit. C’est une machine impé­ria­liste. Ce n’est pas un impé­ria­lisme uni­fié bien sûr. Il n’y a pas un impé­ria­lisme euro­péen en tant que tel. Mais la France est un pays impé­ria­liste. Et Fran­çois Hol­lande a été le pré­sident le plus va-t-en-guerre qu’on a vu pen­dant ces der­nières décen­nies. Fran­çois Hol­lande est dans la conti­nui­té de Guy Mol­let, Emma­nuel Valls évi­dem­ment de Jules Moch. La Grande-Bre­tagne aus­si est un pays impé­ria­liste. Et l’Allemagne est un pays qui n’a pas un impé­ria­lisme mili­taire mais qui a un impé­ria­lisme éco­no­mique, et pour laquelle la construc­tion euro­péenne est pré­ci­sé­ment le cadre où se déploie son impé­ria­lisme éco­no­mique. Et l’euro a bien enten­du été conçu dans cette perspective-là.

Mais l’Union Euro­péenne fonc­tionne comme un impé­ria­lisme uni­fié sur au moins un niveau, et je ter­mi­ne­rai vrai­ment là par ça.

C’est la construc­tion de l’Europe for­te­resse, qui est l’autre face jus­te­ment de la construc­tion euro­péenne. Et, comme cela était tout à fait pré­vi­sible, la capi­tu­la­tion com­plète de Tsi­pras, au niveau du mémo­ran­dum, au niveau du néo­li­bé­ra­lisme, au niveau des poli­tiques d’austérité, au niveau de la démo­cra­tie, a été sui­vie par sa bruyante appro­ba­tion de l’accord inique qui a été signé entre l’Union Euro­péenne et la Tur­quie, qui empêche les réfu­giés d’accéder à l’Europe et qui trans­forme la Grèce en garde-chiourme de la for­te­resse européenne.

Parce que c’est ça le rôle qui est dévo­lu aux néo-colo­ni­sés. C’est d’accepter doci­le­ment le sort qui leur est fait et de ser­vir de flics de la for­te­resse, pour empê­cher que les va-nu-pieds du sud glo­bal atteignent les pays du centre impé­ria­listes, pros­pères et repus dans leur richesse.

Et par rap­port à cela il faut sou­li­gner, et c’est de mon côté la seule nou­velle posi­tive que j’ai eu de la Grèce à une échelle signi­fi­ca­tive, que la socié­té grecque a réagi de manière posi­tive et soli­daire, dans sa majo­ri­té bien sûr, par rap­port à cette situa­tion. Je dirais que c’est une soli­da­ri­té des humbles, c’est une soli­da­ri­té de ceux qui se sentent eux aus­si écra­sés, qui n’ont pas peut-être per­du la mémoire qu’une par­tie impor­tante de la popu­la­tion grecque actuelle vient éga­le­ment de vagues de réfu­giés, a vécu la situa­tion de réfu­giés, leurs ancêtres ont vécu la situa­tion de réfu­giés en 1922, et a donc refu­sé de suivre les dis­cours racistes, xéno­phobes, qui n’ont pas man­qué, mais ce n’est pas eux qui l’ont empor­té dans la réac­tion de la société.

Et je pense que cette réac­tion soli­daire de la socié­té montre qu’il reste des réflexes pro­fonds qui pour le moment ne peuvent pas trou­ver une voie col­lec­tive et arti­cu­lée pour s’exprimer mais qui dans l’avenir consti­tue­ront le socle de la résis­tance et de la mobi­li­sa­tion popu­laire à venir.

Sta­this KOUVELAKIS.

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Étienne

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10 Commentaires

  1. etienne

    [Édi­fiant] Situa­tion éco­no­mique de la Grèce avant son adhé­sion à la CEE

    Info signa­lée par les​-crises​.fr

    Réponse
  2. etienne

    [Tra­hi­sons poli­ti­ciennes] Chi­rac sur l’Eu­rope : constance et cohérence

    Réponse
    • Xavier

      Dans ce domaine comme ailleurs, il convien­drait de faire un peu de ther­mo­dy­na­mique pour com­prendre ce qu’est un système.

      Une ques­tion pour illus­trer : « un réfri­gé­ra­teur, ça refroidit ? » ?

      Oui, bien sûr !… un fri­go sert à refroi­dir ! Enfin ce qui est à l’in­té­rieur, mais glo­ba­le­ment un fri­go ça réchauffe !…

      Il serait temps que les occi­den­taux com­prennent, sur le même prin­cipe de la com­par­ti­men­ta­tion, du cloi­son­ne­ment (des murs, entre les USA et le Mexique, entre Israël et la Pales­tine, etc.)… que les « valeurs occi­den­tales » évo­quées par Chi­rac, comme la paix van­tée pour jus­ti­fier la construc­tion euro­péenne, loin de pro­duire glo­ba­le­ment la paix ou le pro­grès, engagent le monde vers la guerre et le chaos.

      Alors quand on est « dans le fri­go », on peut faire sem­blant d’y croire, si les cloi­sons sont joli­ment peintes ou si nos bons maitres ont ouvert des fenêtres pour qu’on voit loin, mais la réa­li­té, mal­gré les bonnes inten­tions, les ONG et autres œillères que nous nous met­tons, c’est que notre mode de vie pro­duit inexo­ra­ble­ment la com­pé­ti­tion dans toutes ses formes, dont celle, ultime, qui vient tou­jours : la guerre, celle que nous avons ingé­nieu­se­ment repous­sée hors de nos fron­tières, mais qui revient comme un boo­me­rang, dans sa moda­li­té sale : le terrorisme.

      Réponse
  3. etienne

    [Depuis tou­jours, les pires enne­mis de l’hu­ma­ni­té sont bien les banques, repaires d’usuriers]

    Banque mondiale, une zone de non-droit protégée par des juges

    23 juillet par Renaud Vivien

    Un tri­bu­nal de Washing­ton a auto­ri­sé la Banque mon­diale à ne pas répondre de ses actes devant la jus­tice éta­su­nienne |1|. Les plai­gnants indiens ont déjà fait appel de cette déci­sion qui confère à la Banque mon­diale une immu­ni­té qui la place de fac­to au des­sus des lois.

    Le litige oppose des pêcheurs et des pay­sans indiens à la Socié­té finan­cière inter­na­tio­nale (SFI) – la branche de la Banque mon­diale char­gée de sou­te­nir le sec­teur pri­vé qui a finan­cé à hau­teur de 450 mil­lions de dol­lars la construc­tion d’une cen­trale à char­bon (dans l’État fédé­ré de Guja­rat situé dans la par­tie ouest de l’Inde). Les plai­gnants demandent aux juges de Washing­ton, où se trouve le siège de la Banque mon­diale, de condam­ner la SFI (Banque mon­diale) à répa­rer le pré­ju­dice social et envi­ron­ne­men­tal cau­sé par cette cen­trale de char­bon construite près des terres où ils vivent et tra­vaillent. Les consé­quences néfastes sont mul­tiples : dégra­da­tion de l’air et de l’écosystème marin, empoi­son­ne­ment de l’eau, dépla­ce­ment de popu­la­tions, des­truc­tion du mode de vie des com­mu­nau­tés locales.

    Ce qui est repro­ché pré­ci­sé­ment à la Banque mon­diale est «  sa conduite irres­pon­sable et négli­gente » à toutes les étapes du pro­jet. La SFI a non seule­ment finan­cé la cen­trale à char­bon mais a éga­le­ment four­ni des conseils et super­vi­sé l’ensemble de sa construc­tion. Pour­tant, dès le début de ce pro­jet, la SFI a elle-même recon­nu qu’il com­por­tait des risques impor­tants et que ses impacts néfastes étaient poten­tiel­le­ment irré­ver­sibles sur les com­mu­nau­tés locales et leur envi­ron­ne­ment. Une plainte en interne a ensuite été dépo­sée par les pay­sans et pêcheurs indiens auprès du ser­vice de média­tion de la Banque mon­diale : the Com­pliance Advi­sor Ombuds­man (CAO). Ce der­nier a don­né rai­son aux com­mu­nau­té locales dans un rap­port concluant que la SFI n’a pas res­pec­té ses propres pro­cé­dures de sau­ve­garde envi­ron­ne­men­tale et sociale. Mais la banque a déci­dé de reje­ter ces conclu­sions et de pour­suivre la projet.

    Cette affaire est loin d’être un cas iso­lé. La Banque mon­diale a admis en mars 2015 que «  la super­vi­sion de ces pro­jets était sou­vent peu ou non docu­men­tée, que l’application des mesures de pro­tec­tion ne fai­sait pas l’objet du sui­vi néces­saire et que le risque éle­vé de cer­tains pro­jets pour les popu­la­tions envi­ron­nantes n’avait pas été suf­fi­sam­ment éva­lué  » |2|. Selon une étude d’OXFAM, la SFI « n’a qu’une connais­sance limi­tée des résul­tats pour les béné­fi­ciaires finaux |3| » car l’évaluation des pro­jets qu’elle finance se base uni­que­ment sur des chiffres trans­mis par l’institution finan­cière cliente et inter­mé­diaire de la SFI.

    Comme l’a sou­li­gné le Conseil consul­ta­tif belge sur la cohé­rence des poli­tiques |4|, plu­sieurs pro­jets finan­cés par la SFI se sont tra­duits par de graves infrac­tions aux droits humains : acca­pa­re­ment des terres, répres­sion, arres­ta­tions arbi­traires ou meurtres afin de faire taire les mou­ve­ments de pro­tes­ta­tion contre cer­tains pro­jets finan­cés par la banque. Le cas de la l’entreprise Dinant au Hon­du­ras illustre bien cette situa­tion |5|. En 2010, Dinant avait été impli­quée dans un conflit fon­cier au cours duquel six pay­sans avaient été abat­tus par les forces de sécu­ri­té pri­vée de la firme. L’enquête sub­sé­quente du CAO de la Banque mon­diale a démon­tré que la SFI était au cou­rant des pro­blèmes entou­rant les acti­vi­tés de Dinant. Mais aucune condam­na­tion n’a sui­vi. Citons éga­le­ment l’enquête de ter­rain réa­li­sée dans qua­torze pays, cou­plée à un tra­vail d’analyse de mil­liers de rap­ports par le consor­tium inter­na­tio­nal de jour­na­liste d’investigation (ICIJ) |6|, qui révèle que les pro­jets finan­cés par la Banque mon­diale ont contraint près de 3,4 mil­lions de per­sonnes à quit­ter leur domi­cile depuis 2004, par­fois avec le recours des poli­ciers armés char­gés de les expulser.

    Consta­tant toutes ces vio­la­tions, le Rap­por­teur spé­cial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’extrême pau­vre­té Phi­lip Alston a pré­sen­té devant l’Assemblée géné­rale de l’ONU le 4 août 2015 un rap­port cin­glant consa­cré à la Banque mon­diale, affir­mant que « la Banque mon­diale s’assied sur les droits humains, elles les consi­dère davan­tage comme un mala­die infec­tieuse que comme des valeurs et des obli­ga­tions uni­ver­selles |7| ».

    Ce com­por­te­ment de la banque est en total déca­lage avec ses obli­ga­tions juri­diques. En effet, la Banque mon­diale a non seule­ment l’o­bli­ga­tion de res­pec­ter ses règles internes (comme les pro­cé­dures de sau­ve­garde envi­ron­ne­men­tale et sociale) mais aus­si toute règle per­ti­nente du droit inter­na­tio­nal géné­ral incluant les ins­tru­ments de pro­tec­tion de droits humains. Comme l’a rap­pe­lé récem­ment le Comi­té de l’ONU pour les droits éco­no­miques, sociaux et cultu­rels dans une décla­ra­tion offi­cielle datée du 24 juin 2016 |8|, la Banque mon­diale comme toute autre orga­ni­sa­tion inter­na­tio­nale doit impé­ra­ti­ve­ment res­pec­ter la Décla­ra­tion uni­ver­selle des droits de l’homme, les prin­cipes géné­raux du droit inter­na­tio­nal et les Pactes de 1966 sur les droits humains |9|. De plus, la Banque mon­diale et le Fonds moné­taire inter­na­tio­nal (FMI), en tant qu’agences spé­cia­li­sées de l’ONU, sont liés par les objec­tifs et prin­cipes géné­raux de la Charte des Nations Unies, par­mi les­quels figurent le res­pect des droits humains et des liber­tés fon­da­men­tales |10|. Par consé­quent, il leur est inter­dit d’imposer des mesures qui empêchent les États de se confor­mer à leurs propres obli­ga­tionss natio­nales et inter­na­tio­nales en matière de droits humains |11|.

    La Banque mon­diale agit donc dans l’illégalité lorsqu’elle finance des pro­jets, tels que la cen­trale à char­bon en Inde, qui ont des consé­quences pré­ju­di­ciable sur les droits humains et l’environnement mais aus­si lorsqu’elle fixe avec le FMI des condi­tion­na­li­tés à leurs prêts, qui vont à l’encontre des droits humains. Le droit à l’eau est, par exemple, régu­liè­re­ment vio­lé par les pri­va­ti­sa­tions impo­sées dans ce sec­teur tout comme le droit à la san­té est bafoué par les réduc­tions de dépenses publiques dans la san­té. Autre exemples, les condi­tion­na­li­tés visant la déré­gu­la­tion du mar­ché du tra­vail et le déman­tè­le­ment des sys­tème publics de pro­tec­tion sociale vont direc­te­ment à l’encontre du droit au tra­vail et à la pro­tec­tion sociale. Ces droits sont aus­si sérieu­se­ment mis à mal dans le rap­port « Doing Busi­ness |12| » publié tous les ans par la banque. Dans ce rap­port, tous les États sont éva­lués et clas­sés en fonc­tion de la faci­li­té à y « faire des affaires », sur base d’une bat­te­rie d’indicateurs comme l’indicateur « employing wor­kers » qui consi­dère que toute forme de légis­la­tion pro­té­geant les tra­vailleurs est un obs­tacle au « busi­ness » |13|. Dans le sec­teur agri­cole, l’amélioration du « cli­mat des affaires » encou­rage fré­quem­ment l’accaparement des terres. A titre d’exemple, les réformes ayant per­mis aux Phi­lip­pines d’améliorer sa posi­tion dans ce clas­se­ment de la Banque mon­diale ont per­mis aux « inves­tis­seurs » dans ce pays de déve­lop­per des mono­cul­tures au pré­ju­dice des com­mu­nau­tés locales, qui ont été expul­sées de leurs terres ances­trales. Dans le domaine agri­cole tou­jours, la Banque mon­diale publie un autre rap­port inti­tu­lé « Enabling the Busi­ness of Agri­cul­ture |14| » qui encou­rage les gou­ver­ne­ments à pri­va­ti­ser des filières agri­coles au détri­ment notam­ment des petits pro­duc­teurs |15|.

    Alors qu’un prin­cipe élé­men­taire du droit est de répa­rer le dom­mage qu’on a cau­sé du fait de sa propre faute, les juges de Washing­ton ont ren­du une déci­sion qui va à l’encontre de ce prin­cipe puisqu’ils consi­dèrent que la Banque mon­diale jouit d’une immu­ni­té en tant qu’organisation inter­na­tio­nale. Ce qui lui garan­tit une impu­ni­té pour toutes ses actions qui vio­le­raient les droits des popu­la­tions. Pire, plus ses actions illé­gales sont nom­breuses et plus les juges éta­su­niens la pro­tègent, au motif que la mul­ti­pli­ca­tion d’actions en jus­tice contre la banque ris­que­rait d’entraver le bon dérou­le­ment de ses acti­vi­tés. C’est ce qu’indique le rai­son­ne­ment des juges de Washington.

    En effet, lorsque les avo­cats des plai­gnants indiens invoquent à juste titre l’article 7 sec­tion 3 |16| des sta­tuts de la Banque mon­diale qui pré­voit expli­ci­te­ment que la banque peut être pour­sui­vie en jus­tice sous cer­taines condi­tions, les juges rétorquent que cette pos­si­bi­li­té de pour­suivre en jus­tice ne vaut que dans les cas où ces pour­suites sont dans l’intérêt de la banque ! Selon les juges, il faut appli­quer cet article 7 sec­tion 3 en tenant compte de l’article 7 sec­tion 1 des sta­tuts, qui indique que la banque a renon­cé à son immu­ni­té dans le but de rem­plir ses fonc­tions |17|. Ce qui fait dire aux juges que la Banque mon­diale a eu l’intention de lever son immu­ni­té uni­que­ment dans les cas où cela lui pro­fite |18|. Lorsque les avo­cats des pay­sans indiens répondent que cette action en jus­tice aura comme effet posi­tif d’inciter la Banque mon­diale à res­pec­ter ses propres pro­cé­dures de sau­ve­gardes sociales et envi­ron­ne­men­tales et donc à agir de façon res­pon­sable à l’avenir, le tri­bu­nal rejette cet argu­ment en disant que le « béné­fice » pour la banque est mar­gi­nal com­pa­ré aux « coûts sub­stan­tiels » qu’entraînerait la levée de cette immu­ni­té |19|. Accep­ter de juger ce cas de vio­la­tion de droits humains aurait de trop lourdes consé­quences pour la banque car cela ouvri­rait la « boîte de pan­dore » avec d’autres actions en jus­tice contre elle. Rap­pe­lons, en effet, que la Banque mon­diale tout comme le FMI n’ont jamais eu à rendre de compte devant la jus­tice, en plus de soixante ans d’existence ?

    Alors que plu­sieurs rap­ports épinglent les mul­tiples vio­la­tions de droits humains par la Banque mon­diale – ce qui devrait logi­que­ment inci­ter les tri­bu­naux à (enfin) sanc­tion­ner ces vio­la­tions – les juges éta­su­niens font l’inverse en ren­for­çant la Banque mon­diale comme « zone exempte de droits de l’homme » comme l’a qua­li­fiée le Rap­por­teur spé­cial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’extrême pau­vre­té |20|.

    Face à ce juge­ment, les com­mu­nau­tés indiennes affec­tées ne baissent pas les bras et ont déjà fait appel. Le CADTM les sou­tient plei­ne­ment dans leur lutte et appelle à mul­ti­plier les pro­cès à chaque fois que cette banque cause des dom­mages à la popu­la­tion et l’environnement. L’impunité de la Banque mon­diale n’a que trop duré.

     

    Notes

    |1| Jam v. Inter­na­tio­nal Finance Cor­po­ra­tion, No. 1:15-cv-00612.https://​www​.ear​thrights​.org/​s​i​t​e​s​/​d​e​f​a​u​l​t​/​f​i​l​e​s​/​d​o​c​u​m​e​n​t​s​/​j​a​m​_​v​_​i​f​c​_​-​_​o​r​d​e​r​_​g​r​a​n​t​i​n​g​_​m​t​d​.​pdf

    |2| http://​www​.ban​que​mon​diale​.org/​f​r​/​n​e​w​s​/​p​r​e​s​s​-​r​e​l​e​a​s​e​/​2​0​1​5​/​0​3​/​0​4​/​w​o​r​l​d​b​a​n​k​-​s​h​o​r​t​c​o​m​i​n​g​s​-​r​e​s​e​t​t​l​e​m​e​n​t​-​p​r​o​j​e​c​t​s​-​p​l​a​n​-​f​i​x​-​p​r​o​b​l​ems

    |3| Oxfam (2015). The suf­fe­ring of the others, Oxford : Oxfam GB, p. 2.https://​www​.oxfam​.org/​e​n​/​r​e​s​e​a​r​c​h​/​s​u​f​f​e​r​i​n​g​-​o​t​h​ers

    |4| Voir son avis por­tant sur « le man­dat de la Bel­gique au sein de la Banque mon­diale » acces­sible surhttp://​www​.ccpd​-abco​.be/. Le Conseil consul­ta­tif sur la cohé­rence des poli­tiques a été créé en avril 2014. Il a pour mis­sion prin­ci­pale de don­ner des avis aux auto­ri­tés fédé­rales belges pour plus de res­pect de la cohé­rence des poli­tiques en faveur du déve­lop­pe­ment. Ces avis sont pré­pa­rés par des experts du monde syn­di­cal, des ONG et du monde aca­dé­mique réunis dans une ‘com­mis­sion thé­ma­tique’. Ils sont ensuite étu­diés et vali­dés par le Conseil consul­ta­tif sur la cohé­rence des poli­tiques pré­si­dé par Oli­vier De Schut­ter. Le CADTM Bel­gique a par­ti­ci­pé à l’élaboration de cet Avis sur la Banque mondiale.

    |5| Cette socié­té hon­du­rienne pro­duc­trice d’huile de palme était le troi­sième client de la banque hon­du­rienne Ficoh­sa, dans laquelle la SFI a inves­ti 70 mil­lions de dol­lars en 2011.
    Lire l’article « Com­ment la Banque mon­diale finance le mas­sacre de dizaines de pay­sans »http://​www​.cncd​.be/​C​o​m​m​e​n​t​-​l​a​-​B​a​n​q​u​e​-​m​o​n​d​i​a​l​e​-​f​i​n​a​nce

    |6| http://www.lesoir.be/852058/article/actualite/monde/2015–04-15/enquete-internationale-34-millions-personnes-expulsees-par-banque-mondiale

    |7| http://​www​.un​.org/​e​n​/​g​a​/​s​e​a​r​c​h​/​v​i​e​w​_​d​o​c​.​a​s​p​?​s​y​m​b​o​l​=​A​/​7​0​/​274
    Lire aus­si l’article « La Banque mon­diale sous les feux de la cri­tique du Rap­por­teur Spé­cial de l’ONU sur l’extrême pau­vre­té et les droits humains » http://​www​.cadtm​.org/​s​p​i​p​.​p​h​p​?​p​a​g​e​=​i​m​p​r​i​m​e​r​&​i​d​_​a​r​t​i​c​l​e​=​1​2​4​2​7​#​nb1

    |8| E/C.12/2016/1 « Public debt, aus­te­ri­ty mea­sures and the Inter­na­tio­nal Cove­nant on Eco­no­mic, Social and Cultu­ral Rights ». Sta­te­ment by the Com­mit­tee on Eco­no­mic, Social and Cultu­ral Rights :

    Extrait : « The Len­ders them­selves have obli­ga­tions under gene­ral inter­na­tio­nal law. As any other sub­jects of inter­na­tio­nal law, inter­na­tio­nal finan­cial ins­ti­tu­tions and other inter­na­tio­nal orga­ni­sa­tions are ’bound by any obli­ga­tions incumbent upon them under gene­ral rules of inter­na­tio­nal law, under their consti­tu­tions or under inter­na­tio­nal agree­ments to which they are parties’.They are the­re­fore bound to com­ply with human rights, as lis­ted in par­ti­cu­lar in the Uni­ver­sal Decla­ra­tion of Human Rights, that are part of cus­to­ma­ry inter­na­tio­nal law or of the gene­ral prin­ciples of law, both of which are sources of inter­na­tio­nal law »
    https://xa.yimg.com/kq/groups/2743668/1005740263/name/Conditional%20lending%20E_C-12_2016_1_8064_E%2Epdf

    |9| Cour inter­na­tio­nale de jus­tice, Inter­pré­ta­tion de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Égypte, avis consul­ta­tif du 20 décembre 1980, CIJ Rec. 1980, para 37, pp. 89–90.

    |10| Charte des Nations Unies, articles 57, 63, 1(3) et 55(3).

    |11| Com­mis­sion du droit inter­na­tio­nal. (2011). Pro­jet d’articles sur la res­pon­sa­bi­li­té des orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales, adop­té par la CDI à sa 63e ses­sion (A/66/10, para. 87), art. 16.

    |12| http://​www​.doing​bu​si​ness​.org/

    |13| http://​www​.cncd​.be/​D​o​i​n​g​-​B​u​s​i​n​e​s​s​-​u​n​-​r​a​p​p​o​r​t​-au

    |14| http://​eba​.world​bank​.org/

    |15| Let­ter from the UN Rap­por­teur on Right to food and the UN Inde­pendent Expert on forei­gn debt to World Bank to
    Pre­sident World Bank, 9 octobre 2012.

    |16| « La Banque ne peut être pour­sui­vie que devant un tri­bu­nal ayant juri­dic­tion sur les ter­ri­toires d’un État membre où elle pos­sède un bureau, a dési­gné un agent char­gé de rece­voir les signi­fi­ca­tions ou noti­fi­ca­tions de som­ma­tions ou a émis ou garan­ti des titres. Aucune action judi­ciaire ne pour­ra cepen­dant être inten­tée par des États membres ou par des per­sonnes agis­sant pour le compte des­dits États, ou fai­sant valoir des droits cédés par ceux-ci. Les biens et avoirs de la Banque où qu’ils soient situés et quel qu’en soit le déten­teur, seront à l’abri de toute forme de sai­sie, d’opposition ou d’exécution tant qu’un juge­ment défi­ni­tif n’aura pas été pro­non­cé contre la Banque ».http://​web​.world​bank​.org/​W​B​S​I​T​E​/​E​X​T​E​R​N​A​L​/​A​C​C​U​E​I​L​E​X​T​N​/​E​X​T​A​B​T​U​S​F​R​E​N​C​H/0„contentMDK:20405772 menuPK:866224 pagePK:64094163 piPK:64094165 theSitePK:328614,00.html#article7section7

    |17| « En vue de mettre la Banque en mesure de rem­plir les fonc­tions qui lui sont confiées, le sta­tut juri­dique, les immu­ni­tés et pri­vi­lèges défi­nis dans le pré­sent article seront accor­dés à la Banque sur les ter­ri­toires de chaque Etat membre ».http://​web​.world​bank​.org/​W​B​S​I​T​E​/​E​X​T​E​R​N​A​L​/​A​C​C​U​E​I​L​E​X​T​N​/​E​X​T​A​B​T​U​S​F​R​E​N​C​H/0„contentMDK:20405772 menuPK:866224 pagePK:64094163 piPK:64094165 theSitePK:328614,00.html#article7section7
    voir éga­le­ment le juge­ment « Men­da­ro contre la Banque mon­diale », US Court of Appeals, D.C Cir., Sept. 27, 1983 ( 717 F.2d 610)

    |18| Extrait du juge­ment : ‘when the bene­fits accruing to the orga­ni­za­tion as a result of the wai­ver would be sub­stan­tial­ly out­wei­ghe d by the bur­dens cau­sed by judi­cial scru­ti­ny of the organization’s dis­cre­tion to select and admi­nis­terts pro­grams, it is logi­cal­ly less pro­bable that the orga­ni­za­tion actual­ly inten­ded to waive its immu­ni­ty.’” (…) The rele­vant ques­tion is thus “whe­ther a wai­ver of immu­ni­ty to allow this type of suit, by this type of plain­tiff, would bene­fit the orga­ni­za­tion over the long term.
    https://​www​.ear​thrights​.org/​s​i​t​e​s​/​d​e​f​a​u​l​t​/​f​i​l​e​s​/​d​o​c​u​m​e​n​t​s​/​j​a​m​_​v​_​i​f​c​_​-​_​o​r​d​e​r​_​g​r​a​n​t​i​n​g​_​m​t​d​.​pdf

    |19| Extrait du juge­ment : «  This Court will not com­ple­te­ly dis­miss the pos­si­bi­li­ty that a wai­ver could pro­vide some incen­tive for IFC to adhere more scru­pu­lous­ly to its poli­cies, over and above the pres­sure alrea­dy applied by the CAO. But that mar­gi­nal bene­fit must be wei­ghed against the rele­vant costs which, in suits like this by these kinds of plain­tiffs ‚remain quite sub­stan­tial. In the Court’s view, for all the rea­sons revie­wed above, suits like plain­tiffs’ are like­ly to impose consi­de­rable costs upon IFC without pro­vi­ding com­men­su­rate bene­fits. Hence, IFC has not wai­ved its immu­ni­ty to this suit ».
    https://​www​.ear​thrights​.org/​s​i​t​e​s​/​d​e​f​a​u​l​t​/​f​i​l​e​s​/​d​o​c​u​m​e​n​t​s​/​j​a​m​_​v​_​i​f​c​_​-​_​o​r​d​e​r​_​g​r​a​n​t​i​n​g​_​m​t​d​.​pdf

    |20| http://​www​.un​.org/​p​r​e​s​s​/​f​r​/​2​0​1​5​/​a​g​s​h​c​4​1​4​2​.​d​o​c​.​htm

    Auteur.e

    Renaud Vivien Co-secré­taire géné­ral du CADTM Bel­gique, juriste en droit inter­na­tio­nal. Il est membre de la Com­mis­sion pour la Véri­té sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.

    Source : CADTM

    Réponse
  4. etienne

    [Inévi­table hubris (déme­sure) des pou­voirs sans limites] 

    Israël auto­rise la pri­son pour actes « ter­ro­ristes » à par­tir de 12 ans :

    http://​www​.euro​pe1​.fr/​i​n​t​e​r​n​a​t​i​o​n​a​l​/​i​s​r​a​e​l​-​a​u​t​o​r​i​s​e​-​l​a​-​p​r​i​s​o​n​-​p​o​u​r​-​a​c​t​e​s​-​t​e​r​r​o​r​i​s​t​e​s​-​a​-​p​a​r​t​i​r​-​d​e​-​1​2​-​a​n​s​-​2​8​1​2​930

    Source : Europe1, via rezo​.net

    L’é­lec­tion donne le pou­voir aux pires.
    Donc, les pires gouvernent.
    Et ça s’aggrave.
    Et la solu­tion ne vien­dra pas d’eux. Ceux qui se consi­dèrent comme « les élus » SONT le plus grave pro­blème de l’humanité.
    Il va fal­loir com­men­cer à vous occu­per vous-même de vos affaires, si vous ne vou­lez pas finir enfermé‑e dans un camp de concentration.

    Réponse
  5. etienne

    Écou­tez bien (et notez sur un papier) le détail expli­qué (par Sta­this KOUVELAKIS) de ce qui est désor­mais infli­gé aux Grecs : ça nous pend au nez (parce qu’on regarde trop la télé et qu’on se fait intoxiquer).

    Réponse
  6. etienne

    « Un homme enchaî­né sait qu’il aurait dû agir plus tôt, car sa capa­ci­té à influer sur l’action de l’État touche à sa fin. »

    Julian Assange (fon­da­teur de Wiki­leaks), dans « L’art de la fuite. Des effets non-linéaires des fuites sur les sys­tèmes de gou­ver­nance injustes » (2006).

    https://​old​.chouard​.org/​E​u​r​o​p​e​/​p​r​e​c​i​e​u​s​e​s​_​p​e​p​i​t​e​s​.​pdf

    Réponse
  7. etienne

    Voi­ci donc le script de cette inter­ven­tion (mer­ci Véronique !) :

    STATHIS KOUVELAKIS :
    APRÈS LA CAPITULATION DE SYRIZA,
    QUELLES PERSPECTIVES POUR LA GAUCHE EN EUROPE ?

    Le LIEU-DIT
    Paris, same­di 4 juin 2016

     

    La conver­gence de fait entre un mou­ve­ment social comme Nuit Debout et l’occupation des places, et les mobi­li­sa­tions syn­di­cales et, c’est plus mul­ti­forme, contre la Loi Tra­vail, a pré­sen­té des res­sem­blances évi­dentes avec le mou­ve­ment mul­ti­formes aus­si tel qu’il s’est expri­mé en Grèce pen­dant les grandes années 2010–2011 de la mobi­li­sa­tion contre les pre­miers mémo­ran­dums. Même si les mémo­ran­dums c’était la loi El Khom­ri à la puis­sance 10, parce que ce n’était pas sim­ple­ment un ren­ver­se­ment com­plet du code du tra­vail et de la légis­la­tion du tra­vail mais un bou­le­ver­se­ment de l’ensemble, disons, du contrat social. Donc, ce qui se passe main­te­nant en Grèce nous informe de l’étape à venir et de la gra­vi­té extrême de ce qui est en train de se pré­pa­rer, et qui affecte, comme cela est deve­nu beau­coup plus clair, l’ensemble des pays européens.

    La deuxième rai­son c’est que l’expérience grecque s’est sol­dée par une défaite, et je vais être très clair par rap­port à ça, je vais l’expliquer de façon un peu plus détaillée par la suite, nous sommes encore dans l’onde de choc de cette défaite.

    Or cette défaite est celle d’un pari poli­tique de très grande ampleur qui a pola­ri­sé et sus­ci­té l’intérêt des mou­ve­ments sociaux des gauches radi­cales et anti­ca­pi­ta­listes de l’Europe et au-delà, pen­dant toute une période, et, c’est une expé­rience qui a vu la conjonc­tion d’un pari pro­pre­ment poli­tique avec Syri­za, mais aus­si de tout un capi­tal de lutte et de mobi­li­sa­tion sociale.

    Donc, il est tout à fait cru­cial de tirer les leçons jus­te­ment de ce qui s’est pas­sé en Grèce, pré­ci­sé­ment pour que les poten­tia­li­tés qui se dégagent main­te­nant, en France et je l’espère ailleurs, avec la reprise de la mobi­li­sa­tion sociale et du com­bat de classe, connaissent une issue différente.

    Alors, je vais com­men­cer par un pre­mier point qui est tout sim­ple­ment de vous dire un peu ce qui vient main­te­nant de se scel­ler avec les votes du par­le­ment grec au cours du mois de mai.

    Au cours du mois de mai, en deux vagues suc­ces­sives, le noyau dur du troi­sième mémo­ran­dum qui a été signé par Tsi­pras l’été der­nier, est entré dans les faits. Alors la façon habi­tuelle dont ceci est pré­sen­té est que c’est un nou­veau paquet d’austérité, ce qui est bien sûr tout à fait exact. Ce nou­veau paquet d’austérité implique une réforme du sys­tème des retraites avec la sixième vague de dimi­nu­tion des retraites, et la des­truc­tion du sys­tème de retraites par répar­ti­tion et l’entrée dans un sys­tème de retraites par capi­ta­li­sa­tion, et la condam­na­tion à des niveaux de pau­vre­té et de misère de la grande majo­ri­té des retrai­tés grecs. Il se tra­duit aus­si par une nou­velle vague de sur-taxa­tion infli­gée aux ménages les plus fra­giles et les plus modestes et aux classes moyennes aus­si, qui sont déjà les plus lour­de­ment taxées en Europe, sans que rien bien enten­du ne soit fait pour chan­ger la scan­da­leuse non-impo­si­tion du capi­tal et des pri­vi­lé­giés en Grèce.

    Donc tout ça si vous vou­lez c’est en rajou­ter une couche par rap­port à ce qui a déjà été fait, ceci dans un pays dont le désastre éco­no­mique et social conti­nue sans aucune dis­con­ti­nui­té. Pré­vi­sion pour cette année : 1,5 % de réces­sion après une réces­sion cumu­lée de près de 26 à 27 % depuis le début de la crise, supé­rieure à celle des années trente, je le rap­pelle. Donc on s’acharne sur un cadavre à l’heure actuelle. Mais ce n’est pas tout, et ce serait même gra­ve­ment insuf­fi­sant de ne voir que ça, et c’est ce sur quoi je veux insis­ter maintenant.

    Ce qui se passe en Grèce est une véri­table entre­prise de néo-colo­ni­sa­tion du pays. Je pèse mes mots et je n’exagère en rien ce n’est pas du tout une figure de rhé­to­rique et je vais ten­ter de vous expli­quer pour­quoi. La néo-colo­ni­sa­tion passe par la com­bi­nai­son de deux choses. Pre­miè­re­ment un modèle d’accumulation, un modèle éco­no­mique si vous vou­lez qui est basé sur ce que David Har­vey a appe­lé l’accumulation par dépos­ses­sion. C’est-à-dire un sys­tème d’accumulation du capi­tal qui ne fonc­tionne pas sim­ple­ment et peut-être même pas essen­tiel­le­ment par l’exploitation capi­ta­liste habi­tuelle, celle de la force de tra­vail si vous vou­lez, mais par la pré­da­tion directe de res­sources et tout par­ti­cu­liè­re­ment de res­sources publiques. C’est une notion que David Har­vey a déve­lop­pé au cours de son ana­lyse de ce qu’il appelle « le nou­vel impé­ria­lisme ». Et pour com­prendre jus­te­ment les formes par­ti­cu­liè­re­ment vio­lentes et bru­tales par les­quelles le néo-libé­ra­lisme s’est impo­sé dans les pays du sud. Et c’est pré­ci­sé­ment ce qui est en train de se pas­ser en Grèce. La Grèce c’est l’application pour la pre­mière fois, il n’y a aucune ori­gi­na­li­té en réa­li­té dans la thé­ra­pie de choc qui a été appli­quée en Grèce, en tant que telle, c’est des choses que le FMI a fait dans les pays du sud glo­bal, la seule ori­gi­na­li­té c’est que c’est fait dans un pays d’Europe occidentale.

    La deuxième chose, qui est tout à fait essen­tielle d’un point de vue poli­tique, c’est que se trouve déman­te­lé ce qui res­tait de la sou­ve­rai­ne­té de l’Etat grec et de ses ins­ti­tu­tions. Et là la Grèce se trouve main­te­nant pla­cée sous un régime de tutelle, qui exis­tait déjà bien enten­du depuis le début des mémo­ran­dums et du règne de la Troï­ka, mais qui se trouve main­te­nant ver­rouillée à un niveau sans pré­cé­dent. L’Etat grec a été dépouillé de tous ses leviers d’action pos­sibles. Ceci a été consti­tu­tion­na­li­sé en quelque sorte par le troi­sième mémo­ran­dum et va peser très lourd comme vous com­pre­nez dans toute la période qui vient et dans la manière dont les rap­ports de force vont se construire pen­dant la période qui vient. C’est-à-dire que ce à quoi vont faire face les résis­tances et les mobi­li­sa­tions popu­laires pen­dant la période qui vient c’est quelque chose de bien plus grave, bien plus féroce, bien plus ver­rouillé que ce qu’on avait jusqu’à pré­sent.

    En quoi ce nou­veau modèle éco­no­mique s’applique ? Pre­miè­re­ment, et ça c’était l’une des pre­mières choses que le gou­ver­ne­ment Tsi­pras II a fait à l’automne der­nier, ce qu’on appelle la reca­pi­ta­li­sa­tion des banques grecques, c’est-à-dire leur vente à des fonds spé­cu­la­tifs, après avoir absor­bé près de 40 mil­liards d’argent public, pour lequel le contri­buable grec, le peuple grec,  s’est endet­té, tout cela a été reven­du à des prix com­plè­te­ment ridi­cules à des fonds spéculatifs.

    Donc le sys­tème ban­caire grec qui se trou­vait majo­ri­tai­re­ment sous contrôle éta­tique en réa­li­té, même si ce contrôle n’était pas actif, avec toutes les injec­tions qui avaient été faites de fonds publics et de reca­pi­ta­li­sa­tion, est main­te­nant entiè­re­ment pas­sé dans les mains d’un sec­teur pri­vé, de fonds pri­vés et de fonds pri­vés étran­gers d’ailleurs, donc le sec­teur finan­cier a été com­plè­te­ment cédé aux vau­tours de la finance inter­na­tio­nale. Et c’est la pre­mière grande réforme du gou­ver­ne­ment Tsi­pras II.

    Le deuxième méca­nisme c’est celui de la dette. Alors évi­dem­ment je ne vais pas déve­lop­per ce point, (devant Éric [Tous­saint], ce serait com­plè­te­ment ridi­cule, il va vous dire ce qui est néces­saire), ce que je veux sim­ple­ment sou­li­gner, c’est que l’un des bluffs de ce très grand bluf­feur et mani­pu­la­teur qu’est Alexis Tsi­pras au cours de la der­nière période, ça a été de dire, écou­tez ok on va pas­ser des mesures dou­lou­reuses etc. on peut pas faire autre­ment, nana­ni nana­nère, mais on obtien­dra un allè­ge­ment de la dette. Allè­ge­ment de la dette, allè­ge­ment de la dette, la pro­messe de l’allègement de la dette, on a fait un deal vous ver­rez, etc. Le résul­tat est qu’on a eu ces mesures d’austérité féroces et tout le reste,  les réformes de struc­ture dont je vais par­ler, et évi­dem­ment aucun allè­ge­ment sur la dette, une vague pro­messe que  la dis­cus­sion va reprendre à par­tir de 2018 (Éric nous en dira davantage).

    Donc deuxième crime. Moi je consi­dère que tout ça c’est des crimes. Et je ne le consi­dère pas per­son­nel­le­ment, Éric pour­ra nous en dire davan­tage, c’est des choses qui sont pas­sibles péna­le­ment, pour tous les gou­ver­ne­ments anté­rieurs, et évi­dem­ment Syri­za a été le pre­mier à le dire, et main­te­nant pour le gou­ver­ne­ment Syri­za II.

    Troi­sième chose, les pri­va­ti­sa­tions. Alors là on entre dans quelque chose qui est du jamais vu. Ce qui a été voté par le Par­le­ment grec c’est la consti­tu­tion d’une agence nou­velle, qui vient se sub­sti­tuer à l’agence exis­tante des pri­va­ti­sa­tions, et qui par rap­port à l’ancienne, qui s’appelait Tai­ped, pré­sente trois différences.

    Pre­miè­re­ment, c’est une agence qui a une struc­ture de socié­té pri­vée, ce n’est pas une agence publique, même d’un point de vue for­mel, légal.

    Deuxiè­me­ment, elle a été créée pour une durée de 99 ans, contre 6 pour l’agence qui exis­tait déjà.

    Troi­siè­me­ment, sont pas­sés sous son contrôle la to-ta-li-té des actifs publics de l’Etat grec contre 25 actifs de l’agence qui exis­tait jusqu’à pré­sent. Je dis bien la tota­li­té des actifs de l’Etat grec. La pre­mière liste pro­vi­soire est de 11.900 actifs.

    C’est le plus gigan­tesque trans­fert de pro­prié­té jamais opé­ré dans un pays euro­péen de l’ouest, je mets ici évi­dem­ment sous une caté­go­rie sépa­rée les pays des anciens régimes du socia­lisme dit réel, c’est l’opération du plus gigan­tesque trans­fert de pro­prié­té jamais opé­ré dans un pays occi­den­tal (il y avait un article du Guar­dian d’ailleurs très expli­cite sur cette question).

    Que va faire cette agence ? Elle va vendre tout jusqu’à hau­teur des 50 mil­liards d’euros, c’est ça l’objectif, dont les recettes seront consa­crées à 50% pour la conso­li­da­tion des banques qui sont pas­sées sous le contrôle du sec­teur pri­vé, à hau­teur de 25 % pour le rem­bour­se­ment de la dette, et  à hau­teur de 25% pour des inves­tis­se­ments non spé­ci­fiés. Le Conseil d’Administration de cette nou­velle socié­té, entiè­re­ment indé­pen­dant de tout contrôle poli­tique, est fait de 5 membres, 3 sont nom­més par le gou­ver­ne­ment grec sous condi­tion expli­cite d’avoir reçu l’approbation préa­lable de la Troï­ka, les deux autres sont nom­més direc­te­ment par la Troï­ka. Et c’est pour 99 ans. La presse éco­no­mique inter­na­tio­nale a immé­dia­te­ment inter­pré­té cette durée tota­le­ment incroyable, c’est du jamais vu, dans aucun pays quelle que soit l’étendue des condi­tions de pri­va­ti­sa­tions n’a été créé une agence qui fonc­tionne selon ces prin­cipes, comme un désa­veu de toute « confiance » des ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales par rap­port à la Grèce.

    Cerise sur le gâteau, dans le modèle éco­no­mique, pour déblo­quer une tranche sup­plé­men­taire de prêt,  qui est due en sep­tembre, en plus des 7 mil­liards qui vont être déblo­qués dans les jours qui viennent, la Troï­ka a deman­dé tout un nombre de condi­tions sup­plé­men­taires, concer­nant les taxes etc., mais le noyau dur c’est une réforme du code du tra­vail, et ceci alors que les conven­tions col­lec­tives en Grèce ont déjà été sup­pri­mées, ça n’existe plus, le seul ver­rou légis­la­tif qui existe c’est le Smic, alors vous vous deman­dez si le sys­tème des conven­tions col­lec­tives a été déman­te­lé qu’est ce qui reste à déman­te­ler ? Eh bien ce qui reste à déman­te­ler c’est : la libé­ra­tion com­plète des licen­cie­ments col­lec­tifs, la res­tric­tion du droit de grève, qui est pour le moment le plus favo­rable en Europe, la dimi­nu­tion de la pro­tec­tion dont jouissent les syn­di­ca­listes et les délé­gués syn­di­caux et la dimi­nu­tion dras­tique du finan­ce­ment public qui est des­ti­né aux syndicats.

    Voi­là ce qui est au menu des négo­cia­tions d’ici le mois de sep­tembre. À ceci s’ajoutent les réformes de struc­ture. Les réformes de struc­ture sont essen­tiel­le­ment au nombre de deux. Pre­miè­re­ment a été créé un Conseil de dis­ci­pline fis­cale, depuis l’automne der­nier, com­po­sé de sept membres, là encore dont la nomi­na­tion se fait par le minis­tère des finances mais qui exige l’accord préa­lable de la Troï­ka. Quelle est la tâche de ce Conseil ? La tâche de ce Conseil, qui était déjà pré­vue en tant que telle par le mémo­ran­dum, est d’activer des coupes bud­gé­taires auto­ma­tiques si les objec­tifs d’excédents bud­gé­taires ne sont pas atteints, donc s’il y a un soup­çon qu’ils ne seront pas atteints. Or dans une éco­no­mie qui est en réces­sion pour la sep­tième année consé­cu­tive, et mal­gré un véri­table écra­se­ment de la dépense publique, l’objectif qui est fixé est un excé­dent bud­gé­taire pri­maire, c’est-à-dire avant le rem­bour­se­ment de la dette, de 3,5 % du PIB pour à l’horizon 2018. 

    C’est des choses qu’aucune éco­no­mie au monde même les plus puis­santes n’est en mesure d’assurer. Donc il est cer­tain d’avance que cet objec­tif com­plè­te­ment irréa­liste ne va pas être tenu et les coupes bud­gé­taires seront acti­vées par le méca­nisme qui vient d’être voté main­te­nant et donc juri­di­que­ment ver­rouillé par le Par­le­ment grec de ce que les grecs appellent « κόπτης [kóp­tis] » ça veut dire au sens strict « le cou­peur », c’est-à-dire c’est ce méca­nisme auto­ma­tique qui va faire les coupes sans même que les coupes passent par un vote par­le­men­taire, par un simple décret. Donc dépos­ses­sion com­plète vrai­ment de ce qui pou­vait exis­ter encore de contrôle de la poli­tique, de ce qui res­tait de contrôle de la poli­tique macroé­co­no­mique, bon en réa­li­té très peu vu les mémorandums.

    Deuxième réforme de struc­ture, le Secré­ta­riat d’Etat aux reve­nus, ce qu’on appel­le­rait ici le Tré­sor Public je pense, est deve­nu com­plè­te­ment indé­pen­dant. Alors il était déjà auto­nome, c’est-à-dire qu’il pou­vait déci­der de façon propre de son bud­get et de ses actions. Ça c’était une condi­tion qui avait été posée dès le pre­mier mémo­ran­dum et c’est l’un des obs­tacles d’ailleurs aux­quels le pre­mier gou­ver­ne­ment Syri­za a dû faire face. La vice-ministre de l’économie, Nadia Vala­va­ni, a écrit des textes extrê­me­ment inté­res­sants qui racontent les démê­lés jus­te­ment du minis­tère pen­dant les pre­miers mois du pre­mier gou­ver­ne­ment Syri­za quand il a essayé de pas­ser un mini­mum de mesures favo­rables aux couches popu­laires. Mais là ça devient une agence com­plè­te­ment indé­pen­dante dont les déci­sions ont valeur de décrets minis­té­riels, qui a l’exclusivité de l’interprétation de la légis­la­tion en matière fis­cale, qui est contrô­lée direc­te­ment par des gens approu­vés par la Troï­ka, et en réa­li­té ça veut dire que la Troï­ka contrôle direc­te­ment la col­lecte des taxes, de l’impôt et du reve­nu de l’Etat grec.

    Donc on contrôle les taxes, on contrôle les dépenses, le sec­teur finan­cier est par­ti, la poli­tique moné­taire est à Frank­fort. Qu’est-ce qui reste ? Il reste que la Grèce est deve­nue un grand Koso­vo. Voi­là, en gros. Et cela se fait sous un gou­ver­ne­ment, Syri­za, qui dans les votes par­le­men­taires n’a eu qu’une seule perte en terme de voix et de dépu­tés c’est-à-dire moins que ce que le Pasok et la Nou­velle Démo­cra­tie avaient subi comme pertes au par­le­ment de leur propre groupe par­le­men­taire quand ils étaient au gou­ver­ne­ment et fai­saient pas­ser des mesures similaires.

    Inter­ven­tion d’une per­sonne dans le public : « Ça veut dire qu’il n’y a qu’un  dépu­té qui les a abandonnés ? »

    Kou­ve­la­kis répond et reprend : Un seul oui, une seule dépu­tée, qui a démis­sion­né. Elle a même, démis­sion­né ce qui veut dire que son siège a été rem­pli par le sup­pléant qui est un loya­liste elle n’a même pas pris la déci­sion disons de gar­der son siège et de conti­nuer à avoir une pré­sence indé­pen­dante au Par­le­ment (elle a voté contre deux mesures prin­ci­pales, c’était pas contre l’ensemble du paquet).

    Alors la deuxième chose main­te­nant, et je vais conclure cette pré­sen­ta­tion par cela : quel est l’état d’esprit qui existe en Grèce à l’heure actuelle ?

    Il ne faut pas se racon­ter des his­toires, on est dans l’onde de choc de la défaite. Les réac­tions sociales qu’il y a eu, des réac­tions sur le fond social en termes de mobi­li­sa­tions ou de grèves, étaient les plus faibles qu’on ait vues depuis le début de la période des mémo­ran­dums. Alors bien sûr on peut cher­cher des expli­ca­tions, l’état déla­bré du mou­ve­ment syn­di­cal, les choix qui sont faits  par des direc­tions syn­di­cales pour leur majo­ri­té cor­rom­pues qui, là, ont été aidées par la tac­tique à la fois atten­tiste et extrê­me­ment sec­taire du par­ti com­mu­niste. Mais ce qui à mon avis est encore plus impor­tant que cela c’est le cli­mat de démo­ra­li­sa­tion qui existe dans la socié­té. Les gens ont reçu un énorme coup de mas­sue sur la tête et l’état d’esprit qui règne c’est que quoi qu’on fasse, quoi qu’on vote, à la fin on se retrouve avec un mémo­ran­dum et il n’y a aucune issue qui appa­raît à ce tunnel.

    Et il faut bien com­prendre que l’issue n’apparaît pas à ce tun­nel car la barre est pla­cée tou­jours à ce niveau-là, c’est une pers­pec­tive, si pers­pec­tive alter­na­tive il y a, ce n’est pas pour construire une petite force mino­ri­taire qui va conti­nuer à accu­mu­ler des forces, même si en réa­li­té on ne peut pas faire autre chose pour l’instant que ça, mais pour la socié­té ce qu’elle ne voit pas c’est quelque chose qui trace une véri­table voie alter­na­tive. Et cela veut dire que c’est un constat d’échec pour l’ensemble des forces qui ont lut­té y com­pris celles qui ont lut­té contre le tour­nant et la capi­tu­la­tion de Syri­za, et on pour­ra reve­nir, pen­dant la dis­cus­sion si vous vou­lez, sur les rai­sons plus profondes.

    Alors ma der­nière remarque de conclu­sion sera la sui­vante : je crois que la vraie dis­cus­sion qui a com­men­cé en Europe c’est celle sur ce qu’on appelle les plans B, les plans alter­na­tifs. Alors vous savez qu’il y a déjà eu deux ini­tia­tives, l’une à Paris, l’autre à Madrid, Éric a par­ti­ci­pé aux deux il pour­ra nous en dire davan­tage. L’idée de ce plan B pour l’Europe c’est que il faut, si vous vou­lez, des plans B qui soient adap­tés aux diverses réa­li­tés et qui tirent la leçon de ce qui s’est pas­sé en Grèce. C’est-à-dire il est abso­lu­ment clair que si on s’engage dans une pers­pec­tive de rup­ture avec l’austérité et avec le néo­li­bé­ra­lisme sans avoir pré­vu les moyens concrets pour mener la confron­ta­tion avec les ins­ti­tu­tions euro­péennes, avec l’Union Euro­péenne, y com­pris d’ailleurs avec l’euro, avant tout d’ailleurs avec l’euro pour les pays qui en font par­tie, et avec les classes domi­nantes au niveau natio­nal, ces expé­riences n’auront pas d’issue dif­fé­rente que celle de la Grèce. Et par rap­port à ça, c’est bien sûr insuf­fi­sant comme conclu­sion mais c’est à mon avis le point de départ obli­gé pour toute réflexion, il faut abso­lu­ment aban­don­ner les illu­sions et les dis­cours sur chan­ger l’actuelle Union Euro­péenne, réfor­mer l’actuelle Union Euro­péenne, chan­ger gra­duel­le­ment le rap­port de force, reje­ter les gens qui pro­posent des solu­tions de rup­ture comme soit disant des natio­na­listes ou des gens qui veulent le repli natio­nal. Tout ceci en Grèce a fait la preuve du fait qu’il ne pou­vait conduire qu’au désastre. C’est un dis­cours de l’impuissance poli­tique. La rup­ture avec cela est une condi­tion abso­lu­ment pas suf­fi­sante mais tout à fait néces­saire pour enga­ger une réflexion sur le sujet.

    Mais il faut aller au-delà. Et l’Union Euro­péenne ce n’est pas sim­ple­ment l’euro et l’utilisation poli­tique de l’euro comme cela a été fait en Grèce pour bri­ser tout gou­ver­ne­ment natio­nal qui veut rompre avec les poli­tiques d’austérité. L’Union Euro­péenne c’est un modèle éco­no­mique qui pro­duit de la pola­ri­sa­tion en son sein, qui pro­duit des diver­gences et des pola­ri­sa­tions crois­santes entre les pays dits du centre et les pays de la péri­phé­rie. Et il y a deux péri­phé­ries en réa­li­té en Europe, il y a la péri­phé­rie du sud euro­péen au sens où je par­lais aupa­ra­vant et il y a la péri­phé­rie de l’est euro­péen éga­le­ment. Et l’Union Euro­péenne ce n’est pas sim­ple­ment ce qui se passe à l’intérieur de l’Union Euro­péenne, c’est aus­si ce qui se passe à l’extérieur de l’Union Euro­péenne. On ne peut pas ici ne pas appe­ler les choses par leur nom. L’Union Euro­péenne n’est pas sim­ple­ment une construc­tion qui ver­rouille le néo­li­bé­ra­lisme. Elle n’est pas sim­ple­ment une construc­tion qui détruit la démo­cra­tie, dépos­sède les peuples et les citoyens de leurs moyens de contrôle et d’action, à quelque niveau que ce soit. C’est une machine impé­ria­liste. Ce n’est pas un impé­ria­lisme uni­fié bien sûr. Il n’y a pas un impé­ria­lisme euro­péen en tant que tel. Mais la France est un pays impé­ria­liste. Et Fran­çois Hol­lande a été le pré­sident le plus va-t-en-guerre qu’on a vu pen­dant ces der­nières décen­nies. Fran­çois Hol­lande est dans la conti­nui­té de Guy Mol­let, Emma­nuel Valls évi­dem­ment de Jules Moch. La Grande-Bre­tagne aus­si est un pays impé­ria­liste. Et l’Allemagne est un pays qui n’a pas un impé­ria­lisme mili­taire mais qui a un impé­ria­lisme éco­no­mique, et pour laquelle la construc­tion euro­péenne est pré­ci­sé­ment le cadre où se déploie son impé­ria­lisme éco­no­mique. Et l’euro a bien enten­du été conçu dans cette perspective-là.

    Mais l’Union Euro­péenne fonc­tionne comme un impé­ria­lisme uni­fié sur au moins un niveau, et je ter­mi­ne­rai vrai­ment là par ça.

    C’est la construc­tion de l’Europe for­te­resse, qui est l’autre face jus­te­ment de la construc­tion euro­péenne. Et, comme cela était tout à fait pré­vi­sible, la capi­tu­la­tion com­plète de Tsi­pras, au niveau du mémo­ran­dum, au niveau du néo­li­bé­ra­lisme, au niveau des poli­tiques d’austérité, au niveau de la démo­cra­tie, a été sui­vie par sa bruyante appro­ba­tion de l’accord inique qui a été signé entre l’Union Euro­péenne et la Tur­quie, qui empêche les réfu­giés d’accéder à l’Europe et qui trans­forme la Grèce en garde-chiourme de la for­te­resse européenne.

    Parce que c’est ça le rôle qui est dévo­lu aux néo-colo­ni­sés. C’est d’accepter doci­le­ment le sort qui leur est fait et de ser­vir de flics de la for­te­resse, pour empê­cher que les va-nu-pieds du sud glo­bal atteignent les pays du centre impé­ria­listes, pros­pères et repus dans leur richesse.

    Et par rap­port à cela il faut sou­li­gner, et c’est de mon côté la seule nou­velle posi­tive que j’ai eu de la Grèce à une échelle signi­fi­ca­tive, que la socié­té grecque a réagi de manière posi­tive et soli­daire, dans sa majo­ri­té bien sûr, par rap­port à cette situa­tion. Je dirais que c’est une soli­da­ri­té des humbles, c’est une soli­da­ri­té de ceux qui se sentent eux aus­si écra­sés, qui n’ont pas peut-être per­du la mémoire qu’une par­tie impor­tante de la popu­la­tion grecque actuelle vient éga­le­ment de vagues de réfu­giés, a vécu la situa­tion de réfu­giés, leurs ancêtres ont vécu la situa­tion de réfu­giés en 1922, et a donc refu­sé de suivre les dis­cours racistes, xéno­phobes, qui n’ont pas man­qué, mais ce n’est pas eux qui l’ont empor­té dans la réac­tion de la société.

    Et je pense que cette réac­tion soli­daire de la socié­té montre qu’il reste des réflexes pro­fonds qui pour le moment ne peuvent pas trou­ver une voie col­lec­tive et arti­cu­lée pour s’exprimer mais qui dans l’avenir consti­tue­ront le socle de la résis­tance et de la mobi­li­sa­tion popu­laire à venir.

    Sta­this KOUVELAKIS.

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  8. fanfan

    Eric Tous­saint : « Après la capi­tu­la­tion de SYRIZA quelles stra­té­gies pour la Gauche en Europe ? » Dix pro­po­si­tions pour avancer.
    L’intervention fait suite à celle Sta­this Kou­vé­la­kis avec qui il don­nait une confé­rence le 4 juin 2016 à Paris sur le thème.
    Eric Tous­saint pré­sente dix pro­po­si­tions concer­nant les mesures prio­ri­taires qu’une force de gauche, pré­ten­dant arri­ver au gou­ver­ne­ment, s’en­gage à prendre en cas de vic­toire élec­to­rale et de par­ti­ci­pa­tion à un gou­ver­ne­ment. Ensuite il revient sur le bilan de la Grèce entre fin 2010 et 2015.
    Lien : https://​you​tu​.be/​Q​g​j​p​B​s​l​N​Qdc

    Renaud Vivien : « Com­ment remettre en cause le pro­gramme d’austérité grec, un an après sa signature ? »
    http://​www​.cadtm​.org/​C​o​m​m​e​n​t​-​r​e​m​e​t​t​r​e​-​e​n​-​c​a​u​s​e​-le

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