Encore un très intéressant entretien proposé par Thinkerview,
cette fois-ci avec David Koubbi, l’avocat de Jérôme Kerviel.
Ça décape 🙂
httpv://youtu.be/-odoA0BauaE
Ce serait bien de rédiger un plan détaillé de cet entretien, comme un aide-mémoire, pour nous aider à en mémoriser les idées.
En fait, tous les entretiens de Thinkerview sont concernés par cette remarque 😉
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J’aimerais soumettre ma thèse au feu de l’esprit critique de David, thèse selon laquelle c’est précisément la procédure de l’élection (ce qu’on appelle fautivement le « suffrage universel » : « élire des maîtres, au lieu de voter des lois ») qui est la cause première qui permet aux plus riches d’acheter le pouvoir politique, littéralement, depuis 200 ans.
Tout le reste (un État et des services publics profondément corrompus, par la tête principalement, et une infinité d’injustices impunies à travers le corps social) n’étant, dans cette analyse, qu’une série de conséquences de cette catastrophe première.
Or, « dieu rit des hommes qui déplorent les effets dont ils adorent les causes ».
Autrement dit, il est incohérent de déplorer le capitalisme financier tout en adorant comme une vache sacrée l’élection parmi des candidats (procédure qui donne précisément le pouvoir à ceux qui ont les moyens de financer leurs candidats).
À bien écouter David Koubbi dans cet entretien, j’ai l’intuition qu’il n’aura pas de mal à partager cette analyse 😉
Étienne.
#pasdedémocratiesanstirageausort
#pasdeconstitutionsanscitoyensconstituants
Fil Facebook correspondant à ce billet :
https://www.facebook.com/etienne.chouard/posts/10154717926242317
Et si on liquidait les partis politiques ?
https://usbeketrica.com/article/et-si-on-liquidait-les-partis-politiques
Mon commentaire :
1) Les partis ne servent qu’à gagner les élections.
2) Les élections DONNENT le pouvoir aux plus riches.
3) Les élections produisent (et verrouillent) le capitalisme.
Donc, la suppression des partis sans changer la procédure de désignation des acteurs politiques est un rêve de singe : si on garde la procédure de l’élection pour désigner les acteurs politique, RIEN ne pourra empêcher les hommes de se coaliser en partis pour essayer de gagner la compétition électorale.
On ne viendra pas à bout de la conséquence (les partis) sans s’en prendre à sa cause (l’élection). Et cette cause ne nous est accessible QUE SI nous cessons de démissionner, personnellement, du processus constituant (puisque c’est précisément dans la constitution qu’est instituée — ou pas — l’élection).
Pour déprofessionnaliser la politique, il faut commencer par le commencement : nous entraîner dès aujourd’hui à réécrire nous-mêmes notre constitution, et notamment apprendre à y introduire la part de tirage au sort nécessaire pour mettre durablement le pouvoir hors de portée des plus riches.
#pasdedémocratiesanstirageausort
#pasdeconstitutionsanscitoyensconstituants
NOTE SUR LA SUPPRESSION GÉNÉRALE DES PARTIS POLITIQUES
Simone Weil, 1940, Écrits de Londres, p. 126 et s. :
https://old.chouard.org/Europe/Simone_Weil_Note_sur_la_suppression_generale_des_partis_politiques.pdf
Simone Weil a poursuivi sa réflexion sur le sujet un peu plus tard, dans l’Enracinement, par le biais de la liberté d’expression :
« D’une manière générale, tous les problèmes concernant la liberté d’expression s’éclaircissent si l’on pose que cette liberté est un besoin de l’intelligence, et que l’intelligence réside uniquement dans l’être humain considéré seul. Il n’y a pas d’exercice collectif de l’intelligence. Par suite nul groupement ne peut légitimement prétendre à la liberté d’expression, parce que nul groupement n’en a le moins du monde besoin.
Bien au contraire, la protection de la liberté de penser exige qu’il soit interdit par la loi à un groupement d’exprimer une opinion. Car lorsqu’un groupe se met à avoir des opinions, il tend inévitablement à les imposer à ses membres. Tôt ou tard les individus se trouvent empêchés, avec un degré de rigueur plus ou moins grand, sur un nombre de problèmes plus ou moins considérables, d’exprimer des opinions opposées à celles du groupe, à moins d’en sortir. Mais la rupture avec un groupe dont on est membre entraîne toujours des souffrances, tout au moins une souffrance sentimentale. Et autant le risque, la possibilité de souffrance, sont des éléments sains et nécessaires de l’action, autant ce sont choses malsaines dans l’exercice de l’intelligence. Une crainte, même légère, provoque toujours soit du fléchissement, soit du raidissement, selon le degré de courage, et il n’en faut pas plus pour fausser l’instrument de précision extrêmement délicat et fragile que constitue l’intelligence. Même l’amitié à cet égard est un grand danger. L’intelligence est vaincue dès que l’expression des pensées est précédée, explicitement ou implicitement, du petit mot « nous ». Et quand la lumière de l’intelligence s’obscurcit, au bout d’un temps assez court l’amour du bien s’égare.
La solution pratique immédiate, c’est l’abolition des partis politiques. La lutte des partis, telle qu’elle existait dans la Troisième République, est intolérable ; le parti unique, qui en est d’ailleurs inévitablement l’aboutissement, est le degré extrême du mal ; il ne reste d’autre possibilité qu’une vie publique sans partis. Aujourd’hui, pareille idée sonne comme quelque chose de nouveau et d’audacieux. Tant mieux, puisqu’il faut du nouveau. Mais en fait c’est simplement la tradition de 1789. Aux yeux des gens de 1789, il n’y avait même pas d’autre possibilité ; une vie publique telle que la nôtre au cours du dernier demi-siècle leur aurait paru un hideux cauchemar ; ils n’auraient jamais cru possible qu’un représentant du peuple pût abdiquer sa dignité au point de devenir le membre discipliné d’un parti.
Rousseau d’ailleurs avait montré clairement que la lutte des partis tue automatiquement la République. Il en avait prédit les effets. Il serait bon d’encourager en ce moment la lecture du Contrat Social. En fait, à présent, partout où il y avait des partis politiques, la démocratie est morte. Chacun sait que les partis anglais ont des traditions, un esprit, une fonction tels qu’ils ne sont comparables à rien d’autre. Chacun sait aussi que les équipes concurrentes des États-Unis ne sont pas des partis politiques. Une démocratie où la vie publique est constituée par la lutte des partis politiques est incapable d’empêcher la formation d’un parti qui ait pour but avoué de la détruire. Si elle fait des lois d’exception, elle s’asphyxie elle-même. Si elle n’en fait pas, elle est aussi en sécurité qu’un oiseau devant un serpent.
Il faudrait distinguer deux espèces de groupements, les groupements d’intérêts, auxquels l’organisation et la discipline seraient autorisées dans une certaine mesure, et les groupements d’idées, auxquels elles seraient rigoureusement interdites. Dans la situation actuelle, il est bon de permettre aux gens de se grouper pour défendre leurs intérêts, c’est-à-dire les gros sous et les choses similaires, et de laisser ces groupements agir dans des limites très étroites et sous la surveillance perpétuelle des pouvoirs publics. Mais il ne faut pas les laisser toucher aux idées. Les groupements où s’agitent des pensées doivent être moins des groupements que des milieux plus ou moins fluides. Quand une action s’y dessine, il n’y a pas de raison qu’elle soit exécutée par d’autres que par ceux qui l’approuvent. […]
L’autorisation des groupements d’idées pourrait être soumise à deux conditions. L’une, que l’excommunication n’y existe pas. Le recrutement se ferait librement par voie d’affinité, sans toutefois que personne puisse être invité à adhérer à un ensemble d’affirmations cristallisées en formules écrites ; mais un membre une fois admis ne pourrait être exclu que pour faute contre l’honneur ou délit de noyautage ; délit qui impliquerait d’ailleurs une organisation illégale et par suite exposerait à un châtiment plus grave.
Il y aurait là véritablement une mesure de salut public, l’expérience ayant montré que les États totalitaires sont établis par les partis totalitaires, et que les partis totalitaires se forgent à coups d’exclusions pour délit d’opinion.
L’autre condition pourrait être qu’il y ait réellement circulation d’idées, et témoignage tangible de cette circulation, sous forme de brochures, revues ou bulletins dactylographiés dans lesquels soient étudiés des problèmes d’ordre général. Une trop grande uniformité d’opinions rendrait un groupement suspect.
Au reste, tous les groupements d’idées seraient autorisés à agir comme bon leur semblerait, à condition de ne pas violer la loi et de ne contraindre leurs membres par aucune discipline.
Quant aux groupements d’intérêts, leur surveillance devrait impliquer d’abord une distinction ; c’est que le mot intérêt exprime quelquefois le besoin et quelquefois tout autre chose. S’il s’agit d’un ouvrier pauvre, l’intérêt, cela veut dire la nourriture, le logement, le chauffage. Pour un patron, cela veut dire autre chose. Quand le mot est pris au premier sens, l’action des pouvoirs publics devrait consister principalement à stimuler, soutenir, protéger la défense des intérêts. Au cas contraire, l’activité des groupements d’intérêts doit être continuellement contrôlée, limitée, et toutes les fois qu’il y a lieu réprimée par les pouvoirs publics. Il va de soi que les limites les plus étroites et les châtiments les plus douloureux conviennent à celles qui par nature sont les plus puissantes.
Ce qu’on a appelé la liberté d’association a été en fait jusqu’ici la liberté des associations. Or les associations n’ont pas à être libres ; elles sont des instruments, elles doivent être asservies. La liberté ne convient qu’à l’être humain.
Quant à la liberté de pensée, on dit vrai dans une large mesure quand on dit que sans elle il n’y a pas de pensée. Mais il est plus vrai encore de dire que quand la pensée n’existe pas, elle n’est pas non plus libre. Il y avait eu beaucoup de liberté de pensée au cours des dernières années, mais il n’y avait pas de pensée. C’est à peu près la situation de l’enfant qui, n’ayant pas de viande, demande du sel pour la saler. »
Ah ben tiens, comme on est sur le sujet des partis et comment s’en prémunir, je copie ici – si vous le permettez – un autre extrait de mes lectures.
Dans Économie et Société, Max Weber explique dans un passage comment les groupements tentent de se prémunir de la domination mais comment les démocraties directes évoluent en assemblées de notables puis en partis. L’ensemble du livre est assez fastidieux et ne me paraît pas indispensable à lire (mieux vaut lire les plus abordables ‘L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme’, et ‘Le Savant et le Politique’), mais l’extrait est intéressant pour le sujet qui nous concerne. Weber avait lu Robert Michels et est globalement sur sa ligne. Désolé si vous trouvez que Weber jargonne un peu, mais on tombe là en plein milieu de l’ouvrage sans s’être familiarisé avec son style et ses concepts.
« § 19. L’administration de groupements en dehors de toute relation de domination et l’administration par des représentants.
Les groupements peuvent s’efforcer de réduire – dans une certaine mesure – les pouvoirs de domination liés aux fonctions d’exécution (minimisation de la domination), considérant que l’administrant agit simplement en raison de la volonté des membres du groupement, pour leur « service » et en vertu de leur mandat. Pareil résultat peut être obtenu, au mieux, dans des groupements de faible importance, lorsque leurs membres au complet peuvent se réunir en un même lieu, lorsqu’ils se connaissent et s’estiment égaux socialement, mais des groupements plus nombreux y ont également prétendu (en particulier les groupements urbains du passé et les groupements des circonscriptions territoriales). Les moyens techniques usuels de parvenir à cette minimisation sont les suivants :
a) Durée réduite de la fonction, autant que possible intervalle entre deux assemblées des membres ;
b) Droit de rappel à tout moment ;
c) Principe du tour de rôle ou du sort pour la nomination, de façon que chacun ait « son tour » une fois ; il s’agit d’éviter la position de force propre au savoir spécialisé ou celle qui serait liée à la connaissance des secrets des services officiels ;
d) Mandat étroitement impératif sur le mode de gestion (compétence concrète et non générale) établi par l’assemblée des membres ;
e) Obligation stricte de rendre des comptes à l’assemblée des membres ;
f) Obligation de soumettre à cette assemblée (ou à une commission) toute question non prévue et de caractère particulier ;
g) Grand nombre des postes secondaires et pourvus de missions spéciales, d’où
h) Caractère de profession accessoire que possède la fonction.
Quand la direction administrative est élue, cette élection a lieu au cours d’une assemblée des membres. L’administration est essentiellement orale, les documents écrits n’existant qu’autant qu’il y a lieu de défendre certains droits par acte authentique. Toutes les dispositions importantes sont présentées à l’assemblée des membres. Nous appellerons ce mode d’administration et tout mode d’administration proche de ce type démocratie directe tant que l’assemblée des membres est effective.
1. Le township nord-américain et le canton suisse (Glaris, Schwyz, les deux Appenzell, etc.) sont déjà, par leur taille, à la limite où une administration « démocratique directe » (dont nous n’analyserons pas ici la technique) cesse d’être possible. La démocratie bourgeoise attique dépasse de fait largement cette limite, le parlement de la ville italienne du début du Moyen Âge davantage encore. Les unions, les corporations, les groupements scientifiques, académiques, sportifs de toute sorte s’administrent souvent selon cette forme. Elle est transposable à l’égalité interne des groupements « aristocratiques » de seigneurs, ceux-ci ne voulant pas laisser un des leurs s’élever au-dessus des autres.
2. Une condition préalable essentielle, outre la superficie réduite ou le petit nombre de membres appartenant au groupement (au mieux, les deux), est l’absence de missions qualitatives qui ne peuvent être assumées que par des fonctionnaires professionnels qualifiés. En effet, même si l’on essaie de tenir ce fonctionnariat professionnel dans la plus étroite dépendance, il reste qu’il contient en germe la bureaucratisation et, surtout, il ne peut être ni nommé ni rappelé par les moyens d’une « démocratie directe » authentique.
3. La forme rationnelle de la démocratie directe est intimement proche du groupement primitif gérontocratique ou patriarcal. Car celui-ci s’administre lui aussi « au service » des membres. Mais il existe alors une appropriation du pouvoir administratif et (normalement) un attachement étroit à la tradition. La démocratie directe est, ou peut être, un groupement rationnel. Venons-en tout de suite aux nuances.
§ 20. L’administration des notables.
Nous appellerons « notables » les personnes qui :
1) de par leur situation économique, sont en mesure, à titre de profession secondaire, de diriger et d’administrer effectivement de façon continue un groupement quelconque, sans salaire ou contre un salaire nominal ou honorifique ;
2) jouissent d’une estime sociale – peu importe sur quoi celle-ci repose, – de sorte qu’ils ont la chance d’occuper des fonctions dans une démocratie directe formelle, en vertu de la confiance de ses membres, d’abord par acte volontaire, puis à la longue par tradition. La signification première de cette définition étant que les notables peuvent vivre pour la politique sans devoir vivre d’elle, leur situation présuppose un degré spécifique de « disponibilité » résultant de leurs affaires privées. Les notables sont, dans une large mesure, les rentiers de toute sorte […].
Toute démocratie directe tend à se convertir en « administration de notables ».
Du point de vue idéal, parce que celle-ci passe pour spécialement qualifiée par l’expérience et l’objectivité.
Du point de vue matériel, parce qu’elle est peu onéreuse, voire, le cas échéant, entièrement gratuite. Le notable peut se trouver en partie en possession des moyens matériels d’administration, ou bien il utilise ses biens comme tels ; pour une autre part, ces moyens lui sont fournis par le groupement.
[…] Dans toutes les sociétés primitives la source de [la notabilité] est la richesse, qui suffit souvent à conférer la dignité de « chef ». Peuvent ensuite venir au premier plan l’estimation que le charisme est héréditaire ou le fait de disposer d’une certaine disponibilité.
Si le township des Américains représente par excellence le roulement effectif sur la base du droit naturel, on peut aisément, dans les cantons suisses de démocratie directe, suivre sur la liste des fonctionnaires le retour constant des mêmes noms de famille. Le fait de la plus grande disponibilité possible (pour une « assemblée convoquée ») fut aussi, au sein des communautés germaniques et dans les villes du nord de l’Allemagne, certaines de celles-ci étant à l’origine rigoureusement démocratiques, une des sources de la promotion des « meliores » et du patriciat du Conseil.
L’administration des notables se retrouve dans toute sorte de groupements dont le type est le parti politique non bureaucratisé. Elle signifie toujours une administration extensive ; par conséquent, lorsque des besoins économiques et administratifs très pressants exigent une action définie, elle est à la fois « gratuite » pour le groupement et « coûteuse » pour ses membres pris individuellement.
Tant la démocratie directe authentique que l’administration authentique des notables se détraquent techniquement dès qu’il s’agit de groupements supérieurs à une certaine importance (quelques milliers de membres jouissent de l’intégralité de leurs droits) ou dès qu’il s’agit de tâches administratives exigeant et une formation spécialisée et une continuité de direction. Si seuls des fonctionnaires spécialisés, nommés à titre permanent à côté de chefs qui se renouvellent, y sont employés, l’administration est alors, en fait, entre les mains de ceux qui travaillent, alors que les autres, en venant « mettre leur grain de sel », acquièrent un caractère prononcé de dilettantes. La position des recteurs [élus chaque année] qui se succèdent et administrent, à titre de fonction secondaire, les affaires universitaires, vis-à-vis des syndics, voire des fonctionnaires de la chancellerie, est un exemple frappant de cette situation. Seul le président d’une université autonome (de type américain), élu pour une durée plus longue, pourrait – abstraction faite des cas exceptionnels – créer une « autoadministration » de l’université ne consistant pas seulement en phrases et en manifestations de suffisance ; la vanité des collèges universitaires d’une part, et l’intérêt porté au pouvoir par la bureaucratie, de l’autre, rendent impossible pareille solution. Mutatis mutandis, la situation est la même partout.
La démocratie directe sans domination et l’administration des notables n’existent vraiment qu’aussi longtemps que des partis ne s’érigent pas en structures permanentes, ne se combattent pas et ne cherchent pas à s’approprier les fonctions. Dans le cas contraire, le chef du parti qui combat et triomphe – peu importent les moyens – devient, avec sa direction administrative, un instrument de domination, malgré le maintien de toutes les formes de l’administration antérieure. C’est là une forme assez répandue de la destruction des « anciens » rapports. »
(Max Weber, Économie et Société, Chapitre III.10)
Fidel Castro est mort
« Je pleure. Pour mesurer la dimension du personnage, il faut le contextualiser. Cuba est une petite île ; elle n’est pas un morceau de l’ex-empire soviétique qui s’acharne à survivre sous les tropiques.
Les Etats-Unis sont intervenus plus de 190 fois en Amérique du sud, une seule expédition a échouée, celle de 1961 à Cuba. L’invasion mercenaire de la Baie des Cochons, pour tenter de renverser Fidel Castro. Les archives de la CIA l’attestent : Fidel a été victime de plus de 600 tentatives d’assassinat de la part des Etats-Unis. Pendant 50 ans, il leur a tenu la tête.
Fidel est le libérateur, l’émancipateur, le fédérateur, il a permis l’affirmation d’une nation. Le castrisme naît d’une revendication d’indépendance nationale ; la Révolution a été le fruit d’une histoire nationale. Fidel a en quelque sorte inventé Cuba. Il est donc historiquement le fondateur, le ciment, il porte une légitimité historique que nul ne lui conteste.
Il y a eu à Cuba, c’est vrai, une forte personnalisation du pouvoir, résultat du charisme de cet homme exceptionnel et du rôle qu’il a joué dans le processus historique, de sa relation directe avec le peuple, de l’agression permanente des Etats-Unis.
Cuba a inventé des structures de « pouvoir populaire », A Cuba, le parti unique est le produit de la Révolution, d’un processus long et conflictuel de la fusion des trois organisations révolutionnaires. A Cuba, c’est la Révolution qui a fait le parti, et non l’inverse.
S’il y a des hommes qui jouent des rôles irremplaçables, dans des processus historiques donnés, Fidel Castro est de ceux-là.
L’histoire retiendra qu’il fut l’un des géants politiques du XXe siècle, et que la faune de tous les anti-castristes est bien petite à côté de ce colosse. Son combat a permis l’avènement d’une Amérique latine nouvelle. De son vivant, Fidel était déjà entré dans l’histoire. L’Amérique latine perd un Libérateur, un référent, une légende.
¡Hasta la victoria siempre, Comandante Fidel ! »
Jean ORTIZ
https://www.legrandsoir.info/fidel-castro-est-mort.html
Bonjour Étienne ,
C’est vrai , cet homme n’a eu de cesse de conserver pendant toute sa vie et celle de son pays durant son » mandat » une indépendance exemplaire qui n’est pas sans rappeler les péripéties d’Hugo Chavez , envers et contre toutes les attaques des U.S. ! Critiqué aussi dans son idéologie totalitaire qui semble avoir eu pour le coup le chemin à suivre proposé aux cubains ! Leur entêtement à tous les deux auraient dû nous interpeller plus , beaucoup plus que nous ne l’avons été ! Qu’en restera t‑il demain ?
Bonne journée
Le Fidel Castro que j’ai connu
27 nov 2016
IGNACIO RAMONET
http://www.investigaction.net/le-fidel-castro-que-jai-connu
« Fidel est mort, mais il est immortel. Peu d’hommes ont connu la gloire d’entrer de leur vivant dans l’histoire et la légende. Fidel Castro, qui vient de mourir à l’âge de 90 ans, est l’un d’eux. Il était le dernier « monstre sacré » de la politique internationale. Il appartenait à cette génération d’insurgés mythiques – Nelson Mandela, Hô Chi Minh, Patrice Lumumba, Amílcar Cabral, Che Guevara, Carlos Marighela, Camilo Torres, Mehdi Ben Barka – qui, à la poursuite d’un idéal de justice, s’étaient lancés, après la Seconde Guerre Mondiale, dans l’action politique avec l’ambition et l’espoir de changer un monde d’inégalités et de discriminations marqué par le début de la guerre froide entre l’Union soviétique et les Etats-Unis.
Tant qu’il a gouverné (de 1959 à 2006), Fidel Castro avait tenu tête à pas moins de dix présidents américains (Eisenhower, Kennedy, Johnson, Nixon, Ford, Carter, Reagan, Bush Père, Clinton et Bush fils). Sous sa direction, Cuba, petit pays de cent mille kilomètres carrés et 11 millions d’habitants a pu développer une politique de grande puissance à l’échelle planétaire, et livré, pendant plus de cinquante ans, une partie de bras de fer avec les Etats-Unis dont les dirigeants n’ont pas réussi à le renverser, ni à l’éliminer, ni même à modifier tant soi peu le cap de la révolution cubaine.
La Troisième Guerre mondiale a failli éclater en octobre 1962 à cause de l’attitude de Washington qui s’opposait radicalement contre l’installation de missiles nucléaires soviétiques à Cuba, dont la fonction était avant tout défensive et dissuasive, pour empêcher une nouvelle invasion comme celle de la baie des Cochons en 1961, conduite directement par les Américains pour renverser la révolution cubaine. Depuis 1960, les Etats-Unis mènent une guerre économique contre Cuba et lui imposent unilatéralement, malgré l’opposition de l’ONU et malgré le rétablissement des relations diplomatiques entre Washington et La Havane en 2015, un embargo commercial dévastateur, qui fait obstacle à son développement et entrave son essor économique. Avec des conséquences terribles pour les habitants de l’île.
En dépit d’un tel acharnement américain (en partie adouci depuis le rapprochement des deux pays amorcé le 17 décembre 2015) et de quelque six cents tentatives d’assassinat fomentées contre lui, Fidel Castro n’a jamais riposté par la violence. Pas un seul acte violent n’a été enregistré aux Etats-Unis depuis plus d’un demi-siècle qui ait été commandité par La Havane. Au contraire, Fidel Castro avait déclaré à la suite des odieux attentats commis par Al-Qaida à New York et Washington le 11 septembre 2001 : « Nous avons maintes fois déclaré que, quels que soient nos griefs à l’égard du gouvernement de Washington, nul ne sortirait jamais de Cuba pour commettre un attentat aux Etats-Unis. Nous ne serions que de vulgaires fanatiques si nous tenions le peuple américain pour responsable des différends qui opposent nos deux gouvernements. »
Le culte officiel de la personnalité est inexistant à Cuba. Même si l’image de Fidel Castro reste présente dans la presse, à la télévision et sur les panneaux d’affichage, il n’existe aucun portrait officiel, aucune statue, ni monnaie, ni rue, ni édifice ou monument quelconque portant le nom de Fidel Castro.
En dépit des pressions extérieures auxquelles il est soumis, ce petit pays, attaché à sa souveraineté et à sa singularité politique, a obtenu des résultats remarquables en matière de développement humain : abolition du racisme, émancipation de la femme, éradication de l’analphabétisme, réduction drastique de la mortalité infantile, élévation du niveau culturel général. Dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la recherche médicale et du sport, Cuba a atteint des niveaux très élevés que nombre de pays développés lui envieraient.
La diplomatie cubaine est l’une des plus actives au monde. La révolution, dans les années 1960–1970, a soutenu les mouvements d’opposition armée dans de nombreux pays. Ses forces armées, projetées à l’autre bout du monde, ont participé à des campagnes militaires de grande ampleur, en particulier aux guerres d’Ethiopie et d’Angola. L’intervention cubaine dans ce dernier pays s’est achevée par la déroute des divisions d’élite de la République d’Afrique du Sud ; ce qui a incontestablement accéléré l’indépendance de la Namibie, la chute du régime raciste de l’apartheid et permis la libération du leader sud-africain Nelson Mandela, lequel n’a jamais manqué une occasion de rappeler l’amitié qui le lie à Fidel Castro et sa dette à l’égard de la révolution cubaine.
Fidel Castro possèdait un sens de l’histoire profondément ancré en lui, et une sensibilité extrême à ce qui a trait à l’identité nationale. Parmi toutes les personnalités liées à l’histoire du mouvement socialiste ou ouvrier, celle qu’il cite le plus souvent est José Martí, « apôtre » de l’indépendance de Cuba en 1898. Mue par une compassion humanitaire, son ambition était de semer sur l’ensemble de la planète la santé et le savoir, les médicaments et les livres. Rêve chimérique ? L’admiration qu’il vouait à son héros littéraire favori, Don Quichotte, n’était pas fortuite. La plupart de ses interlocuteurs, et même certains de ses adversaires, admettent que Fidel Castro était un homme habité par de nobles aspirations, par des idéaux de justice et d’équité.
Dans son pays et dans l’ensemble de l’Amérique latine, Fidel Castro disposait d’une autorité que lui confèrait sa personnalité à quatre faces de théoricien de la révolution, de chef militaire victorieux, de fondateur de l’Etat, et de stratège de la politique cubaine. N’en déplaise à ses détracteurs, Fidel Castro a une place réservée dans le panthéon mondial des personnalités qui ont lutté pour la justice sociale et a fait preuve de solidarité envers tous les opprimés de la Terre. »
Ignacio Ramonet.
Source : Mémoire des luttes
http://www.investigaction.net/le-fidel-castro-que-jai-connu
M. Fillon père Noël des possédants
par Bruno Guigue :
« François Fillon a emporté la primaire avec près de 70% des voix. C’est une nette victoire, mais dans les limites du genre. Si ce score est confirmé, le candidat obtient l’adhésion explicite de 4 à 5% des Français. On notera aussi que la composition sociologique de cet électorat ne reflète pas celle du pays. Professions libérales, cadres supérieurs, inactifs et retraités en constituent l’essentiel. La France qui plébiscite M. Fillon est respectable, mais ce n’est pas elle qui se lève tôt pour gagner un modeste pécule.
La sociologie étriquée de son socle électoral constitue un handicap pour le candidat. L’élection présidentielle est un exercice où l’élargissement de son audience, au deuxième tour, est la clé du succès. Ce ne sera pas facile pour M. Fillon. Il est cocasse, en outre, d’entendre le vainqueur de la primaire faire l’éloge de l’esprit d’entreprise et du travail acharné, alors que son fan club, largement issu du troisième âge, ne respire pas vraiment cette atmosphère.
Plutôt bien pourvue, cette couche sociale ne souffrira pas des restrictions que le candidat entend imposer aux Français. Avec M. Fillon, ce sera une avalanche de cadeaux pour les possédants. Les chefs d’entreprise bénéficieront de la réduction de l’impôt sur les sociétés et de la baisse des cotisations sociales. Les rentiers seront gratifiés d’une réduction de l’impôt sur les revenus du capital. Les gros propriétaires accueilleront la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune avec des transports d’allégresse.
Il y aura des gagnants, mais aussi des perdants. Premiers visés, les fonctionnaires subiront la suppression de 500 000 postes. Comme les médecins de Molière, M. Fillon veut soigner le service public en lui infligeant une saignée. Les fonctionnaires devront travailler 39 heures payées 37 et se résoudre à une diminution de leur pension de retraite. Les agents du service public, c’est clair, ne seront pas à la fête. Mais la cure d’austérité la plus sévère, en réalité, concerne les salariés du secteur privé.
François Fillon ne se contente pas de supprimer les 35 heures. Il jette aux orties la durée légale hebdomadaire du travail. Le temps de travail sera négocié, au sein de chaque entreprise, dans la limite européenne de 48 heures hebdomadaires. En l’absence de législation, la quantité de travail exigée des salariés dépendra de ce rapport de forces. La substitution des accords d’entreprise aux accords de branche ayant pour effet de neutraliser les syndicats, on devine le résultat.
Avec un chômage élevé, les travailleurs du secteur privé ne seront pas en position favorable pour négocier avec les patrons. L’épée de Damoclès de la délocalisation planant au-dessus de leur tête, ils seront contraints d’accepter une régression de leurs conditions de travail et de rémunération. Engagé depuis des décennies, le basculement de la valeur ajoutée du capital vers le travail se poursuivra, avec la bénédiction d’un gouvernement qui pourra se prévaloir du suffrage populaire pour imposer l’austérité.
Le pouvoir d’achat des couches sociales modestes se dégradera aussi sous l’effet de la hausse de la TVA. Substituer la fiscalité indirecte à la fiscalité directe est une vieille recette des politiques de droite. Ce qu’il donne aux actionnaires et aux rentiers, M. Fillon le prélèvera dans le panier des ménages. Pour réduire la dette, il comprime les dépenses publiques. Mais pour compenser les réductions fiscales octroyées aux riches, il taxe la consommation populaire.
Le projet de M. Fillon a le mérite d’annoncer la couleur. Mais a‑t-il la moindre chance de réussir ? La baisse des dépenses publiques et la hausse de l’impôt sur la consommation ne peuvent avoir qu’un impact négatif sur l’activité. Pour M. Fillon, peu importe ce choc déflationniste. Il croit dur comme fer aux vertus de la politique de l’offre. Il pense que les bienfaits dont il gratifie les possédants se traduiront en surcroît de richesses pour tous, et que l’accroissement des bénéfices se convertira en créations d’emplois.
Que ce mécanisme vertueux soit surtout une vue de l’esprit le laisse de marbre. Il appartient à cette droite qui ne jure que par la stabilité de l’euro, la dérégulation du marché du travail et le désarmement fiscal unilatéral. Avec ce programme, le candidat adresse un message explicite aux possédants dont il attend un sursaut salutaire au lendemain de l’élection. Simultanément, il donne des gages aux institutions européennes et aux dirigeants allemands, garants sourcilleux de l’orthodoxie budgétaire.
Mais il ne suffit pas d’avoir les voix des Français aisés et la bénédiction de la chancelière Angela Merkel pour gagner l’élection présidentielle. Hormis une poignée de masochistes, on ne voit pas ce qui poussera les ouvriers, les employés, les chômeurs, les fonctionnaires et les petits retraités à voter pour M. Fillon. Bien que ces catégories sociales représentent la majorité du corps électoral, le candidat semble déterminé à ignorer leurs aspirations.
Il va capitaliser au premier tour l’adhésion des couches aisées et d’une partie des classes moyennes, sensibles au discours sur l’effort et la rigueur. Mais il devra combattre sur plusieurs fronts à la fois. Face à François Bayrou et Emmanuel Macron, il lui faudra convaincre l’électorat qu’il est le mieux placé pour incarner la France des propriétaires. Ce faisant, il subira le tir croisé des candidats qui entendent exprimer, dans des styles différents, une colère populaire grandissante.
Pour le porte-parole de la « France insoumise », la brutalité du programme de M. Fillon fournira un ersatz, tout aussi mobilisateur, de ce qu’aurait été une candidature de Nicolas Sarkozy. Face à une famille conservatrice soudée autour de son candidat de choc, le camp progressiste se sentira ragaillardi. Enterrée un peu trop vite, la lutte des classes va revenir à l’ordre du jour. La lutte politique recentrée sur ses véritables enjeux, le candidat des insoumis pourra galvaniser les énergies de ce qui reste de forces vives et progressistes dans le pays.
La candidate du FN, de son côté, dénoncera ce souverainiste repenti, ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy, qui assume la forfaiture sur le TCE. Cet argumentaire sera complété par un tir de barrage contre un programme qui lèse les intérêts des classes populaires. Comme d’habitude, les ténors du FN vont se partager la tâche, les uns usant d’une rhétorique sociale à laquelle le parti d’extrême-droite s’est rallié depuis sa refondation, les autres pointant la duplicité d’un candidat qui clame son amour de la France mais immole sa souveraineté sur l’autel du mondialisme.
En exhumant l’ADN de la droite libérale orléaniste, François Fillon s’expose à une volée de bois vert. Son projet consiste, en réalité, à faire passer pour des réformes courageuses un vaste transfert de richesse vers les classes favorisées. Il peut se qualifier pour le second tour, mais le rassemblement nécessaire à la victoire finale n’est pas acquis. Il va traîner comme un boulet le libéralisme éculé de son programme et l’exiguïté de sa base sociale. Sur le plan politique comme sur le plan économique, M. Fillon risque de faire les frais de ses mauvais calculs. »
Bruno Guigue
http://arretsurinfo.ch/m‑fillon-pere-noel-des-possedants-par-bruno-guigue/
Slobodan Despot publie un entretien passionnant avec le créateur original du Saker Francophone :
https://soundcloud.com/despotica/antipresse-52-le-saker-nous-parle
Max Weber : « il s’agit d’éviter LA POSITION DE FORCE propre au savoir spécialisé ou celle qui serait liée à la connaissance des secrets »
Je suis assez content de trouver cette notion de « position de force » et donc corolairement de « position de faiblesse » chez un intellectuel de cette trempe.
Il faut éviter je crois d’utiliser les termes de force et de faiblesse seuls, qui contribuent à essentialiser les dominations et donc à les figer.
Sur la suggestion de la suppression des partis politiques et outre le caractère pertinent ou pas de la proposition en elle même, j’ai du mal à comprendre la farandole permanente et inépuisable des propositions prétendant remédier de façon plus ou moins décisive à tel ou telle problème politique, propositions qui n’envisagent jamais la condition de leur mise en œuvre…
Ça y est ! J’ai LA solution et même que c’est mon idée à moi qui l’ai eu tout seul (comme je suis génial !) suivez moi tous ! Et là.….pfuittttt.
Hé ho, les gens, VOUS N’AVEZ PAS LE POUVOIR de mettre en œuvre vos idées, fussent-elles géniales !
Depuis des siècles, une multitude de personnes brillantes ont eues des idées géniales pour faire bouger les choses et toutes achoppent au même point : ceux qui voudraient mettre en œuvres ces idées n’ont pas le pouvoir…et ceux qui ont le pouvoir veulent très rarement les mettre en œuvre.
La question première demeure : à quelle stratégie, quels moyens, quelle méthode recourir pour nous réapproprier notre puissance politique ?
Si tant est que ce soit possible…mais ne dit-on pas que l’espoir fait vivre ?
Lordon, toujours supra-lucide (du moins tant qu’il n’enfile pas sa casquette d’activiste infra-lucide) sur la démocratie et l’illusion de la « solution » par l’holacratie :
httpv://youtu.be/eGu5-Zdk3Go
Ce qui est savoureux avec les primaires c’est que l’électeur ne se contente plus de signer un chèque en blanc politique qui donne aux pires le pouvoir de faire le bien de leurs amis et « soutiens », mais qu’il raque en plus 2 euros !!!
L’est pas beau not’système politique ?
Chomsky est à Paris demain ! Veinards de Parisiens 🙂
Embrassez-le pour moi.
La honte du journalisme français :
http://www.les-crises.fr/chomsky-a-paris-la-honte-du-journalisme-francais/
Source : Olivier Berruyer
Une reformulation synthétique de la pensée de Spinoza par Lordon :
« On chasse les tyrans sans jamais attaquer les causes de la tyrannie »
Étienne, tu vois qu’il y vient ! Mais il ne faut pas que ça passe par quelqu’un qui n’aurait pas une légitimité historique ou universitaire, ou encore par quelqu’un qui, sur le modèle « antifa », ne serait pas pur et sans tâche de toute relation « douteuse ».
On trouve cette reformulation dans un entretien très fécond avec Marianne Rubinstein à 1:07:15 :
httpv://www.youtube.com/watch?v=B5tDxjsexG0
Tous les coups portèrent sur les tyrans, aucun sur la tyrannie.
Montesquieu (L’esprit des lois, Liv. III, Chap. III)
« Dis, pour qui t’as voté ? Pour Juppon ou pour Fillé ? »
L’édito de Charles Sannat :
[…] Le problème c’est que le cadre de ces deux candidats est strictement le même !
Alors pour qui voter lorsqu’aucun de ces deux candidats de droite, aussi respectables soient-ils, ne proposent de remettre en cause les points clefs qui sont la conséquence de nos problèmes ?
Avez-vous entendu Fillé et Juppon expliquer que nous avions un problème avec l’euro ?
Avez-vous entendu Fillé et Juppon expliquer que nous avions un problème avec la mondialisation et les délocalisations devenues totalement iniques pour la France ? La mondialisation est un marché de dupe dans lequel nous nous faisons couillonner dans les grandes largeurs sans rien faire et en contemplant nos usines fermer et nos emplois partir !
Avez-vous entendu Fillé et Juppon expliquer que nous avions un problème avec l’Union européenne qui détient tous les volets de pouvoir en particulier législatifs ?
Avez-vous entendu Fillé et Juppon expliquer que nous avions un problème avec l’exercice de notre souveraineté, de respect de nos frontières, ou encore de choix de guerre ou de paix en étant désormais intégrés à l’Otan ?
Avez-vous entendu Fillé et Juppon expliquer que nous devions peut-être sortir de l’OTAN et ne plus être inféodés aux intérêts américains au détriment des nôtres ?
Avez-vous entendu Fillé et Juppon expliquer que nous avions un problème de compétitivité comme les Américains, comme les Anglais, et très prochainement comme les Allemands qui commencent à se faire racheter leurs entreprises par les vilains Chinois ?
Avez-vous entendu Fillé et Juppon expliquer que la compétitivité c’est relatif ? Que travailler 48 heures par semaine (au maximum) c’est très bien, mais que même en faisant cela, nous resterons largement plus cher qu’un petit chinois payé 100 euros par mois dans les campagnes et 400 en ville charges comprises, ce qui est également le cas d’un Polonais (500 euros par mois), sans oublier le Bulgare encore moins cher que le Chinois à moins de 200 euros mensuel ?
Avez-vous entendu Fillé et Juppon parler du dumping fiscal ou social des autres pays ?
Avez-vous entendu Fillé et Juppon expliquer les dangers du totalitarisme marchand et des multinationales qui confisquent la démocratie et les leviers de pouvoir à leur profit et contre les peuples ?
Avez-vous entendu Fillé et Juppon parler des banques ou des mécanismes de création monétaire ?
NON, Juppon et Fillé sont tous les deux des mondialistes !
Alors j’aurais pu continuer cette longue litanie encore longtemps. Comment parler de la fierté d’être français (Fillon) sans parler une seule fois, sans jamais évoquer la « souveraineté » de notre pays (et à ce titre Juppé est moins faux cul avec son programme sur la diversité heureuse) ? […]
Lire la suite :
https://planetes360.fr/dis-tas-vote-juppon-fille-ledito-de-charles-sannat/#
J’ai appris cette année avec la plus grande surprise que même à l’échelle locale , l’élection PEUT ÊTRE FAUSSÉE ! Je pensais qu’en connaissant les intervenants on pouvait au moins s’attendre à obtenir un minimum d’intégrité , de confiance , de clarté et de franchise , eh bien non ! Je ne peux pas en dire plus , mais c’est inutile , le résultat est le même !
(Donc votants , électeurs = élections) ce sont des gens qui n’auront plus ma voix qui n’avait d’ailleurs pas d’importance on l’aura compris !
Fidel Castro : La dette ne doit pas être payée
http://www.investigaction.net/fidel-castro-la-dette-ne-doit-pas-etre-payee/
En 1985, Fidel Castro a lancé une campagne internationale pour la constitution d’un front des pays endettés confrontés à des dettes insoutenables. Fidel déclare dans ce discours prononcé en août 1985 à l’issue d’une rencontre internationale consacrée à la dette : « nous nous sommes rendu compte qu’(…) en définitive le mot d’ordre d’annulation de la dette était valable pour tous les pays du Tiers-monde. ».
Ses efforts pour favoriser une unité des peuples pour l’annulation de la dette du Tiers-monde ont connu un grand écho en Amérique latine parmi les mouvements sociaux et les intellectuels de la gauche radicale. En Afrique, Thomas Sankara, président du Burkina Faso, a repris ce mot‑d’ordre et a tenté de lancer un vaste mouvement africain pour le non paiement de la dette. En Europe, le CADTM est né dans la foulée de cette campagne internationale partie de l’Amérique latine.
Nous publions ce discours prononcé il y a plus de 30 ans, alors qu’une nouvelle crise de la dette des pays dits en développement se prépare suite à la baisse des recettes qu’ils tirent de l’exportation de leurs matières premières, alors que la croissance économique des pays les plus industrialisés est anémique et que de nouvelles bulles spéculatives finiront par éclater, notamment au niveau boursier.
Ce discours de Fidel a été prononcé à la fin de la rencontre sur la Dette Extérieure de l’Amérique Latine et des Caraïbes, à La Havane, le 3 août 1985.
Fidel Castro ne manque pas d’humour quand il affirme : « On m’accuse de dire que la dette est impossible à payer. Bon, mais c’est la faute à Pythagore, à Euclide, à Archimède, à Pascal, à Lobatchevski, aux mathématiciens de l’Antiquité, des temps modernes ou d’aujourd’hui ; c’est sur eux, sur celui que vous voudrez qu’il faut en rejeter la faute. Ce sont les mathématiques, les théories des mathématiciens, qui démontrent que la dette est impossible à payer. »
Fidel considérait que l’abolition de la dette du Tiers-monde devait être octroyée tant par les pays capitalistes industrialisés que par les pays dits socialistes.
« Lorsque nous parlons d’abolir la dette, nous parlons de toutes les dettes qu’a contractées le Tiers-monde auprès du monde industrialisé, ce qui n’exclut pas les pays socialistes (applaudissements). Lorsque je parle du nouvel ordre économique international et de prix justes, je n’exclus pas, loin de là, les pays socialistes. Je suis sûr que ça représenterait pour eux des sacrifices, mais ils comprendraient et appuieraient. »
Il remettait en cause les politiques imposées par le FMI.
Fidel affirme que la nécessaire abolition des dettes constitue une condition sine qua non mais que c’est insuffisant. D’autres changements radicaux doivent être entrepris : « Voilà pour les principes de base. II ne s’agit pas d’une seule idée, l’idée d’abolir la dette. Cette idée est à associer à celle du nouvel ordre. En Amérique latine elle est aussi associée à celle de l’intégration parce que même si on arrive à abolir la dette et à instaurer le nouvel ordre économique, sans intégration nous resterons des pays dépendants. »
Fidel affirme que le paiement de la dette est insoutenable pour des raisons économiques et qu’il faut abolir la dette également pour des raisons morales : « Le recouvrement de la dette et le système injuste de relations économiques actuellement en vigueur constituent la plus flagrante, la plus brutale des violations des droits de l’homme, de toutes celles qu’on peut imaginer. » (…) « une petite portion de l’ensemble de la dette a été investie dans des projets utiles. Mais nous savons tous qu’une grande partie a été investie dans les armes, a été dilapidée, gaspillée, détournée et nous savons en outre qu’une grande partie n’est même pas arrivée en Amérique latine. »
Fidel appelle à l’unité des pays endettés face aux gouvernement des pays les plus industrialisés. Il affirme que l’idéal serait d’arriver à un consensus entre gouvernements des pays débiteurs d’Amérique latine, mais qu’il n’y croit pas : « L’idéal est un consensus préalable. Mais parviendra-t-on à un consensus des pays débiteurs d’Amérique latine avant que la crise se déclenche ? L’idéal est un consensus préalable et une discussion avec les créanciers, mais cela arrivera-t-il ? Le plus probable, c’est que des crises sérieuses éclatent et qu’à la suite de ces crises ils veuillent négocier ; c’est le plus probable. Personne ne peut prévoir exactement ce qui va se passer, mais pour ma part je n’ai jamais vraiment cru à un consensus avant la crise bien que je ne pense pas que cela soit impossible. II se peut que, la situation s’aggravant, ce consensus préalable entre les débiteurs se produise ; ce n’est pas impossible, mais c’est à mon avis peu probable.
Mais si cette lutte continue, si les masses prennent conscience de la situation, si chaque citoyen de nos pays comprend le problème, les possibilités d’exercer une influence et de créer des conditions favorables augmentent ; un gouvernement ne peut livrer cette bataille tout seul, alors on pourrait faire en sorte qu’ils adhèrent à l’idée d’une réunion pour adopter une politique, pour prendre une décision ferme et correcte. »
Fidel appelait à mettre toute son énergie à organiser par en bas un large mouvement pour l’annulation de la dette du Tiers-monde, ce combat est toujours d’actualité.
Éric Toussaint, le 29 novembre 2016
Voici la retranscription du
discours de Fidel Castro en clôture de la rencontre sur la Dette Extérieure de l’Amérique Latine et des Caraïbes, au Palais des Congrès de La Havane, le 3 août 1985 :
« Ne vous laissez pas impressionner par la quantité de papiers et de brochures que j’ai apportés avec moi : c’est simplement pour les consulter le cas échéant. Merci beaucoup, compañero Tencha, pour tes paroles affectueuses et généreuses.
Le premier jour, je vous ai appelés honorables invités ou quelque chose de ce genre. Permettez-moi aujourd’hui, après ces cinq jours ou presque de travail intense dans une ambiance familiale de vous appeler chers invités.
Carlos Rafael a dit cet après-midi que j’allais faire le résumé de la réunion. J’ai immédiatement rejeté ce mot de résumé. Je crois que c’est Gabriel Garcia Marquez qui pourrait faire ce résumé dans un long roman, vu l’infinité d’idées qui ont été exprimées et d’événements qui ont eu lieu pendant ces journées. Je vais essayer de vous faire part de quelques impressions personnelles et aussi de souligner quelques idées, d’exprimer mes idées sur le thème qui nous a réunis.
J’ai un privilège, je le comprends, puisque Tencha m’a donné l’autorisation de parler sans limite de temps ; mais tout a une limite : votre patience, ma résistance et même le bon sens qui recommande de ne pas trop s’étendre. Beaucoup des personnalités brillantes, capables et intelligentes qui ont pris la parole ces jours-ci n’ont pas eu ce privilège. Je comprends ce qui a dû leur en coûter, s’agissant d’un sujet aussi complexe, de se limiter à douze, treize ou vingt minutes dans certains cas. Je suis aussi passé par là ; j’ai assisté à bien des réunions et j’ai dû également me contenter souvent de huit, dix ou vingt minutes et je ne l’ai pas fait aussi bien que vous.
Je me vois dans l’obligation de répondre à certaines critiques sur l’activité de Cuba en ce qui concerne ce problème dramatique. On voudrait faire croire que Cuba assume une position opportuniste – c’est un mot qui plaît beaucoup à nos voisins du Nord – et que nous essayons d’améliorer nos relations, d’améliorer l’image de Cuba ; on avance toutes sortes de théories de ce genre, de théories réellement bizarres. Je crois que l’effort que nous déployons dans ce domaine n’a rien à voir avec une recherche de prestige, cela ne correspond pas du tout à notre mentalité ; toutes ces histoires de prestige, de propagande sont propres au système qu’ils représentent et c’est pourquoi ils s’imaginent que tous ceux qui font quelque chose ou essaient de faire quelque chose dans ce monde le font pour des raisons de propagande et de prestige. Je disais aux dirigeants syndicaux d’Amérique latine et des Caraïbes à la réunion précédente, et j’ai dit récemment à la cérémonie du 26 juillet qu’avec du prestige on ne peut même pas nourrir un moineau. Je pense qu’il s’agit d’un problème très sérieux et que nous ne devons pas permettre qu’on essaie de semer la confusion, ou qu’on essaie de nous tromper, ni permettre que de telles infamies fassent du chemin.
C’est pour ça que j’ai essayé de trouver des antécédents, de voir quand nous avons commencé à parler de ce problème, et j’ai trouvé un antécédent qui remonte à quatorze ans ; c’était précisément au Chili, après le triomphe de l’Unité populaire. À cette occasion, j’ai pris part à une infinité d’activités et j’ai été notamment invité à faire une brève visite à la CEPAL, dont le siège est à Santiago du Chili, et là-bas nous avons improvisé un dialogue. Une version de tous ces discours a été publiée et j’en ai relevé un passage. Il y a quatorze ans de ça ! À cette époque, la dette de l’Amérique latine devait être à peu près de trente ou quarante milliards de dollars.
Je disais alors :
« Nous avons lu ces jours-ci que le Chili doit plus de 3,5 milliards. On sait par exemple que l’Uruguay a une dette de plus de 800 millions et qu’il doit déjà payer 80 millions par an, que ses exportations se montent à 190 ou 200 millions, qu’il doit importer au moins autant pour se maintenir dans la situation actuelle – pour se maintenir ! – pour se maintenir difficilement puisque ses produits de base se heurtent à des difficultés sur les marchés. Il ne s’agit pas seulement de problèmes dus à l’échange inégal mais de problèmes de marché. On dit que la République argentine a une dette d’environ 5 milliards. J’ignore quelle est la dette de chacun des pays. Ce que je me demande, c’est comment ils vont faire pour payer, pour payer les États-Unis, pour rembourser leur dette extérieure à ce puissant pays, pour payer les dividendes, pour se maintenir à un niveau minimum de subsistance, pour se développer. C’est un problème réellement très sérieux, un problème d’aujourd’hui, de demain ou d’après-demain. Un problème qui nous amène à nous pencher sur la situation de nos pays, à penser ce que signifie ce fameux gap, ce fameux abîme, cette fameuse différence qui augmente comme augmente la distance entre une voiture qui roule à dix kilomètres à l’heure et une autre à cent kilomètres à l’heure, entre une voiture qui roule à moins de dix kilomètres à l’heure et une autre à cent cinquante. »
Il y aura quatorze ans le 29 novembre prochain que ces paroles ont été prononcées. Il me semble que cette inquiétude, cette préoccupation qui avait germé alors, cette question qui n’avait pas de réponse, ont marqué tout ce qui a été dit après. Nous pouvons nous demander s’il existe maintenant une réponse et si par hasard la situation d’aujourd’hui ressemble à la situation de 1971.
Tout au long de ces années, Cuba a exposé ces problèmes dans les organismes internationaux ; je me sens dans l’obligation de citer un autre document que j’ai déjà utilisé au cours de la réunion syndicale, et je demande aux dirigeants syndicaux qui sont ici – ils sont presque une centaine – de bien vouloir m’excuser de reprendre la même citation. Voici ce que j’ai dit en 1979 aux Nations Unies, après le Sixième Sommet des non alignés qui a eu lieu ici, dans cette salle.
Conformément à la tradition, en septembre 1979, en tant que pays siège du dernier sommet, je suis allé parler aux Nations unies. J’ai dit alors :
« La dette des pays en voie de développement atteint déjà 335 milliards de dollars. On calcule que le montant total du service de leur dette extérieure s’élève à plus de 40 milliards par an, ce qui représente plus de 20 p. 100 de leurs exportations annuelles. Par ailleurs, le revenu moyen par habitant des pays développés est maintenant quatorze fois supérieur à celui des pays sous-développés. Cette situation est devenue intenable. »
Année 1979. En terminant cette partie de l’exposé, j’ai déclaré :
« Bref, monsieur le Président et messieurs les représentants :
« L’échange inégal ruine nos peuples. Et il doit cesser !
« « L’inflation importée ruine nos peuples. Et elle doit cesser !
« Le protectionnisme ruine nos peuples. Et il doit cesser !
« Le déséquilibre existant en ce qui concerne l’exploitation des ressources de la mer est abusif. Et il doit être aboli ! »
Par la suite on est parvenu à l’accord sur les droits de la mer que précisément les États-Unis refusent de signer, de même que quelques-uns de leurs alliés.
« Les ressources financières que reçoivent les pays en développement sont insuffisantes. Et elles doivent être augmentées !
« Les dépenses en armements sont irrationnelles. Elles doivent cesser et les fonds servir à financer le développement !
« Le système monétaire international en vigueur aujourd’hui est en banqueroute. Et il doit être remplacé !
« Les dettes des pays moins développés relativement et dans une situation désavantageuse sont insupportables et sans issue. Elles doivent être annulées !
« L’endettement écrase économiquement les autres pays en développement. Et il doit être allégé !
« L’abîme économique qui sépare les pays développés des pays qui veulent se développer se creuse au lieu de se combler. Et il doit disparaître !
« Voilà les revendications des pays sous-développés. »
La dette du Tiers-monde était alors d’environ 335 milliards. J’ai commencé à parler de cela en 1971, alors que celle de l’Amérique latine était à peiné de 35 milliards, et que probablement celle de l’ensemble du Tiers-monde n’atteignait pas 100 milliards. J’ai continué à parler du sujet pendant les années suivantes. A la Septième Conférence au sommet, qui a eu lieu à New Delhi en mars 1983, un rapport élaboré par Cuba sur la grave crise économique internationale a été distribué à toutes les délégations et envoyé aux chefs d’État de tous les pays, tant des pays sous-développés que des pays industrialisés, comme nous l’avions fait pour le discours des Nations Unies.
J’ai à nouveau abordé le sujet à cette réunion, et j’ai même parlé assez longtemps, entre autres, de l’échange inégal, j’ai expliqué en quoi il consistait, la façon dont il nous faisait du tort, en donnant des exemples. Voilà ce que j’ai dit à cette occasion :
« En vendant une tonne de café, on pouvait acheter 37,3 tonnes d’engrais en 1960, mais seulement 15,8 en 1982. »
Nous, les pays du Tiers-monde, d’une manière générale nous exportons du café, du cacao, d’autres produits agricoles du même genre, et nous importons des engrais chimiques du monde développé. Pour produire du café, du maïs ou d’autres aliments, il faut des engrais ; or, nous devons fournir sans cesse plus de café pour obtenir sans cesse moins d’engrais, et on voudrait qu’à ce compte-là il n’y ait pas de famine.
« En 1959, il fallait vendre 6 tonnes de fibre de jute pour acheter un camion de 7–8 tonnes, mais 26 fin 1982.
« En vendant une tonne de fil-machine de cuivre, on pouvait acheter 39 tubes de rayons X à usage médical en 1959, mais seulement 3 en 1982.
Nous sommes exportateurs de jute, de fil de cuivre, d’étain et d’autres minerais. Le cuivre est le principal produit d’exportation du Pérou, du Chili ; d’autres pays exportent de l’aluminium ou d’autres matières premières. Et chaque fois que nous comparons ce que nous exportons à ce que nous importons, nous constatons la même chose : nous importons des équipements sophistiqués, des appareils de radiographie, des machines industrielles, des appareils électroniques, des produits chimiques, etc., que le monde industrialisé produit avec des salaires très élevés. Et nous, avec quels salaires produisons-nous pour nos exportations ? On a parlé ici de salaires infimes de trente à quarante dollars par mois, au Pérou, en Bolivie, au Brésil, au Chili. A cette même occasion, j’avais donné d’autres exemples, mais je crois qu’il n’en faut pas plus pour donner une idée de la tragédie que représente pour nous cette mise à sac impitoyable.
En mars 1983, à New Delhi, nous préconisions ceci :
« Lutter sans relâche pour assurer la paix, pour améliorer les relations internationales, pour arrêter la course aux armements, pour réduire de façon draconienne les dépenses militaires, et exiger qu’une part considérable de ces énormes fonds soit allouée au développement du Tiers-monde.
« Lutter inlassablement pour la cessation de l’échange inégal qui déprime les recettes d’exportations réelles, qui fait retomber sur nos économies le coût de l’inflation déclenchée dans, les pays capitalistes développés et qui ruine nos peuples. […]
« Lutter contre le protectionnisme, qui multiplie les obstacles tarifaires et non tarifaires et empêche les produits de base et les articles manufacturés que nous exportons de trouver un débouché…
« Lutter pour l’annulation de la dette des nombreux pays qui n’ont pas la moindre possibilité réelle de s’en acquitter et pour la réduction draconienne du coût du service pour ceux qui, dans de nouvelles conditions, pourraient respecter leurs engagements. »
Aux Nations Unies, quatre ans plus tôt, l’exposition de ces idées avait été le point le plus applaudi par la majorité des pays représentés, y compris quelques pays industrialisés qui comprenaient qu’une telle situation ne pouvait pas être tolérée plus longtemps. Ce sont les mêmes idées qui ont été reprises pendant des années. On voyait venir le problème, on le voyait venir.
Fin 1982, la dette extérieure approchait déjà les 600 milliards de dollars, c’est-à-dire qu’elle s’était décuplée, de 30 à 300, et après elle passait au double de 300, puis au triple. En ce moment, elle est exactement le triple, et le problème a fait crise. Actuellement, l’Amérique latine à elle seule doit plus que ce que devait tout le Tiers-monde en 1979. C’est-à-dire que la crise a mûri, qu’elle s’est terriblement aggravée, qu’elle est devenue insupportable, et c’est la raison pour laquelle ces mêmes idées sont mieux adaptées à chaque nouvelle réalité, parce que le ton change, il change d’une fois à l’autre ; la première fois on dit : « Les dettes des pays moins développés relativement et dans une situation désavantageuse sont insupportables et sans issue. Elles doivent être annulées ! » Et puis on change de ton : « Lutter pour l’annulation de la dette des nombreux pays – en 1983 on parle déjà de nombreux pays – qui n’ont pas la moindre possibilité réelle de s’en acquitter et pour la réduction draconienne du coût du service pour ceux qui, dans de nouvelles conditions, pourraient respecter leurs engagements. »
Le problème s’est aggravé jusqu’au moment où il est devenu clair pour nous qu’aucun pays ne pouvait payer, à de rares exceptions près.
Au début, nous pensions que pour des pays comme le Venezuela ou le Mexique il suffisait d’alléger la dette ; mais par la suite nous nous sommes rendu compte que des pays pétroliers comme le Nigeria, le Venezuela, le Mexique en étaient arrivés à une situation telle qu’on ne pouvait les exclure, qu’en définitive le mot d’ordre d’annulation de la dette était valable pour tous les pays du Tiers-monde.
Je ne veux blesser personne en proposant l’annulation de la dette de tous les pays du Tiers-monde, car je pense que nous luttons pour quelque chose de juste, de raisonnable ; mon intention n’est pas de blesser qui que ce soit, mais d’inclure tout le monde dans une revendication que nous posions depuis longtemps pour une partie de ces pays, quand la situation était moins grave qu’aujourd’hui. Aujourd’hui, tous les prix sont déprimés, y compris ceux du pétrole.
II est certain que les énormes augmentations des cours du pétrole au milieu des années 70 ont joué un rôle dans la crise, mais elles n’en sont pas la cause, et la meilleure preuve c’est que beaucoup de pays exportateurs de pétrole sont atteints par la crise. L’affaire du pétrole l’a aggravée, c’est vrai, mais qui, réellement, est responsable de la crise du pétrole ? Les pays capitalistes industrialisés ont laissé de côté les mines de charbon pour se mettre à gaspiller un combustible bon marché les transnationales obtenaient des profits énormes, tout en assurant la distribution d’un combustible bon marché qui faisait concurrence au charbon, qui faisait concurrence à tout. Et à quel prix Pratiquement tous les cinq ans la consommation de combustible doublait dans le monde et ce que la nature avait mis des centaines de millions d’années à créer, ces sociétés de consommation lé liquidaient en un siècle. Les réserves s’épuisaient, on gaspillait le pétrole, d’énormes voitures et des installations négligemment conçues l’engloutissaient inconsidérément. Que pouvait-on économiser après la crise énergétique, quand ils se sont proposé d’économiser le pétrole, quand ils se sont souvenus du charbon, quand ils ont recommencé à extraire du pétrole de puits désaffectés ? Mais ils sont aussi les responsables de la crise du pétrole, à cause de leur gaspillage, de leur système insensé et irrationnel de dilapidation des ressources humaines et naturelles du monde.
Nous ne l’ignorons pas, la question du pétrole a joué un rôle, elle a aggravé la crise, mais les responsables étaient exactement les mêmes.
Le seul changement qui se soit produit entre 1979, 1983 et 1985, c’est que nous sommes arrivés à cette conclusion logique : le Tiers-monde devait déjà près d’un billion de dollars et il n’était plus possible d’exclure aucun pays du mot d’ordre d’annulation de la dette.
A présent, je me demande si l’un de ceux qui s’indignent du fait que Cuba est préoccupée par ce problème et qu’elle en a tant de fois parlé là où elle devait le faire, je me demande si un seul de ces pays qui s’opposent à ce que Cuba soit le siège d’une réunion, où l’on débat ces problèmes, ou du fait que quelqu’un parle d’un problème donné – comme si les idées étaient aussi une propriété privée, de la même façon qu’une industrie capitaliste ; et je crois savoir que les idées ne sont la propriété privée de personne (applaudissements) – je me demande si un seul de ces pays a parlé du problème, il y a quinze ans, dix ans, cinq ans, trois ans ou trois mois. Un homme, Miguel Angel Capriles, a démontré ici qu’il y a trois ans il a parlé du problème ; il l’a démontré en lisant son éditorial du mois de janvier 1983, où il pose le problème en termes assez semblables (applaudissements). Capriles a dit ici qu’il était directeur d’entreprise et qu’il était capitaliste, et je ne pense pas que quelqu’un le soupçonne d’être communiste, ou qu’il ait dit cela par démagogie, ou pour améliorer son image. Il est possible, même, que beaucoup aient ri en lisant cet éditorial à l’époque, mais pour ma part j’éprouve du respect pour cet homme qui n’était pas notre ami, qui a été un adversaire de notre Révolution qu’il a critiquée fortement ; je ne peux que m’incliner devant lui, je ne peux qu’éprouver du respect pour cet homme qui, il y a trois ans, a posé le problème dans les termes que l’on sait, parce qu’il a eu une vision d’ensemble, parce qu’il a pris conscience assez tôt du problème. Et il est venu au dialogue, il n’a pas hésité à participer à la réunion et à parler.
Lequel parmi ceux qui n’étaient pas d’accord, ou qui n’ont pas voulu venir pour ne pas faire le jeu de Castro, a dit un seul mot du problème, et quand ?
En réalité, il y en a quelques-uns qui en ont parlé ces jours-ci, à toute vitesse. Est-ce peut-être parce qu’il s’agit d’une vieille inquiétude, d’un vieux souci enraciné ? Non ! Ils sont effrayés parce que Castro parle du problème (applaudissements), et il y en a même qui disent : « Quel dommage que ce soit un communiste qui parle de ce problème ! » (Rires.) Eh bien non, parce que Capriles n’est pas communiste, et le cardinal Arns n’est pas communiste (applaudissements). Et je me réjouis si en soulevant le problème on a pu faire en sorte, au moins, que beaucoup qui n’y avaient même jamais pensé en parlent maintenant. Je m’en réjouis parce que ce qu’il faut maintenant, c’est que tout le monde parle du problème (applaudissements).
Je tiens à préciser par ailleurs que nous ne sommes contre aucun gouvernement, ou plutôt que nous ne sommes contre aucun gouvernement démocratique.
Par chance, en ce moment, les pays régis par une Constitution, les pays engagés dans un processus démocratique ou d’ouverture démocratique sont majoritaires. Ceci est en partie le résultat de la lutte du peuple argentin, du peuple uruguayen, du peuple brésilien, des peuples de ces trois pays très importants qui ont changé le rapport des forces en faveur de la démocratie dans notre région (applaudissements). Ce processus est le résultat de la lutte de ces peuples et de la crise. Des deux choses. Ceux qui commandaient et gouvernaient en s’appuyant sur la répression se sont rendu compte que les pays étaient devenus ingouvernables.
De sorte que la crise a contribué au processus et maintenant les processus démocratiques peuvent à leur tour contribuer à la lutte contre la crise. Car beaucoup des idées que nous avons exposées n’auraient pratiquement pas pu l’être lorsque le rapport des forces était favorable aux dictatures militaires. Aujourd’hui nous pouvons dire que la majorité des pays sont régis par des normes constitutionnelles, qu’il existe des processus électoraux démocratiques. Chacun a ses propres idées : ce qui nous occupe n’est pas de savoir dans quelle mesure il s’agit de démocratie réelle ou de démocratie formelle. Je crois que personne ne doute que les jeunes processus d’ouverture démocratique sont positifs, et nous attendons tous le jour où nous pourrons dire : au Chili aussi il y a une ouverture démocratique (applaudissements). Ce jour viendra, n’en doutons pas – Pinochet est le seul fou de ce fléau qui dure encore, le seul à croire que son pays est gouvernable dans ces conditions – quelle que soit l’aide que lui envoie l’impérialisme, quelle que soit la façon dont il essaie de soulager le Chili, en l’endettant encore davantage.
Nous ne sommes contre aucun processus démocratique ; au contraire, nous craignons que si une solution correcte n’est pas donnée à cette crise économique, la survie de ces processus démocratiques soit impossible.
Nous ne sommes pas contre le Groupe de Cartagena, en aucune façon. Le seul reproche que nous pourrions faire au Groupe de Cartagena c’est qu’il n’a pas inclus tous les pays d’Amérique latine et des Caraïbes comme cette réunion de La Havane, de façon à ce qu’ils y soient tous (applaudissements). On avance l’argument qu’il s’agit des principaux pays débiteurs, mais dans ce monde il n’y a pas de principaux et de non principaux car aux Nations Unies tous les pays, grands et petits, ont droit à une voix. Et cette bataille, il faudra probablement la livrer aux Nations Unies, à l’OEA et dans bien d’autres lieux, ces voix sont nécessaires. L’actuel Groupe de Cartagena pourrait jouer un rôle de leader, c’est une solution, les fondateurs du Groupe peuvent constituer un comité directeur de coordination, auquel viendront se joindre les autres. Il n’y a aucun pays d’Amérique centrale dans le Groupe de Cartagena, alors que beaucoup d’entre eux ont une dette par habitant supérieure, ça ne s’explique pas, ça ne se justifie pas, pas plus que le fait qu’aucun pays des Caraïbes, excepté la République dominicaine, ne figure dans le Groupe. La Jamaïque n’en fait pas partie, Trinité-et-Tobago non plus, beaucoup d’autres pays sont également absents.
Pour notre part, nous avons veillé à ce que chaque pays puisse faire entendre sa voix à cette réunion, peu importe qu’ils aient 250 000 ou 100 000 habitants, puisqu’il s’agit de pays qui ont leur hymne, leur drapeau, leur souveraineté, leur droit. À ce titre, ils doivent être respectés (applaudissements).
C’est là la seule objection que nous ayons faite publiquement au Groupe de Cartagena. Et nous pensons que notre bataille est une contribution à la lutte engagée par ce groupe. Nous n’avons rien contre lui et nous sommes disposés à soutenir cette lutte pour trouver une solution correcte à ce problème.
Nous ne sommes pas contre le SELA, loin de là ; Cuba a été l’un des premiers pays qui ont pris part à sa fondation. Lorsque cette organisation économique latino-américaine a été créée à l’initiative du président Luis Echeverría, du Mexique, un des premiers pays à être contactés et à donner leur appui a été Cuba. Nous faisons partie du SELA, nous le soutenons et nous sommés d’accord pour que le SELA, qui est un organisme latino-américain et caribéen, joue un rôle dans la recherche d’une solution correcte à ce problème.
Nous sommes d’accord avec l’idée d’une réunion des chefs d’État qui a d’abord été lancée par le président Alfonsin, d’Argentine, à l’occasion de sa visite au Mexique ; il a été suivi par le président Febres-Cordero, qui a même proposé que les îles Galapagos, patrimoine de l’humanité, en soient le siège ; la proposition a ensuite été reprise par le président Alan García, qui vient de prendre en mains le gouvernement du Pérou. Trois présidents l’ont proposé. Vous avez appuyé cette idée d’une réunion des chefs d’État et nous nous joignons à cette proposition avec enthousiasme.
Vous savez que nous n’avons quant à nous aucune sympathie pour l’OEA, mais, en supposant qu’elle se réunisse comme on l’a annoncé – on affirme qu’elle est en train de convoquer les ministres des Finances et de l’Économie du continent à une réunion à Washington pour le mois de septembre – eh bien, parfait ! qu’ils se réunissent là-bas, qu’ils fassent asseoir les États-Unis devant eux, mais oui, au banc des accusés, qu’ils discutent avec eux, qu’ils leur présentent les réalités telles qu’elles sont et exigent des solutions (applaudissements). Si l’OEA pouvait servir à quelque chose une seule fois dans sa vie, si elle servait précisément à ça, peu importent tout ce qu’elle a coûte et la honte qu’elle a signifié pour ce continent. Même l’OEA !
Nous ne sommes en guerre contre personne, et tout ce que nous avons fait nous l’avons fait avec la conviction qu’en livrant cette bataille nous aidons les autres pays. Il ne s’agit pas d’être radical à tout prix, je ne crois pas que nos positions soient radicales ou extrémistes, comme on dit. Il y en a qui affirment que nos positions sont extrémistes, mais non, c’est tout le contraire, elles sont tout à fait réalistes. D’autres disent qu’elles sont illusoires, mais ceux qui se font des illusions ce sont les autres, ceux qui se figurent qu’il y a une autre façon de résoudre le problème.
On m’accuse de dire que la dette est impossible à payer. Bon, mais c’est la faute à Pythagore, à Euclide, à Archimède, à Pascal, à Lobatchevski, aux mathématiciens de l’Antiquité, des temps modernes ou d’aujourd’hui ; c’est sur eux, sur celui que voudrez qu’il faut en rejeter la faute. Ce sont les mathématiques, les théories des mathématiciens qui démontrent que la dette est impossible à payer.
Je vais parler de cette question et je voudrais expliquer, arguments à l’appui, pourquoi je pense qu’il n’y a pas moyen de la payer et pourquoi aucune des formules techniques dont il est question ne résout le problème. Mais avant de poursuivre, je dois vous informer qu’aujourd’hui il y a eu ici dans cette salle une fausse alarme, on a annoncé que les États-Unis avaient décrété un blocus ou des mesures économiques punitives contre le Pérou.
Nous avons reçu une dépêche cet après-midi, voici comment elle essaie d’expliquer la situation :
« Le ministre péruvien des Affaires étrangères, Alan Wagner, a minimisé l’importance de la suspension de l’aide économique et militaire des États-Unis au Pérou qui a été annoncée ; il a déclaré qu’il s’agissait d’une affaire de moindre importance, qui a été montée en épingle par la presse internationale.
« Dans les déclarations qu’il a faites à la presse après une réunion avec l’ambassadeur des États-Unis dans cette capitale, David Jordan, le ministre des Affaires étrangères, souligne qu’il s’agit d’une erreur de l’agence de presse qui a diffusé la nouvelle en la liant à des questions sans aucun rapport avec cette affaire. Il a ajouté que l’application de l’amendement Brooke-Alexander est un dispositif légal que les États-Unis déclenchent automatiquement chaque fois qu’ont lieu des retards dans le paiement de la dette. Il a signalé que le Pérou doit effectivement à Washington quelque 100 000 dollars, une partie des retards mentionnés, que le paiement va s’effectuer sur-le-champ et il a estimé que cette dette n’avait pas vraiment d’importance, qu’elle est le résultat d’une erreur d’administration du gouvernement précédent, à qui il incombait de la rembourser.
« Wagner a insisté sur le fait qu’il s’agit d’un problème mineur, sans la moindre implication politique et auquel il convient de ne pas attacher plus d’importance qu’il n’en a. »
Dommage que nous ne l’ayons pas su plus tôt, cela nous aurait épargné un peu des angoisses qui ont été exprimées ici aujourd’hui !
« Le ministre péruvien des Affaires étrangères signale que tout le monde sait que le président Alan García a pris la décision de n’affecter que 10 p. 100 de ses exportations au paiement de la dette extérieure et que cette affaire n’a eu aucun effet négatif dans les relations avec les États-Unis.
« L’ambassadeur nord-américain affirme de son côté qu’il s’agit d’une légère erreur d’appréciation des informations qui ont été diffusées par les agences de presse internationales » – ces maudites agences qui ne font que semer la panique ! (Rires.) « Jordan a ajouté que le Pérou doit aux États-Unis quelque 100 000 dollars qu’il s’est engagé à payer ; c’est une question facile à régler » dit-il, et qui n’a rien à voir avec lé politique économique appliquée par le gouvernement péruvien. Il a réaffirmé qu’il s’agissait d’un malentendu, que la nouvelle avait été mal interprétée et que l’on avait établi un rapport avec des choses qui n’ont rien à voir avec cette affaire. Il s’agit d’une fausse nouvelle, les relations entre les deux pays sont bonnes, conclut Jordan. »
Ces Étasuniens sont des types sincères (rires), personne n’en doute, leur gouvernement est un vrai modèle ; tout cela n’a été qu’un malentendu, une erreur d’appréciation, une erreur quoi. La vérité – c’est mon impression, c’est pourquoi j’attendais la suite des événements lorsque certains compañeros s’impatientaient, voulaient connaître la réaction du Pérou – c’est qu’il s’agit d’un croc-en-jambe, d’une provocation, d’un piège, d’une peau de banane jetée en travers du chemin. Parce que l’amendement Brooke-Alexander, ils l’appliquent quand ils veulent, quand ça leur chante, et cette fois les choses n’ont pas traîné. Il y avait cette conférence et il semble qu’ils aient été pris d’une grande nervosité. Le gouvernement péruvien vient tout juste d’entrer en fonction il y a quelques jours, il se trouve qu’ils n’avaient pas appliqué la mesure au gouvernement précédent mais ils l’ont appliquée sur-le-champ au nouveau gouvernement dès qu’il a fait savoir qu’il n’allait pas discuter avec le Fonds monétaire et qu’il restreindrait le paiement de la dette à 10 p. 100 des exportations. Quelle coïncidence, n’est-ce pas ?
Et tout de suite, une première mesure : suspension de toute aide militaire et économique.
Je pense vraiment que le nouveau gouvernement péruvien a agi en toute sérénité, sans se laisser provoquer, mais les intentions sont claires. Nous sommes bien placés pour le savoir.
Je tenais à donner ces explications avant de poursuivre car il faudra également que je parle de la formule des 10 p. 100.
Je disais donc que les mathématiques démontraient que la dette est impossible à payer, en règle générale, et je suis convaincu qu’il n’y a pas d’exception à cette règle. J’ai écouté avec le plus grand respect, croyez-moi, tous ceux qui pensent qu’il est possible de payer et je continuerai à le faire, mais je ne suis pas de cet avis. Pour certains pays, la question ne se pose même pas et j’affirme que c’est tout aussi impossible dans les rares cas où il semble y avoir une possibilité.
Mais que signifient tous ces chiffres ? Il convient parfois de prendre des exemples concrets. Un jour j’ai eu l’idée de calculer combien il faudrait d’années pour compter la dette extérieure de l’Amérique latine si une seule personne le faisait à raison d’un dollar par seconde. Savez-vous combien d’années il faudrait ? 11 574 ! (Rires et applaudissements.) Après, je me suis demandé combien de temps il faudrait pour compter les intérêts à payer au cours des dix prochaines années. Savez-vous combien de temps mettrait une personne en comptant 24 heures sur 24 à raison d’un dollar par seconde ? 12 860 ans ! (Rires.) Mais on pourrait dire que nous exagérons, c’est vrai, que nous avons laissé un seul type compter tout seul. Eh bien, d’accord, prenons donc cent types et mettons-les à compter tous ensemble à raison d’un dollar par seconde (rires). Combien de temps leur faudra-t-il ? Cent vingt-huit ans. Comment peut-on payer en dix ans ce que cent personnes mettraient un siècle à compter à raison d’un dollar par seconde ? Et à supposer que tous les invités au dialogue, que les mille invités ici présents s’y mettent, il leur faudra plus de dix ans pour compter (applaudissements).
Une autre fois, j’ai pensé à faire le calcul par hectare (rires). L’Amérique latine doit 175,30 dollars par hectare, pratiquement le prix de l’hectare, et elle doit payer en dix ans – rien qu’au titre des intérêts, lorsque je parle de la somme à payer en dix ans, je ne parle pas du capital mais des intérêts – 194,80 dollars par hectare.
J’ai aussi eu l’idée de calculer combien elle devait par km2 : 17 530 dollars par km2, et il y a plus de vingt millions de kilomètres carrés. Combien l’Amérique latine devrait-elle payer par kilomètre carré au cours des dix prochaines années ? 19 478 dollars par kilomètre carré, rien que pour les intérêts. Nous avons pourtant entendu parler de latifundistes, d’exploiteurs, mais encore jamais de personne qui fasse payer si cher la location de la terre (rires). Combien doit chaque habitant ? C’est selon, vous le savez, mais la moyenne est de 923 dollars, et il y a 390 millions d’habitants sur le continent. Combien faudra-t-il payer rien que d’intérêts, sans tenir compte du capital ? 1 025 dollars par habitant au cours des dix prochaines années. Franchement le coût de la vie est vraiment insupportable quand chacun de nous doit payer en moyenne 1 025 dollars rien que pour respirer !
Il y a des pays pas très grands, comme le Costa Rica, qui doivent 100 000 dollars par kilomètre carré. Comment vont-ils payer ? Eh bien il faudrait une petite mine d’or, une grande mine d’or même par kilomètre carré pour se procurer les devises nécessaires, car ce n’est pas de pesos costariciens qu’il s’agit, ni de sucres ou de bolivars ; c’est une dette en dollars qu’il faut se procurer sur le marché international en exportant des choses, à condition qu’on puisse les produire, qu’il y ait un marché pour les écouler et qu’on les paie à leur prix. Ce pays n’a rien de tout cela : rien à vendre, il n’a pas grand-chose – c’est un pays sous-développé – et le peu qu’il a n’est pas payé à son prix, il n’a pas de marché. Je dis donc que si quelqu’un me démontre que le Costa Rica peut trouver une mine d’or par kilomètre carré, s’il trouve 50 000 mines d’or, dans ce cas, peut-être. Si c’est de l’or pur, en pépites, dans ce cas, il pourra payer ; avec des pierres d’or comme celle qu’on trouve dans la rivière.
J’ai fait un autre calcul. Sur ce continent que l’on dit accablé par la faim, où il y a des gens qui consomment 1 200 calories ou moins par jour, où il y a tant de sous-alimentés, où il y a 110 millions de personnes au chômage ou sous-employées, ce continent qui, comme vous l’avez dit, souffre de malnutrition, où 70 p. 100 de la population vit dans les limites inférieures de la pauvreté ou au-dessous de ce seuil, j’ai calculé qu’avec ce qu’il faut payer d’intérêts on pouvait alimenter toute la population de l’Amérique latine. J’ai calculé qu’on pouvait donner à chacun de ses 390 millions et quelques d’habitants – j’ai fait le calcul avec 400 millions, soit dix millions de plus au cas où les rats mangeraient un peu de cette nourriture – au prix actuel du blé, 3 500 calories et 135 grammes de protéines à chacun, tous les jours, pendant dix-sept ans.
On demande à un continent accablé par le chômage, par la pauvreté de payer en dix ans, au seul titre des intérêts, l’équivalent de 3 500 calories et 135 grammes de protéines par jour, beaucoup plus que ce dont il a besoin pour vivre, pendant dix-sept ans. Est-ce logique ? Cela a‑t-il un sens ? Est-ce rationnel ? Or voilà quelle est la réalité, voilà ce que montrent lès chiffres.
Les faits démontrent qu’il n’est pas facile de payer ça. Comme je le disais, il faut des marchés. Et où sont ces marchés ? Le Fonds monétaire dit : « Que tout le monde exporte », mais que vont-ils exporter ? Plus de café ? plus de cacao ? plus de sucre ? plus de viande ? Non, puisqu’on va les payer toujours moins pour ces produits. Et exporter où ? si le protectionnisme se multiplie tous les jours suite aux mesures tarifaires et non tarifaires ; tous les jours un nouveau pays est touché : aujourd’hui le Mexique, hier un autre, demain un autre. Le Mexique a vu les recettes de ses exportations diminuer de trois milliards de dollars du fait de la suppression de certains tarifs douaniers préférentiels. Ils ont été purement et simplement biffés, d’un trait de plume.
Un des représentants de la Colombie parlait aujourd’hui des mines de charbon et effectivement un grand gisement de charbon qu’on peut exploiter à ciel ouvert est une richesse importante. Mais je sais qu’à la suite de la baisse du prix du charbon de 50 dollars à 39 dollars, les États-Unis se proposent de prendre une mesure protectionniste, d’imposer une taxe de neuf dollars par tonne pour que le charbon colombien ne puisse parvenir aux centrales électriques de l’est des États-Unis, où il y a à peu près soixante-dix-neuf centrales qui sont des acheteurs potentiels de ce charbon ; c’est-à-dire que les entreprises de charbon des États-Unis exigent un impôt. Et il peut parfaitement arriver qu’un pays fasse un gros effort, consente une énorme dépense et que, lorsqu’il commence à exporter son charbon, on lui impose un tarif douanier de neuf dollars, parce que ces messieurs ont beaucoup plus d’importance et de poids au Congrès des États-Unis qu’un pays latino-américain.
Contre le Japon seulement – car il y a une guerre générale et pas seulement contre nous – le Congrès des États-Unis a proposé plus de quatre-vingts mesures protectionnistes. Ils font des efforts désespérés pour briser toute concurrence, ils ne savent pas comment sortir du pétrin et inventent une fois de plus le protectionnisme. Ils imposent des mesures protectionnistes très sévères aux producteurs de sucre. Le représentant de la Martinique a parlé de la fermeture d’une sucrerie ; les Panaméens savent que la sucrerie Bayano qu’ils ont construite avec un grand barrage pour la production d’électricité et pour l’irrigation, une sucrerie moderne, est fermée depuis quatre ans.
Si en 1981 les États-Unis importaient 5 millions de tonnes de sucre, en 1984 ils n’en ont importé que 2,7 millions, cette année ils n’en importent que 2,6 millions et en 1987 ils n’en importeront probablement que 1,7 million. Comment l’économie de quelques pays qui produisent du sucre peut-elle supporter de voir le marché se réduire de 5 millions de tonnes à 1,7 en six ans du fait des subsides accordés à la production de sucre ?
C’est ce même marché qu’ils nous avaient enlevé lorsqu’ils distribuaient partout des bonbons : notre quota en échange de l’isolement de Cuba. Pourquoi oublient-ils ça ? Nous, nous ne voulons pas nous en souvenir, c’est triste mais c’est une chose passée. Maintenant c’est à d’autres qu’on enlève le quota. Serait-ce qu’ils ont fait une révolution socialiste ? Que je sache, à moins que je sois mal informé par la faute de ces agences de presse… (Rires et applaudissements.) Ils prennent ces mesures, ils demandent à nos pays d’augmenter les exportations pour ramasser des dollars, et en même temps ils ferment leurs marchés. Ils disent à tout le monde d’exporter et ils ferment les marchés. Où vont-ils exporter ?
Bien sûr, nous savons qu’il y a dans le monde des millions de besoins, mais ceux qui ont ces besoins n’ont pas l’argent nécessaire pour les satisfaire. Et on exige que les pays latino-américains payent les intérêts de la dette en dollars. Personne ne parle plus du capital, ni eux ne s’en préoccupent car ils savent que tous les huit ou neuf ans ils récupèrent le capital ; en trente ans, donc, ils le récupèrent trois fois et demie. Ils peuvent se passer du capital puisqu’ils règlent le problème avec les intérêts.
Où vont-ils exporter ? En outre, le Fonds monétaire leur dit : « II faut réduire les importations ». Mais comment vont-ils augmenter les exportations si, comme on l’a dit ici – et comme tout le monde le sait – il faut des intrants, des équipements, des pièces de rechange pour augmenter la production et les exportations ? Et s’ils réussissaient ce miracle pendant une année, comme quelques pays l’ont fait, ils ne pourraient continuer beaucoup plus longtemps, car les stocks de matières premières, de pièces, d’équipements s’épuisent et il faut les remplacer. Je ne parle même pas de développement. Cela ne peut durer qu’une année, le temps d’un éclair. Cependant, ils disent : « Oui, importez moins. » Avec quoi vont-ils augmenter les exportations ? Et s’ils les augmentent, où sont les marchés ? À quel prix achètera-t-on leurs produits ? On sait qu’en 1984, les pays latino-américains ont exporté pour 95 milliards de dollars. Ils ont fait un gros effort pour augmenter la production de 75 milliards à 95 milliards, et ce, avec des prix déprimés. En 1980, ils auraient obtenu le même pouvoir d’achat avec 75 milliards, donc avec 22 p. 100 de marchandises en moins. Ils ont travaillé pour produire plus, ils se sont tués à la tâche, ils ont réussi à exporter cette production et ça leur donne le même pouvoir d’achat qu’ils auraient obtenu avec 22 p. 100 de marchandises en moins quatre ans auparavant. Quel pays, quelle économie peut s’adapter à ces catastrophes et à leurs conséquences ?
Et ensuite le Fonds monétaire international vient leur dire : « En plus, vous devez lever les barrières douanières. » Il conseille à tout le monde de suivre les recettes de l’École de Chicago ou d’autres analogues. Le Fonds monétaire a toujours appartenu à l’École de Chicago et il dit : « Levez les barrières. Entrez dans le jeu de la concurrence ! » La concurrence entre le lion et l’agneau dont parlait Radomiro Tomic. Dans les couloirs, j’ai demandé à Radomiro : « Tu as bien dit entre le lion et le phoque ? » Et il m’a répondu : « Ne déformez pas mes paroles. J’ai dit : entre le lion et l’agneau et entre le requin et le phoque. » Tels sont les deux excellents exemples qu’a donnés notre ami Tomic dans sa brillante intervention d’hier.
Entrez dans le jeu de la concurrence ! Ah oui, ils vont entrer en concurrence avec les machines robots du Japon et avec la production automatisée. Et c’est ainsi que, comme me le racontait un Uruguayen, ils ont même fait entrer en concurrence une petite fabrique d’objets décoratifs pour les cheveux avec une transnationale de Corée du Sud ; au bout de quelques jours, la fabrique a fait faillite et a fermé ses portes et maintenant l’Uruguay importe les objets décoratifs pour les cheveux de Corée du Sud. C’est ça, leur recette. Ils disent : « Supprimez les barrières douanières », alors qu’eux, les pays industrialisés, en dressent contre nos produits.
Nous ne devons pas oublier toutes ces réalités. Si nous oublions l’échange inégal, si nous oublions les taux d’intérêt abusifs, si nous oublions tous les trucs qu’ils inventent et tous les actes de piraterie qu’ils commettent, alors nous pourrons rêver un jour, un seul jour, pas plus, que nous pouvons payer la dette. Mais il y a beaucoup d’autres réalités, et quand nous regardons ces réalités en face, je veux parler des réalités économiques, nous voyons que c’est impossible.
Ceci dit, est-ce que les formules techniques règlent le problème ? Non, aucune formule technique ne règle le problème. Justement, dans l’interview publiée par Excelsior, j’examine différentes hypothèse, j’en examine quatre. Et c’est à partir de ces quatre hypothèses que notre ami Juan Bosch a expliqué le problème de la République dominicaine, ce qui allait se passer avec la dette dominicaine. Et quelle que soit la variante, le problème est insoluble.
Maintenant, une nouvelle formule a été proposée. J’avais quant à moi examiné celle qui consisterait à payer avec 20 p. 100 des recettes d’exportations et je démontrais que cela ne réglait pas le problème. Et maintenant il y a la formule proposée par le nouveau gouvernement du Pérou : payer avec 10 p. 100. C’est indiscutablement un pas en avant par rapport à la situation actuelle que de décider qu’on ne va pas discuter avec le Fonds monétaire et qu’on va payer seulement avec 10 p. 100 des recettes d’exportations. On sait ce que rapportent les exportations du Pérou : exactement 3,1 milliards de dollars ; les importations se montent à environ 2,9 milliards, et la dette, à 14 milliards, comme on l’a dit ici. Rien que pour les intérêts, le Pérou doit payer plus d’un milliard par an. Le Fonds monétaire et l’impérialisme ne voient pas d’un bon œil cette proposition de payer avec 10 p. 100. Cependant, la formule des 10 p. 100 réglerait-elle le problème ? Je ne fais que parler en termes économiques, en termes arithmétiques. Et on peut voir clairement que cela ne règle pas le problème. J’ai demandé à quelques compañeros de faire les calculs par ordinateur – moi, comme vous le savez, je n’avais pas le temps puisque j’étais ici, à cette réunion, avec vous – et je leur ai formulé quatre autres hypothèses.
Le gouvernement péruvien dit qu’il va payer avec 10 p. 100 pendant un an. Et je dis quant à moi : d’accord, que l’Amérique latine applique la formule consistant à payer avec 10 p. 100, et pas seulement pendant un an, mais pendant vingt ans. Que se passerait-il ? À supposer qu’il y ait vingt ans de différé d’amortissement, que pendant ce temps on se contente de payer les intérêts de la dette avec 10 p. 100 des exportations sans amortir le capital, et même en supposant que ces exportations croissent, de façon à dépasser cent milliards par an – en ce moment les exportations ne les atteignent pas – donc en supposant que les intérêts ne dépassent pas dix milliards par an, que le taux reste approximativement ce qu’il est aujourd’hui et qu’on ne contracte pas de nouveaux emprunts, que se passerait-il ? Quelle serait la situation au bout de vingt ans ? Si cette formule était appliquée à l’ensemble des pays, toute l’Amérique latine aurait payé en vingt ans 200 milliards de dollars. Au bout de vingt ans – si on additionne le capital et les intérêts ainsi que les intérêts capitalisés, eux aussi soumis aux intérêts – avec la formule des 10 p. 100 et en ne payant que dix milliards par an, l’Amérique latine devra – permettez-moi de vous rappeler qu’en espagnol on dit un billion pour un million de millions – 2 075 140 000 000 de dollars, soit plus de cinq fois ce qu’elle doit aujourd’hui. Telle est le brillant avenir qui nous attend dans vingt ans avec cette formule, et l’on aurait payé, en espèces sonnantes et trébuchantes, 200 milliards. Et on peut en faire des choses avec 200 milliards bien investis ! Je parle de millions bien investis, non de millions qui prennent la fuite, vous le savez bien.
Une deuxième variante serait la variante miraculeuse : elle suppose vingt ans de différé d’amortissement, qu’on paye les intérêts de la dette avec 10 p. 100 de la valeur des exportations, sans fixer de limite, même si leur montant dépasse 100 milliards par an, les atteint arrive ou les dépasse, que le taux d’intérêt reste ce qu’il est actuellement et que la croissance des exportations atteigne le chiffre fabuleux de 10 p. 100 par an durant vingt ans. On pourrait demander aux Dominicains, ou à n’importe quel pays, s’il est possible dans l’absolu d’augmenter les exportations durant vingt ans au rythme moyen de 10 p. 100 par an sans recevoir un seul nouveau prêt.
Que se passerait-il au bout de vingt ans ? Eh bien, au bout de vingt ans, avec 10 p. 100 des exportations, qui augmentent elles-mêmes de 10 p. 100 par an, le continent aurait payé 572 752 000 000 de dollars d’intérêts. Et savez-vous combien il devrait encore, dans ce cas hypothétique et chimérique ? 1 198 715 000 000 de dollars, à peu près quatre fois ce qu’il doit aujourd’hui. Voici donc un « brillant » avenir. C’est ce que disent les mathématiques : Pythagore, Euclide, tous ces gens dont j’ai parlé.
Une autre variante miraculeuse : les intérêts sont réduits à 6% et, naturellement, on ne paie pas plus de 10 milliards par an. Comme dans la première variante, cela ferait 200 milliards en vingt ans et au bout du compte, à supposer que les intérêts soient la moitié de ce qu’ils sont aujourd’hui, le continent devrait 885 732 000 000 de dollars. Encore un « brillant » avenir ; nous voilà totalement « sortis » de la dépendance. II faudrait chercher quelqu’un pour faire le compte ; je me demande combien de temps il lui faudrait pour compter un à un les dollars dus dans cette hypothèse.
Quatrième variante, la « parfaite » : pas un centime de prêt supplémentaire et des miracles qui se produiraient au niveau des marchés, des prix, etc., des exportations qui augmenteraient régulièrement de 10 p. 100 pendant vingt ans, des intérêts de 6% et des paiements d’intérêts ne dépassant pas 10 p. 100 de la valeur des exportations. On ne peut rêver mieux. Mais que se passerait-il au bout de vingt ans ? On aurait payé 427 292 000 000 de dollars au titre des intérêts et la dette se monterait encore à 444 681 000 000. Quelque chose de fabuleux : 100 milliards de plus que maintenant ! « Brillant » avenir ! Et ceci à condition qu’une foule de miracles se soient produits. Donc, ce n’est pas un caprice. Et si au lieu de 10 p. 100 des exportations on choisit 5 p. 100, c’est la même chose, sauf que la dette augmente davantage.
Il faut bien comprendre le problème : la dette est un cancer, c’est un cancer qui s’étend, qui ronge l’organisme, qui épuise l’organisme ; c’est un cancer qui réclame une opération chirurgicale. Je vous assure que tout remède qui ne serait pas chirurgical ne vient pas à bout du problème (applaudissements). Il ne faut laisser aucune cellule maligne ; si vous laissez des cellules malignes, il y a métastase, la tumeur se reproduit et dévore rapidement l’organisme. II faut le comprendre : le mal est irréversible.
Quelques-uns ont parlé ici de maladies, de virus et de choses de ce genre. Monseigneur Méndez Arceo a parlé du virus des campagnes anticommunistes, d’autres ont recouru à d’autres images. Eh bien, rien ne ressemble plus à un cancer que la dette extérieure, et tout ce qu’on laisse de la tumeur, la moitié, le dixième, le centième, favorise sa reproduction.
L’impérialisme a créé cette maladie, l’impérialisme a créé ce cancer et il faut l’extirper au moyen d’une opération, radicalement. Je ne vois pas d’autre solution. Et tout ce qui s’écarte de cette idée s’écarte tout simplement de la réalité ; les formules techniques, les palliatifs ne servent pas à enrayer mais à aggraver le mal.
D’autre part, l’échange inégal est de plus en plus inégal. Je crois que cela, même un gosse du cours préparatoire le comprendrait ; il suffirait de lui enseigner un peu à compter et de lui donner une idée de ce que c’est qu’un million.
C’est ce que démontre toute analyse qu’on fait de la situation.
Donc, comment en sortir ? On a constaté qu’il y a un cancer, qu’il faut faire appel à la chirurgie, et il convient maintenant de se demander d’où vont venir les ressources pour payer le prix de cette opération. C’est la première question que je me suis posée : où sont les ressources ? Il est clair qu’il existe dans le monde bien assez de ressources pour extirper ce cancer qui afflige des milliards de personnes, et qui tue ! Je suis sûr qu’il tue plus que le cancer au sens propre : comptez donc tous les enfants du Tiers-monde qui meurent dans leur première année de vie, tous ceux qui meurent avant d’avoir atteint l’âge de cinq ans, tous ceux qui meurent entre cinq et quinze ans, calculez ce qu’est dans de nombreux pays l’espérance de vie par suite de la sous-alimentation et de la dénutrition. Et il y a plus terrible encore : la quantité d’handicapés physiques et d’handicapés mentaux. On a parlé ici hier de dizaines et de centaines de millions d’enfants dont les facultés mentales sont diminuées par la dénutrition.
Le cancer, le vrai, fait-il tant de mal ? Or, les médecins recommandent de l’extirper ! La dette tue beaucoup plus que le cancer.
Donc, y a‑t-il des ressources. Oui, il y en a. Et à quoi servent-elles ? À préparer la mort, la guerre, à accélérer la course aux armements, à augmenter les dépenses militaires. Un billion ! En une seule année, le monde gaspille, au jeu de la guerre et en dépenses militaires, un billion de dollars, bien plus que le total de la dette extérieure du Tiers-monde. N’est-ce pas d’une logique élémentaire ? Quel être humain ne le comprendrait-il pas ? Quel citoyen, quelle que soit son idéologie, ne peut-il pas comprendre qu’il vaudrait la peine de liquider cette dette avec une petite partie des dépenses militaires ? Car je ne parle pas de la dette de l’Amérique latine, je parle de la dette du Tiers-monde. Il suffirait de 12 p. 100 au maximum des dépenses militaires, compte tenu des intérêts.
Les dépenses militaires devraient aussi être affectées en partie à l’instauration du nouvel ordre économique international, d’un système de prix justes pour tous les produits du Tiers-monde, pour mettre fin aux mécanismes ignobles de l’échange inégal. Combien cela coûterait-il ? En gros, dans les 300 milliards de dollars par an. Le pouvoir d’achat des pays du Tiers-monde augmenterait, et ils ne vont pas garder cet argent, ils ont faim, ils ont trop de besoins pour garder cet argent, ils vont l’investir dans des industries, ils vont le dépenser d’une manière ou d’une autre. Il resterait encore 700 milliards de dollars pour les dépenses militaires, ce qui suffirait malheureusement à détruire plusieurs fois le monde. Une immense folie. On consent ces dépenses dans le monde, et nous devons prendre conscience du fait qu’il existe bien assez de ressources pour soigner ce terrible cancer, qui tue des dizaines de millions de personnes chaque année, qui fait tant d’handicapés, qui plonge des millions et des millions de personnes dans le malheur. C’est pourquoi nous associons les deux choses : annuler la dette, abolir la dette ne résout pas le problème. Nous en reviendrions au même point, parce que les facteurs qui sont à l’origine de cette situation subsisteraient. Les deux choses sont donc associées : il faut abolir la dette et établir le nouvel ordre économique international. »
[…]
(La suite dans le commentaire suivant 🙂 )
(Suite)
[…]
« Nous y avons ajouté d’autres idées, car il faut mettre tout ceci en pratique. Et comment s’y prendre ? D’abord, il faut favoriser la prise de conscience, parmi nous, les peuples d’Amérique latine et des Caraïbes, et pas seulement parmi nous, mais aussi parmi tous les peuples du Tiers-monde, ce qui nous renforcera ; favoriser aussi la prise de conscience parmi les pays industrialisés ; porter le message à l’opinion publique des pays industrialisés, lui démontrer que nous sommes en train de vivre une grande folie ; nous adresser aux travailleurs, aux étudiants, aux intellectuels, aux femmes, aux couches moyennes. Eux aussi ont leurs problèmes, et peut-être la guérison de nos maux les aidera-t-elle à résoudre quelques-uns des leurs.
Il est très important de dire à l’opinion publique des pays industrialisés : ces formules que nous proposons ne vous font pas de tort, elles ne vont pas augmenter vos contributions, vos impôts, à condition que les ressources qu’on utilise sont soustraites aux dépenses militaires.
Nous devons envoyer un message à ceux qui déposent leur argent dans les banques. Lorsqu’ils disent que n’importe laquelle de ces formules mine le système financier mondial, il faut leur répondre : non, c’est un mensonge. Si les ressources qui serviront à résoudre les problèmes de la dette et du nouvel ordre économique international sont soustraites aux dépenses militaires personne ne perdra l’argent qu’il a déposé en banque.
Il ne faut pas oublier que dans le monde capitaliste industrialisé ils sont des millions à ouvrir un compte en banque, même les ouvriers, les couches moyennes, les professions libérales, beaucoup de gens le font et on leur dit que les formules que nous proposons vont provoquer l’écroulement du système bancaire et qu’ils y perdront leur argent.
II faut porter ce message aux ouvriers, dont le fléau est le chômage, car c’est le fléau de l’Europe, le fléau des États-Unis, leur dire : cette formule élèverait le pouvoir d’achat des pays du Tiers-monde, les industries seraient plus utilisées et il y aurait plus d’emplois dans les pays industrialisés.
Quelqu’un a fait-circuler ici article intitulé : « Castro, keynésien ». J’ignore si c’était une question ou une affirmation. Je vais vous dire la vérité : je ne me rappelais même pas l’existence de Keynes lorsque je me suis mis à réfléchir à ces réalités. Il peut effectivement y avoir une certaine ressemblance ; la hausse du pouvoir d’achat de cette énorme masse de nécessiteux du Tiers-monde va évidemment augmenter les exportations et redresser la situation de l’emploi dans le monde capitaliste développé. Le capitalisme n’en sera pas sauvé pour autant ! Car il n’y a pas moyen de sauver le capitalisme ! Pour le Tiers-monde, le problème consiste à ne pas mourir avant le capitalisme (applaudissements). Voilà quel est le problème.
S’ils continuent de tuer le Tiers-monde de faim, s’ils continuent d’investir des sommes énormes dans les armements, ils peuvent liquider la vie sur la Terre en l’espace de quelques jours. Il est possible que l’humanité meure avant que ne meure le capitalisme, et il vaudrait bien la peine de leur mettre une camisole de force, une petite camisole de force, et de leur dire : au lieu d’un billion, vous allez dépenser 600, 700 milliards. Il vous reste assez d’argent pour vos folies, pour les folies que vous êtes en train de faire.
Je suis convaincu que le monde sous-développé, le Tiers-monde pourrait leur imposer cela. Allons-nous renoncer à l’idée de lutter ? Allons-nous être pessimistes ? Allons-nous croire que l’opinion, la conscience, la volonté, notre faculté de convaincre l’opinion publique des pays industrialisés ne valent rien, ne servent à rien ?
Car ils ont deux problèmes et deux grandes craintes. L’homme du Tiers-monde n’a pratiquement pas le temps de penser à la guerre parce qu’il meurt tous les jours. Ceux du monde riche ont des tas de belles choses, de choses magnifiques, d’excellentes villes, tout le confort, ils sont à peu près bien nourris. Mais ils ont deux grands soucis : la guerre et le chômage. Je crois qu’il est absolument correct, tactiquement correct, d’associer nos problèmes – le sous-développement, la pauvreté, toutes ces calamités sociales dont on a parlé ici – aux préoccupations de l’opinion publique du monde industrialisé : en premier lieu le danger de guerre, car eux, ils ont tout le temps de réfléchir à ce que pourrait signifier une guerre, et ils voient clairement que cette folie qui consiste à accumuler de plus en plus de dizaines de milliers d’armes nucléaires peut conduire – et conduira sans aucun doute, si on n’y met pas un terme – à un grand désastre.
Nous pouvons associer nos préoccupations aux préoccupations pour la paix et pour le chômage qui existent dans le monde industrialisé. Nous devons être capables de transmettre ce message.
Et il y a dans ces pays beaucoup de gens qui pensent. Tous ne sont pas propriétaires de transnationales, tous ne sont pas bellicistes. Je crois même que cette lutte peut contribuer à isoler les bellicistes, les va-t-en-guerre.
Naturellement, l’impérialisme a besoin d’armes. Quelqu’un demandait ici – je ne me rappelle pas si c’est López Michelsen ou Capriles – si ce que nous proposions c’était le désarmement, la fin de la course aux armements pour l’Occident seulement, ou aussi pour les pays socialistes. Lorsque le président de l’Équateur, Febres-Cordero, est venu en visite dans notre pays, je lui ai parlé de ces problèmes et il m’a posé la même question : « Cela veut-il dire que seuls les Occidentaux doivent se désarmer ? » Non, bien sûr que non, lui ai-je répondu, si je disais que l’Occident devait se désarmer unilatéralement alors que les pays socialistes continueraient de s’armer, ce ne serait pas honnête, ça ne mériterait pas le moindre respect (applaudissements).
Ce qui se passe, c’est que je sais ce que pensent les pays socialistes. Les pays socialistes ont connu la guerre pour de bon, beaucoup plus que l’opinion publique des États-Unis. Pendant la deuxième guerre mondiale, l’Union soviétique a eu vingt millions de morts ; la Pologne, six millions ; la Yougoslavie, un million et demi. La guerre ne s’est pas livrée sur le territoire des États-Unis, qui n’ont eu que quelques centaines de milliers de morts, qui ne savent pas ce que c’est que la guerre, alors que le souvenir de la guerre est encore très frais dans la conscience des pays du camp socialiste. La guerre ne les a jamais intéressés. On les a entourés de bases nucléaires, on les a encerclés avec des cuirassés, des sous-marins, des bombardiers, toutes sortes d’armes. Et il y a des gens qui se demandent pourquoi ils s’arment. C’est comme si vous nous demandiez à nous pourquoi nous nous armons, avec le voisin que nous avons, qui nous menace tous les jours. En réalité, je vous le dis, que peut faire un pays comme le nôtre sinon se préparer à vendre bien cher sa vie. Et pas seulement à vendre bien cher sa vie, mais aussi à faire échouer une agression contre le pays ! (Applaudissements.)
Dans notre pays aussi, malheureusement, l’uniforme suscitait la méfiance, la réserve, et même, en général, la crainte et la haine. Aujourd’hui, chaque homme, chaque femme du pays a son uniforme. Je pense à ce que disait, avec une honnêteté extraordinaire, impressionnante, le prêtre bolivien sur ses impressions et ses préjugés par rapport à Cuba. Ça me rappelait bien sûr le poison dont parlait Méndez Arceo, car ils sont devenus spécialistes dans l’art de produire des toxines à partir de ce qu’il appelait la pire manifestation de la guerre biologique. Heureuse métaphore pour montrer ce qu’est la propagande impérialiste ! C’est répandre du poison partout, et en grandes quantités. Mais aujourd’hui notre peuple respecte l’uniforme ; bien mieux, il l’aime : tous les hommes en ont un, toutes les femmes en ont un, car l’exercice des armes n’est plus le fait d’un groupe, il est le fait de tout le peuple, de tous les hommes et de toutes les femmes aptes à combattre dans ce pays, et les armes sont aux mains du peuple, elles sont aussi dans les usines et les centres de travail ! (Applaudissements.) Personne n’a rien à craindre des uniformes ni des armes ; c’est l’ennemi qui nous a imposé ça. Je dis aussi que si la fonction du militaire est parfois déshonorante, la fonction du combattant, du soldat peut être très digne et très honorable, surtout – et uniquement, pourrions-nous dire – lorsque la cause du soldat est la cause du peuple (applaudissements).
Nous savons aussi ce que nous pourrions faire avec l’argent que nous investissons dans les armes, et à quel point il est dur d’investir des sommes considérables dans les tranchées, les forteresses, les tunnels, les fortifications de toutes sortes, d’affecter des dizaines de milliers d’hommes dans la fleur de l’âge, des techniciens, des équipements, des ressources au service de la défense. Nous savons combien de logements et d’écoles nous pourrions construire avec les fonds que nous consacrons à ça.
Nous avons déjà ouvert des milliers d’écoles : des écoles primaires, des écoles secondaires, des instituts technologiques ; tous les enfants et les jeunes de ce pays ont une école, mais nous voudrions aussi avoir une école d’art par province, des écoles d’orientation et de formation professionnelles. Notre programme avance petit à petit, mais ce n’est jamais assez, car les besoins sont illimités. Lorsque vous avez les écoles, les hôpitaux, les médicaments, il vous faut encore les logements et lorsque vous avez les logements, il vous faut encore des centres de loisirs, d’autres choses qui coûtent de l’argent. Lorsque le niveau moyen de scolarité équivaut pratiquement au premier cycle du second degré – c’est le cas aujourd’hui dans notre pays – de nouvelles aspirations surgissent, toutes les provinces veulent leur école d’art, leurs groupes de théâtre, de musique, de danse.
Les ressources que nous avons dû affecter ces vingt dernières années à la défense n’auraient-elles pas été mieux investies dans tout ça ? Qu’avons-nous à faire d’armes ? Pourquoi un pays socialiste voudrait-il des armes ? Qu’a‑t-il à faire de la course aux armements ? A quoi peuvent lui servir les guerres ? Le socialisme, tel que je le conçois, tel que le conçoivent tous les socialistes et tous les véritables révolutionnaires, n’a rien à voir avec les armes. II faut être fou pour penser que la contradiction socialisme/capitalisme pourrait se résorber dans le monde contemporain par les armes !
Celui qui a besoin d’armes, c’est l’impérialisme, parce qu’il est à court d’idées (applaudissements). Pour maintenir ce système d’opprobre, pour maintenir toutes ces situations dont on a parlé ici, il faut des armes, il faut recourir à la force. Mais s’il y a des idées, s’il existe des idées, on peut les défendre et les faire triompher ; les idées n’ont pas besoin d’armes dans la mesure où elles sont capables de rallier les grandes masses. Nul ne peut penser résoudre la contradiction socialisme-capitalisme par la force, il faut être fou pour croire ça. Ceux qui croient ça, ce sont les impérialistes, et c’est pourquoi ils ont des bases militaires partout dans le monde, c’est pourquoi ils menacent tout le monde, ils interviennent partout.
Où sont les bases militaires des pays socialistes ? Les États-Unis ont des centaines de bases militaires, ils ont des escadres dans tous les océans du monde. On a parlé ici de l’île de Diego Garcia, on a parlé des Malvinas où ils ont installé une base, et ils en veulent maintenant une autre, à quatre mille milles du Chili, sur l’île de Pâques, pour y préparer leur guerre des étoiles. C’est devenu leur obsession de tous les jours : trouver une île, un îlot, un bout de terre pour maintenir par la force leur système de domination, leur système de pillage du monde. S’il existe une philosophie selon laquelle il faut piller le monde et puisque le pillage ne peut se maintenir que par la force, alors, cette foi aveugle dans les armes se justifie.
Si le socialisme ne veut rien retirer à personne, pas une parcelle de terre, s’il ne veut exploiter le travail, et la sueur de personne, pourquoi aurait-il besoin d’armes ? Seul l’impérialisme, avec ses agressions et ses menaces constantes, est responsable de nos dépenses en armes.
Je pars de cette conception et je sais que tous les pays socialistes sont parfaitement conscients de ce qu’ils pourraient faire avec les ressources qu’ils consacrent aux armes. J’en suis absolument certain, mais ça ne veut pas dire que j’ai envoyé une lettre aux dirigeants des pays socialistes pour leur demander si je peux dire ça, s’ils sont d’accord ou pas. C’est la logique la plus élémentaire qui me le dit, qui me donne la certitude de ne pas me tromper sur la pensée socialiste. Je suis tout aussi sûr que les pays socialistes, qui n’ont pas les problèmes du Tiers-monde – bien qu’il y ait des pays socialistes qui en font partie – sont aussi profondément préoccupés par les dangers de guerre. Je n’en doute pas le moins du monde, je le sais d’après les déclarations qu’ils ont faites, je connais leur façon de penser, je sais que les pays socialistes appuieraient aussi le Tiers-monde dans cette lutte pour résoudre les problèmes de la crise économique, de la dette et du nouvel ordre économique international (applaudissements).
Lorsque nous parlons d’abolir la dette, nous parlons de toutes les dettes qu’a contractées le Tiers-monde auprès du monde industrialisé, ce qui n’exclut pas les pays socialistes (applaudissements). Lorsque je parle du nouvel ordre économique international et de prix justes, je n’exclus pas, loin de là, les pays socialistes. Je suis sûr que ça représenterait pour eux des sacrifices, mais ils comprendraient et appuieraient.
J’ai parlé ici de la question des droits de la mer. Je me rappelle, que lorsque le Pérou, l’Équateur, le Chili, ont engagé cette bataille, les pays socialistes avaient déjà d’importantes flottes qui pêchaient en haute mer ; nous-mêmes, nous avions déjà une flotte importante. Historiquement nous pêchions aux abords des côtes du Mexique, des États-Unis, du Canada et d’autres pays lorsque les limites des eaux économiques étaient de 12 milles. Les 200 milles de zone économique exclusive nous portaient préjudice ; cependant, nous n’avons jamais hésité à appuyer les pays d’Amérique latine et du Tiers-monde dans cette revendication, à parler avec les pays socialistes, à leur demander leur soutien, et les pays socialistes ont appuyé la revendication des 200 milles. Les Péruviens le savent bien, Mercado Jarrin le sait bien, tous ceux qui appartenaient à ces gouvernements le savent. Et ça leur faisait un tort considérable, car les pays socialistes avaient investi des milliards dans de grandes flottes de pêche. Cela nous faisait du tort, mais nous avons fait partie de ceux qui ont défendu le plus énergiquement les 200 milles. On est maintenant parvenu à un accord, mais les États-Unis veulent être maîtres de tous les fonds marins en dehors des deux cents milles, et ils exigent pour leurs transnationales le privilège d’user et d’abuser de leurs technologies pour exploiter ces ressources sans la moindre restriction, pour obtenir du chrome à bon marché, des minerais à bon marché, à meilleur marché encore, pour ruiner plus encore le Tiers-monde qui n’a pas ces technologies pour aller chercher des minerais jusque dans les océans Pacifique, Indien ou Atlantique. Quel avenir nous réserve tout ça ?
Selon les accords sur les droits de la mer, les investissements devraient bénéficier à tous les pays. Les États-Unis refusent de l’accepter, comme d’ailleurs quelques-uns de leurs alliés.
Je ne doute pas que les pays socialistes appuieront cette cause. Ceci dit, il est très important que nous soyons conscients que ce combat n’est pas seulement celui de l’Amérique latine mais aussi de tout le Tiers-monde, et c’est ça qui fera notre force. Ils ont les mêmes problèmes que nous, plus graves, dans certains cas, mais c’est à l’Amérique latine de diriger cette lutte parce qu’elle est plus développée sur le plan social et même politique ; elle est dotée d’une structure sociale plus avancée, elle a des millions d’intellectuels, de membres de professions libérales, des dizaines de millions d’ouvriers, de paysans, un certain niveau de préparation politique, et elle parle une seule et même langue.
Les Africains sont dans une situation beaucoup plus désespérée : ils doivent presque 200 milliards mais leur situation est pire encore, ils dépendent bien plus des aliments qui leur sont envoyés de temps en temps au milieu d’une famine épouvantable, dans une situation plus terrible encore, si on peut dire, que celle de l’Amérique latine. Mais tous les pays du Tiers-monde, ceux qui luttent aux Nations Unies, au sein du Groupe des 77, ceux qui luttent pour le nouvel ordre économique international, ont conscience de ces problèmes.
L’Amérique latine parle pratiquement une seule langue. Ici les interventions ont été traduites en français, anglais, portugais. Les lusophones, qui constituent une partie importante de la population latino-américaine, écoutaient les interventions en espagnol et comprenaient parfaitement, et nous aussi nous les comprenions lorsqu’ils parlaient portugais. Les représentants de quelques pays anglophones, comme le Belize et Curaçao, où l’on parle papiamento – je crois que c’est ainsi que s’appelle leur langue – et même d’Haïti ont parlé ici espagnol. Autrement dit, la communication qui existe dans cette région n’existe dans aucune autre région du Tiers-monde : ni en Asie, ni en Afrique, ni nulle part ailleurs. Il est indiscutable que la région du monde qui est le plus en condition de livrer cette lutte est l’Amérique latine. En Afrique, il serait très difficile d’organiser une réunion comme celle-ci, et c’est vrai pour tout le Tiers-monde. II y a ici un développement politique supérieur, une structure sociale plus propice à cette lutte ; l’Amérique latine renferme un potentiel beaucoup plus élevé non seulement au plan économique, mais aussi au plan politique.
Voilà pour les principes de base II ne s’agit pas d’une seule idée, l’idée d’abolir la dette. Cette idée est à associer à celle du nouvel ordre. En Amérique latine elle est aussi associée à celle de l’intégration parce que même si on arrive à abolir la dette et à instaurer le nouvel ordre économique, sans intégration nous resterons des pays dépendants. Si on ne conçoit pas que l’Europe puisse vivre sans intégration, comment pourraient le faire ces pays, ces nombreux pays de dimensions diverses et de niveaux de développement divers ? Il y en a qui sont plus grands que d’autres. Le Brésil, bien sûr, a davantage de potentialités, mais même le Brésil a besoin de l’intégration, a besoin du reste de l’Amérique latine et des Caraïbes, tout comme le reste de l’Amérique latine et des Caraïbes a besoin du Brésil. Tous les pays de ce continent ont besoin de l’intégration et c’est pour ça qu’on parle d’intégration économique, une des questions que nous avons soulevées. C’est essentiel, c’est élémentaire. Ce sont des idées de base. Quand et comment tout ceci sera mis en pratique, c’est une autre question. Je crois que dans la mesure où ces idées sortiront des tours d’ivoire, dans la mesure où elles seront partagées par les masses, l’opinion publique, le peuple, dans la mesure où ces idées deviendront celles des ouvriers, des paysans, des étudiants, des intellectuels et des couches moyennes d’Amérique latine, tôt ou tard, et plus tôt qu’on ne le pense, elles triompheront, et en particulier l’idée de l’intégration économique (applaudissements).
II est clair que si, à une étape historique donnée, ceux qui ont la responsabilité d’avancer dans une direction n’avancent pas, les masses, elles, avancent, les dépassent et réalisent les objectifs historiques (applaudissements).
Il existe une autre idée essentielle, celle de l’unité, que nous avons commencé à promouvoir dès le premier moment : unité à l’intérieur des pays et unité entre les pays. À l’intérieur des pays, là où il existe des conditions minimum d’unité. C’est heureusement le cas, aujourd’hui, de la majorité des pays d’Amérique latine, mais pas de tous, comme nous l’avons expliqué minutieusement. On ne conçoit pas d’unité sous la tyrannie de Pinochet ou sous celle de Stroessner il y a d’autres cas, mais ils ne sont pas si nombreux. L’unité à l’intérieur parce qu’il faut de la force pour livrer ce combat au plan intérieur, et l’unité entre pays d’Amérique latine et entre tous les pays du tiers monde parce qu’il faut aussi de la force au plan extérieur. II faut aussi rechercher l’unité avec certains pays industrialisés, et je suis sûr que cette lutte pourrait bénéficier du soutien de nombreux pays industrialisés, ceux qui ne sont pas le centre du pouvoir mondial et qui, d’une façon ou d’une autre, ont aussi souffert de la politique monétariste et aventuriste de l’actuelle administration étasunienne.
Je crois que si cette lutte est menée de façon conséquente, les États-Unis resteront isolés avec une poignée de leurs partenaires, ceux-là même qui s’opposent aux sanctions contre l’Afrique du Sud de l’apartheid, ceux-là mêmes qui s’opposent à la signature des accords sur les droits de la mer. Je suis sûr que si cette lutte est menée de l’avant jusqu’à ses dernières conséquences, ils se retrouveront isolés. C’est pourquoi ils vont essayer par tous les moyens de nous diviser, de nous intimider. Rien d’étonnant à ce qu’ils aient lancé une peau de banane sur le chemin du Pérou, à ce qu’ils se soient livrés à cette provocation : ils sont nerveux.
Venons-en maintenant à une question importante, qui a été posée ici et qui m’a obligé à m’étendre. C’est Díaz Rangel qui l’a posée. C’est la deuxième fois qu’il me tend son piège, parce qu’il a fait la même chose à la réunion des syndicats : poser une question depuis la tribune. Je dis « piège » dans le bon sens, pas dans le sens impérialiste… Il a posé la question du dialogue : faut-il dialoguer ou non ? Je me suis mis à réviser un peu ce que j’ai dit à ce sujet. Je sais ce que j’ai dit, mais je voulais y regarder de plus près, puisque j’en ai déjà abondamment parlé.
J’ai parlé de ces problèmes dans mon interview au journal Excelsior – vous en avez le texte, car vous avez reçu une documentation abondante. Vous avez eu accès à une grande quantité de brochures. Il est vrai que vous n’avez sans doute pas eu le temps de les lire ; même Díaz Rangel, parce que s’il l’avait bien lue il n’aurait pas posé la question (rires). Je disais donc :
« Imposer l’embargo économique au Tiers-monde, ou nous envahir pour des histoires de dette, comme on l’a fait dans les premières décennies de ce siècle en Haïti, en République dominicaine et dans d’autres pays ; se repartager le monde pour garantir les livraisons de matières premières et les marchés, comme ça se passait à d’autres époques, c’est aujourd’hui absolument impossible.
[…]
« La lutte pour une demande aussi rationnelle que la solution de l’endettement extérieur et des relations économiques justes entre les pays du Tiers-monde et le monde industrialisé est si cruciale pour la survie et l’avenir des peuples latino-américains qu’elle pourrait compter, à ne pas en douter, sur le soutien de toutes les couches sociales et donner lieu à une grande unité non seulement dans chaque pays, mais aussi dans l’ensemble des pays latino-américains, et qu’elle serait soutenue sans la moindre hésitation, avec enthousiasme et décision, par tous les pays en développement d’Asie et d’Afrique.
« Je suis même convaincu que de nombreux pays industrialisés soutiendront ces revendications. Tout comme je suis convaincu que l’idéal, ce qui serait le plus constructif, c’est que ces problèmes se règlent par un dialogue politique et des négociations, en vue de mettre en œuvre des solutions essentielles d’une façon ordonnée. Autrement, il ne fait aucun doute qu’un certain nombre de pays, en proie au désespoir, seront contraints d’adopter des mesures unilatérales. Ce n’est pas désirable, mais si c’est le cas, je n’ai pas non plus le moindre doute que tous les autres pays en Amérique latine et dans le reste du monde se joindront à eux. » (Applaudissements.)
Cette idée est reprise dans l’entretien que j’ai eu avec un professeur et un représentant étasunien, qui sera édité sous forme de livre, en particulier tout ce qui a été dit sur les questions économiques. Cet entretien aussi est déjà imprimé. Je cite :
« …les pays industrialisés n’ont en ce moment aucune formule rationnelle, efficace pour combattre la crise.
« Je crois que la difficulté principale réside dans l’incompréhension de la nature et de la gravité du problème ( … ) L’annulation de la dette ( … ) avantagerait même (…) les entreprises qui ont des relations commerciales avec ces pays, les entreprises qui produisent des marchandises pour ces pays, tandis que les États des pays créanciers ne seraient pas touchés économiquement, bien au contraire, puisqu’ils pourraient accroître les niveaux d’emploi et mieux utiliser les capacités industrielles ; leurs banques n’essuieraient pas de pertes, leurs contribuables ne devraient pas payer d’impôts supplémentaires,
« Si l’on comprend cela, si on en prend conscience, je crois que cela fraierait considérablement la voie à la solution, par le dialogue, par des accords entre pays industrialisés et pays du Tiers-monde. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, cela ne toucherait que la course aux armements insensée, la folie frénétique des armes et de la guerre, et dans une bien faible proportion, malheureusement. C’est là une mesure très salutaire, car on pourrait commencer à vaincre la maladie la plus ignoble et dangereuse de notre époque. Si le nouvel ordre économique mondial proclamé et accordé par les Nations Unies était appliqué en complément indispensable de l’annulation de la dette, alors, oui, cela impliquerait une réduction accrue des dépenses militaires.
[…]
« Si l’on n’obtient pas une solution sur ce point, que va-t-il se passer ? Eh bien, au lieu d’y parvenir par un accord négocié entre les parties, les pays du Tiers-monde vont l’imposer, vous pouvez en être sûr. Le fond du problème est bien simple : il leur est matériellement impossible de rembourser la dette et ses intérêts, et ils ne pourront pas la rembourser pour cette raison aussi élémentaire que compréhensible : cela coûterait des torrents de sang d’imposer aux peuples les sacrifices que ce remboursement impliquerait, et tout ça pour rien. Aucun gouvernement n’aurait assez de pouvoir pour y parvenir. Cette question mérite d’être analysée, discutée et résolue d’un commun accord entre créanciers et débiteurs. N’oubliez jamais que l’initiative est maintenant entre les mains des nations dont on exige un sacrifice si monstrueux.
« Si les pays débiteurs du Tiers-monde sont obligés de décréter unilatéralement une suspension des paiements, les pays industrialisés auront perdu toute possibilité d’action de rechange. Un embargo économique, une invasion du Tiers-monde, un nouveau partage du monde, comme dans les siècles précédents, pour s’assurer les matières premières et les marchés ou se faire rembourse la dette, est purement et simplement impossible, toute personne sensée le comprend. On ne pourrait même pas imposer un embargo économique à un pays ou à un groupe de pays qui auraient décrété une suspension des paiements, car cela susciterait immédiatement la solidarité des autres.
« Nous sommes une grande famille, et les temps ont beaucoup changé. Quelques folies ont été dépassées et d’autres, dont j’ai analysé certaines pendant cette interview, ne tarderont pas à les suivre. »
Autrement dit, nous n’avons pas fait de déclaration de guerre aux pays industrialisés ; nous ne faisons que leur dire ce qui se passe et ce qui va se passer. À mon avis, il est préférable qu’ils en prennent conscience et que nous nous asseyions tous à la table des conversations. II ne s’agit pas de converser pour payer la dette, entendons-nous bien, mais de converser sur le nouvel ordre économique international (applaudissements). Pour imposer l’abolition de la dette, il n’est pas strictement indispensable de négocier, mais pour le nouvel ordre économique, c’est tout à fait indispensable. Les bases étant claires, les conversations peuvent porter sur les deux questions : comment abolir la dette, de quelle façon. Nous leur avons montré le remède dont ils ont besoin, dont leurs banques ont besoin. Ils devraient nous être reconnaissants de leur dire : voilà, il va se passer telle et telle chose, et nous proposons des solutions à vos propres problèmes.
Je reste convaincu que l’idéal serait qu’ils prennent conscience des réalités. Cela veut-il dire que je compte là-dessus ? Naturellement, ils sont aujourd’hui plus inquiets que jamais, ils ont vraiment commencé à s’inquiéter, et il est bon, très bon qu’ils s’inquiètent. Ce qui serait grave, c’est qu’ils soient totalement indifférents à cette tragédie.
S’ils sont conscients, s’ils comprennent bien cela, s’ils se rendent compte que la dette est impossible à payer, nous pourrons nous asseoir à la table des conversations pour voir de quelle façon élégante, charitable, nous abolissons la dette.
S’ils ne prennent pas conscience, si la situation continue d’évoluer dans le même sens, il va se passer – et on en voit déjà des signes annonciateurs – ce que nous avons prévu : quelques pays, désespérés, vont prendre des décisions unilatéralement, et ils bénéficieront alors de la solidarité de tout le reste de l’Amérique latine et du Tiers-monde. C’est certain, je n’en doute pas le moins du monde.
Le souvenir des Malvinas est encore frais : malgré la terrible situation politique que connaissait ce pays au plan interne, les peuples d’Amérique latine n’ont pas hésité à appuyer le peuple argentin, et les peuples du Tiers-monde ont réagi de même. Il y avait ici même, dans cette salle, une réunion de ministres des Affaires étrangères des pays non alignés pendant ces journées de guerre ; le sujet a été abordé, le ministre argentin était là, nous avons conversé avec les représentants des pays du Tiers-monde, et ils ont été presque unanimes à appuyer le peuple argentin dans le conflit des Malvinas.
Or, dans la lutte des Malvinas, personne n’avait rien à gagner ou à perdre économiquement parlant, c’était une question sentimentale, affective, une question de principe, de condamnation du colonialisme. Mais dans une situation où il y va de la vie ou de la mort de tous les peuples d’Amérique latine et du Tiers-monde, si un groupe de pays désespérés, ou même un petit groupe de pays ayant un certain poids économique engagent cette bataille, ils seront appuyés, je n’en doute absolument pas, par le reste de l’Amérique latine et du Tiers-monde, et leur soutien sera dix fois plus énergique que celui qu’ils ont apporté à l’Argentine pendant la guerre des Malvinas (applaudissements).
Dans cette lutte, nous avons été en contact avec les pays d’Afrique et avec les pays du Tiers-monde. Toute cette documentation dont on vous a inondés a été envoyée aux Nations Unies, une bonne partie a été envoyée aux chefs d’État, aux chefs d’État des pays industrialisés, aux chefs d’État des pays du Tiers-monde. On a travaillé et lutté pour essayer de former une conscience qui garantisse la solidarité. Et aujourd’hui, il y a déjà eu des signes, il ne s’en est pas fallu de beaucoup pour que se déchaîné la solidarité avec le Pérou. En effet, que personne ne doute que si l’impérialisme prend des mesures de cette nature contre le Pérou ou contre tout autre pays se voyant dans l’obligation d’adopter des mesures unilatérales, même si ce ne sont pas des mesures radicales, que si l’impérialisme prend des mesures économiques contre ce pays ou contre tout autre pays dans des conditions similaires, ceux-ci auront droit à toute notre solidarité, et je suis sûr qu’ils auront droit à votre solidarité, à la solidarité de l’Amérique latine et du Tiers-monde. Je n’ai aucun doute là-dessus (applaudissements).
Ici on joue cartes sur table. C’est une stratégie ouverte, claire, transparente, et une partie de cette stratégie a consisté à créer une conscience ; l’un des objectifs fondamentaux de la diffusion de tous ces documents est de créer une conscience pour la solidarité. Je suis convaincu, j’ai la certitude absolue que c’est un mécanisme sûr. L’impérialisme sèmera des peaux de bananes, mais au moment où il s’y attendra le moins il pourrait bien glisser lui-même dessus (applaudissements).
Il existe une autre idée essentielle, et là Capriles a démontré qu’il avait saisi l’essence du problème lorsqu’il a dit : « Si nous leur imposons une suspension de paiement ou un moratoire, ils devront s’asseoir et discuter. » Il a compris l’essence de l’idée.
Et alors, comment tout ça va-t-il s’agencer, comment cela va-t-il évoluer ? Des formules commencent à apparaître. On a même dit ici qu’un théoricien de l’impérialisme a déjà proposé un Plan Marshall. Quand j’ai lu ca, ça m’a fait rire et je me suis dit : Le problème est si grave que ce n’est pas un Plan Marshall qu’il faudrait, mais vingt. Et ils n’ont même pas d’argent pour ça, sauf s’ils renoncent à. leurs folies bellicistes. Comme on peut le voir, toutes sortes de formules font déjà leur apparition.
S’ils ne veulent pas discuter du problème de bon gré il faut les y obliger. C’est là une idée essentielle. Ça signifie que ce sont les pays du Tiers-monde qui ont l’initiative. Je me souviens que quand je suis allé aux Nations Unies – on devait alors 335 milliards – nous proposions, dans le cadre des formules des Nations unies, d’affecter 300 milliards de dollars additionnels au développement pour la décennie des années 80. A cette époque, nous tendions la main : s’il vous plaît, la situation est grave, il faut des ressources, il faut résoudre ces problèmes. Mais ils ont fait la sourde oreille, et nous en sommes arrivés à cette situation intenable.
Aujourd’hui, comme nous l’avons expliqué à une occasion, nous ne demandons pas, nous donnons, et ce n’est pas très difficile de laisser ses bras tranquilles, de ne pas plonger la main dans sa poche pour en sortir des ressources, de ne pas continuer à se laisser piller. Et là il n’y a pas à faire appel aux armes, dans ce cas, ils ne peuvent pas utiliser les armes contre les pays du Tiers-monde, même avec leur guerre des étoiles ils ne pourront pas recouvrer leur dette ; ils ne pourront pas la recouvrer même avec des armes spatiales, même avec des armes nucléaires, rien n’y fera. Comme nous le disions aux Nations Unies, avec des bombes on pourra tuer les affamés, les ignorants, les malades, mais on ne pourra pas tuer la faim, l’ignorance, les maladies, la pauvreté (applaudissements).
C’est de nouveau une lutte de l’esprit, de la conscience contre la technologie, et face à la réalité, face à plus de cent pays qui se trouvent dans cette situation, face à plus de cent pays qui sont dans leur plein droit, qui ont la raison pour eux, toute leur technologie est inutile ; elle est réellement impuissante à empêcher notre unité d’action. Voilà ce que nous disons.
Naturellement, il y aura une solution. L’idéal est un consensus préalable. Mais parviendra-t-on à un consensus des pays débiteurs d’Amérique latine avant que la crise se déclenche ? L’idéal est un consensus préalable et une discussion avec les créanciers, mais cela arrivera-t-il ? Le plus probable, c’est que des crises sérieuses éclatent et qu’à la suite de ces crises ils veuillent négocier ; c’est le plus probable. Personne ne peut prévoir exactement ce qui va se passer, mais pour ma part je n’ai jamais vraiment cru à un consensus avant la crise bien que je ne pense pas que cela soit impossible. II se peut que, la situation s’aggravant, ce consensus préalable entre les débiteurs se produise ; ce n’est pas impossible, mais c’est à mon avis peu probable.
Mais si cette lutte continue, si les masses prennent conscience de la situation, si chaque citoyen de nos pays comprend le problème, les possibilités d’exercer une influence et de créer des conditions favorables augmentent ; un gouvernement ne peut livrer cette bataille tout seul, alors on pourrait faire en sorte qu’ils adhèrent à l’idée d’une réunion pour adopter une politique, pour prendre une décision ferme et correcte.
Je vous ai expliqué tout cela pour que vous sachiez ce que nous pensons et que vous compreniez qu’il ne s’agit pas d’une guerre déclarée à l’avance ; mais nous connaissons bien l’égoïsme des exploiteurs, des pillards, et nous ne faisons que prévoir l’évolution possible des événements, bien que personne ne puisse savoir avec certitude ce qui se passera ; mais il faut être prêt à toute éventualité, c’est très important.
J’ai parlé fondamentalement de l’aspect économique du problème ; je ne vais pas m’étendre beaucoup plus, parce qu’il reste trois autres aspects extrêmement importants.
Nous disons : la dette est impossible à payer. Impossible à payer pour des raisons mathématiques, économiques, ce qui n’implique pas une appréciation morale, légale ou politique du problème. Dans aucun pays d’Amérique latine les gouvernements ne sont capables d’appliquer les mesures du Fonds monétaire ; dans aucun, même en mettant le pays à feu et à sang. Pinochet essaie de le faire, mais il se débat dans une crise croissante. Nous avons appris aujourd’hui la démission du chef des carabiniers – qui était à ce poste depuis des années – à la suite du sauvage assassinat de trois citoyens, qui ont été enlevés et égorgés.
Nous avions justement reçu il y a trois jours une lettre de la famille de l’une des victimes, qui laisse quatre enfants de onze, six, quatre et deux ans. Une lettre impressionnante qui contient un autoportrait et une poésie émouvante qu’elle a écrite et qu’on aurait dit faite pour lui. Trois victimes de plus, oui, mais déjà Pinochet a peur, le régime tremble devant les protestations de l’opinion mondiale et surtout devant les protestations du peuple, devant la colère du peuple, l’irritation du peuple (applaudissements). II ne pourra pas se maintenir au pouvoir encore longtemps.
Comment les gouvernements d’ouverture démocratique pourraient-ils appliquer ces mesures alors que, dans beaucoup d’entre eux, le niveau de vie a baissé de moitié ? On apprend qu’au Mexique, pays au régime constitutionnel stable, le pouvoir d’achat a baissé de 33 p. 100 au cours des dix-huit derniers mois et de 50 p. 100 au cours des trente derniers mois. Nous voyons les efforts héroïques que fait le gouvernement mexicain pour sortir de la crise et payer la dette ; cependant, tout au long de 1985, l’excédent indispensable de sa balance commerciale s’est réduit de façon soutenue.
L’excédent commercial des trois principaux pays exportateurs, le Brésil, le Mexique et l’Argentine, qui en 1984 a été de près de 30 milliards, atteindra cette année à peine 20 milliards, et ils doivent continuer à payer des intérêts qui se montent à 12 milliards pour le premier, 12 milliards environ pour le deuxième et 4 à 5 milliards pour le troisième. C’est une situation très difficile, pratiquement impossible à contrôler.
Il est très difficile aux gouvernements démocratiques d’appliquer indéfiniment les mesures de plus en plus dures qu’impose le Fonds monétaire. Si les pays essayaient de le faire, ils auraient à affronter une crise politique, et si, en assassinant à tour de bras, Pinochet n’y arrive pas, comment un gouvernement démocratique pourrait-il y arriver sans s’autodétruire ? Il est tout aussi impossible politiquement de faire payer cette dette, d’exiger du peuple les sacrifices qu’implique le paiement de cette dette.
Nous disions que c’est impossible moralement. Il est pratiquement inutile d’insister sur cet aspect du problème, dont on a beaucoup parlé ici, que tous ont exposé avec force, spécialement les chrétiens. C’est aussi un des points que nous avons exposés.
Il peut y avoir des cas, nous l’admettons, où avec ces crédits on a pu faire quelque investissement utile ; une petite portion de l’ensemble de la dette a été investie dans des projets utiles. Mais nous savons tous qu’une grande partie a été investie dans les armes, a été dilapidée, gaspillée, détournée et nous savons en outre qu’une grande partie n’est même pas arrivée en Amérique latine. Je crois que c’est le compañero Liber Seregni qui a signalé que les Latino-Américains ont 160 milliards de dollars déposés à l’étranger et c’est une estimation conservatrice, il est possible qu’il y en ait plus. La fuite des capitaux est logique dans ces conditions économiques : une inflation constante, une monnaie affaiblie, un dollar surévalué, des taux d’intérêt élevés aux États-Unis ; tout s’en va, jusqu’au dernier sou.
Actuellement, les fuites annuelles atteignent dix milliards de dollars – dix milliards de dollars ! Et il y a eu des années où dans un pays – le Venezuela, je crois – d’après la Banque mondiale, pour chaque dollar prêté il sortait 1,23 dollar ; c’est-à-dire que non seulement le dollar qui arrivait – ou qui n’arrivait pas – au Venezuela en ressortait aussitôt, mais que 1,23 dollar pris sur les réserves ou les exportations du pays était déposé à l’étranger.
Cet argent va-t-il revenir ? Qu’est-ce qui pourrait le faire revenir ? Vous pensez qu’avec cette situation il va revenir ? Qui oserait rêver de créer ces conditions idéales, parfaites, attrayantes pour que l’argent, généreux, revienne spontanément dans nos pays, tout seul, à la nage, en nageant même contre le Gulf Stream ? (Rires.) Personne n’y croit, personne ne se l’imagine. C’est utopique. Tout ça est idéaliste, utopique, mais pas ce que nous proposons.
Qu’est devenu cet argent ? À qui va-t-on le faire payer maintenant ? On a donné ici des exemples déchirants. Edgardo Enríquez a demandé par exemple à cette tribune s’il devait rembourser l’argent qui a été remis à Pinochet pour assassiner ses enfants, pour assassiner ses petits-enfants, pour assassiner et faire disparaître d’autres êtres chers.
La compañera indigène de l’Équateur a aussi souligné cet aspect avec éloquence quand elle a demandé : qu’ont reçu les communautés indigènes ? Ont-elles reçu une école, un hôpital ou autre chose de ce genre ? Et maintenant, elles devraient payer ?
Beaucoup ont commenté tous ces aspects moraux. Quelqu’un a dit, je crois que c’est le représentant de Belize, que dans la législation anglaise la dette de jeu ne se paie pas, apportant ainsi un élément de caractère légal. J’ai cité l’exemple de quelqu’un qui emprunte 1 000 dollars, joue cette somme à la roulette et perd tout ; on demande ensuite à son fils de cinq ans de rembourser les 1 000 dollars. C’est indéfendable du point de vue moral, et c’est très important parce qu’il ne s’agit pas seulement de ce qui est possible. « On ne peut pas » est un argument assez fort, mais « On ne doit pas » est un argument encore plus fort (applaudissements). Comme on l’a dit et répété ici, ça va à l’encontre des droits de l’homme les plus élémentaires.
Les Occidentaux parlent beaucoup des droits de l’homme et il se trouve qu’avec leurs méthodes – j’ai d’ailleurs eu l’occasion de le dire à quelques Étasuniens – ils assassinent tous les jours des milliers de personnes. À qui imputer la responsabilité de ce million d’enfants de moins d’un an qui meurent chaque année en Amérique latine ? Qui est responsable de leur mort ? Ici même, dans cette salle, lors d’une rencontre de pédiatrie, le directeur de l’UNICEF faisait remarquer que les choses iraient autrement en Amérique latine si seulement le niveau de santé des enfants était le même qu’à Cuba, où le taux de mortalité infantile ne dépasse pas 15 pour 1 000 enfants nés vivants – nous avons atteint cet indice l’an dernier. II a parlé de la réduction considérable de nos indices de mortalité pour les tranches d’un à cinq ans et de cinq à quinze ans ; de l’espérance de vie dans notre pays pour laquelle nous sommes d’ores et déjà à égalité avec les États-Unis. Car Cuba peut maintenant leur faire concurrence en matière de santé, bien qu’elle appartienne au Tiers-monde, et cela grâce aux efforts de nos médecins, de nos infirmières (applaudissements) ; parce que la Révolution s’est occupée de la santé, parce qu’il n’y a pas d’enfants mal nourris à Cuba, pas d’enfants sans chaussures, il n’y a pas mendiants, pas de drogue, pas de prostitution, il n’y a pas de jeu dans notre pays. Tous ces acquis sont bien connus (applaudissements).
En bavardant avec Frei Betto il n’y a pas longtemps, je lui disais ceci : si l’Église édifiait un jour une société régie par les principes qui sont les siens, cette société serait plus ou moins comme celle que nous sommes en train de construire, car je ne pense pas qu’elle accepterait la prostitution, le jeu ou la drogue (applaudissements). Est-il quelque chose qui puisse avoir plus de force morale que l’œuvre humaine d’une révolution qui évite aux femmes la tragédie de la prostitution, une tare terrible dans nos pays, au même titre que la drogue, le jeu, la mendicité ? Nous avons éliminé ces calamités sociales, de même que l’insalubrité, l’analphabétisme, le chômage, c’est là un des corollaires d’une Révolution qui a apporté la justice au peuple.
Que disait donc le directeur de l’UNICEF ? Que si les pays d’Amérique latine avaient les indices de santé de Cuba, 800 000 enfants échapperaient à la mort chaque année, huit cent milles enfants ! Et si c’est le directeur de l’UNICEF, un organisme des Nations unies, qui le dit, moi je demande : Et qui tue chaque année ces 800 000 enfants de moins d’un an ? (Applaudissements.) Qui tue ces millions d’enfants de un à quinze ans ? Qui a réduit l’espérance de vie à quarante, quarante-cinq et cinquante ans dans tant de pays et pendant tant de siècles ? C’est bien ce qui s’est passé et continue à se passer à notre grande honte. C’est l’exploitation qui les tue, le colonialisme hier, l’impérialisme aujourd’hui. Toutes ces vies ne comptent pas ? Et ces millions d’enfants handicapés physiques ou mentaux de naissance, qui est responsable de tout ça ? A qui la faute ?
Logiquement, du point de vue des principes, il est clair que c’est l’impérialisme.
Et s’il y a cent dix millions de chômeurs et de sous-employés, à qui la faute ? Il faut commencer par chercher le coupable. Il ne suffit pas de citer des chiffres, des statistiques, il faut aussi se demander pourquoi, se demander combien de temps cette situation va encore durer.
Le recouvrement de la dette et le système injuste de relations économiques actuellement en vigueur constituent la plus flagrante, la plus brutale des violations des droits de l’homme, de toutes celles qu’on peut imaginer. On a dit que la dette avait déjà été payée, qui sait combien de fois avec tout ce que l’on nous a volé ! Rien que l’an dernier, on nous a volé 20 milliards de dollars par le biais de l’échange inégal, 10 milliards par celui des fuites de capital, 37,3 milliards au titres des intérêts, et 4 à 5 milliards qui sont à mettre au compte de la surévaluation du dollar, 70 milliards en un an, 70 milliards de pillés ; il y a eu une entrée de 10 milliards, des investissements et quelques prêts, tandis que les fuites qu’il est possible de comptabiliser se sont montées à 70 milliards. D’autres pertes ne peuvent pas être chiffrées comme le dommage occasionné par les mesures protectionnistes, le dumping et toutes ces pratiques mises en œuvre contre notre pays.
Un continent peut-il avoir un avenir dans ces conditions ? Y a‑t-il moyen de justifier un tel système ? Sans compter, c’est l’aspect moral du problème, que le Tiers-monde, et surtout l’Amérique latine, a financé le développement de l’Europe et des États-Unis pendant des siècles. Avec ces mines d’or et d’argent dont parlait Guayasamín ici, celles du Potosi et bien d’autres mines dont l’exploitation a coûté bien plus de vies qu’il n’a dit, bien plus de 4 millions ! Rien qu’au Mexique, la population est passée de six à deux millions d’habitants au cours des premières années de la conquête ; il y a eu quatre millions de morts rien que pendant les premières années qui ont suivi la conquête, des victimes de l’exploitation, des sévices corporels, de l’esclavage et même des maladies apportées par les Européens. Ce ne sont pas quatre millions de personnes mais des dizaines et des dizaines de millions qui sont mortes en travaillant comme esclaves, et pas seulement des enfants de l’Amérique : de l’Amérique et de l’Afrique.
Aux États-Unis, l’esclavage a encore duré près d’un siècle après cette fameuse Déclaration où il était proclamé avec autant de solennité que d’hypocrisie que tous les hommes naissent libres et égaux et reçoivent du Créateur le droit à liberté et à la vie. Des droits, oui, mais pour les Blancs européens, pas pour les esclaves, pas pour les hommes libres qui ont été amenés d’Afrique et réduits à l’esclavage dans ce continent, pas pour les Indiens qui ont été exterminés même après la fameuse Déclaration d’Indépendance et ses vérités irréfutables.
Qui a financé le développement des États-Unis eux-mêmes ? Ce sont les esclaves et, indirectement, nos peuples, les Indiens et les Noirs de l’Amérique latine et des Caraïbes, c’est nous qui, en finançant l’Europe, l’avons financé. Et maintenant nous continuons à les financer. Tout au long de l’histoire, les pays du Tiers-monde ont financé le capitalisme développé. Pourquoi donc cette dette ne pourrait-elle pas être abolie ? Ils exigent maintenant que nous payions. Cela me fait penser à ce que disait le compañero d’Haïti, à savoir que les esclaves ont dû indemniser les esclavagistes après avoir recouvré leur liberté.
Ceux-là même qui les ont amenés d’Afrique, qui les ont séparés de leurs familles et traités comme il n’est pas permis de traiter un être humain ceux qui les ont exploités, les ont tués de mille façons, ce sont eux, ce sont ces colonisateurs qu’ils ont dû indemniser pendant cent ans, après avoir recouvré leur liberté. Je pense que nous devons quant à nous conquérir notre liberté et n’indemniser aucun de nos oppresseurs (applaudissements).
On a avancé ici des arguments, y compris des arguments juridiques. López Michelsen a parlé d’exécution impossible ; d’autres fois, on a fait valoir des raisons de force majeure ; mais, à toutes ces raisons morales, politiques et économiques, il faut encore ajouter une série de raisons juridiques : qui a passé le contrat ? Qui jouit de la souveraineté ? En vertu de quel principe peut-on affirmer que le peuple s’est engagé à payer, qu’il a reçu ou concerté ces crédits ? La majorité de ces crédits ont été concertés avec les dictatures militaires, avec les régimes répressifs, sans jamais consulter les couches populaires. Pourquoi les dettes contractées par les oppresseurs des peuples, les engagements qu’ils prennent devraient-ils être honorés par les opprimés ? Quel est le fondement philosophique, le fondement moral de cette conception, de cette idée ?
Les parlements n’ont pas été consultés, le principe de la souveraineté a été violé, quels parlements ont été consultés à l’heure de contracter la dette, ou en ont simplement été informés ? Qui a été mis au courant des conversations, où a‑t-on voté ? Ils ont tellement hypothéqué nos pays que nous devons plus de 17 000 dollars par kilomètre carré en Amérique latine, et qui donc les a hypothéqués ? Il faudrait poser la question : est-ce que ce sont les peuples qui les ont hypothéqués ? Qui donc exerce la souveraineté ? Comment peut-on prendre des engagements dans le dos du peuple souverain ? (Applaudissements.)
On a parlé ici de la continuité de cet effort. Il y aura continuité, oui, non pas parce qu’il va sortir d’ici une organisation quelconque, nous nous en sommes tenus strictement à ce qui avait été convenu, il n’y aura pas non plus de déclaration, non ; il y en a eu beaucoup, par pays, mais nous nous en sommes tenus strictement à ce qui avait été dit dans la convocation. Il s’agit d’un mouvement. Une réunion de parlementaires aura lieu prochainement en Uruguay, du 10 au 13 octobre, pour discuter de la dette extérieure. Quelle magnifique occasion pour l’intégration, pour l’unité ! Que les parlementaires aillent donc là-bas pour discuter de cette dette qu’ils n’ont pas approuvée, pour analyser le problème.
Je pense qu’il nous faut en premier lieu apporter un grand soutien à cette réunion parlementaire en donnant à cette rencontre toute l’importance qu’elle mérite. C’est à mon avis une nouvelle occasion qui nous est offerte de contribuer à une meilleure prise de consciente de ces problèmes. Quel que soit l’angle sous lequel on examine la question, les arguments avancés sont solides, irréfutables ; il s’agit en outre d’un problème qui nous touche tous de très près, beaucoup plus que n’importe quel autre ; ce sont les femmes qui l’ont posé ici, ce sont les ouvriers qui l’ont posé, les paysans, les couches moyennes : chacun a expliqué de quelle façon cette situation l’affecte.
Nous n’avons pas lancé de mot d’ordre de subversion. Nous n’avons pas parlé de révolution sociale, tout au contraire : nous ne pouvons pas placer le socialisme en premier, attendre qu’il arrive pour ensuite résoudre ce problème. Il s’agit d’un problème urgent, il faut trouver une solution et tout de suite. Et pour cela il importe que l’unité se fasse avec tout le monde, toutes les couches sociales, excepté la minorité insignifiante qui est vendue au capital financier international, vendue à l’impérialisme. Il y a de la place pour tout le monde ici, y compris pours les industriels qui ont pris la parole dans cette salle, pour les banquiers, les chefs d’entreprise, les agriculteurs, il y a de la place pour tout le monde. Ce que cette lutte a justement de bon, c’est qu’elle peut et doit être très large afin de résoudre tous ces problèmes qui ne peuvent pas attendre jusqu’à ce que nos peuples aient une conscience socialiste, jusqu’à ce que soient réunis tous les facteurs subjectifs, qui passent pour l’heure au deuxième plan après les facteurs objectifs, même si nous avançons très rapidement. Ce ne serait d’ailleurs pas prudent, à mon sens, au moment où se livre une bataille décisive pour l’indépendance de nos peuples. Comment peut-on appeler indépendant un gouvernement, un pays qui doit aller tous les mois discuter avec le Fonds monétaire de ce qu’il doit faire chez lui ? Une telle indépendance n’est rien qu’une fiction, et nous voyons cette lutte comme une lutte de libération nationale, qui peut vraiment regrouper, pour la première fois dans l’histoire de notre continent, toutes les couches sociales en lutte pour leur véritable indépendance.
Nous ne pouvons pas faire du socialisme une condition préalable. Nous ne recommandons pas le socialisme. Bien entendu, nous ne le déconseillons pas non plus (rires et applaudissements). Vous comprenez, ce qui ne me semble pas correct, c’est d’en faire le centre de la lutte. De toute façon, cette crise profonde va entraîner une grande prise de conscience parmi nos peuples. Je ne pense pas que nous allons nous éloigner du socialisme ; à mesure que les masses prennent davantage conscience des réalités, la perspective d’une société plus juste se rapproche forcément ; mais se fixer dès à présent le socialisme comme objectif serait une erreur ; nous avons un problème urgent à résoudre ; je pense que s’il y a une prise de conscience, si les travailleurs, les paysans, les étudiants, les intellectuels, les chefs d’entreprise ont une nette conscience du problème, on peut isoler les bradeurs de patrie, ceux qui sont au service de l’impérialisme, et gagner cette bataille.
J’imagine que les gouvernements vont prendre des mesures pour que pas un centime ne prenne la fuite. Je peux dire qu’ici, dans ce pays, en vingt-six ans de Révolution, pas un centime, pas une devise n’a pris la fuite, en vingt-six ans (applaudissements). Ici il n’y a pas de sous-facturation, pas de surfacturation, ni rien de semblable. Mais ce n’est pas de ça qu’il s’agit pour le moment ; dans les circonstances actuelles il va falloir prendre toutes les mesures susceptibles d’éviter le gaspillage, la fuite de devises et tout le reste ; pour notre part, nous avons évité par principe d’analyser dans tout ce problème les questions en rapport avec les affaires intérieures de chaque pays. Nous posons le principe général de l’unité, de l’unité entre pays, de l’unité entre les pays du Tiers-monde, mais nous évitons de suggérer des mesures de type interne et je pense que cette position est correcte ; il serait absurde que nous nous mêlions de donner des conseils sur ce qu’il conviendrait selon nous de faire à l’intérieur, ce ne serait pas prudent non plus. Ça ne veut pas dire que nous ayons renoncé à nos idéaux révolutionnaires, à notre conception socialiste ; en essence, je le répète, nous voyons ça comme une grande lutte de libération nationale contre des forces puissantes, et nous pensons qu’il est possible de mobiliser des forces suffisantes pour mener à bien cette lutte. »
[…]
(suite et fin dans le commentaire suivant)
Fidel Castro : La dette ne doit pas être payée
(Suite et fin)
[…]
« Nous allons voir comment les choses évoluent au cours des prochains mois parce que la crise est en train d’atteindre un point limite. A mon avis, il convient d’accélérer la prise de conscience.
On a prononcé ici des paroles admirables, des messages encourageants ont été lus, et pour ceux qui pensent que nos propositions sont radicales, voici la lettre du cardinal Arns de Sao Paulo ; vous en avez pris connaissance, mais si vous me le permettez, je vais en relire ici les principaux points car je crois qu’ils ont encore plus de poids après le débat.
« Premièrement, le peuple latino-américain et caribéen n’a pas la possibilité réelle de prendre en charge le fardeau du paiement des dettes colossales contractées par nos gouvernements. Il n’est pas possible non plus de continuer à payer les taux d’intérêt élevés en sacrifiant notre développement et notre bien-être.
« Deuxièmement, le problème de la dette, plus que financier, est fondamentalement politique, et il doit être traité comme tel. Ce ne sont pas les comptes des créanciers internationaux qui sont en jeu, mais la vie de millions de personnes qui ne peuvent supporter la menace permanente des mesures de récession et du chômage qui entraînent la misère et la mort.
« Troisièmement, au nom des droits de l’homme, de bonne volonté du continent et des Caraïbes, tous les secteurs responsables doivent s’unir pour chercher de toute urgence une solution réaliste au problème de la dette extérieure, afin de préserver la souveraineté de nos nations et de défendre le principe selon lequel le principal engagement de nos gouvernement n’est pas celui qui les lie aux créanciers mais celui qu’ils ont contracté vis-à-vis des peuples qu’ils représentent (applaudissements)
« Quatrièmement, la défense intransigeante du principe d’autodétermination de nos peuples exige la fin de l’ingérence d’organismes internationaux dans l’administration financière de nos nations. Considérant que le gouvernement est une entité publique, tous les documents signés avec de tels organismes doivent être immédiatement portés à la connaissance de l’opinion publique.
« Cinquièmement, il est urgent de rétablir les bases concrètes d’un nouvel ordre économique international, qui supprime les relations inégales entre pays riches et pays pauvres et assure au Tiers-monde le droit inaliénable de gérer son propre destin, sans ingérence impérialiste et sans mesures spoliatrices dans les relations commerciales internationales. »
On dit que les thèses que je défends aujourd’hui sont radicales. Eh bien, je souscris à cent pour cent le programme en cinq points de cet illustre Brésilien qu’est Paulo Evaristo, le cardinal Arns (applaudissements). J’espère qu’on ne viendra plus nous dire que ces idées sont extrémistes. J’en ajouterai un sixième, qui est l’intégration économique de l’Amérique latine ; et un septième que l’on perçoit dans son propos : cette lutte est une lutte pour les peuples d’Amérique latine et du Tiers-monde, pour la vie de quatre milliards de personnes qui souffrent, et subissent les conséquences de cet ordre économique inhumain et injuste.
Aucun document n’a été rédigé, et ce n’est pas nécessaire. L’objectif n’était pas de sortir d’ici un document mais de favoriser la prise de conscience. Et ceux d’entre nous qui s’occupent de la question depuis longtemps se sentent eux-mêmes confortés dans leurs convictions, plus sûrs que jamais de la justesse de leurs idées après avoir écouté ici des dizaines et des dizaines de brillantes interventions de la part de personnes qui ont fait montre ici de grands talents. Et pour notre peuple c’est un vrai cadeau, un cadeau sans précédent qui lui a permis de suivre ce dialogue de jour en jour, d’heure en heure, de minute en minute. Sincèrement, nous vous en sommes profondément reconnaissants.
Ce dont nous avons besoin, c’est d’une prise de conscience. Aucune Église n’a surgi d’un document L’indépendance des peuples d’Amérique latine n’a pas surgi d’un document, elle non plus ; la vérité c’est qu’à un moment donné, les Églises, les grands mouvements spirituels et politiques ont surgi d’une crise spirituelle ou politique, d’une prise de conscience. Nous sommes maintenant au cœur de la crise et la prise de conscience est chose faite.
J’ai comme vous la conviction que notre mouvement, notre lutte progresseront et que la victoire est certaine.
Je vous remercie. » (Ovation.)
Source : CADTM
Relayée par Investig’Action (Michel Collon) : http://www.investigaction.net/fidel-castro-la-dette-ne-doit-pas-etre-payee
[Intéressante synthèse] Fidel est mort, pas la Révolution
par Jérôme Leuleu chez Jacques Sapir :
Je publie ici un court texte écrit par Jérôme Leleu, doctorant au CEMI-EHESS, qui écrit sa thèse sur Cuba et qui travaille sur les archives de Charles Bettelheim. Jérôme Leleu a eu l’occasion de faire plusieurs missions d’études à Cuba. Il coordonne avec Blandine Destremau (IRIS/CNRS), Nils Graber (Cermes3/EHESS) le numéro 84 des Cahiers des Amériques Latines qui sera consacré a Cuba : les temporalités et tensions du changement et qui sera publié en mars 2017. Il assure aussi un enseignement collectif (séminaire de centre) sur les Problèmes économiques et sociaux contemporains à Cuba à l’EHESS. J. Sapir.
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« Le décès de Fidel Castro le 25 novembre 2016 marque la fin d’un personnage politique majeur de la seconde moitié du XXe siècle. Que ce soit pour Cuba, naturellement, mais aussi pour le continent américain, les pays en développement et le monde en général.
Symbole de la résistance face à l’impérialisme étatsunien, de la libération nationale de Cuba, Fidel Castro incarne la Révolution cubaine de 1959, à travers ses succès et ses échecs. Succès dans les domaines de la santé et de l’éducation dont les indicateurs sont semblables à ceux des pays développés. Et en cela Cuba est un exemple pour l’ensemble des pays en développement et montre qu’une volonté politique peut permettre de surmonter ces problématiques. Succès aussi dans l’accès à la culture, au sport. La solidarité nationale et l’organisation de l’État permettent à Cuba de faire face fièrement aux phénomènes climatiques. Ainsi, aucun décès ne fut à déplorer lors du passage de l’ouragan Matthew en octobre 2016 contrairement à Haïti ou aux États-Unis. Cuba est aussi aux premiers rangs de la solidarité internationale à travers différentes missions pérennes ou temporaires dans d’autres régions du monde. Des médecins et personnels de santé cubains sont présents depuis de nombreuses années en Haïti ou au Sahara Occidental ou ont été envoyé en Afrique de l’Ouest pour combattre Ebola ou au Népal après le séisme d’avril 2015, pour citer quelques exemples.
Les échecs majeurs de la Révolution sont souvent désignés comme économiques. Le développement économique relatif de la fin des années 1970 et des années 1980 était masqué par l’aide substantielle de l’Union Soviétique et des pays du Conseil d’Assistance Economique Mutuel (CAEM). Un secteur productif souvent non efficient, trop centralisé, ne satisfaisant pas les besoins sociaux de la population caractérise encore aujourd’hui l’économie cubaine, bridé évidemment par l’embargo des États-Unis qui dure depuis 1962.
Les nationalisations trop rapides effectuées au cours des années 1960, même dans une optique de construction socialiste, et le mépris de certaines lois économiques objectives – le professeur Bettelheim avait alerté le gouvernement cubain sur ces sujets – ont contraint le développement économique cubain et continue de le contraindre aujourd’hui bien qu’une série de réformes économiques entreprises depuis 2008 reviennent sur certaines « erreurs » antérieures. Mieux vaut tard que jamais ! On revient depuis 2013, quoique assez timidement, sur les nationalisations des PME de mars 1968, surement une des « erreurs » économiques les plus importantes de la Révolution.
Les succès sont relatifs, car toujours perfectibles, les échecs le sont aussi. Le développement du secteur pharmaceutique et biotechnologique est un succès économique, qui a, de plus, des répercussions sociales notables pour le secteur de la santé publique à Cuba et pour d’autres pays en développement et est une des réussites les plus importantes de l’économie cubaine et du système de planification. Ce dernier a aussi permis de maintenir un secteur industriel (mécanique, chimique, agroalimentaire…) après la chute de l’URSS, qui, bien que disposant d’une technologie et d’un savoir faire parfois obsolète et ne produisant pas suffisamment, peut servir de base pour un développement économique futur par l’intermédiaire des réformes économiques en cours. Les transferts de technologie et de savoir-faire potentiellement permis par l’augmentation des IDE et le processus de décentralisation des entreprises d’État, en cours depuis 2013, pourraient permettre une libération des forces productives au sein du tissu productif national.
Cuba est sortie plus ou moins volontairement de la spécialisation sucrière. Ses exportations, ou plutôt ses sources de revenus extérieurs se sont diversifiées. Mais cela est encore loin d’être suffisant. Certains secteurs exportateurs ne produisent pas suffisamment et les niveaux d’importation, surtout alimentaire, sont très élevés. La dépendance extérieure au Venezuela, croissante au cours des années 2000, fait craindre une nouvelle crise économique comme celle qui a suivi la chute de l’URSS et le démantèlement du CAEM. Les difficultés économiques du Venezuela ont fait chuter les livraisons de pétrole, en particulier depuis le premier semestre 2016, ce qui a obligé les autorités cubaines à revoir à la baisse les objectifs du plan annuel en cours d’année. Celles-ci ont conscience du danger et depuis 2014, elles cherchent à diversifier leurs partenaires économiques par exemple en renégociant des anciennes dettes (Russie, Mexique, Club de Paris…).
Politiquement, la Révolution cubaine n’a pas encore réussi à construire une démocratie « socialiste ». Les espoirs de la décennie 1960 ont été vite déçus par un système se rapprochant de celui de l’Union Soviétique au cours des années 1970 et 1980. La population cubaine est consultée lorsque de grandes décisions doivent être prises (pour la constitution de 1992 lors de la période spéciale, ou avant le VIe congrès du PCC en 2011 entre autres). Mais être consulté n’est pas délibérer[1]. La participation des travailleurs – propriétaires des moyens de production selon la constitution – au processus d’élaboration du plan est simplement formelle mais non effective et à première vue n’a pas subi d’évolution positive au cours de la Révolution[2]. Or, cette participation est garante de la propriété effective des travailleurs sur les moyens de production. La démocratie « socialiste » c’est avant tout le pouvoir des travailleurs de décider de l’utilisation du surproduit national, créé par eux-mêmes.
Les politiques économiques et sociales, surtout au cours du pouvoir de Fidel Castro, ont montré une volonté d’assurer un minimum de bien être à la population cubaine, mais dans une perspective volontariste, parfois sans réflexion sur les implications à long terme et sans suffisamment de participation de la population aux processus de décision.
Je me permets ici de citer Charles Bettelheim :
« On met en avant non le rôle des masses mais celui de la direction de la révolution incarnée par son dirigeant suprême. On tend ainsi, objectivement, et quoi qu’on puisse dire par ailleurs, à réduire l’initiative de la base au profit d’une direction centrale. C’est là un des effets de l’idéologie dominante qui est l’idéologie petite bourgeoise de l’humanisme ».[3]
Fidel Castro a peut-être trop incarné la Révolution cubaine au détriment du peuple cubain et son héritage ne peut qu’être nuancé. Le peuple cubain est rentré dans l’histoire avec la Révolution de 1959, comme il y était déjà rentré lors des luttes anticoloniales au XIXe siècle. C’est à lui que revient la tâche de surmonter les défis internes (économiques, sociaux, politiques) et externes, en exigeant sans compromission la levée totale de l’embargo étatsunien. La formation sociale cubaine conserve des bases économiques, idéologiques, politiques – peut-être imparfaites – mais qui seront nécessaires pour créer, ou continuer de construire, un modèle de développement économique et social libéré de l’exploitation, soutenable et prospère. »
Jérôme Leuleu.
Notes
[1] https://youtu.be/TS9SLiqlkM8. José Luis Rodriguez fut ministre de l’économie et de la planification à Cuba de 1995 à 2009.
[2] Ce constat est partagé par de nombreux universitaires cubains.
[3] Charles Bettelheim, Sur les étapes de la révolution cubaine, texte non publié, disponible dans les archives de Charles Bettelheim.
Source : Russeurope, http://russeurope.hypotheses.org/5468
Rafael Correa : Fidel est mort invaincu
https://www.legrandsoir.info/fidel-est-mort-invaincu.html
Lors de l’hommage posthume à Fidel sur la place de la Révolution, le 29 novembre 2016
« Peuples de Notre Amérique et du monde : Fidel est mort.
Il est mort invaincu. Seul le pas inexorable des années a pu le vaincre. Il est mort le même jour où, soixante ans avant, à quatre-vingt-deux patriotes, il est parti du Mexique pour marquer l’Histoire.
Il est mort en faisant honneur à son prénom : Fidel, digne de foi. La foi que son peuple et toute notre grande patrie [l’Amérique latine] a mise en lui ; la foi qu’il n’a jamais déçue, encore moins trahie.
Ceux qui meurent pour la vie, on ne peut jamais les appeler des morts.
Fidel continuera de vivre dans les visages des enfants qui vont à l’école, des malades qui sauvent leur vie, des ouvriers maîtres du fruit de leur travail. Sa lutte continue dans l’effort de chaque jeune idéaliste acharné à changer le monde.
Sur le continent qui connaît les pires inégalités de la planète, tu nous as laissé le seul pays avec zéro dénutrition, avec l’espérance de vie la plus élevée, avec une scolarisation de cent pour cent, sans aucun enfant vivant à la rue (applaudissements).
Évaluer le succès ou l’échec du modèle économique cubain en faisant abstraction d’un blocus criminel de plus de cinquante ans, c’est de l’hypocrisie pure et simple ! (Applaudissements.) N’importe quel pays capitaliste d’Amérique latine en butte à un blocus semblable s’effondrerait en quelques mois.
C’est probablement par ta formation chez les jésuites que tu as très bien compris, comme le disait saint Ignace de Loyola, que dans une forteresse assiégée, toute dissidence est une trahison.
Pour évaluer son système politique, il faut comprendre que Cuba a subi une guerre permanente. Dès le début de la Révolution, il existe une Cuba du Nord, là-bas à Miami, guettant en permanence la Cuba du Sud, celle qui est libre, digne, souveraine, majoritaire sur la terre nourricière, non en des terres étrangères (applaudissements). Ils n’ont pas envahi Cuba parce qu’ils savent qu’ils ne pourront pas vaincre tout un peuple (applaudissements).
Ici, sur cette île merveilleuse, on a érigé des murailles, mais non de celles qu’érigent les empires : des murailles de dignité, de respect, de solidarité ! (Applaudissements.)
Cuba ira de l’avant en raison de ses principes révolutionnaires, de son extraordinaire talent humain, mais aussi parce que la résistance est intégrée à sa culture. Fort de l’exemple de Fidel, le peuple cubain ne permettra jamais que son pays redevienne la colonie d’aucun empire (applaudissements).
Il n’existe ni être humain ni action majeure sans détracteurs, et Fidel et sa Révolution ont transcendé l’espace et transcenderont le temps.
Tu concrétises ce que notre vieux combattant, le général Eloy Alfaro, l’ami de Martí, avait l’habitude de dire : Si, au lieu d’affronter le péril, j’avais commis la lâcheté de passer à l’ennemi, nous aurions joui de la paix, d’une grande paix : la paix du colonialisme.
Cuba a été solidaire avec la révolution libérale d’Alfaro à la fin du XIXe siècle et elle a été solidaire avec notre Révolution citoyenne du XXIe siècle.
Merci beaucoup, Fidel ; merci beaucoup, peuple cubain ! (Applaudissements.)
La majorité t’a aimé passionnément ; une minorité t’a haïe, et nul n’a pu t’ignorer. Certains combattants sont acceptés dans leur vieillesse jusque par leurs détracteurs le plus récalcitrants, parce qu’ils cessent d’être dangereux, mais toi, tu n’as même pas eu cette trêve, parce que jusqu’à la fin ta parole claire et ton esprit lucide n’ont laissé aucun principe sans défense, aucune vérité dans le silence, aucun crime sans dénonciation ! (Applaudissements.)
Bertolt Brecht disait que seuls les hommes qui luttent toute leur vie sont indispensables. J’ai connu Fidel, et je sais que, même s’il n’a jamais cherché à être indispensable, en revanche il a lutté toute sa vie (applaudissements). Il est né, il a vécu et il est mort avec « la stupidité de ce qui s’avère aujourd’hui stupide : la stupidité de faire face à l’ennemi, la stupidité de vivre sans être monnayable ».
« Nous continuerons de jouer à qui-perd-gagne [1] », et tu continueras de « vibrer dans la montagne, avec un rubis, cinq bandes et une étoile [2] » (applaudissements).
Notre Amérique doit affronter de nouvelles tempêtes, peut-être plus fortes que celles que tu as défiées pendant soixante-dix ans de lutte, d’abord comme étudiant et à la Moncada, ensuite comme guérillero dans la Sierra Maestra et enfin à la tête d’une révolution triomphante.
Aujourd’hui, plus unis que jamais, peuples de Notre Amérique ! (Applaudissements.)
Cher Fidel, ta profonde conviction martinienne t’a conduit à toujours être, « non du côté où l’on vit mieux, mais du côté où se trouve le devoir [3] ».
« Révolution, cela veut dire avoir le sens du moment historique ; cela veut dire changer tout ce qui doit être changé ; cela veut dire l’égalité et la liberté pleines ; cela veut dire être traité soi-même et traiter autrui comme un être humain ; cela veut dire nous libérer par nous-mêmes et par nos propres efforts ; cela veut dire défier de puissantes forces dominantes dans l’arène sociale et nationale et au-dehors ; cela veut dire défendre des valeurs auxquelles on croit au prix de n’importe quel sacrifice ; cela veut dire modestie, désintéressement, altruisme, solidarité et héroïsme ; cela veut dire lutter avec audace, intelligence et réalisme ; cela veut dire ne jamais mentir, ne jamais violer de principes moraux ; cela veut dire conviction profonde qu’il n’existe pas de force au monde capable d’écraser la force de la vérité et des idées [4]. »
C’est avec toi, comandante Fidel Castro Ruz, avec Camilo Cienfuegos, avec le Che, avec Hugo Chávez Frías, que nous avons appris à croire en l’homme nouveau latino-américain, capable de livrer, organisé et conscient, la lutte permanente des idées libératrices pour édifier un monde de justice et de paix (applaudissements).
C’est pour ces idées-là que nous continuerons de nous battre. Nous le jurons ! (La foule reprend l’expression.)
Une étreinte solidaire à Dalia, à Raúl, à tes enfants.
Hasta la victoria siempre, Comandante ! »(Applaudissements.)
Rafael Correa
[1] Correa cite ici des extraits d’une chanson très fameuse de Silvio Rodríguez : El Necio, écrit au moment de la Période spéciale, après l’effondrement du camp socialiste et la désintégration de l’Union soviétique, quand amis et ennemis conseillaient à la Révolution cubaine, face à une telle débâcle, de renoncer à ses principes et au socialisme. Cette chanson que presque tous les Cubains connaissent par cœur est la personnification de la résistance cubaine. Le necio, c’est donc ce quelqu’un d’assez « stupide » pour ne pas virer casaque et se vendre au plus offrant. (N.d.T.)
[2] Correa cite de nouveau quelques vers d’une autre chanson archiconnue, Cuba, que linda es Cuba : la montagne, c’est bien entendu la Sierra Maestra, tandis que les autres éléments évoquent le drapeau cubain.
[3] Correa cite une des très fameuses maximes de José Martí, que Fidel a constamment reprise et qui a apparaît chez lui dès ses premiers écrits d’avant la victoire révolutionnaire.
[4] Correa cite ici textuellement le « concept de révolution » émis le 1er mai 2000 par Fidel et que tous les Cubains ont été invités, durant les neuf jours de deuil national, à ratifier de leur nom et de leur signature dans les milliers de locaux ouverts à ces fins dans toute l’île, en hommage à Fidel et à ses idées.
(Traduction de Jacques-François Bonaldi, La Havane)
https://www.legrandsoir.info/fidel-est-mort-invaincu.html
Source : Le Grand Soir
httpv://www.youtube.com/watch?v=M5firoow-YQ