[Pourriture politicienne] Ségolène Royal : “Nous ne ferons pas l’erreur de Cameron, nous ne ferons pas de référendum sur la sortie de l’Europe”

26/07/2016 | 13 commentaires

Le (pré­cieux) site d’in­for­ma­tion d’O­li­vier Ber­ruyer, les​-crises​.fr, a main­te­nant sa chaîne You­tube.
On y trouve déjà, entre autres perles, ce scan­da­leux pro­pos anti­dé­mo­cra­tique (déjà dénon­cé sur ce blog) de la part d’un « élu », enne­mi du peuple et traître à ses électeurs :

httpv://youtu.be/TrpbBRBHqGk

En guise de nou­veaux com­men­taires, je vais cette fois don­ner mon temps de parole à quelques pen­seurs que j’aime lire pour prendre de la dis­tance par rap­port au spec­tacle quo­ti­dien hon­teux des voleurs de pou­voir modernes :

1. Souveraineté et démocratie

« C’est une loi fon­da­men­tale de la démo­cra­tie que le peuple fasse les lois. »
Mon­tes­quieu, « De l’esprit des lois » (1748), livre II cha­pitre 2.

« Démo­cra­tie : sorte de gou­ver­ne­ment où le peuple a toute l’autorité. La démo­cra­tie n’a été flo­ris­sante que dans les répu­bliques de Rome et d’Athènes. »
Fure­tière, Dic­tion­naire uni­ver­sel (1890).

« Le démo­crate après tout est celui qui admet qu’un adver­saire peut avoir rai­son, qui le laisse donc s’exprimer et qui accepte de réflé­chir à ses argu­ments. Quand des par­tis ou des hommes se trouvent assez per­sua­dés de leurs rai­sons pour accep­ter de fer­mer la bouche de leurs contra­dic­teurs par la vio­lence, alors la démo­cra­tie n’est plus. »
Albert Camus, extrait de « Démo­cra­tie et Modes­tie », in Com­bat, février 1947.

« La sou­ve­rai­ne­té ne peut être repré­sen­tée, par la même rai­son qu’elle peut être alié­née ; elle consiste essen­tiel­le­ment dans la volon­té géné­rale, et la volon­té ne se repré­sente point : elle est la même, ou elle est autre ; il n’y a point de milieu. Les dépu­tés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses repré­sen­tants, ils ne sont que ses com­mis­saires ; ils ne peuvent rien conclure défi­ni­ti­ve­ment. Toute loi que le peuple en per­sonne n’a pas rati­fiée est nulle ; ce n’est point une loi. Le peuple Anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l’est que durant l’é­lec­tion des membres du par­le­ment : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. Dans les courts moments de sa liber­té, l’u­sage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde. »
Jean-Jacques Rous­seau, Le contrat social (1792).

« Pre­miè­re­ment, un État très petit, où le peuple soit facile à ras­sem­bler, et où chaque citoyen puisse aisé­ment connaître tous les autres ; secon­de­ment, une grande sim­pli­ci­té de mœurs qui pré­vienne la mul­ti­tude d’af­faires et de dis­cus­sions épi­neuses ; ensuite beau­coup d’é­ga­li­té dans les rangs et dans les for­tunes, sans quoi l’é­ga­li­té ne sau­rait sub­sis­ter long­temps dans les droits et l’au­to­ri­té ; enfin peu ou point de luxe, car ou le luxe est l’ef­fet des richesses, ou il les rend néces­saires ; il cor­rompt à la fois le riche et le pauvre, l’un par la pos­ses­sion, l’autre par la convoi­tise ; il vend la patrie à la mol­lesse, à la vani­té ; il ôte à l’É­tat tous ses citoyens pour les asser­vir les uns aux autres, et tous à l’opinion. »
Jean-Jacques Rous­seau, « Du contrat social ou Prin­cipes du droit poli­tique » (1762), livre III, cha­pitre 4 « De la démocratie ».

« La démo­cra­tie est un état où le peuple sou­ve­rain, gui­dé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu’il peut bien faire, et par des délé­gués tout ce qu’il ne peut faire lui-même. »
Robes­pierre, dis­cours du 18 plu­viôse an II.

« Le pou­voir doit être bien dis­tin­gué des fonc­tions ; la nation délègue en effet les diverses fonc­tions publiques ; mais le pou­voir ne peut être alié­né ni délé­gué. Si l’on pou­vait délé­guer ces pou­voirs en détail, il s’en sui­vrait que la sou­ve­rai­ne­té pour­rait être déléguée. »
Robes­pierre, « notes manus­crites en marge du pro­jet de consti­tu­tion de 1791 ».

« Au lieu de « La sou­ve­rai­ne­té poli­tique réside dans la nation » je pro­po­se­rais « La légi­ti­mi­té est consti­tuée par le libre consen­te­ment du peuple à l’ensemble des auto­ri­tés aux­quelles il est sou­mis ». Cela au moins, il me semble, veut dire quelque chose. »
Simone Weil, « Remarques sur le nou­veau pro­jet de consti­tu­tion » dans « Écrits de Londres », p 87.

« Dans les États qui jux­ta­posent à la puis­sance légis­la­tive des Chambres la pos­si­bi­li­té de demandes popu­laires de réfé­ren­dums, c’est le peuple qui monte au rang suprême par l’ac­qui­si­tion du pou­voir de pro­non­cer le rejet ou l’a­dop­tion défi­ni­tive des déci­sions par­le­men­taires. Du coup le Par­le­ment se trouve rame­né au rang de simple auto­ri­té : il ne repré­sente plus la volon­té géné­rale que pour cher­cher et pro­po­ser l’ex­pres­sion qu’il convient de don­ner à celle-ci ; il ne rem­plit ain­si qu’of­fice de fonc­tion­naire. Le véri­table sou­ve­rain c’est alors le peuple. »
Car­ré de Mal­berg, dans un article de 1931 « Réfé­ren­dum Ini­tia­tive popu­laire », cité Dans « La démo­cra­tie locale et le réfé­ren­dum » de Marion Pao­let­ti, chez L’Harmattan page 89.

2. Nécessaire vigilance des citoyens et indispensables contrôles des pouvoirs en démocratie

« Tout chef sera un détes­table tyran si on le laisse faire. »
Alain.

« La meilleure for­te­resse des tyrans, c’est l’inertie des peuples. »
Machiavel.

« Veiller est le pre­mier devoir de tout bon citoyen. »
Jean-Paul Marat, 13 avril 1792.

« C’est une expé­rience éter­nelle que tout homme qui a du pou­voir est por­té à en abu­ser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le dirait ! la ver­tu même a besoin de limites. Pour qu’on ne puisse abu­ser du pou­voir, il faut que, par la dis­po­si­tion des choses, le pou­voir arrête le pouvoir. »
Mon­tes­quieu, L’esprit des lois, livre XI, chap. IV.

« Ce qui est bien connu en géné­ral est, pour cette rai­son qu’il est bien connu, non connu. Dans le pro­ces­sus de la connais­sance, le moyen le plus com­mun de se trom­per, soi et les autres, est de pré­sup­po­ser quelque chose comme connu et de l’accepter comme tel. »
G. F. Hegel, « Phé­no­mé­no­lo­gie de l’esprit ».

« Pour res­ter libre, il faut être sans cesse en garde contre ceux qui gou­vernent : rien de plus aisé que de perdre celui qui est sans défiance ; et la trop grande sécu­ri­té des peuples est tou­jours l’a­vant-cou­reur de leur servitude.
Mais comme une atten­tion conti­nuelle sur les affaires publiques est au-des­sus de la por­tée de la mul­ti­tude, trop occu­pée d’ailleurs de ses propres affaires, il importe qu’il y ait dans l’État des hommes qui tiennent sans cesse leurs yeux ouverts sur le cabi­net, qui suivent les menées du gou­ver­ne­ment, qui dévoilent ses pro­jets ambi­tieux, qui sonnent l’a­larme aux approches de la tem­pête, qui réveillent la nation de sa léthar­gie, qui lui découvrent l’a­bîme qu’on creuse sous ses pas, et qui s’empressent de noter celui sur qui doit tom­ber l’in­di­gna­tion publique. Aus­si, le plus grand mal­heur qui puisse arri­ver à un État libre, où le prince est puis­sant et entre­pre­nant, c’est qu’il n’y ait ni dis­cus­sions publiques, ni effer­ves­cence, ni partis.
Tout est per­du, quand le peuple devient de sang-froid, et que sans s’in­quié­ter de la conser­va­tion de ses droits, il ne prend plus de part aux affaires : au lieu qu’on voit la liber­té sor­tir sans cesse des feux de la sédition. »
Jean-Paul Marat, « Les chaînes de l’esclavage » (1774).

« Le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif devient bien­tôt le plus cor­rom­pu des gou­ver­ne­ments si le peuple cesse d’inspecter ses repré­sen­tants. Le pro­blème des Fran­çais, c’est qu’ils donnent trop à la confiance, et c’est ain­si qu’on perd la liber­té. Il est vrai que cette confiance est infi­ni­ment com­mode : elle dis­pense du soin de veiller, de pen­ser et de juger. »
Madame Rol­land (1789), citée par Rosan­val­lon (2006, n°3, min. 2:37).

« Tout pou­voir est méchant dès qu’on le laisse faire ; tout pou­voir est sage dès qu’il se sent jugé. »
Émile Char­tier dit « Alain », « Pro­pos », 25 jan­vier 1930.

« La vraie démo­cra­tie ne vien­dra pas de la prise de pou­voir par quelques-uns, mais du pou­voir que tous auront de s’op­po­ser aux abus de pouvoir. »
Gandhi.

« La puni­tion des gens bons qui ne s’intéressent pas à la poli­tique, c’est d’être gou­ver­nés par des gens mauvais. »
Platon.

« L’acclamation a fait tous les maux de tous les peuples. Le citoyen se trouve por­té au-delà de son propre juge­ment, le pou­voir accla­mé se croit aimé et infaillible ; toute liber­té est perdue. »
Alain, 8 décembre 1923.

« La démo­cra­tie n’est pas dans l’o­ri­gine popu­laire du pou­voir, elle est dans son contrôle. La démo­cra­tie, c’est l’exer­cice du contrôle des gou­ver­nés sur les gou­ver­nants. Non pas une fois tous les cinq ans, ni tous les ans, mais tous les jours. »
Alain.

« La vigi­lance ne se délègue pas. »
Alain.

« Appre­nez donc que, hors ce qui concerne la dis­ci­pline mili­taire, c’est-à-dire, le manie­ment et la tenue des armes, les exer­cices et les évo­lu­tions, la marche contre les enne­mis des lois et de l’É­tat, les sol­dats de la patrie ne doivent aucune obéis­sance à leurs chefs ; que loin de leur être sou­mis, ils en sont les arbitres ; que leur devoir de citoyen les oblige d’exa­mi­ner les ordres qu’ils en reçoivent, d’en peser les consé­quences, d’en pré­ve­nir les suites. Ain­si lorsque ces ordres sont sus­pects, ils doivent res­ter dans l’i­nac­tion ; lorsque ces ordres blessent les droits de l’homme, ils doivent y oppo­ser un refus for­mel ; lorsque ces ordres mettent en dan­ger la liber­té publique, ils doivent en punir les auteurs ; lorsque ces ordres attentent à la patrie, ils doivent tour­ner leurs armes contre leurs offi­ciers. Tout ser­ment contraire à ces devoirs sacrés, est un sacri­lège qui doit rendre odieux celui qui l’exige, et mépri­sable celui qui le prête. »
Marat, « L’Ami du Peuple », 8 juillet 1790.

« Par la divi­sion des spé­cia­listes, qui est une règle de l’é­lite, le gou­ver­ne­ment des meilleurs est pro­pre­ment aveugle. »
Alain, avril 1939.

« La liber­té réelle sup­pose une orga­ni­sa­tion constam­ment diri­gée contre le pou­voir. La liber­té meurt si elle n’agit point. »
Alain.

« Le droit qu’ont les citoyens de s’as­sem­bler où il leur plaît, et quand il leur plaît, pour s’oc­cu­per de la chose publique, est inhé­rent à tout peuple libre.
Sans ce droit sacré, l’é­tat est dis­sous, et le sou­ve­rain est anéan­ti ; car, dès que les citoyens ne peuvent plus se mon­trer en corps, il ne reste dans l’É­tat que des indi­vi­dus iso­lés ; la nation n’existe plus.
On voit avec quelle adresse les pères conscrits ont anéan­ti la sou­ve­rai­ne­té du peuple, tout en ayant l’air d’as­su­rer la liber­té indi­vi­duelle. En Angle­terre, toute assem­blée pai­sible est licite : la loi ne défend que les attrou­pe­ments sédi­tieux. Voi­là la liberté. »
Marat 16–17 août 1792.

« Le suf­frage périt par l’acclamation. »
Alain, février 1932

« Le prix de la liber­té est la vigi­lance éternelle. »
Tho­mas Jefferson.

« Répé­tez un men­songe assez fort et assez long­temps et les gens le croiront. »
Josef GOEBBELS (1897−1945)

« Il en va de la res­pon­sa­bi­li­té de chaque citoyen de ques­tion­ner l’Autorité. »
Ben­ja­min FRANKLIN (1706−1790)

« L’homme ne risque pas de s’endormir dans un monde tota­li­taire mais de se réveiller dans un uni­vers qui l’est deve­nu durant son sommeil. »
Arthur KOESTLER (1905−1983)

« L’im­por­tant est de construire chaque jour une petite bar­ri­cade, ou, si l’on veut, de tra­duire tous les jours quelque roi devant le tri­bu­nal popu­laire. Disons encore qu’en empê­chant chaque jour d’a­jou­ter une pierre à la Bas­tille, on s’é­pargne la peine de la démolir. »
Alain, Pro­pos, 6 jan­vier 1910.

« Ce qui importe, ce n’est pas l’o­ri­gine des pou­voirs, c’est le contrôle conti­nu et effi­cace que les gou­ver­nés exercent sur les gou­ver­nants. Où est donc la Démo­cra­tie, sinon dans ce troi­sième pou­voir que la Science Poli­tique n’a point défi­ni, et que j’ap­pelle le Contrô­leur ? Ce n’est autre chose que le pou­voir, conti­nuel­le­ment effi­cace, de dépo­ser les Rois et les Spé­cia­listes à la minute, s’ils ne conduisent pas les affaires selon l’in­té­rêt du plus grand nombre. Le citoyen a le devoir de pen­ser libre­ment, car les droits des citoyens cré­dules sont comme abo­lis. Obéis­sez, mais n’obéissez pas sans contre­par­tie : sachez dou­ter, refu­sez de croire. N’acclamez point : les pou­voirs seront modé­rés si seule­ment vous vous pri­vez de battre des mains. »
Alain, Pro­pos sur le pouvoir.

« Les pou­voirs élus ne valent pas mieux que les autres ; on peut même sou­te­nir qu’ils valent moins. L’é­lec­teur ne sau­ra pas choi­sir le meilleur finan­cier, ni le meilleur poli­cier. Et qui pour­rait choisir ?
Dans le fait les chefs réels s’é­lèvent par un mélange de savoir, de ruse et de bonne chance, et aus­si par l’emportement de l’am­bi­tion. Les chefs sont des pro­duits de nature ; et l’on ne demande point s’il est juste qu’une pomme soit plus grosse qu’une autre. Un chef gros­sit et mûrit de même. Nous voyons par­tout des gros et des petits. Nous savons ce que peut faire un homme qui a beau­coup d’argent. Mais il serait absurde d’é­lire un homme riche, je veux dire de déci­der par des suf­frages que cet homme aura beau­coup d’argent. L’i­né­ga­li­té des hommes est de nature, comme celle des pommes. Et le pou­voir d’un géné­ral d’ar­tille­rie est de même source que celui d’un finan­cier. L’un et l’autre se sont éle­vés par un savoir-faire, par un art de per­sua­der, par un mariage, par des ami­tiés. Tous les deux peuvent beau­coup dans leur métier, et étendent sou­vent leur pou­voir hors de leur métier. Ce pou­voir n’est pas don­né par la masse, mais plu­tôt est subi et recon­nu par elle, sou­vent même accla­mé. Et il serait faible de dire qu’un tel pou­voir dépend du peuple et que le peuple peut le don­ner et le reti­rer. Dans le fait ces hommes gou­vernent. Et de tels hommes sont tou­jours grou­pés en fac­tions rivales, qui ont leurs agents subal­ternes et leurs fidèles sujets. C’est ain­si qu’un riche fabri­cant d’a­vions gou­verne une masse ouvrière par les salaires. Toute socié­té humaine est faite de tels pou­voirs entre­la­cés. Et cha­cun convient que les grands évé­ne­ments poli­tiques dépendent beau­coup des pou­voirs réels, et de leurs conseils secrets. Il y a une élite, et une pen­sée d’é­lite ; d’où dépendent trop sou­vent les lois, les impôts, la marche de la jus­tice et sur­tout la paix et la guerre, grave ques­tion en tous les temps, et aujourd’­hui suprême ques­tion, puisque toutes les familles y sont tra­gi­que­ment intéressées.
Or, ce qu’il y a de neuf dans la poli­tique, ce que l’on désigne du nom de démo­cra­tie, c’est l’or­ga­ni­sa­tion de la résis­tance contre ces redou­tables pou­voirs. Et, comme on ne peut assem­bler tout le peuple pour déci­der si les pou­voirs abusent ou non, cette résis­tance concer­tée se fait par repré­sen­tants élus. Ain­si, l’o­pi­nion com­mune trouve pas­sage ; et tant que les repré­sen­tants sont fidèles et incor­rup­tibles, cela suf­fit. Le propre des assem­blées déli­bé­rantes, c’est qu’elles ne peuvent se sub­sti­tuer aux pou­voirs, ni choi­sir les pou­voirs, mais qu’elles peuvent refu­ser obéis­sance au nom du peuple. Un vote de défiance, selon nos usages poli­tiques, res­semble à une menace de grève, menace que les pou­voirs ne négligent jamais.
D’a­près cette vue, même som­maire, on com­prend pour­quoi tous les pou­voirs réels sont oppo­sés à ce sys­tème ; pour­quoi ils disent et font dire que les repré­sen­tants du peuple sont igno­rants ou ven­dus. Mais la ruse prin­ci­pale des pou­voirs est de cor­rompre les repré­sen­tants par le pou­voir même. C’est très promp­te­ment fait, par ceci, qu’un ministre des Finances, ou de la Guerre, ou de la Marine, tombe dans de grosses fautes s’il ne se laisse conduire par les gens du métier, et se trouve alors l’ob­jet des plus humi­liantes attaques ; et qu’au contraire il est loué par tous les connais­seurs et sacré homme d’É­tat s’il prend le par­ti d’obéir.
C’est ain­si qu’un homme, excellent au contrôle, devient faible et esclave au poste de com­man­de­ment. On com­prend que les repré­sen­tants, sur­tout quand ils ont fait l’ex­pé­rience du pou­voir, montrent de l’in­dul­gence, et soient ain­si les com­plices des pou­voirs réels ; au lieu que ceux qui sont réduits à l’op­po­si­tion se trouvent sou­vent rois du contrôle, et fort gênants.
C’est pour­quoi le pro­blème fameux de la par­ti­ci­pa­tion au pou­voir est le vrai pro­blème, quoi­qu’on ne le traite pas encore à fond. La vraie ques­tion est de savoir si un dépu­té est élu pour faire un ministre, ou pour défaire les ministres par le pou­voir de refus. Ces rap­ports ne font encore que trans­pa­raître. On s’é­tonne que le Pré­sident suprême ait si peu de pou­voir. Mais n’est-il pas au fond le chef suprême du contrôle ? Ce serait alors un grand et beau pou­voir, devant lequel tous les pou­voirs trem­ble­raient. Ces choses s’é­clair­ci­ront, en dépit des noms anciens, qui obs­cur­cissent tout. »
Alain, « Pro­pos sur le pou­voir », novembre 1931, p 226.

« Que nous importent les com­bi­nai­sons qui balancent l’au­to­ri­té des tyrans ? C’est la tyran­nie qu’il faut extir­per. Ce n’est pas dans les que­relles de leurs maîtres que les peuples doivent cher­cher l’a­van­tage de res­pi­rer quelques ins­tants, c’est dans leurs propres forces qu’il faut pla­cer la garan­tie de leurs droits. Il n’y a qu’un tri­bun du peuple que je puisse avouer, c’est le peuple lui-même. »
Robes­pierre, dis­cours contre l’ins­ti­tu­tion d’un Tri­bu­nat (chambre de contrôle des pou­voirs), cité par Pierre Rosan­val­lon, « Les formes de la sou­ve­rai­ne­té néga­tive » (2006), min. 36′.

« Les chances de l’erreur sont bien plus nom­breuses encore, lorsque le peuple délègue l’exercice du pou­voir légis­la­tif à un petit nombre d’individus ; c’est-à-dire, lorsque c’est seule­ment par fic­tion que la loi est l’expression de la volon­té du plus grand nombre, ou ce qui est pré­su­mé l’être. […] Sous le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, sur­tout, c’est-à-dire, quand ce n’est point le peuple qui fait les lois, mais un corps de repré­sen­tants, l’exercice de ce droit sacré [la libre com­mu­ni­ca­tion des pen­sées entre les citoyens] est la seule sau­ve­garde du peuple contre le fléau de l’oligarchie. Comme il est dans la nature des choses que les repré­sen­tants peuvent mettre leur volon­té par­ti­cu­lière à la place de la volon­té géné­rale, il est néces­saire que la voix de l’opinion publique reten­tisse sans cesse autour d’eux, pour balan­cer la puis­sance de l’intérêt per­son­nel et les pas­sions indi­vi­duelles ; pour leur rap­pe­ler, et le but de leur mis­sion et le prin­cipe de leur autorité.
Là, plus qu’ailleurs, la liber­té de la presse est le seul frein de l’ambition, le seul moyen de rame­ner le légis­la­teur à la règle unique de la légis­la­tion. Si vous l’enchaînez, les repré­sen­tants, déjà supé­rieurs à toute auto­ri­té, déli­vrés encore de la voix impor­tune de ces cen­seurs, éter­nel­le­ment cares­sés par l’intérêt et par l’adulation, deviennent les pro­prié­taires ou les usu­frui­tiers pai­sibles de la for­tune et des droits de la nation ; l’ombre même de la sou­ve­rai­ne­té dis­pa­raît, il ne reste que la plus cruelle, la plus indes­truc­tible de toutes les tyran­nies ; c’est alors qu’il est au moins dif­fi­cile de contes­ter la véri­té de l’anathème fou­droyant de Jean-Jacques Rous­seau contre le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif absolu. »
Robes­pierre, Le Défen­seur de la Consti­tu­tion, n° 5, 17 juin 1792.

« La source de tous nos maux, c’est l’indépendance abso­lue où les repré­sen­tants se sont mis eux-mêmes à l’égard de la nation sans l’avoir consul­tée. Ils ont recon­nu la sou­ve­rai­ne­té de la nation, et ils l’ont anéan­tie. Ils n’étaient de leur aveu même que les man­da­taires du peuple, et ils se sont faits sou­ve­rains, c’est-à-dire des­potes, car le des­po­tisme n’est autre chose que l’usurpation du pou­voir souverain.
Quels que soient les noms des fonc­tion­naires publics et les formes exté­rieures du gou­ver­ne­ment, dans tout État où le sou­ve­rain ne conserve aucun moyen de répri­mer l’abus que ses délé­gués font de sa puis­sance et d’arrêter leurs atten­tats contre la consti­tu­tion de l’État, la nation est esclave, puisqu’elle est aban­don­née abso­lu­ment à la mer­ci de ceux qui exercent l’autorité.
Et comme il est dans la nature des choses que les hommes pré­fèrent leur inté­rêt per­son­nel à l’intérêt public lorsqu’ils peuvent le faire impu­né­ment, il s’ensuit que le peuple est oppri­mé toutes les fois que ses man­da­taires sont abso­lu­ment indé­pen­dants de lui.
Si la nation n’a point encore recueilli les fruits de la révo­lu­tion, si des intri­gants ont rem­pla­cé d’autres intri­gants, si une tyran­nie légale semble avoir suc­cé­dé à l’ancien des­po­tisme, n’en cher­chez point ailleurs la cause que dans le pri­vi­lège que se sont arro­gés les man­da­taires du peuple de se jouer impu­né­ment des droits de ceux qu’ils ont cares­sés bas­se­ment pen­dant les élections. »
Robes­pierre, 29 juillet 1792.

« Sitôt que le ser­vice public cesse d’être la prin­ci­pale affaire des citoyens, et qu’ils aiment mieux ser­vir de leur bourse que de leur per­sonne, l’É­tat est déjà près de sa ruine. Faut-il mar­cher au com­bat ? ils payent des troupes et res­tent chez eux ; faut-il aller au conseil ? ils nomment des dépu­tés et res­tent chez eux. À force de paresse et d’argent, ils ont enfin des sol­dats pour asser­vir la patrie, et des repré­sen­tants pour la vendre.
C’est le tra­cas du com­merce et des arts, c’est l’a­vide inté­rêt du gain, c’est la mol­lesse et l’a­mour des com­mo­di­tés, qui changent les ser­vices per­son­nels en argent. On cède une par­tie de son pro­fit pour l’aug­men­ter à son aise. Don­nez de l’argent, et bien­tôt vous aurez des fers. Ce mot de finance est un mot d’es­clave, il est incon­nu dans la cité. Dans un pays vrai­ment libre, les citoyens font tout avec leurs bras, et rien avec de l’argent ; loin de payer pour s’exemp­ter de leurs devoirs, ils paye­raient pour les rem­plir eux-mêmes. Je suis bien loin des idées com­munes ; je crois les cor­vées moins contraires à la liber­té que les taxes.
Mieux l’État est consti­tué, plus les affaires publiques l’emportent sur les pri­vées, dans l’es­prit des citoyens. Il y a même beau­coup moins d’af­faires pri­vées, parce que la somme du bon­heur com­mun four­nis­sant une por­tion plus consi­dé­rable à celui de chaque indi­vi­du, il lui en reste moins à cher­cher dans les soins par­ti­cu­liers. Dans une cité bien conduite, cha­cun vole aux assem­blées ; sous un mau­vais gou­ver­ne­ment, nul n’aime à faire un pas pour s’y rendre, parce que nul ne prend inté­rêt à ce qui s’y fait, qu’on pré­voit que la volon­té géné­rale n’y domi­ne­ra pas, et qu’en­fin les soins domes­tiques absorbent tout. Les bonnes lois en font faire de meilleures, les mau­vaises en amènent de pires. Sitôt que quel­qu’un dit des affaires de l’É­tat : Que m’im­porte ? on doit comp­ter que l’É­tat est perdu.
L’at­tié­dis­se­ment de l’a­mour de la patrie, l’ac­ti­vi­té de l’in­té­rêt pri­vé, l’im­men­si­té des États, les conquêtes, l’a­bus du gou­ver­ne­ment, ont fait ima­gi­ner la voie des dépu­tés ou repré­sen­tants du peuple dans les assem­blées de la nation. C’est ce qu’en cer­tain pays on ose appe­ler le tiers état. Ain­si l’in­té­rêt par­ti­cu­lier de deux ordres est mis au pre­mier et second rang ; l’in­té­rêt public n’est qu’au troisième.
La sou­ve­rai­ne­té ne peut être repré­sen­tée, par la même rai­son qu’elle peut être alié­née ; elle consiste essen­tiel­le­ment dans la volon­té géné­rale, et la volon­té ne se repré­sente point : elle est la même, ou elle est autre ; il n’y a point de milieu. Les dépu­tés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses repré­sen­tants, ils ne sont que ses com­mis­saires ; ils ne peuvent rien conclure défi­ni­ti­ve­ment. Toute loi que le peuple en per­sonne n’a pas rati­fiée est nulle ; ce n’est point une loi. Le peuple Anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l’est que durant l’é­lec­tion des membres du par­le­ment : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. Dans les courts moments de sa liber­té, l’u­sage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde. »
Jean-Jacques Rous­seau, Du contrat social (1762), Cha­pitre 3.15 : Des dépu­tés ou repré­sen­tants (extrait).

3. Projets ouvertement antidémocratiques des pères fondateurs du gouvernement représentatif

« Les citoyens qui se nomment des repré­sen­tants renoncent et doivent renon­cer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volon­té par­ti­cu­lière à impo­ser. S’ils dic­taient des volon­tés, la France ne serait plus cet État repré­sen­ta­tif ; ce serait un État démo­cra­tique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démo­cra­tie (et la France ne sau­rait l’être), le peuple ne peut par­ler, ne peut agir que par ses représentants. »
Abbé SIEYES, Dis­cours du 7 sep­tembre 1789.

« Si la foule gou­ver­née peut se croire l’é­gale du petit nombre qui gou­verne, alors il n’y a plus de gou­ver­ne­ment. Le pou­voir doit être hors de por­tée de la com­pré­hen­sion de la foule des gou­ver­nés. L’au­to­ri­té doit être constam­ment gar­dée au-des­sus du juge­ment cri­tique à tra­vers les ins­tru­ments psy­cho­lo­giques de la reli­gion, du patrio­tisme, de la tra­di­tion et du pré­ju­gé… Il ne faut pas culti­ver la rai­son du peuple mais ses sen­ti­ments, il faut donc les diri­ger et for­mer son cœur non son esprit. »
Joseph de Maistre (1753 – 1821) « Étude sur la sou­ve­rai­ne­té » (Œuvres com­plètes, Lyon, 1891–1892), cité Fabrice Arfi dans « Le sens des affaires » page 71.

« Il faut qu’une consti­tu­tion soit courte et obs­cure. Elle doit être faite de manière à ne pas gêner l’ac­tion du gouvernement. »
Napo­léon Bonaparte.

« C’est à la lueur des flammes de leurs châ­teaux incen­diés qu’ils ont la gran­deur d’âme de renon­cer au pri­vi­lège de tenir dans les fers les hommes qui ont ren­con­tré leur liber­té les armes à la main. […] Ces sacri­fices sont pour la plu­part illusoires. »
Jean-Paul Marat, « L’Ami du Peuple », 21 sep­tembre 1789.

« Le concours immé­diat est celui qui carac­té­rise la véri­table démo­cra­tie. Le concours médiat désigne le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif. La dif­fé­rence entre ces deux sys­tèmes poli­tiques est énorme. »
Sieyès, Dire sur la ques­tion du véto royal, 7 sep­tembre 1789, p 14.

« Il est déjà bien suf­fi­sant que les gens sachent qu’il y a eu une élec­tion. Les gens qui votent ne décident rien. Ce sont ceux qui comptent les votes qui décident de tout. »
Joseph Sta­line (1879−1953).

« Quelque heu­reux que puissent être les chan­ge­ments sur­ve­nus dans l’État, ils sont tous pour le riche : le ciel fut tou­jours d’airain pour le pauvre, et le sera tou­jours… Qu’aurons-nous gagné à détruire l’aristocratie des nobles, si elle est rem­pla­cée par l’aristocratie des riches ? »
Jean-Paul Marat (1790), cité par Jean Mas­sin, p 28.

« Un peuple sans reli­gion sera bien­tôt un peuple de brigands. »
Voltaire.

« La reli­gion est l’art d’en­ivrer les hommes pour détour­ner leur esprit des maux dont les accablent ceux qui gou­vernent. À l’aide des puis­sances invi­sibles dont on les menace, on les force à souf­frir en silence les misères qu’ils doivent aux puis­sances visibles. »
D’Holbach, « Le sys­tème de la nature », cité par Hen­ri Guille­min (dans son livre Éclaircissements).

« C’est la phi­lo­so­phie d’un gueux qui vou­drait que les riches fussent dépouillés par les pauvres. »
Vol­taire, à pro­pos du « Dis­cours sur l’origine des inéga­li­tés par­mi les hommes » de Jean-Jacques Rous­seau, et cité par Hen­ri Guille­min expli­quant Rous­seau (1÷2, min. 24:25).

« Il est néces­saire qu’il y ait des gueux igno­rants pour nour­rir les gens de bien. »
Vol­taire, cité par Hen­ri Guille­min (min. 36:30).

« La croyance des peines et des récom­penses après la mort est un frein dont le peuple a besoin »
Vol­taire, cité par Hen­ri Guille­min (dans son livre Éclaircissements).

« Il est fort bon de faire accroire aux hommes qu’ils ont une âme immor­telle et qu’il y a un Dieu ven­geur qui puni­ra mes pay­sans s’ils me volent mon blé et mon vin ».
Vol­taire, cité par Hen­ri Guille­min (dans son livre Éclaircissements).

« Je crois que nous ne nous enten­dons pas sur l’article du peuple, que vous croyez digne d’être ins­truit. J’entends par peuple la popu­lace, qui n’a que ses bras pour vivre. Je doute que cet ordre de citoyens ait jamais le temps ni la capa­ci­té de s’instruire ; ils mour­raient de faim avant de deve­nir phi­lo­sophes. Il me paraît essen­tiel qu’il y ait des gueux igno­rants. Si vous fai­siez valoir comme moi une terre, et si vous aviez des char­rues, vous seriez bien de mon avis. Ce n’est pas le manœuvre qu’il faut ins­truire, c’est le bon bour­geois, c’est l’habitant des villes ; […] Quand la popu­lace se mêle de rai­son­ner, tout est perdu. »
VOLTAIRE, Lettre à M. Damil­la­ville (1er avril 1766), dans Œuvres de Vol­taire, éd. Lefèvre, 1828, t. 69, p. 131

« Théo­ri­cien de la puis­sance éta­tique, Car­ré de Mal­berg a mon­tré d’une façon défi­ni­tive com­ment le phé­no­mène du Pou­voir — qu’au­jourd’­hui la science poli­tique s’ef­force de cer­ner dans la diver­si­té de ses mani­fes­ta­tions brutes — trouve dans l’É­tat son expres­sion par­faite. L’É­tat n’est pas seule­ment le lieu de la domi­na­tion ; il est aus­si l’ap­pa­reil qui per­met de la contrô­ler car, par la consti­tu­tion, il impose un sta­tut aux gou­ver­nants. Ce sta­tut défi­nit en même temps la fina­li­té et les moda­li­tés de leur action, d’où la thèse sou­te­nue par Car­ré de Mal­berg quant à l’au­to-limi­ta­tion de l’É­tat. Encore faut-il cepen­dant que la consti­tu­tion soit l’œuvre du peuple et que les gou­ver­nants ne soient pas libres d’en don­ner une inter­pré­ta­tion favo­rable à leur volon­té de puis­sance. C’est pré­ci­sé­ment la mécon­nais­sance de ces condi­tions, volon­tai­re­ment entre­te­nue depuis 1791 par le per­son­nel poli­tique fran­çais, qui a conduit au régime de la IIIème Répu­blique où LE PARLEMENT A SUBSTITUÉ SA PROPRE SOUVERAINETÉ À CELLE DE LA NATION.
[Le livre] « La loi, expres­sion de la volon­té géné­rale » apporte la démons­tra­tion de cette ESCROQUERIE INTELLECTUELLE. Il en révèle l’o­ri­gine (une défi­ni­tion fal­si­fiée de la volon­té géné­rale), il en décrit l’ins­tru­ment (une concep­tion par­tiale de la repré­sen­ta­tion) ; il en expose les consé­quences, (une théo­rie de la léga­li­té qui a pour effet de subor­don­ner toutes les auto­ri­tés éta­tiques à la volon­té arbi­traire du Par­le­ment). La démons­tra­tion met en cause la qua­si-tota­li­té de l’or­don­nan­ce­ment consti­tu­tion­nel de notre pays et, de ce fait, l’œuvre que l’on va lire n’est pas sim­ple­ment consa­crée à un pro­blème spé­ci­fique et limi­té ; elle est un véri­table Trai­té de droit public fran­çais. Un Trai­té qui, par la richesse de son infor­ma­tion, la rigueur de sa construc­tion et la per­fec­tion de son style, consti­tue une source irrem­pla­çable de connais­sance en même temps qu’une joie pour l’esprit. »
Georges Bur­deau, Pré­face du grand livre « La loi, expres­sion de la volon­té géné­rale », de Ber­trand Car­ré de Mal­berg (1931).

« Pour­tant, aujourd’hui comme hier, les libé­raux vic­to­rieux gar­daient une secrète méfiance envers le spectre de la sou­ve­rai­ne­té popu­laire qui s’agite sous la sur­face lisse du for­ma­lisme démo­cra­tique. « J’ai pour les ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques un goût de tête, confiait Toc­que­ville, mais je suis aris­to­cra­tique par l’instinct, c’est-à-dire que je méprise et crains la foule. J’aime à fond la liber­té, le res­pect des droits, mais non la démo­cra­tie. » [New York Dai­ly Tri­bune, 25 juin 1853]. La peur des masses et la pas­sion de l’ordre, tel est bien le fond de l’idéologie libé­rale, pour qui le terme de démo­cra­tie n’est en somme que le faux-nez du des­po­tisme mar­chand et de sa concur­rence non faussée. »
Daniel Ben­saïd dans « Le scan­dale per­ma­nent » in « Démo­cra­tie, dans quel état ? » (ouvrage col­lec­tif), La Fabrique, Paris, 2009.

« Nos contem­po­rains sont inces­sam­ment tra­vaillés par deux pas­sions enne­mies : ils sentent le besoin d’être conduits et l’en­vie de res­ter libres. Ne pou­vant détruire ni l’un ni l’autre de ces ins­tincts contraires, ils s’ef­forcent de les satis­faire à la fois tous les deux. Ils ima­ginent un pou­voir unique, tuté­laire, tout-puis­sant, mais élu par les citoyens. Ils com­binent la cen­tra­li­sa­tion et la sou­ve­rai­ne­té du peuple. Cela leur donne quelque relâche. Ils se consolent d’être en tutelle, en son­geant qu’ils ont eux-mêmes choi­si leurs tuteurs. Chaque indi­vi­du souffre qu’on l’at­tache, parce qu’il voit que ce n’est pas un homme ni une classe, mais le peuple lui-même, qui tient le bout de la chaîne. Dans ce sys­tème, les citoyens sortent un moment de la dépen­dance pour indi­quer leur maître, et y rentrent. »
Alexis de Toc­que­ville, De la Démo­cra­tie en Amé­rique II, Qua­trième par­tie, cha­pitre VI.

« Le rôle du public ne consiste pas vrai­ment à expri­mer ses opi­nions, mais à s’a­li­gner ou non der­rière une opi­nion. Cela posé, il faut ces­ser de dire qu’un gou­ver­ne­ment démo­cra­tique peut être l’ex­pres­sion directe de la volon­té du peuple. Le peuple doit être mis à sa place, afin que les hommes res­pon­sables puissent vivre sans crainte d’être pié­tines ou encor­nés par le trou­peau de bêtes sauvages. »
Wal­ter Lipp­mann, « L’o­pi­nion publique » (1922) et « Le public fan­tôme » (1925), 2 pas­sages cités par Her­vé Kempf, dans « L’o­li­gar­chie ça suf­fit, vive la démo­cra­tie (2011), p 87.

« L’éducation de masse fut conçue pour trans­for­mer les fer­miers indé­pen­dants en ins­tru­ments de pro­duc­tion dociles et pas­sifs. C’était son pre­mier objec­tif. Et ne pen­sez pas que les gens n’étaient pas au cou­rant. Ils le savaient et l’ont com­bat­tu. Il y eut beau­coup de résis­tance à l’éducation de masse pour cette rai­son. C’était aus­si com­pris par les élites. Emer­son a dit une fois quelque chose sur la façon dont on les éduque pour les empê­cher de nous sau­ter à la gorge. Si vous ne les édu­quez pas, ce qu’on appelle l’» édu­ca­tion », ils vont prendre le contrôle — « ils » étant ce qu’Alexander Hamil­ton appe­lait la « grande Bête », c’est-à-dire le peuple. La pous­sée anti-démo­cra­tique de l’opinion dans ce qui est appe­lé les socié­tés démo­cra­tiques est tout bon­ne­ment féroce. »
Noam Chomsky.

4. Le MENSONGE comme arme centrale des politiciens de métier : « les pires gouverneront »

« Il faut men­tir comme un diable, non pas timi­de­ment, non pas pour un temps, mais har­di­ment et tou­jours. Men­tez, mes amis, men­tez, je vous le ren­drai un jour. »
Vol­taire (la réfé­rence morale des élus et de leurs don­neurs d’ordres), Lettre à Thi­riot, 21 octobre 1736.

« Pour pou­voir deve­nir le maître, le poli­ti­cien se fait pas­ser pour le servant. »
Charles de Gaulle (1890−1970), Géné­ral et Pré­sident Français.

« Le poli­tique s’efforce à domi­ner l’opinion… Aus­si met-il tout son art à la séduire, dis­si­mu­lant sui­vant l’heure, n’affirmant qu’opportunément… Enfin, par mille intrigues et ser­ments, voi­ci qu’il l’a conquise : elle lui donne le pou­voir. À pré­sent, va-t-il agir sans feindre ? Mais non ! Il lui faut plaire encore, convaincre le prince ou le par­le­ment, flat­ter les pas­sions, tenir en haleine les intérêts. »
Charles de Gaulle

« Bona­parte a le goût des mal­hon­nêtes gens, il aime à s’entourer de canailles, et il le dit ─ c’est pour ça, d’ailleurs, qu’il va ché­rir Tal­ley­rand ─, il y a une phrase de lui extrê­me­ment claire là-des­sus : « il y a long­temps que j’ai consta­té que les gens hon­nêtes ne sont bons à rien ». »
Hen­ri Guille­min, confé­rence n°11/15 sur Napo­léon, min. 21.

« Il y a ce qu’on dit et il y a ce qu’on fait. Il y a un voca­bu­laire à attra­per, et il est facile avec quelques mots ─ liber­té et indé­pen­dance natio­nale ─ de se faire écou­ter des imbéciles. »
Bona­parte, automne 1795, cité par Hen­ri Guille­min (confé­rence n°3/15 sur Napo­léon, « Un mili­taire abu­sif », min. 19:15).

« Les hommes sont comme les lapins : ils s’attrapent par les oreilles… »
Mot attri­bué à Mira­beau (qui en connais­sait un rayon).

« Par le temps qui court, cha­cun a la pré­ten­tion d’être démo­crate sans même en exemp­ter ceux qui, par inté­rêt ou par pré­ju­gé, sont les enne­mis les plus impla­cables de toute démo­cra­tie. Le ban­quier qui s’est enri­chi dans les sales tri­po­tages de la bourse, et l’orateur sub­ven­tion­né qui monte à la tri­bune pré­ten­du­ment natio­nale pour y défendre les plus révol­tants mono­poles se disent démo­crates ; le jour­nal qui chaque jour se fait l’écho des décla­ma­tions aris­to­cra­tiques et qui se tourne avec le plus de fureur contre la liber­té et l’égalité se dit démocrate. »
Albert Lapon­ne­raye, Lettre aux Pro­lé­taires (1833), cité par Pierre Rosan­val­lon dans son article de 1993 sur les ori­gines du mot démocratie.

« La mani­pu­la­tion consciente et intel­li­gente des opi­nions et des habi­tudes orga­ni­sées des masses joue un rôle impor­tant dans les socié­tés démo­cra­tiques. Ceux qui mani­pulent ce méca­nisme social imper­cep­tible fun gou­ver­ne­ment invi­sible qui dirige véri­ta­ble­ment le pays. »
Edward Ber­nays, « Pro­pa­gan­da » (1928), p 31.

« C’est prin­ci­pa­le­ment, sinon exclu­si­ve­ment, par le don ora­toire que les chefs ont réus­si, à l’o­ri­gine du mou­ve­ment ouvrier, à gagner leur supré­ma­tie sur les masses. Il n’est pas de foule qui soit capable de se sous­traire au pou­voir esthé­tique et émo­tif de la parole. La beau­té du dis­cours sug­ges­tionne la masse, et la sug­ges­tion la livre sans résis­tance à l’influence de l’orateur. Or, ce qui carac­té­rise essen­tiel­le­ment la démo­cra­tie, c’est pré­ci­sé­ment la faci­li­té avec laquelle elle suc­combe à la magie du verbe. Dans le régime démo­cra­tique, les chefs nés sont ora­teurs et jour­na­listes. […] Dans les États démo­cra­tiques règne la convic­tion que seul le don de la parole rend apte à diri­ger les affaires publiques. On peut en dire autant, et d’une façon encore plus abso­lue, des grands par­tis démocratiques. »
Robert Michels, « Les par­tis poli­tiques. Essai sur les ten­dances oli­gar­chiques des démo­cra­ties » (1911), p 49.

« Il est plus facile de domi­ner la masse qu’un petit audi­toire. L’adhé­sion de celle-là est en effet tumul­tueuse, som­maire, incon­di­tion­née. Une fois sug­ges­tion­née, elle n’ad­met pas volon­tiers les contra­dic­tions, sur­tout de la part d’in­di­vi­dus iso­lés. Une grande mul­ti­tude réunie dans un petit espace est incon­tes­ta­ble­ment plus acces­sible à la panique aveugle ou à l’en­thou­siasme irré­flé­chi qu’une petite réunion dont les membres peuvent tran­quille­ment dis­cu­ter entre eux.
[…]
Actes et paroles sont moins pesés par la foule que par les indi­vi­dus ou les petits groupes dont elle se com­pose. C’est là un fait incon­tes­table. Il est une des mani­fes­ta­tions de la patho­lo­gie de la foule. La mul­ti­tude anni­hile l’in­di­vi­du, et, avec lui, sa per­son­na­li­té et son sen­ti­ment de responsabilité. »
Robert Michels, « Les par­tis poli­tiques – Essai sur les ten­dances oli­gar­chiques des démo­cra­ties » (1911).

« [Jacques Ellul] qui déjà dans la pre­mière moi­tié du siècle der­nier ensei­gnait que le fon­de­ment de la légi­ti­ma­tion juri­dique du pou­voir poli­tique (la volon­té popu­laire expri­mée par le vote) est une chi­mère objec­ti­ve­ment irréa­li­sable, un mythe ridi­cule mais bien utile pour gou­ver­ner, et bien connu comme tel dans les milieux poli­tiques et socio­lo­giques. La réa­li­té des sys­tèmes démo­cra­tiques n’est pas dans la volon­té d’une base gui­dant les déci­sions du som­met, mais dans la volon­té du som­met de pro­duire du consen­sus, c’est-à-dire l’acquiescement de la base à ses déci­sions, et ceci notam­ment grâce à la mani­pu­la­tion de l’information (cen­sures, distorsions). »
Jacques ELLUL (cité par Mar­co del­la Luna et Pao­lo Cio­ni dans « Neuro-Esclaves »).

« Par le moyen de méthodes tou­jours plus effi­caces de mani­pu­la­tion men­tale, les démo­cra­ties chan­ge­ront de nature. Les vieilles formes pit­to­resques — élec­tions, par­le­ments, hautes cours de jus­tice — demeu­re­ront, mais la sub­stance sous-jacente sera une nou­velle forme de tota­li­ta­risme « non violent ». Toutes les appel­la­tions tra­di­tion­nelles, tous les slo­gans consa­crés, res­te­ront exac­te­ment ce qu’ils étaient aux bons vieux temps. La démo­cra­tie et la liber­té seront les thèmes de toutes les émis­sions (…) et de tous les édi­to­riaux, mais (…) l’o­li­gar­chie au pou­voir et son élite hau­te­ment qua­li­fiée de sol­dats, de poli­ciers, de fabri­cants de pen­sée, de mani­pu­la­teurs men­taux, mène­ra tout et tout le monde comme bon lui semblera. »
Aldous Hux­ley, « Retour au meilleur des monde » (1958).

« Bien sûr, le peuple ne veut pas la guerre. C’est natu­rel et on le com­prend. Mais après tout, ce sont les diri­geants du pays qui décident des poli­tiques. Qu’il s’a­gisse d’une démo­cra­tie, d’une dic­ta­ture fas­ciste, d’un par­le­ment ou d’une dic­ta­ture com­mu­niste, il sera tou­jours facile d’a­me­ner le peuple à suivre. Qu’il ait ou non droit de parole, le peuple peut tou­jours être ame­né à pen­ser comme ses diri­geants. C’est facile. Il suf­fit de lui dire qu’il est atta­qué, de dénon­cer le manque de patrio­tisme des paci­fistes et d’as­su­rer qu’ils mettent le pays en dan­ger. Les tech­niques res­tent les mêmes, quel que soit le pays. »
Her­man Goe­ring (durant son pro­cès à Nuremberg).

« Dou­tez de tout ce qu’une per­sonne de pou­voir peut vous dire. En public, les ins­ti­tu­tions se pré­sentent sys­té­ma­ti­que­ment sous leur meilleur jour. Comp­tables de leurs actes et de leur répu­ta­tion, les per­sonnes qui les gèrent ont tou­jours ten­dance à men­tir un peu, à arron­dir les angles, à cacher les pro­blèmes, voire à nier leur exis­tence. Ce qu’elles disent peut être vrai, mais l’or­ga­ni­sa­tion sociale leur donne toutes les rai­sons de men­tir. Un par­ti­ci­pant de la socié­té cor­rec­te­ment socia­li­sé peut les croire ; un socio­logue cor­rec­te­ment socia­li­sé doit en revanche soup­çon­ner le pire, et le traquer. »
Howard S. Becker, Les ficelles du métier, 1998.

« Les gou­ver­ne­ments pro­tègent et récom­pensent les hommes à pro­por­tion de la part qu’ils prennent à l’or­ga­ni­sa­tion du mensonge. »
Léon Tolstoï.

« Désor­mais, nous dit-on, l’individu est roi et le roi est sujet. Tout devrait donc être pour le mieux dans le meilleur des mondes. C’est, du moins, ce que cherchent à nous faire croire tous ces pro­fes­sion­nels de la poli­tique qui occupent le devant de la scène à nos dépens. Car, hélas, le pré­sent est tou­jours à l’image du pas­sé : le pri­vi­lège du pou­voir n’est pas de répondre aux ques­tions ─ de voter ─ mais de les poser ─ d’organiser les élections. »
Upins­ky, « Com­ment vous aurez tous la tête cou­pée (ou la parole). Le cal­cul et la mort sont les deux pôles de la poli­tique » (1991), p 25.

« Pour dire un men­songe, on peut aller vite. Pour dire la véri­té, il faut réflé­chir. Men­songe et véri­té ne sont pas les deux faces d’une même pièce : il est plus facile de dire un men­songe qu’une véri­té ; le men­songe s’accommode mieux de la vitesse, de la non réflexion, du n’importequoitisme. La véri­té, c’est un pro­ces­sus long, qui demande du temps. »
Vik­tor Dedaj.

« Les hommes ont deux res­sorts : la crainte et l’intérêt. Il faut leur faire peur et leur mon­trer un avantage. »
Bona­parte, cité par Hen­ri Guille­min, confé­rence n°11/15 sur Napoléon.

« Il faut par­ler paix et agir guerre. »
Bona­parte, cité par Hen­ri Guillemin.

« Il faut tou­jours mettre autour des actions une confi­ture de paroles. »
Napo­léon Bonaparte.

« Bien ana­ly­sée, la liber­té poli­tique est une fable conve­nue, ima­gi­née par les gou­ver­nants pour endor­mir les gouvernés. »
Napo­léon Bonaparte.

5. Pertinence de l’opinion (et nécessaire participation) des simples citoyens

Liber­té d’expression et res­pect mutuel de rigueur, prô­nés par­tout dans l’Inde du 3e siècle avant JC : l’édit d’Erragudi :
« La crois­sance des élé­ments du Dhar­ma [com­por­te­ment cor­rect] est pos­sible de bien des façons. C’est la réserve à l’égard de la parole qui en est la racine, afin de ne pas encen­ser sa propre secte et de ne pas déni­grer les autres sectes dans des cir­cons­tances inop­por­tunes ; et même dans des cir­cons­tances appro­priées, cette parole doit gar­der sa modé­ra­tion. Au contraire, les autres sectes devraient être dûment hono­rées de toutes façons et en toutes occasions […]
Si quelqu’un agit dif­fé­rem­ment, non seule­ment il fait injure aux siens, mais il porte aus­si atteinte aux autres. En véri­té, si quelqu’un exalte sa secte et dénigre les autres dans l’intention de glo­ri­fier la sienne, uni­que­ment pour l’attachement qu’il lui porte, il ne fait que bles­ser gra­ve­ment les siens en agis­sant de la sorte. »
Édit d’Erragudi, cité par Amar­tya Sen, « La démo­cra­tie des autres », page 29.

Machia­vel. Dis­cours sur la Pre­mière Décade de Tite-Live (1531) Livre 1,
Cha­pitre 58 : La foule est plus sage et plus constante qu’un prince
 :
« Tite-Live et tous les autres his­to­riens affirment qu’il n’est rien de plus chan­geant et de plus incons­tant que la foule. Il arrive sou­vent, en effet, lors­qu’on raconte les actions des hommes, que l’on voie la foule condam­ner quel­qu’un à mort, et puis le pleu­rer et le regret­ter amèrement. […]
Vou­lant défendre une cause contre laquelle, comme je l’ai dit, tous les his­to­riens se sont décla­rés, je crains de m’en­ga­ger dans un domaine si ardu et dif­fi­cile qu’il me fau­dra l’a­ban­don­ner hon­teu­se­ment ou le par­cou­rir dif­fi­ci­le­ment. Mais, quoi qu’il en soit, je ne pense ni ne pen­se­rai jamais que ce soit un tort que de défendre une opi­nion par le rai­son­ne­ment, sans vou­loir recou­rir ni à la force ni à l’autorité.
Je dis donc que ce défaut dont les écri­vains accusent la foule, on peut en accu­ser tous les hommes per­son­nel­le­ment, et notam­ment les princes. Car tout indi­vi­du qui n’est pas sou­mis aux lois peut com­mettre les mêmes erreurs qu’une foule sans contraintes. On peut aisé­ment consta­ter ce fait, parce qu’il y a et qu’il y a eu beau­coup de princes, et qu’il y en a eu peu qui furent bons et sages : je parle des princes qui ont pu rompre le frein qui pou­vait les rete­nir. Par­mi ceux-ci on ne peut comp­ter les rois d’É­gypte, à l’é­poque très ancienne où ce pays était gou­ver­né par des lois ; ni les rois de France de notre temps, dont le pou­voir est plus réglé par les lois que dans tout autre royaume de notre temps. Les rois qui vivent sous de tels édits ne sont pas à comp­ter au nombre des indi­vi­dus dont il faut consi­dé­rer la nature pour voir si elle est sem­blable à celle de la foule. Car on doit les com­pa­rer avec une foule réglée par les lois, comme ils le sont eux-mêmes. On trou­ve­ra alors en cette foule la même ver­tu que nous consta­tons chez les princes ; et l’on ne ver­ra pas qu’elle domine avec orgueil, ni qu’elle serve avec bassesse. […]
Aus­si ne faut-il pas accu­ser davan­tage la nature de la foule que celle des princes, car ils se trompent tous, quand ils peuvent sans crainte se trom­per. Outre ceux que j’ai don­nés, il y a de très nom­breux exemples par­mi les empe­reurs romains et par­mi d’autres tyrans et d’autres princes : on trouve chez eux plus d’in­cons­tance et de varia­tions que l’on n’en a jamais trou­vées chez aucune foule.
Je conclus donc contre l’o­pi­nion géné­rale, qui pré­tend que les peuples, quand ils ont le pou­voir, sont chan­geants, incons­tants et ingrats. Et j’af­firme que ces défauts ne sont pas dif­fé­rents chez les peuples et chez les princes. Qui accuse les princes et les peuples conjoin­te­ment peut dire la véri­té ; mais, s’il en excepte les princes, il se trompe. Car un peuple qui gou­verne et est bien régle­men­té est aus­si constant, sage et recon­nais­sant, et même davan­tage, qu’un prince esti­mé pour sa sagesse. Et, d’autre part, un prince affran­chi des lois est plus ingrat, chan­geant et dépour­vu de sagesse qu’un peuple.
La dif­fé­rence de leurs conduites ne naît pas de la diver­si­té de leur nature, parce qu’elle est iden­tique chez tous — et, s’il y a une supé­rio­ri­té, c’est celle du peuple ; mais du plus ou moins de res­pect qu’ils ont pour les lois, sous les­quelles ils vivent l’un et l’autre. […]
Quant à la sagesse et à la constance, je dis qu’un peuple est plus sage, plus constant et plus avi­sé qu’un prince. Ce n’est pas sans rai­son que l’on com­pare la parole d’un peuple à celle de Dieu. Car on voit que l’o­pi­nion géné­rale réus­sit mer­veilleu­se­ment dans ses pro­nos­tics ; de sorte qu’elle semble pré­voir par une ver­tu occulte le bien et le mal qui l’at­tendent. Quant à son juge­ment, il arrive rare­ment, lors­qu’un peuple entend deux ora­teurs oppo­sés et de force égale, qu’il ne choi­sisse pas le meilleur avis et qu’il ne soit pas capable de dis­cer­ner la véri­té qu’on lui dit. Si, dans les entre­prises ris­quées ou qui lui semblent pro­fi­tables, il se trompe, un prince se trompe aus­si très sou­vent dans ses pas­sions, qui sont beau­coup plus nom­breuses que celles du peuple. On voit aus­si que dans le choix des magis­trats il fait un bien meilleur choix que les princes, et on ne per­sua­de­ra jamais un peuple qu’il est bon d’é­le­ver à de hautes digni­tés un homme de mau­vaise répu­ta­tion et de moeurs cor­rom­pues : chose dont on per­suade aisé­ment un prince, et de mille façons. On voit un peuple avoir une chose en hor­reur et conser­ver plu­sieurs siècles cette opi­nion ; ce que l’on ne voit pas chez un prince. […]
On voit en outre que les cités où le peuple gou­verne font en très peu de temps des pro­grès inouïs : beau­coup plus grands que les cités qui ont tou­jours vécu sous un prince. C’est ce que fit Rome après l’ex­pul­sion des rois et Athènes après qu’elle se fut déli­vrée de Pisis­trate. Ceci ne peut pro­ve­nir que du fait que le gou­ver­ne­ment des peuples est meilleur que celui des princes.
Je ne veux pas que l’on objecte à mon opi­nion tout ce que notre his­to­rien a dit dans le texte cité ci-des­sus et dans d’autres. Car si l’on exa­mine tous les désordres des peuples, tous les désordres des princes, toutes les gloires des peuples et toutes celles des princes, on voit que le peuple est lar­ge­ment supé­rieur en ver­tu et en gloire. Si les princes sont supé­rieurs aux peuples dans l’é­la­bo­ra­tion des lois, dans la créa­tion des régimes poli­tiques, dans l’é­ta­blis­se­ment de sta­tuts et de nou­velles ins­ti­tu­tions, les peuples sont tel­le­ment supé­rieurs dans le main­tien des choses éta­blies qu’ils ajoutent assu­ré­ment à la gloire de ceux qui les établissent.
En somme et pour conclure, je dirai que les régimes prin­ciers et répu­bli­cains qui ont duré long­temps ont eu besoin les uns et les autres d’être régis par des lois. Car un prince qui peut faire ce qu’il veut est fou ; un peuple qui peut faire ce qu’il veut n’est pas sage.
Si l’on parle donc d’un prince contraint par les lois et d’un peuple lié par elles, on trouve plus de ver­tu dans le peuple que chez le prince. Si l’on parle d’un prince et d’un peuple sans lois, on trouve moins d’er­reurs dans le peuple que chez le prince : *étant moindres, elles trou­ve­ront de plus grands remèdes. En effet, un homme de bien peut par­ler à un peuple agi­té et vivant dans la licence et il peut aisé­ment le rame­ner sur le bon che­min. Il n’est per­sonne qui puisse par­ler à un mau­vais prince et il n’y a pas d’autre remède que l’é­pée. D’où l’on peut conjec­tu­rer la gra­vi­té de la mala­die dont ils souffrent l’un et l’autre. Si les paroles suf­fisent pour gué­rir la mala­die du peuple et s’il faut une épée pour celle du prince, cha­cun peut pen­ser que, là où il faut plus de soin, il y a de plus grandes fautes. Quand un peuple est sans lois, on ne craint pas ses folies et l’on n’a pas peur des maux qu’il peut pré­sen­te­ment com­mettre, mais de ceux qui peuvent appa­raître, car un tyran peut naître au milieu d’une telle confu­sion. Avec les mau­vais princes, c’est le contraire qui arrive : on craint les maux pré­sents et on espère dans le futur, car on s*e per­suade que son mau­vais com­por­te­ment peut faire naître la liber­té. Vous voyez donc la dif­fé­rence qu’il y a entre l’un et l’autre : elle est entre les choses pré­sentes et celles à venir. Les cruau­tés de la foule visent ceux dont elle craint qu’ils ne s’emparent du bien public ; celles d’un prince visent ceux dont il craint qu’ils ne s’emparent de ses biens.
L’o­pi­nion défa­vo­rable au peuple vient de ce que tout le monde en dit du mal sans crainte et libre­ment, même lors­qu’il gou­verne ; on cri­tique tou­jours les princes avec mille craintes et soupçons. »
Machia­vel, « Dis­cours sur la Pre­mière Décade de Tite-Live » (1531), Livre 1, Cha­pitre LVIII : « La foule est plus sage et plus constante qu’un prince ». Édi­tion Robert Laf­font, col­lec­tion Bou­quins, tra­duc­tion Chris­tian Bec (1996), pages 284 à 288.

« La manière la plus prompte de faire ouvrir les yeux à un peuple est de mettre indi­vi­duel­le­ment cha­cun à même de juger par lui-même et en détail de l’objet qu’il n’avait jusque-là appré­cié qu’en gros. »
Machia­vel, « Dis­cor­si » I, 47.

« La liber­té de tout dire n’a d’ennemis que ceux qui veulent se réser­ver la liber­té de tout faire. Quand il est per­mis de tout dire, la véri­té parle d’elle-même et son triomphe est assuré. »
Jean-Paul Marat « Les Chaînes de l’esclavage »

« Ce qui est extra­or­di­naire quand on s’in­té­resse aux Confé­rences de Citoyens [tirées au sort et char­gées de don­ner un avis sur l’en­jeu poli­tique et social d’un sujet scien­ti­fique], c’est de voir à quel point les indi­vi­dus peuvent être modi­fiés au cours de la pro­cé­dure. Vous pre­nez une bou­lan­gère, un ins­ti­tu­teur, bon des gens ont leur métier et qui a prio­ri sont inno­cents, naïfs par rap­port au pro­blème. Ce n’est pas tel­le­ment qu’ils deviennent com­pé­tents, ça c’est évident. C’est sur­tout qu’ils deviennent une autre qua­li­té d’hu­main. C’est-à-dire qu’ils déve­loppent des idées et des points de vue, qu’ils vont défendre leurs avis, qui ne sont pas du tout là pour défendre leur famille, même pas leurs enfants, mais la des­cen­dance de tout le monde : les gens du Sud … on voit une espèce d’al­truisme qui trans­pa­raît, qu’on ne voit pas d’habitude.
Et moi, ce que j’ai consta­té en regar­dant ça, c’est à quel point il y a un gâchis de l’hu­ma­ni­té. C’est-à-dire qu’on main­tient les gens dans un état d’abêtissement, de sui­visme, de condi­tion­ne­ment. Et, je dois dire j’y croyais pas avant de voir ça. Je pen­sais que c’é­tait triste mais que l’hu­ma­ni­té elle n’é­tait pas vrai­ment belle à voir. Mais elle n’est pas belle à voir parce qu’on la met dans cet état-là. Mais je suis main­te­nant convain­cu qu’il y a chez la plu­part des indi­vi­dus, il y a des res­sorts, il y a quelque chose qu’on n’ex­ploite pas, qu’on n’u­ti­lise pas, qu’on ne met pas en valeur. Mais les humains valent beau­coup mieux que ce qu’on en fabrique. »
Jacques Tes­tart, « À voix nue » (France Culture), 8 juin 2012.

6. Références antiques

« Athé­niens (Euro­péens), n’attribuez pas aux dieux les maux qui vous accablent ; c’est l’œuvre de votre cor­rup­tion : vous-mêmes avez mis la puis­sance dans la main de ceux qui vous oppriment. Vos oppres­seurs se sont avan­cés avec habi­le­té comme des renards, et vous, vous n’êtes que des impru­dents et des lâches : vous vous lais­sez séduire par la vaine élo­quence et par les grâces du lan­gage. Jamais la rai­son ne vous guide dans les choses sérieuses. »
Solon d’Athènes

« Ota­nès, d’a­bord, deman­da qu’on remit au peuple perse le soin de diri­ger ses propres affaires (ès méson kata­thé­nai ta prag­ma­ta). « À mon avis », décla­ra-t-il, « le pou­voir ne doit plus appar­te­nir à un seul homme par­mi nous : ce régime n’est ni plai­sant ni bon. […] Com­ment la monar­chie serait-elle un gou­ver­ne­ment équi­li­bré, quand elle per­met à un homme d’a­gir à sa guise, sans avoir de comptes à rendre ? Don­nez ce pou­voir à l’homme le plus ver­tueux qui soit, vous le ver­rez bien­tôt chan­ger d’at­ti­tude. Sa for­tune nou­velle engendre en lui un orgueil sans mesure, et l’en­vie est innée dans l’homme : avec ces deux vices il n’y a plus en lui que per­ver­si­té ; il com­met fol­le­ment des crimes sans nombre, saoul tan­tôt d’or­gueil, tan­tôt d’en­vie. Un tyran, cepen­dant, devrait igno­rer l’en­vie, lui qui a tout, mais il est dans sa nature de prou­ver le contraire à ses conci­toyens. Il éprouve une haine jalouse à voir vivre jour après jour les gens de bien ; seuls les pires coquins lui plaisent, il excelle à accueillir la calom­nie. Suprême incon­sé­quence : gar­dez quelque mesure dans vos louanges, il s’in­digne de n’être pas flat­té bas­se­ment ; flat­tez-le bas­se­ment, il s’en indigne encore comme d’une fla­gor­ne­rie. Mais le pire, je vais vous le dire : il ren­verse les cou­tumes ances­trales, il outrage les femmes, il fait mou­rir n’im­porte qui sans jugement.
Au contraire, le régime popu­laire (archon plè­thos) porte le plus beau nom qui soit : éga­li­té (iso­no­mia) ; en second lieu, il ne com­met aucun des excès dont un monarque se rend cou­pable : le sort dis­tri­bue les charges, le magis­trat rend compte de ses actes, toute déci­sion y est por­tée devant le peuple (bou­leu­ma­ta pan­ta es to koi­non ana­phé­rein). Donc voi­ci mon opi­nion : renon­çons à la monar­chie et met­tons le peuple au pou­voir, car seule doit comp­ter la majorité. »
« Com­pa­gnons de révolte, il est clair qu’un seul d’entre nous va devoir régner […]. Pour moi, je ne pren­drai point part à cette com­pé­ti­tion : je ne veux ni com­man­der ni obéir ; mais si je renonce au pou­voir, c’est à la condi­tion que je n’au­rai pas à obéir à l’un de vous, ni moi, ni aucun de mes des­cen­dants à l’avenir. » »
Ota­nès, sous la plume d’Hé­ro­dote, L’En­quête (≈ ‑445).

« Notre Consti­tu­tion est appe­lée démo­cra­tie parce que le pou­voir est entre les mains non d’une mino­ri­té, mais du peuple tout entier. »
Cita­tion attri­buée par Thu­cy­dide à Périclès.

VERGOGNE = impor­tance que l’on donne à l’opinion des autres
« Qu’on mette à mort, comme un fléau de la cité, l’homme qui se montre inca­pable de prendre part à la Ver­gogne et à la Jus­tice. » Zeus, via PLATON (Pro­ta­go­ras, 322b-323a).
La ver­gogne pousse à la ver­tu. (Et inversement.)

« Le pire des maux est que le pou­voir soit occu­pé par ceux qui l’ont voulu. »
Pla­ton, cité par Jacques Rancière.

8. Arguments contre le faux suffrage universel (élire des maîtres au lieu de voter les lois)

« L’é­lec­teur est celui qui jouit du pri­vi­lège sacré de voter pour l’homme choi­si par un autre. »
Ambrose Bierce.

« Le peuple qui se sou­met aux lois doit en être l’auteur. Il n’appartient qu’à ceux qui s’associent de fixer les règles de la société. »
Jean-Jacques Rous­seau, « Du contrat social ou Prin­cipes du droit poli­tique » (1762)

« Dès que la socié­té est divi­sée en hommes qui ordonnent et en hommes qui exé­cutent, toute la vie sociale est com­man­dée par la lutte pour le pouvoir. »
Simone Weil, « Réflexions sur les causes de la liber­té et de l’oppression sociale » (1934).

Repré­sen­ter signi­fie faire accep­ter comme étant la volon­té de la masse ce qui n’est que volon­té individuelle.
Il est pos­sible de repré­sen­ter, dans cer­tains cas iso­lés, lorsqu’il s’agit par exemple de ques­tions ayant des contours nets et simples et lorsque, par sur­croît, la délé­ga­tion est de brève durée.
Mais une repré­sen­ta­tion per­ma­nente équi­vau­dra tou­jours à une hégé­mo­nie des repré­sen­tants sur les représentés. »
Robert Michels, « Les par­tis poli­tiques. Essai sur les ten­dances oli­gar­chiques des démo­cra­ties » (1911), p 21.

« Peut-on par­ler de suf­frage uni­ver­sel sans rire ? Tous sont obli­gés de recon­naître que c’est une mau­vaise arme […] Votre vote, c’est la prière aux dieux sourds de toutes les mytho­lo­gies, quelque chose comme le mugis­se­ment d’un bœuf flai­rant l’abattoir. »
Louise Michel, « Prise de pos­ses­sion » (1890).

« Aujourd’hui, le can­di­dat s’incline devant vous, et peut-être trop bas ; demain, il se redres­se­ra et peut-être trop haut. Il men­diait les votes, il vous don­ne­ra des ordres. (…) Le fou­gueux démo­crate n’apprend-il pas à cour­ber l’échine quand le ban­quier daigne l’inviter à son bureau, quand les valets des rois lui font l’honneur de l’entretenir dans les anti­chambres ? L’atmosphère de ces corps légis­la­tifs est mal­saine à res­pi­rer ; vous envoyez vos man­da­taires dans un milieu de cor­rup­tion ; ne vous éton­nez pas s’ils en sortent cor­rom­pus… Au lieu de confier vos inté­rêts à d’autres, défen­dez-les vous-mêmes ; agissez ! »
Éli­sée Reclus, 26 sep­tembre 1885

« Les qua­li­tés néces­saires pour accé­der au pou­voir n’ont rien à voir avec les qua­li­tés néces­saires pour exer­cer le pouvoir. »
Léon Blum.

« Quand j’ai voté, mon éga­li­té tombe dans la boîte avec mon bul­le­tin ; ils dis­pa­raissent ensemble. »
Louis Veuillot.

« Beau­coup de formes de gou­ver­ne­ment ont été tes­tées, et seront tes­tées dans ce monde de péché et de mal­heur. Per­sonne ne pré­tend que la démo­cra­tie est par­faite ou omni­sciente. En effet, on a pu dire qu’elle était la pire forme de gou­ver­ne­ment à l’ex­cep­tion de toutes celles qui ont été essayées au fil du temps ; mais il existe le sen­ti­ment, lar­ge­ment par­ta­gé dans notre pays, que le peuple doit être sou­ve­rain, sou­ve­rain de façon conti­nue, et que l’o­pi­nion publique, expri­mée par tous les moyens consti­tu­tion­nels, devrait façon­ner, gui­der et contrô­ler les actions de ministres qui en sont les ser­vi­teurs et non les maîtres.
[…]
Un groupe d’hommes qui a le contrôle de la machine et une majo­ri­té par­le­men­taire a sans aucun doute le pou­voir de pro­po­ser ce qu’il veut sans le moindre égard pour le fait que le peuple l’ap­pré­cie ou non, ou la moindre réfé­rence à sa pré­sence dans son pro­gramme de campagne.
[…]
Le par­ti adverse doit-il vrai­ment être auto­ri­sé à faire adop­ter des lois affec­tant le carac­tère même de ce pays dans les der­nières années de ce Par­le­ment sans aucun appel au droit de vote du peuple, qui l’a pla­cé là où il est ? Non, Mon­sieur, la démo­cra­tie dit : « Non, mille fois non. Vous n’a­vez pas le droit de faire pas­ser, dans la der­nière phase d’une légis­la­ture, des lois qui ne sont pas accep­tées ni dési­rées par la majo­ri­té populaire. […] »
W Chur­chill, dis­cours du 11 novembre 1947.

« Dès qu’une fois un peuple a confié à quelques-uns de ses membres le dan­ge­reux dépôt de l’au­to­ri­té publique et qu’il leur a remis le soin de faire obser­ver les lois, tou­jours enchaî­né par elles, il voit tôt ou tard sa liber­té, ses biens, sa vie à la mer­ci des chefs qu’il s’est choi­si pour le défendre. »
Jean-Paul Marat, « Les chaînes de l’esclavage » (1774).

« Dès que la socié­té est divi­sée en hommes qui ordonnent et en hommes qui exé­cutent, toute la vie sociale est com­man­dée par la lutte pour le pouvoir. »
Simone Weil, « Réflexions sur les causes de la liber­té et de l’oppression sociale » (1934).

« C’est un blas­phème poli­tique d’o­ser avan­cer que la nation, de qui émanent tous les pou­voirs, ne peut les exer­cer que par délé­ga­tion ; ce qui la met­trait elle-même dans la dépen­dance, ou plu­tôt sous le joug de ses propres mandataires. »
Jean-Paul Marat, 1791.

« Sur le conti­nent d’Eu­rope, le tota­li­ta­risme est le péché ori­gi­nel des partis. »
Simone Weil, « Note sur la sup­pres­sion géné­rale des par­tis poli­tiques » 1940, « Écrits de Londres », p. 126 et s.

« Le par­le­ment sous l’in­fluence de la cour, ne s’oc­cu­pe­ra jamais du bon­heur public. Ne conce­vez-vous pas que des intri­gants qui ne doivent leur nomi­na­tion qu’à l’or qu’ils ont semé, non contents de négli­ger vos inté­rêts, se font un devoir de vous trai­ter en vils mer­ce­naires ? Cher­chant à rac­cro­cher ce qu’ils ont dépen­sé pour vous cor­rompre, ils ne feront usage des pou­voirs que vous leur avez remis, que pour s’en­ri­chir à vos dépens, que pour tra­fi­quer impu­né­ment de vos droits. »
Jean-Paul Marat, Les chaînes de l’es­cla­vage (1792).

« Si les bour­geois ont pris les armes en 89, c’est avant tout par effroi des pauvres. La bour­geoi­sie s’est ser­vie des pauvres dont elle avait besoin pour inti­mi­der la Cour et pour éta­blir sa propre oli­gar­chie. Et les nou­veaux maîtres, la Légis­la­tive, sont des fai­seurs d’affaires pour qui la liber­té c’est le pri­vi­lège de s’enrichir sans obstacle. »
Jean-Paul Marat, « L’ami du peuple », 20 nov. 1791, cité par Hen­ri Guille­min dans « Les deux révo­lu­tions. », p. 110.

« Les grands hommes appellent honte le fait de perdre et non celui de trom­per pour gagner. »
Machia­vel Nico­las (1469−1527)

Cla­rens, Vaud, 26 sep­tembre 1885.
« Compagnons,
Vous deman­dez à un homme de bonne volon­té, qui n’est ni votant ni can­di­dat, de vous expo­ser quelles sont ses idées sur l’exer­cice du droit de suffrage.
Le délai que vous m’ac­cor­dez est bien court, mais ayant, au sujet du vote élec­to­ral, des convic­tions bien nettes, ce que j’ai à vous dire peut se for­mu­ler en quelques mots.
Voter, c’est abdi­quer ; nom­mer un ou plu­sieurs maîtres pour une période courte ou longue, c’est renon­cer à sa propre sou­ve­rai­ne­té. Qu’il devienne monarque abso­lu, prince consti­tu­tion­nel ou sim­ple­ment man­da­taire muni d’une petite part de royau­té, le can­di­dat que vous por­tez au trône ou au fau­teuil sera votre supé­rieur. Vous nom­mez des hommes qui sont au-des­sus des lois, puis­qu’ils se chargent de les rédi­ger et que leur mis­sion est de vous faire obéir.
Voter, c’est être dupe ; c’est croire que des hommes comme vous acquer­ront sou­dain, au tin­te­ment d’une son­nette, la ver­tu de tout savoir et de tout com­prendre. Vos man­da­taires ayant à légi­fé­rer sur toutes choses, des allu­mettes aux vais­seaux de guerre, de l’é­che­nillage des arbres à l’ex­ter­mi­na­tion des peu­plades rouges ou noires, il vous semble que leur intel­li­gence gran­disse en rai­son même de l’im­men­si­té de la tâche. L’his­toire vous enseigne que le contraire a lieu. Le pou­voir a tou­jours affo­lé, le par­lo­tage a tou­jours abê­ti. Dans les assem­blées sou­ve­raines, la médio­cri­té pré­vaut fatalement.
Voter c’est évo­quer la tra­hi­son. Sans doute, les votants croient à l’hon­nê­te­té de ceux aux­quels ils accordent leurs suf­frages — et peut-être ont-il rai­son le pre­mier jour, quand les can­di­dats sont encore dans la fer­veur du pre­mier amour. Mais chaque jour a son len­de­main. Dès que le milieu change, l’homme change avec lui. Aujourd’­hui, le can­di­dat s’in­cline devant vous, et peut-être trop bas ; demain, il se redres­se­ra et peut-être trop haut. Il men­diait les votes, il vous don­ne­ra des ordres. L’ou­vrier, deve­nu contre­maître, peut-il res­ter ce qu’il était avant d’a­voir obte­nu la faveur du patron ? Le fou­gueux démo­crate n’ap­prend-il pas à cour­ber l’é­chine quand le ban­quier daigne l’in­vi­ter à son bureau, quand les valets des rois lui font l’hon­neur de l’en­tre­te­nir dans les anti­chambres ? L’at­mo­sphère de ces corps légis­la­tifs est mal­sain à res­pi­rer, vous envoyez vos man­da­taires dans un milieu de cor­rup­tion ; ne vous éton­nez pas s’ils en sortent corrompus.
N’ab­di­quez donc pas, ne remet­tez donc pas vos des­ti­nées à des hommes for­cé­ment inca­pables et à des traîtres futurs. Ne votez pas ! Au lieu de confier vos inté­rêts à d’autres, défen­dez-les vous-mêmes ; au lieu de prendre des avo­cats pour pro­po­ser un mode d’ac­tion futur, agis­sez ! Les occa­sions ne manquent pas aux hommes de bon vou­loir. Reje­ter sur les autres la res­pon­sa­bi­li­té de sa conduite, c’est man­quer de vaillance.
Je vous salue de tout cœur, compagnons. »
Éli­sée Reclus, Lettre adres­sée à Jean Grave, insé­rée dans Le Révol­té du 11 octobre 1885 Reclus, Éli­sée (1830−1905), Cor­res­pon­dance, Paris : Schlei­cher Frères : A. Costes, 1911–1925

« Paris ! Le Paris qui vote, la cohue, le peuple sou­ve­rain tous les quatre ans… Le peuple suf­fi­sam­ment nigaud pour croire que la sou­ve­rai­ne­té consiste à se nom­mer des maîtres. Comme par­qués devant les mai­ries, c’était des trou­peaux d’électeurs, des hébé­tés, des féti­chistes qui tenaient le petit bul­le­tin par lequel ils disent : J’abdique. […] Addi­tion­nez les bul­le­tins blancs et comp­tez les bul­le­tins nuls, ajoutez‑y les abs­ten­tions, voix et silences qui nor­ma­le­ment se réunissent pour signi­fier ou le dégoût ou le mépris. Un peu de sta­tis­tique s’il vous plaît, et vous consta­te­rez faci­le­ment que, dans toutes les cir­cons­crip­tions, le mon­sieur pro­cla­mé frau­du­leu­se­ment dépu­té n’a pas le quart des suf­frages. De là, pour les besoins de la cause, cette locu­tion imbé­cile : Majo­ri­té rela­tive — autant vau­drait dire que, la nuit, il fait jour rela­ti­ve­ment. Aus­si bien l’incohérent, le bru­tal Suf­frage Uni­ver­sel qui ne repose que sur le nombre — et n’a pas même pour lui le nombre — péri­ra dans le ridicule. »
Zo d’Axa, LES FEUILLES, IL EST ÉLU (1900).

« Bien avant que les élec­teurs alle­mands ne portent Hit­ler au pou­voir, quand Bona­parte (Napo­léon III) eut assas­si­né la répu­blique, il pro­cla­ma le suf­frage uni­ver­sel. Quand le comte de Bis­marck eut assu­ré la vic­toire des hobe­reaux prus­siens, il pro­cla­ma le suf­frage uni­ver­sel. Dans les deux cas, la pro­cla­ma­tion, l’oc­troi du suf­frage uni­ver­sel scel­la le triomphe du des­po­tisme. Cela seul devrait ouvrir les yeux aux amou­reux du suf­frage universel. »
Wil­helm Liebknecht

La grève des électeurs
« Une chose m’é­tonne pro­di­gieu­se­ment — j’o­se­rai dire qu’elle me stu­pé­fie — c’est qu’à l’heure scien­ti­fique où j’é­cris, après les innom­brables expé­riences, après les scan­dales jour­na­liers, il puisse exis­ter encore dans notre chère France (comme ils disent à la Com­mis­sion du bud­get) un élec­teur, un seul élec­teur, cet ani­mal irra­tion­nel, inor­ga­nique, hal­lu­ci­nant, qui consente à se déran­ger de ses affaires, de ses rêves ou de ses plai­sirs, pour voter en faveur de quel­qu’un ou de quelque chose. Quand on réflé­chit un seul ins­tant, ce sur­pre­nant phé­no­mène n’est-il pas fait pour dérou­ter les phi­lo­so­phies les plus sub­tiles et confondre la rai­son ? Où est-il le Bal­zac qui nous don­ne­ra la phy­sio­lo­gie de l’é­lec­teur moderne ? et le Char­cot qui nous expli­que­ra l’a­na­to­mie et les men­ta­li­tés de cet incu­rable dément ? Nous l’attendons.
Je com­prends qu’un escroc trouve tou­jours des action­naires, la Cen­sure des défen­seurs, l’O­pé­ra-Comique des dilet­tan­ti, le Consti­tu­tion­nel des abon­nés, M. Car­not des peintres qui célèbrent sa triom­phale et rigide entrée dans une cité lan­gue­do­cienne ; je com­prends M. Chan­ta­voine s’obs­ti­nant à cher­cher des rimes ; je com­prends tout. Mais qu’un dépu­té, ou un séna­teur, ou un pré­sident de Répu­blique, ou n’im­porte lequel par­mi tous les étranges far­ceurs qui réclament une fonc­tion élec­tive, quelle qu’elle soit, trouve un élec­teur, c’est-à-dire l’être irrê­vé, le mar­tyr impro­bable, qui vous nour­rit de son pain, vous vêt de sa laine, vous engraisse de sa chair, vous enri­chit de son argent, avec la seule pers­pec­tive de rece­voir, en échange de ces pro­di­ga­li­tés, des coups de trique sur la nuque, des coups de pied au der­rière, quand ce n’est pas des coups de fusil dans la poi­trine, en véri­té, cela dépasse les notions déjà pas mal pes­si­mistes que je m’é­tais faites jus­qu’i­ci de la sot­tise humaine, en géné­ral, et de la sot­tise fran­çaise en par­ti­cu­lier, notre chère et immor­telle sot­tise, ô chauvin !
Il est bien enten­du que je parle ici de l’é­lec­teur aver­ti, convain­cu, de l’é­lec­teur théo­ri­cien, de celui qui s’i­ma­gine, le pauvre diable, faire acte de citoyen libre, éta­ler sa sou­ve­rai­ne­té, expri­mer ses opi­nions, impo­ser — ô folie admi­rable et décon­cer­tante — des pro­grammes poli­tiques et des reven­di­ca­tions sociales ; et non point de l’é­lec­teur « qui la connaît » et qui s’en moque, de celui qui ne voit dans « les résul­tats de sa toute-puis­sance » qu’une rigo­lade à la char­cu­te­rie monar­chiste, ou une ribote au vin répu­bli­cain. Sa sou­ve­rai­ne­té à celui-là, c’est de se pochar­der aux frais du suf­frage uni­ver­sel. Il est dans le vrai, car cela seul lui importe, et il n’a cure du reste. Il sait ce qu’il fait. Mais les autres ?
Ah ! oui, les autres ! Les sérieux, les aus­tères, les peuple sou­ve­rain, ceux-là qui sentent une ivresse les gagner lors­qu’ils se regardent et se disent : « Je suis élec­teur ! Rien ne se fait que par moi. Je suis la base de la socié­té moderne. Par ma volon­té, Floque fait des lois aux­quelles sont astreints trente-six mil­lions d’hommes, et Bau­dry d’As­son aus­si, et Pierre Alype éga­le­ment. » Com­ment y en a‑t-il encore de cet aca­bit ? Com­ment, si entê­tés, si orgueilleux, si para­doxaux qu’ils soient, n’ont-ils pas été, depuis long­temps, décou­ra­gés et hon­teux de leur œuvre ? Com­ment peut-il arri­ver qu’il se ren­contre quelque part, même dans le fond des landes per­dues de la Bre­tagne, même dans les inac­ces­sibles cavernes des Cévennes et des Pyré­nées, un bon­homme assez stu­pide, assez dérai­son­nable, assez aveugle à ce qui se voit, assez sourd à ce qui se dit, pour voter bleu, blanc ou rouge, sans que rien l’y oblige, sans qu’on le paye ou sans qu’on le soûle ?
À quel sen­ti­ment baroque, à quelle mys­té­rieuse sug­ges­tion peut bien obéir ce bipède pen­sant, doué d’une volon­té, à ce qu’on pré­tend, et qui s’en va, fier de son droit, assu­ré qu’il accom­plit un devoir, dépo­ser dans une boîte élec­to­rale quel­conque un quel­conque bul­le­tin, peu importe le nom qu’il ait écrit des­sus ?… Qu’est-ce qu’il doit bien se dire, en dedans de soi, qui jus­ti­fie ou seule­ment qui explique cet acte extravagant ?
Qu’est-ce qu’il espère ? Car enfin, pour consen­tir à se don­ner des maîtres avides qui le grugent et qui l’as­somment, il faut qu’il se dise et qu’il espère quelque chose d’ex­tra­or­di­naire que nous ne soup­çon­nons pas. Il faut que, par de puis­santes dévia­tions céré­brales, les idées de dépu­té cor­res­pondent en lui à des idées de science, de jus­tice, de dévoue­ment, de tra­vail et de pro­bi­té ; il faut que dans les noms seuls de Barbe et de Bai­haut, non moins que dans ceux de Rou­vier et de Wil­son, il découvre une magie spé­ciale et qu’il voie, au tra­vers d’un mirage, fleu­rir et s’é­pa­nouir dans Ver­goin et dans Hub­bard, des pro­messes de bon­heur futur et de sou­la­ge­ment immé­diat. Et c’est cela qui est véri­ta­ble­ment effrayant. Rien ne lui sert de leçon, ni les comé­dies les plus bur­lesques, ni les plus sinistres tragédies.
Voi­là pour­tant de longs siècles que le monde dure, que les socié­tés se déroulent et se suc­cèdent, pareilles les unes aux autres, qu’un fait unique domine toutes les his­toires : la pro­tec­tion aux grands, l’é­cra­se­ment aux petits. Il ne peut arri­ver à com­prendre qu’il n’a qu’une rai­son d’être his­to­rique, c’est de payer pour un tas de choses dont il ne joui­ra jamais, et de mou­rir pour des com­bi­nai­sons poli­tiques qui ne le regardent point.
Que lui importe que ce soit Pierre ou Jean qui lui demande son argent et qui lui prenne la vie, puis­qu’il est obli­gé de se dépouiller de l’un, et de don­ner l’autre ? Eh bien ! non. Entre ses voleurs et ses bour­reaux, il a des pré­fé­rences, et il vote pour les plus rapaces et les plus féroces. Il a voté hier, il vote­ra demain, il vote­ra tou­jours. Les mou­tons vont à l’a­bat­toir. Ils ne se disent rien, eux, et ils n’es­pèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le bou­cher qui les tue­ra, et pour le bour­geois qui les man­ge­ra. Plus bête que les bêtes, plus mou­ton­nier que les mou­tons, l’é­lec­teur nomme son bou­cher et choi­sit son bour­geois. Il a fait des Révo­lu­tions pour conqué­rir ce droit.
Ô bon élec­teur, inex­pri­mable imbé­cile, pauvre hère, si, au lieu de te lais­ser prendre aux ren­gaines absurdes que te débitent chaque matin, pour un sou, les jour­naux grands ou petits, bleus ou noirs, blancs ou rouges, et qui sont payés pour avoir ta peau ; si, au lieu de croire aux chi­mé­riques flat­te­ries dont on caresse ta vani­té, dont on entoure ta lamen­table sou­ve­rai­ne­té en gue­nilles, si, au lieu de t’ar­rê­ter, éter­nel badaud, devant les lourdes dupe­ries des pro­grammes ; si tu lisais par­fois, au coin du feu, Scho­pen­hauer et Max Nor­dau, deux phi­lo­sophes qui en savent long sur tes maîtres et sur toi, peut-être appren­drais-tu des choses éton­nantes et utiles. Peut-être aus­si, après les avoir lus, serais-tu moins empres­sé à revê­tir ton air grave et ta belle redin­gote, à cou­rir ensuite vers les urnes homi­cides où, quelque nom que tu mettes, tu mets d’a­vance le nom de ton plus mor­tel enne­mi. Ils te diraient, en connais­seurs d’hu­ma­ni­té, que la poli­tique est un abo­mi­nable men­songe, que tout y est à l’en­vers du bon sens, de la jus­tice et du droit, et que tu n’as rien à y voir, toi dont le compte est réglé au grand livre des des­ti­nées humaines.
Rêve après cela, si tu veux, des para­dis de lumières et de par­fums, des fra­ter­ni­tés impos­sibles, des bon­heurs irréels. C’est bon de rêver, et cela calme la souf­france. Mais ne mêle jamais l’homme à ton rêve, car là où est l’homme, là est la dou­leur, la haine et le meurtre. Sur­tout, sou­viens-toi que l’homme qui sol­li­cite tes suf­frages est, de ce fait, un mal­hon­nête homme, parce qu’en échange de la situa­tion et de la for­tune où tu le pousses, il te pro­met un tas de choses mer­veilleuses qu’il ne te don­ne­ra pas et qu’il n’est pas d’ailleurs, en son pou­voir de te don­ner. L’homme que tu élèves ne repré­sente ni ta misère, ni tes aspi­ra­tions, ni rien de toi ; il ne repré­sente que ses propres pas­sions et ses propres inté­rêts, les­quels sont contraires aux tiens. Pour te récon­for­ter et rani­mer des espé­rances qui seraient vite déçues, ne va pas t’i­ma­gi­ner que le spec­tacle navrant auquel tu assistes aujourd’­hui est par­ti­cu­lier à une époque ou à un régime, et que cela pas­se­ra. Toutes les époques se valent, et aus­si tous les régimes, c’est-à-dire qu’ils ne valent rien. Donc, rentre chez toi, bon­homme, et fais la grève du suf­frage uni­ver­sel. Tu n’as rien à y perdre, je t’en réponds ; et cela pour­ra t’a­mu­ser quelque temps. Sur le seuil de ta porte, fer­mée aux qué­man­deurs d’au­mônes poli­tiques, tu regar­de­ras défi­ler la bagarre, en fumant silen­cieu­se­ment ta pipe.
Et s’il existe, en un endroit igno­ré, un hon­nête homme capable de te gou­ver­ner et de t’ai­mer, ne le regrette pas. Il serait trop jaloux de sa digni­té pour se mêler à la lutte fan­geuse des par­tis, trop fier pour tenir de toi un man­dat que tu n’ac­cordes jamais qu’à l’au­dace cynique, à l’in­sulte et au mensonge.
Je te l’ai dit, bon­homme, rentre chez toi et fais la grève. »
Octave Mir­beau, Le Figa­ro, 28 novembre 1888.

« Toute socié­té qui conserve l’i­dée de gou­ver­ne­ment, qui com­porte une légis­la­tion et consacre le droit de com­man­der pour les uns, l’o­bli­ga­tion de se sou­mettre pour les autres, sup­pose néces­sai­re­ment l’es­prit religieux.
La devise de Blan­qui Ni Dieu ni Maître ne peut être scin­dée ; elle est à accep­ter toute entière ou à reje­ter en bloc.
Qu’il soit patron, dépu­té, conseiller muni­ci­pal ou autre chose de ce genre, le Maître ne peut tenir son auto­ri­té que d’un prin­cipe supé­rieur et celui-ci : gou­ver­ne­ment, patrie, pro­prié­té, suf­frage uni­ver­sel, délé­ga­tion, n’est qu’un dogme nou­veau, une nou­velle religion… »
Sébas­tien Faure (1858−1942)

« Par ce triple carac­tère, tout par­ti est tota­li­taire en germe et en aspi­ra­tion. S’il ne l’est pas en fait, c’est seule­ment parce que ceux qui l’en­tourent ne le sont pas moins que lui. »
Simone Weil, « Note sur la sup­pres­sion géné­rale des par­tis poli­tiques » 1940.

« Les par­tis sont un mer­veilleux méca­nisme, par la ver­tu duquel, dans toute l’é­ten­due d’un pays, pas un esprit ne donne son atten­tion à l’ef­fort de dis­cer­ner, dans les affaires publiques, le bien, la jus­tice, la vérité. »
Simone Weil, « Note sur la sup­pres­sion géné­rale des par­tis poli­tiques » 1940.

« Rous­seau par­tait de deux évi­dences. L’une, que la rai­son dis­cerne et choi­sit la jus­tice et l’u­ti­li­té inno­cente, et que tout crime a pour mobile la pas­sion. L’autre, que la rai­son est iden­tique chez tous les hommes, au lieu que les pas­sions, le plus sou­vent, dif­fèrent. Par suite si, sur un pro­blème géné­ral, cha­cun réflé­chit tout seul et exprime une opi­nion, et si ensuite les opi­nions sont com­pa­rées entre elles, pro­ba­ble­ment elles coïn­ci­de­ront par la par­tie juste et rai­son­nable de cha­cune et dif­fé­re­ront par les injus­tices et les erreurs.
C’est uni­que­ment en ver­tu d’un rai­son­ne­ment de ce genre qu’on admet que le consen­sus uni­ver­sel indique la vérité.
La véri­té est une. La jus­tice est une. Les erreurs, les injus­tices sont indé­fi­ni­ment variables. Ain­si les hommes convergent dans le juste et le vrai, au lieu que le men­songe et le crime les font indé­fi­ni­ment diver­ger. L’u­nion étant une force maté­rielle, on peut espé­rer trou­ver là une res­source pour rendre ici-bas la véri­té et la jus­tice maté­riel­le­ment plus fortes que le crime et l’erreur.
Il y faut un méca­nisme conve­nable. Si la démo­cra­tie consti­tue un tel méca­nisme, elle est bonne. Autre­ment non.
Un vou­loir injuste com­mun à toute la nation n’é­tait aucu­ne­ment supé­rieur aux yeux de Rous­seau — et il était dans le vrai — au vou­loir injuste d’un homme.
Rous­seau pen­sait seule­ment que le plus sou­vent un vou­loir com­mun à tout un peuple est en fait conforme à la jus­tice, par la neu­tra­li­sa­tion mutuelle et la com­pen­sa­tion des pas­sions par­ti­cu­lières. C’é­tait là pour lui l’u­nique motif de pré­fé­rer le vou­loir du peuple à un vou­loir particulier.
C’est ain­si qu’une cer­taine masse d’eau, quoique com­po­sée de par­ti­cules qui se meuvent et se heurtent sans cesse, est dans un équi­libre et un repos par­faits. Elle ren­voie aux objets leurs images avec une véri­té irré­pro­chable. Elle indique par­fai­te­ment le plan hori­zon­tal. Elle dit sans erreur la den­si­té des objets qu’on y plonge.
Si des indi­vi­dus pas­sion­nés, enclins par la pas­sion au crime et au men­songe, se com­posent de la même manière en un peuple véri­dique et juste, alors il est bon que le peuple soit sou­ve­rain. Une consti­tu­tion démo­cra­tique est bonne si d’a­bord elle accom­plit dans le peuple cet état d’é­qui­libre, et si ensuite seule­ment elle fait en sorte que les vou­loirs du peuple soient exécutés.
Le véri­table esprit de 1789 consiste à pen­ser, non pas qu’une chose est juste parce que le peuple la veut, mais qu’à cer­taines con ditions le vou­loir du peuple a plus de chances qu’au­cun autre vou­loir d’être conforme à la justice.
Il y a plu­sieurs condi­tions indis­pen­sables pour pou­voir appli­quer la notion de volon­té géné­rale. Deux doivent par­ti­cu­liè­re­ment rete­nir l’attention.
L’une est qu’au moment où le peuple prend conscience d’un de ses vou­loirs et l’ex­prime, il n’y ait aucune espèce de pas­sion collective.
Il est tout à fait évident que le rai­son­ne­ment de Rous­seau tombe dès qu’il y a pas­sion col­lec­tive. Rous­seau le savait bien. La pas­sion col­lec­tive est une impul­sion de crime et de men­songe infi­ni­ment plus puis­sante qu’au­cune pas­sion indi­vi­duelle. Les impul­sions mau­vaises, en ce cas, loin de se neu­tra­li­ser, se portent mutuel­le­ment à la mil­lième puis­sance. La pres­sion est presque irré­sis­tible, sinon pour les saints authentiques.
Une eau mise en mou­ve­ment par un cou­rant violent, impé­tueux, ne reflète plus les objets, n’a plus une sur­face hori­zon­tale, n’in­dique plus les densités.
Et il importe très peu qu’elle soit mue par un seul cou­rant ou par cinq ou six cou­rants qui se heurtent et font des remous. Elle est éga­le­ment trou­blée dans les deux cas.
Si une seule pas­sion col­lec­tive sai­sit tout un pays, le pays entier est una­nime dans le crime. Si deux ou quatre ou cinq ou dix pas­sions col­lec­tives le par­tagent, il est divi­sé en plu­sieurs bandes de cri­mi­nels. Les pas­sions diver­gentes ne se neu­tra­lisent pas, comme c’est le cas pour une pous­sière de pas­sions indi­vi­duelles fon­dues dans une masse ; le nombre est bien trop petit, la force de cha­cune est bien trop grande, pour qu’il puisse y avoir neu­tra­li­sa­tion. La lutte les exas­père. Elles se heurtent avec un bruit vrai­ment infer­nal, et qui rend impos­sible d’en­tendre même une seconde la voix de la jus­tice et de la véri­té, tou­jours presque imperceptible.
Quand il y a pas­sion col­lec­tive dans un pays, il y a pro­ba­bi­li­té pour que n’im­porte quelle volon­té par­ti­cu­lière soit plus proche de la jus­tice et de la rai­son que la volon­té géné­rale, ou plu­tôt que ce qui en consti­tue la caricature.
La seconde condi­tion est que le peuple ait à expri­mer son vou­loir à l’é­gard des pro­blèmes de la vie publique, et non pas à faire seule­ment un choix de per­sonnes. Encore moins un choix de col­lec­ti­vi­tés irres­pon­sables. Car la volon­té géné­rale est sans aucune rela­tion avec un tel choix.
S’il y a eu en 1789 une cer­taine expres­sion de la volon­té géné­rale, bien qu’on eût adop­té le sys­tème repré­sen­ta­tif faute de savoir en ima­gi­ner un autre, c’est qu’il y avait eu bien autre chose que des élec­tions. Tout ce qu’il y avait de vivant à tra­vers tout le pays — et le pays débor­dait alors de vie — avait cher­ché à expri­mer une pen­sée par l’or­gane des cahiers de reven­di­ca­tions. Les repré­sen­tants s’é­taient en grande par­tie fait connaître au cours de cette coopé­ra­tion dans la pen­sée ; ils en gar­daient l’a cha­leur ; ils sen­taient le pays atten­tif à leurs paroles, jaloux de sur­veiller si elles tra­dui­saient exac­te­ment ses aspi­ra­tions. Pen­dant quelque temps — peu de temps — ils furent vrai­ment de simples organes d’ex­pres­sion pour la pen­sée publique.
Pareille chose ne se pro­dui­sit jamais plus.
Le seul énon­cé de ces deux condi­tions montre que nous n’a­vons jamais rien connu qui res­semble même de loin à une démo­cra­tie. Dans ce que nous nom­mons de ce nom, jamais le peuple n’a l’oc­ca­sion ni le moyen d’ex­pri­mer un avis sur aucun pro­blème de la vie publique ; et tout ce qui échappe aux inté­rêts par­ti­cu­liers est livré aux pas­sions col­lec­tives, les­quelles sont sys­té­ma­ti­que­ment, offi­ciel­le­ment encouragées. »
Simone Weil, « Note sur la sup­pres­sion géné­rale des par­tis poli­tiques » 1940.

« Le par­ti se trouve en fait, par l’ef­fet de l’ab­sence de pen­sée, dans un état conti­nuel d’im­puis­sance qu’il attri­bue tou­jours à l’in­suf­fi­sance du pou­voir dont il dis­pose. Serait-il maître abso­lu du pays, les néces­si­tés inter­na­tio­nales imposent des limites étroites.
Ain­si la ten­dance essen­tielle des par­tis est tota­li­taire, non seule­ment rela­ti­ve­ment à une nation, mais rela­ti­ve­ment au globe ter­restre. C’est pré­ci­sé­ment parce que la concep­tion du bien public propre à tel ou tel par­ti est une fic­tion, une chose vide, sans réa­li­té, qu’elle impose la recherche de la puis­sance totale. »
Simone Weil, « Note sur la sup­pres­sion géné­rale des par­tis poli­tiques » 1940.

« Dans les États qui jux­ta­posent à la puis­sance légis­la­tive des Chambres la pos­si­bi­li­té de demandes popu­laires de réfé­ren­dums, c’est le peuple qui monte au rang suprême par l’ac­qui­si­tion du pou­voir de pro­non­cer le rejet ou l’a­dop­tion défi­ni­tive des déci­sions parlementaires.
Du coup le Par­le­ment se trouve rame­né au rang de simple auto­ri­té : il ne repré­sente plus la volon­té géné­rale que pour cher­cher et pro­po­ser l’ex­pres­sion qu’il convient de don­ner à celle-ci ; il ne rem­plit ain­si qu’of­fice de fonctionnaire.
Le véri­table sou­ve­rain c’est alors le peuple. »
Car­ré de Mal­berg, dans un article de 1931 « Réfé­ren­dum Ini­tia­tive popu­laire », cité Dans « La démo­cra­tie locale et le réfé­ren­dum » de Marion Pao­let­ti, chez l’Harmattan page 89.

« L’é­lec­tion n’est pas le meilleur moyen de dési­gna­tion des magis­trats dans les autres cas (qui n’exigent pas des com­pé­tences par­ti­cu­lières) pour des rai­sons que S. Khil­na­ni résume excel­lem­ment : c’est qu’elle crée une divi­sion du tra­vail politique.
La poli­tique à affaire avec le pou­voir, et la divi­sion du tra­vail en poli­tique ne signi­fie et ne peut signi­fier rien d’autre que la divi­sion entre gou­ver­nants et gou­ver­nés, domi­nants et dominés.
Une démo­cra­tie accep­te­ra évi­dem­ment la divi­sion des tâches poli­tiques, non pas une divi­sion du tra­vail poli­tique, à savoir la divi­sion fixe et stable de la socié­té poli­tique entre diri­geants et exé­cu­tants, l’exis­tence d’une caté­go­rie d’in­di­vi­dus, dont le rôle, le métier, l’in­té­rêt, est de diri­ger les autres. »
C. Cas­to­ria­dis, Fait et à faire, Les car­re­fours du laby­rinthe 5, p 66.

« Tout a déjà été pen­sé. L’im­por­tant est d’y pen­ser à nouveau. »
Goethe.

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Une idée neuve : 

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Des myriades d’autres pré­cieuses pépites : 
https://​old​.chouard​.org/​E​u​r​o​p​e​/​p​r​e​c​i​e​u​s​e​s​_​p​e​p​i​t​e​s​.​pdf

Fil Face­book cor­res­pon­dant à ce billet :
https://​www​.face​book​.com/​e​t​i​e​n​n​e​.​c​h​o​u​a​r​d​/​p​o​s​t​s​/​1​0​1​5​4​3​6​5​4​5​0​1​7​7​317

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13 Commentaires

  1. etienne

    Osons Cau­ser : Pour­quoi les mul­ti­na­tio­nales achètent nos dirigeants ?

    httpv://youtu.be/BKMzVYAs_6I

    Le « pan­tou­flage » est une honte, une tra­hi­son indigne, et cette suprême cor­rup­tion serait évi­dem­ment consi­dé­ré comme un crime dans une Consti­tu­tion d’origine citoyenne.

    Réponse
  2. etienne
  3. zedav

    Grève du vote !
    Ils gou­ver­ne­rons léga­le­ment mais sans légitimité.
    ET
    Les incré­dules de la pseu­do-démo­cra­tie se compterons.

    Réponse
  4. gilles

    Le site les-crises est deve­nu incon­tour­nable pour qui veut s’in­for­mer sans les enfu­mages habi­tuels des médias dépen­dants des action­naires. Je crois que sa réus­site est est due au pas­sage du site pure­ment indi­vi­duel vers un site col­la­bo­ra­tif ados­sé à une asso­cia­tion de sou­tien. Bien qu’il sache s’en­tou­rer et délé­guer, je me demande quel temps dis­po­nible reste à Oli­vier Ber­ruyer pour accom­plir les autres tâches indis­pen­sables et sim­ple­ment vivre.

    Réponse
  5. Ronald

    Très sym­pa tous ces extraits de cita­tion. J’en connais­sais pas mal, mais je vais com­plé­ter mes lec­tures des ouvrages que j’ignorais.

    J’au­rais juste vou­lu en ajou­ter quelques autres pour sor­tir des sen­tiers bat­tus, peut-être les découvrez-vous :

    - Du plus ancien texte de phi­lo­so­phie poli­tique euro­péen dont on ait conser­vé la trace, pour mon­trer que nous n’a­vons fina­le­ment pas tel­le­ment pro­gres­sé sur ces pro­blèmes depuis lors :

    « Il ne fal­lait pas, dira-t-on, auto­ri­ser tout le monde indis­tinc­te­ment à haran­guer et à don­ner des conseils, mais seule­ment ceux qui ont le plus de talent et de ver­tu. Cepen­dant c’est une mesure fort sage que de per­mettre même aux mau­vais citoyens de par­ler. Car si les bons tout seuls parlent et conseillent, ce sera un bien pour ceux de leur classe, mais non pas pour les plé­béiens, au lieu qu’un mau­vais homme étant libre de se lever et de par­ler, il trouve ce qui est bon pour lui et ceux de son espèce. Mais, dira-t-on encore, quel bon avis un pareil homme don­ne­ra-t-il au peuple ? Nous répon­dons à cela que l’ignorance et la per­ver­si­té d’un pareil homme, vou­lant le bien, sont plus la ver­tu et la sagesse d’un riche vou­lant le mal. Peut-être un gou­ver­ne­ment fon­dé sur ces prin­cipes ne sera-t-il pas le meilleur de tous, mais il assu­re­ra soli­de­ment la démo­cra­tie. Car le peuple ne veut pas une répu­blique dont la bonne consti­tu­tion le ferait esclave ; il veut être libre et gou­ver­ner ; et, si la consti­tu­tion est mau­vaise, c’est le moindre de ses sou­cis. Ce qui vous parait une mau­vaise consti­tu­tion, est pré­ci­sé­ment ce qui fait la force du peuple et sa liber­té. Si vous cher­chez une bonne consti­tu­tion, vous ver­rez d’abord les plus habiles don­ner des lois, puis les bons répri­mer les méchants, déli­bé­rer sur les inté­rêts de l’État, sans per­mettre à des fous de dire leur avis, de haran­guer, de convo­quer l’assemblée ; mais cepen­dant, avec ces excel­lentes mesures, le peuple ne tar­de­ra pas à tom­ber dans l’esclavage. » (Pseu­do-Xeno­phon, Consti­tu­tion des Athéniens)

    - D’un des rares auteurs (anglais) du siècle des Lumières, pro­to-anar­chiste, qui défen­dait la démo­cra­tie. Son intui­tion semble confir­mée par les expé­ri­men­ta­tion de jurys citoyens :

    « Dans l’é­va­lua­tion qui est géné­ra­le­ment faite de la démo­cra­tie, une des sources de notre juge­ment erro­né découle de ce que nous pre­nons l’hu­ma­ni­té telle que la monar­chie et l’a­ris­to­cra­tie l’ont fait et que nous en dédui­sons un juge­ment sur sa capa­ci­té à se diri­ger elle-même. La monar­chie et l’a­ris­to­cra­tie ne seraient pas des cala­mi­tés si elles n’a­vaient pas ten­dance à saper les ver­tus et l’in­tel­li­gence de leurs sujets. Le plus néces­saire est d’en­le­ver toutes les contraintes qui empêchent l’es­prit humain d’at­teindre sa force authen­tique. Une foi abso­lue, une sou­mis­sion aveugle à l’au­to­ri­té, une appré­hen­sion crain­tive, un manque de confiance en nos capa­ci­tés et le peu d’at­ten­tion por­tée à notre propre impor­tance et aux pro­jets béné­fiques que nous sommes capables de mener à bien, tels sont les prin­ci­paux obs­tacles à l’a­mé­lio­ra­tion de l’hu­ma­ni­té. La démo­cra­tie res­taure en l’homme la conscience de sa valeur, lui enseigne, par la sup­pres­sion de l’au­to­ri­té et de l’op­pres­sion, à n’é­cou­ter que ce que lui sug­gère la rai­son, lui donne la confiance qui lui per­met de trai­ter tous les autres hommes avec fran­chise et sim­pli­ci­té et les incite à ne plus les consi­dé­rer comme des enne­mis contre les­quels il faut tou­jours être en garde, mais comme des frères qu’il lui incombe d’as­sis­ter » (William God­win, Enquête sur la jus­tice politique)

    - Ce qui fait une bonne cita­tion : suc­cincte, spi­ri­tuelle, et empor­tant immé­dia­te­ment la conviction :

    « J’a­voue que je n’ai jamais pu réflé­chir sur ce sys­tème de repré­sen­ta­tion sans m’é­ton­ner de la cré­du­li­té, je dirais presque la stu­pi­di­té avec laquelle l’es­prit humain avale les absur­di­tés les plus pal­pables. Si un homme pro­po­sait sérieu­se­ment que la nation pis­sât par pro­cu­ra­tion, on le trai­te­rait de fou ; et cepen­dant pen­ser par pro­cu­ra­tion est une pro­po­si­tion que l’on entend, non seule­ment sans s’é­ton­ner, mais qu’on reçoit avec enthou­siasme. » (John Oswald, Le Gou­ver­ne­ment du peuple)

    ————

    - Et enfin, par­mi les extraits des fon­da­teurs du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif, il faut abso­lu­ment citer Hegel. Tous les Etats actuels sont basés sur ses prin­cipes. Pre­nez n’im­porte quel inter­ve­nant poli­tique pas­sant sur les médias, il est cer­tain que sa convic­tion intime ne sera pas très éloi­gnée du pas­sage qui suit. Étran­ge­ment, un tel pro­pos ne pour­rait cepen­dant abso­lu­ment pas être expo­sé de nos jours tel que sans être ridicule.

    « On a vu paraître tel­le­ment d’i­dées et d’ex­pres­sions fausses et erro­nées sur le peuple, la consti­tu­tion et les assem­blées dans le flux de l’o­pi­nion que ce serait peine per­due de vou­loir les expo­ser, les dis­cu­ter et les redres­ser. L’o­pi­nion que la conscience vul­gaire a l’ha­bi­tude d’a­voir sur la néces­si­té ou l’u­ti­li­té de la col­la­bo­ra­tion des ordres à l’é­la­bo­ra­tion des lois consiste avant tout à croire que les dépu­tés du peuple ou même le peuple lui-même com­prennent le mieux ce qui convient au bien du peuple et qu’ils ont sans aucun doute la meilleure volon­té pour ce bien.

    En ce qui concerne le pre­mier point, la véri­té est bien plu­tôt que le peuple, dans la mesure où ce mot désigne une frac­tion par­ti­cu­lière des membres de l’É­tat, repré­sente la par­tie qui ne sait pas ce qu’elle veut. Savoir ce que l’on veut, et encore plus, ce que la volon­té en soi et pour soi, ce que la rai­son veut, est le fruit d’une connais­sance pro­fonde et d’une intui­tion qui pré­ci­sé­ment n’est pas l’af­faire du peuple. La contri­bu­tion qu’ap­portent les assem­blées d’ordres au bien géné­ral et à la liber­té publique ne se trouve pas, si l’on y réflé­chit un peu, dans leur intui­tion par­ti­cu­lière ; en effet, les plus hauts fonc­tion­naires de l’É­tat ont néces­sai­re­ment une vue plus pro­fonde et plus vaste sur la nature des dis­po­si­tions et des besoins de l’É­tat ; ils ont aus­si de plus grandes apti­tudes et une plus grande habi­tude de ces affaires ; ils peuvent sans ces assem­blées faire au mieux, de même que c’est eux qui doivent tou­jours, dans les assem­blées d’ ordres, faire le mieux. Mais cette contri­bu­tion réside sans doute en par­tie dans le fait que les dépu­tés connaissent mieux la conduite des fonc­tion­naires qui sont éloi­gnés des yeux des auto­ri­tés éle­vées, ain­si que les besoins et les lacunes les plus pres­sants et les plus spé­ciaux dont ils ont la vision plus concrète. Mais elle consiste aus­si dans l’ac­tion La mora­li­té objec­tive que pro­duit la cen­sure qu’on attend d’une col­lec­ti­vi­té et, en par­ti­cu­lier, une cen­sure publique. Cet effet est d’ac­cor­der d’a­vance la plus grande atten­tion aux affaires et aux pro­jets à pro­po­ser et de les dis­po­ser confor­mé­ment aux motifs les plus purs. C’est une contrainte qui agit éga­le­ment sur les membres des assem­blées eux-mêmes. Mais, en ce qui concerne la bonne volon­té spé­ciale des assem­blées pour le bien géné­ral, on a déjà remar­qué, que c’est une opi­nion plé­béienne et un point de vue néga­tif de sup­po­ser au gou­ver­ne­ment une mau­vaise volon­té ou une volon­té moins bonne, sup­po­si­tion, qui, si l’on vou­lait répondre dans la même forme, entraî­ne­rait cette riposte que les assem­blées, puis­qu’elles émanent de l’in­di­vi­dua­li­té, du point de vue pri­vé et de l’in­té­rêt par­ti­cu­lier, seront enclines à mettre leur influence au ser­vice de ceux-ci au détri­ment de l’in­té­rêt géné­ral alors qu’au contraire, les autres moments du pou­voir public se trouvent déjà au point de vue de l’E­tat et se consacrent à des buts généraux.

    En ce qui concerne la garan­tie qui doit se trou­ver dans la repré­sen­ta­tion des ordres, toutes les autres ins­ti­tu­tions de l’É­tat par­tagent avec elle ce carac­tère d’être une garan­tie du bien public et de la liber­té ration­nelle, et par­mi elles des ins­ti­tu­tions comme la sou­ve­rai­ne­té du monarque et l’hé­ré­di­té de la suc­ces­sion au trône, le régime judi­ciaire, assurent cette garan­tie à un bien plus haut degré. » (Hegel, Prin­cipes de la phi­lo­so­phie du droit)

    Réponse
    • etienne

      Mer­ci Ronald, pour ce magni­fique cadeau 🙂

      Ma page ‘Pré­cieuses pépites’ va s’en­ri­chir, dès que j’au­rai retrou­vé les dates des docs. Si vous les aviez sous la main, ça me ferait gagner quelques minutes. Mais de toutes façons, je vais pas­ser un peu de temps à cher­cher les ori­gi­naux et leur contexte, pour bien les mémo­ri­ser, le situer, et bien les relier au reste 🙂

      J’a­dore notre cer­veau col­lec­tif, je m’y sens bien, j’y gran­dis, avec mes frères humains 🙂

      Mer­ci beaucoup.

      PS : la cita­tion du théo­ri­cien oli­gar­chique, aus­si abs­cons que pré­ten­tieux et domi­nant — et qui a beau­coup ins­pi­ré Marx, d’ailleurs, si j’ai bien com­pris — est un cas d’é­cole, pour ceux qui s’in­té­ressent à réper­to­rier les pires enne­mis du peuple. Merci.

      Réponse
      • Ronald

        Les dates de ces textes ?

        Pour La Consti­tu­tion des Athé­niens, tant la date que l’au­teur ont long­temps été dis­cu­tés. L’hy­po­thèse actuelle serait que le texte date­rait de la Guerre du Pélop­po­nèse (fin Vè siècle av JC), et aurait été écrit par Cri­tias, le futur lea­der de la Tyran­nie des Trente.
        Le texte com­plet est ici :
        http://​remacle​.org/​b​l​o​o​d​w​o​l​f​/​h​i​s​t​o​r​i​e​n​s​/​x​e​n​o​p​h​o​n​/​a​t​h​e​n​i​e​n​s​.​htm

        « Enqui­ry concer­ning Poli­ti­cal Jus­tice, and its Influence on Gene­ral Vir­tue and Hap­pi­ness » écrit par William God­win est publié en 1793. Il a été remis à l’hon­neur par Michel Onfray, dans sa Contre-His­toire, et tra­duit en Fran­çais semble-t-il avec son aide en 2005 sous le titre « Enquête sur la jus­tice poli­tique et son influence sur la morale et le bon­heur d’aujourd’hui ». Il n’est pas dis­po­nible en tra­duc­tion sur le net, mais il est facile à com­man­der dans le com­merce. Inté­res­sant, avec quelques bonnes idées, mais bon, il ne faut pas s’at­tendre à ce qu’un auteur du XVIIIè ait toutes ses idées tou­jours en adé­qua­tion avec les nôtres.
        L’éditeur :
        http://​www​.ate​lier​de​crea​tion​li​ber​taire​.com/​E​n​q​u​e​t​e​-​s​u​r​-​l​a​-​j​u​s​t​i​c​e​-​p​o​l​i​t​i​q​u​e​.​h​t​m​l​?​v​a​r​_​r​e​c​h​e​r​c​h​e​=​g​o​d​win

        The Govern­ment of the People, or a Sketch of a Consti­tu­tion for the Uni­ver­sal Com­mon-Wealth (Le Gou­ver­ne­ment du peuple, ou Plan de consti­tu­tion pour la répu­blique uni­ver­selle), de John Oswald, date de 1793. Je ne sais plus par quel che­mi­ne­ment je suis tom­bé sur ce pam­phlet. Il est ici :
        http://www.athene.antenna.nl/ARCHIEF/NR03-Parijs/OSWALD%20-%20Gouvernement.htm

        Les Grund­li­nien der Phi­lo­so­phie des Rechts (Prin­cipes de la phi­lo­so­phie du droit), l’un des rares ouvrages de Hegel qui soit en par­tie lisible, datent eux de 1820. Il faut se rendre compte qu’il enseigne à l’U­ni­ver­si­té de Ber­lin dans la Prusse de Fré­dé­ric-Guillaume III. On ne rigo­lait pas à cette époque-là (c’é­tait pire que sous Manuel Valls), et il était impos­sible à qui­conque de tenir un autre dis­cours que celui-là à la place où il était. Même Marx recon­nais­sait que la liber­té d’ex­pres­sion en France ou en Angle­terre était sans com­mune mesure avec ce qui pou­vait être dit en Prusse. L’as­pect ridi­cule du pro­pos, à mon avis, vient du fait qu’­He­gel est encore de ceux pour qui le Droit se fonde sur la Rai­son (qui certes doit sans cesse se déve­lop­per, s’a­mé­lio­rer). Alors que les idéo­lo­gies qui ont fon­dé le monde contem­po­rain – le libé­ra­lisme, le com­mu­nisme et le fas­cisme – si elles divergent sur beau­coup de choses, sont d’ac­cord sur un point : le Droit se fonde sur la Force. Alors, je n’ai jamais creu­sé le fond du débat, je ne suis pas spé­cia­liste de la phi­lo­so­phie du droit, mais je crois que nous les modernes ne pen­sons plus du tout dans les mêmes cadres que Hegel, aus­si son dis­cours nous semble au mieux – pour être indul­gent – bien naïf.
        Le texte est chez Gar­nier Flam­ma­rion entre autres, mais il est aus­si dis­po­nible libre­ment ici :
        http://www.elfege.com/bibliotheque/HEGEL/HEGEL%20-%20Principes%20de%20la%20philosophie%20du%20droit.pdf

        Réponse
  6. etienne

    [tyran­nie euro­péenne] Le spectre de l’AECG et de la dic­ta­ture des entre­prises hante le Cana­da et l’UE

    « Un coup sans gloire en faveur de la démo­cra­tie a été rem­por­té cette semaine, lorsque le pré­sident de la Com­mis­sion euro­péenne, Jean-Claude Jun­cker, a fait volte-face et a décla­ré que tout compte fait, les Par­le­ments des États membres de l’UE vote­raient sur l’accord de libre-échange avec le Cana­da. Une semaine plus tôt, le pré­sident Jun­cker avait reje­té l’idée de tout débat démo­cra­tique, insis­tant sur le fait que l’accord serait approu­vé uni­la­té­ra­le­ment par les ministres de l’Union européenne.

    La déci­sion pré­vue plus tôt n’était pas une aber­ra­tion, et l’inversion hâtive est beau­coup plus un exer­cice cos­mé­tique de rela­tions publiques, qu’une nou­velle marque de res­pect pour l’opinion publique. La popu­la­tion a été exclue depuis le début de l’Accord éco­no­mique et com­mer­cial glo­bal (AECG, CETA dans son sigle anglais) entre le Cana­da et l’Union. Il y a des rai­sons à cela, le cen­trage sur l’AECG étant impos­sible à dis­tin­guer des divers accords de libre-échange en cours, tels que l’Accord de par­te­na­riat trans-paci­fique, qui va même au-delà de l’Accord de libre-échange nord-amé­ri­cain (ALENA).

    Le pré­sident Jun­cker a d’abord dit le 28 juin qu’une rati­fi­ca­tion par les Par­le­ments euro­péens n’était pas néces­saire – bien qu’il ait gra­cieu­se­ment concé­dé que les gou­ver­ne­ments de l’UE pour­raient exa­mi­ner le texte de l’AECG. Le pro­blème, a‑t-il dit, était que « per­mettre aux Par­le­ments natio­naux d’avoir leur mot à dire sur l’accord para­ly­se­ra le pro­ces­sus et met­tra la cré­di­bi­li­té du bloc en jeu », a rap­por­té Deutsche Welle. Eh bien, nous ne pou­vons pas per­mettre à une démo­cra­tie com­pli­quée de se mettre en tra­vers des listes de vœux des entre­prises, n’est-ce pas ?

    Bruxelles, 13 juillet 2016 : l’opposition aux trai­tés dits de libre-échange ne lâche rien.
    Deutsche Welle a rap­por­té le 5 juillet que l’Allemagne et la France avaient insis­té pour que des votes aient lieu dans les Par­le­ments, le ministre alle­mand de l’Économie, Sig­mar Gabriel, disant publi­que­ment que le com­men­taire du pré­sident Jun­cker était « incroya­ble­ment stu­pide » et « nour­ri­rait l’opposition à d’autres accords de libre-échange. » Pas d’opposition à l’AECG ici ; à peine un peu d’inconfort que le manque de démo­cra­tie soit deve­nu trop fla­grant. Il serait donc irréa­liste d’attendre que le Bun­des­tag ou quelque autre organe par­le­men­taire vote dans l’intérêt de leurs citoyens, sans qu’une pres­sion popu­laire beau­coup plus forte ne soit exercée. » […]

    (Lire la suite)
    http://​lesa​ker​fran​co​phone​.fr/​l​e​-​s​p​e​c​t​r​e​-​d​e​-​l​a​e​c​g​-​e​t​-​d​e​-​l​a​-​d​i​c​t​a​t​u​r​e​-​d​e​s​-​e​n​t​r​e​p​r​i​s​e​s​-​h​a​n​t​e​-​l​e​-​c​a​n​a​d​a​-​e​t​-​lue

    Source : le Saker Francophone

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  7. Bèrebère

    Sego­lene Royal paro­die de démo­cra­tie non participative

    httpv://www.youtube.com/watch?v=jUu8e4t6g3I

    Réponse
  8. etienne

    [Pour­ri­ture poli­ti­cienne, suite]
    [Humour] Chi­rac sur l’Eu­rope : constance et cohérence
    httpv://youtu.be/qYYbE4iPK_M
    Sur la chaîne « Du gou­dron, des plumes et des archives » 🙂

    Réponse
  9. JBL1960

    Infor­mée par un autre Oli­vier (Demeu­le­naere) et par hasard de cette vidéo ou l’on découvre une Marie-Ségo­lène aus­si hors-sol que son ex. J’ai pour ma part inté­grée cette vidéo en lien et dans le mot « urne » d’un para­graphe de ce billet = https://jbl1960blog.wordpress.com/2016/07/20/6‑mois-de-plus/
    Je suis impres­sion­née, tou­jours, par votre capa­ci­té à résis­ter et j’a­voue que pour ma part, je suis sou­vent enva­hie par le doute, et même si je me rac­croche à la sagesse et la per­ti­nence d’un Reclus, d’un Kro­pot­kine, d’un Laun­dauer pour affû­ter ma réflexion sur la néces­si­té pres­sante de créer la socié­té des socié­tés et d’en­clen­cher un nou­veau para­digme. JBL

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