ECCLÉSIA : PROJET D’ÉMANCIPATION POLITIQUE PAR LA CRÉATION D’UN ÉTAT-NATION SANS FRONTIÈRES

12/03/2024 | 1 commentaire

Chers amis,

Je donne la parole aujourd’­hui à Gau­tier, qui va vous pré­sen­ter un pro­jet que je trouve ori­gi­nal et inté­res­sant. C’est peut-être une idée qui va nous per­mettre de nous éva­der de notre pri­son poli­tique. Vous nous direz ce que vous en pen­sez, je laisse la parole à Gau­tier : d’a­bord un résu­mé, puis, pour ceux qui veulent en savoir plus, un texte plus détaillé.

Bonne lec­ture.

Étienne.


1 – Résumé :

Plus nous avan­çons dans l’Histoire des hommes et plus nos sys­tèmes poli­tiques nous semblent malades et sus­cep­tibles de nous mener vers encore plus de misère socié­tale : guerre, famine, inéga­li­tés éco­no­miques, droits humains fon­da­men­taux bafoués.

Face à ce constat, cer­tains pen­seurs théo­risent des sys­tèmes poli­tiques neufs, capables de redon­ner à chaque Homme ce qui devrait leur reve­nir de plein droit : une capa­ci­té à être écou­té publi­que­ment et une capa­ci­té à co-déci­der des règles de vie en socié­té (les lois). Décrire théo­ri­que­ment ces avan­cées, telles que par exemple le RIC Consti­tuant, n’est mal­heu­reu­se­ment pas suf­fi­sant pour chan­ger la socié­té en faits et en actes. Nous avons désor­mais besoin de pas­ser à l’action. Nous avons besoin de ces­ser d’être des enfants qui demandent gen­ti­ment à leurs maîtres de nou­veaux droits. Un adulte qui s’émancipe ne demande rien, il prend ce qui lui revient naturellement.

C’est dans cet esprit que nous lan­çons le pro­jet « Ecclé­sia » qui vise à créer un Etat-Nation sans fron­tières construit direc­te­ment par l’ensemble de ses citoyens. Créer son propre État, grâce à l’établissement d’une consti­tu­tion qui lui est propre, c’est affir­mer une éman­ci­pa­tion poli­tique concrète. For­mer un nou­vel État auto­nome autour d’un groupe d’individus ayant le sou­hait de vivre selon les mêmes codes poli­tiques, c’est poser les pré­misses d’une nou­velle nation. Ne reven­di­quer aucune hégé­mo­nie sur un sol, c’est recon­naître le droit des Hommes à vivre et évo­luer sans res­tric­tion sur cette pla­nète confor­mé­ment aux lois de la nature.

Cette absence de reven­di­ca­tion de ter­ri­toire, c’est ce qui doit per­mettre au pro­jet de créa­tion d’un Etat-Nation de pro­té­ger ceux qui sont phy­si­que­ment faibles tout en leur per­met­tant une éman­ci­pa­tion poli­tique concrète et réelle. Cela doit éga­le­ment per­mettre au pro­jet de se foca­li­ser sur ce qui est impor­tant (recon­naitre et faire vivre des droits poli­tiques) plu­tôt que ce qui affai­blit un Etat (la guerre, une ligne de front à tenir pour conqué­rir un ter­ri­toire). C’est aus­si une façon d’être puis­sant et intou­chable puisque, par défi­ni­tion, cet Etat-Nation existe par­tout et nulle part. Enfin l’absence de fron­tières réunit tous les êtres de cette pla­nète qui ont le sou­hait de vivre à tra­vers un pacte social apai­sé et sin­cè­re­ment res­pec­tueux de l’Homme et de son environnement.

Le pro­jet Ecclé­sia vise à mettre en place une révo­lu­tion poli­tique sous un for­mat qui n’a jamais été vu aupa­ra­vant. C’est un pro­jet qui doit per­mettre l’avènement d’un Etat dont le niveau de matu­ri­té démo­cra­tique sera supé­rieur à n’importe quel autre avant lui. Concrè­te­ment, cela doit notam­ment signi­fier que tous les citoyens, sans excep­tion, doivent jouir d’un pou­voir égal pour pro­po­ser et voter des règles (consti­tu­tion­nelles ou non consti­tu­tion­nelles). Ce n’est pas à l’auteur de ces lignes de pré­ci­ser les contours des futures ins­ti­tu­tions de l’Etat-Nation sans fron­tières et la manière dont celui-ci ten­dra vers cet idéal démo­cra­tique puisque par nature le pro­jet Ecclé­sia vise à offrir une page blanche poli­tique à ses citoyens. Charge à ces der­niers de se remon­ter les manches afin de pla­cer dans leur consti­tu­tion les méca­nismes poli­tiques qu’ils esti­me­ront ver­tueux (exemple : le Réfé­ren­dum d’Initiative Citoyenne Constituant).

Il faut éga­le­ment sou­li­gner que cette page blanche poli­tique que nous nous offrons doit être une oppor­tu­ni­té his­to­rique pour repen­ser pro­fon­dé­ment le concept même d’Etat. Nous avons tel­le­ment l’habitude de voir nos États contem­po­rains régen­ter l’entièreté de nos vies d’Homme que nous ne nous posons plus cette simple et saine ques­tion : est-il nor­mal qu’une struc­ture poli­tique aus­si cen­tra­li­sée qu’un « Etat », qui a démon­tré à de mul­tiples reprises au cours de l’Histoire sa pro­pen­sion à deve­nir auto­ri­taire, dis­pose d’une influence si impor­tante sur nos vies ? Faut-il néces­sai­re­ment qu’un Etat concentre et orga­nise l’ensemble des pou­voirs ? Cer­tains de ces pou­voirs ne pour­raient-ils pas être confiés direc­te­ment à la socié­té civile ? De façon plus concrète et en citant quelques exemples, cette carte blanche poli­tique que nous nous offrons doit per­mettre de nous poser cer­taines ques­tions clés pour façon­ner un monde plus respirable.

Exemples (non exhaustifs) :

  • L’Etat doit-il être le seul gar­dien de l’éducation ? est-il légi­time que celui-ci soit recon­nu comme prin­ci­pale auto­ri­té pour défi­nir des pro­grammes, struc­tu­rer des cur­sus édu­ca­tifs, sanc­tion­ner des diplômes ? peut-il y a avoir conflit d’intérêt dans la dis­pense de l’éducation par l’Etat ?
  • L’Etat doit-il can­ton­ner les organes poli­tiques locaux (ex : com­munes) à un rôle d’exécution des lois ? Ces organes locaux ne peuvent-ils pas dis­po­ser, au moins en par­tie, du pou­voir législatif ?
  • Quelle est la place du citoyen au sein de l’Etat ? est-ce une vache à lait ? un objet avec lequel com­po­ser ? un enfant à pro­té­ger ? un être éman­ci­pé à qui recon­naitre le droit de par­ler publi­que­ment et de co-déci­der des règles ?
  • L’Etat doit-il dis­po­ser d’un mono­pôle sur les dif­fé­rentes formes de forces armées ? com­ment un peuple peut-il dis­po­ser de son droit d’insurrection lorsqu’il est dépos­sé­dé de toute force au pro­fit de struc­tures éta­tiques telles que l’armée ou la police ?
  • L’Etat doit-il se sub­sti­tuer à la socié­té civile en matière de soli­da­ri­té et de pro­tec­tion des popu­la­tions ? qui doit endos­ser la res­pon­sa­bi­li­té de l’absence de soli­da­ri­té et de bienveillance ?
  • L’Etat doit-il enca­drer le monde éco­no­mique ? déter­mi­ner uni­la­té­ra­le­ment les mon­naies légi­times ? impo­ser la raré­fac­tion ou la sur­abon­dance monétaire ?
  • L’Etat doit-il réser­ver le débat public audible à quelques pri­vi­lé­giés élus ou tirés au sort ? qui doit pou­voir par­ler publi­que­ment ? sous quel format ?
  • ….

A cette liste de ques­tions fon­da­men­tales, dont nous par­ta­geons un très bref aper­çu ici, nous serions ravis d’en ajou­ter davan­tage grâce au fruit de l’émulation col­lec­tive dont le lec­teur est ame­né à faire par­tie, s’il le souhaite.

Comme tout pro­jet de révo­lu­tion poli­tique, celui-ci est com­plexe. La com­plexi­té n’exclut pas la fai­sa­bi­li­té. De nom­breuses entre­prises menées par l’Homme sont com­plexes, ce qui ne les empêche pas d’aboutir. Les pro­jets com­plexes se concré­tisent géné­ra­le­ment parce qu’ils asso­cient des êtres humains moti­vés, une métho­do­lo­gie claire qui pré­cise les acti­vi­tés à mener et une orga­ni­sa­tion réunis­sant des pro­fils et com­pé­tences diverses. Il serait impos­sible de res­ti­tuer dans ce bref article, toute l’étendue de la com­plexi­té et des nuances qui guident les tra­vaux menés par les membres du pro­jet Ecclé­sia. Il serait impos­sible de répondre à toutes les inter­ro­ga­tions et objec­tions sans y pas­ser un temps significatif.

Dans nos socié­tés modernes, le temps est sou­vent per­çu comme notre enne­mi. Nous valo­ri­sons exces­si­ve­ment le temps court ain­si que les intel­li­gences « de l’instant » capables de solu­tion­ner des pro­blèmes en un mini­mum de temps. Pour­tant, aus­si brillant que puisse être l’esprit le plus ful­gu­rant par­mi les êtres humains, force est d’admettre qu’il n’existe aucun cer­veau sur cette pla­nète capable de résoudre une pro­blé­ma­tique poli­tique telle que celle à laquelle nous sommes actuel­le­ment expo­sés en quelques secondes, quelques minutes voire quelques heures. Pour mener à bien cette entre­prise, nous ne pou­vons que comp­ter sur le temps long et sur les ingré­dients indis­pen­sables au déve­lop­pe­ment d’un « moi-pen­sant » fort :  temps d’écoute des idées de nos congé­nères, temps d’analyse et de réflexion sur ces idées, intros­pec­tion, déve­lop­pe­ment d’un inté­rêt mar­qué pour la dis­ci­pline poli­tique ET la dis­ci­pline phi­lo­so­phique, temps dédiés à l’élaboration d’idées poli­tiques créa­tives, temps dédié à expli­quer de façon péda­go­gique ces idées. Le temps doit deve­nir notre allié.

Si vous sou­hai­tez embras­ser cette com­plexi­té et en apprendre davan­tage sur le pro­jet Ecclé­sia, vous pou­vez lire cet article de vingt-cinq pages qui vous pré­sen­te­ra les grandes lignes du pro­jet (lien vers l’article) . Si vous sou­hai­tez reven­di­quer une autre façon de faire vivre le pro­jet que celle qui est for­ma­li­sée à tra­vers ces quelques lignes, rejoi­gnez-nous et tra­vaillez à nos côtés (projetecclesia@protonmail.com). Nous accueillons avec bien­veillance et res­pect toute nou­velle per­sonne dési­reuse d’apporter sa sin­gu­la­ri­té au pro­jet. Si vous n’êtes pas convain­cu par ces quelques lignes, pas d’offense. Nous vous sou­hai­tons bonne conti­nua­tion dans votre vie, dans l’Etat et dans la Nation qui vous offre le pacte social avec lequel vous êtes le mieux aligné.

ECCLESIA : ANNÉES 1 à 3 (vue simplifiée)

MOIS‑0 : Réunion d’une assem­blée révo­lu­tion­naire (dans une salle publique ou en plein air)

  • Dres­ser un constat sur la faillite poli­tique des sys­tèmes actuels
  • Sou­li­gner l’urgence à trou­ver une solu­tion poli­tique concrète
  • Pas­ser en revue les solu­tions et en rete­nir une à mettre en œuvre collectivement
  • Ela­bo­rer une stra­té­gie, iden­ti­fier des chan­tiers, répar­tir les rôles

MOIS‑1 : Mise en œuvre des dif­fé­rents chan­tiers visant à créer l’Etat-Nation sans frontières

  • Plus de 40 chan­tiers dif­fé­rents iden­ti­fiés à date (cf. métho­do­lo­gie Ecclésia)
  • Mise en place d’une cel­lule de pilo­tage stra­té­gique (coor­di­na­tion + revue de la stratégie)

MOIS‑6 : Ouver­ture des pre­miers bureaux de retrait des titres de nationalités

  • Il s’agit de pro­messes de natio­na­li­té car l’Etat n’existe pas encore en l’absence de constitution
  • Objec­tif : éta­blir une liste de citoyens pou­vant être tirés au sort pour par­ti­ci­per à l’assemblée constituante

MOIS‑9 : Fina­li­sa­tion des outils (infor­ma­tiques ou non) des­ti­nés aux vota­tions et au tirage au sort

MOIS-12 : Tirage au sort d’une assem­blée constituante

  • Tout citoyen peut être tiré au sort

MOIS-24 : Fin des tra­vaux de construc­tion de la nou­velle constitution

  • Vote par réfé­ren­dum de la consti­tu­tion, article par article

MOIS-32 : Fin du réfé­ren­dum et adop­tion de la consti­tu­tion (articles vali­dés par le peuple)

  • Mise en place des institutions
  • Pre­mières pro­po­si­tions de lois

[Fin du résumé]


2 – Pré­sen­ta­tion plus détaillée :

Pour­quoi créer un nou­vel Etat est la meilleure façon de convaincre du bien-fon­dé des inno­va­tions démo­cra­tiques telles que le RIC Constituant

L’enjeu pré­pon­dé­rant pour une mino­ri­té mili­tante qui énonce une convic­tion poli­tique quel­conque est de par­ve­nir à per­sua­der le plus grand nombre de son bien-fon­dé, de sa ratio­na­li­té afin d’aboutir, in fine et grâce au concours du plus grand nombre, à l’objectivation des idées pro­po­sées, à leur mise en appli­ca­tion concrète. Idéa­le­ment, grâce à une démons­tra­tion fon­dée sur la rai­son ain­si que sur une incli­na­tion pro­non­cée pour la recherche sin­cère et pétrie d’humilité de la morale, les pro­jets poli­tiques les plus ver­tueux rem­portent l’adhésion de la majo­ri­té des Hommes. En pra­tique, ce consen­sus est par­fois pro­vo­qué en fai­sant appel au dis­cer­ne­ment logique et à une quan­ti­té notable d’occasions en ayant recours à des tech­niques de per­sua­sion qui reposent sur d’autres méca­nismes que la rai­son pure. Quoi qu’il en soit et en toute logique, un agré­ment col­lec­tif ne peut émer­ger qu’autour de la somme deve­nue majo­ri­taire des juge­ments indi­vi­duels favo­rables à l’idée poli­tique expri­mée. En consi­dé­rant que le juge­ment appro­ba­tif est un pré­re­quis à la maté­ria­li­sa­tion de ces idées poli­tiques, il n’y a donc rien de plus impor­tant pour les acteurs d’un pro­jet poli­tique quel­conque que de rendre favo­rable le juge­ment du plus grand nombre d’auditeurs pos­sible. Il semble donc indis­pen­sable, pour faire péné­trer les idées les plus ver­tueuses dans la sphère de l’action publique effec­tive, de s’intéresser à ce qui carac­té­rise et déter­mine le juge­ment des Hommes. C’est à cette condi­tion seule­ment que pour­ront peut-être per­cer un jour des idées poli­tiques aus­si ver­tueuses que le RIC Consti­tuant. Ain­si, la pro­blé­ma­tique est la sui­vante : com­ment rendre favo­rable le juge­ment du plus grand nombre en ce qui concerne ces inno­va­tions démocratiques ?

En inves­ti­guant les réflexions d’Emmanuel Kant et de Han­nah Arendt sur le juge­ment, on com­prend qu’il en existe deux sortes : le juge­ment de celui qui pro­pose et le juge­ment de celui qui écoute la pro­po­si­tion. On com­prend éga­le­ment que le pre­mier type de juge­ment a besoin d’une publi­ci­té la plus large pos­sible afin d’exister dans la sphère publique et ain­si maxi­mi­ser les chances de voir naître le second. Le juge­ment, notam­ment celui qui amène à concep­tua­li­ser et sou­te­nir une idée poli­tique neuve, n’acquiert la force et la noto­rié­té dont il a besoin pour être trans­for­mé à terme en actes qu’à par­tir du moment où il sort du péri­mètre de la pen­sée inté­rieure afin d’être com­mu­ni­qué dans un espace public com­mun, par­ta­gé avec autrui. Ain­si, les révo­lu­tions poli­tiques n’existent que parce qu’il existe une « com­mu­ni­ca­bi­li­té » des idées poli­tiques innovantes.

« La condi­tion sine qua non de l’existence de beaux objets est la com­mu­ni­ca­bi­li­té ; le juge­ment du spec­ta­teur créé l’espace sans lequel de tels objets ne pour­raient même pas appa­raitre. Le domaine public est peu­plé de cri­tiques et de spec­ta­teurs, non d’acteurs ou de créa­teurs. Et ce cri­tique et ce spec­ta­teur som­meillent en chaque acteur et en chaque créa­teur ; sans cette facul­té cri­tique et de juge­ment, celui qui agit ou qui fait serait tel­le­ment iso­lé du spec­ta­teur qu’on ne le per­ce­vrait même pas. Ou encore, pour le dire autre­ment, mais tou­jours en termes Kan­tiens : la véri­table ori­gi­na­li­té de l’artiste (ou la véri­table nou­veau­té de l’acteur) dépend de son apti­tude à se faire com­prendre de ceux qui ne sont pas artistes (ni acteurs). (…) Le spec­ta­teur n’est pas enga­gé dans l’action, mais il est tou­jours étroi­te­ment lié aux autres spec­ta­teurs. Il ne par­tage pas avec le créa­teur la facul­té du génie – l’originalité – ni avec l’acteur celle de la nou­veau­té : celle qu’ils ont en com­mun est la facul­té de juge­ment.[1]»

Si l’extrait ci-des­sus porte expli­ci­te­ment sur le juge­ment dans le domaine de l’art, il faut rap­pe­ler que son auteur, Han­nah Arendt, n’a eu de cesse dans les der­nières années de sa vie, de rap­pro­cher la théo­rie Kan­tienne du juge­ment avec la phi­lo­so­phie poli­tique. Ain­si les méca­nismes du juge­ment ne seraient pas si éloi­gnés entre le domaine de l’art et le domaine de la poli­tique. Sur un ter­rain plus expli­ci­te­ment poli­tique, rap­pe­lons par ailleurs que pour Kant, c’est le juge­ment col­lec­tif éma­nant d’une majo­ri­té d’individus spec­ta­teurs qui, bien plus que les intrigues à demi voi­lées des mou­ve­ments insur­rec­tion­nels ou des coups d’Etat, consti­tue le propre des révo­lu­tions. Voi­ci son ana­lyse de la Révo­lu­tion fran­çaise dont il fut contemporain :

« Cet évè­ne­ment [la Révo­lu­tion] ne sau­rait consis­ter en actions ou méfaits impor­tants com­mis par les hommes ; alors que ce qui était grand par­mi les hommes est ren­du petit ou ce qui était petit ren­du grand ; et que dis­pa­raissent d’antiques et brillants édi­fices comme par magie ; qu’en leur place d’autres sur­gissent en quelque sorte des pro­fon­deurs de la terre. Non, rien de tout cela. Il s’agit seule­ment de la manière de pen­ser des spec­ta­teurs qui se tra­hit publi­que­ment dans ce jeu des grandes révo­lu­tions et qui, même mal­gré le dan­ger des incon­vé­nients sérieux que pour­rait leur atti­rer une telle par­tia­li­té, mani­feste néan­moins un inté­rêt uni­ver­sel, dés­in­té­res­sé tou­te­fois, pour les joueurs d’un par­ti contre ceux de l’autre »[2] .

Ain­si, en fai­sant décan­ter les ana­lyses de Kant et Arendt, il sem­ble­rait que les révo­lu­tions ne sur­viennent qu’à la condi­tion de réunir a) la publi­ci­té d’un juge­ment poli­tique por­té par quelques-uns (l’idée poli­tique neuve qui sous-tend l’acte d’appropriation du pou­voir) et b) le juge­ment favo­rable du plus grand nombre de spec­ta­teurs pos­sible en ce qui concerne cet acte de révo­lu­tion. Aus­si, l’enjeu prin­ci­pal pour les « artistes » ou les « créa­teurs » qui pro­posent, de nos jours, des inno­va­tions démo­cra­tiques telles que le RIC Consti­tuant est d’abord d’en assu­rer la publi­ci­té hon­nête et com­plète afin que sur­vienne le juge­ment public (posi­tif ou néga­tif) puis ou paral­lè­le­ment, de trou­ver un moyen de maxi­mi­ser les chances de rendre posi­tif ce jugement.

Pre­nons les choses dans l’ordre : notre pre­mier objec­tif, en tant qu’ « artistes » ou « créa­teurs » de la démo­cra­tie sin­cère, est donc d’assurer une publi­ci­té hon­nête et com­plète de nos idées. Pour ce faire, nous avons deux pos­si­bi­li­tés. La pre­mière consiste à explo­rer les voies de com­mu­ni­ca­tion pro­po­sées par le sys­tème actuel. Etant don­né que nos pré­ceptes sont de nature poli­tique (c’est-à-dire qui concourent à l’édification des normes qui encadrent les inter­ac­tions publiques), il est logique de s’intéresser en pre­mier lieu aux canaux de publi­ci­té offerts par notre Etat d’appartenance. Après tout, toute ana­lyse téléo­lo­gique « saine » du concept d’Etat démo­cra­tique devrait pos­tu­ler que celui-ci a au moins en par­tie pour fina­li­té la créa­tion et l’entretien d’un espace d’expression acces­sible et uti­li­sable à loi­sir, c’est-à-dire sans contrainte ni pres­sion d’aucune sorte, par l’ensemble des membres du « demos » afin d’assurer la publi­ci­té de n’importe quelle idée poli­tique.  Nous pour­rions donc ten­ter de pré­sen­ter nos réflexions dans le cadre d’une ins­ti­tu­tion poli­tique pré­vue pour don­ner la parole à n’importe quel citoyen. Mal­heu­reu­se­ment, celle-ci n’existe pas dans la cin­quième répu­blique fran­çaise, ou tout du moins si elle existe, elle ne béné­fi­cie pas d’une aura suf­fi­sante pour garan­tir la publi­ci­té la plus large pos­sible des idées que nous sou­hai­tons pro­po­ser (une publi­ci­té « grand public », capable de pro­vo­quer le plus de juge­ments possibles).

En l’absence de canal de com­mu­ni­ca­tion citoyen pro­po­sé par notre struc­ture éta­tique nous pour­rions alors être ten­tés de recou­rir au monde média­tique en solu­tion de repli. Tou­te­fois, étant don­né que celui-ci offre des moyens de publi­ci­té non exclu­si­ve­ment dédiés à l’existence d’un espace public ouvert à la parole de l’entièreté des citoyens, nous devons envi­sa­ger son emploi avec pru­dence. En effet, si ces canaux de com­mu­ni­ca­tion sont biai­sés, s’ils ne per­mettent pas de res­ti­tuer une infor­ma­tion citoyenne hon­nête et com­plète, alors il pour­rait être pré­ju­di­ciable de les employer. Sou­li­gnons qu’il est notoire depuis la seconde guerre mon­diale qu’un men­songe répé­té conti­nuel­le­ment par un pou­voir média­tique fort acquiert pro­gres­si­ve­ment la valeur d’une véri­té pour la majo­ri­té de la popu­la­tion qui y est expo­sée. Il en va évi­dem­ment de même pour les véri­tés par­tielles et les omis­sions orien­tées. Ain­si, si le pou­voir média­tique, pour des rai­sons diverses, pré­sente conti­nuel­le­ment les inno­va­tions démo­cra­tiques ou les por­teurs de ces inno­va­tions sous un angle peu avan­ta­geux, en insis­tant exces­si­ve­ment sur les incon­vé­nients de leurs pro­po­si­tions et en mini­mi­sant la por­tée de leurs avan­tages, cela ne peut qu’aboutir à l’existence d’une mul­ti­pli­ci­té de juge­ments néga­tifs par­mi les popu­la­tions spec­ta­trices. Si invo­quer les tra­vaux de Noam Chom­sky en ce qui concerne la fabri­ca­tion du consen­te­ment par les mass-médias serait cer­tai­ne­ment très utile pour étayer cette réflexion, je pré­fère tou­te­fois mettre en exergue les trois argu­ments ci-des­sous pour nous convaincre du dan­ger que repré­sente l’utilisation du sys­tème média­tique actuel pour assu­rer la publi­ci­té de nos idées démocratiques :

  • Médias publics (tout type de média public) : étant don­né que nos idées sont de nature à remettre en ques­tion en tota­li­té ou en par­tie la façon dont est ins­ti­tu­tion­na­li­sé le pou­voir éta­tique actuel, il serait plus qu’hasardeux d’espérer qu’un média appar­te­nant au pou­voir en place puisse en assu­rer une publi­ci­té hon­nête et com­plète.
  • Médias pri­vés « mains­tream » (tout type de média pri­vé, y com­pris les réseaux sociaux) : étant don­né qu’un sys­tème démo­cra­tique sin­cère serait très vrai­sem­bla­ble­ment enclin à remettre en ques­tion cer­taines règles qui déter­minent les pro­fondes inéga­li­tés éco­no­miques de notre ère, nous pou­vons rai­son­na­ble­ment dou­ter de la capa­ci­té de ces médias à réser­ver un espace de publi­ci­té sain pour nos idées.
  • Médias alter­na­tifs (tout type de média alter­na­tif) : si cer­tains médias alter­na­tifs peuvent offrir davan­tage de garan­ties rela­tives à la publi­ci­té d’une infor­ma­tion hon­nête et com­plète, il faut sou­li­gner que le carac­tère « alter­na­tif » de ces canaux de com­mu­ni­ca­tion ne nous per­met intrin­sè­que­ment pas d’assurer une publi­ci­té large de nos idées, capable de pro­vo­quer le juge­ment du plus grand nombre.

Sou­li­gnons de sur­croit que tous les médias, qu’ils soient publics, pri­vés, mains­tream ou alter­na­tifs par­tagent une incom­mo­di­té majeure qui les rend impropres à assu­rer la publi­ci­té hon­nête et com­plète de l’entièreté des idées citoyennes. Cette incom­mo­di­té, dis-je, réside dans le fait qu’ils uti­lisent tous ce qui est cou­ram­ment appe­lé une ligne édi­to­riale. Car si celle-ci se défi­nit par « l’ensemble des choix et déci­sions que fait un comi­té de rédac­tion, un direc­teur de col­lec­tion lit­té­raire, un pro­duc­teur de radio, un pro­duc­teur de télé­vi­sion, ou tout autre acteur cultu­rel pour se confor­mer à une ligne défi­nie qui peut être cir­cons­crite en fonc­tion de divers cri­tères, qu’ils soient moraux ou éthiques, thé­ma­tiques, for­mels ou autre[3] », alors cela signi­fie que l’intégralité des idées citoyennes n’ont de fait, pas voix au cha­pitre. En effet, la ligne édi­to­riale, c’est le choix qui dis­cri­mine la pen­sée et la parole citoyenne ; c’est la déci­sion de quelques indi­vi­dus dis­po­sant du pou­voir média­tique de rendre exclu­sif les moyens d’amplifier la parole publique au pro­fit d’un indi­vi­du ou d’un groupe d’individus.  Les médias choi­sissent tou­jours uni­la­té­ra­le­ment, sans concer­ta­tion citoyenne, de tendre le micro vers telle per­son­na­li­té au détri­ment d’une autre et au détri­ment d’anonymes. Il s’opère tou­jours un filtre qui inter­vient néces­sai­re­ment aux dépens d’une par­tie de nos congé­nères. Or fil­trer la parole citoyenne c’est uti­li­ser, de façon inten­tion­nelle ou mal­gré soi, les normes d’un sys­tème en place (exemple : normes poli­tiques, sociales, éco­no­miques, média­tiques, etc…)  pour empê­cher les voix sus­cep­tibles de contes­ter cet ordre éta­bli de s’exprimer. Fil­trer, c’est prendre le risque que nos pro­chaines inno­va­tions démo­cra­tiques ne soient jamais com­mu­ni­quées lar­ge­ment. Fil­trer, c’est de fait, prendre le risque d’empêcher la publi­ci­té d’idées capables de chan­ger le monde. Dans un tota­li­ta­risme, il est impé­ra­tif de déga­ger un espace de com­mu­ni­ca­bi­li­té suf­fi­sant pour les per­sonnes qui remettent en ques­tion l’ordre éta­bli. Dans un tota­li­ta­risme, c’est pré­ci­sé­ment parce que les déten­teurs du pou­voir ont fait main basse sur les prin­ci­paux canaux de com­mu­ni­ca­tion de l’information, qu’il est un impé­ra­tif caté­go­rique pour toute oppo­si­tion sin­cère et non contrô­lée de créer des espaces neufs de com­mu­ni­ca­bi­li­té des idées. Inutile ( ?) de pré­ci­ser que pour être effi­cients et éloi­gnés du dik­tat tota­li­taire, ces espaces ne doivent en aucun cas res­sem­bler à ceux qui leur ont préexisté.

Ain­si, si le « sys­tème » actuel, qu’il soit poli­tique ou média­tique, ne peut pas garan­tir la com­mu­ni­ca­bi­li­té hon­nête et com­plète des inno­va­tions démo­cra­tiques, il reste alors la pos­si­bi­li­té de créer, ex nihi­lo, un espace poli­tique com­mun capable d’assurer la publi­ci­té de l’entièreté des idées citoyennes. Si notre ambi­tion sin­cère est bel et bien de voir se concré­ti­ser la conquête de la consti­tu­tion par l’ensemble des citoyens, alors nous devrions envi­sa­ger sérieu­se­ment la mise en place d’une « ago­ra 2.0 » ouverte à toutes les voix dési­reuses de s’exprimer. Dès lors, nous dis­po­se­rons de moyens qua­li­ta­tifs pour pro­non­cer publi­que­ment les « juge­ments » poli­tiques que nous esti­mons si ver­tueux : RIC Consti­tuant, tirage par le sort, révo­ca­bi­li­té des repré­sen­tants, man­dat impé­ra­tif, chambres citoyennes, etc.

Car à choi­sir entre d’une part, la solu­tion d’une publi­ci­té per­pé­tuelle de juge­ments déna­tu­rés auprès de la majo­ri­té de nos congé­nères (via les sys­tèmes poli­tiques ou média­tiques actuels) et, d’autre part, la solu­tion d’une publi­ci­té hon­nête et com­plète de nos juge­ments dif­fu­sés tem­po­rai­re­ment auprès d’une popu­la­tion res­treinte (via un nou­vel espace com­mun de dif­fu­sion d’idées poli­tiques), il me semble que la seconde solu­tion est pré­fé­rable. En effet, il est sain de faire croître une idée sur un ter­rain d’expression neutre, même si celle-ci est enten­due et com­prise par un faible nombre. A l’inverse, il n’est pas dans l’intérêt de la pros­pé­ri­té de cette même idée que d’être dif­fu­sée lar­ge­ment sur un ter­rain miné, bar­dé d’intentions ou sous-enten­dus mal­hon­nêtes. Je crois de plus néces­saire de pré­ci­ser que la por­tée ora­toire limi­tée évo­quée ci-des­sus ne sau­rait se péren­ni­ser en pré­sence d’une stra­té­gie visant à maxi­mi­ser la cré­di­bi­li­té et la por­tée du canal de dif­fu­sion de nos juge­ments. La ques­tion que cette stra­té­gie doit adres­ser est : en consi­dé­rant comme un but à atteindre, la créa­tion d’un espace d’expression citoyenne capable de sys­té­ma­ti­ser la publi­ci­té hon­nête et com­plète des idées, com­ment lui confé­rer une enver­gure capable d’attirer l’attention du plus grand nombre pour, in fine, pro­vo­quer leur juge­ment et, si pos­sible, pro­vo­quer un juge­ment posi­tif ? C’est ain­si que nous fixons notre second objec­tif. Le pre­mier est d’assurer la publi­ci­té hon­nête et com­plète de nos idées. Le second est d’utiliser dif­fé­rentes tech­niques des­ti­nées à favo­ri­ser l’acceptation de ces idées.

Avant de lan­cer quelques pistes de réflexion en réponse à ce second objec­tif, je sou­haite d’abord ancrer une pro­po­si­tion dans l’esprit du lec­teur en ce qui concerne l’atteinte de notre pre­mier objec­tif. Nous le com­pre­nons, nous avons besoin d’instituer notre propre espace poli­tique pour assu­rer la com­mu­ni­ca­bi­li­té de nos idées démo­cra­tiques. Qu’est-ce que cela signi­fie ? faut-il que cet espace s’additionne au mil­le­feuille des ini­tia­tives plus ou moins for­melles, plus ou moins impac­tantes menées par cer­tains citoyens dans le cadre de la cin­quième répu­blique fran­çaise ? Faut-il que ceci passe par la créa­tion d’associations ou de par­tis poli­tiques ? A cha­cun d’apporter une réponse à ces ques­tions. Voi­ci tou­te­fois ma pro­po­si­tion : la com­mu­ni­ca­tion, puisque c’est bien ce dont il est ques­tion ici, n’est jamais aus­si per­cu­tante et effi­ciente que lorsqu’elle avance des idées ambi­tieuses, qui désar­çonnent et remettent en ques­tion le sta­tu quo tout en for­mu­lant la pro­messe de stan­dards neufs et ver­tueux. C’est ain­si que ma croyance la plus pro­fonde est que l’avènement d’un nou­vel Etat doit être la réponse à notre pre­mier objec­tif. La meilleure façon d’assurer la publi­ci­té de nos idées démo­cra­tiques est de créer un nou­vel Etat libre, idée Ô com­bien désar­çon­nante mais char­gée de pro­messes posi­tives pour nombre de citoyens qui res­sentent chaque jour le poids des chaines de la cin­quième répu­blique. La créa­tion d’un Etat libre doit nous per­mettre d’afficher au monde le plus vibrant et éton­nant témoi­gnage d’une éman­ci­pa­tion poli­tique. La publi­ci­té de nos idées n’y serait pas uni­que­ment garan­tie par un simple échange de paroles et quelques tracts bien pos­tés mais bien par ce qui a valeur d’exemple : des ins­ti­tu­tions sin­cè­re­ment démo­cra­tiques, en place, en état de fonc­tion­ne­ment opé­ra­tion­nel et qui racontent une his­toire au monde qui l’observe. Quelle ini­tia­tive peut appor­ter davan­tage d’espoirs démo­cra­tiques qu’un cœur poli­tique neuf qui bat pour la toute pre­mière fois ?

Comme nous allons le décou­vrir, cette pro­po­si­tion qui consiste à rendre imma­nente la com­mu­ni­ca­tion à par­tir de l’existence même de l’objet poli­tique, nous ramène direc­te­ment à notre second objec­tif : uti­li­ser dif­fé­rentes tech­niques des­ti­nées à favo­ri­ser l’acceptation de nos idées démo­cra­tiques. Com­men­çons par le commencement…Pour convaincre un sujet du bien­fon­dé d’une pro­po­si­tion, une atti­tude cen­sée, logique et construc­tive devrait être de réa­li­ser un effort de pro­jec­tion afin de per­ce­voir les idées poli­tiques à tra­vers son regard. Le fait de se pro­je­ter dans la peau du sujet doit nous per­mettre d’identifier les déter­mi­nants de sa pen­sée et de son juge­ment. Connaitre ces déter­mi­nants est clé car nous pour­rons alors les uti­li­ser afin d’influer posi­ti­ve­ment sur son opi­nion. En pre­mière ana­lyse, je pro­pose de nous arrê­ter sur cinq types de juge­ments, cha­cun dis­po­sant de leurs propres déter­mi­nants. Nous ver­rons que cha­cun d’entre eux cor­res­pond à un palier à fran­chir. Plus nous avan­çons dans ces paliers, en d’autres termes plus nous ten­tons de pro­vo­quer l’addition de ces juge­ments chez le sujets qui nous écoute, plus nous sécu­ri­sons son adhé­sion aux idées poli­tiques que nous expri­mons. L’analyse par­ta­gée dans les pro­chaines lignes n’a pas voca­tion à être exhaus­tive, mais consti­tue un essai, une « pièce à cas­ser ». Le lec­teur est bien enten­du invi­té à com­plé­ter cette vision dans la pers­pec­tive de faire pro­gres­ser nos chances de faire abou­tir les révo­lu­tions poli­tiques aux­quelles nous aspirons :

  • Le juge­ment prédictif
  • Le juge­ment par la raison
  • Le juge­ment par l’expérimentation
  • Le juge­ment en situation
  • Le juge­ment par asso­cia­tion d’idée

Le juge­ment pré­dic­tif est cer­tai­ne­ment le plus pri­mi­tif des quatre évo­qués ci-des­sus. A ce titre, il ne consti­tue pas un « palier » à pro­pre­ment par­ler mais plu­tôt le niveau zéro de réflexion qu’il convient d’éviter le plus pos­sible. Cette forme de juge­ment consiste à éva­luer a prio­ri le poten­tiel de suc­cès d’une pro­po­si­tion poli­tique en confron­tant ses carac­té­ris­tiques à une vision sub­jec­tive du contexte socié­tal dans lequel cette pro­po­si­tion est cen­sée se déployer. Voi­ci un exemple de juge­ment pré­dic­tif : « Mettre la consti­tu­tion dans les mains des citoyens est une mau­vaise idée car ceux-ci n’ont pas les capa­ci­tés intel­lec­tuelles pour se l’approprier conve­na­ble­ment ». Il existe géné­ra­le­ment dans ce type de juge­ment une série de biais cog­ni­tifs et de pré­ju­gés per­son­nels décon­nec­tés de toute ana­lyse scien­ti­fique qui conduisent le sujet à adop­ter un avis néga­tif vis-à-vis d’idées poli­tiques neuves (telles que le RIC Consti­tuant). Dans l’exemple que nous venons de citer, le pre­mier biais est de consi­dé­rer que – dans un sys­tème sin­cè­re­ment démo­cra­tique – cha­cun des citoyens est impli­qué en fait et en acte dans les rouages pro­fonds de l’ingénierie consti­tu­tion­nelle, ce qui n’est évi­dem­ment pas le cas puisqu’il est maté­riel­le­ment impos­sible d’organiser une assem­blée consti­tuante à l’échelle de mil­liers ou de mil­lions de per­sonnes. Le deuxième biais cog­ni­tif consiste à pen­ser que le citoyen moyen, c’est-à-dire celui qui ne pos­sède pas les plus hauts niveaux de diplôme ou de sta­tut social n’est pas capable de pro­po­ser des idées poli­tiques rai­son­nables. C’est, il me semble, faire insulte au genre humain, que d’estimer que la plu­part de ses membres sont inca­pables de réflexion, de prag­ma­tisme et de sou­ci de l’intérêt géné­ral. Il est naïf de pen­ser que les pro­po­si­tions poli­tiques d’un être humain ne peuvent être recon­nus et consi­dé­rés avec atten­tion qu’après avoir pour­sui­vi une poi­gnée d’années d’étude ou avoir gagné beau­coup d’argent. D’un point de vue étho­lo­gique, ce type de juge­ment revient à esti­mer que seuls cer­tains indi­vi­dus iso­lés au sein d’une espèce concentrent les avan­tages repro­duc­tifs néces­saires à la sur­vie de l’ensemble de leurs congé­nères. Par exemple, si l’avantage repro­duc­tif du renard consiste à savoir chas­ser avec habi­le­té, devrions nous consi­dé­rer que seuls les indi­vi­dus sachant chas­ser avec le plus d’efficacité sont légi­times pour exer­cer cet avan­tage ? Cela serait ridi­cule. Alors pour­quoi devrions-nous consi­dé­rer que quelques êtres humains détiennent des pré­dis­po­si­tions si signi­fi­ca­ti­ve­ment supé­rieures en com­pa­rai­son de leurs congé­nères que cela leur octroie de fait le pri­vi­lège d’exercer plus que d’autres l’avantage repro­duc­tif de l’Homme à savoir l’exercice de son intel­li­gence ? Comme le sou­ligne Emma­nuel Dockès lors d’une de ses inter­views, il faut pro­ba­ble­ment rece­voir avec réserve les pro­po­si­tions du peuple lorsque celles-ci sont par­ta­gées en trois minutes top chro­no dans le cadre d’un son­dage sous forme de micro-trot­toir. Il faut aus­si recon­naître la valeur d’un tra­vail citoyen (même peu diplô­mé !) lorsque celui-ci est réa­li­sé dans le cadre d’une assem­blée consti­tuante, réunie à temps plein et en mode pro­jet pen­dant une période longue de six mois à un an. Ain­si, à la pro­blé­ma­tique ini­tiale expo­sée au début de ce cha­pitre (n.d.a : com­ment rendre favo­rable le juge­ment du plus grand nombre en ce qui concerne ces inno­va­tions démo­cra­tiques ?), nous obte­nons un début de réponse. Pour obte­nir l’agrément de notre audi­toire, nous devons l’éloigner le plus pos­sible du juge­ment pré­dic­tif car il s’agit d’un ter­rain intel­lec­tuel pauvre d’où ne peuvent émer­ger qu’incompréhensions et frus­tra­tions. Mieux vaut pro­vo­quer chez eux d’autres formes de juge­ment capables d’inhiber le juge­ment prédictif.

Le juge­ment par la rai­son consti­tue le pre­mier palier cog­ni­tif capable de conduire un sujet vers l’appréciation posi­tive de l’idée poli­tique pro­po­sée.  Il fait même par­tie du socle indis­pen­sable des formes de juge­ment à mobi­li­ser pour per­mettre à celle-ci de pros­pé­rer. C’est assez logi­que­ment que les mili­tants poli­tiques nova­teurs doivent la sus­ci­ter en prio­ri­té chez leur audi­toire à l’aide de la parole publique et la média­ti­sa­tion de l’idée poli­tique défen­due. Ce juge­ment consiste, pour le sujet qui l’active, à se for­ger un avis sur la base de l’analyse la plus rigou­reuse des carac­té­ris­tiques théo­riques d’une idée poli­tique pro­po­sée. Dit autre­ment, il s’agit d’une forme de juge­ment qui ne mobi­lise aucun autre méca­nisme de la pen­sée que celui qui vise à éva­luer la capa­ci­té d’une solu­tion (l’idée poli­tique neuve) à répondre logi­que­ment à une pro­blé­ma­tique don­née (ex : l’apathie poli­tique, les inéga­li­tés éco­no­miques et sociales, l’inconfort voire le mal­heur social). Il s’agit d’une forme de juge­ment qui se limite aux bornes de la théo­rie avan­cée, sans prendre en consi­dé­ra­tion d’autres fac­teurs d’appréciation que peuvent être par exemple le retour d’expérience et la mise en situa­tion concrète du concept pro­po­sé. Nous ver­rons d’ailleurs à tra­vers les autres formes de juge­ment qu’il est pos­sible d’activer d’autres pro­ces­sus cog­ni­tifs que la logique théo­rique pure afin de fédé­rer des indi­vi­dus autour d’une idée poli­tique neuve. Bien enten­du, compte tenu du fait que le juge­ment par la rai­son ne tient compte d’aucune autre consi­dé­ra­tion que la logique théo­rique, il est tout à fait pos­sible que ce juge­ment débouche sur des ques­tions en sus­pens, non élu­ci­dées par manque de don­nées suf­fi­santes. Il est très impor­tant de sou­li­gner que le juge­ment par la rai­son n’est plei­ne­ment ache­vé qu’à la condi­tion que l’auditeur ait reçu une infor­ma­tion hon­nête et com­plète de la part d’un émet­teur ou d’un ensemble d’émetteurs. Le suc­cès des méca­nismes qui visent à pro­vo­quer le juge­ment par la rai­son dépend lar­ge­ment de deux fac­teurs : la qua­li­té d’émission du mes­sage des­ti­né à décrire le concept poli­tique théo­ri­sé (le mes­sage est-il trans­mis de façon sin­cère, hon­nête et sans biais d’aucune sorte ?) et la qua­li­té de récep­tion de ce même mes­sage par un sujet dont on espère obte­nir l’approbation (le sujet est-il dans les meilleures dis­po­si­tions intel­lec­tuelles pour rece­voir le mes­sage ? dis­pose-t-il d’un temps d’écoute suf­fi­sant ?). Ain­si à la ques­tion « devrions-nous uti­li­ser le juge­ment par la rai­son pour obte­nir l’adhésion du plus grand nombre ? », la réponse est « oui » mais à condi­tion de maî­tri­ser suf­fi­sam­ment bien les canaux de dif­fu­sion de nos idées afin de maxi­mi­ser les chances de notre idée théo­rique (ex : le RIC Consti­tuant) de faire mouche. Bien enten­du, il serait vain de ten­ter de maî­tri­ser la qua­li­té du dis­po­si­tif aval de la chaine de com­mu­ni­ca­tion (la récep­tion du mes­sage), tou­te­fois, nous pou­vons très bien inter­ve­nir par l’action sur la par­tie amont (son émis­sion).   Une nou­velle fois, pour toutes les rai­sons évo­quées au cours de ce cha­pitre, la convic­tion des membres du pro­jet Ecclé­sia, incluant bien enten­du l’auteur de ces lignes, est que le moyen le plus qua­li­ta­tif pour assu­rer la com­mu­ni­ca­bi­li­té des inno­va­tions démo­cra­tiques de notre époque (l’émission de notre mes­sage sous une forme com­plète et hon­nête, non déna­tu­rée) est de rendre cette com­mu­ni­ca­tion imma­nente à par­tir de l’objet poli­tique même, c’est-à-dire l’Etat-Nation sans fron­tières. La créa­tion de cet objet poli­tique est donc notre recom­man­da­tion pour pro­vo­quer le juge­ment par la rai­son et maxi­mi­ser nos chances de le rendre favo­rable. Notez tou­te­fois qu’il est pos­sible voire indis­pen­sable de com­bi­ner le juge­ment par la rai­son à d’autres formes de juge­ment afin de ren­for­cer nos chances d’obtenir notre fameux graal : l’assentiment du plus grand nombre en ce qui concerne les idées de la démo­cra­tie sincère.

C’est dans cette pers­pec­tive que nous nous devons d’évoquer le juge­ment par l’expérimentation. Quoi de mieux pour se for­ger une opi­nion sur une solu­tion poli­tique poten­tielle que de l’éprouver maté­riel­le­ment ? L’expérimentation est le com­pa­gnon fidèle de tout esprit scien­ti­fique. Elle per­met de trans­cen­der la théo­rie afin de faire émer­ger les angles morts de la pen­sée humaine, d’identifier ce qui était dif­fi­ci­le­ment pré­vi­sible sur le papier. L’expérimentation est de sur­croît dif­fi­ci­le­ment contes­table car elle est une preuve vivante, obser­vée et obser­vable, de la via­bi­li­té d’une solu­tion poli­tique. Enfin, l’expérimentation est pré­cieuse dans une pers­pec­tive d’amélioration conti­nue : elle per­met de repé­rer les failles de l’idée poli­tique éprou­vée et de pro­po­ser des voies d’optimisation. Idéa­le­ment, les carac­té­ris­tiques de l’expérimentation sont pous­sées au plus près des condi­tions réelles d’existence de l’idée poli­tique afin de limi­ter le plus pos­sible les biais expé­ri­men­taux comme l’effet Haw­thorne qui pos­tule que les résul­tats d’une expé­ri­men­ta­tion peuvent être gau­chis par la simple pré­sence de l’expérimentateur. Ain­si et en toute logique, les mino­ri­tés poli­tiques dési­reuses de gagner l’adhésion du plus grand nombre se doivent de déployer des ini­tia­tives concrètes, au plus proche des condi­tions du réel, afin de pro­vo­quer le maxi­mum de juge­ments avi­sés. Les sujets récep­teurs, puis­sam­ment « éclai­rés » par les résul­tats d’une expé­ri­men­ta­tion rigou­reuse, ne pour­ront alors for­mu­ler une oppo­si­tion franche qu’à la condi­tion de son insuc­cès. A l’inverse, ils ne pour­ront qu’accepter le bien-fon­dé d’une expé­ri­men­ta­tion réus­sie. Celle-ci est donc un élé­ment clé de notre stra­té­gie visant à obte­nir l’agrément du plus grand nombre. Pour­tant, si nous avons aujourd’hui pris l’habitude de par­ler beau­coup des inno­va­tions démo­cra­tiques que nous appe­lons de nos vœux (afin d’occasionner le juge­ment par la rai­son chez nos inter­lo­cu­teurs), et si nous avons aus­si pris le pli de l’expérimentation pra­tique à tra­vers – par exemple – l’organisation d’ateliers consti­tuant, force est de consta­ter que nous n’avons pas encore joué la carte de l’expérimentation pra­tique au plus près du réel. Car si les ate­liers consti­tuants sont de très bons exer­cices pour déve­lop­per l’intérêt des popu­la­tions pour la ques­tion de la réap­pro­pria­tion citoyenne de la consti­tu­tion d’un Etat, mais aus­si plus lar­ge­ment pour la ques­tion de la réap­pro­pria­tion de l’écriture des règles, voire pour déve­lop­per le « moi-pen­sant » poli­tique d’un indi­vi­du, force est de consta­ter que ceux-ci n’ont pas pour objec­tif pre­mier d’offrir un retour d’expérience com­plet sur la via­bi­li­té opé­ra­tion­nelle d’un Etat construit sur la base de méca­nismes sin­cè­re­ment démo­cra­tiques. Ce retour d’expérience, dis-je, est incom­plet car il ne per­met pas d’affirmer à un inter­lo­cu­teur à convaincre : « nous avons fait l’Etat sin­cè­re­ment démo­cra­tique sur une période don­née, voi­ci ses atouts et voi­ci ses incon­vé­nients ». C’est ain­si qu’une idée telle que la créa­tion d’un Etat-Nation sans fron­tières pour­rait s’avérer très utile pour convaincre grâce à la mise en place d’une expé­ri­men­ta­tion dont l’ampleur et les objec­tifs pour­raient être sans pré­cé­dent. Nul doute qu’une telle ini­tia­tive per­met­trait de pous­ser l’expérimentation à un niveau de réa­lisme sans pré­cé­dent et nous four­ni­rait des his­toires à racon­ter sur des sujets très pré­cis qui foca­lisent par­fois exces­si­ve­ment l’attention de nos contra­dic­teurs : des « citoyens moyens » peuvent-ils écrire des articles de consti­tu­tion ? le tirage par le sort est-il plus ver­tueux que l’élection ? l’apathie poli­tique est-elle une fata­li­té ? etc.. Si, comme le sou­ligne Arendt, notre ori­gi­na­li­té en tant qu’émetteur d’une pro­po­si­tion poli­tique neuve dépend de notre apti­tude à nous faire com­prendre de ceux qui se posent en spec­ta­teur de l’échiquier poli­tique, alors nous devrions recon­naitre que les mots sont par­fois insuf­fi­sants pour convaincre et qu’il est cer­tai­ne­ment néces­saire de don­ner un coup d’accélérateur à nos ini­tia­tives expé­ri­men­tales. Gand­hi ne disait-il pas « soyez vous-même le chan­ge­ment que vous vou­driez voir dans le monde » ? Ne faut-il pas que nos actions éclairent davan­tage que nos paroles pour convaincre le plus grand nombre ?

Si éprou­ver une idée à l’aune de l’expérimentation est une bonne façon de se doter d’arguments solides pour convaincre les spec­ta­teurs de l’échiquier poli­tique, le juge­ment en situa­tion le sur­classe net­te­ment dans la pers­pec­tive de rem­por­ter dura­ble­ment leur adhé­sion. Bien enten­du, et comme nous l’avons déjà évo­qué pré­cé­dem­ment, les formes de juge­ment se com­binent, il n’est donc pas ques­tion de sub­sti­tuer le juge­ment par l’expérimentation par le juge­ment en situa­tion. Toutes ces formes de juge­ment peuvent se com­plé­ter assez admi­ra­ble­ment pour peu qu’un pro­jet poli­tique se donne les moyens stra­té­giques et maté­riels de les pro­vo­quer tous de manière simul­ta­née. De sur­croît, il faut sou­li­gner que le juge­ment par l’expérimentation est un pré­re­quis indis­pen­sable pour faire adve­nir le juge­ment en situa­tion. L’un ne fonc­tionne pas sans l’autre. Le juge­ment en situa­tion donc, consiste à rendre acteur le récep­teur d’une idée poli­tique quel­conque ; à le pla­cer dans la peau du « fai­seur ». Qui n’a jamais mieux adhé­ré à une idée que lorsqu’il s’est sen­ti la pos­sé­der lui-même ? Emettre une idée ou être pro­fon­dé­ment convain­cu par elle, c’est se sen­tir connec­té à celle-ci par l’intermédiaire de son égo, c’est esti­mer qu’elle fait lit­té­ra­le­ment corps avec soi-même. Il est géné­ra­le­ment très dif­fi­cile de récu­ser les convic­tions d’une per­sonne ayant atteint l’âge adulte pour la simple rai­son qu’une objec­tion voire une remise en ques­tion totale de ces convic­tions est asso­ciée par le sujet qui les reçoit à un rejet de son être. Or, deve­nir l’acteur direct d’un pro­jet poli­tique, c’est quelque part asso­cier son concept, son idée fon­da­trice, à son Moi inté­rieur. Le terme « praxis » défi­nit par­fai­te­ment ce méca­nisme : l’action pra­tique, non contem­pla­tive ou théo­rique, qui trans­cende le sujet. J’agis dans le cadre d’une ini­tia­tive poli­tique quel­conque, ces actions deviennent un consti­tuant de mon être, je réa­lise alors grâce aux méca­nismes de la réflexi­vi­té tout le poten­tiel de l’idée poli­tique pour laquelle j’agis et dont je ne per­ce­vais pas encore jusqu’alors tous les tenants et les abou­tis­sants. A l’inverse, il est pos­sible que la praxis conduise le sujet à per­ce­voir les limites de l’idée poli­tique pour laquelle il offre ses ser­vices. Ain­si et pour qui fait preuve d’honnêteté intel­lec­tuelle, agir de façon pra­tique pour faire vivre une idée poli­tique, c’est explo­rer tout son poten­tiel et c’est donc être dans la meilleure posi­tion pos­sible pour en pro­duire un juge­ment qua­li­ta­tif. Resi­tué dans la pers­pec­tive de nos réflexions concer­nant la publi­ci­té des inno­va­tions démo­cra­tiques, cela signi­fie que les per­sonnes qui témoignent un inté­rêt variable, de timide à franc, pour des idées telles que le RIC Consti­tuant, ne peuvent deve­nir les plus légi­times pour juger ces idées qu’à la condi­tion qu’ils se placent eux-mêmes en situa­tion de pra­tique durable de ces méca­nismes poli­tiques. Dit autre­ment, les per­sonnes les plus légi­times pour juger (et donc s’exprimer sur) des idées poli­tiques telles que le RIC Consti­tuant seront celles qui choi­si­ront d’être les membres actifs d’une orga­ni­sa­tion humaine ayant voca­tion à les uti­li­ser. Réaf­fir­mons donc une nou­velle fois notre uto­pie : pour rendre favo­rable le juge­ment du plus grand nombre en ce qui concerne les inno­va­tions démo­cra­tiques de notre ère, il est néces­saire de construire un Etat-Nation sans fron­tières capable de pla­cer ses membres dans la pos­ture d’expérimentateurs actifs des méca­nismes de la démo­cra­tie sincère.

Ter­mi­nons ce pano­ra­ma en évo­quant le juge­ment par asso­cia­tion d’idées qui, une nou­velle fois, pour­ra très bien s’additionner aux autres formes de juge­ment. Celle-ci est pro­ba­ble­ment moins ver­tueuse que les pré­cé­dentes en ce sens qu’elle vise moins à obte­nir une pleine adhé­sion du plus grand nombre aux conte­nus sub­stan­tifs pro­po­sés par un pro­jet poli­tique que d’obtenir leur agré­ment par des moyens détour­nés et péri­phé­riques à l’idée poli­tique en elle-même. En effet, il n’est pas rare que nous nous lais­sions convaincre par des pro­jets poli­tiques non pas parce que nous avons ana­ly­sé métho­di­que­ment la sub­stance pro­fonde des idées qu’ils portent mais plu­tôt parce que ces pro­jets agitent des chif­fons rouges qui excitent cer­tains traits iden­ti­taires, sociaux ou cultu­rels qui nous sont chers. Par exemple, si je tiens en très haute estime une per­son­na­li­té publique quel­conque, je serais davan­tage enclin à por­ter un juge­ment favo­rable sur le pro­jet poli­tique qu’elle pour­rait être ame­née à ral­lier, sans même avoir pris le temps d’en étu­dier atten­ti­ve­ment les pro­po­si­tions. Ce pro­ces­sus cog­ni­tif peut fonc­tion­ner exac­te­ment de la même manière en ce qui concerne une grande varié­té de « chif­fons rouges » qu’un pro­jet poli­tique est sus­cep­tible d’agiter. Cela peut concer­ner des per­sonnes, des orga­ni­sa­tions, des images, des sym­boles asso­ciés au pro­jet poli­tique ou les carac­té­ris­tiques iden­ti­taires de ses prin­ci­paux pro­ta­go­nistes (exemple : leur niveau de diplôme, leur sexe, leur âge, leur métier, etc…). Mais cela peut aus­si concer­ner des idées. Lorsqu’une idée est implan­tée avec habi­li­té dans un esprit humain, le sujet qui la porte en haute estime peut pro­gres­si­ve­ment perdre de vue les fon­de­ments logiques ou moraux de celle-ci et la recon­naître sim­ple­ment en tant qu’objet intel­lec­tuel non conscien­ti­sé. Une fois que la conscience se retire, l’individu est capable de conti­nuer à sou­te­nir l’idée avec fer­veur, cela même en pré­sence d’arguments logiques nou­veaux sus­cep­tibles de remettre en ques­tion sa per­ti­nence. Arri­vé à ce stade, le sujet est mûr pour être mani­pu­lé par des inten­tions mal­hon­nêtes. Arri­vé à ce stade, il est pos­sible d’obtenir l’assentiment de l’individu sur des idées qu’il n’aurait jamais ral­lié dans un autre cadre.  Il semble en effet pos­sible d’associer une nou­velle idée à l’objet intel­lec­tuel non conscien­ti­sé afin de faire « pas­ser la pilule ». Par exemple, il n’est pas exclu de voir un jour émer­ger une situa­tion par laquelle :

  • A : un groupe de citoyens conscien­tise la pro­blé­ma­tique du réchauf­fe­ment cli­ma­tique ce qui les amène à se pré­oc­cu­per sin­cè­re­ment de ses effets sur l’Homme et sur l’environnement.
  • B : leur conscience se retire pro­gres­si­ve­ment et leur per­cep­tion de la lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique se trans­forme en un « objet intel­lec­tuel non conscien­ti­sé » qu’ils conti­nuent de sou­te­nir comme un but, une fina­li­té ultime.
  • C : Des indi­vi­dus mal inten­tion­nés remarquent que le réchauf­fe­ment cli­ma­tique est deve­nu un objet intel­lec­tuel majo­ri­tai­re­ment non conscien­ti­sé. Ils y trouvent des oppor­tu­ni­tés pour assou­vir leurs inté­rêts personnels.
  • D : Ces mêmes indi­vi­dus uti­lisent le pré­texte du réchauf­fe­ment cli­ma­tique pour mettre en place un régime tota­li­taire, limi­tant dras­ti­que­ment les liber­tés indi­vi­duelles et les droits de l’Homme. Ce fai­sant, ils détiennent les clés de tous les pou­voirs, y com­pris le pou­voir économique.
  • E : Le groupe de citoyens évo­qué en étape A adhère désor­mais à la limi­ta­tion des liber­tés et les atteintes aux droits de l’Homme. Idées qu’ils n’auraient jamais sou­te­nues si celles-ci n’avaient pas été asso­ciées à l’idée de lutte contre le réchauf­fe­ment climatique.

Notez que cer­tains des lec­teurs du pré­sent ouvrage sont jusqu’ici vic­times de mani­pu­la­tions dans le but de pro­vo­quer chez eux le juge­ment par asso­cia­tion d’idées. En effet, si j’ai par­se­mé cet ouvrage de termes clés tels que « RIC Consti­tuant », c’est bel et bien car j’estime que ces termes deviennent pour cer­tains de mes congé­nères des « objets intel­lec­tuels non conscien­ti­sés ». Il m’a paru oppor­tun de les uti­li­ser en tant que tel afin de maxi­mi­ser les chances de rendre favo­rable le juge­ment de mes lec­teurs, amis du RIC Consti­tuant, en ce qui concerne le concept d’Etat-Nation sans fron­tières. N’y voyez pas là pour autant un quel­conque déni de ma part en ce qui concerne l’idée du RIC Consti­tuant que je trouve excel­lente. Voyez‑y davan­tage une mise en garde de ma part : nous devons col­lec­ti­ve­ment res­tés vigi­lant à ce que nos idées ne perdent jamais l’attention de notre conscience à défaut de quoi nous pour­rions conti­nuer à les sou­te­nir sans réa­li­ser qu’elles sont désor­mais dépas­sées par le contexte socié­tal ambiant voire en rup­ture avec les fon­de­ments de la morale.

Notez que si vous consta­tez que l’intention de ce petit test mani­pu­la­toire se véri­fie, même dans un nombre limi­té de cas, cela démontre la puis­sance des méca­nismes qui visent à pro­vo­quer le juge­ment par asso­cia­tion d’idées. Cela démontre que nous ne devons pas nous inter­dire d’utiliser ces méca­nismes dans la pers­pec­tive de fédé­rer le plus grand nombre autour des idées démo­cra­tiques inno­vantes, qui convergent vers le bien. Ain­si en addi­tion de cette pro­po­si­tion qui consiste à créer un Etat-Nation sans fron­tières et dans la pers­pec­tive de rendre favo­rable le plus grand nombre de juge­ments pos­sibles en ce qui concerne ce pro­jet, je for­mule l’utopie sui­vante : réunir autour d’un tel pro­jet le maxi­mum de per­son­na­li­tés publiques dont l’aura lui serait favo­rable et dont les idées poli­tiques sont suf­fi­sam­ment proches pour que cela ne leur pose pas de cas de conscience majeur. La publi­ci­té de leur ral­lie­ment serait sans conteste un puis­sant levier des­ti­né à convaincre le plus grand nombre.

Nous avons évo­qué la néces­si­té de créer notre propre espace de com­mu­ni­ca­bi­li­té ain­si que dif­fé­rentes tech­niques visant à rendre favo­rable le juge­ment du plus grand nombre en ce qui concerne les inno­va­tions démo­cra­tiques de notre époque. C’est une bonne chose. Nous devons main­te­nant com­prendre les méca­nismes d’une révo­lu­tion afin de dépas­ser cer­tains de nos pré­ju­gés et images d’Epinal qui nous conduisent sou­vent à être exces­si­ve­ment atten­tistes, c’est-à-dire à attendre des mou­ve­ments insur­rec­tion­nels d’ampleur, spon­ta­nés, non coor­don­nés, déclen­chés par la pré­ten­due exis­tence d’une « volon­té du peuple ».

Gau­tier David, pro­jet Ecclesia.
Site :

[1] Han­nah Arendt citée par Romain Kar­sen­ty dans « le germe grec de la démo­cra­tie : Cas­to­ria­dis et Arendt en dia­logue ». édi­tion Kimé. Page 89.

[2] E.Kant, Conflit des facul­tés, deuxième sec­tion, II, 6, cité par Romain Kar­sen­ty in « Le germe grec de la démo­cra­tie : Cas­to­ria­dis et Arendt en dia­logue », édi­tions Kimé. page 83.

[3] Wiki­pe­dia. Jan­vier 2023. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_%C3%A9ditoriale

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1 Commentaire

  1. ELISA

    Bon­jour,
    Mer­ci de par­ta­ger ce genre d’i­ni­tia­tives qui sont en rup­ture avec les pro­po­si­tions « tra­di­tion­nelles ». Nous avons, me semble-t-il, besoin d’i­dées neuves pour nous sor­tir du bour­bier dans lequel nous nous lais­sons enfon­cer un peu plus chaque jour !
    Est-ce déjà démar­ré ? Je vais les contacter !
    Mer­ci encore !

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