Chers amis,
Je donne la parole aujourd’hui à Gautier, qui va vous présenter un projet que je trouve original et intéressant. C’est peut-être une idée qui va nous permettre de nous évader de notre prison politique. Vous nous direz ce que vous en pensez, je laisse la parole à Gautier : d’abord un résumé, puis, pour ceux qui veulent en savoir plus, un texte plus détaillé.
Bonne lecture.
Étienne.
1 – Résumé :
Plus nous avançons dans l’Histoire des hommes et plus nos systèmes politiques nous semblent malades et susceptibles de nous mener vers encore plus de misère sociétale : guerre, famine, inégalités économiques, droits humains fondamentaux bafoués.
Face à ce constat, certains penseurs théorisent des systèmes politiques neufs, capables de redonner à chaque Homme ce qui devrait leur revenir de plein droit : une capacité à être écouté publiquement et une capacité à co-décider des règles de vie en société (les lois). Décrire théoriquement ces avancées, telles que par exemple le RIC Constituant, n’est malheureusement pas suffisant pour changer la société en faits et en actes. Nous avons désormais besoin de passer à l’action. Nous avons besoin de cesser d’être des enfants qui demandent gentiment à leurs maîtres de nouveaux droits. Un adulte qui s’émancipe ne demande rien, il prend ce qui lui revient naturellement.
C’est dans cet esprit que nous lançons le projet « Ecclésia » qui vise à créer un Etat-Nation sans frontières construit directement par l’ensemble de ses citoyens. Créer son propre État, grâce à l’établissement d’une constitution qui lui est propre, c’est affirmer une émancipation politique concrète. Former un nouvel État autonome autour d’un groupe d’individus ayant le souhait de vivre selon les mêmes codes politiques, c’est poser les prémisses d’une nouvelle nation. Ne revendiquer aucune hégémonie sur un sol, c’est reconnaître le droit des Hommes à vivre et évoluer sans restriction sur cette planète conformément aux lois de la nature.
Cette absence de revendication de territoire, c’est ce qui doit permettre au projet de création d’un Etat-Nation de protéger ceux qui sont physiquement faibles tout en leur permettant une émancipation politique concrète et réelle. Cela doit également permettre au projet de se focaliser sur ce qui est important (reconnaitre et faire vivre des droits politiques) plutôt que ce qui affaiblit un Etat (la guerre, une ligne de front à tenir pour conquérir un territoire). C’est aussi une façon d’être puissant et intouchable puisque, par définition, cet Etat-Nation existe partout et nulle part. Enfin l’absence de frontières réunit tous les êtres de cette planète qui ont le souhait de vivre à travers un pacte social apaisé et sincèrement respectueux de l’Homme et de son environnement.
Le projet Ecclésia vise à mettre en place une révolution politique sous un format qui n’a jamais été vu auparavant. C’est un projet qui doit permettre l’avènement d’un Etat dont le niveau de maturité démocratique sera supérieur à n’importe quel autre avant lui. Concrètement, cela doit notamment signifier que tous les citoyens, sans exception, doivent jouir d’un pouvoir égal pour proposer et voter des règles (constitutionnelles ou non constitutionnelles). Ce n’est pas à l’auteur de ces lignes de préciser les contours des futures institutions de l’Etat-Nation sans frontières et la manière dont celui-ci tendra vers cet idéal démocratique puisque par nature le projet Ecclésia vise à offrir une page blanche politique à ses citoyens. Charge à ces derniers de se remonter les manches afin de placer dans leur constitution les mécanismes politiques qu’ils estimeront vertueux (exemple : le Référendum d’Initiative Citoyenne Constituant).
Il faut également souligner que cette page blanche politique que nous nous offrons doit être une opportunité historique pour repenser profondément le concept même d’Etat. Nous avons tellement l’habitude de voir nos États contemporains régenter l’entièreté de nos vies d’Homme que nous ne nous posons plus cette simple et saine question : est-il normal qu’une structure politique aussi centralisée qu’un « Etat », qui a démontré à de multiples reprises au cours de l’Histoire sa propension à devenir autoritaire, dispose d’une influence si importante sur nos vies ? Faut-il nécessairement qu’un Etat concentre et organise l’ensemble des pouvoirs ? Certains de ces pouvoirs ne pourraient-ils pas être confiés directement à la société civile ? De façon plus concrète et en citant quelques exemples, cette carte blanche politique que nous nous offrons doit permettre de nous poser certaines questions clés pour façonner un monde plus respirable.
Exemples (non exhaustifs) :
- L’Etat doit-il être le seul gardien de l’éducation ? est-il légitime que celui-ci soit reconnu comme principale autorité pour définir des programmes, structurer des cursus éducatifs, sanctionner des diplômes ? peut-il y a avoir conflit d’intérêt dans la dispense de l’éducation par l’Etat ?
- L’Etat doit-il cantonner les organes politiques locaux (ex : communes) à un rôle d’exécution des lois ? Ces organes locaux ne peuvent-ils pas disposer, au moins en partie, du pouvoir législatif ?
- Quelle est la place du citoyen au sein de l’Etat ? est-ce une vache à lait ? un objet avec lequel composer ? un enfant à protéger ? un être émancipé à qui reconnaitre le droit de parler publiquement et de co-décider des règles ?
- L’Etat doit-il disposer d’un monopôle sur les différentes formes de forces armées ? comment un peuple peut-il disposer de son droit d’insurrection lorsqu’il est dépossédé de toute force au profit de structures étatiques telles que l’armée ou la police ?
- L’Etat doit-il se substituer à la société civile en matière de solidarité et de protection des populations ? qui doit endosser la responsabilité de l’absence de solidarité et de bienveillance ?
- L’Etat doit-il encadrer le monde économique ? déterminer unilatéralement les monnaies légitimes ? imposer la raréfaction ou la surabondance monétaire ?
- L’Etat doit-il réserver le débat public audible à quelques privilégiés élus ou tirés au sort ? qui doit pouvoir parler publiquement ? sous quel format ?
- ….
A cette liste de questions fondamentales, dont nous partageons un très bref aperçu ici, nous serions ravis d’en ajouter davantage grâce au fruit de l’émulation collective dont le lecteur est amené à faire partie, s’il le souhaite.
Comme tout projet de révolution politique, celui-ci est complexe. La complexité n’exclut pas la faisabilité. De nombreuses entreprises menées par l’Homme sont complexes, ce qui ne les empêche pas d’aboutir. Les projets complexes se concrétisent généralement parce qu’ils associent des êtres humains motivés, une méthodologie claire qui précise les activités à mener et une organisation réunissant des profils et compétences diverses. Il serait impossible de restituer dans ce bref article, toute l’étendue de la complexité et des nuances qui guident les travaux menés par les membres du projet Ecclésia. Il serait impossible de répondre à toutes les interrogations et objections sans y passer un temps significatif.
Dans nos sociétés modernes, le temps est souvent perçu comme notre ennemi. Nous valorisons excessivement le temps court ainsi que les intelligences « de l’instant » capables de solutionner des problèmes en un minimum de temps. Pourtant, aussi brillant que puisse être l’esprit le plus fulgurant parmi les êtres humains, force est d’admettre qu’il n’existe aucun cerveau sur cette planète capable de résoudre une problématique politique telle que celle à laquelle nous sommes actuellement exposés en quelques secondes, quelques minutes voire quelques heures. Pour mener à bien cette entreprise, nous ne pouvons que compter sur le temps long et sur les ingrédients indispensables au développement d’un « moi-pensant » fort : temps d’écoute des idées de nos congénères, temps d’analyse et de réflexion sur ces idées, introspection, développement d’un intérêt marqué pour la discipline politique ET la discipline philosophique, temps dédiés à l’élaboration d’idées politiques créatives, temps dédié à expliquer de façon pédagogique ces idées. Le temps doit devenir notre allié.
Si vous souhaitez embrasser cette complexité et en apprendre davantage sur le projet Ecclésia, vous pouvez lire cet article de vingt-cinq pages qui vous présentera les grandes lignes du projet (lien vers l’article) . Si vous souhaitez revendiquer une autre façon de faire vivre le projet que celle qui est formalisée à travers ces quelques lignes, rejoignez-nous et travaillez à nos côtés (projetecclesia@protonmail.com). Nous accueillons avec bienveillance et respect toute nouvelle personne désireuse d’apporter sa singularité au projet. Si vous n’êtes pas convaincu par ces quelques lignes, pas d’offense. Nous vous souhaitons bonne continuation dans votre vie, dans l’Etat et dans la Nation qui vous offre le pacte social avec lequel vous êtes le mieux aligné.
ECCLESIA : ANNÉES 1 à 3 (vue simplifiée)
MOIS‑0 : Réunion d’une assemblée révolutionnaire (dans une salle publique ou en plein air)
- Dresser un constat sur la faillite politique des systèmes actuels
- Souligner l’urgence à trouver une solution politique concrète
- Passer en revue les solutions et en retenir une à mettre en œuvre collectivement
- Elaborer une stratégie, identifier des chantiers, répartir les rôles
MOIS‑1 : Mise en œuvre des différents chantiers visant à créer l’Etat-Nation sans frontières
- Plus de 40 chantiers différents identifiés à date (cf. méthodologie Ecclésia)
- Mise en place d’une cellule de pilotage stratégique (coordination + revue de la stratégie)
MOIS‑6 : Ouverture des premiers bureaux de retrait des titres de nationalités
- Il s’agit de promesses de nationalité car l’Etat n’existe pas encore en l’absence de constitution
- Objectif : établir une liste de citoyens pouvant être tirés au sort pour participer à l’assemblée constituante
MOIS‑9 : Finalisation des outils (informatiques ou non) destinés aux votations et au tirage au sort
MOIS-12 : Tirage au sort d’une assemblée constituante
- Tout citoyen peut être tiré au sort
MOIS-24 : Fin des travaux de construction de la nouvelle constitution
- Vote par référendum de la constitution, article par article
MOIS-32 : Fin du référendum et adoption de la constitution (articles validés par le peuple)
- Mise en place des institutions
- Premières propositions de lois
[Fin du résumé]
2 – Présentation plus détaillée :
Pourquoi créer un nouvel Etat est la meilleure façon de convaincre du bien-fondé des innovations démocratiques telles que le RIC Constituant
L’enjeu prépondérant pour une minorité militante qui énonce une conviction politique quelconque est de parvenir à persuader le plus grand nombre de son bien-fondé, de sa rationalité afin d’aboutir, in fine et grâce au concours du plus grand nombre, à l’objectivation des idées proposées, à leur mise en application concrète. Idéalement, grâce à une démonstration fondée sur la raison ainsi que sur une inclination prononcée pour la recherche sincère et pétrie d’humilité de la morale, les projets politiques les plus vertueux remportent l’adhésion de la majorité des Hommes. En pratique, ce consensus est parfois provoqué en faisant appel au discernement logique et à une quantité notable d’occasions en ayant recours à des techniques de persuasion qui reposent sur d’autres mécanismes que la raison pure. Quoi qu’il en soit et en toute logique, un agrément collectif ne peut émerger qu’autour de la somme devenue majoritaire des jugements individuels favorables à l’idée politique exprimée. En considérant que le jugement approbatif est un prérequis à la matérialisation de ces idées politiques, il n’y a donc rien de plus important pour les acteurs d’un projet politique quelconque que de rendre favorable le jugement du plus grand nombre d’auditeurs possible. Il semble donc indispensable, pour faire pénétrer les idées les plus vertueuses dans la sphère de l’action publique effective, de s’intéresser à ce qui caractérise et détermine le jugement des Hommes. C’est à cette condition seulement que pourront peut-être percer un jour des idées politiques aussi vertueuses que le RIC Constituant. Ainsi, la problématique est la suivante : comment rendre favorable le jugement du plus grand nombre en ce qui concerne ces innovations démocratiques ?
En investiguant les réflexions d’Emmanuel Kant et de Hannah Arendt sur le jugement, on comprend qu’il en existe deux sortes : le jugement de celui qui propose et le jugement de celui qui écoute la proposition. On comprend également que le premier type de jugement a besoin d’une publicité la plus large possible afin d’exister dans la sphère publique et ainsi maximiser les chances de voir naître le second. Le jugement, notamment celui qui amène à conceptualiser et soutenir une idée politique neuve, n’acquiert la force et la notoriété dont il a besoin pour être transformé à terme en actes qu’à partir du moment où il sort du périmètre de la pensée intérieure afin d’être communiqué dans un espace public commun, partagé avec autrui. Ainsi, les révolutions politiques n’existent que parce qu’il existe une « communicabilité » des idées politiques innovantes.
« La condition sine qua non de l’existence de beaux objets est la communicabilité ; le jugement du spectateur créé l’espace sans lequel de tels objets ne pourraient même pas apparaitre. Le domaine public est peuplé de critiques et de spectateurs, non d’acteurs ou de créateurs. Et ce critique et ce spectateur sommeillent en chaque acteur et en chaque créateur ; sans cette faculté critique et de jugement, celui qui agit ou qui fait serait tellement isolé du spectateur qu’on ne le percevrait même pas. Ou encore, pour le dire autrement, mais toujours en termes Kantiens : la véritable originalité de l’artiste (ou la véritable nouveauté de l’acteur) dépend de son aptitude à se faire comprendre de ceux qui ne sont pas artistes (ni acteurs). (…) Le spectateur n’est pas engagé dans l’action, mais il est toujours étroitement lié aux autres spectateurs. Il ne partage pas avec le créateur la faculté du génie – l’originalité – ni avec l’acteur celle de la nouveauté : celle qu’ils ont en commun est la faculté de jugement.[1]»
Si l’extrait ci-dessus porte explicitement sur le jugement dans le domaine de l’art, il faut rappeler que son auteur, Hannah Arendt, n’a eu de cesse dans les dernières années de sa vie, de rapprocher la théorie Kantienne du jugement avec la philosophie politique. Ainsi les mécanismes du jugement ne seraient pas si éloignés entre le domaine de l’art et le domaine de la politique. Sur un terrain plus explicitement politique, rappelons par ailleurs que pour Kant, c’est le jugement collectif émanant d’une majorité d’individus spectateurs qui, bien plus que les intrigues à demi voilées des mouvements insurrectionnels ou des coups d’Etat, constitue le propre des révolutions. Voici son analyse de la Révolution française dont il fut contemporain :
« Cet évènement [la Révolution] ne saurait consister en actions ou méfaits importants commis par les hommes ; alors que ce qui était grand parmi les hommes est rendu petit ou ce qui était petit rendu grand ; et que disparaissent d’antiques et brillants édifices comme par magie ; qu’en leur place d’autres surgissent en quelque sorte des profondeurs de la terre. Non, rien de tout cela. Il s’agit seulement de la manière de penser des spectateurs qui se trahit publiquement dans ce jeu des grandes révolutions et qui, même malgré le danger des inconvénients sérieux que pourrait leur attirer une telle partialité, manifeste néanmoins un intérêt universel, désintéressé toutefois, pour les joueurs d’un parti contre ceux de l’autre »[2] .
Ainsi, en faisant décanter les analyses de Kant et Arendt, il semblerait que les révolutions ne surviennent qu’à la condition de réunir a) la publicité d’un jugement politique porté par quelques-uns (l’idée politique neuve qui sous-tend l’acte d’appropriation du pouvoir) et b) le jugement favorable du plus grand nombre de spectateurs possible en ce qui concerne cet acte de révolution. Aussi, l’enjeu principal pour les « artistes » ou les « créateurs » qui proposent, de nos jours, des innovations démocratiques telles que le RIC Constituant est d’abord d’en assurer la publicité honnête et complète afin que survienne le jugement public (positif ou négatif) puis ou parallèlement, de trouver un moyen de maximiser les chances de rendre positif ce jugement.
Prenons les choses dans l’ordre : notre premier objectif, en tant qu’ « artistes » ou « créateurs » de la démocratie sincère, est donc d’assurer une publicité honnête et complète de nos idées. Pour ce faire, nous avons deux possibilités. La première consiste à explorer les voies de communication proposées par le système actuel. Etant donné que nos préceptes sont de nature politique (c’est-à-dire qui concourent à l’édification des normes qui encadrent les interactions publiques), il est logique de s’intéresser en premier lieu aux canaux de publicité offerts par notre Etat d’appartenance. Après tout, toute analyse téléologique « saine » du concept d’Etat démocratique devrait postuler que celui-ci a au moins en partie pour finalité la création et l’entretien d’un espace d’expression accessible et utilisable à loisir, c’est-à-dire sans contrainte ni pression d’aucune sorte, par l’ensemble des membres du « demos » afin d’assurer la publicité de n’importe quelle idée politique. Nous pourrions donc tenter de présenter nos réflexions dans le cadre d’une institution politique prévue pour donner la parole à n’importe quel citoyen. Malheureusement, celle-ci n’existe pas dans la cinquième république française, ou tout du moins si elle existe, elle ne bénéficie pas d’une aura suffisante pour garantir la publicité la plus large possible des idées que nous souhaitons proposer (une publicité « grand public », capable de provoquer le plus de jugements possibles).
En l’absence de canal de communication citoyen proposé par notre structure étatique nous pourrions alors être tentés de recourir au monde médiatique en solution de repli. Toutefois, étant donné que celui-ci offre des moyens de publicité non exclusivement dédiés à l’existence d’un espace public ouvert à la parole de l’entièreté des citoyens, nous devons envisager son emploi avec prudence. En effet, si ces canaux de communication sont biaisés, s’ils ne permettent pas de restituer une information citoyenne honnête et complète, alors il pourrait être préjudiciable de les employer. Soulignons qu’il est notoire depuis la seconde guerre mondiale qu’un mensonge répété continuellement par un pouvoir médiatique fort acquiert progressivement la valeur d’une vérité pour la majorité de la population qui y est exposée. Il en va évidemment de même pour les vérités partielles et les omissions orientées. Ainsi, si le pouvoir médiatique, pour des raisons diverses, présente continuellement les innovations démocratiques ou les porteurs de ces innovations sous un angle peu avantageux, en insistant excessivement sur les inconvénients de leurs propositions et en minimisant la portée de leurs avantages, cela ne peut qu’aboutir à l’existence d’une multiplicité de jugements négatifs parmi les populations spectatrices. Si invoquer les travaux de Noam Chomsky en ce qui concerne la fabrication du consentement par les mass-médias serait certainement très utile pour étayer cette réflexion, je préfère toutefois mettre en exergue les trois arguments ci-dessous pour nous convaincre du danger que représente l’utilisation du système médiatique actuel pour assurer la publicité de nos idées démocratiques :
- Médias publics (tout type de média public) : étant donné que nos idées sont de nature à remettre en question en totalité ou en partie la façon dont est institutionnalisé le pouvoir étatique actuel, il serait plus qu’hasardeux d’espérer qu’un média appartenant au pouvoir en place puisse en assurer une publicité honnête et complète.
- Médias privés « mainstream » (tout type de média privé, y compris les réseaux sociaux) : étant donné qu’un système démocratique sincère serait très vraisemblablement enclin à remettre en question certaines règles qui déterminent les profondes inégalités économiques de notre ère, nous pouvons raisonnablement douter de la capacité de ces médias à réserver un espace de publicité sain pour nos idées.
- Médias alternatifs (tout type de média alternatif) : si certains médias alternatifs peuvent offrir davantage de garanties relatives à la publicité d’une information honnête et complète, il faut souligner que le caractère « alternatif » de ces canaux de communication ne nous permet intrinsèquement pas d’assurer une publicité large de nos idées, capable de provoquer le jugement du plus grand nombre.
Soulignons de surcroit que tous les médias, qu’ils soient publics, privés, mainstream ou alternatifs partagent une incommodité majeure qui les rend impropres à assurer la publicité honnête et complète de l’entièreté des idées citoyennes. Cette incommodité, dis-je, réside dans le fait qu’ils utilisent tous ce qui est couramment appelé une ligne éditoriale. Car si celle-ci se définit par « l’ensemble des choix et décisions que fait un comité de rédaction, un directeur de collection littéraire, un producteur de radio, un producteur de télévision, ou tout autre acteur culturel pour se conformer à une ligne définie qui peut être circonscrite en fonction de divers critères, qu’ils soient moraux ou éthiques, thématiques, formels ou autre[3] », alors cela signifie que l’intégralité des idées citoyennes n’ont de fait, pas voix au chapitre. En effet, la ligne éditoriale, c’est le choix qui discrimine la pensée et la parole citoyenne ; c’est la décision de quelques individus disposant du pouvoir médiatique de rendre exclusif les moyens d’amplifier la parole publique au profit d’un individu ou d’un groupe d’individus. Les médias choisissent toujours unilatéralement, sans concertation citoyenne, de tendre le micro vers telle personnalité au détriment d’une autre et au détriment d’anonymes. Il s’opère toujours un filtre qui intervient nécessairement aux dépens d’une partie de nos congénères. Or filtrer la parole citoyenne c’est utiliser, de façon intentionnelle ou malgré soi, les normes d’un système en place (exemple : normes politiques, sociales, économiques, médiatiques, etc…) pour empêcher les voix susceptibles de contester cet ordre établi de s’exprimer. Filtrer, c’est prendre le risque que nos prochaines innovations démocratiques ne soient jamais communiquées largement. Filtrer, c’est de fait, prendre le risque d’empêcher la publicité d’idées capables de changer le monde. Dans un totalitarisme, il est impératif de dégager un espace de communicabilité suffisant pour les personnes qui remettent en question l’ordre établi. Dans un totalitarisme, c’est précisément parce que les détenteurs du pouvoir ont fait main basse sur les principaux canaux de communication de l’information, qu’il est un impératif catégorique pour toute opposition sincère et non contrôlée de créer des espaces neufs de communicabilité des idées. Inutile ( ?) de préciser que pour être efficients et éloignés du diktat totalitaire, ces espaces ne doivent en aucun cas ressembler à ceux qui leur ont préexisté.
Ainsi, si le « système » actuel, qu’il soit politique ou médiatique, ne peut pas garantir la communicabilité honnête et complète des innovations démocratiques, il reste alors la possibilité de créer, ex nihilo, un espace politique commun capable d’assurer la publicité de l’entièreté des idées citoyennes. Si notre ambition sincère est bel et bien de voir se concrétiser la conquête de la constitution par l’ensemble des citoyens, alors nous devrions envisager sérieusement la mise en place d’une « agora 2.0 » ouverte à toutes les voix désireuses de s’exprimer. Dès lors, nous disposerons de moyens qualitatifs pour prononcer publiquement les « jugements » politiques que nous estimons si vertueux : RIC Constituant, tirage par le sort, révocabilité des représentants, mandat impératif, chambres citoyennes, etc.
Car à choisir entre d’une part, la solution d’une publicité perpétuelle de jugements dénaturés auprès de la majorité de nos congénères (via les systèmes politiques ou médiatiques actuels) et, d’autre part, la solution d’une publicité honnête et complète de nos jugements diffusés temporairement auprès d’une population restreinte (via un nouvel espace commun de diffusion d’idées politiques), il me semble que la seconde solution est préférable. En effet, il est sain de faire croître une idée sur un terrain d’expression neutre, même si celle-ci est entendue et comprise par un faible nombre. A l’inverse, il n’est pas dans l’intérêt de la prospérité de cette même idée que d’être diffusée largement sur un terrain miné, bardé d’intentions ou sous-entendus malhonnêtes. Je crois de plus nécessaire de préciser que la portée oratoire limitée évoquée ci-dessus ne saurait se pérenniser en présence d’une stratégie visant à maximiser la crédibilité et la portée du canal de diffusion de nos jugements. La question que cette stratégie doit adresser est : en considérant comme un but à atteindre, la création d’un espace d’expression citoyenne capable de systématiser la publicité honnête et complète des idées, comment lui conférer une envergure capable d’attirer l’attention du plus grand nombre pour, in fine, provoquer leur jugement et, si possible, provoquer un jugement positif ? C’est ainsi que nous fixons notre second objectif. Le premier est d’assurer la publicité honnête et complète de nos idées. Le second est d’utiliser différentes techniques destinées à favoriser l’acceptation de ces idées.
Avant de lancer quelques pistes de réflexion en réponse à ce second objectif, je souhaite d’abord ancrer une proposition dans l’esprit du lecteur en ce qui concerne l’atteinte de notre premier objectif. Nous le comprenons, nous avons besoin d’instituer notre propre espace politique pour assurer la communicabilité de nos idées démocratiques. Qu’est-ce que cela signifie ? faut-il que cet espace s’additionne au millefeuille des initiatives plus ou moins formelles, plus ou moins impactantes menées par certains citoyens dans le cadre de la cinquième république française ? Faut-il que ceci passe par la création d’associations ou de partis politiques ? A chacun d’apporter une réponse à ces questions. Voici toutefois ma proposition : la communication, puisque c’est bien ce dont il est question ici, n’est jamais aussi percutante et efficiente que lorsqu’elle avance des idées ambitieuses, qui désarçonnent et remettent en question le statu quo tout en formulant la promesse de standards neufs et vertueux. C’est ainsi que ma croyance la plus profonde est que l’avènement d’un nouvel Etat doit être la réponse à notre premier objectif. La meilleure façon d’assurer la publicité de nos idées démocratiques est de créer un nouvel Etat libre, idée Ô combien désarçonnante mais chargée de promesses positives pour nombre de citoyens qui ressentent chaque jour le poids des chaines de la cinquième république. La création d’un Etat libre doit nous permettre d’afficher au monde le plus vibrant et étonnant témoignage d’une émancipation politique. La publicité de nos idées n’y serait pas uniquement garantie par un simple échange de paroles et quelques tracts bien postés mais bien par ce qui a valeur d’exemple : des institutions sincèrement démocratiques, en place, en état de fonctionnement opérationnel et qui racontent une histoire au monde qui l’observe. Quelle initiative peut apporter davantage d’espoirs démocratiques qu’un cœur politique neuf qui bat pour la toute première fois ?
Comme nous allons le découvrir, cette proposition qui consiste à rendre immanente la communication à partir de l’existence même de l’objet politique, nous ramène directement à notre second objectif : utiliser différentes techniques destinées à favoriser l’acceptation de nos idées démocratiques. Commençons par le commencement…Pour convaincre un sujet du bienfondé d’une proposition, une attitude censée, logique et constructive devrait être de réaliser un effort de projection afin de percevoir les idées politiques à travers son regard. Le fait de se projeter dans la peau du sujet doit nous permettre d’identifier les déterminants de sa pensée et de son jugement. Connaitre ces déterminants est clé car nous pourrons alors les utiliser afin d’influer positivement sur son opinion. En première analyse, je propose de nous arrêter sur cinq types de jugements, chacun disposant de leurs propres déterminants. Nous verrons que chacun d’entre eux correspond à un palier à franchir. Plus nous avançons dans ces paliers, en d’autres termes plus nous tentons de provoquer l’addition de ces jugements chez le sujets qui nous écoute, plus nous sécurisons son adhésion aux idées politiques que nous exprimons. L’analyse partagée dans les prochaines lignes n’a pas vocation à être exhaustive, mais constitue un essai, une « pièce à casser ». Le lecteur est bien entendu invité à compléter cette vision dans la perspective de faire progresser nos chances de faire aboutir les révolutions politiques auxquelles nous aspirons :
- Le jugement prédictif
- Le jugement par la raison
- Le jugement par l’expérimentation
- Le jugement en situation
- Le jugement par association d’idée
Le jugement prédictif est certainement le plus primitif des quatre évoqués ci-dessus. A ce titre, il ne constitue pas un « palier » à proprement parler mais plutôt le niveau zéro de réflexion qu’il convient d’éviter le plus possible. Cette forme de jugement consiste à évaluer a priori le potentiel de succès d’une proposition politique en confrontant ses caractéristiques à une vision subjective du contexte sociétal dans lequel cette proposition est censée se déployer. Voici un exemple de jugement prédictif : « Mettre la constitution dans les mains des citoyens est une mauvaise idée car ceux-ci n’ont pas les capacités intellectuelles pour se l’approprier convenablement ». Il existe généralement dans ce type de jugement une série de biais cognitifs et de préjugés personnels déconnectés de toute analyse scientifique qui conduisent le sujet à adopter un avis négatif vis-à-vis d’idées politiques neuves (telles que le RIC Constituant). Dans l’exemple que nous venons de citer, le premier biais est de considérer que – dans un système sincèrement démocratique – chacun des citoyens est impliqué en fait et en acte dans les rouages profonds de l’ingénierie constitutionnelle, ce qui n’est évidemment pas le cas puisqu’il est matériellement impossible d’organiser une assemblée constituante à l’échelle de milliers ou de millions de personnes. Le deuxième biais cognitif consiste à penser que le citoyen moyen, c’est-à-dire celui qui ne possède pas les plus hauts niveaux de diplôme ou de statut social n’est pas capable de proposer des idées politiques raisonnables. C’est, il me semble, faire insulte au genre humain, que d’estimer que la plupart de ses membres sont incapables de réflexion, de pragmatisme et de souci de l’intérêt général. Il est naïf de penser que les propositions politiques d’un être humain ne peuvent être reconnus et considérés avec attention qu’après avoir poursuivi une poignée d’années d’étude ou avoir gagné beaucoup d’argent. D’un point de vue éthologique, ce type de jugement revient à estimer que seuls certains individus isolés au sein d’une espèce concentrent les avantages reproductifs nécessaires à la survie de l’ensemble de leurs congénères. Par exemple, si l’avantage reproductif du renard consiste à savoir chasser avec habileté, devrions nous considérer que seuls les individus sachant chasser avec le plus d’efficacité sont légitimes pour exercer cet avantage ? Cela serait ridicule. Alors pourquoi devrions-nous considérer que quelques êtres humains détiennent des prédispositions si significativement supérieures en comparaison de leurs congénères que cela leur octroie de fait le privilège d’exercer plus que d’autres l’avantage reproductif de l’Homme à savoir l’exercice de son intelligence ? Comme le souligne Emmanuel Dockès lors d’une de ses interviews, il faut probablement recevoir avec réserve les propositions du peuple lorsque celles-ci sont partagées en trois minutes top chrono dans le cadre d’un sondage sous forme de micro-trottoir. Il faut aussi reconnaître la valeur d’un travail citoyen (même peu diplômé !) lorsque celui-ci est réalisé dans le cadre d’une assemblée constituante, réunie à temps plein et en mode projet pendant une période longue de six mois à un an. Ainsi, à la problématique initiale exposée au début de ce chapitre (n.d.a : comment rendre favorable le jugement du plus grand nombre en ce qui concerne ces innovations démocratiques ?), nous obtenons un début de réponse. Pour obtenir l’agrément de notre auditoire, nous devons l’éloigner le plus possible du jugement prédictif car il s’agit d’un terrain intellectuel pauvre d’où ne peuvent émerger qu’incompréhensions et frustrations. Mieux vaut provoquer chez eux d’autres formes de jugement capables d’inhiber le jugement prédictif.
Le jugement par la raison constitue le premier palier cognitif capable de conduire un sujet vers l’appréciation positive de l’idée politique proposée. Il fait même partie du socle indispensable des formes de jugement à mobiliser pour permettre à celle-ci de prospérer. C’est assez logiquement que les militants politiques novateurs doivent la susciter en priorité chez leur auditoire à l’aide de la parole publique et la médiatisation de l’idée politique défendue. Ce jugement consiste, pour le sujet qui l’active, à se forger un avis sur la base de l’analyse la plus rigoureuse des caractéristiques théoriques d’une idée politique proposée. Dit autrement, il s’agit d’une forme de jugement qui ne mobilise aucun autre mécanisme de la pensée que celui qui vise à évaluer la capacité d’une solution (l’idée politique neuve) à répondre logiquement à une problématique donnée (ex : l’apathie politique, les inégalités économiques et sociales, l’inconfort voire le malheur social). Il s’agit d’une forme de jugement qui se limite aux bornes de la théorie avancée, sans prendre en considération d’autres facteurs d’appréciation que peuvent être par exemple le retour d’expérience et la mise en situation concrète du concept proposé. Nous verrons d’ailleurs à travers les autres formes de jugement qu’il est possible d’activer d’autres processus cognitifs que la logique théorique pure afin de fédérer des individus autour d’une idée politique neuve. Bien entendu, compte tenu du fait que le jugement par la raison ne tient compte d’aucune autre considération que la logique théorique, il est tout à fait possible que ce jugement débouche sur des questions en suspens, non élucidées par manque de données suffisantes. Il est très important de souligner que le jugement par la raison n’est pleinement achevé qu’à la condition que l’auditeur ait reçu une information honnête et complète de la part d’un émetteur ou d’un ensemble d’émetteurs. Le succès des mécanismes qui visent à provoquer le jugement par la raison dépend largement de deux facteurs : la qualité d’émission du message destiné à décrire le concept politique théorisé (le message est-il transmis de façon sincère, honnête et sans biais d’aucune sorte ?) et la qualité de réception de ce même message par un sujet dont on espère obtenir l’approbation (le sujet est-il dans les meilleures dispositions intellectuelles pour recevoir le message ? dispose-t-il d’un temps d’écoute suffisant ?). Ainsi à la question « devrions-nous utiliser le jugement par la raison pour obtenir l’adhésion du plus grand nombre ? », la réponse est « oui » mais à condition de maîtriser suffisamment bien les canaux de diffusion de nos idées afin de maximiser les chances de notre idée théorique (ex : le RIC Constituant) de faire mouche. Bien entendu, il serait vain de tenter de maîtriser la qualité du dispositif aval de la chaine de communication (la réception du message), toutefois, nous pouvons très bien intervenir par l’action sur la partie amont (son émission). Une nouvelle fois, pour toutes les raisons évoquées au cours de ce chapitre, la conviction des membres du projet Ecclésia, incluant bien entendu l’auteur de ces lignes, est que le moyen le plus qualitatif pour assurer la communicabilité des innovations démocratiques de notre époque (l’émission de notre message sous une forme complète et honnête, non dénaturée) est de rendre cette communication immanente à partir de l’objet politique même, c’est-à-dire l’Etat-Nation sans frontières. La création de cet objet politique est donc notre recommandation pour provoquer le jugement par la raison et maximiser nos chances de le rendre favorable. Notez toutefois qu’il est possible voire indispensable de combiner le jugement par la raison à d’autres formes de jugement afin de renforcer nos chances d’obtenir notre fameux graal : l’assentiment du plus grand nombre en ce qui concerne les idées de la démocratie sincère.
C’est dans cette perspective que nous nous devons d’évoquer le jugement par l’expérimentation. Quoi de mieux pour se forger une opinion sur une solution politique potentielle que de l’éprouver matériellement ? L’expérimentation est le compagnon fidèle de tout esprit scientifique. Elle permet de transcender la théorie afin de faire émerger les angles morts de la pensée humaine, d’identifier ce qui était difficilement prévisible sur le papier. L’expérimentation est de surcroît difficilement contestable car elle est une preuve vivante, observée et observable, de la viabilité d’une solution politique. Enfin, l’expérimentation est précieuse dans une perspective d’amélioration continue : elle permet de repérer les failles de l’idée politique éprouvée et de proposer des voies d’optimisation. Idéalement, les caractéristiques de l’expérimentation sont poussées au plus près des conditions réelles d’existence de l’idée politique afin de limiter le plus possible les biais expérimentaux comme l’effet Hawthorne qui postule que les résultats d’une expérimentation peuvent être gauchis par la simple présence de l’expérimentateur. Ainsi et en toute logique, les minorités politiques désireuses de gagner l’adhésion du plus grand nombre se doivent de déployer des initiatives concrètes, au plus proche des conditions du réel, afin de provoquer le maximum de jugements avisés. Les sujets récepteurs, puissamment « éclairés » par les résultats d’une expérimentation rigoureuse, ne pourront alors formuler une opposition franche qu’à la condition de son insuccès. A l’inverse, ils ne pourront qu’accepter le bien-fondé d’une expérimentation réussie. Celle-ci est donc un élément clé de notre stratégie visant à obtenir l’agrément du plus grand nombre. Pourtant, si nous avons aujourd’hui pris l’habitude de parler beaucoup des innovations démocratiques que nous appelons de nos vœux (afin d’occasionner le jugement par la raison chez nos interlocuteurs), et si nous avons aussi pris le pli de l’expérimentation pratique à travers – par exemple – l’organisation d’ateliers constituant, force est de constater que nous n’avons pas encore joué la carte de l’expérimentation pratique au plus près du réel. Car si les ateliers constituants sont de très bons exercices pour développer l’intérêt des populations pour la question de la réappropriation citoyenne de la constitution d’un Etat, mais aussi plus largement pour la question de la réappropriation de l’écriture des règles, voire pour développer le « moi-pensant » politique d’un individu, force est de constater que ceux-ci n’ont pas pour objectif premier d’offrir un retour d’expérience complet sur la viabilité opérationnelle d’un Etat construit sur la base de mécanismes sincèrement démocratiques. Ce retour d’expérience, dis-je, est incomplet car il ne permet pas d’affirmer à un interlocuteur à convaincre : « nous avons fait l’Etat sincèrement démocratique sur une période donnée, voici ses atouts et voici ses inconvénients ». C’est ainsi qu’une idée telle que la création d’un Etat-Nation sans frontières pourrait s’avérer très utile pour convaincre grâce à la mise en place d’une expérimentation dont l’ampleur et les objectifs pourraient être sans précédent. Nul doute qu’une telle initiative permettrait de pousser l’expérimentation à un niveau de réalisme sans précédent et nous fournirait des histoires à raconter sur des sujets très précis qui focalisent parfois excessivement l’attention de nos contradicteurs : des « citoyens moyens » peuvent-ils écrire des articles de constitution ? le tirage par le sort est-il plus vertueux que l’élection ? l’apathie politique est-elle une fatalité ? etc.. Si, comme le souligne Arendt, notre originalité en tant qu’émetteur d’une proposition politique neuve dépend de notre aptitude à nous faire comprendre de ceux qui se posent en spectateur de l’échiquier politique, alors nous devrions reconnaitre que les mots sont parfois insuffisants pour convaincre et qu’il est certainement nécessaire de donner un coup d’accélérateur à nos initiatives expérimentales. Gandhi ne disait-il pas « soyez vous-même le changement que vous voudriez voir dans le monde » ? Ne faut-il pas que nos actions éclairent davantage que nos paroles pour convaincre le plus grand nombre ?
Si éprouver une idée à l’aune de l’expérimentation est une bonne façon de se doter d’arguments solides pour convaincre les spectateurs de l’échiquier politique, le jugement en situation le surclasse nettement dans la perspective de remporter durablement leur adhésion. Bien entendu, et comme nous l’avons déjà évoqué précédemment, les formes de jugement se combinent, il n’est donc pas question de substituer le jugement par l’expérimentation par le jugement en situation. Toutes ces formes de jugement peuvent se compléter assez admirablement pour peu qu’un projet politique se donne les moyens stratégiques et matériels de les provoquer tous de manière simultanée. De surcroît, il faut souligner que le jugement par l’expérimentation est un prérequis indispensable pour faire advenir le jugement en situation. L’un ne fonctionne pas sans l’autre. Le jugement en situation donc, consiste à rendre acteur le récepteur d’une idée politique quelconque ; à le placer dans la peau du « faiseur ». Qui n’a jamais mieux adhéré à une idée que lorsqu’il s’est senti la posséder lui-même ? Emettre une idée ou être profondément convaincu par elle, c’est se sentir connecté à celle-ci par l’intermédiaire de son égo, c’est estimer qu’elle fait littéralement corps avec soi-même. Il est généralement très difficile de récuser les convictions d’une personne ayant atteint l’âge adulte pour la simple raison qu’une objection voire une remise en question totale de ces convictions est associée par le sujet qui les reçoit à un rejet de son être. Or, devenir l’acteur direct d’un projet politique, c’est quelque part associer son concept, son idée fondatrice, à son Moi intérieur. Le terme « praxis » définit parfaitement ce mécanisme : l’action pratique, non contemplative ou théorique, qui transcende le sujet. J’agis dans le cadre d’une initiative politique quelconque, ces actions deviennent un constituant de mon être, je réalise alors grâce aux mécanismes de la réflexivité tout le potentiel de l’idée politique pour laquelle j’agis et dont je ne percevais pas encore jusqu’alors tous les tenants et les aboutissants. A l’inverse, il est possible que la praxis conduise le sujet à percevoir les limites de l’idée politique pour laquelle il offre ses services. Ainsi et pour qui fait preuve d’honnêteté intellectuelle, agir de façon pratique pour faire vivre une idée politique, c’est explorer tout son potentiel et c’est donc être dans la meilleure position possible pour en produire un jugement qualitatif. Resitué dans la perspective de nos réflexions concernant la publicité des innovations démocratiques, cela signifie que les personnes qui témoignent un intérêt variable, de timide à franc, pour des idées telles que le RIC Constituant, ne peuvent devenir les plus légitimes pour juger ces idées qu’à la condition qu’ils se placent eux-mêmes en situation de pratique durable de ces mécanismes politiques. Dit autrement, les personnes les plus légitimes pour juger (et donc s’exprimer sur) des idées politiques telles que le RIC Constituant seront celles qui choisiront d’être les membres actifs d’une organisation humaine ayant vocation à les utiliser. Réaffirmons donc une nouvelle fois notre utopie : pour rendre favorable le jugement du plus grand nombre en ce qui concerne les innovations démocratiques de notre ère, il est nécessaire de construire un Etat-Nation sans frontières capable de placer ses membres dans la posture d’expérimentateurs actifs des mécanismes de la démocratie sincère.
Terminons ce panorama en évoquant le jugement par association d’idées qui, une nouvelle fois, pourra très bien s’additionner aux autres formes de jugement. Celle-ci est probablement moins vertueuse que les précédentes en ce sens qu’elle vise moins à obtenir une pleine adhésion du plus grand nombre aux contenus substantifs proposés par un projet politique que d’obtenir leur agrément par des moyens détournés et périphériques à l’idée politique en elle-même. En effet, il n’est pas rare que nous nous laissions convaincre par des projets politiques non pas parce que nous avons analysé méthodiquement la substance profonde des idées qu’ils portent mais plutôt parce que ces projets agitent des chiffons rouges qui excitent certains traits identitaires, sociaux ou culturels qui nous sont chers. Par exemple, si je tiens en très haute estime une personnalité publique quelconque, je serais davantage enclin à porter un jugement favorable sur le projet politique qu’elle pourrait être amenée à rallier, sans même avoir pris le temps d’en étudier attentivement les propositions. Ce processus cognitif peut fonctionner exactement de la même manière en ce qui concerne une grande variété de « chiffons rouges » qu’un projet politique est susceptible d’agiter. Cela peut concerner des personnes, des organisations, des images, des symboles associés au projet politique ou les caractéristiques identitaires de ses principaux protagonistes (exemple : leur niveau de diplôme, leur sexe, leur âge, leur métier, etc…). Mais cela peut aussi concerner des idées. Lorsqu’une idée est implantée avec habilité dans un esprit humain, le sujet qui la porte en haute estime peut progressivement perdre de vue les fondements logiques ou moraux de celle-ci et la reconnaître simplement en tant qu’objet intellectuel non conscientisé. Une fois que la conscience se retire, l’individu est capable de continuer à soutenir l’idée avec ferveur, cela même en présence d’arguments logiques nouveaux susceptibles de remettre en question sa pertinence. Arrivé à ce stade, le sujet est mûr pour être manipulé par des intentions malhonnêtes. Arrivé à ce stade, il est possible d’obtenir l’assentiment de l’individu sur des idées qu’il n’aurait jamais rallié dans un autre cadre. Il semble en effet possible d’associer une nouvelle idée à l’objet intellectuel non conscientisé afin de faire « passer la pilule ». Par exemple, il n’est pas exclu de voir un jour émerger une situation par laquelle :
- A : un groupe de citoyens conscientise la problématique du réchauffement climatique ce qui les amène à se préoccuper sincèrement de ses effets sur l’Homme et sur l’environnement.
- B : leur conscience se retire progressivement et leur perception de la lutte contre le réchauffement climatique se transforme en un « objet intellectuel non conscientisé » qu’ils continuent de soutenir comme un but, une finalité ultime.
- C : Des individus mal intentionnés remarquent que le réchauffement climatique est devenu un objet intellectuel majoritairement non conscientisé. Ils y trouvent des opportunités pour assouvir leurs intérêts personnels.
- D : Ces mêmes individus utilisent le prétexte du réchauffement climatique pour mettre en place un régime totalitaire, limitant drastiquement les libertés individuelles et les droits de l’Homme. Ce faisant, ils détiennent les clés de tous les pouvoirs, y compris le pouvoir économique.
- E : Le groupe de citoyens évoqué en étape A adhère désormais à la limitation des libertés et les atteintes aux droits de l’Homme. Idées qu’ils n’auraient jamais soutenues si celles-ci n’avaient pas été associées à l’idée de lutte contre le réchauffement climatique.
Notez que certains des lecteurs du présent ouvrage sont jusqu’ici victimes de manipulations dans le but de provoquer chez eux le jugement par association d’idées. En effet, si j’ai parsemé cet ouvrage de termes clés tels que « RIC Constituant », c’est bel et bien car j’estime que ces termes deviennent pour certains de mes congénères des « objets intellectuels non conscientisés ». Il m’a paru opportun de les utiliser en tant que tel afin de maximiser les chances de rendre favorable le jugement de mes lecteurs, amis du RIC Constituant, en ce qui concerne le concept d’Etat-Nation sans frontières. N’y voyez pas là pour autant un quelconque déni de ma part en ce qui concerne l’idée du RIC Constituant que je trouve excellente. Voyez‑y davantage une mise en garde de ma part : nous devons collectivement restés vigilant à ce que nos idées ne perdent jamais l’attention de notre conscience à défaut de quoi nous pourrions continuer à les soutenir sans réaliser qu’elles sont désormais dépassées par le contexte sociétal ambiant voire en rupture avec les fondements de la morale.
Notez que si vous constatez que l’intention de ce petit test manipulatoire se vérifie, même dans un nombre limité de cas, cela démontre la puissance des mécanismes qui visent à provoquer le jugement par association d’idées. Cela démontre que nous ne devons pas nous interdire d’utiliser ces mécanismes dans la perspective de fédérer le plus grand nombre autour des idées démocratiques innovantes, qui convergent vers le bien. Ainsi en addition de cette proposition qui consiste à créer un Etat-Nation sans frontières et dans la perspective de rendre favorable le plus grand nombre de jugements possibles en ce qui concerne ce projet, je formule l’utopie suivante : réunir autour d’un tel projet le maximum de personnalités publiques dont l’aura lui serait favorable et dont les idées politiques sont suffisamment proches pour que cela ne leur pose pas de cas de conscience majeur. La publicité de leur ralliement serait sans conteste un puissant levier destiné à convaincre le plus grand nombre.
Nous avons évoqué la nécessité de créer notre propre espace de communicabilité ainsi que différentes techniques visant à rendre favorable le jugement du plus grand nombre en ce qui concerne les innovations démocratiques de notre époque. C’est une bonne chose. Nous devons maintenant comprendre les mécanismes d’une révolution afin de dépasser certains de nos préjugés et images d’Epinal qui nous conduisent souvent à être excessivement attentistes, c’est-à-dire à attendre des mouvements insurrectionnels d’ampleur, spontanés, non coordonnés, déclenchés par la prétendue existence d’une « volonté du peuple ».
Gautier David, projet Ecclesia.
Site :
[1] Hannah Arendt citée par Romain Karsenty dans « le germe grec de la démocratie : Castoriadis et Arendt en dialogue ». édition Kimé. Page 89.
[2] E.Kant, Conflit des facultés, deuxième section, II, 6, cité par Romain Karsenty in « Le germe grec de la démocratie : Castoriadis et Arendt en dialogue », éditions Kimé. page 83.
[3] Wikipedia. Janvier 2023. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_%C3%A9ditoriale
Bonjour,
Merci de partager ce genre d’initiatives qui sont en rupture avec les propositions « traditionnelles ». Nous avons, me semble-t-il, besoin d’idées neuves pour nous sortir du bourbier dans lequel nous nous laissons enfoncer un peu plus chaque jour !
Est-ce déjà démarré ? Je vais les contacter !
Merci encore !