Chers amis,
Ronald Mazzoleni, ami belge, médecin et fidèle lecteur de ce blog depuis bien longtemps, a fait l’immense effort de traduire très soigneusement le dernier livre de Peter C Gøtzsche : « Le déclin et la chute de l’empire Cochrane ».
C’est formidable de rendre disponible aux francophones ce livre important (sur la corruption tragique d’une grande institution scientifique de référence), et je remercie Ronald du fond du coeur.
Nous avons contacté Peter, pour lui demander l’autorisation de publier, il est très heureux que son livre soit ainsi traduit en français, et il l’a publié sur son propre site.
Livre important à télécharger gratuitement sur cette page : scientificfreedom.dk/books/
Vous pouvez aussi le feuilleter ici :
Je reproduis ci-dessous le plan et la présentation de l’ouvrage :
Plan du livre :
Présentation de l’ouvrage
Par le traducteur
Par l’auteur
1 Introduction
Cochrane expulse l’une de ses personnes les plus connues
2 Le déclin moral de Cochrane a commencé en 2011
3 Mark Wilson, le nouveau directeur général de Cochrane, s’est montré hostile et destructeur dès le premier jour
4 La destruction systématique des centres Cochrane par Wilson
2013 : Wilson tue le livre d’Alan Cassels sur le 20e anniversaire Cochrane, qui contenait trop de Gøtzsche
2014 : Wilson ruine délibérément ma réputation
2015 : Mon article dans le Daily Mail sur les médicaments psychiatriques
2016 : Un usage approprié de la politique de représentant pendant que Wilson était en vacances
2017 : La TV irlandaise sur les vaccins contre le papillomavirus
2018 : L’en-tête était pour Wilson plus important que la cause de la mort de jeunes gens
2018 : Mon témoignage d’expert dans un procès néerlandais pour double homicide
5 Mon élection au conseil de direction en janvier 2017 et le micromanagement stupide de Wilson
De graves falsifications de procès-verbaux de réunions à Genève en 2017
6 Cochrane au service de l’industrie
7 L’empereur s’humilie devant son entourage
8 Wilson intensifie le conflit à l’extrême
9 Préparatifs pour le simulacre de procès
10 Ma réponse aux critiques dans mon rapport de 66 pages à l’avocat
2003 : Lettre du coprésident du comité de pilotage, Jim Neilson
2017 : Quand l’empereur s’est humilié devant son entourage
Burton a menti de manière flagrante dans son rapport à l’avocat sur les décisions prises à Genève en 2017
11 Réponse de Wilson à l’avocat
12 Le simulacre de procès
La politique de représentant : La main tendue de Wilson à l’industrie pharmaceutique
L’éloge de l’avocat à l’égard de ceux qui l’ont payé
Ma critique des drogues psychiatriques a été la principale raison de mon expulsion
2015 : Le débat sur Maudsley
Notre critique de l’étude Cochrane sur le vaccin contre le papillomavirus a contribué à mon expulsion
Burton a probablement orchestré des lettres de plainte dans l’affaire du vaccin contre le papillomavirus
Le pathétique théâtre amateur de Burton
Accusations de harcèlement sexuel, Me Too
Comment pouvons-nous le mettre dehors et quelles sont les conséquences ?
Le final
13 Mon expulsion et les réactions dans les médias
Les instructions de Burton à l’avocat étaient frauduleuses
Le charabia de Wilson à ma dernière réunion des directeurs de centre
Le discours de haine de Burton lors de l’assemblée générale annuelle
14 Les mois suivants
Déclarations mensongères du conseil d’administration et appels à une enquête indépendante
Les webinaires Cochrane ont menti sur les raisons de mon expulsion
L’analyse brillante de Hammerstein sur le simulacre de procès et Cochrane
Jos Verbeek, rédacteur du groupe Cochrane Work, crée un contre-mouvement
15 Mark Wilson, le directeur général de Cochrane, m’a fait mettre dehors de mon poste au Danemark
Lettres et articles de soutien pour empêcher mon licenciement
Le plan directeur va au-delà de Cochrane
16 Qui était Mark Wilson et a‑t-il été placé dans le but de détruire Cochrane ?
17 Qui était la personne que Cochrane a expulsée ?
La vie après Cochrane
Vidéos de conférences et d’interviews
Présentation de l’ouvrage par le traducteur (Dr Ronald Mazzoleni)
Le recrutement non ploutocratique du personnel politique, qu’il s’agisse des chefs ou des partisans, est lié à cette condition évidente que l’entreprise politique devra leur procurer des revenus réguliers et assurés. Il n’existe donc jamais que deux possibilités. Ou bien l’on exerce « honorifiquement » l’activité politique, et dans ce cas elle ne peut être menée que par des personnes qui sont, comme on dit, « indépendantes », c’est-à-dire par des personnes qui jouissent d’une fortune personnelle, avant tout par des rentiers. Ou bien l’on ouvre les avenues du pouvoir a des personnes sans fortune et, dans ce cas, l’activité politique exige rémunération. L’homme politique professionnel qui vit « de » la politique peut n’être qu’un pur « prébendier » ou bien encore un « fonctionnaire » rémunéré. En d’autres termes il peut percevoir ses revenus, soit sous la forme d’honoraires ou d’émoluments pour des services déterminés – les pots-de-vin n’étant qu’une forme dénaturée, irrégulière et formellement illégale de cette sorte de revenus -, soit sous la forme d’une rémunération fixe en nature ou en espèces, soit sous les deux formes à la fois.
Max Weber, Le savant et le politique.
Le récit qui va suivre ne traite pas de la fondation Cochrane. Certes, la collaboration connue pour ses revues de l’information médicale est le cadre dans lequel se sont déroulé les événements rapportés. Mais les personnages, les conflits et les enjeux en question se retrouvent dans bien d’autres structures similaires. « Le déclin et la chute de l’empire Cochrane » nous offre à voir en détail le fonctionnement d’une telle organisation et le cours des événements, qui plus est par un témoin direct habitué à l’analyse des conflits d’intérêts.
Cochrane est une organisation à but non lucratif fondée sous la conduite de Iain Chalmers au Royaume-Uni en 1993. Elle a pour objet le recensement, la mise à jour et l’analyse des revues systématiques des études cliniques menées dans le domaine médical. Elle sélectionne les études sur base de leur qualité méthodologique et vise à minimiser les biais. Ces analyses sont présentées sous forme de « revues systématique » ou « méta-analyses » des données scientifiques sur le sujet. Même si son centre névralgique est en Grande-Bretagne, elle a été d’emblée une organisation internationale. Des chercheurs du monde entier y participent, avec des centres nationaux dans différents pays. Ces centres sont initialement assez indépendants les uns des autres, et mènent leur recherche propre. Peter C Gøtzsche fait partie dès 1993 des cofondateurs. Cette même année, il met en place le Nordic Cochrane Centre à Copenhague. Très actif dans la publication d’analyses, il est particulièrement minutieux vis-à-vis de l’influence des intérêts commerciaux de l’industrie pharmaceutique sur les études publiées, y compris dans les méta-analyses critiques.
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La Collaboration Cochrane est coordonnée par un conseil d’administration (governing board) qui désigne un directeur général. En 2012, un nouveau directeur général est engagé : Mark Wilson. Celui-ci va rapidement changer les habitudes de fonctionnement de Cochrane. Alors que les centres régionaux étaient très autonomes, il va oeuvrer à réduire leur indépendance au profit de la direction générale. Il tente de renforcer son contrôle direct sur ceux-là, et son interventionnisme se heurte à plusieurs responsables de centres. Il cherche à développer une culture de la hiérarchie et à supprimer les fonctionnements démocratiques.
Il met l’accent sur l’image de la fondation. Imprégné de l’esprit du monde des affaires, pour lui les controverses nuisent à l’image des marques et il faut donc les étouffer. Une entreprise ne peut pas permettre l’expression de voix divergentes de la direction et doit être une structure autoritaire. Il voit la recherche comme une activité industrielle qui nécessite un investissement pour aboutir à une marchandise manufacturée. Il renforce la bureaucratie et la procéduralisation, et accroit le nombre d’employés. Il fixe des objectifs chiffrés qui doivent être respectés par les centres. Tous ces changements vont entrainer des conflits à répétition avec Gøtzsche.
Ce dernier a en effet des opinions diamétralement opposées. La recherche de la vérité scientifique passe avant tout et ne peut se compromettre. Il est nécessaire que les débats d’opinions se mènent librement, sans se soucier des mécontentements personnels que cela peut induire, et sans se préoccuper d’éventuels intérêts économiques. Les centres doivent pouvoir mener leur activité de recherche et de publication de manière autonome. Il est aussi un farouche partisan de la suppression de tout conflit d’intérêt au sein de l’organisation. Il a publié de nombreux écrits critiques, notamment contre la prescription abusive des médicaments psychiatrique, et pour mettre en avant les effets secondaires du vaccin contre le papillomavirus. Cela entraîne des controverses, et des lettres de mécontentement – notamment de psychiatres – qui parviennent jusqu’à Wilson.
Wilson craint de froisser les donateurs et que le comportement de Gøtzsche, loin d’améliorer l’image de Cochrane, ne lui nuise. Il lui reproche ses prises de position publiques qui lui aliènent une partie du milieu médical et industriel, comme Gøtzsche le raconte dans les passages relatifs aux médicaments psychiatriques et au vaccin contre le papillomavirus. Wilson ne peut admettre qu’un discours dissident s’écarte de sa stratégie de relations publiques.
En 2017, pour mettre en œuvre sa vision de la fondation et se protéger des attaques de Wilson, Gøtzsche se fait élire au conseil d’administration. Mais en vain : en 2018, à l’occasion d’une plainte de Wilson relative à la manière dont Gøtzsche s’exprimait lors de ses interventions, il est l’objet d’une procédure de la part du conseil d’administration de Cochrane. Un audit est réalisé par un cabinet d’avocats à la demande de l’un des co-présidents, Martin Burton. C’est ce dernier qui mènera l’essentiel du « procès ». Gøtzsche consacre de nombreuses pages au déroulé des débats. Les multiples détails de ceux-ci et les manœuvres utilisées par ses adversaires ne sont pas d’importance fondamentale mais seront enrichissantes pour le lecteur qui serait amené un jour à se retrouver dans une semblable situation.
La réunion du conseil d’administration est pour Gøtzsche un simulacre de procès. Elle se base sur une enquête menée par un cabinet d’avocat extérieur pour afficher un semblant d’objectivité mais les échanges sont confus, les arguments ne sont pas étayés et il n’est pas tenu compte des éléments objectifs recueillis. Les règles statutaires sont floues, et sont interprétées de manière variable selon les membres concernés, lorsqu’elles sont appliquées. On comprend que beaucoup ne reprochent pas réellement à Gøtzsche une action spécifique qui serait contraire aux statuts mais essentiellement une attitude générale. Il semble qu’aucun membre n’ait réellement lu les documents qu’il apporte à sa défense. Il lui est reproché de manquer de solidarité à l’intérieur de la collaboration. En effet, pour certains, les divergences d’opinions scientifiques devraient être confinées à l’intérieur et ne pas être mises sur la place publique. L’expression de l’opinion de Cochrane doit paraître consensuelle. Gøtzsche a une attitude peu diplomate qu’il reconnait volontiers, ce qui va lui aliéner plusieurs membres. Ses adversaires n’hésitent pas à utiliser ou contourner les règles selon leur intérêt, ce qui équivalait à de la diffamation. Des accusations mensongères sont portées par Wilson et Burton. On voit certains membres céder progressivement à l’accusation par facilité, par esprit de groupe, ou par crainte.
Après un long débat, la procédure aboutit finalement à l’exclusion de Gøtzsche de l’organisation. En réaction, quatre membres du conseil démissionnent, un grand nombre de critiques internes et externes à Cochrane se manifestent, et de nombreuses personnalités quittent la collaboration. Gøtzsche tente de faire valoir son bon droit devant l’Assemblée Générale mais rien n’y fait, la machinerie finira de l’éliminer. De nouvelles élections partielles auront bien lieu mais leur organisation et l’information sont contrôlées par la direction de Wilson. Pour parachever la débâcle, sur pression de la direction de Cochrane, l’hôpital public qui emploie Gøtzsche au Danemark le licencie.
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Pour Gøtzsche, son exclusion est le fruit d’une campagne de manipulations et de mensonges de Wilson sur l’ensemble du conseil d’administration et de la fondation. L’orgueil et la personnalité de Wilson le poussaient à établir un contrôle total de la structure pour servir son ambition. Il lui a été possible d’asseoir ce contrôle parce qu’il pouvait faire pression, avec l’appui de Burton, sur le petit nombre de décideurs constituant le conseil d’administration. Gøtzsche, considérant que si Wilson pouvait maitriser le conseil, il ne pourrait rien contre l’ensemble des collaborateurs de Cochrane, et que lui Gøtzsche pourrait faire contrepoids en alertant sur sa cause et en faisant appel à l’assemblée générale. Ce fut en vain.
Mais ces explications individuelles ne sont pas pleinement satisfaisantes.
C’est le conseil d’administration qui initialement avait pour projet de renforcer la centralisation du pouvoir au sein de la Collaboration et de doper la récolte de fonds et a recruté et sélectionné Wilson pour ce faire. Toutes les décisions prises par le conseil d’administration le sont à la majorité. Lorsque Wilson voulait pousser à des décisions à l’encontre de Gøtzsche, il a trouvé une majorité de ses membres prêts à voter en ce sens. C’est l’ensemble du conseil qui mène le « procès », et la majorité exclut Gøtzsche. Wilson ne fait pas partie du conseil d’administration. Gøtzsche évoquant Burton et Wilson parle de fripouilles (scoundrel) individuelles, mais c’est tout le vice de l’organisation qui a mené à cette situation.
Il y a en fait un conflit de valeurs et de vision du monde qui divise les acteurs du drame.
Gøtzsche se voit au service d’une cause. Il veut combattre la corruption et que Cochrane influe sur la prise de décisions politiques. Wilson, lui, veut assurer les rentrées financières, offrir de Cochrane une image lisse et ne pas intervenir dans le débat politique. Burton veut assurer sa carrière.
De la vont découler des attitudes différentes : alors que Wilson et Burton mettent en avant le respect de l’autorité contre ce que Gøtzsche estime être l’esprit de Cochrane : la libre critique de tous.
Il est révélateur qu’au cours des débats, la coprésidente affirme que « l’ancien régime » est celui ou tout le monde est libre d’exprimer ses opinions. Il y a au sein de Cochrane une culture du soutien mutuel entre ses membres. Ce qu’il est reproché à Gøtzsche, c’est d’agir de manière personnelle, de poursuivre ses objectifs indépendamment de ceux des autres, ne pas avoir le sens du compromis, ne pas être clanique (clubbish). Il n’hésite pas à critiquer d’autres membres et groupes de la Collaboration s’il estime que leurs travaux ont des failles scientifiques. On remarquera qu’à plusieurs reprises, Gøtzsche s’identifie à un résistant face au nazisme ou au stalinisme, ce qui ne peut qu’écarter toute solution de compromis.
Les problèmes structurels de la Collaboration Cochrane sont de deux ordres.
Premièrement, il n’y a pas de procédures bien définies, notamment pour éviter les abus de pouvoir. Les initiateurs de la Collaboration, tout à leur enthousiasme des débuts, n’avaient pas envisagé que des situations de tels abus se développent. On voit que les règles ne sont pas appliquées systématiquement, mais uniquement quand elles servent à la répression par le pouvoir. Il y a deux poids deux mesures, selon le bon vouloir des principaux dirigeants. Or, les règles ne sont rien sans la volonté des individus de les faire respecter.
Il n’y a notamment pas de procédure de destitution d’un conseil d’administration dysfonctionnel ou de moyen de le contrebalancer. L’assemblée générale est impuissante face au petit nombre des leaders bien décidé à faire prévaloir ses positions. Le conseil d’administration est certes élu, mais la direction a tout le contrôle sur le déroulé des élections : elle désigne son propre conseil d’administration, les centres étant dispersés, ils n’ont pas une vision d’ensemble de la situation et des rapports de force.
Secondement, il n’y a pas de modèle économique viable. Il est basé essentiellement sur le bénévolat. Gøtzsche part du principe que les collaborateurs se sont engagés au nom d’un idéal, et qu’il y aura toujours des bénévoles pour poursuivre le travail qu’il a fait. Pour Gøtzsche, si Cochrane ne peut survivre sans financement de l’industrie, elle doit mourir. Mais il est assez isolé sur cette position. Personne en effet parmi les collaborateurs n’a de ressources financières à consacrer à Cochrane, tout le monde est bénévole et vit de subventions faites pour d’autres buts. Lors de la procédure de recrutement qui a mené à l’entrée en fonction de Wilson, l’un des problèmes qui se posait et que les membres du conseil d’administration de l’époque voulaient améliorer était la récolte de fonds. Wilson avait mis en avant ses aptitudes dans ce domaine. Il considère qu’on ne peut pas compter entièrement sur le volontariat pour motiver les chercheurs, qu’il est nécessaire de gérer Cochrane comme une entreprise, avec des travailleurs qui fournissent un produit – l’analyse critique – en échange d’une rémunération. Dans cette vision, il est nécessaire d’avoir des ressources financières pérennes pour maintenir une activité au long cours. Celle-ci doivent venir soit d’acteurs publics soit d’acteurs privés. Wilson est à la recherche de sponsors. Il lui faut donc une fondation qui a une image attractive pour ceux-ci. Pour qu’une entreprise soit financée par des subsides, il faut soigner son image. Pour avoir une bonne image, il faut éviter les conflits, et donc il faut une gestion coordonnée et centralisée. Il tente d’améliorer les relations avec l’industrie pharmaceutique pour assurer ce financement. Or, l’industrie comme donateur a des buts opposés à ceux de Cochrane. Et les pouvoirs publics, eux, peuvent avoir des convergences avec la Collaboration, mais ont de multiples intérêts qui pourront être plus prioritaires.
Cochrane se trouve ainsi dans une situation où elle poursuit plusieurs buts. D’une part trouver un mode de financement régulier, et mettre en place une certaine manufacture de son « produit », les méta-analyses. Pour cela, il est nécessaire d’adopter un profil plus entrepreneurial, et abandonner le modèle d’organisation libre et décentralisée pour une organisation plus hiérarchisée, où la stratégie d’entreprise est décidée et clairement définie. Cet objectif de financement nécessite aussi de tenir compte des autres acteurs économiques et notamment les industries pharmaceutiques, qui ne subventionneraient pas une structure trop critique de leur activité. Des membres de Cochrane estiment que sans membres en conflit d’intérêts, il n’est pas possible de faire le travail d’analyse. D’autre part, en parallèle, Cochrane doit poursuivre le but pour lequel elle a été créée, c’est-à-dire rassembler les données scientifiques relatives à la prise en charge des maladies et en faire des synthèses critique. Cela nécessite de neutraliser les biais existants liés aux intérêts économiques, biais présents tant dans les études publiées que dans le chef des chercheurs de Cochrane amenés à examiner ces publications. Inéluctablement, à certains moments, ces deux buts viennent à s’opposer.
Ces questionnements sur le pouvoir et le financement n’ont émergé au sein de Cochrane qu’une fois la situation déjà verrouillée. Gøtzsche, lui, a fini par fonder un institut basé sur le financement participatif. Suite à la crise, d’autres membres développent une réflexion institutionnelle. Les 4 principes que Jos Verbeek propose résument les problèmes qu’il est nécessaire de résoudre :
1 Créer une culture de discussion ouverte
2 Se recentrer sur le coeur de Cochrane
3 Accroître la participation des membres de Cochrane
4 Trouver un meilleur modèle économique pour Cochrane.
Le problème de Cochrane était structurel. Gøtzsche aurait peut-être pu éviter l’exclusion par des solutions individuelles, en améliorant des relations interpersonnelles, ou en amenant plus d’acteurs-clés sur ses positions. Mais le conflit aurait resurgi ultérieurement.
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Le problème de toute organisation qui veut agir dans la société peut donc se résumer de la manière suivante. Les incitants à l’action sont limités, d’autant si cette action implique de s’opposer à des puissances installées. Soit la motivation est intrinsèque : les acteurs s’investissent par passion, par sens de la mission. Peu leur importe la rémunération matérielle. Ils sont alors voués à mener un combat dans la frugalité, à moins qu’ils ne disposent d’une fortune personnelle préalable qui leur permet de mener leur combat à titre gracieux. Dans les deux cas, le nombre de personnes qui peuvent être ainsi recruté est limité, et l’organisation est condamnée à restreindre ses ambitions. Soit on fait appel à des intervenants dont la motivation est extrinsèque, c’est-à-dire qu’ils sont prêts à s’engager dans l’action, mais à condition de percevoir une rémunération. Ce recrutement permet à l’organisation d’élargir ses buts. Mais se pose alors la question du financement. Il est possible de choisir de rechercher un financement par des acteurs privés ou des acteurs publics. Mais dans les deux cas, l’organisation se met dans la main du mécène. Elle ne peut plus espérer avoir des buts propres mais doit en permanence faire des compromis entre ceux-ci et ceux de ses donateurs, buts qui ne se confondent jamais entièrement avec ceux de l’organisation.
Le moyen – le maintien de l’organisation – devient plus important que la fin – ce pour quoi l’organisation a été imaginée au départ. Deux préoccupations s’opposent alors : la solidarité au sein de l’organisation face à l’extérieur entre en conflit avec la nécessité de la libre critique interne. La direction centrale souhaite accroitre son pouvoir décisionnaire et le justifie par un souci d’efficacité. Concomitamment, les salariés de l’organisation et tout ceux à qui elle permet de subsister souhaitent la stabilité et la pérennisation de la situation. Ils sont réticents à toute prise de risque et toute critique qui pourrait fragiliser l’organisation. Progressivement la centralisation du pouvoir s’accroit, et les ambitions s’éloignent de la mission initiale.
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L’opinion générale est que les professionnels de la science agissent pour le bien public. À l’extérieur comme à l’intérieur du monde de la recherche médicale, la norme attendue est que les travaux publiés soient vrais et honnêtes. Mais on ne peut compter sur l’honnêteté que si les acteurs de la recherche ont une vocation désintéressée pour la vérité. Et celle-ci ne peut émerger que si le système promeut la liberté d’expression des critiques et l’égal accès à l’espace de discussion.
De la manière dont la recherche clinique est construite, les acteurs qui cherchent à faire prévaloir la vérité sont en situation défavorable face à d’autres enjeux concurrents tels que les questions de pouvoir où d’accès au financement. Les situations telles que celle de la fondation Cochrane ne peuvent que se multiplier, et la confiance de l’opinion ne peut que s’éroder face à de tels organismes où la tromperie devient la norme. La recherche clinique rejoindra alors la longue liste des corporations dont le public n’attend rien de positif.
Dr Ronald Mazzoleni, traducteur, février 2023.
Présentation de l’ouvrage par l’auteur (Peter C Gøtzsche) :
Ceci est l’histoire de la corruption institutionnelle et de la transformation rapide d’une démocratie prospère en une tyrannie brutale. Cela explique pourquoi l’une des organisations les plus importantes de tous les temps dans le domaine de la santé, la Cochrane Collaboration, semble maintenant vouée à l’échec parce que la mauvaise personne a été embauchée comme directeur général en 2012. Il a systématiquement détruit Cochrane, en particulier les centres Cochrane très respectés, et un conseil d’administration faible l’a laissé faire. En avril 2021, il est soudainement parti sans message d’adieu, sept jours avant que le bailleur de fonds britannique n’annonce une importante coupe budgétaire. Beaucoup de choses qu’il faisait étaient très bizarres et difficiles à comprendre. Quelques journalistes se sont donc demandé : avait-il des amis puissants dans l’industrie de la drogue ? A‑t-il été placé pour détruire Cochrane ?
La liberté scientifique est constamment attaquée, en particulier dans le domaine de la santé, qui est dominé par l’industrie pharmaceutique et d’autres groupes d’intérêts. Les personnes qui disent la vérité au Pouvoir peuvent être démis de leurs fonctions. Cela m’est arrivé. La principale raison pour laquelle Cochrane m’a expulsé était que j’avais démontré dans mes recherches que les médicaments psychiatriques font plus de mal que de bien (1), ce que le grand public dit également lorsqu’il est interrogé. Vous pouvez télécharger gratuitement mon « Critical Psychiatry Textbook ». L’autre raison était que j’avais publié ma critique de la prestigieuse revue Cochrane des essais de vaccins contre le papillomavirus dans une revue scientifique (2).
Je crois qu’il est important de faire un film documentaire à ce sujet. Je travaille en partenariat avec le réalisateur de documentaires primé Janus Bang, de Facts Film à Fredericia, au Danemark, qui a montré plusieurs de ses documentaires à la télévision danoise. Il a des prises de vue remontant à 2015. J’ai des copies des enregistrements secrets du simulacre de procès de Cochrane où je n’étais pas autorisé à être présent et à me défendre contre les nombreuses fausses allégations inventées contre moi lors du simulacre de procès après que le propre avocat de Cochrane m’ait disculpé. J’ai documenté tout cela en détail dans deux livres (3,4). J’ai donné une conférence en 2019 pour les médecins de CrossFit aux États-Unis à propos de mon expulsion.
Cette période sombre de la science médicale où une institution autrefois digne de confiance s’est acquittée de sa tâche d’une manière qui reflète le fonctionnement de l’industrie pharmaceutique doit être largement connue. Janus et moi pensons que le film suscitera beaucoup d’intérêt. Nous espérons que vous soutiendrez le film, afin qu’il puisse être réalisé. Les dons serviront à couvrir les frais de production. Vous pouvez faire un don via ce lien : https://www.gofundme.com/f/film-about-the-lack-of-scientific-freedom.
Peter C Gøtzsche.
[…] La suite est à lire dans le livre…
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« Le déclin et la chute de l’empire Cochrane », un nouveau livre essentiel de Peter C Gøtzsche traduit en français par Ronald Mazzoleni (fidèle lecteur du blog)
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Merci beaucoup pour votre effort, c’est très intéressant