RÉPRESSION CONTRE LA RÉVOLUTION DES BARRIÈRES par Georges KUZMANOVIC, chez Régis de Castelnau
On peut, dans la France de 2020, ne pas être poursuivi pour un meurtre antisémite aggravé ; les femmes peuvent être violées quasi impunément ; on peut être un prédicateur fiché S financé par l’Arabie saoudite et appeler au meurtre ; on peut voler, frauder et mettre son argent dans les paradis fiscaux sans crainte ; tabasser impunément des manifestants le 1er mai en se déguisant en policier, tout en étant le toutou du Président de la République ; violer la Constitution et finir ministre en charge des retraites avant d’être remplacé à ce poste par quelqu’un d’aussi trouble ; être poursuivi pour prise illégale d’intérêts mais se maintenir au poste de président de l’Assemblée nationale ; faire 10 manifestations violentes en tant que Black Blocs et rentrer à chaque fois chez soi tranquille… mais si on a le malheur d’être Gilet Jaune, finir en prison au pas de course !
En un an, les Gilets Jaunes, pour la plupart travailleurs ou en recherche d’un véritable emploi, qui n’avaient souvent eu aucun engagement politique auparavant et qui ne demandaient qu’un peu de justice sociale et fiscale dans la cinquième puissance mondiale, se sont retrouvés avec des centaines de blessés graves – marqués, défigurés ou abîmés à vie –, mais aussi plus de 3 000 arrestations et 1 000 condamnations à de la prison ferme. Une répression digne d’un État totalitaire en panique.
Cette répression antisociale aveugle continue : ce mardi 7 janvier, le tribunal de Narbonne a condamné 21 prévenus sur 31 (tous Gilets Jaunes) à de la prison ferme. Un des condamnés, âgé de 29 ans, a même écopé d’une peine de 5 ans ferme.
Quel a été l’horrible crime de ce groupe de séditieux ?
Conspiration contre le pouvoir d’Etat ? Association terroriste ? Non ! Rien de tout cela. Ils ont commis un crime bien plus grave : dans la nuit du 1er décembre 2018, lors de l’acte III des Gilets Jaunes, ils ont incendié un péage d’autoroute !
Peut-on imaginer méfait plus odieux, plus intolérable ? C’est en tout cas ce qu’a dû se dire le très sérieux tribunal de Narbonne – qui n’a pas hésité à sanctionner sévèrement ces criminels endurcis. Ce jugement est au regard de la crise sociale que traverse la France et au regard de l’histoire de France une honte. Aucune recherche de paix sociale dans ce jugement, mais l’application assumée d’une justice de classe !
Donc, dans notre République, qui se dénature chaque jour un peu plus, des Gilets Jaunes – une émanation du peuple – ont été condamnés pour avoir incendié le bien d’une entreprise – Vinci – qui avait elle-même, par copinage politique, dépossédé le peuple de France de ses autoroutes. Car il faut quand même rappeler que les autoroutes, dont Vinci tire chaque année une fortune colossale sur le dos des Français, ont pu être construites grâce à l’impôt concédé par ces mêmes Français – ceux qui aujourd’hui, à Narbonne, finissent en prison. Jean Jaurès écrivait « Tandis que l’acte de violence de l’ouvrier apparaît toujours et est toujours défini, toujours aisément frappé, la responsabilité profonde et meurtrière des grands capitalistes, elle se dérobe, elle s’évanouit dans une sorte d’obscurité ».
N’est-ce pas là une honte nationale et un danger pour la France que ces retours à un 19ème siècle de guerre de classes ? Comment pouvons-nous accepter plus longtemps cet affront à la justice sociale et à la démocratie ?
On rétorquera que beaucoup de ces manifestants – plus de 200 pour 21 condamnés, une décimation qui rappelle, elle aussi, de mauvais souvenirs – étaient sous l’emprise de l’alcool et très excités. Assurément ! C’est le propre de ces moments insurrectionnels là. Ceux qui prirent la Bastille n’étaient pas poudrés et parfumés, ni même tous sobres. Ça se saurait !
On me dira que l’incendie du péage a détruit les locaux du peloton autoroutier de la gendarmerie. Certes, et c’est bien malheureux. Mais c’est aussi un malheur que des gendarmes – des hommes d’honneur servant l’intérêt public au risque de leur vie et pour de maigres soldes – doivent défendre un « bien » qui a été spolié au peuple de France, c’est-à-dire à eux-mêmes, par quelques puissants multimilliardaires.
Je rappellerai à l’occasion de cette tragédie un moment fondamental de l’histoire de France que l’on cherche à faire oublier, surtout en ces jours de révolte populaire. Le 14 juillet 1789 – date que nous commémorons chaque année parce qu’elle symbolise la naissance de notre République –, la prise de la Bastille ne s’est pas faite spontanément, mais fut la résultante et le paroxysme d’un vaste mouvement de contestation populaire. Cette journée du 14 juillet fut précédée d’autres journées d’émeutes culminant dans l’assaut des barrières de l’octroi : le peuple – ouvriers des faubourgs et bourgeois, aussi mêlés socialement en 1789 que les Gilets Jaunes en 2018–2019 – n’en pouvait plus de payer des taxes lors de passages de barrières entourant Paris. Ces barrières n’étaient alors pas autre chose que les péages d’aujourd’hui, et, pas plus qu’aux péages d’aujourd’hui, les taxes n’étaient perçues par l’Etat directement, mais par des méga-riches, les Fermiers généraux, auxquels le roi avait délégué le droit de percevoir l’impôt.
Remarque pour nos amis les gendarmes, plaignants dans cette affaire : lors de cette « révolution des barrières », le peuple de Paris fut soutenu par les soldats du régiment des Gardes françaises, qui le soutiendront aussi lors de la prise de la Bastille. Ces Gardes françaises formeront ensuite la Garde nationale, puis… les premiers régiments de gendarmes à pied. A méditer !
Je l’affirme : les entreprises d’autoroutes comme Vinci sont les Fermiers généraux d’aujourd’hui, qui prélèvent à leur bénéfice un impôt indu sur le dos des Français. Ce droit leur a été octroyé sous la présidence de Jacques Chirac et sous le gouvernement Lionel Jospin, mais aujourd’hui le secteur privé se prépare à ramasser une manne plus importante encore, le bon roi Emmanuel Macron se montrant prêt à brader la France à ses amis les oligarques. Aéroports, barrages, retraites, assurance-maladie : c’est open bar, tout doit basculer dans le privé.
Au fait… à qui Emmanuel Macron veut-il vendre Aéroports de Paris (malgré la catastrophe de la vente de l’aéroport de Toulouse aux Chinois) ? Hé oui : à Vinci.
« Ah ! ça ira, ça ira, ça ira… »
PS : Pour ceux qui souhaitent que la « barrière » des Aéroport de Paris ne finisse pas dans l’escarcelle du Fermier Général Vinci, signez et faites signer la « Proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris » proposée par des parlementaires LR, PS, LFI, UDI, PCF, EELV et MR encore soucieux de l’intérêt général.
Régis de Castelnau
Source : Vu du droit, https://www.vududroit.com/2020/01/repression-contre-la-revolution-des-barrieres/
Fil Facebook correspondant à ce billet :
Bonjour, j’arrive ici, en curieux, « super neutre », un premier contact avec ce site.
Je suis choqué : des gens ont incendié un bien d’une entreprise et sont condamnés. C’est normal. Soyons content qu’on ne permette pas cela. Point !
Je pense que vous êtes dangereux parce que vous utilisez des éléments corrects et vérifiables pour diriger le lecteur vers votre façon de penser : tantôt vous souhaitez la justice, tantôt vous contestez son application. Cela s’appelle de la manipulation (consciente ou non): de l’incohérence parsemée d’éléments correctes !
Les comparaisons que vous faites sont inadaptées et créent des amalgames.
Il n’y a qu’un public déjà convaincu pour vous suivre.
Les gillets jaunes ne doivent pas traîner ici : soit ils sont « récupérés », soit mal influencés !
« Super neutre » 🙂 mdr
Manifestement vous n’avez pas lu l’article et vous restez le nez sur un intitulé (« des gens ont brûlé un bien propriété d’une entreprise et ils ont été punis »).
Vous n’êtes manifestement pas sensible à la possibilité que « l’entreprise » en question soit mafieuse (elle s’est fait offrir un bien public important —les autoroutes et les péages— en corrompant au dernier degré les décideurs publics), ni à la possibilité que « sa propriété » soit scandaleusement illégitime et criminelle (les Français ont été condamnés à vie à payer l’impôt à une entreprise privée pour un bien qu’ils avaient pourtant eux-mêmes intégralement payé depuis des années). Chacun sa sensibilité.
Vous me dites : « tantôt vous souhaitez la justice, tantôt vous contestez son application ».
Non non : je souhaite la justice, point. Et quand l’institution chargée de rendre la justice ici et maintenant prend une décision manifestement injuste, je le déplore. Il est surprenant que vous ne le fassiez pas vous-même. C’est moi qui suis cohérent, il me semble, en ne faisant pas confiance aveuglément à une institution créée depuis son origine par les riches contre les pauvres, et en restant vigilant.
Quand aux manipulations, récupérations et autres « mauvaises influences », les médias (achetés par les plus grands propriétaires) nous en donnent des leçons tous les jours, en présentant toujours (comme vous ici) la réalité travestie sous l’angle antisocial de l’idéologie propriétariste (lire le dernier livre de Piketty sur l’idéologie mortifère des propriétaires, livre passionnant et important).
C’est trop d’honneur de me traiter de « dangereux », moi qui n’ai, comme tout pauvre électeur, aucun pouvoir de décider quoi que ce soit. Ce n’est pas moi qui détruit la sécurité sociale (hôpitaux, retraites, assurance chômage) ; ce n’est pas moi qui détruit le droit du travail ; ce n’est pas moi qui asphyxie financièrement tous les services publics pour pouvoir distribuer l’argent des impôts aux ultra-riches (en remerciement mafieux pour m’avoir porté au pouvoir) ; ce n’est pas moi qui vend les biens publics à mes amis crapules milliardaires ; ce n’est pas moi qui trahit le pays en vendant ses industries stratégiques à des puissances étrangères ; ce n’est pas moi qui condamne le pays à l’appauvrissement et au malheur en imposant (par la tyrannie de l’UE) le libre-échange, la dérégulation, le racket de la société par « la finance », le chômage, la désindustrialisation et les bas salaires (rien que ça) ; ce n’est pas moi qui fait tirer par la police sur mes opposants politiques, que je mutile, emprisonne et martyrise impunément ; ce n’est pas moi qui paralyse l’action de la justice en déclarant l’inopportunité des poursuites contre mes gravissimes abus de pouvoirs ; etc. Vous feriez mieux de réajuster vos lunettes pour identifier correctement les vraies personnes « dangereuses » dans votre pays, il me semble.