« Une première nationale » : dans l’Aveyron, des Gilets jaunes ont organisé un RIC local
Un Gilet jaune de Saint-Affrique lors du RIC expérimental qu’ils ont organisé dans leur commune le 23 novembre.
Convaincus que le référendum d’initiative citoyenne ne serait pas « instauré par en haut », des Gilets jaunes aveyronnais ont décidé de le faire partir « par en bas » et en ont organisé un dans leur commune. Ils espèrent faire des émules.
C’est LA revendication phare des Gilets jaunes, qui est devenue réalité ce 23 novembre dans l’Aveyron : dans la commune de Saint-Affrique, les habitants ont en effet pu s’essayer à la démocratie directe en prenant part à un référendum d’initiative citoyenne (RIC) – non contraignant légalement.
Ils étaient appelés à se prononcer sur trois propositions, qu’ils avaient eux-mêmes définies en amont : l’utilisation de produits bio locaux dans les cuisines collectives, l’interdiction du glyphosate dans la commune et l’intégration du RIC dans les prises de décisions de la commune. « C’est une première nationale ! » : dans la salle mise à disposition par la mairie – avec isoloirs et urne – les Gilets jaunes à l’origine de ce projet « expérimental » n’ont pas boudé leur plaisir face au succès rencontré par leur initiative.
© RT France Les Saint-Affricains s’adonnant au RIC.
Si l’idée a germé dans leur esprit en début d’année, après avoir assisté à une conférence sur le sujet, l’organisation du vote à proprement parler n’a commencé qu’en juin. C’est un vrai parcours du combattant auquel les Gilets jaunes ont alors été confrontés pour mener à bien le projet ; du travail pédagogique à faire auprès de la population pour expliquer en quoi consiste un RIC, aux tractations avec le mairie pour obtenir les listes électorales ainsi que du matériel, en passant par la distribution de 3 500 bulletins, et surtout l’élaboration des propositions par les habitants.
Un des organisateurs du RIC de Saint-Affrique explique comment celui-ci a été mis en place. #GiletsJaunes pic.twitter.com/ydlhRJR1ws
— Frédéric RT France (@frederic_RTfr) November 23, 2019
Alors, quand vers midi une habitante a glissé le 100e bulletin de vote de la journée, les applaudissements étaient de rigueur. « Plus de 90% des gens qui sont venus voter, on ne les connaît pas », se félicite ainsi un Gilet jaune. Parmi eux, une jeune mère de famille trentenaire, qui vient voter pour la première fois de sa vie. Ou encore une adolescente pas encore majeure (le vote était ouvert aux personnes de 16 ans et plus), bien décidée à donner son avis sur l’utilisation de produits bio locaux dans les cuisines collectives : « C’est important qu’à la cantine ils nous donnent des produits locaux », explique-t-elle.
La 100e votante de la matinée pour le RIC des #GiletsJaunes à Saint-Affrique. pic.twitter.com/kvr8E0Aamp
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Puisque le RIC ne sera pas instauré d’en haut,
il faudra qu’il parte d’en bas
Si les résultats du vote ne seront pas contraignants, le RIC ne disposant pas à l’heure actuelle de cadre légal, ils seront malgré tout étudiés par le Conseil municipal le 27 novembre. A quelques mois des élections municipales, le maire PS de la ville Alain Fauconnier a d’ailleurs fait le déplacement pour glisser un bulletin dans l’urne. « Leur démarche citoyenne […] mérite qu’on s’y intéresse […] J’envoie un signe républicain », a fait savoir l’édile.
Alain Fauconnier, maire PS de Saint-Affrique et ancien sénateur est venu voter. « Leur démarche citoyenne mérite qu’on s’y intéresse. J’envoie un signal républicain », explique-t-il, appelant à institutionnaliser le RIC. #GiletsJaunes pic.twitter.com/UAHjE22WdK
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287 personnes ont finalement pris part au vote sur les 5 541 votants potentiels que compte Saint-Affrique et les 10 000 des communes alentours. La proposition qui a recueilli le plus de suffrages concerne l’utilisation de produits bio et locaux dans les cuisines collectives, à laquelle 98% des votants ont adhéré. Les deux autres propositions ont également été adoptées à une majorité de plus de 90% des votants.
Très satisfaits de la participation et du déroulé de la journée, les organisateurs, au-delà des chiffres, espèrent surtout faire des émules. Que l’idée se répande et que les citoyens des quatre coins du pays s’en saisissent pour que le RIC finisse par devenir incontournable dans le paysage politique : « Puisque le RIC ne sera pas instauré d’en haut, il faudra qu’il parte d’en bas. Si des personnes sont au courant de ce qu’on a fait sur Saint-Affrique et trouvent ça intéressant […] petit à petit, ça peut rentrer dans des habitudes. Et à partir de là, on aura peut-être un jour ou l’autre un candidat crédible à une élection qui portera le RIC. »
« Puisque le RIC ne sera pas instauré d’en haut, il va falloir qu’il parte d’en bas » : un des organisateurs du #RIC de Saint-Affrique explique qu’il espère que l’initiative sera reprise ailleurs pour finir par s’imposer au niveau national. #GiletsJaunes pic.twitter.com/oBmpbgmung
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Lire aussi :
Interdit d’interdire : Le référendum d’initiative citoyenne en débat
Source : RT France, https://francais.rt.com/france/68245-premiere-nationale-dans-aveyron-gilets-jaunes-organise-ric-local
Mon commentaire :
En fait, le RIC LIBRE de Saint-Affrique n’est pas exactement « une première » puisque les gilets jaunes de Saint-Clair-du-Rhône ont organisé un RIC LIBRE dès janvier 2019. Mais aujourd’hui, ça commence à se répandre partout, ce qui est à la fois historique et enthousiasmant.
J’ai rencontré les gilets jaune de Saint-Affrique lors de la rencontre de Millau le 5 novembre dernier. Nous avions partagé la tribune pour mettre en regard théorie et pratique, et leur expérience nous a paru à tous bien intéressante et vivifiante. J’attends la vidéo de cette soirée avec impatience.
Faites des RIC !
Étienne.
Fil Facebook correspondant à ce billet :
Un échange qui fait réfléchir est passé récemment, entre François Ruffin et Cédric O, Secrétaire d’État chargé du numérique, sur la censure dont son victime les pages Facebook soutenant les Gilets Jaunes :
https://youtu.be/EN8dm24VyEc
François Ruffin signale que de nombreuses pages Facebook qui soutiennent différents combats sociaux se retrouvent censurées. L’argument de Facebook est qu’elles « contreviennent aux standards de la communauté ». Ruffin estime qu’il s’agit d’une atteinte à la liberté d’expression et que le gouvernement devrait agir contre l’entreprise. Le Secrétaire d’État considère que s’agissant d’une entreprise privée, elle gère l’usage de la plateforme comme elle l’entend et que le gouvernement n’a pas à s’en mêler.
Évacuons d’abord un point, parce que tous deux sont d’accord. Pour tous les deux, il est normal que la loi limite ce qui peut être dit. Je ne suis pas d’accord avec cela, mais ce n’est pas sur ce point que Ruffin attaque. Il semble d’accord pour lutter contre « les contenu haineux ». Mais comment réagirait-il si la défense sociale en venait à être catégorisée comme « contenu haineux », on l’ignore. Cédric O ne va pas non plus sur ce terrain, et je n’en discute donc pas ici pour ne pas alourdir le débat.
On a donc une opposition entre deux valeurs : la liberté d’expression politique, et, pour les détenteurs de sites internet, le droit d’user de leur propriété comme ils l’entendent. Le problème étant que le réseau social est à l’intersection du domaine des deux valeurs.
Une première position possible serait d’accorder tous les droits aux usagers. Mais aucun détenteur de site internet n’accepterait que n’importe qui puisse venir y tenir tous les propos qu’il veut. Un forum consacré à l’aquariophilie accepterait-il que des militants UPR y viennent faire de la propagande politique ? En outre, si toute la liberté était accordée aux usagers, il serait facile de couler des petits sites dérangeants en engageant des groupes de trolls pour le saccager. Il faut bien que le propriétaire ait le doit de définir des conditions d’utilisation.
Une seconde possibilité est celle proposée par Cédric O. Facebook impose des conditions d’utilisation. Celui qui ne s’en satisfait pas peut toujours s’exprimer sur des plateformes alternatives. Mais cette solution ne satisfait pas Ruffin. Car celui-ci veut pouvoir s’adresser au plus grand nombre. Et le plus grand nombre est sur Facebook. On est ici devant une autre limite : les grands réseau sociaux sont devenus tellement importants qu’ils monopolisent les échanges et notamment la propagande politique qu’il est possible de faire. On a des entreprises privées mais qui ont acquis l’importance d’un service public. Cette option d’aller sur des plateformes mineures n’est donc pas satisfaisante non plus.
Une autre option parfois proposée est « Il suffit de bloquer Facebook et faire un réseau social public ; les Chinois y arrivent bien ». Il y a plusieurs problèmes qui se posent ici : (1) Je ne suis pas sûr que l’État français ait les capacités technologiques pour remplacer tous les principaux réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Youtube …). (2) Je suis toujours sceptique sur l’idée que la censure soit la bonne voie pour établir la liberté. (3) La plupart des gens sont satisfaits des réseaux sociaux tels qu’ils existent. Les bloquer pour créer un service public serait aller contre la volonté majoritaire et donc antidémocratique. On voit ici le problème : avoir la liberté d’expression sur les réseaux sociaux n’est pas un problème pour la majorité, mais pour la minorité qui voit ses droits bafoués. Les dirigeants des réseaux sociaux veulent une plateforme consensuelle justement pour attirer le plus grand nombre. Il sont en cela en phase avec les annonceurs publicitaires qui veulent aussi toucher le plus grand nombre. Peu leur importe les droits des opinions minoritaires.
Aussi, ma solution législative que je proposerais est la suivante :
« Les plateformes numériques devenues des oligopoles de fait doivent avoir des conditions d’utilisation conformes aux normes juridiques hiérarchiquement supérieures. La liste de ces plateformes est établie tous les 5 ans par la Commission Nationale Informatique et Liberté. Les plateformes soumettent leurs conditions d’utilisation lors de chacune de leurs modifications au Conseil Constitutionnel. Celui-ci se prononce sur leur conformité. »
Il faudrait préciser la formulation pour qu’elle soit juridiquement correcte, mais l’idée étant que si la liberté d’expression politique est garantie dans l’espace public, elle l’est aussi sur ces réseaux sociaux. Mais on ne peut pas troubler l’ordre public ni harceler les personnes dans l’espace public et la plateforme peut donc effectuer une « police » en ce sens. Si les mêmes critères réglementaires s’appliquent à tous les réseaux, les annonceurs publicitaires mêmes étrangers devront s’habituer à ce que cela fonctionne ainsi dans le pays. En même temps, cela ne concernera que les gros réseaux, les petits sites garderont leur liberté de pratique sans être sous la menace continue de poursuites. Cela ne réglera évidemment pas tout (les entreprises peuvent toujours jouer sur l’algorithme de visibilité) mais devrait régler les abus les plus manifestes.