Formidable « étincelle zapatiste »

21/05/2016 | 9 commentaires

Vous allez aimer étu­dier ces expé­riences popu­laires au Chia­pas, je suis sûr, bande de virus démocratiques 🙂

Pre­mière approche, le résu­mé de Wikipédia :

« On peut consi­dé­rer l’au­to­no­mie zapa­tiste comme une forme d’au­to­gou­ver­ne­ment per­met­tant l’exer­cice d’une démo­cra­tie radi­cale (ou tout sim­ple­ment, d’une démo­cra­tie au sens plein du terme, dans laquelle le peuple exerce lui-même les tâches de gouvernement).

Il ne s’a­git donc en aucun cas d’une auto­no­mie enten­due au sens d’une simple décen­tra­li­sa­tion des pou­voirs d’État, comme c’est sou­vent le cas dans les pays européens.

Il s’a­git de la construc­tion d’une autre réa­li­té sociale et poli­tique, dans une pers­pec­tive anti­sys­té­mique. Comme dit l’un des membres d’un Conseil de bon gouvernement,

« l’au­to­no­mie est la construc­tion d’une nou­velle vie »

L’au­to­gou­ver­ne­ment implique que, peu à peu et de manière rota­tive, l’en­semble de la popu­la­tion par­ti­cipe aux tâches d’or­ga­ni­sa­tion de la vie collective.

La poli­tique cesse alors d’ap­pa­raître comme une acti­vi­té de « spé­cia­listes » ; elle est, lit­té­ra­le­ment, la chose de tous.

L’un des prin­cipes aux­quels se réfèrent les zapa­tistes est le man­dar obe­de­cien­do (gou­ver­ner en obéis­sant). Cet énon­cé para­doxal éloigne de la concep­tion habi­tuelle du pou­voir : celui qui exerce une charge de gou­ver­ne­ment doit le faire en obéis­sant à ceux qu’il doit « diriger ».

Pour­tant, le man­dar obe­de­cien­do n’im­plique pas une concep­tion stric­te­ment hori­zon­tale de l’or­ga­ni­sa­tion col­lec­tive (qui sup­po­se­rait que les assem­blées puissent être consul­tées en per­ma­nence et consti­tuent la seule source d’i­ni­tia­tive collective).

Au contraire, ceux à qui l’on confie des charges émi­nentes au sein des Conseils de bon gou­ver­ne­ment, s’ils doivent consul­ter les assem­blées autant que pos­sible, jouent néan­moins un rôle par­ti­cu­lier, parce qu’ils doivent par­fois prendre des déci­sions urgentes et parce qu’ils ont le devoir de pro­po­ser des ini­tia­tives pour amé­lio­rer en per­ma­nence l’or­ga­ni­sa­tion de la vie collective.

Enfin, lorsque les déci­sions ont été prises, à tra­vers le méca­nisme com­plexe de consul­ta­tion déjà indi­qué, les auto­ri­tés ont aus­si le devoir de faire res­pec­ter ce qui a été col­lec­ti­ve­ment décidé :

« l’au­to­ri­té com­mande sans don­ner d’ordre parce qu’elle le fait en obéis­sant aux citoyens… Celui qui com­mande doit obéir, mais les citoyens doivent aus­si obéir à ce que dit l’au­to­ri­té », explique un membre des Conseils.

Le « man­dar obe­de­cien­do » se décline en plu­sieurs prin­cipes dont le res­pect contri­bue à lut­ter contre la dis­so­cia­tion des gou­ver­nants d’a­vec le monde des gou­ver­nés (notam­ment « ser­vir et non se ser­vir », « convaincre et non vaincre », « pro­po­ser et non imposer »).

Comme l’ex­pliquent les zapa­tistes, l’au­to­no­mie consiste à « décou­vrir que nous sommes capables de nous gou­ver­ner nous-mêmes ».

Ce prin­cipe va rigou­reu­se­ment à l’en­contre de la sépa­ra­tion entre gou­ver­nants et gou­ver­nés, qui est au fon­de­ment de l’État moderne. En ce sens, l’ex­pé­rience zapa­tiste sug­gère la pos­si­bi­li­té d’ins­tau­rer des formes non éta­tiques de gouvernement. »

Source : wiki­pe­dia https://​fr​.wiki​pe​dia​.org/​w​i​k​i​/​Z​a​p​a​t​i​sme

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J’en­tends par­ler depuis 10 ans du Chia­pas et du sous-com­man­dant Mar­cos, bien sûr, et je sais depuis long­temps que je devrais l’é­tu­dier comme il faut. Mais il a fal­lu que je lise ce long et très inté­res­sant papier dans Bal­last — où Fré­dé­ric Lor­don est sévè­re­ment cri­ti­qué — pour com­men­cer vrai­ment ce tra­vail (tout arrive) :

[Pas­sion­nant]« Lor­don au Chiapas »
http://​www​.revue​-bal​last​.fr/​f​r​e​d​e​r​i​c​-​l​o​r​d​o​n​-​a​u​-​c​h​i​a​p​as/
Texte inédit pour le site de Ballast

Fré­dé­ric Lor­don, que nous avions lon­gue­ment inter­ro­gé pour le troi­sième numé­ro de notre revue papier, est l’un des pen­seurs radi­caux les plus sti­mu­lants de cette der­nière décen­nie. Éco­no­miste et phi­lo­sophe, il fer­raille contre ce qu’il tient pour des impasses, dans les rangs de l’é­man­ci­pa­tion : l’eu­ro­péisme béat, l’in­ter­na­tio­na­lisme incan­ta­toire et le consen­sus démo­cra­tique. Son der­nier ouvrage, Impe­rium, cible notam­ment la tra­di­tion liber­taire : si l’in­tel­lec­tuel mar­xiste loue cer­tains de ses traits, il n’en mord pas moins aux mol­lets anar­chistes en jurant de sa can­deur incon­sé­quente. Une vieille que­relle poli­tique : Marx et Prou­dhon avaient ouvert le bal fra­tri­cide il y a main­te­nant deux siècles de cela. Les liber­taires, c’est de bonne guerre, ne consentent pas à tendre l’autre joue : c’est ain­si que l’his­to­rien Jérôme Baschet, auteur d’ou­vrages de réfé­rence sur le zapa­tisme, entend décons­truire, par ce copieux article, le der­nier ouvrage de Fré­dé­ric Lor­don en s’ap­puyant sur l’ex­pé­rience révo­lu­tion­naire et auto­no­miste mexi­caine. Mais Baschet assure ne pas s’ins­crire dans une énième que­relle de cha­pelles ou d’ego entre intel­lec­tuels : assu­mer les ten­sions est la pre­mière étape pour avan­cer ensemble. Un dia­logue fruc­tueux — à condi­tion, hélas, d’en maî­tri­ser les contours. ☰  Par Jérôme Baschet


Débattre d’Impe­rium1, le der­nier ouvrage de Fré­dé­ric Lor­don, est cer­tai­ne­ment utile, tant la ligne de cli­vage entre l’op­tion anti-éta­tique à laquelle il s’en prend et l’op­tion éta­tique qu’il défend divise pro­fon­dé­ment. À l’ad­ver­saire qu’il se donne – la « pen­sée liber­taire » –, F. Lor­don prête quatre carac­té­ris­tiques : un idéal d’ho­ri­zon­ta­lisme abso­lu, la croyance en une nature humaine idéa­le­ment bonne, le carac­tère inné­ces­saire de l’État, un inter­na­tio­na­lisme uni­ver­sa­liste. Impe­rium a pour objec­tif de saper ces posi­tions. De les dégri­ser. Dégri­ser l’ho­ri­zon­ta­lisme : le social est néces­sai­re­ment ver­ti­cal. Dégri­ser l’an­ti-éta­tisme : il y aura tou­jours de l’État. Dégri­ser l’u­ni­ver­sa­lisme : il y a et il y aura tou­jours des appar­te­nances par­ti­cu­lières. Dégri­ser le « rous­seauisme » : il y a et il y aura de la ser­vi­tude pas­sion­nelle, de sorte que l’é­man­ci­pa­tion ne pour­ra être qu’in­com­plète. Avant d’a­bor­der ces quatre points de dis­cus­sion, on pour­ra rele­ver que la manière de construire l’ad­ver­saire – cette pen­sée par­fois qua­li­fiée de « libé­rale-liber­taire » – est pour le moins cava­lière, mal­gré quelques hom­mages ponc­tuels. Or, lors­qu’on pré­tend pro­po­ser une avan­cée à par­tir d’une réduc­tion des idées que l’on récuse à une cari­ca­ture d’elles-mêmes, on risque de ne pro­duire soi-même que la cari­ca­ture inverse de celle que l’on s’est faus­se­ment don­né comme adver­saire. Par ailleurs, et même si on ne peut négli­ger le fait que la conclu­sion affiche une claire détes­ta­tion de l’État dans sa forme actuelle (à quelques pru­dences préa­lables près, « État du capi­tal » dont il n’y a rien à faire d’autre que de cher­cher à « s’en débar­ras­ser » ; p. 318), l’é­la­bo­ra­tion sophis­ti­quée que F. Lor­don engage sous la ban­nière du spi­no­zisme se situe sur un plan réso­lu­ment abs­trait, écar­tant presque toute ana­lyse his­to­rique spé­ci­fique, pour s’en tenir à une sai­sie des impli­ca­tions poli­tiques des confi­gu­ra­tions pas­sion­nelles carac­té­ris­tiques d’une « nature humaine » (heu­reu­se­ment en par­tie modifiable).

« Dégri­ser l’an­ti-éta­tisme : il y aura tou­jours de l’État. Dégri­ser l’u­ni­ver­sa­lisme : il y a et il y aura tou­jours des appar­te­nances particulières. »

Dans ce contexte de haute abs­trac­tion, l’ex­pé­rience zapa­tiste fait par­tie des rares ancrages concrets aux­quels quelques pages sont consa­crées, avec sans doute pour inten­tion de prendre à contre-pied ses sym­pa­thi­sants : « Le Chia­pas [on sup­po­se­ra que le terme désigne la lutte zapa­tiste, à laquelle la géo­po­li­tique chia­pa­nèque ne se réduit pas, ndla] pré­sente les attri­buts… d’une struc­ture éta­tique » ; il est « une nation » (p. 131–132). On pour­rait s’a­mu­ser d’un dis­cours qui, éla­bo­ré si loin de son objet, ne craint pas, pour autant, d’as­sé­ner des sen­tences défi­ni­tives. Mais on pré­fé­re­ra prendre ces quelques para­graphes comme un hom­mage (iro­nique, mais qu’im­porte !) adres­sé à une expé­rience qui consti­tue l’un des rares points d’ap­pui poten­tiels accor­dés à l’ad­ver­saire dési­gné d’Impe­rium. Et puisque « le Chia­pas » s’est invi­té dans le débat, je me pro­pose de faire de l’au­to­no­mie zapa­tiste le ter­rain concret à par­tir duquel mettre à l’é­preuve la concep­tua­li­sa­tion lor­don­nienne2.

Une verticalité fourre-tout

À l’ad­ver­saire construit pour les besoins de sa cause et répu­té confit dans un idéal d’ho­ri­zon­ta­li­té poli­tique par­faite, F. Lor­don oppose une indé­pas­sable ver­ti­ca­li­té. Mais son pro­pos repose sur un enchaî­ne­ment logique per­ni­cieux, un usage biai­sé du terme « ver­ti­ca­li­té » et une notion confuse de la hié­rar­chie. C’est dans la consti­tu­tion même du social que le cha­pitre 2 ins­crit le carac­tère néces­saire de la ver­ti­ca­li­té. En bon dur­khei­mien, F. Lor­don rap­pelle que le social est plus qu’une col­lec­tion d’in­di­vi­dus et qu’il implique une cohé­sion qui ne sau­rait dépendre uni­que­ment des enga­ge­ments volon­taires ou des liens inter­per­son­nels. C’est ce qu’il nomme « l’ex­cé­dence du social » (du tout sur les par­ties), prin­cipe oppo­sé à une concep­tion contrac­tua­liste de l’or­ga­ni­sa­tion col­lec­tive (p. 60–62). Certes, l’ex­cé­dence du social ne relève pas d’une trans­cen­dance tom­bée du ciel mais d’une « trans­cen­dance imma­nente » qui pro­cède du plis­se­ment du social sur lui-même : c’est par « le tra­vail de sa propre puis­sance » que « la mul­ti­tude deve­nue com­mu­nau­té… s’est adjointe une nou­velle dimen­sion : la ver­ti­ca­li­té » (p. 67). Magie de la géo­mé­trie lor­do­nienne : l’é­pais­seur du plan plis­sé devient « nappe » et la ver­ti­ca­li­té est ce sup­plé­ment qui fait sor­tir d’une vision trop plate du col­lec­tif, com­pri­mé en deux dimen­sions, pour lui adjoindre cette mer­veilleuse troi­sième dimen­sion qui lui manquait…

(CC César Bojórquez)

Mais per­ni­cieuse géo­mé­trie tout de même, car si l’on peut bien accep­ter le prin­cipe de l’ex­cé­dence du social, rien n’o­blige à l’as­so­cier à la méta­phore de la ver­ti­ca­li­té. Tout le nœud de l’af­faire est là, dans le fait de lais­ser s’ins­tau­rer une confu­sion, aux consé­quences consi­dé­rables, entre l’ex­cé­dence du social consti­tué méta­pho­ri­que­ment en ver­ti­ca­li­té et l’exis­tence de rap­ports sociaux de domination/subordination. De fait, Impe­riumrepose sur un enchaî­ne­ment entre excé­dence du social, ver­ti­ca­li­té hié­rar­chique et, on le ver­ra plus loin, cap­ture éta­tique de la puis­sance de la mul­ti­tude. Dans la mesure où cette séquence est, le plus sou­vent, pré­sen­tée comme néces­saire, domi­na­tion et hié­rar­chie appa­raissent comme inhé­rentes à l’ordre du social. Or, tout ceci repose sur une fâcheuse impré­ci­sion : par elle-même, l’ex­cé­dence du social n’im­plique aucun rap­port de subor­di­na­tion entre les membres du col­lec­tif ; elle ne fait que pla­cer au-des­sus deux tous un prin­cipe géné­ral (que l’on peut, dans un voca­bu­laire ins­pi­ré de Spi­no­za, nom­mer « puis­sance de la mul­ti­tude »). Cet au-des­sus d’eux tous ne fait pas, par lui-même, sor­tir d’un rap­port d’é­ga­li­té entre les membres du col­lec­tif. Il n’y a donc aucune rela­tion néces­saire entre l’ex­cé­dence du social et la for­ma­tion d’une appro­pria­tion dif­fé­ren­ciée de la puis­sance, condui­sant à la conso­li­da­tion d’une hié­rar­chie entre les hommes. Que les formes his­to­ri­que­ment attes­tées de l’ex­cé­dence du social soient le plus sou­vent asso­ciées à l’exis­tence d’un pou­voir sépa­ré est évident, mais cela ne jus­ti­fie en aucun cas l’o­pé­ra­tion qui consiste à confondre par prin­cipe, d’une part, la sup­po­sée ver­ti­ca­li­té du rap­port entre les hommes et les prin­cipes du col­lec­tif auquel ils appar­tiennent et, d’autre part, la ver­ti­ca­li­té (effec­ti­ve­ment hié­rar­chique) qui peut s’ins­tau­rerentre les hommes eux-mêmes.

« L’ex­pé­rience zapa­tiste est étroi­te­ment liée à une orga­ni­sa­tion, l’EZLN, qui garde, aujourd’­hui encore, un carac­tère ver­ti­cal qu’elle n’a du reste jamais cher­ché à cacher. »

Un tel tour de passe-passe ne fait guère hon­neur à une volon­té démons­tra­tive qui, par ailleurs, s’emploie à impres­sion­ner par un luxe de raf­fi­ne­ments savants. S’a­gis­sant de la notion de com­mun, cela tourne à la pres­ti­di­gi­ta­tion3. Voi­là en effet le com­mun com­mué en ver­ti­ca­li­té, en domi­na­tion des hommes sur eux-mêmes. C’est un « com­mun au-des­sus de ses par­ties », car toute « forme de vie com­mune… est un com­mun de rang supé­rieur » (p. 220). À moins de n’é­non­cer qu’un truisme, on confond là, comme dans l’o­pé­ra­tion men­tion­née aupa­ra­vant, deux moda­li­tés du « au-des­sus », ce qui est bien fâcheux, car les consé­quences poli­tiques de cha­cune d’elles sont radi­ca­le­ment dif­fé­rentes. Un exemple encore : la conclu­sion du livre affirme que l’ho­ri­zon­ta­li­té voue toute com­mu­nau­té à l’ins­ta­bi­li­té et qu’au­cune ne peut durer si ce n’est « par le tra­vail d’une ver­ti­ca­li­té cachée, ou déniée. Par exemple, un lea­der cha­ris­ma­tique ou un gou­rou domi­na­teur. Ou bien, mais c’est encore un opé­ra­teur de ver­ti­ca­li­té, la force d’un affect com­mun consti­tu­tif d’une forme de vie ». On aura la cha­ri­té de sup­po­ser que F. Lor­don fait quelque dif­fé­rence entre affect com­mun et gou­rou domi­na­teur, mais il n’en reste pas moins que, du point de vue du prin­cipe même de la ver­ti­ca­li­té tel qu’il l’é­nonce, leur por­tée est iden­tique. On voit là à quelle per­ver­sion conduisent le glis­se­ment concep­tuel signa­lé et le pos­tu­lat selon lequel le social est, en son essence, verticalité.

Enga­geons main­te­nant un pre­mier « test » à l’é­preuve du Chia­pas. Vu le ren­ver­se­ment ana­ly­tique que F. Lor­don met en scène, celui-ci devrait être, pour ses arti­sans et par­ti­sans, l’É­den de l’ho­ri­zon­ta­lisme. Les choses sont pour­tant net­te­ment moins simples. En pre­mier lieu, l’ex­pé­rience zapa­tiste est étroi­te­ment liée à une orga­ni­sa­tion, l’EZLN, qui, pour avoir été capable d’as­su­mer une dyna­mique d’au­to-trans­for­ma­tion pro­fonde, n’en garde pas moins, aujourd’­hui encore, un carac­tère ver­ti­cal (au sens strict du terme) qu’elle n’a du reste jamais cher­ché à cacher4. Éga­le­ment recon­nue est l’in­te­rac­tion, en grande par­tie indue, entre les ins­tances civiles de l’au­to­no­mie et cette même struc­ture ver­ti­cale5. On peut, comme Gus­ta­vo Este­va, célé­brer le trans­fert pro­gres­sif par lequel la direc­tion poli­ti­co-mili­taire de l’EZLN res­ti­tue à ses membres civils le pou­voir qui lui avait été confié6  ; mais force est d’ad­mettre que ce pro­ces­sus n’est pas ache­vé et qu’il implique des ten­sions très concrètes, dont il serait loi­sible d’a­na­ly­ser des exemples pré­cis, entre des habi­tudes où l’in­té­rio­ri­sa­tion de la hié­rar­chie joue un cer­tain rôle et des atti­tudes exi­geant une pra­tique plus accom­plie de l’autonomie.

© Moy­sés Zúñi­ga Santiago

On revien­dra plus loin sur le fonc­tion­ne­ment des ins­tances auto­nomes zapa­tistes, mais on peut déjà tirer quelques remarques du prin­cipe dont elles se réclament, le « man­dar obe­de­cien­do », expli­ci­té par les modestes pan­neaux qu’on découvre en entrant dans les ter­ri­toires rebelles : « Ici, le peuple com­mande et le gou­ver­ne­ment obéit. » La manière dont les zapa­tistes expliquent ce prin­cipe et sa mise en pra­tique devrait suf­fire à décou­ra­ger toute lec­ture pure­ment « hori­zon­ta­liste » (si, par là, on entend le pri­mat abso­lu des assem­blées et le fait que le pou­voir de déci­sion soit en per­ma­nence éga­le­ment par­ta­gé par tous). Certes, exer­cer des charges (car­gos) dans les ins­tances de gou­ver­ne­ment en pra­ti­quant le man­dar obe­de­cien­do écarte la rela­tion de pou­voir-sur qui carac­té­rise la logique de l’ap­pa­reil d’É­tat, en tant que méca­nisme pro­gram­mé en vue du des­sai­sis­se­ment de la capa­ci­té col­lec­tive de déci­sion. Mais le man­dar obe­de­cien­do ne peut pas non plus être ana­ly­sé comme simple hori­zon­ta­li­té, car si les conseils de gou­ver­ne­ment doivent consul­ter lar­ge­ment et suivre ce que demandent les com­mu­nau­tés, il lui revient aus­si d’ap­pli­quer et faire res­pec­ter ce qui a été déci­dé au terme de la déli­bé­ra­tion col­lec­tive, ou encore lorsque l’ur­gence oblige à prendre des mesures sans pou­voir consul­ter7.

« Des femmes et des hommes, au Chia­pas et ailleurs, œuvrent concrè­te­ment et quo­ti­dien­ne­ment à inven­ter des formes poli­tiques qui ren­voient au musée des anti­qui­tés la sté­rile oppo­si­tion d’un hori­zon­ta­lisme idyl­lique et d’un ver­ti­ca­lisme détestable. »

En outre, un rôle spé­ci­fique d’i­ni­tia­tive et d’im­pul­sion estre­con­nu à ceux qui assument tem­po­rai­re­ment le sta­tut d’au­to­ri­té : « Tout n’est pas tou­jours hori­zon­tal. Tout ne vient pas du peuple. Il y a une par­tie ver­ti­cale, qui vient des auto­ri­tés, mais qui agit comme repré­sen­tant. Il faut que quel­qu’un prenne les ini­tia­tives. Mais la déci­sion, oui, elle est prise par le peuple »8. Plu­tôt que comme une totale hori­zon­ta­li­té qui court le risque de se dis­soudre par manque d’i­ni­tia­tives ou de capa­ci­tés à les concré­ti­ser, l’ex­pé­rience zapa­tiste – telle qu’elle s’est déve­lop­pée jus­qu’à pré­sent – invite à com­prendre le man­dar obe­de­cien­do comme arti­cu­la­tion de deux prin­cipes : d’une part, la capa­ci­té de déci­der réside pour l’es­sen­tiel non dans les ins­tances de gou­ver­ne­ment mais dans les assem­blées, en leurs dif­fé­rents niveaux ; de l’autre, on recon­naît à ceux qui assument une charge de gou­ver­ne­ment (de manière rota­tive et révo­cable) une fonc­tion spé­ci­fique dans le pro­ces­sus d’é­la­bo­ra­tion des déci­sions, ce qui ne va pas sans ouvrir le double risque d’une défi­cience ou d’un excès dans l’exer­cice de ce rôle. On ajou­te­ra, pour finir sur ce point, que ni la pen­sée liber­taire9 (ou anti-éta­tique) ni les pra­tiques qui lui cor­res­pondent ne sont néces­sai­re­ment le règne de l’ho­ri­zon­ta­lisme béat que, de très loin, ima­gine F. Lor­don. De ce fait, celui-ci bataille un peu inuti­le­ment contre les mou­lins à vent de ses propres fan­tasmes. Pen­dant ce temps, des femmes et des hommes, au Chia­pas et ailleurs, œuvrent concrè­te­ment et quo­ti­dien­ne­ment à inven­ter des formes poli­tiques qui ren­voient au musée des anti­qui­tés la sté­rile oppo­si­tion d’un hori­zon­ta­lisme idyl­lique et d’un ver­ti­ca­lisme détestable.

Un État (trop) général

La forme actuelle de l’É­tat n’est assu­ré­ment pas la seule pos­sible et c’est, très logi­que­ment, que F. Lor­don pose la néces­si­té d’un concept de l’É­tat qui ne se limite pas à ce cas par­ti­cu­lier. Pour lui, ce sera l’État géné­ral. Mais ne passe-t-on pas alors d’une signi­fi­ca­tion trop spé­ci­fique à un concept d’une por­tée si large qu’il en perd l’es­sen­tiel de sa per­ti­nence ? En tout cas – et il faut y insis­ter –, l’É­tat géné­ral lor­don­nien ne sau­rait être confon­du avec l’É­tat au sens habi­tuel du terme : ce serait donc un grave mal­en­ten­du que de réfé­rer au second ce qu’Impe­rium dit du pre­mier. Ain­si, affir­mer que « le Chia­pas » a recons­ti­tué un État pour­rait être contes­té s’il était ques­tion de l’É­tat au sens cou­rant, mais c’est l’É­tat géné­ral qui est dis­cu­té dans ces pages, de sorte qu’il n’y a là guère plus qu’une évi­dence, puisque tout le poli­tique est englo­bé sous la notion d’É­tat général.

(DR)

Celle-ci est assu­mée comme une caté­go­rie poli­tique limite. Elle plonge dans l’in­fra-poli­tique, puis­qu’elle n’est rien d’autre que la puis­sance de la mul­ti­tude, c’est-à-dire le social enten­du dans son excé­dence. Mais elle est, en même temps, une caté­go­rie véri­ta­ble­ment poli­tique, car c’est de là que les ins­ti­tu­tions poli­tiques tirent leur matière. « Ce droit que défi­nit la puis­sance de la mul­ti­tude » est ce que Spi­no­za nomme « impe­rium » et que F. Lor­don choi­sit de tra­duire par « État géné­ral ». Il est donc « le pou­voir qu’a la mul­ti­tude de s’au­to-affec­ter », mais aus­si la cap­ture éta­tique et la for­ma­tion d’un appa­reil de domi­na­tion. Ain­si, « la struc­ture élé­men­taire de la poli­tique qu’est l’impe­rium (l’au­to-affec­ta­tion de la mul­ti­tude) voue le corps poli­tique à expé­ri­men­ter la cap­ture – cap­ture interne par une de ses par­ties qui se subor­donne la masse des autres » (p. 197). Diantre ! Il y aurait donc un enchaî­ne­ment fatal condui­sant de la nature même du social à la ver­ti­ca­li­té de l’ex­cé­dence et, de là, à la cap­ture de la sou­ve­rai­ne­té col­lec­tive au béné­fice d’une domi­na­tion poli­tique exer­cée par certains.

« L’É­tat dans sa forme actuelle n’est bien sûr qu’une forme spé­ci­fique d’une réa­li­té plus ample – non de l’É­tat géné­ral, mais bien plu­tôt de l’É­tat en général. »

Cette même construc­tion notion­nelle per­met éga­le­ment, par exemple, d’af­fir­mer que les socié­tés sans État, étu­diées par Pierre Clastres, sont en fait des socié­tés à État (géné­ral). Mais, outre que la thèse la plus sin­gu­lière de ce der­nier (l’exis­tence de méca­nismes visant à contrer la pos­si­bi­li­té d’une dérive éta­tique) est esqui­vée – sans doute parce qu’elle cadre mal avec l’an­gé­lisme sup­po­sé de la pen­sée liber­taire –, son pro­pos cen­tral n’est nul­le­ment démen­ti. Car en quoi consiste cet Étatgéné­ral dont la décou­verte devrait désen­chan­ter le rêve pri­mi­ti­viste ? Réponse : il est « la force morale du groupe capable de domi­ner tous les membres du groupe et de s’im­po­ser à eux » (p. 126). Assu­ré­ment. Mais, répé­tons-le, quelle que soit la capa­ci­té d’en­vou­te­ment du voca­bu­laire lor­don­nien, l’É­tat géné­ral n’est pas l’É­tat et Lor­don, com­men­ta­teur de Clastres, ne peut que lui concé­der, comme en pas­sant, l’es­sen­tiel : il n’y a pas, chez les Gua­ra­ni, « d’ap­pa­reil éta­tique sépa­ré ». Ce qui ne l’empêche pas – et c’est bien ce qui peut paraître extra­va­gant – d’af­fir­mer que ces socié­tés « sont tout aus­si [je sou­ligne, ndla] ver­ti­ca­li­sées que les autres » (p. 128). Le concept lor­don­nien de ver­ti­ca­li­té comme celui d’É­tat géné­ral marquent ain­si leur inef­fi­ca­ci­té, dès lors qu’ils auto­risent à ne pas faire de dif­fé­rence – en essence, du point de vue de cette ver­ti­ca­li­té qui reste tou­jours la même – entre la chef­fe­rie sans pou­voir et, disons, l’ab­so­lu­tisme de droit divin. On peut alors sup­po­ser qu’en bonne géo­mé­trie lor­don­nienne une orga­ni­sa­tion col­lec­tive fon­dée sur le man­dat impé­ra­tif et révo­cable sera, elle aus­si, « tout aus­si ver­ti­ca­li­sée » qu’une dic­ta­ture mili­taire. On retrouve ici le pro­blème sou­le­vé au point pré­cé­dent : de même que l’u­sage qui est fait du concept de ver­ti­ca­li­té per­met de confondre excé­dence du social et rap­ports de domi­na­tion, celui d’É­tat géné­ral sub­sume la puis­sance de la mul­ti­tude en tant qu’elle s’exerce sur elle-même et la cap­ture de cette puis­sance au pro­fit d’un appa­reil sépa­ré ou d’un groupe par­ti­cu­lier. Est obli­té­rée la dif­fé­ren­cia­tion pour­tant déci­sive entre la « puis­sance de tous », vis-à-vis de laquelle cha­cun peut être dans un rap­port équi­valent, et le pou­voir-sur, véri­table rap­port de domi­na­tion entre les hommes.

Dans les der­nières pages, F. Lor­don affirme, à juste titre, que se débar­ras­ser de l’É­tat du capi­tal n’est pas se débar­ras­ser « de l’É­tat tout court – de l’É­tat en géné­ral » (p. 318). Lui, si soi­gneux dans l’emploi des mots, ne dit pas ici l’É­tat géné­ral, mais l’É­tat en géné­ral. Serait-ce qu’au stade des conclu­sions, il convient de faire valoir qu’elles s’ap­pliquent à quelque chose de plus que l’É­tat géné­ral ? Le lap­sus est cepen­dant bien­ve­nu et il invite à se sai­sir de cette dis­tinc­tion entre État géné­ral et État en géné­ral, dont l’ab­sence, dans l’ou­vrage, est peut-être ce qui auto­rise une constante équi­voque. L’É­tat dans sa forme actuelle n’est bien sûr qu’une forme spé­ci­fique d’une réa­li­té plus ample – non de l’É­tat géné­ral, mais bien plu­tôt de l’É­tat en géné­ral. L’É­tat géné­ral de F. Lor­don, c’est le poli­tique dans son ensemble10, c’est l’or­ga­ni­sa­tion de la puis­sance de tous. Quant à l’É­tat en géné­ral (au sens habi­tuel du terme), c’est ce qu’A­lexandre Mathe­ron qua­li­fie de « confis­ca­tion par les diri­geants de la puis­sance col­lec­tive de leurs sujets » (cité p. 111) ou ce que F. Lor­don lui-même iden­ti­fie comme « cap­ta­tion [de la sou­ve­rai­ne­té] en un appa­reil sépa­ré » (p. 336), pla­çant « des gou­ver­nants au-des­sus des gou­ver­nés » (p. 198–9).

© Mario Marlo

Au total, la construc­tion d’Impe­rium a ceci de per­ni­cieux qu’elle occulte l’en­jeu majeur d’une poli­tique de l’é­man­ci­pa­tion, dont le sou­ci devrait être de tra­cer une ligne de front entre les formes de domi­na­tion éta­tique et les formes non éta­tiques du poli­tique et, tout par­ti­cu­liè­re­ment, de nous aider à affi­ner l’a­na­lyse de la zone-fron­tière – tout sauf étanche ! – qui les sépare. Au contraire, F. Lor­don noie le pois­son de l’É­tat (en géné­ral) dans l’o­céan du poli­tique (l’É­tat géné­ral). La démarche serait fon­dée s’il démon­trait que le second conduit de manière abso­lu­ment néces­saire au pre­mier. C’est ce qu’on croit par­fois com­prendre, mais mal­gré tous les efforts déployés pour éta­blir un conti­nuum de l’un à l’autre et jouer de glis­se­ments subrep­tices, Impe­rium ne par­vient à éta­blir ni iden­ti­té ni enchaî­ne­ment fatal entre eux. On en conclu­ra que les thèses lor­don­niennes rela­tives à l’É­tat géné­ral ne peuvent, par elles-mêmes, s’ap­pli­quer à l’É­tat en géné­ral que par une cou­pable absence de dis­cer­ne­ment conceptuel.

« L’au­to­no­mie zapa­tiste mêle une extrême humi­li­té (le siège d’un conseil de bon gou­ver­ne­ment, c’est une petite mai­son en bois, une table et des bancs, quelques éta­gères et tout juste un ordi­na­teur) et une rela­tive com­plexi­té, qui met en jeu des inter­ac­tions entre ins­tances multiples. »

C’est pré­ci­sé­ment l’ex­pé­ri­men­ta­tion de formes poli­tiques non éta­tiques que l’au­to­no­mie zapa­tiste nous invite à explo­rer. Celle-ci mêle une extrême humi­li­té (le siège d’un conseil de bon gou­ver­ne­ment, c’est une petite mai­son en bois, une table et des bancs, quelques éta­gères et tout juste un ordi­na­teur) et une rela­tive com­plexi­té, qui met en jeu des inter­ac­tions entre ins­tances mul­tiples, ain­si qu’une l’ar­ti­cu­la­tion d’é­chelles dif­fé­rentes : la com­mu­nau­té (le vil­lage), la com­mune (l’é­qui­valent d’un can­ton) et la zone (les ter­ri­toires zapa­tistes en com­portent cinq, ayant cha­cune une exten­sion ter­ri­to­riale com­pa­rable à celle d’un dépar­te­ment). À chaque niveau, inter­agissent une assem­blée et des auto­ri­tés élues pour deux ou trois ans (agents com­mu­nau­taires, conseil muni­ci­pal, conseil de bon gou­ver­ne­ment). Les confi­gu­ra­tions sont dif­fé­rentes à chaque niveau et posent des ques­tions spé­ci­fiques, de sorte qu’on échappe ici au « para­lo­gisme sca­laire » consis­tant, selon F. Lor­don (p. 74), à pen­ser que les pro­blèmes poli­tiques se posent de la même manière à toutes les échelles. Ain­si, au niveau du vil­lage, l’in­te­rac­tion entre agent et assem­blée com­mu­nau­taire est étroite et presque constante. Le rôle du pre­mier est d’au­tant plus cir­cons­crit que la seconde se réunit aisé­ment et même rapi­de­ment, dès qu’un pro­blème exige dis­cus­sion col­lec­tive. Pour autant, l’agent n’en rem­plit pas moins un rôle spé­ci­fique, quoique res­treint : outre le sui­vi des déci­sions de l’as­sem­blée, sa capa­ci­té d’i­ni­tia­tive peut être vitale et son auto­ri­té lui confère la pos­si­bi­li­té d’exer­cer une influence par­ti­cu­lière sur la manière de trai­ter cer­taines ques­tions. À l’é­chelle de la zone, la situa­tion est dif­fé­rente. L’as­sem­blée se réunit moins aisé­ment (tous les deux ou trois mois, ou pour des rai­sons extra­or­di­naires) et la diver­si­té des déci­sions qu’il revient au conseil de bon gou­ver­ne­ment d’as­su­mer aug­mente. Tou­te­fois, pour les ques­tions les plus impor­tantes, notam­ment pour les pro­jets dans les domaines tels que la san­té, l’é­du­ca­tion, l’a­gro-éco­lo­gie, le pro­ces­sus d’é­la­bo­ra­tion et de prise des déci­sions est par­ta­gé avec l’as­sem­blée de zone. Celle-ci peut tran­cher, mais si aucun accord clair ne se dégage, il revient aux repré­sen­tants de toutes les com­mu­nau­tés d’en­ga­ger la dis­cus­sion dans leurs vil­lages res­pec­tifs afin de faire part à l’assemblée sui­vante d’un accord, d’un refus ou d’amendements. Le cas échéant, ces der­niers sont dis­cu­tés et l’assemblée éla­bore une pro­po­si­tion rec­ti­fiée, à nou­veau sou­mise aux com­mu­nau­tés. Plu­sieurs allers et retours entre conseil, assem­blée de zone et vil­lages sont par­fois néces­saires avant qu’une pro­po­si­tion puisse être adoptée.

Au-delà des moda­li­tés d’ar­ti­cu­la­tion entre le rôle des auto­ri­tés et celui des assem­blées, un enjeu essen­tiel tient aux formes de la délé­ga­tion. À par­tir de l’a­na­lyse de l’au­to­no­mie zapa­tiste, on peut pro­po­ser une dis­tinc­tion entre des formes de délé­ga­tion struc­tu­rel­le­ment dis­so­cia­tives et d’autres qui sont fai­ble­ment dis­so­cia­tives. Arti­cu­lées à d’autres carac­té­ris­tiques de la struc­ture sociale, les pre­mières ont pour voca­tion de pro­duire une sépa­ra­tion-cap­ture au pro­fit des gou­ver­nants-domi­nants ; ain­si, les formes clas­siques de la repré­sen­ta­tion sont l’or­ga­ni­sa­tion métho­dique (et, aujourd’­hui, de plus en plus patente) de l’ab­sence effec­tive du repré­sen­té. Les secondes réduisent autant que pos­sible la dis­so­cia­tion entre gou­ver­nants et gou­ver­nés, même si le risque que cette dis­so­cia­tion en vienne à se res­tau­rer n’est jamais absent. Aus­si, une poli­tique de l’au­to­no­mie ne vaut-elle que par les méca­nismes pra­tiques qu’elle invente sans cesse pour lut­ter contre ce risque et pour entre­te­nir une dyna­mique de décon­cen­tra­tion de l’exer­cice des fonc­tions d’au­to­ri­té. Que la déli­mi­ta­tion entre formes de délé­ga­tion dis­so­cia­tives et non dis­so­cia­tives ne soit jamais tout à fait assu­ré est bien clair, mais cela n’empêche pas de consi­dé­rer qu’il s’a­git d’une dua­li­té concep­tuelle per­ti­nente. On dira même qu’elle est le noyau de la dis­tinc­tion entre une poli­tique éta­tique – fon­dée sur l’or­ga­ni­sa­tion métho­dique d’une dépos­ses­sion de la puis­sance du col­lec­tif et sur la conden­sa­tion de l’au­to­ri­té en pou­voir-sur – et une poli­tique non éta­tique, laquelle écarte toute conso­li­da­tion de la dis­so­cia­tion entre gou­ver­nants et gou­ver­nés et lutte acti­ve­ment contre sa repro­duc­tion, de sorte que l’exer­cice de l’au­to­ri­té demeure essen­tiel­le­ment une mani­fes­ta­tion de la puis­sance col­lec­tive11.

Image du film ¡Viva Méxi­co ! de Nico­las Défos­sé, 2010

Encore faut-il indi­quer les carac­té­ris­tiques qui dif­fé­ren­cient concrè­te­ment les formes de délé­ga­tion for­te­ment ou fai­ble­ment dis­so­cia­tives. Pour les secondes, la révo­ca­bi­li­té des man­dats est un trait essen­tiel, jus­te­ment sou­li­gné par F. Lor­don. Mais l’ex­pé­rience zapa­tiste per­met d’en ajou­ter d’autres : faire en sorte que les charges poli­tiques ne puissent être des occa­sions de béné­fice per­son­nel (n’y sont atta­chés ni rétri­bu­tion, ni avan­tage maté­riel), de sorte qu’elles exigent une éthique effec­ti­ve­ment vécue du ser­vice ren­du ; absence de per­son­na­li­sa­tion et exer­cice plei­ne­ment col­lé­gial des charges ; contrôle de leur exer­cice par d’autres ins­tances ; non-concen­tra­tion des tâches d’é­la­bo­ra­tion des déci­sions. Mais on insis­te­ra sur­tout sur la de-spé­cia­li­sa­tion des rôles poli­tiques qui, au lieu d’être mono­po­li­sés par un groupe spé­ci­fique (classe poli­tique, caste fon­dée sur l’argent ou sur une autre forme de pou­voir sym­bo­lique ou de pres­tige, etc.), doivent faire l’ob­jet d’une cir­cu­la­tion géné­ra­li­sée au sein du col­lec­tif concer­né par ces déci­sions. Cela sup­pose de renon­cer – point dif­fi­cile ! – à lier le choix des délé­gués à l’é­va­lua­tion d’une « com­pé­tence » par­ti­cu­lière. Dans l’ex­pé­rience zapa­tiste, cela se tra­duit par le fait que les auto­ri­tés élues assument sans rou­gir n’en savoir pas plus – sinon même plu­tôt moins – que les autres, quant à la chose publique. Accep­ter cela, c’est la condi­tion d’une pleine dé-spé­cia­li­sa­tion du poli­tique. Enfin, une autre condi­tion pro­pre­ment déci­sive est la non-dis­so­cia­tion des modes de vie entre ceux qui exercent des charges, même de manière très tem­po­raire, et tous les autres. C’est la rai­son pour laquelle les membres des conseils de bon gou­ver­ne­ment (situés dans les centres régio­naux, les cara­coles, dont les vil­lages peuvent se trou­ver fort éloi­gnés) accom­plissent leur tâche par rota­tion, en se relayant par période de 10 à 15 jours, et ce afin de ne pas inter­rompre trop long­temps leurs acti­vi­tés habi­tuelles, de conti­nuer à s’oc­cu­per de leurs familles et de leurs terres. C’est une autre condi­tion jugée indis­pen­sable pour garan­tir la non-spé­cia­li­sa­tion des tâches poli­tiques et pour évi­ter que ne réap­pa­raisse une sépa­ra­tion entre l’u­ni­vers com­mun et le mode de vie de ceux qui, fut-ce pour un temps bref et de manière très déli­mi­tée, assument un rôle par­ti­cu­lier dans l’é­la­bo­ra­tion des déci­sions collectives.

Identité nationale contre rance universel

« Dans l’ex­pé­rience zapa­tiste, les auto­ri­tés élues assument sans rou­gir n’en savoir pas plus – sinon même plu­tôt moins – que les autres, quant à la chose publique. »

F. Lor­don nous enjoint d’as­su­mer le sen­ti­ment d’ap­par­te­nance, ciment réel des corps poli­tiques, ren­voyant l’u­ni­ver­sa­lisme à son manque de consis­tance. Que tout col­lec­tif pro­duise un sen­ti­ment d’ap­par­te­nance – atta­che­ment à ce même col­lec­tif et satis­fac­tion d’y avoir part –, on ne voit guère de rai­son de le récu­ser. « Appar­te­nance », le mot est du reste plu­tôt aimable, contrai­re­ment à celui d’i­den­ti­té, tenu pour équi­valent par F. Lor­don, mais qui, char­riant une rela­tion appau­vrie à soi-même, paraît déci­dé­ment trop com­pro­mis avec les concep­tions fixistes et sub­stan­tia­listes de l’ap­par­te­nance qu’il s’a­git d’é­car­ter. Quant à l’ac­cep­tion lor­don­nienne du mot « nation », elle est tout aus­si per­son­nelle que celle de la « ver­ti­ca­li­té » ou de l’« État (géné­ral) ». Il désigne en effet toute forme d’ap­par­te­nance à un col­lec­tif un tant soit peu sta­bi­li­sé et déli­mi­té – et ce, par oppo­si­tion à l’ap­par­te­nance au genre humain. Redé­fi­nie comme « com­mu­nau­té sou­ve­raine », fon­dée sur « le déci­der en com­mun », la nation est ici une « col­lec­ti­vi­té régie, non par un prin­cipe d’ap­par­te­nance sub­stan­tielle, mais par un prin­cipe de par­ti­ci­pa­tion – de par­ti­ci­pa­tion à une forme de vie » (p. 333). Mais si tout col­lec­tif fon­dé sur une forme de vie est une nation, il n’y a plus à s’é­ton­ner de lire que « le Chia­pas est une nation ». Tout aus­si bien, Lon­go Maï est une nation et le pla­teau de Mil­le­vaches idem. Mais quel sens y a‑t-il à nom­mer ain­si toute appar­te­nance à une enti­té poli­tique finie ? Sim­ple­ment pour faire place aux atta­che­ments par­ti­cu­liers ? Le choix ter­mi­no­lo­gique ne laisse pas alors d’être décon­cer­tant, et il importe de sou­li­gner que ce que l’on affirme de ces par­ti­cu­la­rismes ne dit rien, en propre, de ce que l’on appelle com­mu­né­ment nation. Ou alors choi­sit-on ce terme parce qu’il auto­rise, là encore, à pas­ser par glis­se­ments suc­ces­sifs de la « nation » au sens lor­don­nien à la nation au sens his­to­rique du terme ? Se repro­dui­rait alors le même tour de passe-passe qu’à pro­pos de la ver­ti­ca­li­té et de l’É­tat (géné­ral).

S’a­git-il de prô­ner une revi­ta­li­sa­tion de l’ap­par­te­nance à la nation (au sens cou­rant), contre la sup­po­sée détes­ta­tion, à gauche, du sen­ti­ment natio­nal ? D’un côté, F. Lor­don reven­dique « l’af­fect de fier­té natio­nale » et argu­mente qu’il peut être arra­ché à ce qu’il a pro­duit de pire, pour peu que l’on aban­donne les concep­tions sub­stan­tia­listes de la nation au pro­fit d’une approche adop­tant comme cri­tère de l’ap­par­te­nance « la par­ti­ci­pa­tion contri­bu­tive à l’ef­fort col­lec­tif de la per­sé­vé­rance du groupe dans l’être » (p. 271–2). D’un autre côté, il conclut qu’une tâche essen­tielle consiste à « se dés­in­toxi­quer de l’i­ma­gi­naire de la gran­deur natio­nale » (p. 310). Quoi qu’il en soit, F. Lor­don fait grand cas de l’ap­par­te­nance natio­nale : « Le pen­sable de notre époque est sta­to­na­tio­nal. » Argu­ment qui se pare du carac­tère indis­cu­table du réa­lisme, mais n’en reste pas moins dou­teux, dès lors que F. Lor­don lui-même s’au­to­rise ailleurs à pen­ser à rebrousse-poil de l’é­poque. Quant à la valo­ri­sa­tion du sen­ti­ment natio­nal, elle appelle au moins deux remarques. Si elle est, pour une large part, une créa­tion de l’É­tat moderne, il y a tout lieu de pen­ser qu’elle est fonc­tion­nelle à une domi­na­tion dont on ne peut que cher­cher se débar­ras­ser. Par ailleurs, on ne sau­rait trop rap­pe­ler que le sen­ti­ment national(iste) est une construc­tion lar­ge­ment arti­fi­cielle, impo­sant une pré­émi­nence exclu­sive au sein d’un entre­la­ce­ment d’ap­par­te­nances mul­tiples (cette appar­te­nance-là occulte toutes les autres pour deve­nir, pré­ci­sé­ment, une « iden­ti­té ») et qu’une nation est d’a­bord une « com­mu­nau­té ima­gi­née »12.

(DR)

Mais l’es­sen­tiel, dans Impe­rium, semble plu­tôt consis­ter à défendre l’exis­tence des par­ti­cu­la­rismes, contre l’u­ni­ver­sa­lisme prê­té à la gauche inter­na­tio­na­liste. Pour F. Lor­don, l’u­ni­ver­sa­lisme n’est qu’une « chi­mère » (p. 100), une idée sans consis­tance qui dénie la force des « com­mu­nau­tés poli­tiques exis­tant réel­le­ment ». On pour­ra juger réduc­trice, sinon dou­teuse, la manière dont est trai­té l’af­fect inter­na­tio­na­liste, exé­cu­té au motif de sa décon­fi­ture en 1914. Mais ce qui est vrai­ment mal­en­con­treux est que, cette fois encore, F. Lor­don choi­sisse si mal sa cible et parte en guerre contre une concep­tion bien ran­cie de l’u­ni­ver­sa­lisme (le cha­pitre IX opte pour un dia­logue avec l’œuvre de Badiou). L’ad­ver­saire, construit ad hoc, veut « l’u­ni­ver­sel comme affran­chis­se­ment com­plet d’a­vec toute par­ti­cu­la­ri­té, c’est-à-dire comme seul appel à l’hu­ma­ni­té géné­rique des hommes, convo­qués hors de toute autre pro­prié­té dis­tinc­tive » (p. 280). C’est l’u­ni­ver­sel comme déliai­son et « arra­che­ment de la glèbe » des par­ti­cu­la­rismes. F. Lor­don a beau jeu, alors, de dénon­cer une opé­ra­tion impos­sible, dès lors que toute des­ti­née humaine est tis­sée des appar­te­nances sin­gu­lières qui l’ont consti­tuée. Mal­heu­reu­se­ment, dans la phrase citée, comme ailleurs, il se révèle inca­pable d’en­vi­sa­ger que plu­sieurs échelles d’ap­par­te­nance puissent ne pas être mutuel­le­ment exclu­sives et omet d’en­vi­sa­ger qu’une autre concep­tion de l’u­ni­ver­sel puisse s’af­fir­mer sans nier les par­ti­cu­la­ri­tés. De ce fait, la cri­tique de l’u­ni­ver­sa­lisme demeure tron­quée. Il remarque certes que cet uni­ver­sel est pro­duit à par­tir d’un sub­strat par­ti­cu­lier : il n’est que l’u­ni­ver­sa­li­sa­tion de valeurs par­ti­cu­lières. Mais cette concep­tion même de l’u­ni­ver­sel n’est pas ana­ly­sée de manière cri­tique ; elle est seule­ment récu­sée. S’in­ter­ro­geant par exemple sur « les grandes œuvres de l’his­toire cultu­relle », F. Lor­don indique qu’elles « saisis[sent] quelque chose de l’hu­ma­ni­té géné­rique et s’adress[ent] aux hommes dans leur huma­ni­té géné­rique, sans faire accep­tion d’au­cune autre qua­li­té par­ti­cu­lière » (p. 303). On reste sidé­ré que le maître des affects ima­gine que l’on puisse être tou­ché par une œuvre en tant qu’être humain géné­rique, c’est-à-dire en fai­sant abs­trac­tion de toutes les sin­gu­la­ri­tés qui, pré­ci­sé­ment, nous rendent capable d’af­fects. À l’é­vi­dence, ces œuvres n’ex­priment aucune huma­ni­té géné­rique ; elles ont sim­ple­ment la puis­sance, à par­tir d’une forme par­ti­cu­lière de l’ex­pé­rience humaine, de réson­ner auprès d’autres huma­ni­tés par­ti­cu­lières. Ce qui est en jeu est de l’ordre du trans-his­to­rique, nul­le­ment d’une géné­ri­ci­té anhistorique.

« Dans les ren­contres et les fêtes zapa­tistes, on chante l’hymne mexi­cain, avant même l’hymne zapa­tiste, et on rend les hon­neurs au dra­peau natio­nal, ce qui ne va pas sans faire grin­cer bien des dents par­mi les sym­pa­thi­sants libertaires. »

Alors que F. Lor­don fait la démons­tra­tion de son inca­pa­ci­té à pen­ser des appar­te­nances mul­tiples et emboî­tées, comme à dépas­ser le cadre de l’u­ni­ver­sa­li­té abs­traite héri­tée des Lumières, il y aurait sur ce point une belle leçon à tirer des pro­po­si­tions zapa­tistes. Certes, F. Lor­don sug­gère que le Chia­pas « offre peut-être l’une des meilleures illus­tra­tions contem­po­raines » de ce qu’il appelle une nation (p. 333). Loin de la nation au sens cou­rant du terme, il s’a­git, selon lui, d’une appar­te­nance à l’in­di­gé­ni­té, refor­mu­lée dans une pers­pec­tive uni­ver­selle ouverte (p. 131–132). Cela évite au moins les pon­cifs par­fois assé­nés sur le carac­tère essen­cia­liste d’une lutte pure­ment eth­nique. Mais ce qui est curieux, du point de vue même de F. Lor­don, c’est qu’il ignore entiè­re­ment, dans sa construc­tion de la sup­po­sée nation zapa­tiste, tout ce qui se réfère à la nation au sens his­to­rique du terme13. Dans les ren­contres et les fêtes zapa­tistes, on chante l’hymne mexi­cain, avant même l’hymne zapa­tiste, et on rend les hon­neurs au dra­peau natio­nal, ce qui ne va pas sans faire grin­cer bien des dents par­mi les sym­pa­thi­sants liber­taires – les­quels n’en ont que plus de mérite de ten­ter de com­prendre au-delà de ce que leurs aver­sions spon­ta­nées leur com­man­de­raient de conclure. F. Lor­don, qui aime­rait tant que l’on parle de la nation autre­ment qu’en termes de célé­bra­tion éter­ni­taire ou de répul­sion vis­cé­rale, aurait donc pu trou­ver chez les zapa­tistes, comme auprès d’autres luttes en Amé­rique latine, une conjonc­tion du pro­jet d’é­man­ci­pa­tion et de l’at­ta­che­ment à la nation (his­to­rique).

Mais le plus inté­res­sant est ailleurs : ce sont (au moins) trois échelles d’ap­par­te­nance qu’ar­ti­cule le zapa­tisme, à la fois sou­lè­ve­ment indi­gène pour la digni­té retrou­vée et pour l’au­to­no­mie, lutte de libé­ra­tion natio­nale pour trans­for­mer le Mexique et rébel­lion anti-capi­ta­liste pour l’humanité. Même si cette arti­cu­la­tion n’a pas tou­jours été sans ten­sions, elle trans­forme le sens de cha­cun des registres concer­nés et per­met d’écarter les périls que cha­cun d’eux, pris iso­lé­ment, pour­rait com­por­ter. Ain­si, l’ethnicisme essen­tia­liste est évi­té au pro­fit d’une concep­tion ouverte de l’in­dia­ni­té, qui ne se laisse pas cir­cons­crire à la reven­di­ca­tion d’une iden­ti­té cultu­rel­le­ment défi­nie et consti­tue bien plu­tôt le point d’an­crage d’une lutte pour la trans­for­ma­tion sociale et poli­tique, asso­ciant indiens et non indiens14. Ce que l’ap­par­te­nance natio­nale pour­rait avoir d’ex­clu­sive et d’in­to­lé­rante est déjoué par sa com­bi­nai­son avec un inter­na­tio­na­lisme mis en acte avec constance depuis l’or­ga­ni­sa­tion de la Ren­contre inter­con­ti­nen­tale pour l’hu­ma­ni­té et contre le néo­li­bé­ra­lisme, en 1996, tan­dis que l’u­ni­ver­sa­lisme abs­trait, qui finit par être un ins­tru­ment de néga­tion des dif­fé­rences réelles entre les femmes et les hommes qui com­posent l’humanité, est récu­sé par le fait même de son asso­cia­tion avec les autres échelles d’appartenance.

(DR)

Sur ce der­nier point, l’ex­pé­rience zapa­tiste est riche d’ins­pi­ra­tion pour enga­ger la construc­tion d’une autre concep­tion de l’u­ni­ver­sel. Non un uni­ver­sel abs­trait pos­tu­lant une « huma­ni­té géné­rique », mais un uni­ver­sel concret pen­sé à par­tir des sin­gu­la­ri­tés consti­tu­tives de la mul­ti­pli­ci­té des expé­riences humaines. Dans la pro­cla­ma­tion de la major Ana Maria, lors de la Ren­contre inter­con­ti­nen­tale de 1996 – « nous sommes tous égauxparce que nous sommes dif­fé­rents » – le para­doxal « parce que » brise l’idée selon laquelle l’égalité et l’unité humaines devraient être défi­nies en dépit des dif­fé­rences entre les indi­vi­dus, les peuples et les sexes. Il reven­dique une éga­li­té éla­bo­rée à par­tir des dif­fé­rences, sur la base de leur pleine recon­nais­sance. Au lieu de pen­ser l’humanité en pos­tu­lant l’identité abs­traite de tous les humains et en déniant leur diver­si­té réelle, l’u­ni­ver­sel peut – et doit – se fon­der sur la recon­nais­sance de la diver­si­té des êtres humains et de la mul­ti­pli­ci­té de leurs formes de vie. La for­mule que les zapa­tistes mettent en œuvre – par exemple dans leurs pra­tiques édu­ca­tives – consiste à viser à la fois plus de soi et plus de l’autre. Ils invitent à pen­ser la com­plé­men­ta­ri­té des appar­te­nances par­ti­cu­lières, ancrées dans des expé­riences ter­ri­to­ria­li­sées sin­gu­lières, et le sou­ci d’une com­mu­nau­té pla­né­taire en quête de son accom­plis­se­ment. Mais il faut pour cela ces­ser de pos­tu­ler un uni­ver­sel géné­rique et faire pré­va­loir la construc­tion, ô com­bien ardue, d’une uni­ver­sa­li­té conçue comme tra­ver­sées mutuelles des singularités.

Anthropologie boiteuse et émancipation triste

« L’ex­pé­rience zapa­tiste est riche d’ins­pi­ra­tion pour enga­ger la construc­tion d’une autre concep­tion de l’universel. »

S’a­gis­sant de la ques­tion anthro­po­lo­gique, déci­sive pour la pen­sée des formes poli­tiques, F. Lor­don entend pro­po­ser une posi­tion équi­li­brée : refu­ser l’i­dée – « l’illu­sion occi­den­tale », dirait Mar­shall Sah­lins – d’une nature humaine per­verse et égoïste, condui­sant à la néces­si­té d’un pou­voir sur­plom­bant (Église, puis État), tout autant qu’une concep­tion pos­tu­lant « l’ex­clu­si­vi­té des pas­sions bonnes », « condi­tion de pos­si­bi­li­té anthro­po­lo­gique de [la] forme poli­tique rêvée » de l’ho­ri­zon­ta­lisme (p. 251). Il s’a­git de récu­ser une « anthro­po­lo­gie hémi­plé­gique » (p. 27), qui ne pren­drait en compte qu’un seul ver­sant de cet homme bi-face, tis­sé d’af­fects pas­sifs et actifs, de conve­nance autant que de dis­con­ve­nance pas­sion­nelle15. On accep­te­ra une carac­té­ri­sa­tion qui a l’a­van­tage d’é­car­ter à la fois la néces­si­té du Lévia­than hob­bes­sien et l’i­déal d’une socié­té par­faite et sans conflit. Mais, outre que F. Lor­don, ici encore, cari­ca­ture effron­té­ment la pen­sée liber­taire en la rame­nant au rêve d’at­teindre « les plaines de la paix civile per­pé­tuelle » où règne la « coexis­tence har­mo­nieuse des com­muns » (p. 100), on lui repro­che­ra de ne pas tenir l’é­qui­libre annon­cé entre les deux ver­sants des pen­chants humains. C’est que l’en­jeu d’Impe­rium est de faire la guerre à la pen­sée anti-éta­tique, en même temps que d’é­vi­ter d’être pris en défaut de réa­lisme anthro­po­lo­gique. C’est donc le ver­sant des ten­dances à la dis­con­ve­nance qui est sys­té­ma­ti­que­ment sou­li­gné et c’est lui seul, ou presque, qui est opé­rant quant à la déter­mi­na­tion des formes poli­tiques viables. Quant à l’autre ver­sant, celui des pen­chants à la coopé­ra­tion par exemple, il fait l’ob­jet d’une mino­ra­tion constante et n’ouvre guère d’autre option poli­tique spé­ci­fique, selonImpe­rium, que l’illu­sion de l’as­so­cia­tion­nisme hori­zon­tal. L’an­thro­po­lo­gie poli­tique lor­don­nienne ne marche donc pas sur ses deux pieds, et on peut craindre qu’elle en revienne, sous cou­vert de spi­no­zisme, à une moda­li­té un peu hon­teuse d’hob­be­sia­nisme. Du reste, F. Lor­don n’hé­site pas à affir­mer que « « sous la conduite des pas­sions plus que de la rai­son », le monde sans État n’est pas le monde des asso­cia­tions : il est le monde des bandes » (p. 89). Il a beau répé­ter qu’il faut voir en l’homme et le loup et le dieu, c’est le loup seul, ou presque, qui occupe, chez lui, la scène politique.

Dans ces condi­tions, quelles sont les chances de l’é­man­ci­pa­tion ? Impe­rium en pro­pose une concep­tion pru­dente et hau­te­ment res­tric­tive. Les ambi­tions éman­ci­pa­trices sont néces­sai­re­ment bor­nées (p. 296) et le com­mu­nisme est « inat­tei­gnable com­plè­te­ment », ce qui n’empêche pas de le dési­rer (p. 310). F. Lor­don mul­ti­plie les cau­tions de « réa­lisme cri­tique » et pré­tend récu­ser à la fois le « déni de ser­vi­tude pas­sion­nelle » et le « renon­ce­ment réac­tion­naire empres­sé » (p. 301). Sauf que, si vive est sa crainte d’être pris en défaut que, jus­qu’à la page 255 du livre, sa manière de rai­son­ner ne dif­fère guère de celle du « réa­lisme conser­va­teur ». Les choses changent ensuite, timi­de­ment certes, mais cela ne sau­rait être négli­gé : ain­si avance-t-il, par exemple, que « rappe­ler que les modes sont modi­fiables ouvre une for­mi­dable pos­si­bi­li­té de prin­cipe » (p. 259). Mais on sent l’é­co­no­miste-phi­lo­sophe si crain­tif de se lais­ser aller à libé­rer cette « for­mi­dable pos­si­bi­li­té », de peur sans doute de trop lâcher la bride, qu’il sté­ri­lise l’é­la­bo­ra­tion pos­sible d’une théo­rie poli­tique de l’émancipation.

(DR)

Il est sans doute judi­cieux de faire voir ce qu’une révo­lu­tion ne peut pas – la réa­li­sa­tion magique d’un monde par­fait. Et on peut, à la limite, com­prendre le sou­ci de la rendre à la fois dési­rable et cré­dible. Mais l’ex­cès de pru­dence (est-elle même réa­liste ?) oublie trop de la rendre dési­rable, en refer­mant bien vite l’ho­ri­zon des pos­sibles sur l’exis­tant, le déjà connu. S’il y a bien une chose qui n’a pas sa place sous l’é­lé­gance recher­chée de la plume lor­don­nienne, c’est l’en­thou­siasme. Cela tient peut-être en par­tie à l’ha­bi­tus uni­ver­si­taire, pour lequel ce pen­chant est per­çu comme un man­que­ment à l’é­thos pro­fes­sion­nel de dis­tan­cia­tion cri­tique, expo­sant au ter­rible soup­çon de naï­ve­té. Pour­tant, n’y aurait-il pas quelque rai­son de s’en­thou­sias­mer un tant soit peu, sans pour autant perdre toute vigi­lance cri­tique, à la pen­sée de ce que la sor­tie – dif­fi­cile, lente, conflic­tuelle – de la socié­té de la mar­chan­dise ouvri­rait de pos­sibles inédits ? Mais l’i­ma­gi­naire lor­don­nien de l’é­man­ci­pa­tion fait trop de place aux affects tristes et bien peu aux affects joyeux. Son idée de la révo­lu­tion est assu­ré­ment dégri­sée, mais elle est aus­si bien grise.

« L’au­teur d’Impe­rium lie essen­tiel­le­ment la trans­for­ma­tion de l’hu­main à l’é­du­ca­tion, plu­tôt qu’à la trans­for­ma­tion des condi­tions mêmes de l’existence. »

Impe­rium fait tou­te­fois une place remar­quable à la puis­sance trans­for­ma­trice du moment insur­rec­tion­nel, asso­cié à l’in­ten­si­té de la lutte com­mune, dans l’ur­gence et le dan­ger. Pour­tant, comme épou­van­té par le poten­tiel de trans­for­ma­tion ain­si convo­qué, F. Lor­don s’empresse de refer­mer la porte à peine entr’ou­verte : cela ne peut être qu’un moment fugace et, dès l’ef­fer­ves­cence du moment insur­rec­tion­nel pas­sée, pré­vaut « la sta­bi­li­sa­tion de nou­veaux rap­ports sociaux ». Après l’in­can­des­cence de l’in­cen­die, les froides « cendres de l’or­di­naire » (p. 339). Juste quelques jours d’embrasement, puis tout rentre dans la conve­nance de l’ordre ins­ti­tué, comme si une nou­velle forme de vie était sor­tie tout armée de l’in­ten­si­té émeu­tière. Quelle extra­va­gante concep­tion de la révo­lu­tion ! – qui repro­duit de la manière la plus gros­sière la mytho­lo­gie du Grand Soir, pour­tant gaus­sée, et qui éva­cue toute pers­pec­tive d’un pro­ces­sus conti­nué, construi­sant une réa­li­té col­lec­tive sans cesse renou­ve­lée16. Quant aux expé­ri­men­ta­tions pré­sentes de formes de vie non capi­ta­listes, elles pour­raient avoir la ver­tu, concède F. Lor­don, de pro­duire à froid ce que le moment insur­rec­tion­nel engendre à chaud. On aurait alors la confir­ma­tion d’un état des affects révo­lu­tion­naires à haute tem­pé­ra­ture et en même temps durable (p. 264–6). Il faut donc, là encore, faire marche arrière et adop­ter un point de vue fran­che­ment dépré­cia­tif sur ces expé­riences, qua­li­fiées « d’i­so­lats » pour « vir­tuoses de la révo­lu­tion », « voués à ne ras­sem­bler que les convain­cus ». Mais c’est là cou­pa­ble­ment mini­mi­ser ce qu’il y a à apprendre d’elles et l’af­fir­ma­tion brille de la gra­tui­té d’une pure péti­tion de prin­cipe : c’est exclure d’emblée une force d’at­trac­tion sus­cep­tible de s’exer­cer sur ceux qui n’en sont pas encore – une force qui, le moment venu, pour­rait bien s’a­vé­rer décisive.

Sans doute est-il salu­taire de prendre ses dis­tances vis-à-vis d’une concep­tion totale de l’é­man­ci­pa­tion, d’ad­mettre les effets poten­tiel­le­ment diver­gents de la ser­vi­tude pas­sion­nelle et d’é­car­ter le mirage d’une socié­té débar­ras­sée de tout conflit. Mais il convient aus­si, symé­tri­que­ment, de ne pas mini­mi­ser les capa­ci­tés d’au­to-trans­for­ma­tion et d’in­ven­ti­vi­té, et de faire toute sa place, en termes de pos­si­bi­li­tés d’a­gen­ce­ments poli­tiques, au ver­sant posi­tif et coopé­ra­tif d’une anthro­po­lo­gie véri­ta­ble­ment bi-face. Visi­ble­ment angois­sé, F. Lor­don craint pour la révo­lu­tion : « Qui va des­cendre les pou­belles ? » (p. 294). La ques­tion n’a rien de tri­viale, si l’on entend par là l’in­ter­ro­ga­tion sur les « mobiles par les­quels on se plie aux réqui­si­tions de son inser­tion per­son­nelle dans un agen­ce­ment col­lec­tif ». L’au­teur d’Impe­rium lie essen­tiel­le­ment la trans­for­ma­tion de l’hu­main à l’é­du­ca­tion, plu­tôt qu’à la trans­for­ma­tion des condi­tions mêmes de l’exis­tence. Il note cepen­dant que l’op­po­si­tion entre atti­tudes coopé­ra­tives ou com­pé­ti­tives dépend, non d’une quel­conque nature humaine, mais des « condi­tions externes telles qu’elles vont induire pré­fé­ren­tiel­le­ment tels ou tels méca­nismes pas­sion­nels » (p. 248–9). Ce point est d’une extrême impor­tance et on regrette que F. Lor­don s’y inté­resse si peu et ne fasse presque jamais men­tion des dif­fé­rences radi­cales qui pour­raient exis­ter, quant à ces condi­tions, entre le réel actuel et la plu­ra­li­té des mondes post-capi­ta­listes. Or, c’est tout à la fois la nature et l’é­chelle des pro­blèmes à résoudre (par exemple ceux qui découlent des modes de pro­duc­tion des déchets) et les formes de sub­jec­ti­vi­té qui se trou­ve­raient très pro­fon­dé­ment modi­fiés. Enfin, la « ques­tion des pou­belles » pour­rait être, sinon réso­lue, du moins éclai­rée en convo­quant la concep­tion contri­bu­tive de l’ap­par­te­nance, pro­po­sée par F. Lor­don lui-même. Il y a désir de contri­buer, parce qu’il y désir d’ap­par­te­nance. Sans pos­tu­ler une dis­si­pa­tion de toutes les ques­tions orga­ni­sa­tion­nelles par la seule ver­tu d’en­thou­siasmes inépui­sables et tou­jours bien agen­cés les uns aux autres, on ne sau­rait mini­mi­ser l’éner­gie des dési­rs contri­bu­tifs, dès lors qu’ils sont aus­si désir de faire exis­ter la forme de vie que l’on éprouve comme propre (sans exclure qu’en cas de défaillance, le rap­pel des règles col­lec­tives et le recours à une forme de média­tion puissent être nécessaires).

(DR)

Il y a, dans l’au­to­no­mie zapa­tiste, matière à reje­ter l’op­po­si­tion que F. Lor­don éta­blit entre le feu du moment insur­rec­tion­nel et les len­de­mains de cendre. Car voi­là une expé­rience qui résiste, avance, construit une « uto­pie réelle » depuis 22 ans, mal­gré les offen­sives contre-insur­rec­tion­nelles de tous ordres, lan­cées contre elle. Et elle ne tient que par l’en­ga­ge­ment quo­ti­dien de ses membres. Il serait vain de nier que la fatigue, pour cer­tains plus que pour d’autres, s’in­si­nue dans cette guerre (d’u­sure, jus­te­ment). Mais il y a tou­te­fois assez d’éner­gie renou­ve­lée pour sou­te­nir dura­ble­ment le goût de vivre dans la lutte. « Le Chia­pas » ne se réduit ni au feu du sou­lè­ve­ment insur­rec­tion­nel ni aux cendres d’un ordi­naire rede­ve­nu gris : ses braises se renou­vellent depuis plus de deux décen­nies, non sans quelques étin­celles jaillis­sant vers d’autres cieux. Les zapa­tistes nous invitent du reste à une autre concep­tion de l’or­di­naire, lors­qu’ils affirment : « Somos rebeldes porque somos gente común [Nous sommes rebelles parce que nous sommes des gens ordi­naires] ». Des vir­tuoses, les zapa­tistes ? D’humbles vir­tuoses de l’or­di­naire, sans doute. Mais à quoi tient l’éner­gie sub­jec­tive tran­quille de leur art simple de faire d’autres mondes ? Cer­tai­ne­ment pas à une quel­conque essence indienne (encore qu’on ne sau­rait négli­ger le fait que le sens du col­lec­tif soit, là-bas, ten­dan­ciel­le­ment plus déve­lop­pé qu’i­ci). Durant la « petite école zapa­tiste », l’un desmaes­tros nous a deman­dé : « Et vous, est-ce que vous vous sen­tez libres ? » Pour eux, la réponse est claire. Ils ont fait le choix de vivre dans la lutte et de construire une réa­li­té inédite ; ils décident eux-mêmes de leur propre manière de vivre et de se gou­ver­ner. Il est per­mis de pen­ser que c’est dans l’exer­cice même de cette liber­té – le fait de déci­der col­lec­ti­ve­ment pour faire croître en plé­ni­tude leur forme de vie – et dans la digni­té retrou­vée que cela confère que se trouve une bonne part de l’éner­gie sub­jec­tive néces­saire pour tra­cer, jour après jour, le long che­min de la trans­for­ma­tion per­ma­nente qu’est l’émancipation.

« Des vir­tuoses, les zapa­tistes ? D’humbles vir­tuoses de l’or­di­naire, sans doute. Mais à quoi tient l’éner­gie sub­jec­tive tran­quille de leur art simple de faire d’autres mondes ? »

Ce che­min s’a­vance vers un hori­zon, mais n’at­tein­dra nulle cité idéale. F. Lor­don clôt l’ou­vrage par cette phrase : « La poli­tique de l’é­man­ci­pa­tion est inter­mi­nable. » L’un des maes­troszapa­tistes l’a­vait devan­cé en décla­rant : « L’au­to­no­mie n’a pas de fin » (l’au­to­no­mie, c’est le nom qu’ils donnent à l’ex­pé­ri­men­ta­tion de formes poli­tiques non éta­tiques et, plus lar­ge­ment, à la construc­tion d’une forme de vie inédite). Il s’a­gis­sait, par là, de recon­naître l’im­per­fec­tion de l’au­to­no­mie : imper­fec­tion pré­sente, mais aus­si imper­fec­tion prin­ci­pielle, car on n’en a jamais fini avec la lutte contre la pos­sible repro­duc­tion d’une sépa­ra­tion entre gou­ver­nants et gou­ver­nées, contre la pétri­fi­ca­tion de l’ins­ti­tué. Pro­cla­mer la pleine réa­li­sa­tion de l’au­to­no­mie – ou de l’é­man­ci­pa­tion – serait le symp­tôme de sa mort. Mais plu­tôt que de s’en tenir à l’é­non­cé d’une impos­si­bi­li­té de l’au­to-gou­ver­ne­ment, les zapa­tistes inventent quo­ti­dien­ne­ment des formes poli­tiques qui, bien qu’im­par­faites et contraintes de lut­ter contre les dérives de la sépa­ra­tion, se trans­forment sans cesse, au gré de l’a­na­lyse des dif­fi­cul­tés et des erreurs com­mises. Pas de fin, pas de per­fec­tion, rien de figé ; mais un auto-gou­ver­ne­ment en acte, tout de même.

*

Au total, Impe­rium livre quelques mises en garde qu’on peut par­ta­ger (pas d’hu­ma­ni­té entiè­re­ment libé­rée de la ser­vi­tude pas­sion­nelle, pas de monde idéal et sans conflit, pas de forme poli­tique sans risque de sépa­ra­tion et de pétri­fi­ca­tion). Mais les concepts lor­don­niens sont d’une élas­ti­ci­té telle qu’ils prêtent à confu­sion et risquent d’au­to­ri­ser des glis­se­ments subrep­tices, au-delà de ce que l’ar­gu­men­ta­tion sou­tient véri­ta­ble­ment. Sur­tout, ils manquent de cette capa­ci­té de dis­cer­ne­ment qui importe tant, du point de vue d’une poli­tique de l’é­man­ci­pa­tion, et dont l’ob­jet prio­ri­taire devrait être de nous aider à faire le par­tage, aus­si incer­tain soit-il en ses limites, entre des formes poli­tiques éta­tiques et non éta­tiques, entre l’in­ven­tion de pro­cé­dures qui favo­risent l’ac­crois­se­ment de la puis­sance du col­lec­tif et la dépos­ses­sion de celle-ci au pro­fit du pou­voir-sur des uns sur les autres. Redi­sons l’es­sen­tiel : Impe­rium ne par­vient pas à jeter aux oubliettes de l’his­toire la pers­pec­tive d’une éman­ci­pa­tion sans l’É­tat. De l’É­tat en géné­ral, rien ne fonde le carac­tère indé­pas­sable ; quant à l’É­tat géné­ral, rien ne jus­ti­fie de lui don­ner ce nom, sinon le tour de passe-passe qu’il pré­tend auto­ri­ser. Et quand bien même devrait demeu­rer ce que F. Lor­don nomme ain­si, cela ne contre­di­rait en rien la pos­si­bi­li­té de des­ti­tuer ce que nous conti­nue­rons à nom­mer État.

(DR)

L’ho­ri­zon de l’é­man­ci­pa­tion, enten­due comme pro­ces­sus tou­jours en cours, n’est pas la paix civile per­pé­tuelle, ni une quel­conque coexis­tence har­mo­nieuse par­faite. Néan­moins, il serait dom­ma­geable de ne pas s’employer à faire valoir, à rebours des pesan­teurs sys­té­miques qui pré­tendent éter­ni­ser l’é­tat de fait, que la sor­tie du monde de la des­truc­tion capi­ta­liste ouvre à l’i­né­dit, au-delà même de ce que nous sommes pré­sen­te­ment en mesure d’i­ma­gi­ner – alors que, mal­gré ses déné­ga­tions, dans l’u­ni­vers lor­don­nien, l’exis­tant borne (trop) le pos­sible. Il ne s’a­git certes pas de bas­cu­ler dans l’i­déal, ni de pos­tu­ler une par­faite maî­trise, sur­tout si on com­prend celle-ci au sens clas­sique de l’au­to­no­mie indi­vi­duelle. Bien au contraire, on pour­rait assu­mer la notion d’ap­par­te­nance plus radi­ca­le­ment que ne le pro­pose Impe­rium. Dès lors que, récu­sant l’i­dée de l’in­di­vi­du auto-ins­ti­tué, on adopte une concep­tion pro­pre­ment rela­tion­nelle de la per­sonne (selon laquelle celle-ci tient son être même des rela­tions qui la tra­versent), les col­lec­tifs aux­quels cha­cun appar­tient sont lit­té­ra­le­ment consti­tu­tifs de l’exis­tence sin­gu­lière. Le col­lec­tif dans lequel nous nous insé­rons, avec ses usages et ses règles, se loge donc en nous et il lui revient par­fois de le faire savoir expli­ci­te­ment, sinon abrup­te­ment, sous forme de rap­pel à la néces­saire dis­ci­pline asso­ciée à cette appar­te­nance. Les normes col­lec­tives – quelles qu’en soient les moda­li­tés – sont modi­fiables à tout moment, mais il s’a­git là d’un pro­ces­sus, non d’une auto-défi­ni­tion ex nihi­lo per­ma­nente. Rien n’est figé dans l’ins­ti­tué, mais la manière de trans­for­mer l’exis­tant est tri­bu­taire de ce qu’il y a à trans­for­mer et qui informe par­tiel­le­ment la manière de vou­loir le modi­fier. La dimen­sion du tran­sin­di­vi­duel n’est pas hors de por­tée des col­lec­tifs, mais elle échappe par défi­ni­tion à la pleine maî­trise des êtres indi­vi­dués qu’elle contri­bue à ins­crire dans le devenir.


Pho­to­gra­phie de por­trait de Fré­dé­ric Lor­don : © Sté­phane Burlot


NOTES

1. Fré­dé­ric Lor­don, Impe­rium. Struc­tures et affects des corps poli­tiques, Paris, La Fabrique, 2015.
2. Et qu’on ne dise pas que c’est là som­brer dans cette pen­sée « par modèle » que dénonce F. Lor­don. Les zapa­tistes eux-mêmes n’ont pas ces­sé de mettre en garde contre la ten­ta­tion de les idéa­li­ser et de voir dans leur tra­jec­toire sin­gu­lière un modèle à repro­duire. Cela n’empêche pas de se sai­sir de cette expé­rience comme d’un point d’ap­pui et d’une source d’ins­pi­ra­tion pour aider à pen­ser d’autres situa­tions éga­le­ment singulières.
3La notion ne sus­cite que quelques com­men­taires condes­cen­dants, tan­dis que le livre de Pierre Dar­dot et Chris­tian Laval (Com­mun. Essai sur la révo­lu­tion au XXIe siècle, Paris, La Décou­verte, 2014) est réduit à la men­tion de deux phrases iso­lées et congé­dié avec dédain (p. 74–75).
4. « La par­tie poli­ti­co-mili­taire de l’EZLN n’est pas démo­cra­tique, puisque c’est une armée », Sixième Décla­ra­tion de la Sel­va Lacan­do­na, http://​csp​cl​.ouva​ton​.org/​s​p​i​p​.​p​h​p​?​a​r​t​i​c​l​e​204.
5. « L’accompagnement se conver­tit en direc­tion, le conseil en ordre… et l’appui en gêne » (Leer un video, août 2004, http://​pala​bra​.ezln​.org​.mx/).
6. Y, sí, apren­di­mos (La Jor­na­da, http://​www​.jor​na​da​.unam​.mx/​2​0​1​3​/​0​8​/​1​9​/​o​p​i​n​i​o​n​/​0​1​8​a​2​pol).
7. « Il y a des moments où le peuple dirige et le gou­ver­ne­ment obéit ; il y a des moments où le peuple obéit et le gou­ver­ne­ment dirige » (maes­tro Fidel, « Petite école zapa­tiste », août 2013). Pour tout ce qui concerne l’au­to­no­mie zapa­tiste, voir l’a­na­lyse plus détaillée dans Jérôme Baschet, Adieux au capi­ta­lisme. Auto­no­mie, socié­té du bien vivre et mul­ti­pli­ci­té des mondes, Paris, La Décou­verte, 2014 et, avec Guillaume Goutte, Ensei­gne­ments d’une rébel­lion. La petite École zapa­tiste, Paris, Édi­tions de l’Es­car­got, 2014.
8. Com­men­taires de mon Votán lors de la « petite école zapa­tiste » (à cha­cun des mil­liers d’in­vi­tés était attri­buée en propre une per­sonne char­gée de prendre soin de lui et de dia­lo­guer de manière interpersonnelle).
9. Récu­sant une concep­tion liber­taire qui consis­te­rait en « une néga­tion du pou­voir », Tomas Ibañez, par exemple, dis­tingue uti­le­ment trois sens du terme « pou­voir » (capa­ci­té de, rela­tion dis­sy­mé­trique entre agents, macro­struc­tures de régu­la­tion et contrôle), soit pré­ci­sé­ment ce que l’ap­proche lor­don­nienne écrase (« Pour un pou­voir poli­tique liber­taire », 1983, http://​www​.grand​-angle​-liber​taire​.net/​p​o​u​r​-​u​n​-​p​o​u​v​o​i​r​-​p​o​l​i​t​i​q​u​e​-​l​i​b​e​r​t​a​i​r​e​-​t​h​o​m​a​s​-​i​b​a​n​ez/). Voir aus­si Vivien Gar­cia, L’a­nar­chisme aujourd’­hui, Paris, L’Har­mat­tan, 2007, qui dis­tingue, par exemple, rela­tions auto­ri­taires et rela­tions d’au­to­ri­té légitime.
10. « Tous les grou­pe­ments poli­tiques sont des États au sens de l’É­tat géné­ral », p. 122.
11. On peut défi­nir l’État (en géné­ral) par la com­bi­nai­son de deux carac­té­ris­tiques : le webe­rien « mono­pole de la vio­lence légi­time » et une sépa­ra­tion conso­li­dée entre qui est des­ti­né à figu­rer du côté des gou­ver­nants et qui est voué au sta­tut de gou­ver­né, soit en langue lor­don­nienne (mais dépla­cée par rap­port aux énon­cés d’Im­pe­rium) la cap­ture de la puis­sance du col­lec­tif par un de ses sous-ensembles (sou­ve­rain, caste, classe poli­tique dis­so­ciée, appa­reil bureau­cra­tique fon­dé sur la reven­di­ca­tion d’une com­pé­tence sélec­tive et orga­ni­sant le consen­te­ment des domi­nés à la ges­tion du monde confor­mé­ment aux inté­rêts dominants).
12. Réfé­rence pour­tant cano­nique, l’ou­vrage de Bene­dict Ander­son – Ima­gi­ned Com­mu­ni­ties, dans la ver­sion ori­gi­nale – n’est men­tion­né qu’un seule fois, du bout de la plume (L’i­ma­gi­naire natio­nal, Paris, La Décou­verte, 2006).
13. Voir ses contor­sions cocasses (p. 131) pour expli­quer, en réfé­rence à sa propre défi­ni­tion, le sens du mot « natio­nal » dans l’a­cro­nyme de l’EZLN, alors qu’il s’a­git d’un héri­tage de la tra­di­tion anti-impé­ria­liste latino-américaine.
14. Sur tout ceci, voir J. Baschet, « Auto­no­mie, india­ni­té et anti­ca­pi­ta­lisme : l’ex­pé­rience zapa­tiste », dans Les Amé­riques indiennes face au néo­li­bé­ra­lisme, Actuel Marx, 56, 2014, p. 23–39.
15. On laisse de côté la dis­cus­sion sur la notion de « nature humaine » que F. Lor­don admet, en s’ins­pi­rant de Spi­no­za, en un sens faible, « sous-déter­mi­né » et émi­nem­ment flexible (les hommes sont modi­fiables), mais qu’on peut tout aus­si bien pré­fé­rer ne pas uti­li­ser, tant elle est char­gée d’une dimen­sion fixiste, dont on aura peine à la débarrasser.
16. A pro­pos du Grand Soir, rele­vons cette affir­ma­tion curieuse : « Si la révo­lu­tion poli­tique de l’ho­ri­zon­ta­li­té appelle comme sa condi­tion de pos­si­bi­li­té une révo­lu­tion morale, le pro­blème des révo­lu­tions morales c’est qu’elles ne connaissent pas le Grand Soir. » (p. 269). Truisme, encore. Mais qui croit encore à la mytho­lo­gie du Grand Soir, les adver­saires que F. Lor­don se donne ou lui-même ?


REBONDS

☰ Lire « Ne vous sen­tez pas seuls et iso­lés — par le sous-com­man­dant Mar­cos » (Memen­to), avril 2015
☰ Lire « Daniel Ben­saïd : Du pou­voir et de l’État », (Texte inédit), avril 2015
☰ Lire notre entre­tien avec Michael Löwy, « Sans révolte, la poli­tique devient vide de sens », décembre 2014
☰ Lire notre entre­tien avec Guillaume Goutte : « Que deviennent les zapa­tistes, loin des grands médias ? », novembre 2014


Par Jérôme Baschet – 9 mai 2016
His­to­rien, ensei­gnant à l’U­ni­ver­si­té Auto­nome du Chia­pas et auteur de l’ou­vrage « La rébel­lion zapatiste »

Je pense que Lor­don a rai­son de dédia­bo­li­ser les mots État et nation, parce que nous en avons besoin pour résis­ter aux plus grands pré­da­teurs capi­ta­listes. Et plu­sieurs des reproches que lui fait Baschet à la fin sont mal fon­dés (à mon sens). 

Dans cette inté­res­sante contro­verse, les pro­ta­go­nistes négligent tous les deux, je trouve, la pos­si­bi­li­té (et l’in­té­rêt) d’une appro­pria­tion popu­laire du pro­ces­sus consti­tuant : un peuple deve­nu consti­tuant sau­rait fort bien limi­ter et contrô­ler le pou­voir ver­ti­cal dont il a besoin.

Tou­jours est-il que j’ai ensuite com­men­cé à tra­vailler le livre de Jérôme Baschet, « La rébel­lion zapa­tiste » (2002), ini­tia­le­ment inti­tu­lé « L’é­tin­celle zapa­tiste », et je le trouve abso­lu­ment passionnant : 


https://www.amazon.fr/r%C3%A9bellion-zapatiste-Insurrection‑r%C3%A9sistance-plan%C3%A9taire/dp/2080801406

Encore un beau grand chan­tier pour pro­gres­ser vers l’au­to-ins­ti­tu­tion d’un régime poli­tique juste et pacifiant.

Étienne.
________

Page Face­book cor­res­pon­dant à ce billet :
https://​www​.face​book​.com/​e​t​i​e​n​n​e​.​c​h​o​u​a​r​d​/​p​o​s​t​s​/​1​0​1​5​4​2​0​2​8​6​4​5​6​7​317

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Étienne

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9 Commentaires

  1. etienne

    Pen­dant que les mexi­cains au Chia­pas se libèrent de leurs maîtres élus, nous res­tons sous la férule igno­mi­nieuse de nos propres « élus », qui tra­hissent le bien com­mun chaque jour un peu plus :

    CENSURES, par Jacques Sapir :


    https://​rus​seu​rope​.hypo​theses​.org/​4​945

    « Le sec­ta­risme a encore frap­pé (ou pas). Deux, par­mi les « chefs » des « fron­deurs », Benoît Hamon et Chris­tian Paul, ont décla­ré qu’il n’était pas ques­tion pour eux de voter une motion de cen­sure « de droite ».
    La ten­ta­tive de dépo­ser une motion de cen­sure « de gauche » ayant visi­ble­ment échoué, on devine que ces grands poli­tiques (et leurs sui­veurs) s’abstiendront.

    On ne sait ce qu’il y a de plus détes­table dans cette atti­tude : le sec­ta­risme ou l’hypocrisie. Sans doute les deux.

    Du sec­ta­risme en politique

    Car, une motion de cen­sure est un acte de défiance envers le gou­ver­ne­ment. Si l’on consi­dère ce gou­ver­ne­ment comme « de gauche », la cen­sure est de droite. Si l’on consi­dère ce gou­ver­ne­ment comme « de droite », elle est de gauche. A par­tir du moment ou l’on veut voter une cen­sure, c’est cela, et cela seul, qui compte. Qua­li­fier une cen­sure par les dépu­tés qui l’ont pré­sen­tée n’est que pur sec­ta­risme. Car, un acte poli­tique ne prend sens que dans sa réa­li­sa­tion, et non dans son ori­gine. Défi­nir cet acte par qui en est l’origine est absurde, même si, dans le texte de cette motion les termes peuvent être clai­re­ment conno­tés. Au bout du compte, seul le résul­tat compte !

    Mais, ajou­tons que pour quelqu’un se disant « de gauche », c’est même une double absur­di­té que de qua­li­fier un acte par son ori­gine. Non seule­ment c’est oublier qu’en poli­tique la dyna­mique d’un acte est pri­mor­diale mais en plus c’est sacri­fier à un « mythe de l’origine » comme n’importe quel mili­tant iden­ti­taire. C’est donc mon­trer au grand jour que son sec­ta­risme l’emporte sur les inté­rêts que l’on pré­tend défendre.

    Or, les dépu­tés repré­sentent la Nation. Ils doivent donc s’engager sur ce qu’ils pensent et non sur qui a pré­sen­té tel ou tel texte. Dans le cas pré­sent, la loi El Khom­ri divise. On peut l’approuver comme on peut la reje­ter. Mais, on aura tou­jours plus de consi­dé­ra­tion pour qui aura assu­mé ses choix que pour qui aura lais­sé le sec­ta­risme prendre le pas sur son choix.

    De l’hypocrisie en politique

    Mais, on peut ici craindre le pire, et ce pire s’appelle l’hypocrisie. Car, si le sec­ta­risme est une plaie qui défi­gure l’action poli­tique, l’hypocrisie, elle, en est tout sim­ple­ment la néga­tion. On peut repro­cher à un acteur poli­tique ses erreurs, mais on ne peut lui par­don­ner l’hypocrisie.

    Or, en pré­ten­dant défendre ses « valeurs » (et en oubliant qu’en poli­tique on n’a que des prin­cipes) le dépu­té « fron­deur » sait fort bien qu’il laisse pas­ser la loi El Khom­ri qu’il pré­tend hon­nir. En se réfu­giant der­rière le dis­cours sur une motion de cen­sure « de gauche », il construit un argu­men­taire de jus­ti­fi­ca­tion qui lui per­met d’expliquer son inac­tion en lui don­nant les appa­rences de la morale. 

    Certes, car Mon­sieur le « fron­deur » a des cer­ti­tudes, il est oppo­sé à cette loi. Certes, il la trouve rétro­grade, inadap­tée aux pro­blèmes posés, et fort dan­ge­reuse dans un contexte de chô­mage de masse. Mais il ne peut « en conscience » (très bon cela, coco, que d‘invoquer la conscience en un tel moment) voter une motion « de droite ». Et, comme il sait fort bien que le dépôt d’une motion « de gauche » est plus qu’hasardeux, cela va donc abou­tir à ce qu’il ne vote aucune motion de censure. 

    Le tour est joué, mais dans la honte et l’ignominie. Cette même per­sonne va, ensuite, s’étonner du dis­cré­dit dont souffrent les par­tis poli­tiques tra­di­tion­nels, sans même voir que son propre com­por­te­ment est à l’origine du dit discrédit.

    Tout est donc dit sur les « fron­deurs », sur leur sec­ta­risme, leur hypo­cri­sie et leur lâche­té, sur ce qu’ils sont et ceux qu’ils ne repré­sentent pas. Ajou­tons, cepen­dant, que le sec­ta­risme et l’hypocrisie ne se mani­festent pas seule­ment au Par­le­ment. Car, ce sont ces deux maux qui sont aus­si à l’œuvre au sein du mou­ve­ment social, et en par­ti­cu­lier sur la ques­tion de l’Euro. On se sou­vient de ceux qui, n’est-ce pas Fré­de­ric Lor­don, défen­daient une sor­tie « de gauche » de l’Euro. Comme si cela avait un sens…

    Assu­ré­ment, il y aura débat sur la poli­tique à mettre en place après la sor­tie de l’Euro, et cette poli­tique pour­ra être « de gauche » ou « de droite ». Mais, pour que ce débat ait lieu, il fau­dra d’abord être sor­ti de l’Euro, et cela n’est ni de gauche, ni de droite. 

    On est pour ou l’on est contre, mais ici aus­si, comme sur la ques­tion du vote de la cen­sure, vou­loir faire parade de sa gau­chi­tude comme pour­rait le dire une ministre que je ne nom­me­rai pas, c’est tout sim­ple­ment faire preuve d‘hypocrisie et donc de lâcheté. »

    Jacques Sapir

    Source : Rus­seu­rope, https://​rus​seu​rope​.hypo​theses​.org/​4​945

    Réponse
  2. binnemaya

    Salut Etienne et les autres,
    Le zapa­tisme est une démo­cra­tie de ter­rain « vraie », j’a­vais fait un com­men­taire avec lien vers un article sur le zapa­tisme mais je ne retrouve plus sur le plan C (peut-tu le retrou­ver?) sur la sub­si­dia­ri­té inver­sée en clair nul n’a le droit de déci­der d’une loi qui ne l’af­fecte pas en par­tant de la com­mune cela per­met­trai de créer une démo­cra­tie digne de ce nom.

    Réponse
  3. etienne

    ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE. MEXIQUE
    SIXIÈME DÉCLARATION DE LA FORÊT LACANDONE

    http://​csp​cl​.ouva​ton​.org/​a​r​t​i​c​l​e​.​p​h​p​3​?​i​d​_​a​r​t​i​c​l​e​=​204

    Voi­ci notre parole simple qui vou­drait arri­ver au cœur des gens comme nous, humbles et simples, mais, tout comme nous aus­si, rebelles et dignes. Voi­ci notre parole simple pour racon­ter le che­min que nous avons par­cou­ru et où nous en sommes aujourd’hui ; pour expli­quer com­ment nous voyons le monde et notre pays ; pour dire ce que nous pen­sons faire et com­ment nous pen­sons le faire, et pour invi­ter d’autres à faire le che­min avec nous dans quelque chose de très grand qui s’appelle le Mexique et dans quelque chose de plus grand encore que l’on nomme le monde. Voi­ci notre parole simple pour faire savoir à tous les cœurs hon­nêtes et nobles ce que nous vou­lons au Mexique et dans le monde. Voi­ci notre parole simple, parce que c’est notre volon­té d’appeler ceux qui sont comme nous et de nous unir à eux, par­tout où ils vivent et où ils luttent.

    I. CE QUE NOUS SOMMES

    Nous sommes les zapa­tistes de l’EZLN. On nous appelle aus­si les « néo­za­pa­tistes ». Bien, alors nous, les zapa­tistes de l’EZLN, nous avons pris les armes en jan­vier 1994 parce que nous avons trou­vé qu’il y en avait assez de tout ce mal que fai­saient les puis­sants, qui ne font que nous humi­lier, nous voler, nous jeter en pri­son et nous tuer, sans que rien de ce que l’on puisse dire ne change rien. C’est pour cela que nous avons dit « ¡Ya bas­ta ! » Ça suf­fit, main­te­nant ! Pour dire que nous ne per­met­trons plus qu’ils nous dimi­nuent et nous traitent pire que des ani­maux. Et alors nous avons aus­si dit que nous vou­lions la démo­cra­tie, la liber­té et la jus­tice pour tous les Mexi­cains, même si nous nous sommes sur­tout occu­pés des peuples indiens. Parce qu’il se trouve que nous autres de l’EZLN nous sommes presque tous des indi­gènes d’ici, du Chia­pas, mais que nous ne vou­lons pas lut­ter uni­que­ment pour notre propre bien ou uni­que­ment pour le bien des indi­gènes du Chia­pas ou uni­que­ment pour les peuples indiens du Mexique : nous vou­lons lut­ter tous ensemble avec tous les gens humbles et simples comme nous et qui sont dans le besoin et subissent l’exploitation et le vol de la part des riches et de leur mau­vais gou­ver­ne­ment, ici dans notre Mexique et dans d’autres pays du monde.

    Et alors, notre petite his­toire, c’est que nous en avons eu assez de l’exploitation que nous fai­saient subir les puis­sants et que nous nous sommes orga­ni­sés pour nous défendre et pour nous battre pour la jus­tice. Au début, nous n’étions pas beau­coup, quelques-uns seule­ment à aller d’un côté et de l’autre, à par­ler et à écou­ter d’autres comme nous. Nous avons fait ça pen­dant de nom­breuses années et nous l’avons fait en secret, sans faire de bruit. C’est-à-dire que nous avons ras­sem­blé nos forces en silence. Nous avons pas­sé dix ans comme ça et après nous avons gran­di et vite nous avons été des mil­liers. Alors nous nous sommes bien pré­pa­rés, avec la poli­tique et avec des armes, et, sou­dai­ne­ment, quand les riches étaient en pleine fête de nou­vel an, nous sommes tom­bés sur leurs villes et nous avons réus­si à les prendre, et nous leur avons mon­tré bien clai­re­ment que nous étions là, qu’ils allaient devoir tenir compte de nous. Et alors les riches ont eu une grosse frayeur et ils nous ont envoyé leurs grandes armées pour en finir avec nous. Ils ont fait comme ils font tou­jours quand les exploi­tés se rebellent, ils envoient quelqu’un en finir avec eux. Mais ils n’ont pas pu le faire avec nous, parce que nous nous sommes très bien pré­pa­rés avant la guerre et nous nous sommes faits forts dans nos mon­tagnes. Et leurs sol­dats nous cher­chaient par­tout et nous jetaient leurs bombes et nous tiraient des­sus. Et ils ont même com­men­cé à se dire qu’il fal­lait tuer une fois pour toutes tous les indi­gènes parce qu’il n’y avait pas moyen de savoir qui était zapa­tiste et qui ne l’était pas. Et nous à cou­rir et à nous battre, à com­battre et à cou­rir, comme l’avaient fait nos ancêtres avant nous. Sans nous rendre, sans nous faire céder, sans nous vaincre.

    Et voi­là que les gens des villes sont sor­tis dans les rues et ont com­men­cé à deman­der en criant que la guerre s’arrête. Et alors nous avons arrê­té notre guerre et nous les avons écou­tés, ces frères et ces sœurs de la ville qui nous disaient d’essayer d’arriver à un arran­ge­ment, c’est-à-dire à un accord avec ceux du mau­vais gou­ver­ne­ment pour trou­ver une solu­tion sans mas­sacre. Et alors nous avons fait ce que nous disaient les gens, parce que ces gens, c’est ce que nous appe­lons « le peuple », c’est-à-dire le peuple mexi­cain. Alors nous avons mis de côté le feu et nous avons fait par­ler la parole.

    Et voi­là que ceux du gou­ver­ne­ment ont dit qu’ils allaient bien se com­por­ter et allaient dia­lo­guer et faire des accords et les res­pec­ter. Et nous, nous avons dit que c’était bien, d’accord, mais nous avons aus­si pen­sé que c’était bien aus­si de connaître ces gens qui étaient des­cen­dus dans la rue pour arrê­ter la guerre. Alors, tout en dia­lo­guant avec ceux du mau­vais gou­ver­ne­ment, nous avons aus­si par­lé avec ces per­sonnes et nous avons vu que la plu­part étaient des gens humbles et simples comme nous, et que nous com­pre­nions bien pour­quoi nous lut­tions tous les deux, c’est-à-dire eux et nous. Alors nous avons appe­lé ces gens « socié­té civile », parce que la plu­part n’appartenaient pas à des par­tis poli­tiques et que c’était des gens du com­mun, comme nous, des gens humbles et simples.

    Mais ceux du mau­vais gou­ver­ne­ment ne vou­laient pas d’un bon arran­ge­ment, ce n’était qu’une de leurs feintes de dire qu’ils allaient par­ler et trou­ver un accord. Pen­dant ce temps-là, ils se pré­pa­raient à nous atta­quer pour nous éli­mi­ner défi­ni­ti­ve­ment. Et alors plu­sieurs fois ils nous ont atta­qués, mais sans arri­ver à nous vaincre parce que nous avons su bien résis­ter et que beau­coup de gens dans le monde entier se sont mobi­li­sés. Et alors ceux du mau­vais gou­ver­ne­ment se sont dit que le pro­blème, c’était que beau­coup de gens voyaient ce qui se pas­sait avec l’EZLN et alors ils ont déci­dé de com­men­cer à faire comme s’il ne se pas­sait rien. Et pen­dant ce temps-là, ils nous encer­claient, c’est-à-dire qu’ils nous met­taient le siège, et ils ont com­men­cé à attendre que les gens, comme nos mon­tagnes sont iso­lées, oublient parce que le ter­ri­toire zapa­tiste est loin. Et régu­liè­re­ment ceux du mau­vais gou­ver­ne­ment essayaient leurs trucs et essayaient de nous trom­per ou de nous atta­quer, comme en février 1995 quand une grande quan­ti­té de troupes a vou­lu nous repous­ser mais n’est pas par­ve­nu à nous vaincre. Parce que nous n’étions pas seuls, comme ils l’ont dit après coup, et que beau­coup de gens nous ont sou­te­nus et que nous avons bien résisté.

    Alors, ceux du mau­vais gou­ver­ne­ment ont dû pas­ser des accords avec l’EZLN et ces accords, ce sont les « Accords de San Andrés », parce que « San Andrés » est le nom de la com­mune où ont été signés ces accords. Et dans ces pour­par­lers nous n’étions pas tout seuls à par­ler avec ceux du mau­vais gou­ver­ne­ment, nous avions invi­té beau­coup de gens et d’organisations qui étaient ou sont enga­gés dans la lutte pour les peuples indiens du Mexique. Et tous avaient leur mot à dire et tous ensemble nous nous sommes mis d’accord sur ce que nous allions dire à ceux du mau­vais gou­ver­ne­ment. C’est comme ça que s’est pas­sé le dia­logue, il n’y avait pas que les zapa­tistes tout seuls d’un côté et ceux du mau­vais gou­ver­ne­ment de l’autre, avec les zapa­tistes il y avait les peuples indiens du Mexique et ceux qui les sou­tiennent. Et alors dans ces accords ceux du mau­vais gou­ver­ne­ment ont dit qu’ils allaient recon­naître les droits des peuples indiens du Mexique et res­pec­ter leur culture, et qu’ils allaient le mettre dans une loi dans la Consti­tu­tion. Mais après avoir signé, ceux du mau­vais gou­ver­ne­ment ont fait comme s’ils avaient oublié et beau­coup d’années ont pas­sé et les accords ne sont tou­jours pas res­pec­tés. Au contraire, le gou­ver­ne­ment a atta­qué les indi­gènes pour leur faire aban­don­ner la lutte, comme le 22 décembre 1997. Ce jour-là, Zedillo a fait tuer 45 hommes, femmes, anciens et enfants, dans le hameau du Chia­pas qui s’appelle ACTEAL. Un tel crime ne s’oublie pas faci­le­ment, mais c’est aus­si une preuve de com­ment ceux du mau­vais gou­ver­ne­ment n’hésitent pas un ins­tant à atta­quer et à assas­si­ner ceux qui se rebellent contre l’injustice. Et pen­dant tout ce temps-là, les zapa­tistes s’obstinaient par tous les moyens à faire res­pec­ter les accords et à résis­ter dans les mon­tagnes du Sud-Est mexi­cain. Et alors nous avons com­men­cé à par­ler avec d’autres peuples indiens du Mexique et avec les orga­ni­sa­tions qu’ils avaient et nous avons pas­sé un accord avec eux pour lut­ter tous ensemble pour la même chose, pour la recon­nais­sance des droits et de la culture indi­gènes. Et là aus­si, beau­coup de gens du monde entier nous ont sou­te­nus, et des per­sonnes très res­pec­tées dont la parole est très grande parce que ce sont de grands intel­lec­tuels, de grands artistes et de grands scien­ti­fiques du Mexique et du monde entier. Nous avons aus­si fait des ren­contres inter­na­tio­nales, c’est-à-dire que nous nous sommes réunis pour dis­cu­ter avec des gens venus d’Amérique, d’Asie, d’Europe, d’Afrique et d’Océanie, et que nous avons pu connaître leurs luttes et leur façon de faire, et nous les avons appe­lées des ren­contres « inter­ga­lac­tiques » pour rigo­ler mais aus­si parce que nous avions invi­té les gens des autres pla­nètes, mais on dirait qu’ils ne sont pas venus ou alors qu’ils sont venus mais qu’ils ne l’ont pas montré.

    Mais rien à faire, ceux du mau­vais gou­ver­ne­ment ne res­pec­taient pas les accords, alors nous avons déci­dé de par­ler avec beau­coup de Mexi­cains pour avoir leur sou­tien. Alors d’abord, en 1997, nous avons orga­ni­sé une marche jusqu’à Mexi­co qui s’est appe­lée la « Marche des 1 111 », parce qu’il y avait un com­pañe­ro et une com­pañe­ra pour chaque vil­lage zapa­tiste, mais le gou­ver­ne­ment n’a pas réagi. Après, en 1999, nous avons orga­ni­sé dans tout le pays une consul­ta­tion et on a pu voir que la majo­ri­té était d’accord avec les exi­gences des peuples indiens, mais ceux du mau­vais gou­ver­ne­ment n’ont pas non plus réagi. Et en der­nier, en 2001, nous avons orga­ni­sé ce qui s’est appe­lé la « Marche pour la digni­té indi­gène » qui a reçu le sou­tien de mil­lions de Mexi­cains et de gens d’autres pays et qui est même arri­vée là où sont les dépu­tés et les séna­teurs, c’est-à-dire au Congrès de l’Union, pour exi­ger la recon­nais­sance des indi­gènes mexicains.

    Mais pas moyen, les hommes poli­tiques du par­ti du PRI, du par­ti du PAN et du par­ti du PRD se sont mis d’accord entre eux pour ne pas recon­naître les droits et la culture indi­gènes. Ça s’est pas­sé en avril 2001 et à cette occa­sion les hommes poli­tiques ont mon­tré clai­re­ment qu’ils n’ont pas un gramme de décence et que ce sont des cra­pules qui ne pensent qu’à gagner de l’argent mal­hon­nête, en mau­vais gou­ver­nants qu’ils sont. Il ne fau­dra sur­tout pas l’oublier, parce que vous ver­rez qu’ils seront capables de dire qu’ils vont recon­naître les droits indi­gènes, mais ce n’est qu’un men­songe qu’ils emploie­ront pour que l’on vote pour eux, parce qu’ils ont déjà eu leur chance et qu’ils n’ont pas tenu parole.

    Alors, à ce moment-là, nous avons com­pris que le dia­logue et la négo­cia­tion avec ceux du mau­vais gou­ver­ne­ment du Mexique n’avaient ser­vi à rien. C’est-à-dire que ce n’est pas la peine de dis­cu­ter avec les hommes poli­tiques, parce que ni leur cœur ni leurs paroles ne sont droits, ils sont tor­dus et ils ne font que men­tir en disant qu’ils vont res­pec­ter des accords. Et ce jour-là, quand les hommes poli­tiques du PRI, du PAN et du PRD ont approu­vé une loi qui ne vaut rien, ils ont tué et enter­ré le dia­logue et ils ont mon­tré clai­re­ment que ça ne leur fait rien de faire des accords et de signer, parce qu’ils n’ont pas de parole. Alors nous n’avons plus cher­ché à avoir de contact avec les pou­voirs fédé­raux parce que nous avons com­pris que le dia­logue et la négo­cia­tion avaient échoué à cause de ces par­tis poli­tiques. Nous avons com­pris que pour eux, le sang, la mort, la souf­france, les mobi­li­sa­tions, les consul­ta­tions, les efforts, les décla­ra­tions natio­nales et inter­na­tio­nales, les ren­contres, les accords, les signa­tures, les enga­ge­ments, rien ne compte. La classe poli­tique n’a donc pas seule­ment cla­qué la porte, une fois de plus, aux nez des peuples indiens, elle a aus­si frap­pé un coup mor­tel à une solu­tion paci­fique, dia­lo­guée et négo­ciée à la guerre. Et il ne faut pas croire qu’elle res­pec­te­ra les accords qu’elle pas­se­ra avec qui que ce soit d’autre. Il suf­fit de voir ce qui nous est arri­vé pour com­prendre la leçon.

    Alors, après avoir vu tout ça se pas­ser, nous nous sommes mis à pen­ser avec notre cœur à ce que nous allions pou­voir faire. Et la pre­mière chose que nous avons vue, c’est que notre cœur n’est plus le même qu’avant, quand nous avons com­men­cé notre lutte, mais qu’il est plus grand parce que nous avons péné­tré dans le cœur de beau­coup de gens bons. Et nous avons aus­si vu que notre cœur est un peu plus meur­tri, un peu plus bles­sé qu’avant. Ce n’est pas à cause de la trom­pe­rie de ceux du mau­vais gou­ver­ne­ment, c’est parce que quand nous avons tou­ché le cœur de ces autres gens, nous avons aus­si tou­ché leur dou­leur. Comme si nous nous étions regar­dés dans un miroir.

    II. OÙ NOUS EN SOMMES MAINTENANT

    Alors, en zapa­tistes que nous sommes, nous avons pen­sé qu’il ne suf­fi­sait pas de ces­ser de dia­lo­guer avec le gou­ver­ne­ment, mais qu’il fal­lait pour­suivre notre lutte mal­gré ces para­sites jean-foutre que sont les hommes poli­tiques. L’EZLN a donc déci­dé d’appliquer, tout seul et de son côté (« uni­la­té­ra­le­ment » quoi, comme on dit, parce que c’est seule­ment d’un côté), les Accords de San Andrés en ce qui concerne les droits et la culture indi­gènes. Pen­dant quatre ans, de la mi-2001 à la mi-2005, nous nous sommes consa­crés à ça, et à d’autres choses que nous vous racon­te­rons aussi.

    Bien. Alors, allons‑y d’abord avec les com­munes auto­nomes rebelles zapa­tistes, la forme d’organisation que les com­mu­nau­tés ont choi­sie pour gou­ver­ner et se gou­ver­ner, pour être plus fortes. Cette forme de gou­ver­ne­ment auto­nome n’a pas été mira­cu­leu­se­ment inven­tée par l’EZLN, elle vient de plu­sieurs siècles de résis­tance indi­gène et de l’expérience zapa­tiste et c’est un peu l’auto-organisation des com­mu­nau­tés. C’est-à-dire que ce n’est pas comme si quelqu’un de l’extérieur venait gou­ver­ner, ce sont les vil­lages eux-mêmes qui décident, par­mi eux, qui gou­verne et com­ment, et ceux qui n’obéissent pas sont ren­voyés. Si la per­sonne qui com­mande n’obéit pas à la com­mu­nau­té, on la blâme, elle perd son man­dat d’autorité et une autre prend sa place.

    Mais nous nous sommes ren­du compte que les com­munes auto­nomes n’étaient pas toutes sur le même plan. Il y en avait qui allaient plus loin et béné­fi­ciaient de plus de sou­tien de la socié­té civile, et d’autres qui étaient plus délais­sées. Il fal­lait donc encore s’organiser pour qu’il y ait plus d’égalité. Et nous avons aus­si pu consta­ter que l’EZLN, avec son côté poli­ti­co-mili­taire, inter­ve­nait dans les déci­sions qui reve­naient aux auto­ri­tés démo­cra­tiques « civiles », comme on dit. Le pro­blème était que la par­tie poli­ti­co-mili­taire de l’EZLN n’est pas démo­cra­tique, parce que c’est une armée, et nous avons trou­vé que ce n’était pas cor­rect que le mili­taire soit en haut et le démo­cra­tique en bas, parce qu’il ne faut pas que ce qui est démo­cra­tique se décide mili­tai­re­ment, sinon le contraire : c’est-à-dire en haut le poli­ti­co-démo­cra­tique qui com­mande et en bas le mili­taire qui obéit. Et peut-être même que c’est encore mieux rien en haut et tout bien plat, sans mili­taire, et c’est pour ça que les zapa­tistes s’étaient faits sol­dats, pour qu’il n’y ait pas de sol­dats. Alors, pour essayer de résoudre ce pro­blème, nous avons com­men­cé à sépa­rer ce qui est poli­ti­co-mili­taire de ce qui concerne les formes d’organisation auto­nomes et démo­cra­tiques des com­mu­nau­tés zapa­tistes. Comme ça, les actions et les déci­sions qu’effectuait et pre­nait avant l’EZLN ont été pas­sées petit à petit aux auto­ri­tés démo­cra­ti­que­ment élues dans les vil­lages. Ça a l’air tout simple quand on le dit mais, dans la pra­tique, c’est beau­coup plus dif­fi­cile. Parce que, pen­dant des années, nous nous sommes pré­pa­rés à faire la guerre et puis, après, il y a eu la guerre elle-même, et on finit par s’habituer à l’organisation poli­ti­co-mili­taire. Mais même si ça a été dif­fi­cile, c’est ce que nous avons fait, parce que ce que nous disons nous le fai­sons. Sinon, à quoi ser­vi­rait de dire quelque chose, si après on ne le fait pas.

    C’est comme ça que nous avons créé les conseils de bon gou­ver­ne­ment, en août 2003, et avec eux nous avons conti­nué notre propre appren­tis­sage et appris à exer­cer le « com­man­der en obéissant ».

    Depuis, et jusqu’à la mi-2005, la direc­tion de l’EZLN n’est plus inter­ve­nue avec ses ordres dans les affaires des civils, mais elle a accom­pa­gné et appuyé les auto­ri­tés démo­cra­ti­que­ment élues par les com­mu­nau­tés, sans oublier de véri­fier que l’on informe cor­rec­te­ment la socié­té civile mexi­caine et inter­na­tio­nale des aides reçues et de ce à quoi elles ont ser­vi. Et main­te­nant, nous pas­sons le tra­vail de vigi­lance du bon gou­ver­ne­ment aux bases de sou­tien zapa­tistes, avec des man­dats tem­po­raires et rota­tifs, pour que tous et toutes apprennent et puissent effec­tuer ce tra­vail. Parce que, nous autres, nous pen­sons qu’un peuple qui ne contrôle pas ses diri­geants est condam­né à être leur esclave et que nous lut­tons pour être libres, par pour chan­ger de maître tous les six ans.

    Pen­dant les quatre der­nières années, l’EZLN a aus­si pas­sé aux conseils de bon gou­ver­ne­ment et aux com­munes rebelles auto­nomes les aides et les contacts au Mexique et dans le monde entier que nous avons obte­nus tout au long des années de guerre et de résis­tance. Mais, en même temps, l’EZLN a aus­si mis en place un réseau d’aide éco­no­mique et poli­tique qui per­mette aux com­mu­nau­tés zapa­tistes d’avancer avec moins de dif­fi­cul­tés dans la construc­tion de leur auto­no­mie et d’améliorer leurs condi­tions de vie. Ce n’est pas encore assez, mais c’est beau­coup plus que ce qu’il y avait avant notre sou­lè­ve­ment, en jan­vier 1994. Si vous pre­nez une de ces études que font les gou­ver­ne­ments, vous ver­rez que les seules com­mu­nau­tés indi­gènes qui ont amé­lio­ré leurs condi­tions de vie, c’est-à-dire la san­té, l’éducation, l’alimentation, le loge­ment, ce sont celles qui sont en « ter­ri­toire zapa­tiste », comme nous disons pour par­ler de là où sont nos vil­lages. Tout ça a été pos­sible grâce aux pro­grès effec­tués dans les com­mu­nau­tés zapa­tistes et grâce au très grand sou­tien que nous avons reçu de per­sonnes bonnes et nobles, « les socié­tés civiles », comme nous les appe­lons, et de leurs orga­ni­sa­tions, du monde entier. C’est comme si toutes ces per­sonnes avaient fait du « Un autre monde est pos­sible » une réa­li­té, mais dans les faits, pas dans des discours.

    Et alors les com­mu­nau­tés ont beau­coup avan­cé. Main­te­nant, il y a tou­jours plus de com­pañe­ros, hommes et femmes, qui apprennent à être gou­ver­ne­ment. Et, même si c’est petit à petit, il y a de plus en plus de femmes qui ont ces res­pon­sa­bi­li­tés. Mais on manque encore beau­coup de res­pect envers ces com­pañe­ras et il faut qu’elles par­ti­cipent plus aux res­pon­sa­bi­li­tés de la lutte. Et puis, avec les conseils de bon gou­ver­ne­ment, la coor­di­na­tion entre les com­munes auto­nomes s’est aus­si beau­coup amé­lio­rée, et aus­si la réso­lu­tion de pro­blèmes avec d’autres orga­ni­sa­tions et avec les auto­ri­tés « offi­cielles ». Et puis les pro­jets dans les com­mu­nau­tés aus­si se sont beau­coup amé­lio­rés, et la répar­ti­tion des pro­jets et des aides de la socié­té civile du monde entier : la san­té et l’éducation ont été beau­coup amé­lio­rées, même s’il y a encore beau­coup de che­min à faire avant d’arriver à ce qu’il devrait y avoir ; pareil avec le loge­ment et l’alimentation, et dans cer­taines zones le pro­blème de la terre va beau­coup mieux parce qu’on a répar­ti les terres récu­pé­rées aux grands pro­prié­taires, mais il y a des zones où on manque ter­ri­ble­ment de terres à culti­ver. Et puis le sou­tien de la socié­té civile mexi­caine et inter­na­tio­nale s’est beau­coup amé­lio­ré, parce que, avant, les gens allaient là où ça leur plai­sait le plus, mais main­te­nant les conseils de bon gou­ver­ne­ment les orientent vers les endroits où il y en a le plus besoin. Pour les mêmes rai­sons, par­tout il y a tou­jours plus de com­pañe­ros, hommes et femmes, qui apprennent à entrer en contact avec des per­sonnes venues d’ailleurs au Mexique et dans le monde. Ils apprennent à res­pec­ter et à exi­ger le res­pect, ils apprennent qu’il y a de nom­breux mondes et que tous ont leur place, leur temps et leur façon de faire, et qu’il faut tous et toutes se res­pec­ter mutuellement.

    Alors nous, les zapa­tistes de l’EZLN, nous avons consa­cré tout ce temps à notre force prin­ci­pale : aux com­mu­nau­tés qui nous appuient. Et il faut dire que la situa­tion s’est bien amé­lio­rée un peu, comme quoi on ne peut pas dire que l’organisation et la lutte zapa­tiste n’ont ser­vi à rien mais plu­tôt que, même si on en finit avec nous, notre lutte aura bel et bien ser­vi à quelque chose.

    Mais il n’y a pas que les com­mu­nau­tés zapa­tistes qui ont pro­gres­sé. L’EZLN aus­si. Parce que ce qui s’est pas­sé pen­dant tout ce temps, c’est que de nou­velles géné­ra­tions ont renou­ve­lé toute notre orga­ni­sa­tion. Un peu comme si elles lui avaient redon­né des forces. Les com­man­dants et les com­man­dantes, qui étaient déjà majeurs au début de notre sou­lè­ve­ment, en 1994, pos­sèdent main­te­nant la sagesse de ce qu’ils ont appris dans une guerre et dans un dia­logue de douze ans avec des mil­liers de femmes et d’hommes du monde entier. Les membres du CCRI, la direc­tion poli­ti­co-orga­ni­sa­tion­nelle zapa­tiste, conseillent et orientent les nou­velles per­sonnes qui entrent dans notre lutte et celles qui vont occu­per des postes de diri­geant. Il y a déjà long­temps que « les comi­tés » (comme nous appe­lons ceux du CCRI) pré­parent toute une nou­velle géné­ra­tion de com­man­dants et de com­man­dantes pour qu’ils apprennent les tâches de direc­tion et d’organisation et com­mencent, après une période d’instruction et d’essai, à les assu­mer. Et il se trouve aus­si que nos insur­gés et insur­gées, nos mili­ciens et mili­ciennes, nos res­pon­sables locaux et régio­naux et nos bases de sou­tien, qui étaient jeunes quand nous avons pris les armes, sont deve­nus des femmes et des hommes, des com­bat­tants vété­rans et des lea­ders natu­rels dans leurs uni­tés et dans leurs com­mu­nau­tés. Et ceux qui n’étaient que des enfants ce fameux 1er jan­vier 1994 sont main­te­nant des jeunes qui ont gran­di dans la résis­tance et qui ont été for­més dans la digne rébel­lion menée par leurs aînés au long de ces douze années de guerre. Ces jeunes ont une for­ma­tion poli­tique, tech­nique et cultu­relle que n’avaient pas ceux et celles qui ont com­men­cé le mou­ve­ment zapa­tiste. Ces jeunes viennent gros­sir aujourd’hui, et tou­jours plus, aus­si bien nos troupes que les postes de direc­tion de notre orga­ni­sa­tion. Et puis, fina­le­ment, nous avons tous pu assis­ter aux trom­pe­ries de la classe poli­tique mexi­caine et aux ravages des­truc­teurs qu’ils ont per­pé­trés dans notre patrie. Et nous avons vu les grandes injus­tices et les mas­sacres que pro­duit la mon­dia­li­sa­tion néo­li­bé­rale dans le monde entier. Mais nous par­le­rons de cela plus tard.

    L’EZLN a donc résis­té de cette manière à douze ans de guerre et d’attaques mili­taires, poli­tiques, idéo­lo­giques et éco­no­miques, à douze ans de siège, de har­cè­le­ment et de per­sé­cu­tions, et ils n’ont pas pu nous vaincre, nous ne nous sommes pas ren­dus ou ven­dus et nous avons avan­cé. Des com­pañe­ros d’autres lieux sont entrés dans notre lutte et, au lieu de nous affai­blir au long de tant d’années, nous sommes deve­nus plus forts. Bien sûr, il y a des pro­blèmes qui peuvent se résoudre sim­ple­ment en sépa­rant plus le poli­ti­co-mili­taire du civil-démo­cra­tique. Mais il y a cer­taines choses plus impor­tantes, comme le sont les exi­gences pour les­quelles nous lut­tons, qui n’ont pas encore été entiè­re­ment satisfaites.

    C’est notre pen­sée et ce que nous éprou­vons dans notre cœur qui nous font dire que nous en sommes arri­vés à un seuil limite et qu’il se peut même que nous per­dions tout ce que nous avons, si nous en res­tons là et si nous ne fai­sons rien pour avan­cer encore. Alors, l’heure est venue de prendre à nou­veau des risques et de faire un pas dan­ge­reux mais qui en vaut la peine. Et peut-être qu’unis à d’autres sec­teurs sociaux qui ont les mêmes manques que nous il devien­dra pos­sible d’obtenir ce dont nous avons besoin et que nous méri­tons d’avoir. Un nou­veau pas en avant dans la lutte indi­gène n’est pos­sible que si les indi­gènes s’unissent aux ouvriers, aux pay­sans, aux étu­diants, aux pro­fes­seurs, aux employés, c’est-à-dire aux tra­vailleurs des villes et des campagnes.

    III. DE COMMENT NOUS VOYONS LE MONDE

    Nous allons vous expli­quer main­te­nant com­ment nous voyons ce qui se passe dans le monde, nous autres, les zapa­tistes. D’abord, nous voyons que c’est le capi­ta­lisme qui est le plus fort aujourd’hui. Le capi­ta­lisme est un sys­tème social, autre­ment dit la façon dont sont orga­ni­sées les choses et les per­sonnes, et qui pos­sède et qui ne pos­sède pas, qui com­mande et qui obéit. Dans le capi­ta­lisme, il y a des gens qui ont de l’argent, autre­ment dit du capi­tal, et des usines et des maga­sins et des champs et plein de choses, et il y en a d’autres qui n’ont rien à part leur force et leur savoir pour tra­vailler ; et dans le capi­ta­lisme com­mandent ceux qui ont l’argent et les choses, tan­dis qu’obéissent ceux qui n’ont rien d’autre que leur force de travail.

    Alors, le capi­ta­lisme ça veut dire qu’il y a un groupe réduit de per­sonnes qui pos­sèdent de grandes richesses. Et pas parce qu’ils auraient gagné un prix ou qu’ils auraient trou­vé un tré­sor ou qu’ils auraient héri­té de leur famille, mais parce qu’ils obtiennent ces richesses en exploi­tant le tra­vail de beau­coup d’autres. Autre­ment dit, le capi­ta­lisme repose sur l’exploitation des tra­vailleurs, un peu comme s’il les pres­sait comme des citrons pour en tirer tous les pro­fits pos­sibles. Tout ça se fait avec beau­coup d’injustice parce qu’on ne paye pas aux tra­vailleurs cor­rec­te­ment leur tra­vail, sinon qu’on leur donne juste un salaire suf­fi­sant pour qu’ils puissent man­ger et se repo­ser un peu et que le jour sui­vant ils retournent au presse-citron, à la cam­pagne comme en ville.

    Mais le capi­ta­lisme fabrique aus­si sa richesse en spo­liant, autre­ment dit par le vol, parce qu’il enlève à d’autres ce qu’il convoite, comme des terres et des richesses natu­relles, par exemple. C’est-à-dire que le capi­ta­lisme est un sys­tème où les voleurs sont libres et admi­rés et don­nés en exemple.

    Et en plus d’exploiter et de spo­lier, le capi­ta­lisme réprime, parce qu’il jette en pri­son et tue ceux qui se rebellent contre l’injustice.

    Ce qui inté­resse le plus le capi­ta­lisme, ce sont les mar­chan­dises, parce que, quand on les achète et on les vend, elles donnent du pro­fit. Alors, le capi­ta­lisme trans­forme tout en mar­chan­dise : il trans­forme en mar­chan­dise les per­sonnes, la nature, la culture, l’histoire, la conscience, tout. Pour le capi­ta­lisme, tout doit pou­voir s’acheter et se vendre. Et il dis­si­mule tout der­rière la mar­chan­dise pour qu’on ne voie pas l’exploitation qui l’a ren­du pos­sible. Et alors les mar­chan­dises s’achètent et se vendent dans un mar­ché, et il se trouve que ce mar­ché ne sert pas seule­ment pour ache­ter et pour vendre, mais aus­si pour dis­si­mu­ler l’exploitation des tra­vailleurs. Par exemple, sur le mar­ché, on voit le café déjà joli­ment empa­que­té dans sa boîte ou dans son paquet, mais on ne voit pas le pay­san qui a souf­fert pour récol­ter ce café et on ne voit pas non plus le coyote qui lui a payé à un prix ridi­cule son tra­vail et on ne voit pas non plus les tra­vailleurs dans les grands ate­liers qui passent leur vie à empa­que­ter ce café. Ou alors on voit un appa­reil pour écou­ter de la musique, de la cum­bia, des ran­che­ras ou des cor­ri­dos ou ce qu’on veut, et on trouve que c’est un très bon appa­reil parce que le son est très bon, mais on ne voit pas l’ouvrière de l’atelier qui a pas­sé un nombre incroyable d’heures à fixer des câbles et à mon­ter cet appa­reil et qui a tou­ché un salaire de misère pour le faire, on ne voit pas qu’elle vit loin de son tra­vail et tout ce qu’elle doit dépen­ser pour le trans­port, sans comp­ter qu’elle risque en plus de se faire enle­ver, d’être vio­lée ou assas­si­née, comme ça arrive à Ciu­dad Juá­rez, au Mexique.

    Autre­ment dit, sur le mar­ché on voit des mar­chan­dises, mais on ne voit pas l’exploitation avec laquelle elles ont été faites. Et alors le capi­ta­lisme a besoin de beau­coup de mar­chés… Ou d’un mar­ché très grand, un mar­ché mondial.

    Et alors il se trouve que le capi­ta­lisme d’aujourd’hui n’est plus le même qu’avant, où les riches se conten­taient d’exploiter les tra­vailleurs cha­cun dans leurs pays, mais qu’il en est main­te­nant à un stade qui s’appelle « glo­ba­li­sa­tion néo­li­bé­rale ». La glo­ba­li­sa­tion en ques­tion, ça veut dire que main­te­nant les capi­ta­listes ne dominent plus seule­ment les tra­vailleurs dans un pays ou dans plu­sieurs pays, mais qu’ils essayent de domi­ner tout dans le monde entier. Et alors le monde, la pla­nète Terre autre­ment dit, on dit aus­si que c’est le « globe ter­restre », c’est pour ça qu’on dit « glo­ba­li­sa­tion », la mon­dia­li­sa­tion, autre­ment dit le monde entier.

    Et le néo­li­bé­ra­lisme, eh bien, c’est l’idée selon laquelle le capi­ta­lisme est libre de domi­ner le monde entier et qu’il n’y a rien à dire et qu’on n’a plus qu’à se rési­gner et à l’admettre et à la fer­mer, autre­ment dit à ne pas se rebel­ler. Alors, le néo­li­bé­ra­lisme c’est comme la théo­rie, le plan, de la mon­dia­li­sa­tion capi­ta­liste. Et le néo­li­bé­ra­lisme a des plans éco­no­miques, poli­tiques, mili­taires et cultu­rels. Dans tous ces plans, il ne s’agit de rien d’autre que de domi­ner le monde entier. Et ceux qui n’obéissent pas, on les réprime ou on les isole pour les empê­cher de don­ner leurs idées de rébel­lion aux autres.

    Alors, dans la mon­dia­li­sa­tion néo­li­bé­rale, les grands capi­ta­listes qui vivent dans des pays puis­sants, comme les États-Unis, par exemple, veulent que le monde entier devienne une énorme usine où pro­duire des mar­chan­dises et une sorte d’énorme mar­ché. Un mar­ché mon­dial, un mar­ché pour ache­ter et vendre tout ce qu’il y a dans le monde et pour dis­si­mu­ler toute l’exploitation du monde entier. Alors les capi­ta­listes mon­dia­li­sés s’installent par­tout, autre­ment dit dans tous les pays, pour faire leurs grands négoces, c’est-à-dire leur grande exploi­ta­tion. Et alors ils ne res­pectent rien et s’installent comme ils veulent. C’est comme qui dirait une conquête des autres pays. C’est pour ça que nous, les zapa­tistes, nous disons que la mon­dia­li­sa­tion néo­li­bé­rale est une guerre de conquête du monde entier, une guerre mon­diale, une guerre entre­prise par le capi­ta­lisme pour domi­ner mon­dia­le­ment. Et alors cette conquête se fait par­fois avec des armées qui enva­hissent un pays par la force et qui s’en emparent. Mais par­fois cette conquête se fait avec l’économie, c’est-à-dire que les capi­ta­listes mettent leur argent dans un autre pays ou bien lui prêtent de l’argent à condi­tion qu’il fasse tout ce qu’ils lui disent de faire. Ils s’installent même dans d’autres pays avec les idées : autre­ment dit, la culture capi­ta­liste, c’est la culture de la mar­chan­dise, du pro­fit, du marché.

    Alors celui qui fait cette conquête, le capi­ta­lisme, fait bien comme il veut, c’est-à-dire qu’il détruit ce qui ne lui plaît pas et éli­mine ce qui le gêne. Par exemple, ceux qui ne pro­duisent ni n’achètent ni ne vendent des mar­chan­dises le gênent. Ou ceux qui se rebellent contre cet ordre mon­dial. Et ceux qui ne servent pas, il les méprise. C’est pour ça que les indi­gènes consti­tuent un obs­tacle à la mon­dia­li­sa­tion néo­li­bé­rale et c’est pour ça qu’on les méprise et qu’on veut les éli­mi­ner. Le capi­ta­lisme néo­li­bé­ral enlève aus­si les lois qui l’empêchent d’exploiter tran­quille­ment et de faire beau­coup de pro­fits. Par exemple, il impose que tout puisse s’acheter et se vendre, mais comme c’est le capi­ta­lisme qui a l’argent, il achète tout.

    Alors, le capi­ta­lisme détruit les pays qu’il enva­hit avec la mon­dia­li­sa­tion néo­li­bé­rale, mais il veut aus­si arran­ger tout ou tout refaire à sa manière, autre­ment dit d’une manière qui lui convienne et sans être gêné par rien ni per­sonne. Alors la mon­dia­li­sa­tion néo­li­bé­rale, capi­ta­liste détruit donc ce qu’il y a dans ces pays : elle détruit leur culture, leur sys­tème éco­no­mique et leur sys­tème poli­tique, et elle détruit même le type de rap­ports que les gens qui vivent dans ce pays ont entre eux. Autre­ment dit, tout ce qui fait d’un pays un pays est ravagé.

    Alors, la mon­dia­li­sa­tion néo­li­bé­rale veut détruire les nations du monde et veut qu’il n’y ait plus qu’une seule nation ou pays : le pays de l’argent, le pays du capi­tal. Le capi­ta­lisme cherche donc à faire que tout soit comme lui veut que ce soit. Et tout ce qui est dif­fé­rent, ça ne lui plaît pas et il le per­sé­cute, il l’attaque, il l’isole dans un coin et fait comme si ça n’existait pas.

    Alors, comme qui dirait en résu­mé, le capi­ta­lisme de la mon­dia­li­sa­tion néo­li­bé­rale se fonde sur l’exploitation, sur la dépos­ses­sion, sur le mépris et sur la répres­sion de ceux qui ne se laissent pas faire. Autre­ment dit, pareil qu’avant mais main­te­nant glo­ba­le­ment, mondialement.

    Mais tout ne marche pas comme sur des rou­lettes dans la mon­dia­li­sa­tion néo­li­bé­rale, parce que les exploi­tés de cha­cun des pays ne veulent pas l’accepter et qu’ils ne se résignent pas à cour­ber l’échine, mais se rebellent, et que ceux qui sont de trop et gênent résistent et ne se laissent pas éli­mi­ner. Et alors nous voyons que dans le monde entier ceux qui sont dans un sale pétrin opposent une résis­tance pour ne pas se lais­ser faire ; autre­ment dit, ils se rebellent, et pas seule­ment dans un pays mais dans plein d’endroits. Autre­ment dit, de la même façon qu’il y a une mon­dia­li­sa­tion néo­li­bé­rale, il y a aus­si une mon­dia­li­sa­tion de la rébellion.

    Dans cette mon­dia­li­sa­tion de la rébel­lion, il n’y a pas que les tra­vailleurs de la cam­pagne et des villes, mais il y aus­si d’autres gens, femmes et hommes, qui sont très sou­vent per­sé­cu­tés et mépri­sés parce qu’ils ne se laissent pas non plus domi­ner : les femmes, les jeunes, les indi­gènes, les homo­sexuels, les les­biennes, les trans­sexuels, les migrants et beau­coup d’autres que nous ne ver­rons pas tant qu’ils n’auront pas hur­lé que ça suf­fit qu’on les méprise et qu’ils ne se seront pas révol­tés. Et alors nous les ver­rons, nous les enten­drons et nous appren­drons à les connaître.

    Et alors nous, nous voyons que tous ces groupes de gens luttent contre le néo­li­bé­ra­lisme, autre­ment dit contre le plan de la mon­dia­li­sa­tion capi­ta­liste, et qu’ils se battent pour l’humanité.

    Et tout ça fait que nous éprou­vons une grande inquié­tude devant la stu­pi­di­té des néo­li­bé­ra­listes qui veulent détruire l’humanité tout entière avec leurs guerres et leur exploi­ta­tion, mais nous éprou­vons en même temps une grande satis­fac­tion en voyant que par­tout sur­gissent des résis­tances et des rébel­lions ; un peu comme la nôtre qui est un peu petite mais qui est tou­jours là. Et nous voyons tout cela dans le monde entier et notre cœur sait que nous ne sommes pas seuls.

    IV. DE COMMENT NOUS VOYONS NOTRE PAYS, LE MEXIQUE

    Nous allons par­ler main­te­nant de com­ment nous voyons ce qui se passe au Mexique, notre pays à nous. Alors, ce que nous voyons, c’est que notre pays est gou­ver­né par les néo­li­bé­ra­listes. Autre­ment dit, comme nous l’avons expli­qué aupa­ra­vant, les gou­ver­nants que nous avons sont en train de détruire ce qui est notre nation, notre patrie mexi­caine. Et le tra­vail de ces gou­ver­nants n’est pas de veiller au bien-être du peuple, non, ils ne pensent qu’au bien-être des capi­ta­listes. Par exemple, ils font des lois comme le trai­té de libre-échange qui plongent dans la misère beau­coup de Mexi­cains, aus­si bien des pay­sans et des petits pro­duc­teurs, parce qu’ils sont « man­gés » par les grandes entre­prises de l’agro-industrie, que des ouvriers et des petits entre­pre­neurs, parce qu’ils ne peuvent pas riva­li­ser avec les grandes entre­prises mul­ti­na­tio­nales, qui s’installent sans que per­sonne ne s’y oppose – et il y en a même qui leur disent mer­ci – et qui imposent leurs bas salaires et leurs prix éle­vés. Alors, cer­taines des bases éco­no­miques, comme on dit, de notre Mexique, comme l’agriculture et l’industrie ou le com­merce natio­nal, sont sacré­ment détruites et il ne reste d’elles que des ruines qui vont sûre­ment être ven­dues aussi.

    C’est un grand mal­heur pour notre patrie, parce que les cam­pagnes ne pro­duisent plus les ali­ments, mais uni­que­ment ce que vendent les grands capi­ta­listes, et que les bonnes terres sont volées par la ruse et avec la com­pli­ci­té des hommes poli­tiques. Autre­ment dit, à la cam­pagne, il se passe aujourd’hui la même chose que sous Por­fi­rio, mais la seule dif­fé­rence c’est qu’au lieu d’hacendados, de grands pro­prié­taires ter­riens, main­te­nant ce sont des entre­prises étran­gères qui foutent dans la merde les pay­sans. Et là où, avant, il y avait des cré­dits et des prix pro­té­gés, main­te­nant, il n’y a plus que des aumônes… Et par­fois même pas.

    Les tra­vailleurs de la ville, eux, voient leurs usines fer­mer et perdent leur tra­vail ou alors ils trouvent à leur place des maqui­la­do­ras, comme on les appelle, des usines-ate­liers appar­te­nant à l’étranger qui payent une misère pour beau­coup d’heures de tra­vail. Et alors le prix des pro­duits dont a besoin le peuple n’a plus aucune impor­tance, parce que, que ce soit cher ou pas, de toute façon la paye ne suf­fit pas. Si avant quelqu’un tra­vaillait dans une petite ou moyenne entre­prise, c’est fini, parce qu’elle a fer­mé et que c’est une mul­ti­na­tio­nale qui l’a ache­tée. Et si avant quelqu’un avait un petit com­merce, lui aus­si a dis­pa­ru ou alors il s’est mis à tra­vailler clan­des­ti­ne­ment pour des grandes entre­prises qui l’exploitent un maxi­mum et qui font même tra­vailler des enfants. Et si des tra­vailleurs étaient dans un syn­di­cat pour reven­di­quer léga­le­ment leurs droits, c’est fini, le syn­di­cat lui-même leur dit qu’il faut retrous­ser ses manches et accep­ter de bais­ser les salaires ou de dimi­nuer la jour­née de tra­vail ou de perdre la pro­tec­tion sociale parce que, sinon, l’entreprise va fer­mer et va par­tir s’installer dans un autre pays. Et après, il y aus­si cette his­toire du micro­chan­gar­ro, « les petits métiers », qui est une sorte de pro­gramme éco­no­mique du gou­ver­ne­ment pour que tous les tra­vailleurs de la ville se mettent à vendre du che­wing-gum ou des cartes de télé­phone aux coins des rues. C’est-à-dire que dans les villes aus­si, c’est la ruine éco­no­mique totale.

    Et alors ce qui se passe, c’est que l’économie du peuple est tel­le­ment patraque, à la ville comme à la cam­pagne, que beau­coup de Mexi­cains et de Mexi­caines doivent aban­don­ner leur patrie, leur terre mexi­caine, pour aller cher­cher du tra­vail dans un autre pays, comme les États-Unis, et que là-bas ils ne sont pas mieux trai­tés, parce qu’on les exploite, on les per­sé­cute, on les méprise et même ils se font tuer.

    Alors, avec le néo­li­bé­ra­lisme que nous imposent ceux du mau­vais gou­ver­ne­ment, l’économie ne s’est pas amé­lio­rée, sinon tout le contraire. Les cam­pagnes sont très pauvres et en ville il n’y a pas de tra­vail. Ce qui se passe, en fait, c’est que le Mexique n’est plus que le pays où naissent, durent un moment et puis après, meurent, ceux qui tra­vaillent pour enri­chir des étran­gers, prin­ci­pa­le­ment des grin­gos riches. C’est pour ça que nous disons que le Mexique est domi­né par les États-Unis.

    Mais il n’y a pas que ça qui se passe. Le néo­li­bé­ra­lisme a aus­si trans­for­mé la classe poli­tique mexi­caine, autre­ment dit les hommes poli­tiques, parce qu’il a fait d’eux des employés de grand maga­sin qui doivent faire tout ce qu’ils peuvent pour tout vendre et vendre au rabais. Vous avez vu com­ment ils ont chan­gé les lois pour sup­pri­mer l’article 27 de la Consti­tu­tion pour pou­voir vendre les terres com­mu­nales et celles des eji­dos. C’est Sali­nas de Gor­ta­ri qui l’a fait ; lui et sa bande pré­ten­daient que c’était pour le bien de l’agriculture et des pay­sans et que, comme ça, on allait pros­pé­rer et vivre mieux. C’est ça qui s’est pas­sé ? Mon œil ! Les cam­pagnes mexi­caines sont plus pauvres que jamais et les pay­sans plus dans la merde que sous Por­fi­rio. Les mêmes avaient aus­si dit qu’ils allaient pri­va­ti­ser, autre­ment dit vendre à l’étranger, les entre­prises qui appar­tiennent à l’État pour amé­lio­rer le sort du peuple, sous pré­texte qu’il fal­lait les moder­ni­ser et que le mieux, c’était de les vendre. Mais au lieu de s’être amé­lio­ré, le sys­tème de pro­tec­tion sociale qui avait été acquis de haute lutte avec la révo­lu­tion de 1910 fait aujourd’hui peine à voir… Ou même honte. Les mêmes avaient aus­si dit qu’il fal­lait ouvrir les fron­tières pour lais­ser entrer tout le capi­tal de l’étranger, pour que les patrons mexi­cains retroussent leurs manches et fassent un peu mieux les choses. Mais aujourd’hui, ce qu’on voit c’est qu’il n’y a plus d’entreprises mexi­caines, elles ont toutes été ava­lées par des étran­gers, et que ce qui se vend est pire que ce qu’on fabri­quait avant au Mexique.

    Et main­te­nant les hommes poli­tiques mexi­cains veulent aus­si vendre la Pemex, autre­ment dit le pétrole des Mexi­cains. La seule dif­fé­rence, c’est qu’il y en a qui disent qu’ils ven­dront tout et d’autres qui disent qu’ils ne ven­dront qu’une par­tie. Et ils veulent aus­si pri­va­ti­ser la sécu­ri­té sociale, et l’électricité, et l’eau, et les forêts, et tout, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien du Mexique et que notre pays devienne une sorte de terre en friche ou un parc d’attractions réser­vé aux riches du monde entier, et que les Mexi­cains et les Mexi­caines ne soient plus que leurs domes­tiques, dépen­dant de ce qu’on veut bien leur don­ner, vivant mal, sans racines, sans culture, autre­ment dit sans patrie.

    Autre­ment dit, les néo­li­bé­ra­listes veulent tuer le Mexique, notre chère patrie mexi­caine. Et les par­tis poli­tiques offi­ciels non seule­ment ne la défendent pas, mais sont les pre­miers à se mettre au ser­vice de l’étranger, prin­ci­pa­le­ment des États-Unis. Ce sont eux qui se chargent de nous trom­per et de nous faire regar­der ailleurs pen­dant qu’ils vendent tout et gardent la paye pour eux. Nous disons bien tous les par­tis poli­tiques offi­ciels qui existent aujourd’hui, pas seule­ment l’un d’entre eux. Essayez de trou­ver s’ils ont fait quelque chose de bien et vous ver­rez que non. Ils n’ont fait que voler et men­tir. Et vous ver­rez qu’eux ont tou­jours leurs belles mai­sons et leurs belles voi­tures et tout leur luxe. Et en plus ils vou­draient qu’on leur dise mer­ci et qu’on vote encore une fois pour eux. Il faut bien dire qu’ils n’ont pas honte, comme on dit. Ils n’ont pas honte tout sim­ple­ment parce qu’ils n’ont pas de patrie, ils n’ont que des comptes en banque.

    Nous voyons aus­si que le nar­co­tra­fic et la cri­mi­na­li­té n’ont pas ces­sé d’augmenter. Par­fois nous pen­sons que les cri­mi­nels sont comme dans les chan­sons ou dans les films et peut-être que cer­tains sont comme ça, mais ce ne sont pas les vrais chefs. Les vrais chefs sont bien habillés, ils ont fait des études à l’étranger, ils sont élé­gants et ils ne se cachent pas. Non, ils mangent dans de bons res­tau­rants et sortent tout beaux, tout propres et bien habillés dans leurs fêtes à la une des jour­naux, c’est comme dirait l’autre « des gens biens » et cer­tains sont même au gou­ver­ne­ment ou sont dépu­tés, séna­teurs, ministres, chefs d’entreprise pros­pères, chefs de la police ou géné­raux de l’armée.

    Nous disons que la poli­tique ne sert à rien ? Non, ce que nous vou­lons dire, c’est que CETTE poli­tique-là ne vaut rien. Elle ne vaut rien parce qu’elle ne tient pas compte du peuple, qu’elle ne l’écoute pas, qu’elle ne pense pas à lui et parce qu’elle vient le trou­ver seule­ment en période d’élections – et ce n’est même pas les votes qui l’intéressent, avec les son­dages pour savoir qui va gagner ça lui suf­fit. Et alors on a droit à plein de pro­messes. Et que je vais faire ça et puis ça aus­si, pro­mis juré. Mais après, il n’y a plus per­sonne, sauf quand on apprend par le jour­nal qu’ils ont volé plein d’argent et qu’on ne va rien leur faire parce que la loi, que ces mêmes hommes poli­tiques ont faite, les protège.

    Parce que ça aus­si, c’est un pro­blème. La Consti­tu­tion est com­plè­te­ment mani­pu­lée et chan­gée. Ce n’est plus celle où il y avait les droits et les liber­tés du peuple tra­vailleur, c’est celle des droits et des liber­tés des néo­li­bé­ra­listes pour faire tous leurs pro­fits. Les juges sont là uni­que­ment pour ser­vir ces néo­li­bé­ra­listes, parce qu’ils finissent tou­jours par tran­cher en leur faveur et que ceux qui ne sont pas riches n’ont droit qu’à l’injustice, à la pri­son et au cimetière.

    Eh bien, en dépit de la grande les­sive orches­trée par les néo­li­bé­ra­listes, il y a quand même des Mexi­cains et des Mexi­caines qui s’organisent et résistent.

    Et on s’aperçoit qu’il y a des indi­gènes, dans leurs terres recu­lées, ici, au Chia­pas, qui s’organisent de manière auto­nome, défendent leur culture et pro­tègent la terre, les forêts et l’eau.

    Et il y a des tra­vailleurs de la cam­pagne, autre­ment dit des pay­sans, qui s’organisent et font des marches et des mobi­li­sa­tions pour deman­der des cré­dits et des aides pour la campagne.

    Et il y a des tra­vailleurs des villes qui refusent qu’on leur retire leurs droits ou que l’on pri­va­tise leur tra­vail et ils pro­testent et mani­festent pour ne pas perdre le peu qu’ils ont et pour que notre pays ne perde pas ce qui lui appar­tient, comme l’électricité, le pétrole, la sécu­ri­té sociale et l’éducation.

    Et il y a des étu­diants qui refusent que l’on pri­va­tise l’éducation et qui se battent pour qu’elle soit gra­tuite et popu­laire et scien­ti­fique, autre­ment dit, qu’elle ne soit pas payante, que tout le monde puisse apprendre et que dans les écoles on n’enseigne pas des stupidités.

    Et il y a des femmes qui refusent de conti­nuer à être trai­tées comme de simples potiches et d’être humi­liées et mépri­sées sous le pré­texte qu’elles sont femmes, et elles s’organisent et se battent pour obte­nir le res­pect qu’elles méritent en tant que femmes.

    Et il y a des jeunes qui refusent qu’on les abru­tisse avec des drogues ou qu’on les per­sé­cute pour leur façon d’être et ils prennent conscience avec leur musique et leur culture, autre­ment dit avec leur rébellion.

    Et il y a des homo­sexuels, des les­biennes, des trans­sexuels et d’autres encore qui refusent qu’on se moque d’eux, qu’on les méprise, qu’on les mal­traite et qu’on en arrive à leur ôter la vie sim­ple­ment parce qu’ils ont une façon dif­fé­rente d’être, et qu’on les traite d’anormaux ou de délin­quants, et ils créent leurs propres orga­ni­sa­tions pour défendre le droit à la différence.

    Et il y a des prêtres et des bonnes sœurs et ceux que l’on appelle sécu­liers qui ne sont pas du côté des riches et qui ne se résignent pas à la simple prière, et ils s’organisent pour accom­pa­gner le peuple dans sa lutte.

    Et il y a ceux que l’on appelle com­bat­tants sociaux, des femmes et des hommes qui ont pas­sé toute leur vie à se battre pour le peuple exploi­té, qui ont par­ti­ci­pé aux grandes grèves et aux actions des ouvriers, aux grandes mobi­li­sa­tions des citoyens et aux grands mou­ve­ments pay­sans et qui ont été vic­times d’une ter­rible répres­sion, mais, en dépit de tout cela et bien que cer­tains soient très vieux, ils conti­nuent à ne pas se rendre. Et ils vont par­tout où est la lutte et ne cessent de cher­cher à s’organiser et à faire que jus­tice soit ren­due. Et ils créent des orga­ni­sa­tions de gauche, des orga­ni­sa­tions non gou­ver­ne­men­tales, des orga­ni­sa­tions pour le res­pect des droits de l’être humain, des orga­ni­sa­tions pour la défense des pri­son­niers poli­tiques et pour la réap­pa­ri­tion des dis­pa­rus. Et ils créent des publi­ca­tions de gauche, des orga­ni­sa­tions de pro­fes­seurs ou d’étudiants. Autre­ment dit, ils par­ti­cipent à une lutte sociale. Et il y en a même qui créent des orga­ni­sa­tions poli­ti­co-mili­taires. Tous ceux-là ne se tiennent pas tran­quilles et ils en savent long, parce qu’ils ont vu, et enten­du, et vécu beau­coup de choses, et qu’ils ont beau­coup lutté.

    Alors, en géné­ral, nous, nous voyons que, dans notre pays, qui s’appelle le Mexique, il y a beau­coup de gens qui ne se laissent pas faire, qui ne se rendent pas, qui ne se vendent pas. Autre­ment dit, qui sont dignes. Et cela nous réjouit et nous donne une cer­taine satis­fac­tion, parce que avec tous ces gens ça ne va pas être si facile pour les néo­li­bé­ra­listes et peut-être que l’on par­vien­dra même à sau­ver notre patrie des incroyables vols et de la des­truc­tion que les néo­li­bé­ra­listes ont entre­pris. Et nous nous pre­nons à pen­ser que ce serait bien si notre « nous autres » incluait toutes ces rébellions…

    V. CE QUE NOUS VOULONS FAIRE

    Bien, alors main­te­nant nous allons vous dire ce que nous vou­drions faire dans le monde et au Mexique, parce que nous sommes inca­pables de nous taire, sans plus, devant tout ce qui se passe sur cette pla­nète, comme s’il n’y avait que nous qui étions là où nous en sommes.

    Alors dans le monde, nous vou­lons dire à vous tous qui résis­tez et lut­tez à votre façon et dans votre pays que vous n’êtes pas seuls et que nous, les zapa­tistes, même si nous sommes tout petits, nous vous sou­te­nons et nous allons cher­cher un moyen de vous aider dans vos luttes et de par­ler avec vous pour apprendre, parce que s’il y a bien une chose que nous avons apprise, c’est à apprendre.

    Et nous vou­lons dire aux peuples lati­no-amé­ri­cains que nous sommes fiers d’être des leurs, même si nous n’en sommes qu’une petite par­tie. Et que nous nous rap­pe­lons par­fai­te­ment com­ment ce conti­nent s’est illu­mi­né, il y a des années de cela, et qu’une lumière s’appelait Che Gue­va­ra, comme aupa­ra­vant elle s’était appe­lée Boli­var, parce que par­fois les peuples se sai­sissent d’un nom pour dire qu’ils se sai­sissent d’un étendard.

    Et nous vou­lons dire au peuple de Cuba, qui résiste depuis si long­temps sur son che­min, qu’il n’est pas seul et que nous ne sommes pas d’accord avec le blo­cus dont il est vic­time et que nous allons cher­cher un moyen de lui envoyer quelque chose, même si ce n’est que du maïs, pour l’aider à résis­ter. Et nous vou­lons dire au peuple nord-amé­ri­cain que nous ne sommes pas naïfs et que nous savons que leurs mau­vais gou­ver­ne­ments sont une chose, et que les Nord-Amé­ri­cains qui luttent dans leur pays et se soli­da­risent avec les luttes d’autres pays sont une chose très dif­fé­rente. Et nous vou­lons dire aux frères et aux sœurs Mapuche du Chi­li que nous connais­sons leur lutte et que nous appre­nons d’elle. Et à ceux et celles du Vene­zue­la que nous trou­vons que c’est bien la manière dont ils défendent leur sou­ve­rai­ne­té, autre­ment dit le droit de leur nation à déci­der du che­min qu’elle veut emprun­ter. Et nous vou­lons dire aux frères et aux sœurs indi­gènes d’Équateur et de Boli­vie qu’ils sont en train de don­ner une belle leçon d’histoire, à nous et à l’Amérique latine tout entière, parce que pour une fois on par­vient à stop­per la mon­dia­li­sa­tion néo­li­bé­rale. Et nous vou­lons dire aux pique­te­ros et aux jeunes d’Argentine, sim­ple­ment, que nous les aimons. Et à ceux d’Uruguay qui veulent un meilleur pays que nous les admi­rons. Et à ceux qui sont sans terre au Bré­sil que nous les res­pec­tons. Et à tous les jeunes d’Amérique latine que ce qu’ils font est très bien et qu’ils nous donnent beau­coup d’espoir.

    Et nous vou­lons dire aux frères et aux sœurs de l’Europe sociale, autre­ment dit l’Europe digne et rebelle, qu’ils ne sont pas seuls. Que nous nous réjouis­sons de leurs grands mou­ve­ments contre les guerres néo­li­bé­rales. Que nous obser­vons atten­ti­ve­ment leurs formes d’organisation et leurs formes de lutte pour en apprendre éven­tuel­le­ment quelque chose. Que nous cher­chons un moyen de sou­te­nir leurs luttes et que nous n’allons pas leur envoyer des euros, pour qu’après ils soient déva­lués à cause de l’effondrement de l’Union euro­péenne, mais que nous allons peut-être leur envoyer de l’artisanat et du café, pour qu’ils les com­mer­cia­lisent et en tirent quelque chose pour les aider dans leurs luttes. Et que peut-être que nous leur enver­rons du pozole, ça donne des forces pour résis­ter, mais qu’après tout il est pos­sible que nous ne le leur envoyions pas, parce que le pozole c’est quelque chose bien de chez nous et qu’il ne man­que­rait plus qu’ils attrapent mal au ventre et qu’après, leurs luttes s’en res­sentent et qu’ils soient vain­cus par les néolibéralistes.

    Et nous vou­lons dire aux frères et sœurs d’Afrique, d’Asie et d’Océanie que nous savons qu’eux aus­si luttent et que nous vou­lons en savoir plus sur leurs idées et sur leurs pratiques.

    Et nous vou­lons dire au monde que nous vou­lons le faire plus grand, si grand que puissent y avoir leur place tous les mondes qui résistent parce que les néo­li­bé­ra­listes veulent les détruire et qu’ils ne se laissent pas faire mais luttent pour l’humanité.

    Alors, au Mexique, nous vou­lons arri­ver à un accord avec des per­sonnes et des orga­ni­sa­tions de gauche, uni­que­ment, parce que nous pen­sons que ce n’est qu’au sein de la gauche poli­tique que l’on trouve la volon­té de résis­ter à la mon­dia­li­sa­tion néo­li­bé­rale et de construire un pays où tout le monde jouisse de la jus­tice, de la démo­cra­tie et de la liber­té. Et non comme main­te­nant où la jus­tice n’existe que pour les riches, où la liber­té n’existe que pour leurs grands négoces et où la démo­cra­tie n’existe que pour cou­vrir les murs de pro­pa­gande élec­to­rale. Et aus­si parce que nous pen­sons que c’est uni­que­ment de la gauche que peut sur­gir un plan de lutte pour que notre patrie, c’est-à-dire le Mexique, ne meure pas.

    Et alors, ce à quoi nous avons pen­sé, c’est de dres­ser avec ces per­sonnes et orga­ni­sa­tions de gauche un plan pour aller par­tout au Mexique où il y a des gens humbles et simples comme nous.

    Et nous n’allons pas aller leur dire ce qu’ils doivent faire, autre­ment dit leur don­ner des ordres.

    Nous n’allons pas non plus leur deman­der de voter pour tel ou tel can­di­dat, nous savons par­fai­te­ment qu’ils sont tous par­ti­sans du néolibéralisme.

    Nous n’allons pas non plus leur dire qu’ils fassent comme nous ou qu’ils prennent les armes.

    Non, ce que nous allons faire, c’est leur deman­der com­ment ils vivent, com­ment est leur lutte, ce qu’ils pensent de notre pays et com­ment faire ensemble pour ne pas être vaincus.

    Ce que nous allons faire, c’est aller cher­cher la pen­sée des gens simples et humbles comme nous et peut-être que nous y trou­ve­rons le même amour que nous res­sen­tons pour notre pays.

    Et peut-être allons-nous trou­ver un accord entre gens simples et humbles, et ensemble nous orga­ni­ser dans tout le pays et faire concor­der nos luttes, qui res­tent iso­lées, loin les unes des autres, et trou­ver une sorte de pro­gramme qui réunisse ce que tout le monde veut, et un plan de ce que nous ferons, et com­ment, pour que ce pro­gramme, appe­lé « pro­gramme natio­nal de lutte », se réalise.

    Et alors, en accord avec la majo­ri­té des gens que nous allons écou­ter, eh bien, nous pour­rions faire une lutte de tout le monde : des indi­gènes, des ouvriers, des pay­sans, des étu­diants, des pro­fes­seurs, des employés, des femmes, des enfants, des anciens et des hommes et avec toutes les per­sonnes au cœur bon qui auront envie de lut­ter pour que ne soit pas détruit et ven­du notre pays, qu’on appelle « le Mexique » et qui va du Rio Bra­vo au Rio Suchiate et qui est bor­dé, d’un côté, par l’océan Paci­fique, et de l’autre, par l’océan Atlantique.

    VI. COMMENT NOUS ALLONS LE FAIRE

    Alors voi­ci notre parole simple, qui s’adresse aux gens humbles et simples du Mexique et du monde et que nous appe­lons en cette occasion :

    Sixième Décla­ra­tion de la forêt Lacandone

    Et nous voi­ci venus pour dire, avec notre parole simple, que…

    L’EZLN renou­velle ses enga­ge­ments concer­nant le main­tien du ces­sez-le-feu offen­sif et elle ne lan­ce­ra aucune attaque contre les forces gou­ver­ne­men­tales et n’effectuera aucun mou­ve­ment de troupes offensif.

    L’EZLN renou­velle ses enga­ge­ments concer­nant la pour­suite de ses acti­vi­tés dans le cadre de la lutte poli­tique, avec l’initiative paci­fique actuelle. Par consé­quent, l’EZLN main­tient sa volon­té de n’entretenir aucune sorte de rela­tion secrète avec des orga­ni­sa­tions poli­ti­co-mili­taires mexi­caines ou d’autres pays.

    L’EZLN renou­velle ses enga­ge­ments concer­nant la défense, le sou­tien et l’obéissance aux com­mu­nau­tés indi­gènes zapa­tistes qui la consti­tuent ain­si qu’à leur com­man­de­ment suprême, et, sans inter­fé­rer avec leurs méthodes démo­cra­tiques internes et dans la mesure de ses pos­si­bi­li­tés, elle contri­bue­ra au ren­for­ce­ment de leur auto­no­mie, de leur bon gou­ver­ne­ment et à l’amélioration de leurs condi­tions de vie. Autre­ment dit, ce que nous allons faire au Mexique et dans le monde, nous le ferons sans armes, dans le cadre d’un mou­ve­ment civil et paci­fique, et sans négli­ger ni ces­ser de sou­te­nir nos communautés.

    Par consé­quent…

    Dans le monde…

    1. Nous éta­bli­rons plus de rela­tions res­pec­tueuses et de sou­tiens mutuels avec des per­sonnes et des orga­ni­sa­tions qui résistent et luttent contre le néo­li­bé­ra­lisme et pour l’humanité.
    2. Dans la mesure de nos pos­si­bi­li­tés, nous four­ni­rons des aides maté­rielles, des ali­ments et de l’artisanat aux frères et sœurs qui luttent dans le monde entier.
    Pour com­men­cer, nous allons deman­der au conseil de bon gou­ver­ne­ment de La Rea­li­dad de nous prê­ter le camion bap­ti­sé « Chom­pi­ras », d’une capa­ci­té d’environ 8 tonnes, et nous allons le rem­plir de maïs et si pos­sible de deux bidons de 200 litres cha­cun rem­pli d’essence ou de pétrole, selon les besoins, que nous allons livrer à l’ambassade de Cuba à Mexi­co, pour qu’elle le fasse par­ve­nir au peuple cubain en tant que sou­tien des zapa­tistes à sa résis­tance au blo­cus nord-amé­ri­cain. Mais s’il y avait un endroit plus près où livrer, ce ne serait pas plus mal, parce qu’il faut tou­jours aller jusqu’à Mexi­co qui est bien loin et il n’est pas impos­sible que « Chom­pi­ras » rende l’âme et alors on n’en mène­rait pas large. Et de toute façon, ce ne serait pas avant la récolte et si on ne nous attaque pas, parce que tout est encore vert dans la mil­pa et que si nous l’envoyons main­te­nant, ce sera de l’elote qui n’arriverait pas en bonnes condi­tions, même sous forme de tamales. Ce serait mieux en novembre ou en octobre, au choix.

    Et nous allons aus­si nous mettre d’accord avec des coopé­ra­tives d’artisanat de femmes pour pou­voir envoyer une bonne car­gai­son de vête­ments bro­dés aux Europes, qui ne seront peut-être plus une Union, et peut-être aus­si du café éco­lo­gique des coopé­ra­tives zapa­tistes, pour les vendre et avoir un peu de sous pour leur lutte. Et si cela ne se vend pas, ils pour­ront tou­jours se faire un petit café et cau­ser de la lutte anti­néo­li­bé­rale, et s’il fait froid, ils pour­ront mettre les vête­ments bro­dés zapa­tistes, qui résistent par­fai­te­ment au lavage à la main et à la pierre, et qui ne déteignent pas, en plus.

    Et nous allons aus­si envoyer aux frères et sœurs indi­gènes de Boli­vie et d’Équateur un peu de maïs non trans­gé­nique. Il y a juste que nous ne savons pas où le livrer pour qu’il arrive en de bonnes mains, mais nous aime­rions vrai­ment four­nir cette petite aide. […]

    Lire la suite (source) : http://​csp​cl​.ouva​ton​.org/​a​r​t​i​c​l​e​.​p​h​p​3​?​i​d​_​a​r​t​i​c​l​e​=​204

    Réponse
  4. Ana Sailland

    -Cer­tains dis­cours ne sont pas des ana­lyses mais un auto-clouage sur la croix … de la ver­ti­ca­li­té et de l’horizontalité 😉

    avec pour malé­fice secon­daire de clouer du même coup les autres pen­seurs sur cette même croix. 

    C’est de l’ordre du sans issue.

    -Dès qu’on avance une idée, théo­rique ou déjà incar­née, qui met en valeur ou s’ap­puie sur cer­tains des bons côtés de l’être humain, paf ! c’est comme si on avait appuyé sur le bou­ton, sur­vient , réflexe ani­mal, le mot « rous­seauisme », comme arme de des­truc­tion mas­sive de l’es­poir, ou fin de non recevoir.

    -Les réfé­rences à la nature humaine uti­li­sées pour dis­qua­li­fier cer­taines pros­pec­tions sur l’or­ga­nisme social négligent l’in­te­rac­tion entre le sys­tème dans lequel il vit et les moteurs inté­rieurs à l’être, ne consi­dèrent que l’im­pact des arché­types sur le com­por­te­ment humain, indi­vi­duel et col­lec­tif, en gom­mant l’ef­fet rétro­ac­tif d’une réforme exté­rieure à l’être sur ces mêmes archétypes. 

    La dia­lec­tique du moi col­lec­tif et de l’in­cons­cient col­lec­tif, en quelque sorte ;), qui fait que toute réforme ins­ti­tu­tion­nelle, qu’elle soit bonne ou mau­vaise, implique une réforme de même qua­li­té (bonne ou mau­vaise) au niveau des esprits, et avec le temps jusque dans leurs pro­fon­deurs cachées, donc pro­duit à moyen terme une sta­bi­li­sa­tion du nou­veau système.

    Réponse
  5. Ana Sailland

    Ce mes­sage était très néga­tif 🙂 : je suis aga­cée par les coups que des gens brillants portent avec insis­tance à la recherche.

    Alors, donc, dans le posi­tif, je suis enthou­sias­mée par l’a­ven­ture zapa­tiste, por­teuse d’es­poir, sur le terrain.

    Réponse
  6. BA

    Le 4 octobre 2009, les élec­teurs grecs font subir une énorme défaite à la droite grecque. Le gou­ver­ne­ment de droite est balayé.

    Le 6 octobre 2009, le socia­liste Gior­gos Papan­dréou devient le nou­veau pre­mier ministre de la Grèce.

    Le 17 octobre 2009, Gior­gos Papan­dréou annonce au monde entier une ter­rible nou­velle : le pré­cé­dent gou­ver­ne­ment de droite avait men­ti, les chiffres étaient faux, la Grèce est en faillite.

    Rap­pel :

    Onze jours après son arri­vée au pou­voir, il annonce, dans un sou­ci de trans­pa­rence, que l’é­tat réel des finances grecques avait été caché par le pré­cé­dent gou­ver­ne­ment. Il fait réta­blir les véri­tables don­nées éco­no­miques, dont un défi­cit équi­valent à 12,5 % du PIB pour la seule année 2009. La Com­mis­sion euro­péenne confir­me­ra cette fal­si­fi­ca­tion des don­nées quelques semaines plus tard.

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Gi%C3%B3rgos_Papandr%C3%A9ou_%281952%29

    Et sept ans plus tard ?

    Sept ans plus tard, en 2016, la Grèce est encore plus en faillite.

    Les classes popu­laires se sont appau­vries, les classes moyennes se sont appau­vries, et le chô­mage a explosé.

    En 2009, les autres pays euro­péens ont eu une idée géniale : puisque la Grèce était déjà hyper-endet­tée en 2009, les pays euro­péens ont déci­dé … de lui prê­ter de l’argent !

    Les pays euro­péens ont rajou­té des mon­tagnes de dettes par-des­sus les mon­tagnes de dettes qui écra­saient déjà la Grèce.

    Aujourd’­hui, la Grèce est com­plè­te­ment asphyxiée. Chaque année, le coût de la dette est de 26 mil­liards d’eu­ros ! (Et chaque année, les recettes de l’E­tat sont de 55 mil­liards d’euros !)

    Le coût de la dette va donc res­ter des plus lourds. La Com­mis­sion euro­péenne a évo­qué une limite de 15 % du PIB pour les besoins de finan­ce­ment du pays chaque année. Si cette limite est appli­quée, elle sera consi­dé­rable et repré­sente aujourd’­hui 26 mil­liards d’eu­ros. Les recettes de l’E­tat grec s’é­le­vaient à 55 mil­liards d’eu­ros en 2015…

    http://​www​.latri​bune​.fr/​e​c​o​n​o​m​i​e​/​u​n​i​o​n​-​e​u​r​o​p​e​e​n​n​e​/​g​r​e​c​e​-​u​n​e​-​n​o​u​v​e​l​l​e​-​v​i​c​t​o​i​r​e​-​p​o​u​r​-​l​e​s​-​c​r​e​a​n​c​i​e​r​s​-​5​7​0​2​8​1​.​h​tml

    Der­nier prêt : mar­di 24 mai 2016, dans la soirée :

    UE : nou­veau prêt accor­dé à la Grèce.

    Les ministres des Finances de la zone euro devraient approu­ver le ver­se­ment de 10,3 mil­liards d’eu­ros d’aide à la Grèce, ont décla­ré ce soir des res­pon­sables de la zone euro en marge d’une réunion de l’Eu­ro­groupe qui se déroule à Bruxelles. 

    http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/05/24/97001–20160524FILWWW00388-ue-nouveau-pret-accorde-a-la-grece.php

    Conclu­sion :

    A par­tir d’oc­tobre 2009, les pays euro­péens auraient dû DONNER 300 mil­liards d’eu­ros à la Grèce pour la sau­ver de la faillite. Mais ils n’ont pas vou­lu lui DONNER de l’argent. 

    En revanche, ils ont accep­té de lui PRETER de l’argent. Ils ont ensuite deman­dé à la Grèce de payer des inté­rêts sur ces prêts. Ce fai­sant, ils ont aggra­vé la catastrophe.

    La faillite totale de la Grèce est le sym­bole de la faillite totale de la construc­tion européenne.

    Réponse
  7. Ana Sailland

    Topo­lo­gie de la décision
    ________________

    La démo­cra­tie vraie passe, entre autres, par une inven­tion et par la mise en œuvre d’une topo­lo­gie de la déci­sion, qui ne sau­rait être ver­ti­cale, ni hori­zon­tale, mais plane.

    Et encore, cette image n’est pas la meilleure, car les centres de déci­sion ne doivent pas for­mer un espace métrique, mais au contraire un espace amé­trique ( néo­lo­gisme de cir­cons­tance ), car les points éloi­gnés phy­si­que­ment ne doivent pas l’être d’un point de vue relationnel.

    Si pour un vil­lage la ques­tion ne se pose pas, il fau­dra au contraire pour tout vaste ter­ri­toire pen­ser non seule­ment une dis­tri­bu­tion uni­forme des points de déli­bé­ra­tion, mais encore une dis­tri­bu­tion exhaus­tive et sans pri­vi­lège des cor­ré­la­tions entre ces points.

    Par ailleurs, du concept de ver­ti­ca­li­té, dont on sait la toxi­ci­té, on pour­ra conser­ver le prin­cipe de sub­si­dia­ri­té, mais tous azi­muts, donc pas dans l’es­prit d’une hié­rar­chie, mais au contraire en conce­vant dans toutes les direc­tions du plan des emboi­te­ments d’as­sem­blées déli­bé­ra­tives ( struc­ture gigogne sans direc­tion privilégiée ) 

    Il ne s’a­git que d’un brouillon .….…..

    La ques­tion des acteurs est majeure, mais d’une autre nature.

    Réponse
  8. Jacques Racine

    Une thèse d’an­thro­po­lo­gie signa­lée par David Grae­ber sur son compte twit­ter : « Good poli­tics pro­per­ty inter­sec­tio­na­li­ty and the making of the anar­chist self » par Eri­ca Laga­lisse (en anglais).

    http://​digi​tool​.libra​ry​.mcgill​.ca/​R​/​-​?​f​u​n​c​=​d​b​i​n​-​j​u​m​p​-​f​u​l​l​&​o​b​j​e​c​t​_​i​d​=​1​4​5​2​9​9​&​s​i​l​o​_​l​i​b​r​a​r​y​=​G​E​N01

    P.175 : « After all, eve­ry time we asked the Zapa­tis­tas “What can we do to help?” the ans­wer was some­thing along the lines of “Go home and build social move­ments there, against neo­li­be­ra­lism and for the people, for their sake and for ours.” This stuff does get lod­ged in the brain somewhere. »

    Réponse

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