« Devant nous s’étend la terre des pauvres, dont les richesses appartiennent exclusivement aux riches, une planète de terre écorchée, de forêts saignées à cendre, une planète d’ordures, un champ d’ordures, des océans que seuls les riches traversent, des déserts pollués par les jouets et les erreurs des riches, nous avons devant nous les villes dont les multinationales mafieuses possèdent les clés, les cirques dont les riches contrôlent les pitres, les télévisions conçues pour leur distraction et notre assoupissement, nous avons devant nous leurs grands hommes juchés sur leur grandeur qui est toujours un tonneau de sanglante sueur que les pauvres ont versée ou verseront, nous avons devant nous les brillantes vedettes et les célébrités doctorales dont pas une des opinions émises, dont pas une des dissidences spectaculaires n’entre en contradiction avec la stratégie à long terme des riches, nous avons devant nous leurs valeurs démocratiques conçues pour leur propre renouvellement éternel et pour notre éternelle torpeur, nous avons devant nous les machines démocratiques qui leur obéissent au doigt et à l’œil et interdisent aux pauvres toute victoire significative, nous avons devant nous les cibles qu’ils nous désignent pour nos haines, toujours d’une façon subtile, avec une intelligence qui dépasse notre entendement de pauvres et avec un art du double langage qui annihile notre culture de pauvres, nous avons devant nous leur lutte contre la pauvreté, leurs programmes d’assistance aux industries des pauvres, leur programmes d’urgence et de sauvetage, nous avons devant nous leurs distributions gratuites de dollars pour que nous restions pauvres et eux riches, leurs théories économiques méprisantes et leur morale de l’effort et leur promesse pour plus tard d’une richesse universelle, pour dans vingt générations ou dans vingt mille ans, nous avons devant nous leurs organisations omniprésentes et leurs agents d’influence, leurs propagandistes spontanés, leurs innombrables médias, leurs chefs de famille scrupuleusement attachés aux principes les plus lumineux de la justice sociale, pour peu que leurs enfants aient une place garantie du bon côté de la balance, nous avons devant nous un cynisme tellement bien huilé que le seul fait d’y faire allusion, même pas d’en démonter les mécanismes, mais d’y faire simplement allusion, renvoie dans une marginalité indistincte, proche de la folie et loin de tout tambour et de tout soutien, je suis devant cela, en terrain découvert, exposée aux insultes et criminalisé à cause de mon discours, nous sommes en face de cela qui devrait donner naissance à une tempête généralisée, à un mouvement jusqu’au-boutiste et impitoyable et de reconstruction selon nos règles, loin de toutes les logiques religieuses ou financières des riches et en dehors de leurs philosophies politiques et sans prendre garde aux clameurs de leurs ultimes chiens de garde, nous sommes devant cela depuis des centaines d’années et nous n’avons toujours pas compris comment faire pour que l’idée de l’insurrection égalitaire visite en même temps, à la même date, les milliards de pauvres qu’elle n’a pas visités encore, et pour qu’elle s’y enracine et pour qu’enfin elle y fleurisse. Trouvons donc comment le faire, et faisons-le. »
Antoine Volodine, Des anges mineurs
Mon commentaire :
Contre les riches esclavagistes, et plus largement contre toutes les formes de tyrannie, je défends la solution politique radicale et universelle du TIRAGE AU SORT.
Impartial et incorruptible, le tirage au sort des représentants politiques — et de leurs contrôleurs — permet de DÉSYNCHRONISER, forcément, durablement, mécaniquement, la puissance politique de la puissance économique : avec le tirage au sort, les riches, peu nombreux, ne peuvent jamais contrôler le pouvoir politique, alors que les pauvres, plus nombreux, peuvent toujours exercer le pouvoir politique et faire ainsi valoir les droits de la multitude.
L’élection est un piège aristocratique, qui se prétend fallacieusement démocratique, alors que, toujours et partout, l’élection permet aux riches du moment d’acheter le pouvoir politique.
L’élection est l’outil même de la dépossession politique des citoyens. L’élection est la procédure qui rend possible — et invulnérable — le capitalisme.
Pas de justice sans démocratie.
Pas de démocratie sans tirage au sort.
Pas de tirage au sort sans citoyens constituants.
Étienne.
Fil Facebook correspondant à ce billet :
« L’élection est un piège aristocratique, qui se prétend fallacieusement démocratique »
On pourrait l’expliquer de façon peut-être différente en soulignant par exemple que l’élection sert ce qui est appelé une « démocratie représentative ». Or cette expression est un oxymore, parce que les élus nous présentent la chose comme une démocratie, mais ils en retirent ensuite le « demos » et conservent le « kratos » par devers eux. Nous sommes donc les dindons de la farce.
Mais un autre problème est trop souvent éludé ou simplement oublié : lorsqu’on parle de pouvoir, à quoi fait-on au juste référence ? Le pouvoir de qui sur quoi ? Dans une véritable démocratie, l’État n’a aucun pouvoir : c’est une simple administration qui met en application et exécute les directives du pouvoir, donc celui du peuple.
Il y aurait un intérêt majeur à bien établir cette base, avant même de commencer à réfléchir aux textes d’une constitution dans un atelier. Il me semble en effet que les textes qui sortent de là s’appuient sur l’idée que l’État a le pouvoir. Si on veut faire une vrai révolution, ça doit commencer dans nos pensées, on doit redonner leur sens aux mots, bien établir qui sont les acteurs et quel est le rôle de chacun dans cette gigantesque pièce.
C’est vrai, cher Jean, on devrait bosser ça.
Mais je ne suis pas d’avis de retirer le pouvoir à la puissance publique, puisque c’est précisément ce pouvoir, plus fort que le plus fort d’entre nous tous, qui peut permettre à l’État de protéger les faibles contre « la loi du plus fort ».
Le drame, c’est d’avoir laissé les plus forts s’emparer de l’État (d’abord au moment constituant), décuplant ainsi leur force pour asservir éternellement les faibles.
Inversion tragique des forces publiques, par inattention populaire.
Je pense que ce n’est une fatalité que tant que les simples citoyens restent inertes sur le plan constituant. Il ne tient qu’à nous de tout changer.
Si l’état d’inertie intellectuelle des populations humaines ne peut évidemment me réjouir, il m’est toutefois agréable de trouver, dans le qualificatif « inertes », une évocation de la réflexion conduite voici quatre-vingts ans par Auguste Lumière : « … l’inertie intellectuelle non seulement des masses populaires, mais aussi de la plupart des hommes cultivés. » Et cet auteur (un biologiste) expose ce qu’il considère être les racines, les causes de cette inertie ; à lire dans « Les fossoyeurs du progrès » publié en 1941 – c’est-à-dire AVANT que ne viennent se surajouter les contenus des programmes de télévision.
En fait, ce que je veux dire, c’est que par exemple, un ministre a le pouvoir sur ce qui relève de son autorité, la haute fonction publique qui gère ce qui relève de son ministère par exemple. Il n’a, ou plutôt ne devrait pas avoir, le pouvoir sur quoi que ce soit d’autre
Je ne parle pas de retirer le pouvoir à l’État, ni à la puissance publique : schématiquement, et dans le cadre d’une authentique démocratie, le citoyen légifère, l’exécutif met en application. Il est invraisemblable qu’un projet de loi puisse sortir d’un ministère. Sauf cas très exceptionnels à définir en assemblée constituante. On ne désigne pas un ministre pour qu’il fasse les loi qui lui permettront de mener SA politique, mais de veiller à ce que soit mise en application NOTRE politique. Tout le reste ne serait que littérature.
Merci de nous faire découvrir ce texte et cet auteur ! Juste magnifique de justesse. Bravo Etienne pour ce choix.