John Pilger : « une guerre mondiale a commencé – Brisez le silence ». – ÉC : « cherchez la cause des causes dans notre consentement au faux »‘suffrage universel’ (élire des maîtres au lieu de voter nos lois). »

4/04/2016 | 10 commentaires

Encore une remar­quable syn­thèse de John Pil­ger, inti­tu­lée « Une guerre mon­diale a com­men­cé – Bri­sez le silence » (voir plus bas).

Mon com­men­taire : j’aime lire John Pil­ger. Mais, je déses­père de ne trou­ver, même chez lui, tou­jours pas un mot sur la cause pre­mière de toutes ces grandes misères : notre consen­te­ment au faux « suf­frage uni­ver­sel » (élire des maîtres au lieu de voter les lois), pro­cé­dure plou­to­cra­tique qui donne (tou­jours) le pou­voir de déci­der aux ultras-riches et qui conduit donc – méca­ni­que­ment, depuis 200 ans – au capi­ta­lisme, et à la guerre.

Nous aurons la guerre tant que nous ado­re­rons (idio­te­ment) l’é­lec­tion comme une vache sacrée.
La seule pro­cé­dure qui retire toute prise aux escrocs poli­ti­ciens est aus­si la seule pro­cé­dure authen­ti­que­ment démo­cra­tique, c’est le tirage au sort.
Pas de paix sans démo­cra­tie et pas de démo­cra­tie sans tirage au sort.
Mais pas de tirage au sort sans pro­ces­sus consti­tuant popu­laire => Vous n’y cou­pe­rez pas, il va fal­loir tra­vailler : si vous vou­lez une vraie consti­tu­tion, il fau­dra apprendre à l’é­crire vous-même.

Sinon, comme tou­jours, les pires gouverneront.

Une guerre mondiale a commencé – Brisez le silence (par John Pilger)

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9ae3deca6381c2a9e1ecfec3d7b54303John Pil­ger est un jour­na­liste de natio­na­li­té Aus­tra­lienne, né à Syd­ney le 9 Octobre 1939, par­ti vivre au Royaume-Uni depuis 1962. Il est aujourd’hui basé à Londres et tra­vaille comme cor­res­pon­dant pour nombre de jour­naux, comme The Guar­dian ou le New Sta­tes­man.

Il a reçu deux fois le prix de meilleur jour­na­liste de l’année au Royaume-Uni (Britain’s Jour­na­list of the Year Award). Ses docu­men­taires, dif­fu­sés dans le monde entier, ont reçu de mul­tiples récom­penses au Royaume-Uni et dans d’autres pays.

John Pil­ger est membre, à l’instar de Van­da­na Shi­va et de Noam Chom­sky, de l’IOPS (Inter­na­tio­nal Orga­ni­za­tion for a Par­ti­ci­pa­to­ry Socie­ty), une orga­ni­sa­tion inter­na­tio­nale et non-gou­ver­ne­men­tale créée (mais encore en phase de créa­tion) dans le but de sou­te­nir l’activisme en faveur d’un monde meilleur, prô­nant des valeurs ou des prin­cipes comme l’autogestion, l’équité et la jus­tice, la soli­da­ri­té, l’anarchie et l’écologie.

Article ini­tia­le­ment publié le 20 mars 2016 en anglais, sur le site offi­ciel de John Pil­ger, à cette adresse.


Je suis allé fil­mer aux îles Mar­shall, qui se situent au Nord de l’Australie, au milieu de l’océan Paci­fique. A chaque fois que je raconte cela à des gens, ils demandent, « Où est-ce ? ». Si je leur donne comme indice « Biki­ni », ils répliquent, « vous par­lez du maillot de bain ».

Bien peu semblent savoir que le maillot de bain biki­ni a été ain­si nom­mé pour com­mé­mo­rer les explo­sions nucléaires qui ont détruit l’île de Biki­ni. Les États-Unis ont fait explo­ser 66 engins nucléaires aux îles Mar­shall entre 1946 et 1958 – l’équivalent de 1,6 bombe d’Hiroshima chaque jour, pen­dant 12 ans.

Biki­ni est silen­cieuse aujourd’hui, mutante et conta­mi­née. Des pal­miers y poussent sous une étrange forme de grille. Rien ne bouge. Il n’y a pas d’oiseaux. Les stèles du vieux cime­tière sont vibrantes de radia­tions. Mes chaus­sures ont été décla­rées “dan­ge­reuses” sur un comp­teur Geiger.

Debout sur la plage, j’ai regar­dé le vert éme­raude du Paci­fique dis­pa­raître dans un vaste trou noir. Il s’agissait du cra­tère lais­sé là par la bombe à hydro­gène qu’ils avaient appe­lée « Bra­vo ». L’explosion a empoi­son­né les gens et leur envi­ron­ne­ment sur des cen­taines de kilo­mètres, peut-être pour toujours.

Lors de mon voyage de retour, je me suis arrê­té à l’aéroport d’Honolulu, et j’ai remar­qué un maga­zine états-unien inti­tu­lé « Women’s Health » (la San­té des Femmes) . Sur la cou­ver­ture, une femme sou­riante dans un maillot de bain biki­ni, et comme titre : « Vous aus­si, vous pou­vez avoir un corps biki­ni ». Quelques jours aupa­ra­vant, aux îles Mar­shall, j’avais inter­viewé des femmes qui avaient des« corps biki­ni » très dif­fé­rents ; elles souf­fraient toutes de can­cer de la thy­roïde ou d’autres can­cers mortels.

Contrai­re­ment à la femme sou­riante du maga­zine, elles étaient toutes pauvres, vic­times et cobayes d’un super­pou­voir vorace, aujourd’hui plus dan­ge­reux que jamais.

Je relate cette expé­rience en guise d’avertissement et pour mettre un terme à une dis­trac­tion qui a consu­mé beau­coup d’entre nous. Le fon­da­teur de la pro­pa­gande moderne, Edward Ber­nays, a décrit ce phé­no­mène comme « la mani­pu­la­tion consciente et intel­li­gente des habi­tudes et des opi­nions » des socié­tés démo­cra­tiques. Il l’a appe­lé le « gou­ver­ne­ment invi­sible ».

Com­bien sont au cou­rant qu’une guerre mon­diale a com­men­cé ? En ce moment, il s’agit d’une guerre de pro­pa­gande, de men­songes et de dis­trac­tion, mais cela peut chan­ger ins­tan­ta­né­ment au moindre ordre mal inter­pré­té, avec le pre­mier missile.

En 2009, le pré­sident Oba­ma se tint devant une foule en liesse au centre de Prague, au cœur de l’Europe. Il s’engagea à « libé­rer le monde des armes nucléaires ». Les gens applau­dirent et cer­tains pleu­rèrent. Un tor­rent de pla­ti­tudes jaillit des médias. Par la suite, Oba­ma reçut le prix Nobel de la paix.

Un tis­su de men­songe. Il mentait.

L’administration Oba­ma a fabri­qué plus d’armes nucléaires, plus de têtes nucléaires, plus de sys­tèmes de vec­teurs nucléaires, plus de cen­trales nucléaires. Les dépenses en têtes nucléaires à elles seules ont plus aug­men­té sous Oba­ma que sous n’importe quel autre pré­sident. Le coût sur 3 ans s’élève à plus d’1 bil­lion de dollars.

Une mini- bombe nucléaire est pré­vue. Elle est connue sous le nom de B61-12. C’est sans pré­cé­dent. Le Géné­ral James Cart­wright, ancien vice-pré­sident de l’état-major inter­ar­mées, a expli­qué que :« Minia­tu­ri­ser [rend l’utilisation de cette bombe] nucléaire plus conce­vable ».

Au cours des  dix-huit der­niers mois, la plus grande concen­tra­tion de forces mili­taires depuis la seconde Guerre Mon­diale — opé­rée par les USA — a lieu le long de la fron­tière occi­den­tale de la Rus­sie. Il faut remon­ter à l’invasion de l’Union Sovié­tique par Hit­ler pour trou­ver une telle menace envers la Rus­sie par des troupes étrangères.

L’Ukraine — autre­fois membre de l’Union Sovié­tique — est deve­nue un parc d’attraction pour la CIA. Ayant orches­tré un coup d’état à Kiev, Washing­ton contrôle effi­ca­ce­ment un régime fron­ta­lier et hos­tile envers la Rus­sie, un régime lit­té­ra­le­ment infes­té de Nazis. D’importantes per­son­na­li­tés du par­le­ment Ukrai­nien sont les héri­tiers poli­tiques des par­tis fas­cistes OUN et UPA. Ils font ouver­te­ment l’apologie d’Hitler et appellent à la per­sé­cu­tion et à l’expulsion de la mino­ri­té russophone.

Tout cela est rare­ment rap­por­té en Occi­dent, quand ce n’est pas inver­sé pour tra­ves­tir la vérité.

En Let­to­nie, Litua­nie et en Esto­nie — à côté de la Rus­sie — l’armée US déploie des troupes de com­bat, des tanks, des armes lourdes. Cette pro­vo­ca­tion extrême de la seconde puis­sance nucléaire du monde est pas­sée sous silence en Occident.

La pers­pec­tive d’une guerre nucléaire est d’autant plus dan­ge­reuse qu’une cam­pagne paral­lèle a été lan­cée contre la Chine.

Il est rare qu’un jour passe sans qu’on parle de la Chine comme d’une « menace ». Selon l’Amiral Har­ry Har­ris, le com­man­dant en chef US du Paci­fique, la Chine « construit un grand mur de sable dans le Sud de la Mer de Chine ».

Il fait réfé­rence à la construc­tion par la Chine de pistes d’atterrissage dans les îles Sprat­ly, qui font l’objet d’un conflit avec les Phi­lip­pines — un conflit sans impor­tance avant que Washing­ton ne mette la pres­sion sur le gou­ver­ne­ment de Manille et ne tente de le sou­doyer, et que le Penta­gone ne lance une cam­pagne de pro­pa­gande appe­lée « liber­té de navi­ga­tion ».

Qu’est-ce que cela veut vrai­ment dire ? Cela signi­fie la liber­té pour les navires de guerre états-uniens de patrouiller et de domi­ner les eaux côtières de la Chine. Essayez d’imaginer la réac­tion états-unienne si les navires de guerre chi­nois fai­saient la même chose au large de la Californie.

J’ai réa­li­sé un film appe­lé « La guerre invi­sible », dans lequel j’ai inter­viewé d’éminents jour­na­listes aux USA et au Royaume-Uni : des repor­ters comme Dan Rather de CBS, Rageh Omar de la BBC, et David Rose de The Observer.

Tous décla­rèrent que si jour­na­listes et radio­dif­fu­seurs avaient joué leur rôle en remet­tant en ques­tion la pro­pa­gande selon laquelle Sad­dam Hus­sein pos­sé­dait des armes de des­truc­tion mas­sive, que si les men­songes de George W. Bush et de Tony Blair n’avaient pas été ampli­fiés et col­por­tés par les jour­na­listes, l’invasion de l’Irak de 2003 aurait pu ne pas avoir eu lieu, et des cen­taines de mil­liers de femmes, d’hommes et d’enfants seraient encore en vie aujourd’hui.

La pro­pa­gande pré­pa­rant actuel­le­ment le ter­rain pour une guerre contre la Rus­sie et/ou la Chine n’est en prin­cipe pas dif­fé­rente. A ma connais­sance, aucun jour­na­liste du « mains­tream » Occi­den­tal — un équi­valent de Dan Rather, disons — ne pose la ques­tion de savoir pour­quoi la Chine construit des pistes d’atterrissage dans le Sud de la mer de Chine.

La réponse devrait être fla­grante. Les USA encerclent la Chine d’un réseau de bases mili­taires, de mis­siles balis­tiques, de groupes de com­bat, de bom­bar­diers nucléaires.

Cet arc létal s’étend de l’Australie aux îles du Paci­fique, les Mariannes, les îles Mar­shall et Guam, les Phi­lip­pines, la Thaï­lande, Oki­na­wa et la Corée, et à tra­vers l’Eurasie, jusqu’à l’Afghanistan et l’Inde. Les USA ont pas­sé la corde autour du cou de la Chine. Cela ne fait pas l’objet d’un scoop. Silence média­tique. Guerre médiatique.

En 2015, dans le plus grand secret, les USA et l’Australie ont effec­tué le plus impor­tant exer­cice mili­taire air-mer de l’histoire contem­po­raine, sous le nom de Talis­man Sabre. Il visait à répé­ter un plan de bataille Air-Mer, blo­quant les voies mari­times, comme les détroits de Malac­ca et de Lom­bok, ce qui cou­pe­rait l’accès de la Chine au pétrole, au gaz et à d’autres matières pre­mières vitales pro­ve­nant du Moyen-Orient et de l’Afrique.

Dans le cirque que consti­tue la  cam­pagne pré­si­den­tielle états-unienne, Donald Trump est pré­sen­té comme un fou, un fas­ciste. Il est cer­tai­ne­ment odieux ; mais il est aus­si un pan­tin de haine média­tique. Ce simple fait devrait suf­fire à éveiller notre scepticisme.

Les idées de Trump sur l’immigration sont gro­tesques, mais pas plus que celles de David Came­ron. Ce n’est pas Trump le Grand Dépor­ta­teur des USA, mais le prix Nobel de la Paix, Barack Obama.

Selon un pro­di­gieux com­men­ta­teur libé­ral, Trump « déchaîne les forces obs­cures de la vio­lence » aux USA. Il les déchaîne ?

Ce pays est celui où des bam­bins tirent sur leur mère et où la police mène une guerre meur­trière contre les noirs amé­ri­cains. Ce pays est celui qui a atta­qué et ten­té de ren­ver­ser plus de 50 gou­ver­ne­ments, dont de nom­breuses démo­cra­ties, qui a bom­bar­dé de l’Asie au Moyen-Orient, entraî­nant la mort et le dépla­ce­ment de mil­lions de gens.

Aucun pays n’atteint ce niveau record de vio­lence sys­té­mique. La plu­part des guerres états-uniennes (presque toutes contre des pays sans défense) n’ont pas été décla­rées par des pré­si­dents répu­bli­cains mais par des libé­raux démo­crates : Tru­man, Ken­ne­dy, John­son, Car­ter, Clin­ton, Obama.

En 1947, une série de direc­tives du conseil de sécu­ri­té natio­nal illus­trent l’objectif pri­mor­dial de la poli­tique étran­gère états-unienne : « un monde consi­dé­ra­ble­ment fait à l’image [de l’Amérique] ». L’idéologie de l’américanisme mes­sia­nique. Nous étions tous amé­ri­cains. Ou autres. Les héré­tiques seraient conver­tis, sub­ver­tis, sou­doyés, calom­niés ou broyés.

Donald Trump est un symp­tôme de tout cela, mais c’est aus­si un anti­con­for­miste. ll dit que l’invasion de l’Irak était un crime ; il ne veut pas de guerre contre la Rus­sie et la Chine. Le dan­ger pour nous n’est pas Trump, mais Hil­la­ry Clin­ton. Elle n’a rien d’une anti­con­for­miste. Elle incarne la rési­lience et la vio­lence d’un sys­tème dont « l’exceptionnalisme » tant van­té n’est qu’un tota­li­ta­risme au visage occa­sion­nel­le­ment libéral.

À mesure que se rap­proche l’élection pré­si­den­tielle, Clin­ton sera saluée comme la pre­mière femme pré­si­dente, sans consi­dé­ra­tion aucune de ses crimes et de ses men­songes — tout comme Oba­ma fut accla­mé en tant que pre­mier pré­sident noir, et que les libé­raux gobaient ses pro­pos absurdes sur« l’espoir ». Et l’illusion se perpétue.

Dépeint par le chro­ni­queur du Guar­dian Owen Jones comme « drôle, char­mant, tel­le­ment cool qu’il éclipse pra­ti­que­ment tous les autres poli­ti­ciens », Oba­ma a récem­ment envoyé des drones mas­sa­crer 150 per­sonnes en Soma­lie. Il tue habi­tuel­le­ment des gens le mar­di, selon le New York Times, lorsqu’on lui remet une liste de per­sonnes à tuer par drone. Tel­le­ment cool.

Lors de la cam­pagne pré­si­den­tielle de 2008, Hil­la­ry Clin­ton a mena­cé de « tota­le­ment obli­té­rer » l’Iran par voie d’armes nucléaires. En tant que secré­taire d’état sous Oba­ma, elle a par­ti­ci­pé au ren­ver­se­ment du gou­ver­ne­ment démo­cra­tique du Hon­du­ras. Sa contri­bu­tion à la des­truc­tion de la Libye en 2011 fut une qua­si-jubi­la­tion. Lorsque le lea­der Libyen, le colo­nel Kadha­fi, fut publi­que­ment sodo­mi­sé avec un cou­teau — un meurtre ren­du pos­sible par la logis­tique états-unienne — Clin­ton se réjouit de sa mort : « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort ».

L’une des plus proches alliés de Clin­ton est Made­leine Albright, l’ancienne secré­taire d’état, qui s’en est pris à des jeunes filles parce qu’elles ne sou­te­naient pas « Hil­la­ry ». La tris­te­ment célèbre Made­leine Albright qui célé­bra à la télé­vi­sion la mort d’un demi- mil­lion d’enfants ira­kiens comme« valant le coup ».

Par­mi les plus impor­tants sou­tiens de Clin­ton, on retrouve le lob­by Israé­lien et les com­pa­gnies d’armement qui ont ali­men­té la vio­lence au Moyen-Orient. Elle et son mari ont reçu une for­tune de la part de Wall Street. Et pour­tant, elle s’apprête à se voir affu­blée du titre de can­di­date des femmes, à même de triom­pher du dia­bo­lique Trump, le démon offi­ciel. On dénombre éga­le­ment de nom­breux fémi­nistes par­mi ses sup­por­ters : ceux de la trempe de Glo­ria Stei­nem aux USA et d’Anne Sum­mers en Australie.

Une géné­ra­tion aupa­ra­vant, un culte post-moderne que l’on appelle aujourd’hui « la poli­tique iden­ti­taire » a blo­qué de nom­breux esprits libé­raux intel­li­gents dans leur exa­men des causes et des indi­vi­dus qu’ils sou­te­naient — comme les fraudes que sont Oba­ma et Clin­ton ; comme le mou­ve­ment pro­gres­siste bidon Syri­za en Grèce, qui a tra­hi son peuple en s’alliant avec ses ennemis.

L’auto-absorption [le nar­cis­sisme, NdT], une forme « d’égocentrisme », devint le nou­vel esprit du temps dans les socié­tés occi­den­tales pri­vi­lé­giées et signa­la la défaite des grands mou­ve­ments col­lec­tifs contre la guerre, l’injustice sociale, l’inégalité, le racisme et le sexisme.

Aujourd’hui, ce long som­meil prend peut-être fin. Les jeunes s’agitent à nou­veau. Pro­gres­si­ve­ment. Les mil­liers de bri­tan­niques qui ont sou­te­nu Jere­my Cor­byn comme lea­der du par­ti tra­vailliste font par­tie de cette agi­ta­tion — ain­si que ceux qui se sont ral­liés au séna­teur Ber­nie Sanders.

Au Royaume-Uni, la semaine der­nière, le plus proche allié de Jere­my Cor­byn, le tré­so­rier de l’opposition John McDon­nell, a enga­gé le gou­ver­ne­ment tra­vailliste au paie­ment des dettes frau­du­leuses des banques, et, dans les faits, à conti­nuer sa poli­tique de soi-disant austérité.

Aux USA, Ber­nie San­ders a pro­mis de sou­te­nir Clin­ton si ou lorsqu’elle sera nomi­née. Lui aus­si a voté pour l’utilisation de la vio­lence par les USA contre d’autres pays lorsqu’il jugeait cela « juste ». Il dit qu’Obama a « fait un excellent tra­vail ».

En Aus­tra­lie, il règne une sorte de poli­tique mor­tuaire, dans laquelle des jeux par­le­men­taires assom­mants sont dif­fu­sés dans les médias tan­dis que les réfu­giés et les peuples indi­gènes sont per­sé­cu­tés et que croissent les inéga­li­tés, ain­si que la menace d’une guerre. Le gou­ver­ne­ment de Mal­colm Turn­bull vient d’annoncer un bud­get de la soi-disant défense de 195 mil­liards de dol­lars, véri­table inci­ta­tion à la guerre. Il n’y eut aucun débat. Silence.

Qu’est deve­nue la grande tra­di­tion popu­laire d’action directe, libre de tout par­ti ? Où sont le cou­rage, l’imagination et l’engagement qu’exige la lutte pour un monde meilleur, juste et pai­sible ? Où sont les dis­si­dents de l’art, du ciné­ma, du théâtre, de la littérature ?

Où sont ceux qui ose­ront bri­ser le silence ? Devons-nous attendre que le pre­mier mis­sile nucléaire soit tiré ?

John Pil­ger


Tra­duc­tion : Nico­las Casaux

Édi­tion & Révi­sion : Hélé­na Delaunay

Source : http://​par​tage​-le​.com/​2​0​1​6​/​0​4​/​u​n​e​-​g​u​e​r​r​e​-​m​o​n​d​i​a​l​e​-​a​-​c​o​m​m​e​n​c​e​-​b​r​i​s​e​z​-​l​e​-​s​i​l​e​n​c​e​-​p​a​r​-​j​o​h​n​-​p​i​l​g​er/

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10 Commentaires

  1. etienne

    Exclu­sif. Emma­nuel Todd : “la France n’est plus dans l’histoire”

    « Etre jeune en France, ce n’est pas juste siro­ter un demi en ter­rasse. Cette vision-là, c’est typi­que­ment celle d’une socié­té âgée qui a des pro­blèmes de pros­tate. Dans notre pros­tate civi­li­za­tion, c’est juste trop génial d’être jeune. Le pro­blème fon­da­men­tal de la France, ce n’est pas seule­ment la déviance atroce de cer­tains par­mi les plus lar­gués de la socié­té, c’est notre capa­ci­té à inclure les jeunes, tous les jeunes, qui ne cesse de fai­blir. A nou­veau, nous sommes devant ce choix que je poin­tais dans « Qui est Char­lie ? », ce livre qui a fait de moi l’ennemi public numé­ro un. Ou bien res­ter la tête dans le sac avec de pseu­do­pro­blèmes reli­gieux, et se chauf­fer sur l’islam, la laï­ci­té, etc. Ou bien affron­ter nos vrais pro­blèmes éco­no­miques et sociaux, et le blo­cage géné­ral de la machine.

    Vous n’aviez pas repris jusqu’à ce jour la parole en France depuis la vio­lente polé­mique consé­cu­tive à la paru­tion de « Qui est Char­lie ? » au prin­temps 2015. Pour­quoi un si long silence ?

    Avec ce livre, j’ai vou­lu défendre le droit à la paix de l’âme pour nos conci­toyens musul­mans. Il res­te­ra comme l’un des gestes dont je suis le plus fier dans ma vie, peut-être ma jus­ti­fi­ca­tion en tant qu’être humain. 

    Mais dès que j’ouvre la télé ou la radio, je ne peux igno­rer que les intel­lec­tuels comme moi font par­tie des vain­cus de l’histoire. Par­tout, des obsé­dés de la reli­gion, des iden­ti­taires hys­té­riques, des types com­plè­te­ment mépri­sables intel­lec­tuel­le­ment, et qui ne tra­vaillent pas.

    Je tiens tou­te­fois à pro­fi­ter de votre ques­tion pour pré­sen­ter solen­nel­le­ment mes remer­cie­ments à Fran­çois Hol­lande et à Manuel Valls qui, en lan­çant leur pro­jet de loi sur la déchéance de natio­na­li­té, ont vali­dé à 100% la thèse la plus dis­cu­tée de « Qui est Char­lie ? »: l’identification du néo­ré­pu­bli­ca­nisme comme pétai­niste et vichyste. Je consi­dère désor­mais que j’ai une dette per­son­nelle envers le pré­sident de la Répu­blique, et c’est d’avoir vali­dé mon livre jusqu’à la der­nière virgule.

    Qu’est-ce qui selon vous a à ce point heur­té dans ce livre ? Quel a été le cœur du différend ?

    C’est assez simple. Je ne me suis pas conten­té de poin­ter la res­pon­sa­bi­li­té de notre classe poli­tique, de dire qu’Hollande était nul, de sug­gé­rer que le pro­jet socia­liste n’était plus qu’un banal cas d’escroquerie en bande orga­ni­sée, etc., ce que tout le monde sait désor­mais. Ce que j’ai dit, c’est : les classes moyennes fran­çaises sont nulles. J’ai mis en accu­sa­tion tout un monde, le mien, et ça c’est beau­coup plus grave. J’ai acté le fait que les classes moyennes fran­çaises d’aujourd’hui ne sont plus les héri­tières de la Révo­lu­tion. Qu’elles ne sont plus ce peuple qui croit en la liber­té, en l’égalité, que tout ça c’est désor­mais du pipeau. Et, bien enten­du, ça a énor­mé­ment cho­qué, parce que c’est vrai.

    Tout le monde s’abrite der­rière le paravent d’élites poli­tiques stu­pides. Mais Hol­lande, quelque part, est une fic­tion. Quand on l’entend, avec sa petite voix, quand on le voit ne prendre aucune déci­sion… Il n’existe pas, Hol­lande. C’est un mythe, un fan­tasme col­lec­tif. Et les gens se planquent der­rière leur mépris d’Hollande pour ne pas se juger eux-mêmes. Cela leur per­met de ne pas se dire : eh bien voi­là, je suis un Fran­çais vieillis­sant des classes moyennes, j’ai encore quelques super pri­vi­lèges éco­no­miques, j’ai pu éle­ver tran­quille­ment mes enfants aux frais de l’Etat, mais main­te­nant, que les jeunes se démerdent, qu’ils crou­pissent dans les ban­lieues, dans les pri­sons, ou, s’ils sont sages, qu’ils se défoncent dans des bou­lots pour­ris. C’est là qu’était la vio­lence du livre, et le pro­blème qu’il pose demeure entier. »

    Source : http://​bibliobs​.nou​ve​lobs​.com/​i​d​e​e​s​/​2​0​1​6​0​3​2​3​.​O​B​S​7​0​0​6​/​e​x​c​l​u​s​i​f​-​e​m​m​a​n​u​e​l​-​t​o​d​d​-​l​a​-​f​r​a​n​c​e​-​n​-​e​s​t​-​p​l​u​s​-​d​a​n​s​-​l​-​h​i​s​t​o​i​r​e​.​h​tml

    Réponse
  2. etienne

    … « Qu’une asso­cia­tion d’hommes d’af­faires, une foule des émi­grés de tous les pays… jetés éper­du­ment dans la lutte pour le dol­lar, se sentent tout à coup trans­por­tées du désir de lan­cer des tor­pilles aux flancs des cui­ras­sés et de faire écla­ter des mines sur les colonnes enne­mies, c’est une preuve que la lutte désor­don­née pour la pro­duc­tion et l’ex­ploi­ta­tion des richesses entre­tient l’u­sage et le goût de la force bru­tale, la vio­lence indus­trielle engendre la vio­lence mili­taire et que les riva­li­tés mar­chandes allument entre les peuples des haines qui ne peuvent s’é­teindre que dans le sang. 

    La fureur colo­niale n’est qu’une des mille formes de cette concur­rence tant van­tée par nos économistes… 

    L’ère est ouverte des grandes guerres pour la sou­ve­rai­ne­té industrielle… »

    Ana­tole France, « Sur la pierre blanche » (1903),
    cité dans « L’idéologie euro­péenne » de Lan­dais, Mon­ville et Yagh­lekd­jian (2008), p 199..

    Réponse
    • etienne

      Bon­jour binnemaya,
      Je n’ar­rive pas à lire ce site…
      Pour­rais-tu copier/coller ici le texte, s’il te plaît ?

      Réponse
      • binnemaya

        le voi­là :
        Ceci n’est pas un mouvement

        « Le niveau de dis­cré­dit de l’appareil gou­ver­ne­men­tal est tel qu’il trou­ve­ra désor­mais sur son che­min, à cha­cune de ses mani­fes­ta­tions, une déter­mi­na­tion constante, pro­ve­nant de toutes parts, à l’abattre. »

        La nou­velle struc­ture éta­tique est carac­té­ri­sée par le fait que l’unité poli­tique du peuple, et par là le sys­tème géné­ral de sa vie publique, se reflète dans trois séries qui sont d’un ordre dis­tinct. Les trois séries ne se situent pas de front, sur le même rang, mais l’une d’elles, à savoir le Mou­ve­ment qui est en charge de l’État et du Peuple, pénètre et conduit les deux autres.

        Carl Schmitt, État, Mou­ve­ment, Peuple (1933)

        Comme chaque fin de semaine depuis bien­tôt un mois, on spé­cule sur l’état du « mou­ve­ment contre la loi El Khom­ri » – médias, syn­di­ca­listes, mili­tants et espé­reurs de toute espèce veulent croire que cette fois on y est : après les mani­fes­ta­tions « his­to­riques » du 31 mars qui auraient vu un dou­ble­ment des effec­tifs des cor­tèges du 9 mars et main­te­nant les assem­blées de « Nuit debout », le mou­ve­ment que l’on appe­lait de ses vœux, mais qui n’en finis­sait plus de com­men­cer, est enfin né. Peut-être que si l’on s’acharne tant à appo­ser sur ce qui se passe en France en ce moment le nom de « mou­ve­ment », c’est qu’il s’agit là, en réa­li­té, de quelque chose de tout autre, de quelque chose d’inédit. Car un « mou­ve­ment », voi­là très exac­te­ment, en France, ce que l’on sait gérer, c’est-à-dire vaincre. Les orga­ni­sa­tions, les gou­ver­ne­ments, les médias, depuis des lustres que des mou­ve­ments ne mènent à aucun bou­le­ver­se­ment d’ampleur, sont pas­sés maîtres dans l’art de conju­rer la menace que tout évé­ne­ment de rue porte en lui : que la situa­tion devienne ingou­ver­nable. Il ne faut jamais oublier que l’actuel Pre­mier Ministre ne l’est pas en ver­tu de la licence d’histoire qu’il a obte­nue dans les années 1980 à Tol­biac, mais parce qu’il y a fait ses armes en tant que syn­di­ca­liste à l’UNEF. À l’époque, il était avec Alain Bauer ou Sté­phane Fouks, une des bêtes noires du Col­lec­tif Auto­nome de Tol­biac (le CAT), et inversement.

        Un « mou­ve­ment », pour tout le per­son­nel d’encadrement à quoi se réduit cette socié­té, est une chose ras­su­rante. Il a un objet, des reven­di­ca­tions, un cadre, donc des porte-parole paten­tés et des négo­cia­tions pos­sibles. Il n’est ain­si jamais dif­fi­cile, sur cette base, de faire le par­tage entre le « mou­ve­ment » et ceux qui en « débordent » le cadre, de rap­pe­ler à l’ordre ses élé­ments les plus déter­mi­nés, sa frac­tion la plus consé­quente. On les qua­li­fie­ra oppor­tu­né­ment de « cas­seurs », d’« auto­nomes », de « nihi­listes », quand il est si patent que ceux qui sont là pour cas­ser les dyna­miques, ce sont jus­te­ment les nihi­listes qui n’y voient qu’un trem­plin pour leurs futurs postes minis­té­riels – tous les Valls, Dray et autres Jul­liards. Cou­per un « mou­ve­ment » de sa pointe la plus « vio­lente », c’est tou­jours une façon de l’émasculer, de le rendre inof­fen­sif et pour finir de le tenir sous contrôle. Les mou­ve­ments sont effec­ti­ve­ment faits pour mou­rir, même vic­to­rieux. La lutte contre le CPE en est un cas d’école. Il suf­fit au gou­ver­ne­ment d’un recul tac­tique, et le sol se dérobe sous les pieds de ceux qui se sont mis en marche. Quelques articles de presse et quelques JT contre les « jusqu’auboutistes » suf­fisent ample­ment à reti­rer à ce qui, hier encore, pou­vait tout la légi­ti­ma­tion sociale sur laquelle s’étaient jusque-là appuyées les menées les plus auda­cieuses. Une fois ceux-ci iso­lés, les pro­cé­dures poli­cières puis judi­ciaires plus ou moins immé­diates viennent oppor­tu­né­ment assé­cher la mer du « mou­ve­ment ». La forme-mou­ve­ment est un ins­tru­ment aux mains de ceux qui entendent gou­ver­ner le social, et rien d’autre. L’extrême ner­vo­si­té des ser­vices d’ordre, en par­ti­cu­lier de la CGT, de la BAC et des flics lors des mani­fes­ta­tions des der­nières semaines est le signe qui tra­hit leur volon­té déses­pé­rée de faire entrer dans la forme-mou­ve­ment ce qui s’est mis en marche, et qui leur échappe de toutes parts.

        Tout le monde s’accorde à le dire désor­mais : la loi Tra­vail n’est que « la goutte d’eau qui fait débor­der le vase », ce qui s’exprime dans la rue, en slo­gans ou en affron­te­ments, est un « ras-le-bol géné­ral », etc. Ce qui se passe, c’est que nous ne sup­por­tons plus d’être gou­ver­nés par ces gens-là ni de cette manière ; peut-être même, face à la si fla­grante faillite de cette socié­té en tous domaines, ne sup­por­tons-nous plus d’être gou­ver­nés du tout. C’est deve­nu épi­der­mique et épi­dé­mique, parce que c’est de plus en plus net­te­ment une ques­tion de vie ou de mort. Nous n’en pou­vons plus de la poli­tique ; cha­cune de ses mani­fes­ta­tions nous est deve­nue obs­cène parce qu’est obs­cène cette façon de s’agiter de manière si impuis­sante dans une situa­tion à tous égards si extrême.

        Cela dit, nous man­quons de mots pour dési­gner ce qui se réveille en France en ce moment. Si ce n’est pas un « mou­ve­ment », alors qu’est-ce ? Nous dirons qu’il s’agit d’un « pla­teau ». Avant que Deleuze et Guat­ta­ri ne la reprennent pour en faire le titre de leur meilleur livre, Mille pla­teaux, cette notion a été éla­bo­rée par l’anthropologue et cyber­né­ti­cien Gre­go­ry Bate­son. En étu­diant dans les années 1930 l’ethos bali­nais, il est frap­pé par cette sin­gu­la­ri­té : alors que les Occi­den­taux, que ce soit dans la guerre ou en amour, prisent les inten­si­tés expo­nen­tielles, les inter­ac­tions cumu­la­tives, les exci­ta­tions crois­santes qui abou­tissent à un point culmi­nant – orgasme ou guerre totale – sui­vi d’une décharge de ten­sion, sociale, sexuelle ou affec­tive, les Bali­nais, eux, que ce soit dans la musique, le théâtre, les dis­cus­sions, l’amour ou le conflit, fuient cette course au paroxysme ; ils pri­vi­lé­gient des régimes d’intensités conti­nues, variables, qui durent, se méta­mor­phosent, évo­luent, bref : deviennent. Bate­son lie cela à une sin­gu­lière pra­tique qu’ont les mères bali­naises : « la mère entame une sorte de flirt avec son enfant, en jouant avec son pénis, ou bien en le sti­mu­lant de quelque autre façon à une acti­vi­té d’interaction. L’enfant, donc, est exci­té par ce jeu et, pen­dant, quelques ins­tants, il s’y pro­duit une inter­ac­tion cumu­la­tive. Mais juste au moment où l’enfant, appro­chant une sorte d’orgasme, se jette au cou de sa mère, celle-ci se détourne. À ce point, l’enfant entame comme alter­na­tive une inter­ac­tion cumu­la­tive qui se tra­duit par un accès de colère. La mère joue désor­mais le rôle du spec­ta­teur qui prend plai­sir à la colère de l’enfant ; ou s’il l’attaque, elle le repousse sans mon­trer de cour­roux. » (Vers une éco­lo­gie de l’esprit) Ain­si la mère bali­naise enseigne-t-elle à sa pro­gé­ni­ture la fuite des inten­si­tés paroxys­tiques. La phase dans laquelle nous sommes en train d’entrer poli­ti­que­ment en France en ce moment est, au moins jusqu’aux ridi­cules élec­tions pré­si­den­tielles dont il n’est pas si sûr que l’on par­vienne, cette fois, à nous les impo­ser, non pas une phase orgas­mique de « mou­ve­ment » que suit la néces­saire déban­dade, mais une phase de pla­teau : « une région conti­nue d’intensités, vibrant sur elle-même, et qui se déve­loppe en évi­tant toute orien­ta­tion sur un point culmi­nant ou vers une fin exté­rieure. » (Deleuze-Guat­ta­ri, Mille pla­teaux) Le niveau de dis­cré­dit de l’appareil gou­ver­ne­men­tal est tel qu’il trou­ve­ra désor­mais sur son che­min, à cha­cune de ses mani­fes­ta­tions, une déter­mi­na­tion constante, pro­ve­nant de toutes parts, à l’abattre. La ques­tion n’est donc pas la vieille ren­gaine trots­kyste de la « conver­gence des luttes » – luttes qui sont d’ailleurs pré­sen­te­ment si faibles que même en les fai­sant conver­ger on n’arriverait à rien de sérieux, en plus de perdre, dans l’habituelle réduc­tion poli­tique, la richesse propre à cha­cune d’elles –, mais bien celle de l’actualisation pra­tique du dis­cré­dit géné­ral de la poli­tique en toute occa­sion, c’est-à-dire des liber­tés tou­jours plus osées que nous allons prendre à l’endroit de l’appareil gou­ver­ne­men­tal démo­cra­tique. Ce qui est en jeu, ce n’est donc en aucun cas une uni­fi­ca­tion du mou­ve­ment, fût-ce par une assem­blée géné­rale du genre humain, mais le pas­sage de seuils, des dépla­ce­ments, des agen­ce­ments, des méta­mor­phoses, des mises en contact entre points d’intensité poli­tique dis­tants. Évi­dem­ment que la proxi­mi­té de la ZAD pro­duit ses effets sur le « mou­ve­ment » à Nantes. Quand 3000 lycéens scandent « tout le monde déteste la police », huent le ser­vice d’ordre de la CGT, com­mencent à mani­fes­ter mas­qués, ne reculent plus face aux pro­vo­ca­tions poli­cières et s’échangent du sérum phy­sio­lo­gique après avoir été gazés, on peut dire qu’en un mois de blo­cages un cer­tain nombre de seuils ont été pas­sés, un cer­tain nombre de liber­tés ont été prises. L’enjeu n’est pas de cana­li­ser l’ensemble des deve­nirs, des bou­le­ver­se­ments exis­ten­tiels, des ren­contres qui font la tex­ture du « mou­ve­ment » en un seul fleuve puis­sant et majes­tueux, mais bien de lais­ser vivre la nou­velle topo­lo­gie de ce pla­teau, et de le par­cou­rir. La phase de pla­teau dans laquelle nous sommes entrés ne vise rien d’extérieur à elle-même : « c’est un trait fâcheux de l’esprit occi­den­tal, de rap­por­ter les expres­sions et les actions à des fins exté­rieures ou trans­cen­dantes, au lieu de les esti­mer sur un plan d’immanence d’après leur valeur en soi. » (Deleuze-Guat­ta­ri, Mille pla­teaux) L’important est ce qui se fait déjà, et ne va ces­ser de se faire de plus en plus : empê­cher pas à pas le gou­ver­ne­ment de gou­ver­ner – et par « gou­ver­ne­ment », il ne faut pas entendre le seul régime poli­tique, mais tout l’appareil tech­no­cra­tique public et pri­vé dont les gou­ver­nants offrent l’expression gui­gno­lesque. Il ne s’agit donc pas de savoir si ce « mou­ve­ment » va ou non par­ve­nir à venir à bout de la « loi El Khom­ri », mais ce qui est déjà en cours : la des­ti­tu­tion de ce qui nous gouverne.

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      • binnemaya

        Je trouve ce texte mer­veilleux tu aurais pu l’é­crire ou nous tous il est en adé­qua­tion par­faite avec nos réflexions non ?

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  3. etienne
  4. binnemaya

    Bon­jour à vous tous plus je lis lun​di​.am plus je pense qu’il (le site) a rai­son dans ses textes ins­pi­rés et sou­vent poé­tiques ci-des­sous un ex :
    https://​lun​di​.am/​V​I​V​R​E​-​O​U​-​R​IEN

    Le monde, ou rien.Voilà quelques semaines que nous sommes plon­gés dans l’ébullition de la lutte, ses coups de folies et son eupho­rie. Qu’importe qu’elle triomphe de cette loi. Elle n’est qu’un déclen­cheur, qu’une occa­sion, rien de plus. Le sta­tu quo est tout aus­si immonde. Ce qui se passe un peu par­tout est plu­tôt une mani­fes­ta­tion d’une rage dif­fuse, d’une colère mon­tante, d’un dégoût qui se géné­ra­lise vis-à-vis de ce mon­deet ses avo­cats qui nous mar­tèlent sans cesse, que non, vrai­ment, il n’y a pas d’alternative.

    Lois sécu­ri­taires, ren­for­ce­ment du pou­voir (et de l’armement) de la police, arres­ta­tions arbi­traires et matra­quage aveugle, la vieille logique du gou­ver­ne­ment par la peu­rest reprise avec un cer­tain brio par ce gou­ver­ne­ment « socia­liste ». Et les médias jouent par­fai­te­ment leur rôle, fai­sant pla­ner une menace dif­fuse, plu­ri­di­rec­tion­nelle et omni­pré­sente, implan­tant jour après jour la peur dans chaque conscience, avec une abné­ga­tion remarquable.

    L’État s’appuie en effet sur un arse­nal légis­la­tif dit « anti­ter­ro­riste » tou­jours plus impor­tant, tou­jours plus total, cen­sé nous « pro­té­ger » de la « menace dji­ha­diste ». Mais qui peut se faire des illu­sions sur l’efficacité de mesures judi­ciaires sur un indi­vi­du déter­mi­né à mou­rir pour mener son action à terme ? En tout cas ceux qui nous gou­vernent ne s’en font pas. L’antiterrorisme est un voile. La consti­tu­tion­na­li­sa­tion de mesures d’exception comme l’État d’urgence ou le ren­for­ce­ment des pou­voirs de la police a un but tout autre. Il s’agit bien, en réa­li­té, de conte­nir, de contrô­ler, de maî­tri­ser ceux qui refusent cet état de fait et font de ce refus un prin­cipe d’action en vue de faire émer­ger un autre monde. Ce sont bien ceux qui ont choi­si de lut­ter contre le tra­vail et contre l’État, contre le capi­ta­lisme et la pau­vre­té des exis­tences qu’il génère qui sont in fine visés par ces dispositifs.

    Si nous ne sommes pas orga­ni­sés, si nos volon­tés ne se rejoignent pas tou­jours, ou pas au même moment, ce qui les ter­ri­fie est que la conver­gence se fasse sou­dai­ne­ment, à la suite d’un évè­ne­ment quel­conque. Non pas la conver­gence des luttes comme on peut l’entendre dans les cor­tèges syn­di­caux qui n’est qu’un simple agré­gat de com­po­santes dis­pa­rates et conser­va­trices et qui est vouée à s’effondrer avec le mou­ve­ment, mais la conver­gence des dési­rs. Du désir de vivre un monde que l’on construi­ra, que nous construi­sons déjà. Que dans ces moments de lutte se tissent des liens, naissent des amours, émergent des pro­jets com­muns, se créent des com­mu­nau­tés de résis­tance. Que ces dési­rs dif­fus, épar­pillés, divers, se ren­contrent au gré d’une assem­blée étu­diante un peu labo­rieuse, d’une occu­pa­tion, d’une garde-à-vue ou d’un repas par­ta­gé et que ce désir d’être ensemble, d’imaginer ensemble, de faire ensemble devienne de plus en plus pres­sant. Voi­là ce qu’ils craignent.

    Nous qui dési­rons sans fin, nous vou­lons vivre plei­ne­ment, nous vou­lons vivre éro­ti­que­ment. Nous sommes Eros, parce qu’il est comme nous pul­sion de vie en même temps qu’amour, parce qu’il est comme nous révolte contre un monde de mort.

    Nous vou­lons être amour, vivre l’amour, faire l’amour. Nous vou­lons jouir d’être la vie : fêter, ima­gi­ner, créer, rêver, voir, faire, être ensemble, vivre ensemble.

    La vie est un flux, celui de se sen­tir soi-même, de sen­tir l’Autre et de sen­tir notre monde, s’éprouvant, s’épanouissant, s’accomplissant dans cette sen­sua­li­té. Ce monde actuel, lui, pétri­fie ce flux sous forme de mar­chan­dise-tra­vail, il nous en dépos­sède au pro­fit de choses mortes(marchandises, argent, capi­tal) et d’une vie fausse, il réprime ce flux avec l’État, il mani­pule média­ti­que­ment celui-ci, il est une réi­fi­ca­tion, une alié­na­tion, une mor­ti­fi­ca­tion, une répres­sion, une mani­pu­la­tion, une néga­tion de la vie.

    Nous n’en vou­lons plus, de ce monde, de son tra­vail, de ses rela­tions, de ses des­truc­tions, de sa misère exis­ten­tielle. La vie aujourd’hui n’est rien dans ce monde de mort, demain elle sera tout – et ce monde, mort.

    Nous vou­lons construire autre chose qu’une cage. Nous vou­lons faire autre chose que tra­vailler. Nous vou­lons vivre autre chose que cette sur­vie, cette sous-vie. Nous vou­lons habi­ter autre chose que ce tau­dis. Nous vou­lons aimer autre­ment que dans l’industrie por­no­gra­phique. Nous vou­lons nous ima­gi­ner autre­ment qu’au tra­vers de l’idéologie. Nous vou­lons être ensemble plu­tôt qu’être en guerre. Nous vou­lons créer autre chose que cette des­truc­tion. Nous vou­lons rêver d’autre chose que de ce cau­che­mar. Nous vou­lons échan­ger autre chose que de l’argent et des mar­chan­dises. Nous vou­lons faire croître autre chose que l’économie. Nous vou­lons faire socié­té autre­ment qu’au tra­vers du capi­ta­lisme. Nous vou­lons autre chose que ce monde, c’est-à-dire que de ce monde, d’aucune chose, nous voulons.

    L’économie c’est la guerre, la guerre de tous contre tous. Dès tout petit, on nous pousse à suivre nos propres inté­rêts, dans le cadre posé par la socié­té de mar­ché, on nous fait croire que l’égoïsme est une caté­go­rie onto­lo­gique, que la « nature humaine » est ain­si et que pour ne pas perdre il faut donc gagner. Domi­ner, écra­ser, maxi­mi­ser, voi­là les maîtres mots de l’entrepreneur de soi, de l’individu d’aujourd’hui qui veut sur­vivre dans cette jungle concur­ren­tielle. À tra­vers le capi­ta­lisme, véri­table socié­té de l’économie, nos sub­jec­ti­vi­tés se for­matent dans un deve­nir-mar­chan­dise de la vie. Le capi­ta­lisme façonne des sub­jec­ti­vi­tés à son image et selon sa logique : pré­da­trices, impi­toyables, sépa­rées-iso­lées l’une de l’autre, égoïstes, machi­niques, cal­cu­la­trices. Même si notre sub­jec­ti­vi­té vivante résiste ten­dan­ciel­le­ment à ce for­ma­tage, il n’en reste pas moins que notre sub­jec­ti­vi­té est un champ de bataille – et son résul­tat – entre une ratio­na­li­té capi­ta­liste et notre pul­sion de vie. Pour que celle-ci triomphe, et elle est une condi­tion préa­lable à une socié­té vivante-éman­ci­pée, sachons que c’est uni­que­ment dans une révolte de la viequ’une telle sub­jec­ti­vi­té peut adve­nir. Les révoltes{}de la vieont trans­for­mé, trans­forment, trans­for­me­ront nos sub­jec­ti­vi­tés, avant même que dans une socié­té nou­velle, de nou­velles vies émergent de nou­velles subjectivités.

    Notre vie ne tolère d’autre limite que celle de sa per­pé­tua­tion comme Jouir­per­son­nel et col­lec­tif, c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir de limite au Jouirde nos vies que celle où notre pul­sion de vie se trans­forme en pul­sion de mort, et où notre Jouirse ren­verse en Souf­frir. La vie n’est pas une débauche, une bar­ba­rie, une folie ; c’est au contraire un équi­libre entre une vie sur-répri­mée, donc mor­ti­fiée, et une vie déchaî­née, donc (auto)destructrice. La socié­té dans laquelle nous vivons, au contraire, est une bar­ba­rie au sens où elle nous sur-réprime d’un côté tan­dis qu’elle nous pousse de l’autre à un déchaî­ne­ment des­truc­teur de soi et des Autres. Or notre socié­té est jus­te­ment une immense accu­mu­la­tion de sur­ré­pres­sions, sou­vent pré­sen­tées de manière men­son­gère comme « natu­relles » (tra­vail), voire comme des « libé­ra­tions » (guerre spor­tive, por­no­gra­phie, Spec­tacle média­tique). La révolte de la vie, sans mor­ti­fi­ca­tion ni pul­sion de mort, est donc une révolte de l’énergie éro­tique, de la pul­sion de vie, trop long­temps sur-répri­mée, contre cette sur-répres­sion, et sans deve­nir pul­sion de mort.

    Ne tra­vaillez jamais

    L’aggravation conti­nuelle de la crise struc­tu­relle du capi­ta­lisme (en plus de sa finan­cia­ri­sa­tion et sa ges­tion en faveur des action­naires et du patro­nat), entraîne depuis plus de 40 ans une inten­si­fi­ca­tion et une pré­ca­ri­sa­tion conti­nue du tra­vail, avec d’un côté une masse crois­sante de chô­meurs bri­sés par une socié­té du tra­vail sans tra­vail, et de l’autre une orga­ni­sa­tion néo­ca­pi­ta­liste du tra­vail conti­nuel­le­ment restruc­tu­rée, exer­çant une pres­sion énorme sur ses sala­riés (jusqu’au har­cè­le­ment), orga­ni­sant une guerre de tous contre tous au sein même de l’entreprise, et démul­ti­pliant ain­si iso­le­ment, haines, humi­lia­tions, stress, défor­ma­tions phy­siques, acci­dents de tra­vail, licen­cie­ments bru­taux, dépres­sion, burn-out, sui­cides. Le tra­vail est d’ores et déjà une souf­france into­lé­rable – mais ne l’est-il pas struc­tu­rel­le­ment ? Nous souf­frons de devoir quo­ti­dien­ne­ment nous vendre comme mar­chan­dise pour sur­vivre, ou d’être dépré­ciés de ne pas être un esclave « ren­table » du capi­ta­lisme. Nous souf­frons de devoir obéir à des impé­ra­tifs absurdes, avi­lis­sants, des­truc­teurs. Nous souf­frons de devoir exé­cu­ter ces impé­ra­tifs dans des condi­tions éprou­vantes, voire dan­ge­reuses. Nous souf­frons de cette acti­vi­té indif­fé­ren­ciée, absurde, des­truc­trice. Nous souf­frons d’être réduits à des robots, des machines, des esclaves. Nous souf­frons d’être humi­liés faute d’être des esclaves suf­fi­sam­ment « per­for­mants ». Nous souf­frons de ren­trer vidés, de ne pas pou­voir vivre. Nous souf­frons d’être en guerre de tous contre tous avec nos sem­blables, d’être objet d’une haine envieuse ou d’envier hai­neu­se­ment quelqu’un d’autre. Nous souf­frons d’être mena­cés d’élimination éco­no­mique chaque seconde. Nous souf­frons d’être dans une pré­ca­ri­té per­ma­nente. Nous souf­frons d’être trai­tés de « capi­tal humain », de « mau­vaise graisse », de « fac­teur humain », de « bras cas­sés », d’ « assis­tés », de « fai­néants ». Nous souf­frons d’être des sol­dats d’une guerre éco­no­mique per­ma­nente, sacri­fiés sur l’autel de la com­pé­ti­ti­vi­té, de la pro­duc­ti­vi­té et de la crois­sance, bref du capi­ta­lisme. Nous souf­frons de souf­frir seul, de devoir nous cacher notre souf­france, de nous men­tir, de ne pas pou­voir par­ler de notre souf­france, de devoir cacher celle-ci aux autres. Nous souf­frons qu’on nous mente, et qu’on se pro­pose d’approfondir encore notre souf­france et notre ser­vi­tude avec cette nou­velle réforme du tra­vail. Nous souf­frons de tra­vailler, il n’y a pas de « souf­france au tra­vail », tra­vailler au sein du capi­ta­lisme c’est souf­frir, il n’y a pas « le tra­vail et ses souf­frances », le travail,{}c’estsouffrance. Cette loi n’est donc qu’un ultime appro­fon­dis­se­ment du tra­vail comme souf­france et comme servitude.

    Ne tra­vaillez jamais­si­gni­fie : ne ven­dez jamais votre vie, votre temps, votre acti­vi­té, votre faire, comme mar­chan­dise, comme mar­chan­dise pro­dui­sant d’autres mar­chan­dises et de l’argent, comme mar­chan­dise pro­dui­sant un mon­dede mort.

    Le tra­vail est en effet, de par son essence même, l’activité non-libre, inhu­maine, aso­ciale. Le tra­vail, c’est une dépos­ses­sion de sa vie au pro­fit d’une fonc­tion machi­nique de pro­duc­tion de mar­chan­dises et de valeur, c’est une vente de soi, de son exis­tence, de son temps de vie, de son acti­vi­té, de son faire, comme mar­chan­dise. C’est un escla­vage libre, libre au sens où on l’on peut refu­ser de tra­vailler contrai­re­ment aux esclaves, mais comme on a été dépos­sé­dé de toute pos­si­bi­li­té d’existence en-dehors du Mar­ché, pour sur­vivre, on doit tra­vailler. Comme des esclaves, nous avons une com­pen­sa­tion, eux en nature, nous en argent. Comme des esclaves, on nous envoie des forces de répres­sion lorsqu’on se révolte. Qu’on vende des heures d’activité ou notre pro­duc­tion soi-disant ’auto­nome’, qu’on soit salarié.e ou ubérisé.e, nous sommes réduits à des mar­chan­dises pro­duc­trices de mar­chan­dises (qu’importe quelles mar­chan­dises, qu’importe com­ment, tant qu’elles rap­portent). Notre labeur n’est pas une réponse qua­li­ta­tive à nos besoins par­ti­cu­liers (y com­pris col­lec­tifs), mais une pro­duc­tion machi­nique de mar­chan­dises et d’argent, ou (aupa­ra­vant) une acqui­si­tion machi­nique de savoirs for­ma­tés que l’on soit lycéen.ne ou étudiant.e. Avec ou sans proxé­nète, nous sommes tous des prostitué.e.s, nous ven­dons notre cer­veau, nos muscles, notre sexe, qu’importe. Nous sommes des robots(travailleurs, en tchèque), des indi­vi­dus réduits à des machines pro­duc­trices. Nous sommes sou­mis au capi­ta­lisme, ce Moloch insa­tiable, ce train aveugle écra­sant tout sur son pas­sage. La pul­sion de vie doit se défaire du tra­vail, du capi­ta­lisme et de l’État, c’est d’une abo­li­tion et non d’une réforme qu’il s’agit.

    Nous n’avons pas peur de cette socié­té de tra­vail sans tra­vail, c’est cette socié­té de tra­vail sans tra­vail qui a peur de nous.

    Nous n’avons de toute façon pas d’autre choix que d’en finir avec le capi­ta­lisme et son tra­vail, en rai­son même de la dyna­mique du capi­ta­lisme en crise. Chaque entre­prise doit, en rai­son d’une satu­ra­tion ten­dan­cielle des mar­chés et d’une com­pé­ti­tion géné­ra­li­sée pour vendre ses mar­chan­dises, réduire ses coûts, donc sub­sti­tuer du « tra­vail vivant » (des tra­vailleurs) par des machines-robots. Cette éli­mi­na­tion de « tra­vail vivant » fait qu’il y a, par consé­quent, une baisse ten­dan­cielle de la demande (hors-cré­dit) puisque ceux qui ne tra­vaillent plus ont moins de reve­nus (comme ceux qui res­tent d’ailleurs). Depuis 40 ans de troi­sième révo­lu­tion indus­trielle, avec l’introduction de l’informatique, de l’automatisation et de la robo­tique dans le pro­ces­sus pro­duc­tif, cette sub­sti­tu­tion struc­tu­relle et ten­dan­cielle du « tra­vail vivant » (des tra­vailleurs) par des machines-robots a pris une nou­velle dimen­sion. La pos­si­bi­li­té d’une sub­sti­tu­tion com­plè­tede cer­tains pans du « tra­vail vivant » par des machines-robots (caisses auto­ma­tiques, robots-ouvriers, chaînes de mon­tage entiè­re­ment auto­ma­ti­sées…) pro­voque ain­si l’explosion du chô­mage tech­no­lo­gique. Et ce chô­mage tech­no­lo­gique, ali­men­tant une baisse de demande sol­vable, donc une baisse ten­dan­cielle de la consom­ma­tion, entraîne une satu­ra­tion d’autant plus rapide des mar­chés, des crises de sur­pro­duc­tion tou­jours plus fré­quentes donc de nou­velles sub­sti­tu­tions de « tra­vail vivant » par des machines/robots, entraî­nant une nou­velle baisse de demande sol­vable, une nou­velle phase de crise, etc., et cela ad nau­seam. La dyna­mique du capi­ta­lisme conduit donc à une évic­tion pro­gres­sive du « tra­vail vivant » du pro­cès capi­ta­liste : 10–15% de chô­mage aujourd’hui, plus de 47% en 2030 selon cer­taines pro­jec­tions. Et cette aug­men­ta­tion struc­tu­relle du « chô­mage tech­no­lo­gique » s’effectue en paral­lèle, comme on le voit depuis plus de 50 ans, d’une inten­si­fi­ca­tion et d’une pré­ca­ri­sa­tion du « tra­vail vivant » res­tant. Le deve­nir struc­tu­rel du capi­ta­lisme, c’est donc une mul­ti­pli­ca­tion des phases de crise, une aug­men­ta­tion pro­gres­sive du chô­mage tech­no­lo­gique et une inten­si­fi­ca­tion-pré­ca­ri­sa­tion du tra­vail restant,jusqu’au chô­mage qua­si-total, l’esclavage des der­niers tra­vailleurs et l’effondrement du capitalisme.

    L’économie ne veut plus de nous, nous ne vou­lons plus d’elle. L’économie veut se débar­ras­ser de nous, débar­ras­sons-nous d’elle !

    La vie libérée

    Le mou­ve­ment actuel d’opposition au pro­jet de loi-tra­vail a réveillé nos vies et nos rêves au nom d’un mau­vais rêve de cer­tains, il faut main­te­nant qu’elle s’attaque au cau­che­mar réa­li­sé du tra­vai­let de sa crise. Il ne s’agit plus de lut­ter défen­si­ve­ment contre une loi en atten­dant qu’une pro­chaine phase de crise nous l’impose au nom du « réa­lisme éco­no­mique », il faut com­battre offen­si­ve­ment­cette réa­li­té éco­no­mique de crise et en crise. Il ne faut plus men­dier l’ajournement de l’inévitable au sein du capi­ta­lisme en crise, mais abo­lir celui-ci aujourd’hui. Le réfor­misme « pro­gres­siste » est mort, il n’y a plus qu’un sous-réfor­misme de coges­tion de crise, seule une optique réso­lu­ment révo­lu­tion­nai­reest désor­mais réaliste.

    Nous savons toutes et tous que nos « mou­ve­ments sont faits pour mou­rir », et ce n’est pas grave. Si c’est en géné­ral un pro­jet de loi rétro­grade ou un évè­ne­ment par­ti­cu­lier comme une immo­la­tion ou une « bavure » poli­cière qui vont ser­vir de déclen­cheur à un mou­ve­ment de pro­tes­ta­tion et créer des com­mu­nau­tés d’acteurs près à se battre contre un objet com­mun, le mou­ve­ment dépasse tou­jours son objet et c’est ce dépas­se­ment qu’il nous faut chercher.

    Nous nous inté­res­sons peu à la mas­si­fi­ca­tion, les péti­tions sont signées puis oubliées, les cor­tèges défilent et rentrent chez eux, les vitrines sont bri­sées puis répa­rées, les murs tagués puis net­toyés. Si la mani­fes­ta­tion peut faire inflé­chir, si les grèves peuvent faire peur, si les émeutes peuvent être salu­taires il nous faut nous sai­sir de ces moments par­ti­cu­liers que sont les situa­tions insur­rec­tion­nelles pour nous ren­con­trer, nous consti­tuer en com­mu­nau­tés, en com­mu­nau­tés de lutte, en com­mu­nau­tés d’ami.e.s. Il nous faut créer. Il nous faut nous créer.

    Un mou­ve­ment ouvre une brèche, crée une cou­pure tem­po­relle, une rup­ture dans le dérou­le­ment linéaire de nos vies. Ces moments de « pause » nous conduisent à recon­si­dé­rer nos vies, à les sai­sir telles qu’elles sont et à les ima­gi­ner telles qu’on vou­drait qu’elles soient. Ces brèches sont sou­vent l’occasion de ren­contres, de den­si­fi­ca­tion des liens, de créa­tion de rela­tions qui dépassent le seul inté­rêt stra­té­gique. C’est sur la dura­bi­li­té et la qua­li­té de ces rela­tions qu’il nous faut nous appuyer main­te­nant pour qu’émergent des com­munes, par­tout, tout le temps. Plus que des simples com­mu­nau­tés de lutte ou de résis­tance qui, par défi­ni­tion n’existent que le temps de la lutte, bâtis­sons de véri­tables foyers d’insoumission, des points de fixa­tion des colères et des dési­rs. Sai­sis­sons-nous d’appartements, de friches, de bocages, sai­sis­sons-nous d’entrepôts, d’universités, de châ­teaux, trans­for­mons des sols béton­nés en jar­dins d’approvisionnement des luttes. Eta­blis­sons-nous sur les ter­ri­toires et habi­tons-les et vivons‑y le monde que l’on veut vivre.

    Omnia sunt com­mu­nia. Nous for­me­rons ensemble des com­munes, comme celle de Paris de 1871, d’Aragon de 1936 et de Notre-Dame-des-Landes, des com­munes asso­ciées entre elles, des com­munes où nous ferons ensemble ce que nous vou­lons et per­son­nel­le­mentce que nous vou­lons, des com­munes où il y aura de com­mun ce qui aura été déci­dé comme tel et ce qu’il y aura de per­son­nel aura été déci­dé comme tel, des com­munes où nous pour­rons faire autre chose de nos vies que nous vendre comme mar­chan­dise, pro­duire des mar­chan­dises et consom­mer des mar­chan­dises. Les habitant.e.s des com­munes plu­tôt ’com­mu­ni­santes’ feront ensemble ce qu’ils auront libre­ment choi­si de faire – en accord avec les pos­si­bi­li­tés du monde-de-la-vie{}-, et par­ta­ge­rons en fonc­tion des besoinsde leurs membres leurs acti­vi­tés comme leurs pro­duits (avec, en cas d’abondance insuf­fi­sante, une auto-régu­la­tion col­lec­tive). Les com­munes plu­tôt ’per­son­na­li­santes’ seront peu­plées de per­sonnes fai­sant sépa­ré­ment ce qu’ils ont envie-besoin de faire, et par­ta­ge­ront après coup­sous forme d’une chaîne de dons libres. Désor­mais, dans l’une comme dans l’autre, nul.le ne sera obli­gé de vendre son cer­veau, ses muscles ou son sexe. Les com­munes for­me­ront entre elles une chaîne de dons, per­met­tant une satis­fac­tion de l’ensemble de leurs besoins tout en entre­te­nant des rela­tions d’amitié.

    La vie s’épanouira dans une vita contem­pla­ti­va, mais aus­si dans une vita acti­va, où, au lieu de s’asservir au tra­vail et au capi­ta­lisme, nous culti­ve­rons des légumes et des fruits, nous construi­rons des mai­sons, tra­ce­rons des che­mins, écri­rons des his­toires et des chan­sons, nous ferons ce qu’il nous plai­ra en même temps que ce qu’il nous fau­dra dans l’optique d’une pour­suite de notre vie s’épanouissant, et non ce qu’une ’demande’ abs­traite de mar­chan­dises exige. De nou­velles sub­jec­ti­vi­tés émer­ge­ront de ces nou­velles vies, épa­nouies dans une diver­si­té non-finie du faire.

    Il n’y aura plus de gens seule­ment artistes au détri­ment de l’épanouissement artis­tique des autres et de leur propre épa­nouis­se­ment dans d’autres domaines, mais des gens qui, entre autres choses, feront de l’art. Nous ne vou­lons pas sim­ple­ment rendre l’art com­mun à tous mais inté­grer l’art à notre faire, à nos vies. Il n’y aura plus de sphère sépa­rée du tra­vail, mais une vie mêlant vita acti­vaet vita contem­pla­ti­va. Le temps sera celui de notre vie et de ses acti­vi­tés, non celui des montres et du tra­vail. Il n’y aura pas de comp­ta­bi­li­té, de mesure, de poin­tage, de pro­duc­ti­vi­té, de ren­de­ment, d’évaluation indi­vi­duelle des performances.

    Nous ré-appren­drons des savoirs-faire dont nous avons été dépos­sé­dés (et ce, à chaque géné­ra­tion, avec l’école comme ensei­gne­ment de l’ignorance), nous sau­rons tout faire nous-mêmes (col­lec­ti­ve­ment), après des siècles de pro­lé­ta­ri­sa­tion rédui­sant l’activité pro­duc­tive à un nombre limi­tés de gestes répé­tés ad nauseam.

    Les com­munes for­me­ront leurs propres ’ins­ti­tu­tions’, les­quelles seront ’ins­ti­tuées’ selon notre volon­té col­lec­tive et ’dés­ins­ti­tuées’ lorsqu’elles ne nous convien­dront plus. Les habi­tants des com­munes déci­de­ront col­lec­ti­ve­ment, en assem­blée, ce qu’il faut faire s’agissant des affaires de tous. Et s’il y a des déci­sions qu’il faut prendre au niveau d’une{{}}fédération (plus ou moins grande) de com­munes, c’est du basque devra venir toute déci­sion finale. Les com­munes abo­li­ront donc immé­dia­te­ment l’État, ce frère jumeau du capi­ta­lisme, cette struc­ture de domi­na­tion bureau­cra­ti­co-mili­ta­ro-poli­cière, ce sys­tème d’extorsion. Il ne s’agit pas de réha­bi­li­ter la poli­ti­que­comme sphère sépa­rée du reste de la socié­té, puisque l’auto-organisation et l’auto-détermination sont le contraire même de l’État et de la poli­tique. Il s’agit plu­tôt de redon­ner au poli­tique sa tem­po­ra­li­té ori­gi­naire, celle de la quotidienneté.

    Il est évident que nos com­mu­nes­de­vront être au-delà des ’genres’ et des ’races’ consti­tuées capi­ta­lis­ti­que­ment. Les com­munes seront, ain­si, sans mas­cu­li­ni­té viri­liste, celle du sujet capi­ta­liste, insen­sible, impi­toyable, supré­ma­ciste, et sans fémi­ni­té sou­mise, subor­don­née, dis­so­ciée. Elles seront, de même, sans sujet ’colo­nial’, raciste, domi­na­teur, exploi­teur, et sans sujet ’indi­gène’, raci­sé, domi­né, exploi­té. Les com­munes abo­lissent d’une seule traite pro­lé­taires et capi­ta­listes, sujet mas­cu­lins et sujets fémi­nins, (post)coloniaux et indi­gènes, loin de se conten­ter de l’affirmation du pôle domi­né, lequel fut consti­tué au moment de l’émergence du capi­ta­lisme comme sys­tème d’exploitation, patriar­cal et colonial.

    Le monde, oui, mais pas ce monde de mort. Au niveau des infra­struc­tures, nous détour­ne­rons ce qui est détour­nable pour en faire ce que nous aurons déci­dé d’en faire, nous détrui­rons ce qui n’est pas détour­nable (gigan­tesques usines, sys­tèmes aéro­por­tuaires et autres infra­struc­tures de mort) dans une logique non-capi­ta­liste (puisqu’une infra­struc­ture résulte d’une logique maté­rielle décou­lant elle-même d’une logique sociale – et lorsque cette logique sociale est capi­ta­liste, il en résulte une logique maté­rielle et donc une infra­struc­ture intrin­sè­que­ment capi­ta­liste). Au niveau des tech­niques, nous détour­ne­rons des tech­niques détour­nables, nous ’détrui­rons’ des tech­niques indé­tour­nables (bombes nucléaires, cen­trales nucléaires, etc.), nous re-décou­vri­rons des tech­niques et des savoirs-faire, nous déve­lop­pe­rons des tech­niques et des savoirs-faire déve­lop­pés aux marges du capi­ta­lisme (per­ma­cul­ture), nous inven­te­rons des tech­niques nou­velles décou­lant d’une forme de vie et de socié­té nou­velles. Nous éta­bli­rons un équi­libre entre de gigan­tesques villes invi­vables, béton­nées et pol­luées, et des déserts ruraux, en trans­for­mant celles-ci en com­munes urbaines de taille humaine sans rup­ture avec une ’cam­pagne’ envi­ron­nante, et celles-là en com­munes ’rurales’ de cen­taines ou de mil­liers d’habitants. Il en résul­te­ra un uni­vers maté­riel de tech­niques et d’infrastructures convi­viales, auto­no­mi­santes, non-des­truc­trices, et de com­munes de taille humaine. On ne s’en remet­tra donc pas à des méga-usines auto­ma­ti­sées, où ce qu’on avait vou­lu abo­lir (tra­vail, hié­rar­chie, spé­cia­li­sa­tion des acti­vi­tés, pol­lu­tions) se reconstituera.

    Il est temps d’en finir avec le tra­vail, avec l’économie, avec l’État, avant qu’ils en finissent avec nous. Ce sera notre monde, ou rien. Ce ne sera pas ce monde de mort, mais lamort de ce monde. Cre­vons cette socié­té mor­bide, moderne, capi­ta­liste, colo­nia­liste-raciste, patriar­cale, éta­tiste, hété­ro­nome, hié­rar­chique, tota­li­taire. Créons une socié­té vivante, nou­velle, non-mar­chande, éga­li­taire, liber­taire, auto­nome, hori­zon­tale, plu­rielle. Créons une vie de désir, cette vie que nous dési­rons, que nous déci­dons. Créons des espaces-temps d’intersubjectivité, d’auto-organisation, d’insoumission.

    Soyons réso­lus à ne pas mou­rir, et nous voi­là vivre. L’histoire ne se fera pas sans nous, une fois encore. Ce sera notre his­toire, cette fois.

    Comi­té éro­tique révolutionnaire

    Réponse
  5. etienne

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