« Masterclass » de Démocratie Directe ! | Étienne Chouard et Yohan du Canard Réfractaire chez Idriss Aberkane, 14 janvier 2025

15/01/2025 | 2 commentaires

 

Retrans­crip­tion (à relire) :

 

 

Transcription (début):

Idriss

Bon­soir tout le monde, cette ren­contre au som­met entre Johan du Canard réfrac­taire et Étienne Chouard, deux as de l’é­du­ca­tion popu­laire, un sujet qui nous fas­cine et bien enten­du, alors là en plus, vous avez une sorte d’in­cep­tion en matière de conscience consti­tu­tion­nelle et sur­tout de conscience consti­tuante, le vrai sujet, à savoir qu’É­tienne Chouard a été un des men­tors de Johan. Donc là, on peut vrai­ment voir les fruits de l’in­fluence intel­lec­tuelle, du tra­vail consti­tuant d’É­tienne Chouard. Et puis en fait, si on vou­lait même dézoo­mer, Etienne Chouard et votre ser­vi­teur, nous sommes tous les deux de grands admi­ra­teurs d’Hen­ri Guille­min. Mais je ne veux pas évi­dem­ment m’a­lié­ner mes amis potes de Napo­léon, ça c’est bien au-delà de ça. Mais il se trouve qu’­Hen­ri Guille­min est quand même un des his­to­riens vul­ga­ri­sa­teurs fran­co­phones les plus inté­res­sants. Et puis son ana­lyse de la Com­mune, son ana­lyse de l’autre entre-deux-guerres, qui reste LA confé­rence de réfé­rence d’Hen­ri Guille­min, que je ne sau­rais trop vous recom­man­der, où il vous explique tout un tas de points abso­lu­ment cru­ciaux sur l’o­ri­gine de la Pre­mière Guerre mon­diale. Eh bien, ces confé­rences ont for­mé notre éveil politique.

Or, pour lan­cer cette émis­sion, je rap­pelle que Zbi­gniew Brze­zins­ki, dans Le Grand Échi­quier, dit « pour la pre­mière fois de l’his­toire humaine, la majo­ri­té de la popu­la­tion est éveillée poli­ti­que­ment. Pour la pre­mière fois de l’his­toire de l’hu­ma­ni­té, la majo­ri­té de la popu­la­tion mon­diale est éveillée poli­ti­que­ment. Les consé­quences de cet état de fait sont très dif­fi­ciles à pré­voir. » On rap­pelle aus­si cette cita­tion, je ne sais pas si elle est apo­cryphe, vous me le direz en com­men­taire. de ce haut cadre du par­ti com­mu­niste chi­nois, je ne sais plus si c’é­tait Zhou Enlai ou quel­qu’un d’autre, ou peut-être un natio­na­liste chi­nois, je ne sais même plus, mais on lui deman­dait, ça devait être Deng Xiao­ping, vous me direz dans les com­men­taires, on lui deman­dait quelles sont les consé­quences de la révo­lu­tion fran­çaise, dans les années, j’i­ma­gine, 1970, on lui deman­dait ça, et il nous disait, c’est trop tôt pour le dire. Voi­là, le décor est plan­té sur cette ques­tion de l’é­veil poli­tique, parce que mine de rien, oui, il y a eu des consé­quences, mais on sait bien tous que la révo­lu­tion fran­çaise a été com­plè­te­ment pira­tée par la bour­geoi­sie, avec les consé­quences que l’on connaît, et la créa­tion de la Banque de France, qu’­Hen­ri Guille­min parle extrê­me­ment bien. et que, en fond, l’é­veil consti­tuant popu­laire n’est pas encore là. Etienne Chouard, ravi de t’a­voir dans l’é­mis­sion. Johan, ravi de t’a­voir aus­si à nou­veau, puisque c’est la deuxième fois que tu viens et la pre­mière émis­sion avait été tout à fait saluée parce qu’elle était éclec­tique entre le sou­ve­rai­nisme de droite et le sou­ve­rai­nisme de gauche. Eh bien, j’es­père que le décor est bien plan­té. Etienne, est-ce que tu penses que les pré­mices de cette mas­ter­class sur le pro­ces­sus consti­tuant sont bien fondées ?

Etienne

Oui. Je suis très content qu’on en parle enfin ensemble, en pre­nant le temps, parce que de mon point de vue, Idriss est un des rares intel­lec­tuels du pays qui per­cute sur l’i­dée consti­tuante, alors que chez les sou­ve­rai­nistes, je trouve une espèce de dés­in­té­rêt que je trouve com­plè­te­ment extra­va­gant. Les sou­ve­rai­nistes de droite, qui sont plu­tôt natio­na­listes, ils sont plu­tôt pour le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif. mais ils vou­draient une nation qui soit sou­ve­raine. Et les sou­ve­rai­nistes de gauche qui cherchent une sou­ve­rai­ne­té popu­laire, donc qui seraient plu­tôt démo­crates. Et tous, en fait, je lis la revue d’On­fray, là, ils sont inté­res­sants ces gens-là, ils décrivent la sou­ve­rai­ne­té qu’ils vou­draient, mais il n’y en a aucun pour par­ler du pro­ces­sus qui va rendre pos­sible cette sou­ve­rai­ne­té. Il n’y en a aucun pour creu­ser les condi­tions d’ad­ve­nue de la sou­ve­rai­ne­té qu’ils veulent. C’est dingue, je ne com­prends pas. Donc, je suis très content de pou­voir en par­ler ici avec vous.

Idriss

C’est l’a­dop­tion d’une nou­velle idée, la conta­gion des idées. C’est une sig­moïde, une épi­dé­mie posi­tive. Je veux qu’on rende la conscience consti­tuante. épi­dé­mique, virale comme on dit, et tu sais au début ça a l’air plat comme ça, puis ça monte imper­cep­ti­ble­ment et ensuite c’est une sig­moïde, poum, t’as un effet de seuil, et quand t’as suf­fi­sam­ment de gens qui sont par­fai­te­ment alpha­bé­ti­sés dans le pro­ces­sus consti­tuant, ça devient une norme, les gens en parlent dans la rue, etc. Et je pense qu’on n’est pas loin de ça, hon­nê­te­ment. D’ailleurs Johan, qu’est-ce que t’en penses ? Le pro­ces­sus, la conscience consti­tuante, à ton avis, sur­tout quand on est trois géné­ra­tions dif­fé­rentes, X, Y, Z, donc c’est par­fait, Est-ce que tu penses que les gens sont mûrs pour une prise de conscience géné­ra­li­sée de la conscience constituante ?

Johan

Déjà, moi, ce que je trouve inté­res­sant et que j’ai vécu per­son­nel­le­ment, c’est que la pen­sée consti­tuante que tu as ame­née, Etienne, moi, j’ai connu ça dans les années 2012, 2013, où il n’y avait pas grand monde sur You­Tube et que toi, tu avais fait des confé­rences. Je trouve que la pen­sée consti­tuante a ça de qua­li­té, qu’elle pose des choses sim­ple­ment. C’est genre, on a une socié­té, on a un État, on a une éco­no­mie, et on veut savoir com­ment est-ce qu’on dirige tout ça ensemble, donc il faut que ce soit nous qui déci­dions de ça, de chaque ins­ti­tu­tion, de chaque orga­ni­sa­tion. Et que rien que cette pen­sée-là, au-delà même de savoir si tout le monde parle de la même chose quand il parle de pro­ces­sus consti­tuant, si on a ça en tête pen­dant les moments de révolte, ce qui est sûr, c’est que c’est une porte d’en­trée sur énor­mé­ment de choses. Parce qu’à par­tir du moment où tu te dis, c’est à nous d’é­crire les lois du pou­voir et que tu peux étendre ça à l’É­tat et à l’é­co­no­mie, en fait, tu peux tout remettre en cause, tu peux tout réflé­chir. Et c’est ça qui était très inté­res­sant que j’ai vécu moi dans ces années-là. C’est vrai­ment une grande porte ouverte en plus de la…

Idriss

La loi de Chouard, que tout le monde ne la connaît pas, parce que pour vous c’est tri­vial, mais la loi de Chouard, c’est : ce n’est pas aux hommes de pou­voir, aux gens de pou­voir, hommes et femmes de pou­voir, d’é­crire les règles du pou­voir. L’axiome de Chouard, le théo­rème de Chouard, c’est un axiome plu­tôt qu’un théo­rème, la loi de Chouard, c’est ce n’est pas aux gens de pou­voir d’é­crire les règles du pouvoir.

Etienne

Je l’ai refor­mu­lée pour les Gilets jaunes. au moment des Gilets jaunes, en disant que ce n’est pas aux repré­sen­tants d’é­crire les règles de la repré­sen­ta­tion, c’est aux repré­sen­tés. Nous sommes les seuls, nous les repré­sen­tés, à être à la fois capables, aptes et légi­times à écrire les règles de notre repré­sen­ta­tion poli­tique. Et ce que j’ob­serve dans les ate­liers depuis 20 ans, c’est que c’est pas­sion­nant pour tout le monde. À chaque fois, on a l’im­pres­sion de deve­nir un adulte poli­tique, de gran­dir, de prendre les choses sous un angle qui n’est plus celui du pri­son­nier, puis­qu’en fait quand on réflé­chit aux lois, alors que nous ne sommes pas légis­la­teurs (les consti­tu­tions nous tiennent à l’é­cart de toute influence dans le pro­ces­sus légis­la­tif), comme nous ne sommes pas légis­la­teurs, nos dis­cus­sions légis­la­tives sont oiseuses en fait : quand on reprend les sujets qu’on entend à la télé, en disant est-ce que le nucléaire c’est bien, est-ce que l’Eu­rope c’est bien, tout ça ce n’est pas nous qui déci­dons, en aucun cas, jamais de la vie, et donc nos dis­cus­sions légis­la­tives sont vaines, une perte de temps. Et on le sent, on le sait en fait. On sait que quand on en parle, c’est une impasse en fait. C’est comme si on était dans une pri­son et il y a une fenêtre qui nous per­met de voir dehors et puis on se dis­pute entre nous à l’in­té­rieur, alors qu’on est tous pri­son­niers ! on ne peut rien chan­ger et on se dis­pute quand même en disant « si on était dehors il fau­drait qu’on prenne des déci­sions de droite » « pas du tout il fau­drait prendre des déci­sions de gauche » « pas du tout » et on se dis­pute mais c’est c’est extra­va­gant Alors que la porte est ouverte, elle n’est pas fer­mée à clé, il suf­fi­rait de la pous­ser, juste il faut qu’on la pousse tous ensemble, pour nous éva­der en abso­lue priorité.

Idriss

Dans l’é­veil, on ne sait pas que notre pri­son est ouverte, que la porte est ouverte et qu’on a la clé de notre pri­son. Et c’est ce que disait Chom­sky : la meilleure façon d’en­fer­mer les gens, c’est de leur per­mettre de débattre viva­ce­ment, éner­gi­que­ment, mais avec un voca­bu­laire très res­treint et avec un niveau de sujet très res­treint. Le Mer­co­sur, l’Eu­rope, tout ce que vous vou­lez tant que vous res­tez dans le cadre. Et toi tu arrives en fai­sant explo­ser le cadre, et Yohan aus­si. Je suis très content que les choses soient fixées. On rap­pelle que, du temps dit des « Lumières », qu’on a un peu sacra­li­sé, parce que toi Étienne comme moi tu n’es pas un grand fan de Vol­taire, Guille­min non plus mais il était plus nuan­cé, mais bon, Vol­taire, c’é­tait une men­ta­li­té d’en­tre­te­nu. Et au fond, on a une consti­tu­tion vol­tai­rienne, c’est à dire un pays bien diri­gé, comme disait Vol­taire, est celui où le petit nombre fait tra­vailler le grand nombre, est nour­ri par lui et le gou­verne. Voi­là. « Silence aux pauvres d’Hen­ri Guille­min ». Excel­lente réfé­rence. Et puis, je vois que les post-it que tu as mis des­sus, toutes les étiquettes.

Etienne

C’est magni­fique. C’est un petit livre d’une den­si­té, d’une richesse.

Idriss

On se rap­pelle de la cita­tion de Vol­taire que Guille­min connais­sait par cœur. Un pays bien gou­ver­né est celui où le petit nombre fait tra­vailler le grand nombre, est nour­ri par lui et le gou­verne. Donc en effet, il y a des limites à Vol­taire. Mais ce que je veux dire, c’est qu’à l’é­poque des Lumières, la sépa­ra­tion des pou­voirs était déjà un truc nou­veau, mais on avait réflé­chi que légis­la­tif, exé­cu­tif et judi­ciaire. Par ordre d’im­por­tance, disons que l’exé­cu­tif est supé­rieur au légis­la­tif, sur­tout en France, où on peut dis­soudre l’As­sem­blée, et puis le légis­la­tif est supé­rieur au judi­ciaire. Et puis au-des­sus, on ne savait pas, mais vous êtes par­fai­te­ment bien pla­cé pour le savoir et l’ex­pli­quer, il y a le média­tique, et au-des­sus du média­tique, il y a le moné­taire. Parce que le pou­voir moné­taire, en impri­mant des billets, qui ne coûtent rien, peut ache­ter des jour­naux, peut ache­ter des médias, peut ache­ter des grands groupes, et comme disait Bour­dieu, si ces gens-là achètent les médias, c’est pour que la majo­ri­té pense comme eux. Et donc là-des­sus, on a des gau­lois réfrac­taires comme vous deux, on a Johan qui crée son propre média qui n’a été ache­té par aucun impri­meur de billets. Donc là déjà, on voit que le pou­voir média­tique com­mence à connaître quelques failles. Et puis toi bien sûr, Etienne, tu parles du fait que le peuple doit régner aus­si sur le pou­voir moné­taire, ça va de soi. Ce n’est pas seule­ment sur le pou­voir exé­cu­tif, légis­la­tif et judi­ciaire, il doit aus­si régner sur le pou­voir monétaire.

Alors, si vous me le per­met­tez, est-ce que vous vou­lez qu’on parle de ça pour com­men­cer ? Moi, j’ai pris mes notes, mais on n’est pas obli­gé de suivre l’é­mis­sion dans l’ordre que j’ai fixé. Est-ce que vous vou­lez qu’on com­mence par par­ler de com­ment le peuple peut reprendre le pou­voir média­tique et moné­taire par la démo­cra­tie directe et par le pro­ces­sus consti­tuant ? Est-ce que ça vous va comme ouverture ?

Johan

Ça paraît bien. Pour reve­nir peut-être sur ce que tu as dit, moi, je ne suis pas… exac­te­ment, si on va dans les pré­ci­sions, on a le temps d’al­ler dans les précisions.

Idriss

Tout ce que tu veux, toutes les nuances, tout ce que tu veux. La véri­té dans la nuance.

Johan

On est bien d’ac­cord. Je pense qu’il n’y a pas, comme tu disais, les faus­saires qui impriment des billets ou par la créa­tion moné­taire, comme Etienne en parle depuis long­temps, ce n’est pas fon­ciè­re­ment eux qui achètent les médias ou qui contrôlent les médias. Les banques pri­vées pos­sèdent pas mal de la presse régio­nale. Mais le gros des médias est soit déte­nu par l’É­tat, soit déte­nu par les grands déten­teurs de capi­taux, en réa­li­té c’est sur­tout ça. Donc ça va être les grands mil­liar­daires, ceux qui pos­sèdent des entre­prises, ceux qui pos­sèdent un vaste por­te­feuille action­na­rial et en gros c’est plu­tôt cette classe.

Idriss

Mais qui empruntent aux créa­teurs de mon­naie, qui remettent cette mon­naie créée sur le marché.

Johan

Oui, mais c’est plus la pro­prié­té des capi­taux qui fait qu’ils ont réus­si à en ache­ter et qu’ils ont l’u­su­fruit de ça et qui ont le contrôle concret. C’est eux qui décident de quel est le rédac chef. Quand Bol­lo­ré, il rachète, il met ce type-là. Quand tu as Dra­hi qui rachète, il met ce type-là. Et c’est eux qui imposent après leur ligne. Donc, je pense que là, en tout cas, moi, ma vision des choses est plus qu’il y a une classe orga­ni­sée dont le fac­teur déter­mi­nant, c’est le fait qu’ils pos­sèdent des capi­taux, qu’ils pos­sèdent des actions, qu’ils pos­sèdent des entre­prises. Et grâce à ça, ils arrivent à contrô­ler les médias, qui est l’un de leurs outils. l’un de leurs outils de domi­na­tion, qui fait que concrè­te­ment, ils ont le pou­voir. Et après, on ver­ra, je pense, à la suite de la conver­sa­tion, notam­ment au niveau de la dette, c’est un autre pou­voir qu’ils ont, au niveau du chan­tage à l’emploi, c’est un autre pou­voir qu’ils ont, etc. Mais je pense que c’est bien de remettre ce truc-là de conflic­tua­li­té qu’il y a en per­ma­nence, de savoir qu’il y a une classe qui contrôle les médias et que si on s’at­taque à eux, ça veut dire qu’il va y avoir une lutte entre nous et eux. C’est ça aus­si le truc impor­tant à com­prendre dans le pro­ces­sus révolutionnaire.

Idriss

Ce qui nous fas­cine c’est com­ment toi, comme David contre Goliath, tu com­mences à créer des failles et com­ment ça peut se mul­ti­plier. Comme tu le sais, nous ce qui nous inté­resse c’est de faire de la… en quelque sorte de l’é­le­vage de canards. Et donc on veut recon­naître un peu le secret pour qu’il y ait demain que le canard réfrac­taire soit la norme plu­tôt que l’exception.

Johan

Nous au canard réfrac­taire on a été, enfin c’est dif­fi­cile de dis­so­cier une chose du contexte et de la situa­tion dans laquelle elle est née. Notre asso­cia­tion Canard Réfrac­taire, notre média, est née pen­dant le mou­ve­ment des Gilets jaunes à Guin­gamp, en 2019. Et depuis là jus­qu’à main­te­nant, on s’est tou­jours tenu à essayer de de repré­sen­ter média­ti­que­ment une parole qui n’exis­tait pas, qui était une parole popu­laire, qui n’é­tait pas une parole petite bour­geoise pari­sienne, comme tu dirais Idriss, mais qui était avec des ana­lyses dif­fé­rentes, là où on ne trou­vait pas ailleurs. Et donc on a fait des choix qui sont assez forts dès le début, qui sont le choix de l’as­so­cia­tion, c’est-à-dire que per­sonne ne pos­sède le média, per­sonne ne peut ache­ter le média, et per­sonne ne peut véri­ta­ble­ment cor­rompre le média, un truc assez fan­tas­tique en France qui s’ap­pelle l’as­so­cia­tion. et on a déci­dé de fonc­tion­ner à l’in­té­rieur de cette asso­cia­tion de façon coopé­ra­tive, c’est-à-dire qu’on prend les déci­sions col­lec­ti­ve­ment, on a mis en place des petites ins­ti­tu­tions, on a fait des micro ate­liers consti­tuants dans notre média pour savoir quel comi­té orga­ni­sait quelle chose, si je sim­pli­fie un petit peu les choses, c’est ça, avec des salaires, par exemple, un pour un qui fait que même moi qui ai une place de rédac­teur en chef fon­da­teur, je pour­rais me la péter comme beau­coup de jour­na­listes à Paris se la pètent pour ces rai­sons-là, mais en fait on a tous exac­te­ment le même salaire, que tu sois sta­giaire ou autre…

Idriss

Vous la faites tour­ner comme une coopérative.

Johan

Oui, mais même plus plus : on est tous un peu dans le même bateau dans ce média-là et du coup, on essaye de faire en sorte que ça fonc­tionne le mieux pos­sible. Et par exemple, il y a une des consé­quences très inté­res­santes de ça, c’est que, vu qu’il n’y a pas d’au­to­ri­té patro­nale pour déci­der, en fait, on est un peu obli­gé de déci­der tous ensemble. Et le fait qu’on soit un peu obli­gé de déci­der tous ensemble, des fois, c’est un peu contrai­gnant parce que du coup, il faut dis­cu­ter, il faut se dis­pu­ter, machin. Mais en fait, ça nous oblige du coup à faire des choses comme des heures de dis­cus­sions poli­tiques qu’on fait tous les lun­dis à peu près à 14h, où on fait en sorte de dis­cu­ter ensemble de tous les sujets pour que même le mon­teur qui, clas­si­que­ment dans les médias, est mis dans une cave et balance des vidéos comme ça qui doivent mon­ter et mon­ter, puisse par­ti­ci­per, arri­ver, avoir des ana­lyses, qu’on puisse se mélan­ger, etc. faire en sorte d’a­voir non pas juste un média avec une sépa­ra­tion des tâches et du tra­vail avec des gens qui sont ultra spé­cia­li­sés, mais quelque chose qui res­semble et qui, objec­ti­ve­ment, est une orga­ni­sa­tion poli­tique où tu as des mili­tants poli­tiques dedans. Moi, ce que je dis sou­vent, on par­court par­fois la France, on va à Mar­seille, on va à Reims, on va dans des endroits comme ça. et on se pré­sente tou­jours en tant que mili­tants. Nous sommes des mili­tants, nous ne sommes pas des jour­na­listes, nous sommes des mili­tants qui uti­li­sons le média comme un outil pour trans­mettre des infor­ma­tions, trans­mettre des ana­lyses, créer une conscience, essayer d’or­ga­ni­ser des actions, etc.

Idriss

Au moins vous l’ad­met­tez, parce que beau­coup de jour­na­listes sont mili­tants, si on l’ad­mettre. Donc il y a quand même déjà au moins ce tra­vail qui est fait.

Johan

Oui, et sur­tout dans une époque de crise très forte. C’est-à-dire, on va sans doute en par­ler, mais briè­ve­ment, on sait que la guerre va arri­ver, va s’in­ten­si­fier. On sait que la crise éco­no­mique va se ren­for­cer. On sait que ça va être l’é­co­lo­gie, tout ça, qu’il va y avoir beau­coup de fac­teurs qui vont faire que ça va être la merde dans ces pro­chaines années. Donc tu vas avoir une grande conflic­tua­li­té par­tout dans la socié­té. Et dans ce contexte-là, en fait, tu prends posi­tion. Quoi qu’il arrive, tu prends posi­tion. Bien sûr. Et je crois qu’il faut juste admettre le fait que tout le monde prend posi­tion. Tout le monde est utile pour quel­qu’un, pour une classe, pour un groupe de per­sonnes. Et nous, ce qu’on a déci­dé, c’est de prendre posi­tion pour le peuple, quand d’autres ont déci­dé de prendre posi­tion pour ceux qui détiennent les capi­taux, pour ceux qui signent leur bul­le­tin de salaire à la fin du mois.

Idriss

Au moins, vous en pre­nez la res­pon­sa­bi­li­té. Camus était un jour­na­liste mili­tant, Clé­men­ceau était un jour­na­liste mili­tant. Tant qu’on en prend la res­pon­sa­bi­li­té, je n’ai aucun pro­blème avec ça. Tant qu’on res­pecte la Charte de Munich, quand on couvre les sujets, quand on essaie de les pré­sen­ter comme fac­tuels, Mais ce qui est hor­rible, c’est les jour­na­listes qui n’as­sument pas leur mili­tan­tisme, qui disent des choses, qui sortent des trucs, des énor­mi­tés sur les pla­teaux, avec, comme tu le sais, cette espèce de haine des pauvres, ou ce mépris de classe abso­lu­ment sidé­rant, et qui se pré­sentent comme jour­na­listes, alors qu’à ce niveau-là, ils ne peuvent plus se pré­sen­ter comme ça. Donc, mer­ci, sur le plan orga­ni­sa­tion­nel, Yoann, de nous avoir don­né cette espèce de blue­print, je sais pas com­ment on dit, de sché­ma, et on en repar­le­ra. Et puis, Etienne, je te rends la parole.

Etienne

Moi je ne confon­drais pas, je ne trai­te­rais pas en même temps le sujet de la mon­naie et le sujet des médias parce que je les trouve assez dis­tincts et peut-être je vais com­men­cer par celui des médias puisque Yoann vient d’en parler.

A mon avis, nous avons besoin, une démo­cra­tie, un régime qui res­pecte les liber­tés et qui donne un pou­voir d’o­pi­ner et de déci­der à la popu­la­tion, a besoin d’être éclai­rée. Donc nous avons besoin que notre opi­nion, à qui nous allons don­ner du pou­voir, soit éclai­rée. Et pour être cor­rec­te­ment éclai­rée, nous avons besoin de ce qui s’ap­pelle des jour­na­listes, mais il faut en défi­nir le sens, parce que le mot est com­plè­te­ment dévoyé aujourd’­hui par le fait que les jour­na­listes ont été ache­tés, comme on achète des voi­tures, par les plus riches, la tota­li­té des jour­naux du pays. Peut-être à part le canard enchaî­né, mais même pas sûr.

Idriss

Amé­lie Ismai­li, la jour­na­liste d’in­ves­ti­ga­tion qu’on a reçue il y a quelques jours, vient encore démon­trer, elle a fait un petit mon­tage sur Twit­ter, par exemple le cas de Kre­tins­ky, qui pos­sède tout un tas de médias en France, elle montre que Libé­ra­tion le pré­sen­tait comme le sul­fu­reux mil­liar­daire, puis Kre­tins­ky a offert un prêt de 14 mil­lions sans inté­rêts et avec échéances de rem­bour­se­ment libres, enfin tu vois très gen­til, et là, boum, du jour au len­de­main, Kre­tins­ky ça devient le sau­veur… On a là, vrai­ment, un cas pré­cis qui montre com­ment on peut ache­ter la presse aujourd’hui!,

Etienne

Il y en a plein. En fait, l’his­toire de l’a­chat des jour­naux, c’est l’his­toire de la cor­rup­tion des jour­naux, et en fait, l’his­toire de la perte pour la popu­la­tion d’un outil d’in­for­ma­tion essen­tiel. Et à mon avis, ça doit être pro­té­gé dans la Consti­tu­tion, comme tu le disais. Mon­tes­quieu n’a­vait pas vu le coup venir parce que ça n’exis­tait pas encore, donc il n’y avait pas encore la télé. Les médias, à mon avis, il faut qu’on les défi­nisse. On ne parle pas que des jour­naux. Il y a les jour­naux, les radios, les télés. Mais il n’y a pas que ça. Les médias sont tous les outils qui per­mettent à l’o­pi­nion de se for­mer, à l’o­pi­nion d’être éclai­rée. Donc il va y avoir les ins­ti­tuts de son­dage, il va y avoir les ins­ti­tuts sta­tis­tiques, les mai­sons d’é­di­tion qui fabriquent tous les bou­quins. Peut-être même l’é­cole, on pour­rait la mettre dans « les médias ».

En fait, il s’a­git de repé­rer quels sont les pou­voirs dont nous pou­vons avoir à craindre. Et donc, il faut les contrô­ler ensuite pour n’en avoir rien à craindre. Les jour­na­listes, en fait, sous la Révo­lu­tion fran­çaise, on les appe­lait les sen­ti­nelles du peuple. Là, c’é­tait clair, c’é­tait des com­plo­tistes. C’é­tait des gens comme Marat, qui est un immense jour­na­liste, qui avait com­men­cé en Angle­terre et puis qui s’est retrou­vé en France au moment de la Révo­lu­tion fran­çaise. C’é­tait le plus vieux de la bande des révo­lu­tion­naires et qui entraî­nait lit­té­ra­le­ment, c’é­tait un moteur pour la Révo­lu­tion fran­çaise. Il a été un peu raté par Guille­min. Guille­min en parle très peu. mais j’ai une qua­ran­taine, cin­quan­taine de bou­quins sur Marat, donc vrai­ment Marat c’est un objet d’é­tude for­mi­dable, com­plè­te­ment raté par quel­qu’un comme Onfray par exemple.

Idriss

Mais si tu me per­mets de vul­ga­ri­ser ton pro­pos comme ça, déjà ce que tu es en train de nous dire, parce que c’est évident pour toi, mais on est là pour faire une mas­ter­class en quelque sorte, déjà le pre­mier point que tu dis c’est que pour com­prendre le jour­na­lisme il faut avoir des modèles, donc il faut fixer des modèles du bon journalisme.

Etienne

Alors, je vais te don­ner, dans ma consti­tu­tion, nous devrions tous avoir une espèce de petit chan­tier de consti­tu­tion dans lequel on écrit ce à quoi on pense. Et moi, j’en ai écrit une en ce moment, j’en ai fait une, ça fait 20 ans, mais bon, elle com­mence à prendre forme. Parce qu’en fait, pen­dant 20 ans, j’ai fait des ate­liers consti­tuants avec des gens, et en fait, des gens très dif­fé­rents qui, à chaque fois, sont nou­veaux, débu­tants. Et donc, à chaque fois, on reprend sur les sujets les plus impor­tants, comme le RIC, la mon­naie, les jour­na­listes, mais en fait, j’é­tais dans cette logique-là, je ne construi­sais pas une consti­tu­tion com­plète. Depuis quelques années, je me mets sur une consti­tu­tion com­plète et ça me pousse à faire des choses que je ne fai­sais pas en ate­lier consti­tuant avec des débu­tants. Par exemple, sur la défi­ni­tion du jour­na­liste, je vous sug­gère celle-ci. Jour­na­liste, les citoyens attendent de lui  — donc je l’é­cris dans la consti­tu­tion. Je mets dans la consti­tu­tion un lexique. Je vais réflé­chir avec les Qué­bé­cois, et avec des groupes mili­tants en France aus­si, je réflé­chis à l’as­pect lexi­cal consti­tuant, c’est-à-dire que je pense qu’il y a plein de mal­en­ten­dus sur le mot repré­sen­tant, sur le mot consti­tu­tion, sur le mot citoyen, sur le mot jour­na­liste, sur les mots les plus impor­tants, sur le mot suf­frage uni­ver­sel. Il y a des mots essen­tiels qui sont com­plè­te­ment mis à l’en­vers par nos repré­sen­tants et que nous pou­vons, que nous devrions mettre au clair dans notre consti­tu­tion parce que c’est une consti­tu­tion, c’est un contrat social, c’est un texte qui va être signé par tout le monde, y com­pris des gens qui n’ont jamais réflé­chi à la ques­tion et qui doivent pou­voir com­prendre ce qu’ils signent. Il est très impor­tant qu’il y ait un som­maire écrit en lan­gage clair, pas du tout en jar­gon. La consti­tu­tion, ce n’est pas un texte juri­dique, il faut faire atten­tion à ça. Parce que les pièces de droit, pro­ba­ble­ment ani­més de bonnes inten­tions, je ne leur fais pas de pro­cès d’in­ten­tion, je ne pense pas qu’ils étaient mal inten­tion­nés, mais les profs de droit qui se sont spé­cia­li­sés sur les ques­tions de droit consti­tu­tion­nel et de droit public, en fait, nous ont piqué, fina­le­ment, sans le vou­loir, nous ont piqué ce sujet alors qu’il est tel­le­ment haut dans le droit que ça n’est pas un texte tech­nique, c’est un texte politique.

Idriss

Une consti­tu­tion doit être lim­pide. C’est le pre­mier point sur lequel tu insistes. Une consti­tu­tion doit être lim­pide. Et nous, on a ten­dance à faire des consti­tu­tions absconses.

Johan

Ce n’est pas nous qui avons ten­dance à le faire, jus­te­ment. Je pense que le cha­ra­bia et l’in­ter­pré­ta­tion per­mettent aus­si de manœu­vrer plus faci­le­ment dans des contextes où il faut cas­ser des mou­ve­ments, où il faut chan­ger un peu le modèle de société.

Etienne

Il faut reve­nir à ce que vous disiez tout à l’heure, Yohan qui par­lait des jour­na­listes. Il me semble que nous devrions écrire quelque chose comme ça, mais c’est un chan­tier, donc je vous sug­gère ça. Après ça, vous allez vous y réflé­chir et peut-être trou­ver d’autres façons de le dire, d’autres mis­sions. Mais dans mon esprit, un jour­na­liste, les citoyens attendent de lui qu’il inquiète les pou­voirs. Le jour­na­liste est par nature, par construc­tion, un contre-pou­voir. Dans le res­pect des liber­tés fon­da­men­tales, sans calom­nier, ni dif­fa­mer, sous l’au­to­ri­té de la chambre de contrôle des jour­na­listes. Chaque pou­voir, y com­pris les pou­voirs dont on a abso­lu­ment besoin évi­dem­ment, doivent être sous un contrôle popu­laire. Peut-être tout à l’heure on pren­dra le temps de réfléchir.

Idriss

Tu seras pour le tirage hors de cette chambre pour évi­ter la corruption ?

Etienne

Abso­lu­ment. Je vous sug­gère, quand vous allez faire des ate­liers consti­tuants, vous allez avoir à ins­ti­tuer des pou­voirs et à les contrô­ler. Donc vous allez dire quel est le rôle de ces pou­voirs et quel est leur contrôle. Et le contrôle, à mon avis, il y a une espèce de mar­tin­gale, de façon de faire qui va aller pra­ti­que­ment à tous les coups, dans tous les cas, ça va consis­ter à pré­voir une chambre de contrôle de la police, une chambre de contrôle des juges, une chambre de contrôle des par­le­men­taires, une chambre de contrôle des ministres, une chambre de contrôle…

Idriss

– Un point clair, si tu me per­mets de mettre le coup de sta­bi­lo, dès qu’on pense un pou­voir, on doit pen­ser son contrôle. et pas de façon théo­rique, de façon concrète, c’est-à-dire au jour le jour, com­ment ce contrôle s’exerce.

Etienne

Et on peut dire, quelque part dans la Consti­tu­tion, au début, comme un déno­mi­na­teur com­mun de toutes les chambres de contrôle, nous allons éta­blir des Chambres de contrôle, vous allez voir, dans le reste de la Consti­tu­tion, et vous allez voir que toutes les Chambres de contrôle vont avoir un bud­get impor­tant, Et on a l’argent puisque c’est nous qui allons reprendre le contrôle de la créa­tion moné­taire. On ne va pas man­quer d’argent pour faire mar­cher les ser­vices publics. Donc, on a l’argent qu’il faut pour les payer comme il faut. On va don­ner un bud­get suf­fi­sant, consis­tant aux chambres de contrôle. On va leur don­ner un pou­voir d’en­quête et d’in­ves­ti­ga­tion pour qu’ils puissent aller sur­veiller les pou­voirs dont ils sont char­gés du contrôle. Et puis, on va leur don­ner une auto­ri­té pour juger, tran­cher et punir les pou­voirs abu­sifs. Donc en fait, à chaque fois que vous allez éta­blir un pou­voir, pareil pour les prin­cipes, le pro­blème des droits de l’homme par exemple, si les droits de l’homme sont pié­ti­nés, c’est parce qu’il n’y a pas de chambre char­gée d’ap­pli­quer des droits de l’homme.

Idriss

Il y a le texte, mais il n’y a pas de méca­nisme pour…

Etienne

Il n’y a pas d’ins­ti­tu­tion qui va per­mettre de l’ap­pli­quer. Quand il y a une cour des comptes, la cour des comptes, chez nous, en France, elle n’a pas de pou­voir contrai­gnant. Elle peut juste faire des rap­ports sans force contrai­gnante. Mais c’est extravagant.

Idriss

Elle étrille, voi­là, elle étrille. Elle ne condamne pas, elle étrille, elle dit c’est mal, et puis voi­là c’est tout.

Etienne

Mais sans consé­quence. Donc, en fait, il faut que dans la consti­tu­tion d’o­ri­gine citoyenne que nous allons écrire, il fau­dra qu’on pense bien à assor­tir chaque grand prin­cipe d’une chambre, d’un organe, qui sera sûre­ment une chambre tirée au sort parce que c’est le meilleur moyen de la rendre incor­rup­tible et d’im­pli­quer les citoyens dans leurs ins­ti­tu­tions. Le tirage au sort, il faut lire, il y a dans Toc­que­ville, dans La démo­cra­tie en Amé­rique, il y a un cha­pitre sur plu­sieurs longues pages pour défendre l’i­dée du tirage au sort. Toc­que­ville explique la puis­sance de cette pro­cé­dure qui, dit-il, qui tire les gens hors de chez eux et de leurs petits inté­rêts par­ti­cu­liers, et en leur mon­trant le spec­tacle d’autres, de leur pairs, des gens qui leur res­semblent, en train de dis­cu­ter du bien com­mun. On fait leur édu­ca­tion civique, on leur apprend à réflé­chir au bien com­mun. Donc le tirage au sort pour Toc­que­ville, c’é­tait une école de civisme… Alors Toc­que­ville est dis­cu­table, mais c’est magni­fi­que­ment écrit.

Idriss

J’aime bien ton éclec­tisme parce que tu mets les libé­raux aus­si, tu les invites à ta table pour dis­cu­ter, Toc­que­ville est plu­tôt admi­ré des libé­raux, et là tu dis, regar­dez, c’est pour le tirage au sort, c’est libé­ral en soi d’ailleurs. Vas‑y, je t’en prie.

Johan

Est-ce que là, tu nous pro­poses, Étienne, un peu la struc­ture de la consti­tu­tion sur laquelle tu tra­vailles là. Moi, j’a­vais une ques­tion à te poser parce qu’une des richesses du tra­vail que tu as fait pen­dant 20 ans, c’est aus­si d’a­voir orga­ni­sé énor­mé­ment d’a­te­liers consti­tuants. Donc, tu as repo­sé peut-être des cen­taines de fois la ques­tion média­tique à des gens autour d’une table. Moi, je vou­lais savoir, est-ce que, glo­ba­le­ment, les solu­tions qu’é­crivent les gens quand ils sont en ate­lier consti­tuant sont assez simi­laires ? Et est-ce que tu vois des chan­ge­ments en fonc­tion de la situa­tion ? C’est-à-dire, par exemple, quand on fai­sait en 2014 où il ne se pas­sait rien, là, tu n’a­vais pas beau­coup, par exemple, d’i­dées neuves, où on pas­sait par l’é­lec­tion, ou un truc comme ça, parce qu’on n’a­vait pas beau­coup d’am­bi­tion et que quand on arrive avec le mou­ve­ment des Gilets jaunes, là, tout d’un coup, on se sent très fort parce que c’est un mou­ve­ment social qui nous emporte. Tout d’un coup, les pers­pec­tives changent et là, on se met à pen­ser des choses un peu plus radi­cales sur le tirage au sort ou sur le contrôle des élus.

Etienne

Ce qui est éton­nant, après 20 ans d’a­te­liers consti­tuants, c’est le spec­tacle d’une rela­tive uni­for­mi­té. En fait, nous déci­dons, alors il y a des options, il y a des varia­tions quand même, mais en gros, nous déci­dons quand même sen­si­ble­ment la même chose. Et ça, ça donne confiance en le tirage au sort. C’est-à-dire qu’a­près avoir vécu ça, moi, pen­dant 20 ans, Ça peut être n’im­porte qui dans la rue. Pour moi, ça peut être n’im­porte qui dans la rue qui va écrire. Je sais que si on lui donne le temps de réflé­chir, si on lui donne l’oc­ca­sion de s’ins­truire de l’a­vis des autres, je sais que lui va écrire la même chose que moi, sen­si­ble­ment. Et en fait, ça, c’est l’ex­pé­rience de la varié­té des publics écri­vant la même chose qui donne confiance dans le tirage au sort. Parce qu’en fait, c’est la rai­son qui nous conduit à écrire des pou­voirs et des contre-pou­voirs, et notam­ment un contre-pou­voir popu­laire, bien sûr, ou même un pou­voir popu­laire. Et en fait, tout le monde aspire à un pou­voir popu­laire, à part les domi­nants du moment, bien sûr, les domi­nants, eux, ils aspirent, ils sont anti­dé­mo­crates en diable, mais la plu­part des gens que je ren­contre, et pas seule­ment des gens qui viennent à mes confé­rences et donc qui sont un peu… C’est vrai qu’on peut les sus­pec­ter d’être déjà acquis d’a­vance, d’être déjà d’ac­cord. Mais même quand je m’as­sois dans le train, quand je vais à Bor­deaux, j’ai 7 heures de train. Donc le gars qui s’as­soit à côté de moi dans le com­par­ti­ment, il ne sait pas encore, mais dans pas long­temps, il va être consti­tuant. Et en fait, ça marche tout le temps. Même quel­qu’un que je ne connais pas et que je n’ai jamais vu, Les gens per­cutent, ils com­prennent très vite l’i­dée de réflé­chir nous-mêmes aux ins­ti­tu­tions de notre représentation.

Mais ce que tu disais tout à l’heure, Johan, je vou­drais sou­li­gner que j’ai pour l’ins­tant repé­ré dans nos ate­liers consti­tuants deux façons d’ins­ti­tuer le jour­na­lisme sous contrôle citoyen, le jour­na­lisme indé­pen­dant. Donc, les jour­na­listes, pour moi, tu as com­pris, c’est des des inquié­teurs de pou­voir. C’est des com­plo­tistes, c’est des gens qui cherchent des com­plots et quand ils en trouvent, ils les dénoncent. Quand ils les trouvent, ils les dénoncent. Je sais bien qu’au­jourd’­hui, le mot com­plo­tiste est pris comme une insulte, mais c’est.

Idriss

De moins en moins. Ça, c’est en train de chan­ger aus­si. Mais le simple prin­cipe d’in­quié­teur de pou­voir, la mouche du coche de Socrate, là, tu as fixé les choses de façon très claire. Quand on a Julien Pain qui nous dit oui, j’ai dit que le pass ne serait jamais deman­dé dans les res­tau­rants, mais c’est parce que le pou­voir l’a­vait dit. Là, stop, il y a un pro­blème, t’es pas jour­na­liste, tu dois inquié­ter le pouvoir.

Etienne

Mais c’est plus sérieux. La mouche du coche, c’est quand même une emmer­deuse qui fait l’in­té­res­sante et qui, en fait, ne sert pas à grand chose. Là, c’est beau­coup plus impor­tant. Le jour­na­liste, il va mordre les cuisses des pou­voirs pour les inquié­ter, pour que les pou­voirs aient peur d’eux. Comme Assange, qui pour moi est l’i­cône du journalisme.

Il y a deux façons d’or­ga­ni­ser, à ma connais­sance pour l’ins­tant, donc vous en trou­ve­rez peut-être d’autres, mais pour l’ins­tant, j’ai repé­ré deux façons de rendre les jour­na­listes indé­pen­dants, bon d’a­bord il faut évi­dem­ment les reprendre aux riches, donc dans l’ar­ticle qui ins­ti­tue le RIC…

Idriss

… Ou faire des coopé­ra­tives qui soient toutes aiguës, subventionnées…

Etienne

Oui, voi­là : Soit on peut dire, dans la Consti­tu­tion, nous nous esti­mons que nos jour­na­listes doivent fonc­tion­ner sur le modèle de la coopé­ra­tive ouvrière, où tout le monde inter­vient. Les médias appar­tiennent à ceux qui y tra­vaillent et sont conduits par ceux qui y tra­vaillent et sont inalié­nables. Inalié­nables, ça veut dire qu’on ne peut pas les ache­ter. Nous inter­di­sons dans la Consti­tu­tion que qui que ce soit, per­sonne phy­sique, per­sonne morale, natio­nal ou étran­ger, on s’en fout, les médias, par construc­tion, parce qu’on l’a écrit dans la Consti­tu­tion, ne sont pas ache­tables. Ça, il faut l’é­crire. Au sor­tir de la Deuxième Guerre mon­diale, les mili­tants com­mu­nistes et gaul­listes du Conseil Natio­nal de la Résis­tance avaient écrit qu’il faut faire gaffe, tenir les médias à l’é­cart des puis­sances de l’argent, et puis c’est fina­le­ment Mit­ter­rand qui a tout lâché en fait, et qui a lais­sé Hersant…

La deuxième moda­li­té qui est assez simple, c’est d’or­ga­ni­ser le pou­voir et la pro­tec­tion des jour­na­listes sur le modèle des juges. Alors pas exac­te­ment des juges actuels, parce que les juges actuels bien sûr peuvent être amé­lio­rés, mais les juges tels qu’on les rêve, c’est-à-dire indé­pen­dants, Nous, les citoyens, nous déci­dons de payer les juges parce qu’on ne veut pas que ce soit les riches qui payent les juges, évi­dem­ment, sinon les juges vont ser­vir les riches et ne vont pas bien rendre la jus­tice. Donc, nous déci­dons de payer les juges et de les payer cor­rec­te­ment, de les for­mer et d’in­ter­dire à tous les pou­voirs d’al­ler se mêler de leurs affaires. C’est mal fait, c’est très mal fait en France. Le par­quet fait de nous la risée du monde. Le monde rit de ce qu’on appelle « juges » des agents qui sont sou­mis au pou­voir exé­cu­tif alors qu’ils devraient lui man­ger les cuisses, ils devraient inquié­ter l’exé­cu­tif. Au lieu de ça, leur car­rière est réglée par l’exé­cu­tif, qui décide même de ce qu’ils vont dire, c’est com­plè­te­ment aberrant.

Johan

C’est ce Dupont Moret­ti  a fait. Il a fait un grand dis­cours en repre­nant le pou­voir. Il n’a jamais rien fait. Tout ce qu’il a fait, c’est pour­suivre des pro­cu­reurs et com­pa­gnie. C’est trop utile d’a­voir une jus­tice au ser­vice de l’État.

Etienne

Il n’y a vrai­ment que nous pour écrire une bonne jus­tice. Il n’y a que nous. Nous sommes les seuls à pou­voir écrire les bonnes ins­ti­tu­tions de jus­tice. Mais sur le modèle des juges tel qu’on pour­rait les rêver, c’est-à-dire indé­pen­dant et sous contrôle, pour l’ins­tant les juges sont jugés par des juges. Ce sont les juges qui jugent les juges. et qui déconnent com­plè­te­ment. Les abus de pou­voir des juges, et c’é­tait déjà comme ça sous l’An­cien Régime, les abus sexuels des juges, c’é­tait déjà mon­naie cou­rante. C’est une vieille affaire. Donc, il est impor­tant que les juges aient des comptes à rendre devant des per­sonnes qui ne sont pas des juges, et ça va être la Chambre de contrôle des juges, ça va être une chambre de contrôle populaire.

Idriss

Je vou­drais te sou­mettre une idée là-des­sus, que je vais gar­der dans un coin de ma tête, parce que c’est une idée qui me tra­vaille depuis long­temps, puisque en effet, je vou­drais, alors je fais juste cette paren­thèse Yohan, et je te donne impé­ra­ti­ve­ment la parole après, Il faut sou­le­ver un point très impor­tant, qui encore une fois est évident pour vous deux, mais que je veux bien trans­mettre à notre sou­ve­rain à nous, qui est notre public, et qu’on ne trans­met pas par aca­dé­misme, mais tout sim­ple­ment parce que notre public n’a pas le temps for­cé­ment de s’in­té­res­ser à ces détails. Et ces détails sont intéressants.

Vous pre­nez le cas de Sta­line. Sta­line prend le pou­voir en étant secré­taire. Et c’é­tait un poste avec zéro pou­voir et il en a fait un poste à pou­voir, parce qu’en étant Secré­taire géné­ral, il contrô­lait si Trots­ky avait de l’argent, il contrô­lait si ses enne­mis avaient des moyens ou pas… En fait en étant celui… tu sais cette phrase qu’on lui attri­bue (à tort) : « ce qui compte ce n’est pas le vote, c’est celui qui compte les votes », ça montre bien l’i­dée ; quand tu contrôles l’exé­cu­tion des lois, en fait, tu es plus puis­sant que ceux qui écrivent les lois. Tu peux pas­ser, comme tu as dit, les droits de l’homme, les machins, si jamais il n’y a aucune cour­roie de trans­mis­sion, il n’y a pas un code d’exé­cu­tion des droits de l’homme, il n’y a pas un code du jour­na­lisme, il n’y a pas un truc très pré­cis qui dit, par exemple, si tu as man­qué à telle loi, il va t’ar­ri­ver ça à telle date. Ce n’est pas on attend de faire un pro­cès dans 10 ans… Non, non, c’est avant telle date, il te sera arri­vé ça et c’est irré­vo­cable. Tu te rends compte que du coup Koh Lan­ta est mieux fou­tu que nos sys­tèmes de loi. La sen­tence est irré­vo­cable. Voi­là, tu as vrai­ment un code, il faut que tu aies un code qui dise si jamais tu n’as pas fait ça, la puni­tion sera irré­vo­cable, exécutoire.

Alors que comme tu le dis, la cour des comptes, elle passe son temps à dire ce bud­get, ces comptes sont nuls… tu fais ça avec une entre­prise, tu es mort, c’est abus de biens sociaux. et bien là ça passe sans pro­blème, il n’y a pas le côté irré­vo­cable. Donc l’exé­cu­tion fine de com­ment la Consti­tu­tion coule dans la vie de tous les jours, on va en par­ler toute la soi­rée, parce que c’est ça les chambres de contrôle, c’est ça les tirages au sort. Mais dans le cas pré­cis où… Oui vas‑y.

Etienne

Excuse-moi, et donc les jour­na­listes on pour­rait les trai­ter comme les juges, c’est-à-dire qu’on pour­rait déci­der plu­tôt que d’en faire des SCOP, et là c’est à nous d’en par­ler, je ne tranche pas sur la ques­tion, mais il me semble que nous pour­rions aus­si, c’est une pos­si­bi­li­té, déci­der que nous ne vou­lons pas, bien sûr, que les riches payent les jour­na­listes, comme c’est le cas actuel­le­ment, ce qui donne une dés­in­for­ma­tion géné­rale, ils nous mettent la tête à l’en­vers et ça per­met de gagner les élec­tions, ça sert à ça. Au lieu de ça, nous vou­lons, nous, payer les jour­na­listes, comme nous vou­lons, nous, payer les juges pour qu’ils soient indé­pen­dants. On va les payer et on va faire atten­tion à ce qu’ils soient indé­pen­dants, comme on fait atten­tion à ce que les juges soient pro­té­gés contre les puis­sances éco­no­miques et contre les puis­sances poli­tiques. Et on pour­rait faire la même chose avec les jour­na­listes, c’est-à-dire que les enfants, les jeunes gens qui veulent être jour­na­listes, de droite, de gauche, ben on ver­ra, on fait confiance au hasard et à la diver­si­té des gens qui veulent le deve­nir. Il va y avoir des jeunes gens de droite qui veulent deve­nir journalistes.

Idriss

Si mon­ter son média est facile, toutes les opi­nions, il y aura de la gauche et de la droite. Et jus­te­ment, Yohan, ima­gine demain, Yohan, on te confie…

 

à com­plé­ter (tra­vail de romain)

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2 Commentaires

  1. Costar

    Bon­jour,
    Petite remarque sur la forme, liée pro­ba­ble­ment à la tech­no­lo­gie d’échanges.

    Les inter­rup­tions d’un inter­lo­cu­teur brouillent immé­dia­te­ment la phrase de celui qui parle et ça devient par­fois incom­pré­hen­sible. Cela vient sans doute de la tech­no­lo­gie du logi­ciel de com­mu­ni­ca­tion. Je ne sais pas si cette ges­tion des prio­ri­tés est para­mé­trable, mais ça devient insup­por­table quand un inter­lo­cu­teur ne cesse de com­men­ter l’autre.
    Dans une conver­sa­tion, l’o­reille nor­male est par­fai­te­ment capable de trier deux voix super­po­sées et de com­prendre les deux phrases, si la super­po­si­tion ne dure pas trop.
    Le pro­blème n’est pas par­ti­cu­lier à cet échange. Il est cer­tai­ne­ment iden­ti­fié depuis long­temps. Il doit bien y avoir une solution…

    Réponse
    • Chouard.org

      En effet, le retour lors des super­po­si­tions de son était désa­gréable. Cer­tains logi­ciels gèrent cela mieux que d’autres. Cela vient notam­ment du fait de pas­ser par les enceintes plu­tôt qu’un casque. Une boucle de son se forme quand le son est trop fort (parce que le micro est réglé trop fort ou le volume de sor­tie). Ici, je crois que le son du micro d’É­tienne était trop fort et que le volume de ses hauts par­leurs et de ceux d’I­driss étaient trop fort également.

      Réponse

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