[Mémoire des luttes] Antonio Gramsci et la bataille contre le fascisme (Chris Hedges)

24/06/2017 | 18 commentaires

« Arrê­té le 8 novembre 1926 et assi­gné d’abord à cinq ans de relé­ga­tion dans une île, Anto­nio Gram­sci sera condam­né par le Tri­bu­nal spé­cial à 20 ans, 4 mois et 5 jours de pri­son ; « Pour vingt ans nous devons empê­cher ce cer­veau de fonc­tion­ner », décla­re­ra le 4 juin 1928 le pro­cu­reur fas­ciste. » (Source : Bel­la­ciao, Anto­nio GRAMSCI : Lettres de la pri­son (1926−1937))


[Mémoire des luttes] Je repro­duis ci-des­sous un article pas­sion­nant publié sur l’in­dis­pen­sable et quo­ti­dien Saker fran­co­phone, à la mémoire d’An­to­nio Gram­sci, dont nous devrions entre­te­nir le sou­ve­nir pour nous don­ner des forces :

Antonio Gramsci et la bataille contre le fascisme

Par Chris Hedges – Le 4 juin 2017 – Source Tru­th­dig

Anto­nio Gram­sci écri­vit ses Cahiers de pri­son à une époque assez peu dif­fé­rente de la nôtre. Les par­tis poli­tiques diri­gés par la classe libé­rale, parce qu’ils s’étaient déta­chés de la classe ouvrière, étaient faibles ou insi­gni­fiants. La gauche radi­cale avait été neu­tra­li­sée et avait échoué à for­mu­ler une vision alter­na­tive au capi­ta­lisme. Il y avait une « crise d’autorité ». Le fas­cisme mon­tait et la répres­sion d’État deve­nait de plus en plus dure et totalitaire.

Le régime de Beni­to Mus­so­li­ni récla­mait, comme notre État cor­po­ra­tiste, que soit ins­tal­lé un gou­ver­ne­ment basé sur l’efficacité, la méri­to­cra­tie, la ges­tion de la socié­té par des experts et des spé­cia­listes et l’élimination de la lutte de classe par la média­tion. Il célé­brait éga­le­ment les valeurs mili­taires « héroïques », le tra­di­tio­na­lisme et un pas­sé mythique qui remon­tait, dans le cas de l’Italie fas­ciste, à l’ancienne Rome. Il récom­pen­sait aus­si le confor­misme et la loyau­té, déni­grait les huma­ni­tés et la culture au pro­fit de la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle et tech­nique, le spec­tacle et le kitsch patrio­tique. Il prê­chait un posi­ti­visme impla­cable, ridi­cu­li­sait la notion de bien public en pro­cla­mant un hyper-indi­vi­dua­lisme et a affai­bli la presse. La dis­si­dence et la cri­tique étaient condam­nées comme une tra­hi­son. Lorsque Gram­sci fut arrê­té et empri­son­né en 1926, il jouis­sait de l’immunité par­le­men­taire, mais les règles juri­diques n’avaient plus aucun sens à ce moment-là. C’est dans ce sombre pay­sage poli­tique que nous avons eu la maxime de [Gram­sci] que vous avez tous enten­due : « Le pes­si­misme de l’intelligence, l’optimisme de la volonté ». 

Gram­sci, comme Léon Trots­ky, était un intel­lec­tuel mais aus­si un jour­na­liste. Et c’est Trots­ky qui regrette que, au moment où Gram­sci vou­lait construire le Par­ti com­mu­niste ita­lien, les élites éco­no­miques, alliées aux fas­cistes, aient mis en place des formes de répres­sion si dra­co­niennes qu’une orga­ni­sa­tion effi­cace était presque impossible.

Gram­sci s’écartait de la croyance mar­xiste selon laquelle les contra­dic­tions intrin­sèques du capi­ta­lisme condui­raient d’elles-mêmes au socia­lisme. Il était oppo­sé au contrôle de fer d’une avant-garde révo­lu­tion­naire léni­niste. La révo­lu­tion, écri­vit-il, ne serait atteinte que lorsque les masses auraient acquis un niveau de conscience suf­fi­sant pour exer­cer leur auto­no­mie per­son­nelle et échap­per aux mœurs, sté­réo­types et récits dis­sé­mi­nés par la culture domi­nante. Le chan­ge­ment révo­lu­tion­naire exi­geait cette capa­ci­té intel­lec­tuelle pour com­prendre la réalité.

L’hégémonie, pour Gram­sci, se réfère à la façon dont les élites diri­geantes, à tra­vers les organes de la culture de masse, mani­pulent notre com­pré­hen­sion de la réa­li­té pour pro­mou­voir leurs inté­rêts. Les consom­ma­teurs pas­sifs de la culture de masse voient le monde non tel qu’il est mais tel qu’il est inter­pré­té pour eux. La culture de masse, y com­pris la presse, les écoles et les sys­tèmes de diver­tis­se­ment, dia­bo­lisent tous ceux que les élites diri­geantes dési­gnent comme boucs émis­saires et craignent – dans notre cas les gens de cou­leur, les pauvres, les musul­mans, les tra­vailleurs sans papiers, les anti-capi­ta­listes, les syn­di­cats, les intel­lec­tuels, les pro­gres­sistes et les dis­si­dents. Les diri­geants d’entreprise uti­lisent la culture de masse pour trans­for­mer les reven­di­ca­tions éco­no­miques et sociales légi­times en pro­blèmes psy­cho­lo­giques et émo­tion­nels – d’où les bat­te­ments de tam­bour dans l’ensemble de la socié­té appe­lant à croire en nous-mêmes, à tra­vailler dur, à être obéis­sants, à tenir compte des psy­cho­logues posi­tifs et des gou­rous du déve­lop­pe­ment per­son­nel, à étu­dier, à viser l’excellence et à croire en nos rêves. Ce man­tra, qui nous assure en sub­stance que la réa­li­té n’est jamais un obs­tacle à nos dési­rs, s’accompagne de la pro­mo­tion d’une fausse cama­ra­de­rie avec la soi-disant famille d’entreprise, si nous tra­vaillons pour une grande socié­té, ou d’un natio­na­lisme exacerbé.

Gram­sci a eu la pres­cience de voir qu’on ne deman­dait pas seule­ment au ges­tion­naire capi­ta­liste de maxi­mi­ser les pro­fits et de réduire le coût du tra­vail. Le ges­tion­naire devait construire des méca­nismes d’endoctrinement pour assu­rer l’intégration sociale et la soli­da­ri­té col­lec­tive au ser­vice du capi­ta­lisme, d’où les éva­lua­tions, les pro­mo­tions et les rétro­gra­da­tions per­ma­nentes en même temps que le ras­sem­ble­ment des employées dans des réunions pour ins­til­ler une pen­sée de groupe. Avec cet endoc­tri­ne­ment, de mini états de sécu­ri­té et de sur­veillance s’installent dans nos lieux de tra­vail, où chaque mou­ve­ment et chaque mot pro­non­cé sont enre­gis­trés ou fil­més au nom du ser­vice à la clien­tèle. Les entre­prises fonc­tionnent comme de petits États tota­li­taires, des modèles pour l’État cor­po­ra­tiste plus vaste.

Gram­sci voyait la culture de masse comme le pre­mier outil pour obte­nir la sou­mis­sion. Plus la culture de masse infecte la pen­sée et les com­por­te­ments de la popu­la­tion, moins l’État doit dur­cir les formes de coer­ci­tion pour exer­cer sa domi­na­tion. Gram­sci décri­vit la culture de masse, ou la socié­té civile, comme les tran­chées et les for­ti­fi­ca­tions per­ma­nentes qui défendent les inté­rêts fon­da­men­taux des élites. Le chan­ge­ment révo­lu­tion­naire n’interviendra qu’après une longue série d’attaques, que Gram­sci appe­lait une « guerre de posi­tion », sur ces défenses idéo­lo­giques exté­rieures. C’était, à ses yeux, une étape de la guerre de siège qui exige « patience et inven­ti­vi­té ». Une fois que l’idéologie diri­geante perd sa cré­di­bi­li­té, une fois que la culture de masse n’est plus effi­cace, ses struc­tures ins­ti­tu­tion­nelles s’effondrent. Bref, une contre-hégé­mo­nie arrive avant le pouvoir.

« Chaque révo­lu­tion, écri­vit-il, a été pré­cé­dée par un intense tra­vail cri­tique, par la dif­fu­sion de culture et la dif­fu­sion d’idées. […] Le même phé­no­mène se répète aujourd’hui dans le cas du socia­lisme. C’est à tra­vers une cri­tique de la civi­li­sa­tion capi­ta­liste que la conscience uni­fiée du pro­lé­ta­riat s’est for­mée ou se forme encore, et une cri­tique implique de la culture, pas sim­ple­ment une évo­lu­tion spon­ta­née et natu­ra­liste. […] Se connaître soi-même signi­fie être soi-même, être le maître de soi. […] et nous ne pou­vons réus­sir à moins de connaître aus­si les autres, leur his­toire, les efforts cou­ron­nés de suc­cès qu’ils ont accom­plis pour être ce qu’ils sont, pour créer la civi­li­sa­tion qu’ils ont créée et que nous cher­chons à rem­pla­cer par la nôtre. »

Les révo­lu­tions ont été avant tout une bataille d’idées.

« Un obs­tacle prin­ci­pal au chan­ge­ment est la repro­duc­tion par les forces domi­nantes d’éléments de leur idéo­lo­gie hégé­mo­nique, écri­vit Gram­sci. C’est une tâche impor­tante et urgente de déve­lop­per des inter­pré­ta­tions alter­na­tives de la réalité. »

Noam Chom­sky résume ceci par « dire la vérité ».

Et Gram­sci appuyait : « Dire la véri­té est révolutionnaire. »

Le cœur du néo­li­bé­ra­lisme est l’idée absurde que le niveau de vie de la classe ouvrière mon­diale aug­men­te­ra en défi­gu­rant les socié­tés pour obéir ser­vi­le­ment aux dik­tats du marché.

Nous avons atteint un moment dans l’histoire de l’humanité où l’idéologie régnante a per­du sa cré­di­bi­li­té. Toutes les pro­messes du néo­li­bé­ra­lisme se sont révé­lées fausses. L’abolition des condi­tions de rési­dence natio­nale pour les socié­tés a été uti­li­sée pour léga­li­ser les boy­cotts fis­caux des entre­prises. La classe moyenne – le fon­de­ment de toute démo­cra­tie capi­ta­liste – dépé­rit et a été rem­pla­cée par des tra­vailleurs pauvres, en colère et pri­vés de leurs droits. Les ouvriers sont for­cés d’avoir deux ou trois bou­lots et des semaines de tra­vail de 70 heures pour res­ter sol­vables. Les fac­tures médi­cales, les emprunts étu­diants, les prêts hypo­thé­caires à risque et les dettes sur la carte de cré­dit pro­voquent des faillites dévas­ta­trices. La classe des diri­geants d’entreprise, pen­dant ce temps, ramasse des mil­liards en bonus et en com­pen­sa­tions et uti­lise son argent et des lob­byistes pour détruire les ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques. Elle a ins­tal­lé soli­de­ment un sys­tème que le phi­lo­sophe poli­tique Shel­don Wolin appelle un « tota­li­ta­risme inversé ».

Au fur et à mesure que ces men­songes s’éventent, nous sommes jetés dans ce que Gram­sci appelle un inter­règne – un temps pen­dant lequel l’idéologie domi­nante a per­du son effi­ca­ci­té mais n’a pas encore été rem­pla­cée par une nou­velle. « La crises consiste, écri­vit Gram­sci, pré­ci­sé­ment dans le fait que l’ancien meurt et que le nou­veau ne par­vient pas à voir le jour [et] dans ce clair-obs­cur sur­gissent des monstres. » D’où les muta­tions poli­tiques comme Donald Trump ou, à l’époque de Gram­sci, Mussolini.

L’accélération de la dés­in­dus­tria­li­sa­tion dans les années 1970 a créé une crise qui a for­cé les élites diri­geantes à inven­ter un nou­veau para­digme poli­tique, comme Stuart Hall [avec des co-auteurs] l’explique dans son livre Poli­cing the Cri­sis. Ce para­digme, clai­ron­né par les médias aux ordres, a fait pas­ser ses prio­ri­tés du bien com­mun à la race, au crime et à l’ordre public. Il a dit à ceux qui subis­saient de pro­fonds chan­ge­ments éco­no­miques et poli­tiques que leurs souf­frances ne résul­taient pas de la cupi­di­té des entre­prises mais d’une menace à l’intégrité natio­nale. L’ancien consen­sus qui s’appuyait sur les pro­grammes duNew Deal et de l’État social a été atta­qué comme étant favo­rable aux jeunes cri­mi­nels noirs, à eux qui vivent aux cro­chets de l’État social et aux para­sites sociaux. Il fal­lait blâ­mer les para­sites. Cela a ouvert la porte à un popu­lisme auto­ri­taire, enta­mé par Ronald Rea­gan et Mar­ga­ret That­cher, qui ont pré­ten­du défendre les valeurs fami­liales, la morale tra­di­tion­nelle, l’autonomie indi­vi­duelle, l’ordre public, la foi chré­tienne et le retour à un pas­sé mythique, au moins pour les Amé­ri­cains blancs.

La culture de masse est une force contre-révo­lu­tion­naire puis­sante et dan­ge­reuse. Elle crée une men­ta­li­té gré­gaire. Elle ban­nit la pen­sée indé­pen­dante et auto­nome. Elle détruit notre confiance en nous. Elle mar­gi­na­lise et dis­cré­dite les non-confor­mistes. Elle dépo­li­tise la citoyen­ne­té. Elle ins­tille un sen­ti­ment de futi­li­té et d’impuissance col­lec­tives en pré­sen­tant l’idéologie domi­nante comme une véri­té révé­lée, irré­fu­table, une force inévi­table et inexo­rable qui seule rend le pro­grès humain possible.

La culture de masse est une agres­sion qui, comme Gram­sci l’écrivait, pro­voque une conscience « confuse et frag­men­taire » ou ce que Marx appe­lait « fausse conscience ». Elle vise à trans­mettre au pro­lé­ta­riat la croyance que ses« véri­tables » inté­rêts sont ali­gnés sur ceux de la classe diri­geante, dans notre cas les multinationales.

Nous ne sommes pas pro­duits par la nature, écri­vit Gram­sci, mais par notre his­toire et notre culture. Si nous ne connais­sons pas notre his­toire et notre culture, et si nous accep­tons la fausse his­toire et la culture fabri­quées pour nous, nous ne vain­crons jamais les forces de l’oppression. La récu­pé­ra­tion de la mémoire par les radi­caux dans les années 1960 a ter­ri­fié les élites. Cela a per­mis aux gens de com­prendre leur propre pou­voir et leur action. Elle a expri­mé et célé­bré les luttes des tra­vailleurs et des tra­vailleuses et des oppri­més plu­tôt que la bien­fai­sance mythique des oppres­seurs. Elle a révé­lé l’exploitation et l’hypocrisie de la classe domi­nante. Et c’est pour­quoi les grands patrons ont dépen­sé des mil­lions pour écra­ser et mar­gi­na­li­ser ces mou­ve­ments et leurs his­toires dans les écoles, la culture, la presse et dans nos sys­tèmes de divertissement.

« Non seule­ment les gens n’ont pas de conscience pré­cise de leur propre iden­ti­té his­to­rique, déplo­rait Gram­sci sous le fas­cisme, ils ne sont même pas conscients de l’identité his­to­rique ou des limites exactes de leur adversaire. »

Si nous ne connais­sons pas notre his­toire, nous n’avons aucun point de com­pa­rai­son. Nous ne pou­vons pas nom­mer les forces qui nous contrôlent ou voir la longue conti­nui­té de l’oppression capi­ta­liste et de la résis­tance. Une fois qu’une démo­cra­tie échoue, comme en a aver­ti Pla­ton, elle crée les condi­tions pour une tyran­nie basée sur le sou­tien popu­laire. C’est ce qui s’est pas­sé dans l’Italie fas­ciste. C’est ce qui s’est pas­sé avec l’élection de Trump. Lorsqu’un popu­lisme de droite ou le fas­cisme prend le pou­voir, le but n’est pas, comme le disait Gram­sci, d’éveiller « la conscience civique de la nation », mais de nour­rir et de recréer une conscience civique per­due. C’est là où nous en sommes his­to­ri­que­ment. Et c’était là où en était Gram­sci lorsqu’il écri­vit ses volu­mi­neux Cahiers de pri­son.

La démo­cra­tie fut une ano­ma­lie dans la plus grande par­tie de l’Histoire de l’Occident. Après l’effondrement de la démo­cra­tie athé­nienne en 322 avant l’ère chré­tienne – et cette démo­cra­tie n’était réser­vée qu’aux hommes et excluait les esclaves –, il s’est pas­sé 2000 ans avant l’apparition d’un autre gou­ver­ne­ment démo­cra­tique. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle que des gou­ver­ne­ments démo­cra­tiques, main­te­nant mena­cés par des mou­ve­ments pro­to-fas­cistes, ont pu fleu­rir, même de manière impar­faite. Notre propre sys­tème de gou­ver­ne­ment, si on consi­dère l’exclusion des Afro-Amé­ri­cains, des Amé­rin­diens, des hommes non pro­prié­taires et des femmes, ne pou­vait pas être défi­ni comme une démo­cra­tie com­plète jusqu’à la moi­tié du siècle der­nier. Et, comme l’Italie fas­ciste, nous retour­nons à un des­po­tisme plus familier.

Il y a une rai­son pour laquelle l’État capi­ta­liste cherche à main­te­nir les tra­vailleurs sans conscience. Aucun tra­vailleur ne béné­fi­cie­ra plei­ne­ment de son tra­vail dans un sys­tème capi­ta­liste puisque cela détrui­rait le capi­ta­lisme lui-même. Et tout tra­vailleur qui com­prend vrai­ment ses inté­rêts se consa­cre­rait à ren­ver­ser le capitalisme.

Gram­sci publia l’article à Turin, dans Ordine Nuo­vo (Ordre nou­veau), pen­dant les sou­lè­ve­ments de 1919 qui virent les ouvriers s’emparer des ate­liers et for­mer des conseils ouvriers. Lui et les autres auteurs de l’article – qui ces­sèrent inex­pli­ca­ble­ment de publier au plus fort des troubles pour se consa­crer à l’organisation – ne défen­daient pas des posi­tions avant d’avoir ana­ly­sé et dis­cu­té lon­gue­ment avec les conseils ouvriers. Ces conseils, écri­vit Gram­sci, avaient non seule­ment confé­ré du pou­voir aux tra­vailleurs sur leurs vies pro­fes­sion­nelles, mais avaient bri­sé le mur qui empê­chaient les citoyens pri­vés de par­ti­ci­per à la vie politique.

Pour Gram­sci, la poli­tique révo­lu­tion­naire ne venait pas d’en haut mais d’en bas. Elle était orga­nique. Et l’échec, à ses yeux, des élites révo­lu­tion­naires est qu’elles étaient sou­vent aus­si dic­ta­to­riales et décon­nec­tées des ouvriers que les élites capi­ta­listes. Les masses devaient être inté­grées aux struc­tures du pou­voir pour créer une nou­velle forme de poli­tique de masse – d’où son insis­tance sur le fait que tous les gens sont des intel­lec­tuels capables de pen­sée auto­nome et indé­pen­dante. Une démo­cra­tie n’est pos­sible que si tous ses citoyens com­prennent la méca­nique du pou­voir et ont un rôle dans l’exercice de ce dernier.

Gram­sci [1891–1937] se serait déses­pé­ré de la frac­ture, aux États-Unis, entre notre Gauche ané­mique et la classe ouvrière. Ridi­cu­li­ser les par­ti­sans de Trump, être inca­pable d’écouter et de se sou­cier de la souf­france des tra­vailleurs pauvres, y com­pris blancs, garan­tit que toute révolte sera mort-née. Ceux d’entre nous qui cherchent à ren­ver­ser l’État cor­po­ra­tiste devront com­men­cer loca­le­ment. Cela signi­fie défendre des pro­po­si­tions comme l’augmentation du salaire mini­mum, lut­ter pour de l’eau propre, les soins de san­té uni­ver­sels et un bon ensei­gne­ment public, y com­pris la for­ma­tion uni­ver­si­taire gra­tuite, qui parlent direc­te­ment de l’amélioration des condi­tions de vie de la classe labo­rieuse. Cela ne veut pas dire don­ner des leçons à la classe ouvrière, et en par­ti­cu­lier à la classe ouvrière blanche, sur le mul­ti­cul­tu­ra­lisme et la poli­tique identitaire.

La révolte, cepen­dant, sans une vision poli­tique alter­na­tive, Gram­sci le savait, était vouée à l’échec. Les ouvriers sont mobi­li­sés aus­si faci­le­ment autour d’idéologies anti-démo­cra­tiques comme le fas­cisme et le racisme. S’ils manquent de conscience, ils peuvent deve­nir une force sombre dans le corps poli­tique, comme nous l’avons vu lors des ras­sem­ble­ments de Trump et avec l’augmentation des crimes mus par la haine.

« Mais est-ce suf­fi­sant qu’une révo­lu­tion soit menée par des pro­lé­taires pour qu’elle soit une révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne ?, ques­tion­nait-il. La guerre est aus­si est faite par des pro­lé­taires, mais elle n’en est pas pour autant un évé­ne­ment pro­lé­ta­rien. Pour que cela le soit, il faut la pré­sence d’autres fac­teurs spi­ri­tuels. Il doit y avoir plus pour la révo­lu­tion que la ques­tion du pou­voir : il doit y avoir la ques­tion de la morale, de la manière de vivre. »

Cette insis­tance sur la vision d’un nou­vel ordre oppo­sa Gram­sci aux anar­chistes et aux syn­di­cats. L’État pour­rait affron­ter les troubles, même la révolte, savait-il, tant qu’elle était spo­ra­dique et loca­li­sée et ne for­mu­lait pas un pro­gramme visant à rem­pla­cer les struc­tures qui main­tiennent les élites diri­geantes au pou­voir. « L’État socia­liste ne peut pas s’incarner dans les ins­ti­tu­tions de l’État capi­ta­liste […], écri­vit-il. L’État socia­liste doit être une créa­tion fon­da­men­ta­le­ment nou­velle. Les ins­ti­tu­tions de l’État capi­ta­liste sont orga­ni­sées de manière à faci­li­ter la libre concur­rence : se conten­ter de chan­ger le per­son­nel dans ces ins­ti­tu­tions ne chan­ge­ra guère la direc­tion de leur action. »

Gram­sci fut un enfant mala­dif qui, après avoir été lais­sé tom­bé au bas des esca­liers par une ser­vante à l’âge de 4 ans, devint bos­su et mesu­rait 4 pieds 6 pouces [un peu plus de 137 cm, NdT] à l’âge adulte. Il gran­dit en Sar­daigne, une île pauvre du sud de l’Italie. Il vécut dans une extrême souf­france la plus grande par­tie de sa vie, dans la pau­vre­té lorsque son père fut empri­son­né pour cor­rup­tion. Il était, phy­si­que­ment, par tem­pé­ra­ment et géo­gra­phi­que­ment, un paria. Cela lui don­na une sym­pa­thie natu­relle pour les mar­gi­na­li­sés et les oubliés. Il fut trou­blé par le schisme entre le Sud [de l’Italie] agraire et sous-déve­lop­pé et le Nord, en par­ti­cu­lier Turin, où il alla à l’université.

Les élites ita­liennes pro­murent, comme beau­coup d’autres à cette époque, l’idée de l’infériorité bio­lo­gique de cer­taines races. Les pay­sans du Sud n’étaient pas pauvres parce qu’ils étaient moins bien trai­tés que des serfs par les grands pro­prié­taires ter­riens, mais parce qu’ils étaient géné­ti­que­ment han­di­ca­pés. Ce racisme, qui péné­trait dans la pen­sée de la gauche, met­tait Gram­sci en rage. Ses écrits sur les divi­sions entre le Nord indus­triel et le Sud agraire furent fon­da­men­tales pour Edward Saïd lorsqu’il écri­vit L’Orientalisme. Comme Gram­sci, il a vu com­ment les sté­réo­types racistes dif­fu­sés par le Nord mon­dial étaient uti­li­sés pour jus­ti­fier les poli­tiques d’exploitation et d’oppression du Sud mondial.

« Tout le com­plexe d’activités pra­tiques et théo­riques avec lequel la classe domi­nante non seule­ment jus­ti­fie et main­tient sa domi­na­tion, mais fait en sorte d’obtenir le consen­te­ment actif des gou­ver­nés » doit être ren­du clair pour le public, écri­vit Gramsci.

La com­pré­hen­sion par Gram­sci de la façon dont les élites diri­geantes fabriquent le consen­te­ment le sépare de Marx. Marx voyait la théo­rie cri­tique comme un pré­li­mi­naire à la construc­tion d’une socié­té éga­li­taire et juste. Dans la socié­té juste, la théo­rie cri­tique, comme l’État, dépé­ri­rait. Gram­sci savait que les élites repro­dui­raient conti­nuel­le­ment des situa­tions et des idéo­lo­gies pour main­te­nir leur contrôle ou le prendre. Cela exi­geait la vigi­lance constante du théo­ri­cien révo­lu­tion­naire cri­tique. Il y aurait une bataille sans fin des idées, celles déve­lop­pées par les élites pour jus­ti­fier leurs pri­vi­lèges et celles des théo­ri­ciens radi­caux qui dénon­ce­raient ces idées comme étant des ins­tru­ments de répres­sion et sou­tien­draient une alter­na­tive socialiste.

Gram­sci sou­te­nait que le fac­teur humain – rom­pant de nou­veau avec Marx – est essen­tiel. L’Histoire, disait-il, est faite par la volon­té des hommes. Elle n’est pas pré­dé­ter­mi­née. On ne peut pas com­prendre com­ment nous acqué­rons de la conscience et com­ment nous réa­li­sons la révo­lu­tion en ne consi­dé­rant que les moyens de pro­duc­tion. Nous ne pou­vons pas, aver­tis­sait-il, pré­dire le cours de l’Histoire. Nous pou­vons recu­ler tout autant qu’avancer. Nous devons, par consé­quent, créer une contre-culture dyna­mique qui finit par rendre la révo­lu­tion pos­sible. Alors que nous bat­tons en retraite devant l’offensive du fas­cisme, cela fait de Gram­sci notre contemporain.

Chris Hedges

Tra­duit par Diane, véri­fié par Wayan, relu par Her­vé pour le Saker francophone

Source : http://​lesa​ker​fran​co​phone​.fr/​a​n​t​o​n​i​o​-​g​r​a​m​s​c​i​-​e​t​-​l​a​-​b​a​t​a​i​l​l​e​-​c​o​n​t​r​e​-​l​e​-​f​a​s​c​i​sme

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18 Commentaires

  1. majax

    LOI ORGANIQUE RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES (LOLF).

    Je découvre un monde qui m’é­tait tota­le­ment incon­nu, très bar­bant, mais pas inintéressant.
    Cha­cun a pu consta­ter que les der­niers ser­vices publiques sont entrés depuis plu­sieurs années main­te­nant dans une logique de ren­ta­bi­li­té. On fixe des objec­tifs de réus­site chez les profs pour vali­der des « pro­jets », des objec­tifs d’ar­res­ta­tion dans un poste de gen­dar­me­rie etc.
    J’i­gno­rais l’exis­tence de cette loi qui fixe dans le marbre cette pra­tique mana­gé­riale éten­due à tous les postes de dépenses, et voté sous un gou­ver­ne­ment de « gauche » sous Jos­pin en 2001. Et moi qui fut déçu pour lui et pour nous en 2002…
    Je par­tage cette vidéo courte sur la LOLF, racon­tée sous le prisme de la pen­sée libé­rale ensei­gnée en HEC, pépi­nière de nos énarques :
    https://​you​tu​.be/​j​b​m​e​L​u​_​d​zyE

    Sinon il y a tou­jours wikipedia :
    https://​fr​.wiki​pe​dia​.org/​w​i​k​i​/​L​o​i​_​o​r​g​a​n​i​q​u​e​_​r​e​l​a​t​i​v​e​_​a​u​x​_​l​o​i​s​_​d​e​_​f​i​n​a​n​ces

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  2. etienne

    Fran­çois Ruf­fin arrive à l’AN :
    httpv://www.youtube.com/watch?v=j5RBe6rFnrc

    Réponse
  3. etienne

    Fraude fiscale : comment le verrou de Bercy ruine le travail des inspecteurs des impôts

    « Un ins­pec­teur des finances publiques a pris la plume pour décrire les embûches qu’il ren­contre dans l’exercice de son tra­vail au séna­teur com­mu­niste Éric Boc­quet. Son cour­rier explique que, face à leur hié­rar­chie, ces fonc­tion­naires, res­pon­sables d’enquêtes fis­cales, sont seuls. Et que ce n’est pas la récente légis­la­tion sur les lan­ceurs d’alerte ou encore le fameux article 40 du Code pénal qui peuvent les pro­té­ger des pres­sions. Un docu­ment qui mérite débat, quand on sait que l’évasion fis­cale repré­sente 60 à 80 mil­liards d’euros chaque année…

    En fin d’année 2015, un ins­pec­teur des finances publiques a pris la plume. Un an aupa­ra­vant, cet homme avait ren­con­tré un séna­teur com­mu­niste, Éric Boc­quet, rap­por­teur de la com­mis­sion d’enquête par­le­men­taire sur l’évasion fis­cale. Dans cette mis­sive de douze pages, cet ins­pec­teur fis­cal décrit, docu­mente et argu­mente le « ver­rou de Ber­cy » de l’intérieur (voir enca­dré). L’inspecteur des finances publiques y inter­roge la légis­la­tion exis­tante : les sta­tuts du fonc­tion­naire et donc son devoir d’obéissance, la légis­la­tion récente sur les lan­ceurs d’alerte et enfin l’obligation pour tout fonc­tion­naire, selon l’article 40 du Code pénal, de dénon­cer tout fait sus­cep­tible de contre­ve­nir à la loi.

    Sans motif ou ordre écrit

    En France, l’ampleur de l’évasion fis­cale est chif­frée dans le rap­port d’Éric Boc­quet : entre 60 et 80 mil­liards d’euros échappent ain­si aux caisses de l’État. Le tra­vail d’enquête des ins­pec­teurs des finances publiques est donc la base de ce qui pour­rait per­mettre de recou­vrer ces sommes. Peuvent-ils le faire et dans quelle mesure ? Répondre à cette ques­tion implique de prendre en compte plu­sieurs para­mètres, dont les moyens humains mis à dis­po­si­tion de l’administration fis­cale est le plus impor­tant. Mais il n’est pas seul. Que peut-il se pas­ser lors des dif­fé­rentes étapes d’une enquête fis­cale ? Le dos­sier arri­ve­ra-t-il au bout ? Si la hié­rar­chie décide de le refer­mer, l’inspecteur des finances a‑t-il les moyens de s’y oppo­ser ? Pour l’auteur du cour­rier à Éric Boc­quet, la réponse est non. Il rap­pelle en effet ce que peut déci­der son chef de ser­vice tout au long de la pro­cé­dure : « Inter­dire l’ouverture du dos­sier, ne pas per­mettre l’accès au dos­sier, ordon­ner l’arrêt du contrôle, inter­dire de noti­fier au contri­buable la lettre lui signi­fiant ses man­que­ments, ordon­ner l’abandon total ou par­tiel des redres­se­ments ini­tia­le­ment noti­fiés », sans motif ou ordre écrit. Et le fonc­tion­naire doit obéir, « sauf dans le cas où l’ordre don­né est mani­fes­te­ment illé­gal et de nature à com­pro­mettre gra­ve­ment un inté­rêt public ». C’est au juge admi­nis­tra­tif de déci­der de cette léga­li­té, et par­ti­cu­liè­re­ment au Conseil d’État. Or, depuis 1945, « un seul arrêt a recon­nu un cas de déso­béis­sance comme régu­lier », rap­pelle l’auteur du cour­rier. Cet arrêt date de mars 2012, et a don­né rai­son à un poli­cier muni­ci­pal qui avait refu­sé de tra­vailler en civil lors d’une fête à Biar­ritz, et s’était vu infli­ger un blâme par la muni­ci­pa­li­té. C’est encore peu pour encou­ra­ger à ne pas se confor­mer à un ordre…

    Pro­tec­tion insuf­fi­sante des lan­ceurs d’alerte

    L’article 40 du Code pénal peut-il être invo­qué ? Sauf que « toute dénon­cia­tion au pro­cu­reur devra rece­voir l’aval de sa hié­rar­chie », explique l’auteur du cour­rier ! Et la pro­tec­tion des lan­ceurs d’alerte, mise en œuvre par la loi de décembre 2013, est insuf­fi­sante à ses yeux : « La sanc­tion n’est que civile (et non pas pénale) pour l’autorité qui aura en quelque sorte mal­trai­té le lan­ceur d’alerte. » Enfin la loi vise l’existence de faits « consti­tu­tifs » – et non « sus­cep­tibles de consti­tuer » – d’un crime ou d’un délit. Le poten­tiel lan­ceur d’alerte doit être lui-même en mesure de cer­ti­fier la qua­li­fi­ca­tion pénale des faits ! Pour appuyer son argu­men­ta­tion, l’auteur du cour­rier cite le cas d’un de ses confrères, Rémy Gar­nier, un nom est appa­ru au moment de l’affaire Cahu­zac. Véri­fi­ca­teur fis­cal à Agen à la fin des années 1990, Rémy Gar­nier, à la retraite depuis 2010, avait croi­sé la route de l’ex-ministre du Bud­get. En 1999, il avait signi­fié un redres­se­ment fis­cal à la coopé­ra­tive France Prune, redres­se­ment en ter­ré par le ministre du Bud­get de l’époque, Chris­tian Saut­ter, sur inter­ven­tion du dépu­té du Lot-et-Garonne Jérôme Cahu­zac. Rémy Gar­nier avait pour­tant main­te­nu les conclu­sions de son enquête fis­cale. Dans « Libé­ra­tion », en décembre 2012, au moment où éclate l’affaire Cahu­zac, il témoi­gnait : « À par­tir de là, j’ai été pla­car­di­sé. J’ai pas­sé 3 ans au ser­vice du conten­tieux, puis 1 an aux domaines, avant un nou­vel emploi fic­tif à la pro­gram­ma­tion du contrôle fis­cal en 2006, à Agen. » Rémy Gar­nier a fini par obte­nir gain de cause, sou­te­nu par la CGT, après 10 ans de pro­cé­dure. Mais lan­ceur d’alerte appa­raît ain­si « très ris­qué et assez mal perçu »…

    « Appli­ca­tion mesu­rée de la loi fiscale »

    Il reste l’appui de syn­di­cats pour se défendre face à la hié­rar­chie. Emma­nuelle Planque, syn­di­ca­liste de la CGT, recon­naît que, dans l’exercice de leur métier, les ins­pec­teurs des finances publiques, les véri­fi­ca­teurs, sont ame­nés à prendre connais­sance de situa­tions « sen­sibles ». Elle indique qu’une note interne « demande l’application mesu­rée de la loi fis­cale », qui « prenne en compte toute la situa­tion » lorsqu’un dos­sier est ouvert. « Cette appli­ca­tion mesu­rée est mise en œuvre par la hié­rar­chie. La pers­pec­tive, c’est le res­pect de la régle­men­ta­tion et le recou­vre­ment. Mais le recou­vre­ment est mau­vais », regrette-t-elle. Ce que la Cour des comptes, selon elle, a déjà rele­vé : Ber­cy ne dépose qu’un mil­lier de plaintes par an.

    Vincent Dre­zet, secré­taire géné­ral du syn­di­cat Soli­daires finances publiques, estime aus­si que « le sen­ti­ment qui se dégage de l’article 40 du Code pénal est trop lourd. Il fau­drait pro­gres­ser dans ce domaine. La chaîne hié­rar­chique est trop longue ». Pour l’effectivité des contrôles fis­caux, le pro­blème est selon lui plu­tôt dans « l’après ». C’est-à-dire au moment des recours gra­cieux. C’est là que les négo­cia­tions inter­viennent et que les « redres­sés » jouent sur le mon­tant des péna­li­tés (de 40 % à 80 % du mon­tant du redres­se­ment selon la gra­vi­té des faits). Enfin, il faut faire face à la masse de tra­vail. Or, cette année, c’est dans le contrôle fis­cal que le gou­ver­ne­ment a choi­si de réduire les effec­tifs. 2 100 postes doivent être sup­pri­més à la direc­tion géné­rale des finances publiques, qui en comp­tait, en 2015, 112 000.

    L’auteur du cour­rier à Éric Boc­quet fait quelques sug­ges­tions. Il met en avant l’exemple du Conseil natio­nal de l’inspection du tra­vail (CNIT), ins­tance sai­sie « en cas d’intervention hié­rar­chique ». En se basant sur ce modèle, qui consacre une forme d’indépendance des ins­pec­teurs du tra­vail, il sug­gère la créa­tion d’un « Conseil natio­nal du contrôle fis­cal », « majo­ri­tai­re­ment com­po­sé de fonc­tion­naires non enca­drants », afin de s’émanciper de toute pres­sion hié­rar­chique. Ce peut être une piste de débat. À repla­cer dans le contexte sou­li­gné par les syn­di­cats : celui de moyens humains à la hau­teur de l’enjeu que repré­sentent la fraude et l’évasion fis­cales pour les caisses des États.

    Le « ver­rou » de Ber­cy, c’est quoi ?

    Dans les grands débats natio­naux sur l’évasion fis­cale, on parle du « ver­rou de Ber­cy ». Encore plus depuis l’affaire Cahu­zac. Ce ver­rou, c’est le mono­pole accor­dé au minis­tère du Bud­get pour lan­cer des pour­suites pénales en cas de fraude fis­cale. En prin­cipe, dans le droit pénal, il n’y a pas besoin de plainte pour que la jus­tice, consta­tant un crime ou un délit, se sai­sisse de l’affaire et lance enquêtes et pour­suites judi­ciaires. Dans le cas de la fraude fis­cale, les choses sont dif­fé­rentes. L’administration fis­cale enquête elle-même, grâce à ses ins­pec­teurs des finances publiques (ex-ins­pec­teurs des impôts), et décide in fine si elle va enga­ger des pour­suites au regard des élé­ments qu’elle recueille. La jus­tice ne peut se sai­sir elle-même d’une affaire de fraude fis­cale. Dans bien des cas, cela peut fonc­tion­ner… Dans d’autres, ce ver­rou a des consé­quences plus inat­ten­dues. Au moment de l’affaire Cahu­zac, on a eu un exemple de l’action de ce ver­rou avec une démarche enga­gée par le minis­tère auprès de la Suisse, qui avait ame­né à la pro­duc­tion d’un docu­ment cer­ti­fiant que Jérôme Cahu­zac n’avait pas de compte dans les banques de ce para­dis fis­cal… Ce qui s’est avé­ré faux quelques semaines plus tard, lorsque l’enquête judi­ciaire ouverte pour « blan­chi­ment de fraude fis­cale » a conduit à la mise en exa­men de celui qui était alors ministre du Bud­get. Le « blan­chi­ment de fraude fis­cale », en revanche, est un délit dont la jus­tice peut se sai­sir elle-même. Mais l’établir sup­pose sou­vent d’avoir déjà éta­bli la fraude fis­cale elle-même. »

    Source : L’Humanité

    http://​www​.huma​nite​.fr/​f​r​a​u​d​e​-​f​i​s​c​a​l​e​-​c​o​m​m​e​n​t​-​l​e​-​v​e​r​r​o​u​-​d​e​-​b​e​r​c​y​-​r​u​i​n​e​-​l​e​-​t​r​a​v​a​i​l​-​d​e​s​-​i​n​s​p​e​c​t​e​u​r​s​-​6​0​2​806

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  4. etienne

    L’interview complète : Noam Chomsky à propos des 75 premiers jours de Trump – et bien plus encore ! 2/2

    […]

    JUAN GONZÁLEZ : Vous avez par­lé de Mar­tin Luther King et de la Cam­pagne des pauvres. Je vou­lais vous deman­der de par­ler d’un cha­pitre de votre livre Requiem for the Ame­ri­can Dream, dans lequel vous par­lez de ce célèbre Mémo­ran­dum Powell que le juge Powell a envoyé à la Chambre de com­merce et ailleurs, à des grands groupes d’entreprises, en 1971 et dans lequel il décla­rait que les entre­prises étaient en train de perdre le contrôle de la socié­té et qu’il fal­lait faire quelque chose pour contrer ces mou­ve­ments. C’est un juge de la Cour suprême qui a sor­ti ce type de chose. Pour­riez-vous par­ler de l’effort des entre­prises pour lut­ter contre le mou­ve­ment des années 60 ?

    NOAM CHOMSKY : En fait, il a été nom­mé juge de la Cour suprême un peu plus tard. Il était alors avo­cat d’affaires, je pense, tra­vaillant pour des entre­prises de tabac ou de ce genre. Et il a écrit un mémo­ran­dum inté­res­sant. Il a été trans­mis à la Chambre de com­merce amé­ri­caine. Il s’agissait d’un mémo­ran­dum interne des­ti­né, à la base, au monde des affaires. Il a été divul­gué – comme d’habitude, et c’est assez intéressant.

    Il n’a pas vrai­ment dit que les entre­prises per­daient le contrôle. Ce qu’il a dit, les entre­prises sont – elles sont affai­blies par les forces mas­sives de la gauche, qui ont pris le contrôle de tout. Il a même nom­mé les diables qui menaient la cam­pagne : Ralph Nader, avec ses actions de défense des consom­ma­teurs, Her­bert Mar­cuse, qui mobi­li­sait les étu­diants pour faire la révo­lu­tion. Et il dit qu’ils ont pris le contrôle des médias, qu’ils ont pris le contrôle des uni­ver­si­tés, qu’ils contrôlent pra­ti­que­ment tout le pays. Et pen­dant ce temps, le pauvre monde des affaires, agres­sé, pou­vait à peine sur­vivre sous ces attaques incroyables. C’est une image très inté­res­sante. La rhé­to­rique devrait être – vous devriez faire atten­tion à la rhé­to­rique. C’est comme un enfant gâté de 3 ans qui s’attend à tout avoir, quelqu’un lui enlève un bon­bon, et il fait un caprice. La fin du monde. C’est à peu près l’image. Bien sûr, les affaires diri­geaient à peu près tout, mais pas tout. Il y avait – il y avait des ten­dances démo­cra­tiques dans les années 60. Le public s’était davan­tage enga­gé dans les affaires publiques et était consi­dé­ré comme sérieu­se­ment mena­çant. Il appelle donc le monde des affaires à se défendre contre cette attaque mons­trueuse. Et il dit : « Regar­dez, après tout, nous sommes ceux qui avons les res­sources. Nous avons les fonds. Vous savez, nous sommes les admi­nis­tra­teurs des uni­ver­si­tés. Nous devrions être capables de nous pro­té­ger de cette agres­sion qui balaye le mode de vie amé­ri­cain, les affaires, et ain­si de suite ». C’est le Mémo­ran­dum Powell. Et en effet, la leçon a été com­prise, pas seule­ment écou­tée. Il y a eu une réac­tion à l’activisme des années 60. Les années 60 sont sou­vent appe­lées « la période des troubles ». Le pays se civi­li­sait. C’est extrê­me­ment dangereux.

    Non moins inté­res­sante que le Mémo­ran­dum Powell, il y a une autre publi­ca­tion issue du côté oppo­sé du spectre poli­tique mains­tream, le livre inti­tu­lé The Cri­sis of Demo­cra­cy, publié à peu près à la même époque par la Com­mis­sion tri­la­té­rale. Ce sont les inter­na­tio­na­listes libé­raux des trois prin­ci­paux centres capi­ta­listes : l’Europe, les États-Unis et le Japon. La cou­leur poli­tique de ce groupe est illus­trée par le fait qu’ils ont presque entiè­re­ment peu­plé l’administration Car­ter. C’est là où on les trouve. Le rap­por­teur amé­ri­cain Samuel Hun­ting­ton, pro­fes­seur à Har­vard, l’intellectuel libé­ral bien connu. Qu’est-ce que la crise de la démo­cra­tie ? À peu près la même chose que dans le Mémo­ran­dum Powell. Ils disaient qu’il y avait trop de démo­cra­tie. Les gens qui sont habi­tuel­le­ment pas­sifs et apa­thiques, comme ils sont sup­po­sés l’être, font pres­sion avec leurs reven­di­ca­tions dans l’arène publique, et c’est trop pour que l’État puisse y répondre. Ils n’ont pas men­tion­né un groupe : les inté­rêts des entre­prises. Ça, c’est l’intérêt natio­nal. Les autres, c’étaient des inté­rêts par­ti­cu­liers, et ils appe­laient à de la modé­ra­tion et à la démo­cra­tie. Ils étaient par­ti­cu­liè­re­ment pré­oc­cu­pés par ce qu’ils appe­laient – c’est leur expres­sion – « les ins­ti­tu­tions res­pon­sables de l’endoctrinement des jeunes » – les uni­ver­si­tés, les écoles, les églises. Ils sont sup­po­sés endoc­tri­ner les jeunes, et ils ne font pas leur tra­vail, comme vous pou­vez le consta­ter avec tous ces jeunes qui courent en tous sens pour les droits des femmes, mettre fin à la guerre et ceci et cela. Nous devons donc avoir un meilleur endoc­tri­ne­ment de la jeu­nesse. Ils étaient éga­le­ment pré­oc­cu­pés par les médias. Ils disaient que les médias deve­naient trop accu­sa­toires. Si vous regar­dez ce qui s’est pas­sé, c’est aus­si peu sérieux que Powell. Ils disaient, si les médias ne se contrôlent pas eux-mêmes et ne se dis­ci­plinent pas, peut-être que l’État devra bou­ger et faire quelque chose à ce sujet. Ce sont les libé­raux. C’est l’extrémité libé­rale du spectre.

    Vous met­tez ces deux publi­ca­tions côte à côte. Elles dif­fèrent par la rhé­to­rique. Le Mémo­ran­dum Powell, c’est lit­té­ra­le­ment un caprice. La « Crise de la démo­cra­tie » ce sont des grands mots, modé­rés, vous savez, les intel­lec­tuels, et ain­si de suite. Mais le mes­sage n’est pas très dif­fé­rent. Il nous dit sim­ple­ment que la démo­cra­tie est une menace. Il faut rame­ner la popu­la­tion à la pas­si­vi­té, et alors tout ira bien. En fait, Hun­ting­ton, le rap­por­teur amé­ri­cain, dit, de façon nos­tal­gique, que Tru­man avait pu diri­ger le pays avec la col­la­bo­ra­tion de quelques diri­geants d’entreprises et des avo­cats de Wall Street. C’était le bon vieux temps, quand la démo­cra­tie fonc­tion­nait. Vous n’aviez pas toutes ces reven­di­ca­tions et ain­si de suite. Et rap­pe­lez-vous, c’est l’extrémité libé­rale du spectre. Après, vous obte­nez le Mémo­ran­dum Powell, qui est l’extrémité dure et, rhé­to­ri­que­ment, lit­té­ra­le­ment, une sorte de crise de caprice.

    C’est dans ce cadre de pen­sée – qu’ils n’ont pas inven­té, mais qu’ils ont énon­cé – que vous obte­nez la réac­tion néo­li­bé­rale de la géné­ra­tion pas­sée, qui, de tous les côtés, l’éducation, l’économie, la sape du fonc­tion­ne­ment de la démo­cra­tie poli­tique, tous ces fac­teurs qui ont conduit à la dés­illu­sion et à la colère des gens, qui finissent par deve­nir des élec­teurs de Trump, votant pour leur enne­mi de classe. Il faut se rap­pe­ler que ces per­sonnes ont juste des pré­oc­cu­pa­tions, des pré­oc­cu­pa­tions très sérieuses. On l’a vu dans des révé­la­tions récentes, assez remar­quables. Vous les avez vues, pro­ba­ble­ment, rap­por­tées au fait tout à fait remar­quable que la mor­ta­li­té aug­mente chez les Amé­ri­cains blancs de classe moyenne, de classe moyenne infé­rieure, et d’âge moyen. C’est quelque chose d’inédit dans les socié­tés déve­lop­pées. La mor­ta­li­té conti­nue de dimi­nuer. Mais là, elle aug­mente. Et ses racines sont ce qu’on appelle les mala­dies du déses­poir. Les gens n’ont pas d’espoir en l’avenir – et pour de très bonnes rai­sons, si vous regar­dez les faits en ques­tion. Les salaires réels mas­cu­lins aujourd’hui sont à peu près au niveau des années 60. En 2007, au moment où il y avait beau­coup d’euphorie sur l’économie, ça marche mer­veilleu­se­ment bien, une grande modé­ra­tion, etc., les éco­no­mistes qui fai­saient l’éloge d’Alan Greens­pan comme la plus grande figure depuis Moïse, quelque chose comme « Saint Alan », comme on l’appelait – Juste au som­met de l’euphorie, juste avant l’accident, les salaires réels des tra­vailleurs amé­ri­cains étaient plus faibles qu’ils ne l’étaient en 1979, à l’époque où les expé­riences néo­li­bé­rales ne fai­saient que com­men­cer. Cela affecte sérieu­se­ment la vie des gens. Ils ne sont pas affa­més. Ils ne sont pas les plus pauvres. Vous savez, ils sur­vivent, mais sans l’espoir, sans sen­ti­ment de digni­té, de valeur, d’espoir en l’avenir, de sens dans la vie, etc. Et donc, ils réagissent de manière sou­vent très autodestructrice. »

    […]


    http://​www​.les​-crises​.fr/​l​i​n​t​e​r​v​i​e​w​-​c​o​m​p​l​e​t​e​-​n​o​a​m​-​c​h​o​m​s​k​y​-​a​-​p​r​o​p​o​s​-​d​e​s​-​7​5​-​p​r​e​m​i​e​r​s​-​j​o​u​r​s​-​d​e​-​t​r​u​m​p​-​e​t​-​b​i​e​n​-​p​l​u​s​-​e​n​c​o​r​e​-​22/

    Source : Oli­vier Ber­ruyer, les​-crises​.fr

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    • etienne

      « JUAN GONZÁLEZ : Je vou­lais vous poser une autre ques­tion, venue de Mel­bourne, en Aus­tra­lie, posée par Aaron Bry­la : « Le secré­taire à la Défense, James Mat­tis, a dési­gné cette semaine l’Iran comme la plus grande menace pour les États-Unis. Ma ques­tion est : Pour­quoi les États-Unis s’acharnent-ils à poin­ter le risque de guerre avec l’Iran ? »

      NOAM CHOMSKY : Cela dure depuis des années. Pen­dant toutes les années Oba­ma, l’Iran était consi­dé­ré comme la plus grande menace pour la paix dans le monde. Et cela se répète encore et encore. « Toutes les options sont ouvertes », l’expression d’Obama, c’est-à-dire, si nous vou­lons uti­li­ser des armes nucléaires, nous le pou­vons, en rai­son de ce ter­rible dan­ger pour la paix.

      En fait, nous avons – il y a quelques com­men­taires inté­res­sants qu’il faut faire à ce sujet. L’un d’eux est qu’il y a aus­si quelque chose qui s’appelle l’opinion mon­diale. Pour le monde, quel pays repré­sente la menace la plus grande pour la paix mon­diale ? Eh bien, nous le savons à par­tir des son­dages amé­ri­cains, des son­dages Gal­lup : les États-Unis. Per­sonne n’en est aus­si près, autant en tête devant les autres menaces. Le Pakis­tan, en deuxième posi­tion, est beau­coup plus loin. L’Iran, à peine mentionné.

      Pour­quoi l’Iran est-il consi­dé­ré comme la plus grande menace pour la paix mon­diale ? Eh bien, nous avons une réponse fai­sant auto­ri­té à ce sujet, de la com­mu­nau­té du ren­sei­gne­ment, qui four­nit des éva­lua­tions régu­lières au Congrès sur la situa­tion stra­té­gique mon­diale. Et il y a deux ans, leur rap­port, bien sûr, ils dis­cutent tou­jours de l’Iran. Et les rap­ports sont assez cohé­rents. Ils disent que l’Iran a des dépenses mili­taires très faibles, même selon les normes de la région, beau­coup plus faibles que l’Arabie saou­dite, Israël et d’autres. Sa stra­té­gie est défen­sive. Ils veulent dis­sua­der les attaques suf­fi­sam­ment long­temps pour que la diplo­ma­tie soit accueillie favo­ra­ble­ment. La conclu­sion, celle du ren­sei­gne­ment – il y a deux ans – est : s’ils déve­loppent des armes nucléaires, ce que nous ne savons pas, mais s’ils le font, cela ferait par­tie de leur stra­té­gie dis­sua­sive. Alors, pour­quoi les États-Unis et Israël sont-ils encore plus et si pré­oc­cu­pés par la dis­sua­sion ? Qui est pré­oc­cu­pé par la dis­sua­sion ? Ceux qui veulent uti­li­ser la force. Ceux qui veulent être libres d’utiliser la force sont pro­fon­dé­ment pré­oc­cu­pés par une dis­sua­sion poten­tielle. Donc, oui, l’Iran est la plus grande menace pour la paix mon­diale, il pour­rait dis­sua­der notre uti­li­sa­tion de la force. »

      Réponse
    • etienne

      AMY GOODMAN : Pen­sez-vous qu’il soit appro­prié d’employer le mot « fas­cisme » ou de par­ler de la mon­tée du fas­cisme aux États-Unis ?

      NOAM CHOMSKY : Eh bien, vous savez, le « fas­cisme » est deve­nu une sorte de mot effrayant. Mais beau­coup d’aspects du fas­cisme ne sont pas très loin sous la sur­face. Reve­nez à, disons, les années 40. Robert Bra­dy, grand spé­cia­liste en éco­no­mie poli­tique, spé­cia­liste de Veblen, a écrit un livre inti­tu­lé Busi­ness as a Sys­tem of Power, dans lequel il a sou­te­nu que dans toutes les éco­no­mies capi­ta­listes d’État – les éco­no­mies dites capi­ta­listes, vrai­ment capi­ta­listes d’État – des déve­lop­pe­ments ont eu lieu vers cer­taines des struc­tures ins­ti­tu­tion­nelles du fas­cisme. Il ne pen­sait pas aux camps de concen­tra­tion et aux cré­ma­toires, juste à la nature des struc­tures ins­ti­tu­tion­nelles. Et ce n’était pas tout à fait faux. Pour­rions-nous aller vers ce que Ber­tram Gross, vers 1980, a appe­lé le « fas­cisme ami­cal » ? Donc, des struc­tures de type fas­ciste sans les cré­ma­toires, qui n’est pas le noyau, la par­tie néces­saire du fas­cisme. Ça pour­rait arriver.

      Nous devrions nous rap­pe­ler qu’au cours des années 30, les régimes fas­cistes étaient objets d’attitudes assez favo­rables en Occi­dent. Mus­so­li­ni était appe­lé, par Roo­se­velt, « cet admi­rable gent­le­man ita­lien », et il a peut-être été trom­pé par Hit­ler. En 1932, l’un des prin­ci­paux maga­zines d’affaires – je pense Forbes – avait un article à la Une, un article dont le titre était « Les Ritals se dé-rita­lisent eux-mêmes (The wops are unwop­ping them­selves) ». Enfin, les Ita­liens agissent ensemble sous Mus­so­li­ni. Les trains arri­vaient à l’heure, ce genre de choses. Le milieu des affaires était très favo­rable. Jusqu’à la fin des années 30, le Dépar­te­ment d’État des États-Unis – on ne peut pas dire qu’il était « favo­rable » à Hit­ler, mais disait que nous devrions tolé­rer Hit­ler, parce que c’était un modé­ré qui se trou­vait entre les extrêmes de droite et de gauche. Nous avons déjà enten­du ça. Il a détruit le mou­ve­ment ouvrier, ce qui est une bonne chose ; il s’est débar­ras­sé des com­mu­nistes, des socia­listes, bien. Il y a des élé­ments de droite, des élé­ments ultra­na­tio­na­listes à l’autre extrême. Il les contrôle. Nous devrions donc avoir une atti­tude tolé­rante envers lui. Le cas le plus inté­res­sant est George Ken­nan, grand diplo­mate véné­ré. Il était consul amé­ri­cain à Ber­lin. Et aus­si tard qu’en 1941, il écri­vait tou­jours des com­men­taires assez favo­rables à pro­pos d’Hitler, disant qu’on ne devrait pas être trop sévère, il y a de bonnes choses là-dedans. Nous asso­cions main­te­nant le fas­cisme aux his­toires d’horreur réelles de l’Holocauste et ain­si de suite. Mais ce n’est pas la façon dont le fas­cisme a été consi­dé­ré. Il était encore plus for­te­ment sou­te­nu par le monde des affaires bri­tan­nique. Ils pour­raient faire affaire avec lui. Il y avait eu des régimes – en grande par­tie gérés par les entre­prises, qui étaient – il y avait beau­coup de sou­tien en Alle­magne, en rai­son de … il a créé quelque chose comme le plein emploi par l’endettement et les dépenses mili­taires, et il a gagné des victoires.

      Pour­rions-nous aller dans cette direc­tion ? Cela a été recon­nu. Vous pou­vez le lire tout de suite dans les revues mains­tream, qui se demandent : « Est-ce que les élé­ments du « fas­cisme ami­cal » de Gross seront mis en place dans un pays comme les États-Unis ? » Et ce n’est pas nou­veau. Il y a peut-être 10 ans, Fritz Stern, un des prin­ci­paux his­to­riens alle­mands de l’Allemagne, a publié un article inté­res­sant dans Forei­gn Affairs, une grande revue de l’establishment. Il s’appelait « Des­cente dans la Bar­ba­rie ». Et il dis­cu­tait de la façon dont l’Allemagne s’est dégra­dée depuis ce qui était, en fait, peut-être, le pic de la civi­li­sa­tion occi­den­tale dans les années 20, jusque dans les bas-fonds de l’histoire 10 ans plus tard. Et son article a été écrit avec un œil sur les États-Unis. C’était sous l’administration Bush, pas aujourd’hui. Il disait – il ne disait pas que nous sommes – que Bush est Hit­ler, il ne disait pas ça. Mais il disait qu’il y avait des signes aux­quels nous devrions faire atten­tion. Il a dit : « Je me pré­oc­cupe par­fois du pays qui m’a sau­vé du fas­cisme, quand je vois ce qui se passe ».

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  5. etienne
  6. alainr

    Extrait de l’ar­ticle sur Gram­sci (ci-des­sus) :


    « l’échec, à ses yeux, des élites révo­lu­tion­naires est qu’elles étaient sou­vent aus­si dic­ta­to­riales et décon­nec­tées des ouvriers que les élites capitalistes.

    Les masses devaient être inté­grées aux struc­tures du pou­voir pour créer une nou­velle forme de poli­tique de masse – d’où son insis­tance sur le fait que tous les gens sont des intel­lec­tuels capables de pen­sée auto­nome et indépendante.

    Une démo­cra­tie n’est pos­sible que si tous ses citoyens com­prennent la méca­nique du pou­voir et ont un rôle dans l’exercice de ce dernier. »


    Oui mais com­ment prendre plai­sir indi­vi­duel­le­ment à s’or­ga­ni­ser collectivement ? 

    Com­ment faire aimer la véri­table liber­té, celle consis­tant pour cha­cun à déci­der avec autrui des condi­tions de sa propre vie en société ?

    Réponse
  7. BA

    Les Etats-Unis achètent des hommes poli­tiques français !

    Les Etats-Unis paient des hommes poli­tiques fran­çais pour faire la pro­mo­tion de la construc­tion européenne !

    D’oc­tobre 2013 à jan­vier 2016, la ministre des Armées Syl­vie Gou­lard était payée 10 000 dol­lars par mois par un orga­nisme amé­ri­cain char­gé de faire la pro­mo­tion de la construc­tion européenne !

    Lisez cet article ahurissant :

    Syl­vie Gou­lard a été rému­né­rée pen­dant deux ans par un think tank américain.

    Sibyl­lin, Le Canard enchaî­né évo­quait cette semaine des « ménages » quand elle était euro­dé­pu­tée. Sur sa décla­ra­tion d’in­té­rêts au Par­le­ment de Stras­bourg, Syl­vie Gou­lard men­tionne d’elle-même un poste de « conseiller spé­cial » auprès de l’ « Ins­ti­tut Berg­gruen » pour des reve­nus « supé­rieurs à 10.000 euros mensuels ». 

    Selon nos sources, via sa propre socié­té de conseil, elle a été rému­né­rée par cet ins­ti­tut d’oc­tobre 2013 à jan­vier 2016. « Tout était décla­ré et ces sommes étaient brutes », insiste un proche de l’an­cienne ministre. 

    Créé et finan­cé par Nico­las Berg­gruen, fils du richis­sime mar­chand d’art Heinz Berg­gruen, l’ins­ti­tut Berg­gruen, dont le siège est en Cali­for­nie, est une orga­ni­sa­tion à but non lucra­tif char­gée de « réflé­chir aux sys­tèmes de gou­ver­nance ». Syl­vie Gou­lard, qui se des­ti­nait au Quai d’Or­say, a‑t-elle été bien ins­pi­rée d’être appoin­tée par cet orga­nisme pen­dant plus de deux ans, pour près de 300.000 dol­lars ? « Le Berg­gruen fait la pro­mo­tion de l’U­nion euro­péenne et contri­bue au débat d’i­dées », jure-t-elle, par­lant « d’un non-sujet »… à plus de 10.000 dol­lars par mois. 

    Mais pourquoi Sylvie Goulard a‑t-elle quitté le gouvernement ?


    http://​www​.lejdd​.fr/​p​o​l​i​t​i​q​u​e​/​m​a​i​s​-​p​o​u​r​q​u​o​i​-​s​y​l​v​i​e​-​g​o​u​l​a​r​d​-​a​-​t​-​e​l​l​e​-​q​u​i​t​t​e​-​l​e​-​g​o​u​v​e​r​n​e​m​e​n​t​-​3​3​7​1​234

    Réponse
  8. etienne

    Rap­pels (pour ceux qui débarquent 🙂 ) :
    httpv://www.youtube.com/watch?v=QHJP-jmhfJ8

    Réponse
  9. etienne

    Et quand les can­di­dats MENTENT au der­nier degré pour être élus, ce qui est TOUJOURS le cas, RIEN ne per­met aux élec­teurs de les PUNIR !

    Les honteux RENIEMENTS de Macron commencent, d’abord sur la prétendue moralisation de la vie publique :

    Élec­tion, piège à cons.
    Nous ne sommes pas en démocratie.
    Nous n’a­vons pas de constitution.

    #Pas­De­Dé­mo­cra­tie­Sans­Ti­ra­geAu­Sort
    #Pas­De­Dé­mo­cra­tie­Sans­Ci­toyens­Cons­ti­tuants

    Réponse
  10. etienne

    Un très bon papier de Cora­lie Delaume (avec Steve Ohana) :

    Premier sommet européen de Macron : le dessous des cartes

    À l’oc­ca­sion de son pre­mier som­met euro­péen à Bruxelles, Emma­nuel Macron a annon­cé vou­loir relan­cer une Europe de la défense mais n’a pu impo­ser les demandes fran­çaises notam­ment en matière com­mer­ciale. L’a­na­lyse de Cora­lie Delaume et Steve Ohana.

    -Cora­lie DELAUME est essayiste, co-auteur de La fin de l’U­nion euro­péenne (Micha­lon, 2017) et ani­ma­trice du site L’a­rène nue.
    ‑Steve OHANA est pro­fes­seur de finances à l’ESCP Europe et auteur de Déso­béir pour sau­ver l’Eu­rope (Max Milo, 2013).

    Jouez haut­bois, réson­nez musettes : il est né le divin enfant. « Le Sau­veur » de l’Eu­rope, celui qui plonge ses pairs dans un « bain de jou­vence col­lec­tif », si l’on en croit le clip hal­lu­ci­né réa­li­sé par France Info pour intro­duire le Conseil euro­péen des 22 et 23 juin. Les pre­miers pas d’Em­ma­nuel Macron sur la scène euro­péenne font éga­le­ment jaser d’aise Ber­nard Guet­ta, com­men­ta­teur zélé de l’ac­tua­li­té euro­péenne (« ça bouge en Europe ! » nous explique-t-il sur France Inter). Une fois n’est pas cou­tume, le grand conni­vent de réfé­rence se montre cette fois plus pru­dent. Le Monde concède en effet à la fin du som­met : « La méthode Macron a quand même buté sur la com­plexe réa­li­té bruxel­loise. Le pré­sident fran­çais (…) n’est pas par­ve­nu à impo­ser com­plè­te­ment son point de vue sur les ques­tions commerciales ».

    Le contrôle des inves­tis­se­ments chinois

    Pas com­plè­te­ment ? C’est le moins que l’on puisse dire. Sur la ques­tion du contrôle des acqui­si­tions chi­noises en Europe, Macron a fait un bide. Il s’est heur­té à une levée de bou­cliers qui témoigne crû­ment de la réma­nence d’in­té­rêts natio­naux contra­dic­toires. Le Pré­sident fran­çais sou­hai­tait que ces inves­tis­se­ments soient « sur­veillés » par la Com­mis­sion, de manière à évi­ter la prise de contrôle, par des firmes chi­noises, de fleu­rons tech­no­lo­giques euro­péens. Ils ne seront fina­le­ment « qu’a­na­ly­sés » comme l’in­dique la décla­ra­tion finale du Conseil datée en date du 23 juin. La même décla­ra­tion demande à la Com­mis­sion de réflé­chir à « des ins­tru­ments de défense com­mer­ciale modernes » puis de veiller à leur mise en œuvre « par des mesures d’exé­cu­tion non légis­la­tives ». Sans dis­po­si­tion régle­men­taire en somme, sans enca­dre­ment ni contrainte. Par la magie donc ? Par la télé­pa­thie ? Par la prière?…

    =====================
    La France ne peut pas se rendre com­plice du mar­tyr aus­té­ri­taire impo­sé aux pays médi­ter­ra­néens de l’UE et espé­rer ensuite que ces pays fassent front com­mun avec elle lors des som­mets européens.
    =====================

    Il faut dire que la France n’a­vait sur ce dos­sier que peu d’al­liés. Un cer­tain nombre de pays de l’U­nion sont tra­di­tion­nel­le­ment libres-échangistes. […]

    Lire la suite :

    http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2017/06/26/31002–20170626ARTFIG00198-premier-sommet-europeen-de-macron-le-dessous-des-cartes.php

    Source : Le Figaro

    Réponse
  11. etienne

    « Le rêve euro­péen » (des mul­ti­na­tio­nales et des banques) com­mence à se réa­li­ser, en Grèce juste avant la France :

    Bons d’achat ou aides en nature ? La Commission et Athènes débattent de la gestion courante de la pauvreté

    Alors que les créan­ciers d’Athènes sont par­ve­nus à un com­pro­mis pour déblo­quer un nou­veau « plan d’aide » tout en tem­po­ri­sant une fois encore sur la ques­tion de l’allègement de la dette, un autre débat de fond agite Bruxelles loin des camé­ras : faut-il dis­tri­buer des bons d’alimentation ou bien de la nour­ri­ture pour gérer la pau­vre­té gran­dis­sante en Grèce (et ailleurs) ?

    Comme le rap­porte Eur­Ac­tiv, plu­sieurs États membres ont deman­dé à la Com­mis­sion euro­péenne l’autorisation de don­ner des bons d’achat aux pauvres, solu­tion jugée moins coû­teuse et plus digne que la dis­tri­bu­tion de nour­ri­ture et de vête­ments. Une requête expri­mée depuis 2014, notam­ment par la Grèce et la Roumanie. [···]

    Lire la suite :

    https://​rup​tures​-presse​.fr/​p​e​r​l​e​s​/​b​o​n​s​-​d​a​c​h​a​t​-​o​u​-​a​i​d​e​s​-​e​n​-​n​a​t​u​r​e​-​l​a​-​c​o​m​m​i​s​s​i​o​n​-​e​t​-​a​t​h​e​n​e​s​-​d​e​b​a​t​t​e​n​t​-​d​e​-​l​a​-​g​e​s​t​i​o​n​-​c​o​u​r​a​n​t​e​-​d​e​-​l​a​-​p​a​u​v​r​e​te/

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    https://​rup​tures​-presse​.fr/​a​b​o​n​n​e​m​e​nt/

    Réponse
  12. joss
  13. etienne

    Encore une remar­quable syn­thèse de Bru­no Guigue :

    Merci pour cette conversation, M. Poutine

    C’est un évé­ne­ment. Pen­dant quatre heures, les Fran­çais ont pu regar­der sur France 3 les “Conver­sa­tions avec M. Pou­tine” du cinéaste Oli­ver Stone. Com­ment ce docu­men­taire de qua­li­té, où la parole est lon­gue­ment don­née au pré­sident de la Fédé­ra­tion de Rus­sie, a‑t-il pu pas­ser entre les mailles du filet ? Com­ment a‑t-il pu échap­per à la vigi­lance de nos cen­seurs qui, au nom des droits de l’homme, nous infligent leur pro­pa­gande en guise d’information ? Mys­tère, mais ne bou­dons pas notre plaisir. 

    Oli­ver Stone étant citoyen des USA, ces entre­tiens fil­més entre juin 2015 et février 2017 portent pour l’essentiel sur les ten­sions géo­po­li­tiques entre Mos­cou et Washing­ton. Lorsque le cinéaste lui demande, en février 2017, si l’élection d’un nou­veau pré­sident amé­ri­cain est sus­cep­tible de chan­ger quelque chose, Vla­di­mir Pou­tine répond : “presque rien”. C’est “la bureau­cra­tie”, explique-t-il, qui exerce le pou­voir à Washing­ton, et cette bureau­cra­tie est inamo­vible. En effet. A peine élu, Donald Trump est deve­nu l’otage de “l’Etat profond”. 

    L’intérêt de ces entre­tiens est qu’ils mettent en pers­pec­tive la pesan­teur du “deep State”, sa dimen­sion struc­tu­relle. Les Russes ont le sens de l’histoire, et c’est pour­quoi M. Pou­tine, pour com­prendre le monde actuel, évoque l’usage de l’arme ato­mique contre Hiro­shi­ma et Naga­sa­ki (août 1945). Pri­vé de toute jus­ti­fi­ca­tion mili­taire, ce crime de masse a plon­gé l’humanité dans l’ère nucléaire. Pour Mos­cou, c’est le moment-clé de l’histoire contem­po­raine, celui où tout bas­cule. En fai­sant peser la menace d’une des­truc­tion totale, Washing­ton a pris une res­pon­sa­bi­li­té gravissime. 

    La course aux arme­ments n’est pas une inven­tion mos­co­vite. Dans les années 1980, une URSS fos­si­li­sée s’était lais­sé pié­ger par cette com­pé­ti­tion mor­ti­fère, pré­ci­pi­tant sa chute. Dans les années 2000, c’est encore Washing­ton qui sus­pend les dis­cus­sions sur les armes anti-mis­siles et s’empresse d’élargir l’OTAN jusqu’aux fron­tières de la Rus­sie. Que dirait-on à Washing­ton si la Rus­sie nouait une alliance mili­taire avec le Mexique et le Cana­da ? Quand Oli­ver Stone évoque l’affaire – aujourd’hui oubliée – du des­troyer US qui s’était dan­ge­reu­se­ment appro­ché de la Cri­mée, M. Pou­tine demande ce que ce navire pou­vait bien faire dans les parages. Mais la pro­pa­gande a l’art d’inverser les rôles, et elle par­la de pro­vo­ca­tion russe. 

    Pas­sion­nante mise en pers­pec­tive, aus­si, à pro­pos de la lutte contre le ter­ro­risme. La seconde guerre de Tchét­ché­nie (1999−2009) fut déclen­chée par l’agression dji­ha­diste contre le Daghes­tan russe. Or les USA y ont joué un rôle par­ti­cu­liè­re­ment trouble. “Les Amé­ri­cains nous sou­tiennent en paroles contre le ter­ro­risme, mais en réa­li­té ils l’utilisent pour fra­gi­li­ser notre situa­tion inté­rieure”, dit le pré­sident russe. En 1980, Brze­zins­ki tenait déjà les com­bat­tants du dji­had anti­so­vié­tique pour des “Free­dom Figh­ters”. Dans le Cau­case, en Syrie, en Libye, la CIA a armé, finan­cé et mani­pu­lé les des­pe­ra­dos de l’islamisme radi­cal. La Rus­sie sovié­tique, puis post-sovié­tique, les a tou­jours combattus. 

    Chaque fois que son inter­lo­cu­teur (qui n’est pas dupe) men­tionne la rhé­to­rique occi­den­tale sur la menace russe, M. Pou­tine demeure le plus sou­vent impas­sible, esquis­sant par­fois un sou­rire nar­quois. A Mos­cou, on l’a com­pris depuis long­temps : les Amé­ri­cains font le contraire de ce qu’ils disent et ils vous accusent de faire ce qu’ils font eux-mêmes. L’accusation d’ingérence russe dans l’élection pré­si­den­tielle amé­ri­caine (2016) est un véri­table cas d’école. Lorsque la pré­si­dente du conseil natio­nal démo­crate démis­sion­na à la suite de la publi­ca­tion d’emails com­pro­met­tants, Julian Assange a nié que sa source fût russe. Mais l’establishment a quand même poin­té un doigt ven­geur vers Moscou. 

    Car il fal­lait un cou­pable, et il ne pou­vait être que mos­co­vite. “Dans cette affaire, sou­ligne M. Pou­tine, les Amé­ri­cains pré­textent une inter­ven­tion exté­rieure pour régler leur pro­blèmes inté­rieurs”. Pour les USA, la Rus­sie est à la fois un repous­soir et un bouc-émis­saire. Un repous­soir, quand on bran­dit la pré­ten­due “menace russe” pour contraindre les Euro­péens à faire bloc der­rière les USA. Un bouc-émis­saire, quand on attri­bue à Mos­cou la res­pon­sa­bi­li­té de sa propre incu­rie. Tout se passe comme si l’affrontement idéo­lo­gique héri­té de la “Guerre froide” avait four­ni un prêt-à-pen­ser inusable. Le mani­chéisme amé­ri­cain peint le monde en noir et blanc, et Mos­cou sera tou­jours la source du mal. 

    L’accusation d’ingérence russe dans la démo­cra­tie amé­ri­caine est d’autant plus ahu­ris­sante que les diri­geants US, eux, inter­viennent ouver­te­ment en Rus­sie. Lors de la cam­pagne pré­si­den­tielle russe de 2012, Vic­to­ria Nuland, secré­taire d’Etat adjoint US, a décla­ré : “Nous tra­vaillons à l’intérieur et à l’extérieur de la Rus­sie avec les mili­tants russes qui sou­haitent ren­for­cer l’état de droit et la liber­té de la presse, avec les LGBT”. Que dirait-on si le gou­ver­ne­ment russe “tra­vaillait” aux USA avec des mili­tants amé­ri­cains qui com­battent le gou­ver­ne­ment des Etats-Unis ? Mais cette hypo­thèse est invrai­sem­blable, car comme le dit M. Pou­tine, “nous ne nous mêlons pas des affaires inté­rieures des autres pays”. 

    Res­pect de la sou­ve­rai­ne­té des Etats et refus de l’ingérence étran­gère, ces deux prin­cipes (qui en réa­li­té n’en font qu’un) défi­nissent l’approche russe des rela­tions inter­na­tio­nales. Si Mos­cou inter­vient en Syrie, c’est à la demande d’un gou­ver­ne­ment légi­time en proie à l’invasion étran­gère et au ter­ro­risme de masse. Si la Rus­sie a accueilli la Cri­mée, c’est parce que le peuple de Cri­mée l’a vou­lu expres­sé­ment, au terme d’un réfé­ren­dum orga­ni­sé par le Par­le­ment de Cri­mée. Et cette séces­sion de la pénin­sule n’eût peut-être pas vu le jour si un putsch des natio­na­listes ukrai­niens sou­te­nu par la CIA, en février 2014, n’avait ren­ver­sé le pou­voir léga­le­ment issu des urnes à Kiev. 

    Mais il est vrai que la Rus­sie, elle, ne fomente pas de coup d’Etat avec l’aide de néo-nazis. Elle ne finance pas d’ONG pour désta­bi­li­ser les autres pays au nom des droits de l’homme, elle n’envoie pas ses troupes pour y ins­tau­rer la “démo­cra­tie”, et elle ne bom­barde pas les popu­la­tions pour “punir” les diri­geants qui lui déplaisent. Elle ne pro­voque pas la guerre civile pour s’approprier les res­sources des autres pays, elle ne finance, n’arme ou ne mani­pule aucune orga­ni­sa­tion ter­ro­riste. Que l’on sache, la Rus­sie n’a jamais uti­li­sé l’arme ato­mique, ses ser­vices secrets n’ont jamais créé de “centres de tor­ture” à l’étranger, et elle n’envoie pas ses drones tueurs dans une dou­zaine de pays. Elle ne couvre pas les océans de ses porte-avions, elle a 5 bases mili­taires à l’étranger quand les USA en ont 725, et son bud­get mili­taire repré­sente 8% de celui du Penta­gone. La Rus­sie telle qu’elle est gagne à être connue.

    Mer­ci, M. Pou­tine, pour cette conversation. 

    Bru­no Guigue

    https://​www​.legrand​soir​.info/​m​e​r​c​i​-​p​o​u​r​-​c​e​t​t​e​-​c​o​n​v​e​r​s​a​t​i​o​n​-​m​-​p​o​u​t​i​n​e​.​h​tml

    Réponse
    • etienne

      L’esprit du McCarthysme est bien visible dans les attaques contre les « Conversations avec Poutine » d’Oliver Stone

      Par Jere­my Kuz­ma­rov – Le 26 juin 2017 – Source Huf­fing­ton Post

      Après la dif­fu­sion de la série d’entretiens entre Oli­ver Stone et le pré­sident russe Vla­di­mir Pou­tine, les experts média­tiques ont com­men­cé à atta­quer M. Stone en termes viru­lents qui en disent beau­coup sur l’incivilité et l’anti-intellectualisme répan­dus dans notre culture politique.

      Plu­tôt que de four­nir une ana­lyse ou une éva­lua­tion équi­li­brée qui pèse­rait les points forts et les points faibles du docu­men­taire, les cri­tiques ont qua­li­fié Stone, un cinéaste répu­té et vété­ran mili­taire, d’« admi­ra­teur de dic­ta­teurs » (Joel Sucher, The Obser­ver), de « com­plice des men­songes de Pou­tine » ( Emi­ly Tam­kin, Forei­gn Poli­cy), de « conspi­ra­tion­niste » et de « lèche bottes déran­gé » comme Alexan­der Naza­ryan a trai­té Stone dans un violent article de News­week.

      Aus­si mépri­sant, le « jour­nal de réfé­rence », The New York Times, a publié un article, le 25 juin, écrit par Masha Ges­sen et inti­tu­lé « Com­ment Pou­tine a séduit Oli­ver Stone et Trump ». Le ton de l’article rap­pelle celui uti­li­sé contre les gau­chistes séduits par Sta­line et l’idéal d’un para­dis uto­pique ouvrier sous le com­mu­nisme, dans les années 1930 et 1940.

      Bien sûr, la cri­tique de Ges­sen sur le film de Stone est com­plè­te­ment et tota­le­ment plate. Il dit que les échanges entre Pou­tine et Stone sont ternes et il se réfère à Stone en termes moqueurs comme « inter­vie­weur inepte », ce qui n’est pas du tout vrai. Stone est un homme sym­pa­thique qui s’adapte à ses inter­lo­cu­teurs et les met à l’aise, ce qui fait qu’ils sont sincères.

      Ges­sen pour­suit en sug­gé­rant que Stone, comme Donald Trump, aurait une « admi­ra­tion sans bornes » pour Pou­tine, une allé­ga­tion qui n’est nul­le­ment jus­ti­fiée. M. Trump, par exemple, a conve­nu que Pou­tine était un tueur dans un échange célèbre sur Fox News, mais a décla­ré que les États-Unis n’étaient eux-mêmes pas inno­cents. Ce genre de remarque ne montre pas vrai­ment une « admi­ra­tion sans bornes ». Pas plus que les efforts de Stone pour don­ner à Pou­tine l’occasion d’expliquer son point de vue dans un style qui rap­pelle les inter­views d’Erroll Mor­ris avec Robert S. McNa­ma­ra dans The Fog of War, où le juge­ment est lais­sé au spectateur.

      Stone, par­fois, pose des ques­tions cri­tiques, par exemple en ce qui concerne la contra­dic­tion de M. Pou­tine qui a expri­mé de l’admiration pour Edward Snow­den alors qu’il met en place ses propres lois « Big Brother ».

      Ges­sen sug­gère que les images de Pou­tine dans ses bureaux ou en train de jouer au hockey sur glace font par­tie du pané­gy­rique de Stone. L’intention prin­ci­pale semble plu­tôt être de mon­trer la vie d’un pré­sident russe et de contrer les sté­réo­types sur Pou­tine qui inondent les médias occi­den­taux. Étant don­né que les com­pé­tences de hockey de Pou­tine sont plu­tôt moyennes, si Stone cher­chait à créer un culte de super­man, ces scènes échouent complètement.

      À un moment, Mme Ges­sen affirme que Pou­tine et Stone par­tagent une hos­ti­li­té mutuelle envers les musul­mans. Alors que Stone a sim­ple­ment sou­li­gné le double stan­dard de la poli­tique étran­gère éta­su­nienne qui sou­tient les isla­mistes en Tchét­ché­nie alors qu’elle les com­bat en Afgha­nis­tan et en Irak. À un autre moment, Stone convient avec Pou­tine de la folie de la poli­tique de l’administration Rea­gan d’avoir sou­te­nu Ben Laden et d’autres fon­da­men­ta­listes extré­mistes pen­dant la guerre anti­so­vié­tique en Afgha­nis­tan. Nulle part, Stone ne fait preuve d’islamophobie.

      Enfin, Ges­sen dépeint Stone et Pou­tine comme des apo­lo­gistes de Sta­line, alors que la réponse de Pou­tine à la ques­tion sur Sta­line reflète une cer­taine admi­ra­tion dans les milieux natio­na­listes en rai­son du rôle de Sta­line dans la défaite du nazisme, son rôle dans le déve­lop­pe­ment indus­triel de la Rus­sie et l’affirmation du rôle de la Rus­sie en tant que super­puis­sance. Ce n’est pas une posi­tion tout à fait irra­tion­nelle si l’on consi­dère que Pou­tine recon­nait aus­si le côté obs­cur du règne de Sta­line et l’importance de se sou­ve­nir des vic­times du Goulag.

      On remar­que­ra que les pères fon­da­teurs et les héros natio­na­listes éta­su­niens ont éga­le­ment du sang sur les mains, du mas­sacre des Indiens à l’esclavage et aux guerres illé­gales, pour­tant, beau­coup d’Américains les admirent tou­jours. Stone sou­ligne éga­le­ment l’absence du corps de Léon Trots­ky au Krem­lin et dis­cute du rôle de Sta­line dans le meurtre de Trots­ky, mon­trant qu’il connait bien l’histoire de l’Union sovié­tique, alors qu’il n’est pas lui-même un apo­lo­giste des crimes de « l’oncle Joe ».

      Per­son­nel­le­ment, j’ai trou­vé le film de Stone inté­res­sant et une bonne suite de son Untold His­to­ry of the Uni­ted States and Snow­den [L’histoire cachée des États-Unis et de Snow­den]. Il a dépeint un por­trait de M. Pou­tine que je n’avais jamais vu aupa­ra­vant et a huma­ni­sé un homme vili­pen­dé dans tous les médias occi­den­taux. M. Pou­tine est éga­le­ment infor­mé de la poli­tique amé­ri­caine et prag­ma­tique dans ses efforts pour résoudre cer­tains des pro­blèmes urgents de la Rus­sie, héri­tés de l’ère Eltsine.

      Le docu­men­taire montre bien com­ment l’expansion de l’OTAN aux fron­tières russes (en vio­la­tion d’une pro­messe faite à Mikhaïl Gor­bat­chev par l’administration George H. W. Bush), l’ingérence des États-Unis en Géor­gie, en Ukraine et en Tchét­ché­nie et l’installation d’armement accom­pa­gnées d’exercices mili­taires à proxi­mi­té la fron­tière russe contri­buent à créer une dan­ge­reuse nou­velle Guerre froide et une course aux armements.

      La plu­part des grands théo­ri­ciens mili­taires, de Karl Von Clau­se­witz à Sun Tsu, ont sou­li­gné l’importance de « connaître son enne­mi ». C’est ce qui fait que les attaques de gens comme Ges­sen dans The New York Times et Naza­ryan dans News­week sont infan­tiles et fina­le­ment nui­sibles dans une pers­pec­tive de sécu­ri­té natio­nale étasunienne.

      Le film de Stone est impor­tant pré­ci­sé­ment parce qu’il offre une occa­sion de mieux com­prendre la pers­pec­tive russe sur la poli­tique étran­gère et les conflits amé­ri­cains en Ukraine et en Syrie – que nous soyons ou pas d’accord avec cette perspective.

      En se for­geant une meilleure com­pré­hen­sion, nous pou­vons à notre tour déve­lop­per une poli­tique étran­gère plus intel­li­gente qui dimi­nue­rait les pos­si­bi­li­tés d’antagonisme et favo­ri­se­rait la pers­pec­tive d’une coopé­ra­tion, ce que Pou­tine dit vouloir.

      Cepen­dant, à en juger par la réac­tion au film de Stone, nous sem­blons plu­tôt voués à répé­ter l’histoire de la pre­mière Guerre froide et de l’ère McCar­thy, dont l’esprit reste vivant et bien visible dans nos jour­naux intel­lec­tuels libéraux.

      Jere­my Kuz­ma­rov enseigne l’histoire à l’Université de Tul­sa et est l’auteur du pro­chain livre, avec John Mar­cia­no, The Rus­sians are Coming, Again : What We Did Not Learn About the First Cold War [Les Russes arrivent, encore : ce que nous n’avons pas appris de la pre­mière guerre froide].

      Tra­duit par Wayan, relu par Cathe­rine pour le Saker Francophone

      http://​lesa​ker​fran​co​phone​.fr/​l​e​s​p​r​i​t​-​d​u​-​m​c​c​a​r​t​h​y​s​m​e​-​e​s​t​-​b​i​e​n​-​v​i​s​i​b​l​e​-​d​a​n​s​-​l​e​s​-​a​t​t​a​q​u​e​s​-​c​o​n​t​r​e​-​l​e​s​-​c​o​n​v​e​r​s​a​t​i​o​n​s​-​a​v​e​c​-​p​o​u​t​i​n​e​-​d​o​l​i​v​e​r​-​s​t​one

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