Chers amis,
Je me permets d’insister : Alain Supiot est un penseur important, il va vous bouleverser, il va alimenter votre pensée, il va vous montrer des racines importantes de notre humanité. Selon moi, un citoyen vigilant ne devrait pas rater Supiot.
Pour ma part, j’écoute ces conférences en vélo, en grimpant les petits chemins des collines autour de ma maison, m’arrêtant sans arrêt pour prendre fébrilement des notes importantes 🙂
Je vous ai déjà (un peu) parlé de son travail sur la (redoutable) gouvernance par les nombres (dépolitisation criminelle de l’action publique, voulue à la fois par les scientistes soviétiques, hitlériens et unioneuropéens), et sur l’allégeance qui vient (sur le modèle féodal). Ces deux séries de passionnantes conférences sont reprises dans un livre important : « Du gouvernement par les lois à la gouvernance par les nombres ».
Que je sache, il n’y a pas encore de livre publié pour retranscrire la troisième série de conférences que je voudrais ici vous signaler chaleureusement ; elle s’appelle « Figures juridiques de la démocratie » (toujours sur France Culture, qu’il faut remercier pour son travail de veille) : https://www.franceculture.fr/emissions/series/figures-juridiques-de-la-democratie
Je vous propose d’en étudier un (ou deux) épisode à la fois, pour bien digérer – et commenter ensemble – ce travail important. Je reproduirai ici, chaque fois, la synthèse, toujours très claire, proposée par Merryl Moneghetti sur France Culture.
En plus, je vais essayer de retranscrire moi-même en commentaires (et je vous invite à m’aider) les passages essentiels, à ne surtout pas rater.
Étienne.
Commençons par le commencement :
1⁄9 Essor et reflux de la démocratie économique
Introduction, par Merryl Moneghetti :
Quels sont les liens étroits et anciens entre la face politique et la face économique de la démocratie ? s’interroge Alain Supiot. Comment la démocratie pose-t-elle la règle de la répartition des richesses ? Comment le droit social peut-il être ancré dans une représentation partagée de la justice ?
Comment « le travail indépendant pour tous », s’avère-t-il la base d’un régime démocratique, « que chacun puisse vivre, dans l’indépendance, du fruit de son travail » ? demande encore le juriste Alain Supiot. Quels sont les dispositifs en France, en Allemagne et aux Etats-Unis qui ont pu exprimer l’idée de démocratie économique à l’âge industriel ? Comment cette démocratie économique a‑t-elle reflué sous l’effet du tournant néolibéral ?
La Grande Bretagne du Brexit, l’Italie et son étrange coalition gouvernementale, la France des gilets jaunes, mais aussi la Suède et l’Allemagne, aux dernières élections de 2018, montrent tour à tour au fil des crises politiques et économiques qui les touchent, combien nos vieilles démocraties sont bousculées par le doute, la colère sociale et l’angoisse.
À partir de l’analyse juridique, Alain Supiot, titulaire de la chaire État social et mondialisation : analyse juridique des solidarités, observe de manière privilégiée les grandes mutations qui nous touchent.
Le juriste s’est notamment attaché dans les séries de cours que nous avons diffusés en 2017 et en 2018 aux effets du recul du gouvernement par les lois, conséquence de la globalisation et de la gouvernance par les nombres, dans un monde contemporain où tout est soumis, désormais ou presque, au « calcul d’utilité ». Nous avions vu que l’ordre juridique se trouvait inféodé à l’ordre économique et que de nouveaux liens, des « nouvelles figures de l’allégeance » émergeaient alors que l’Etat social s’effaçait…
Alain Supiot, membre de la Commission mondiale sur l’avenir du travail, a débuté en 2016 et sur deux ans, une grande réflexion autour des « Figures juridiques de la démocratie économique », que nous vous proposons en ce début d’année. Le juriste précise en ouverture de sa nouvelle série :
« La démocratie économique est entendue (c’est une première définition !) comme l’ancrage du droit social dans une représentation partagée de la justice. Si l’on admet — dans le prolongement des analyses de Karl Polanyi — que les marchés sont « un élément utile mais secondaire dans une société libre », le problème qui se pose aujourd’hui est de « ré-encastrer » les marchés dans la société et de cesser de réduire la vie humaine à la vie économique, et la vie économique à l’économie de marché. Ceci suppose des dispositifs juridiques qui obligent à prendre en considération l’expérience concrète de ceux qui travaillent. »
Face aux conséquences désastreuses de la crise de 1929, François Mauriac avait fait part à son frère dans une lettre de ses grandes inquiétudes et de sa tristesse face à la jeunesse accablée par les maux de l’époque, en 1932 :
« Nous aurons été bien gâtés en comparaison de nos enfants. […] Ce que nous observons de tout près, dans notre famille, c’est l’anéantissement de la classe moyenne […]. Nos enfants seront des besogneux s’ils ne sont pas armés. Il faut apprendre à être à la fois heureux et pauvres. »
Cette angoisse du grand bourgeois, propriétaire terrien a nourri la révolte de l’écrivain Mauriac contre la politique fiscale du début des années trente et le poids des charges et fait naître le journaliste engagé contre les injustices et la montée des fascismes.
Comme le rappelle Alain Supiot, dans la grande série qui s’ouvre aujourd’hui,
« la proclamation des droits économiques et sociaux a résulté au XXème siècle de l’expérience historique des deux guerres mondiales. La référence à cette expérience est explicite dans la Déclaration de Philadelphie de 1944 :
L’expérience a pleinement démontré le bien-fondé de la déclaration contenue dans la Constitution de l’Organisation internationale du Travail, et d’après laquelle une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale »
Dans une première partie, Alain Supiot analyse la « prise du pouvoir économique par les managers », qui « ont privilégié l’investissement et la politique salariale sur les intérêts des actionnaires », pour favoriser la croissance des entreprises, du New deal au tournant des années Thatcher-Reagan, puis dans une deuxième partie, il revient sur les effets destructeurs de ce qu’on appelle la Corporate gouvernance, qui a condamné les entreprises au court-termisme.
Et nous gagnons l’amphithéâtre du Collège de France, le 28 octobre 2016, pour le cours d’Alain Supiot, « Figures juridiques de la démocratie économique » :
Bonus : Présentation de l’Institut d’études avancées Nantes dont Alain Supiot est le fondateur en 2008 ; il en préside aujourd’hui le comité stratégique.
Source : France Culture, https://www.franceculture.fr/emissions/les-cours-du-college-de-france/figures-juridiques-de-la-democratie-19-essor-et-reflux-de-la-democratie-economique‑0
Fil Facebook correspondant à ce billet :
Le travail indépendant pour tous s’avère la base d’un régime démocratique : que chacun puisse vivre, dans l’indépendance, du fruit de son travail.
Bravo pour ce document
Alain Supiot est un révolutionnaire.
Il nous raconte comment les salauds nous asservissent.
Certes il ne le dit pas ainsi.
Ce sont des faits qu’il nous articule avec tout le savoir d’un érudit.
Un régal.
Je recommande à toute personne qui cherche à comprendre le chaos actuel de l’écouter attentivement et surtout de le comprendre finement.
Il donne, sans en avoir l’air, les causes et les effets de notre situation – l’impasse systémique du capitalisme (qui est plus précisément la technique de dictature actuelle des ultra-riches).
Il nous dit aussi sans y toucher, comment en sortir : il « suffirait » – entre autres choses – d’appliquer – pour le commerce mondial – la Charte de La Havane… et qqs autres principes de bon sens.
Mais chut, c’est l’exact contraire de la politique de nos gouvernants depuis 15 ans (en fait 150 ans) ..