Julian Assange : Privation de justice et double standard à la prison de Belmarsh (21st Century Wire)
[Première partie – 28/8/2019] L’Histoire de deux prisonniers : Julian Assange, fondateur de Wikileaks, et Tommy Robinson, personnalité d’extrême-droite, sont traités très différemment à la prison de Belmarsh. Analyse de Nina CROSS.
Alfred de Zayas, ancien Rapporteur de l’ONU, a décrit les actions des autorités britanniques envers Assange comme ’.… contraires à l’état de droit et à l’esprit de la loi’. Ce que nous voyons à la surface est une illusion de la justice britannique qui masquant un programme politique.
La tristement célèbre prison de Belmarsh, en Grande-Bretagne, est maintenant présentée comme un exemple de bonne gouvernance, révélatrice d’une société juste et équitable, équitable mais ferme à l’égard de ceux qui ont enfreint la loi. Après un examen attentif du cas de Julian Assange, il ne fait guère de doute que placer le journaliste primé dans un tel établissement n’est rien d’autre que la dernière étape avant sa restitution aux États-Unis.
Jusqu’à présent, Belmarsh s’est acquitté de cette volonté de l’État.
Belmarsh comme arme de choix de l’État
La juge Deborah Taylor a envoyé Assange à la prison de catégorie A de Belmarsh pour une infraction à sa liberté surveillée, même s’il a démontré qu’il avait de bonnes raisons de le faire.
Il est difficile de ne pas conclure que son classement en catégorie A fut décidé pour l’affaiblir et le rendre vulnérable. Essentiellement, Assange a été envoyé à Belmarsh pendant 50 semaines pour ne pas s’être présenté à un poste de police. Il n’y avait pas de procès en cours ; il n’avait pas d’antécédents judiciaires ; il n’y avait pas d’accusations ; l’enquête suédoise avait été abandonnée. Donc, le gouvernement britannique n’avait rien d’autre contre lui que le fait de ne pas s’être présenté à un poste de police. Il convient également de souligner que la juge Taylor a commis une série d’erreurs lors de la condamnation le 1er mai [2019], se référant à des accusations de viol en Suède, qu’Assange a corrigées et qu’elle a ensuite reconnues comme étant erronées. Ce qui montre que la juge Taylor s’est présentée devant le tribunal sans être informée, avec l’idée qu’Assange avait été accusée de viol quelque part, d’une manière ou d’une autre. Cela peut expliquer en partie le raisonnement qui sous-tend la condamnation cruelle du juge Taylor, décrite par le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire comme ’disproportionnée’, mais aussi comme favorisant la privation arbitraire de la liberté d’Assange. Qui plus est, il a été souligné que chaque année plusieurs milliers de personnes au Royaume-Uni en liberté surveillée ne se présentent pas au poste de police sans pour autant être soumises à des peines aussi sévères.
De toute évidence, le juge Taylor s’est appuyée sur les narratives fournies par l’État pour envoyer Assange dans un pénitencier de catégorie A, même si ces narratives ont été complètement démontées. Une de ces fausses informations diffusées par l’État britannique et ses principaux partenaires médiatiques était que les autorités suédoises avaient abandonné les allégations sexuelles qu’elles avaient portée contre Assange parce qu’elles ’ne pouvaient pas faire avancer le dossier’ car il était enfermé à l’ambassade de l’Équateur à Londres. Cette désinformation était fausse, comme en témoigne le fait que les autorités suédoises avaient déjà réalisé pas moins de 44 liaisons vidéo ou entretiens avec des personnes d’intérêt et étaient donc tout à fait capables d’interroger Assange à distance.
Quant à l’affaire elle-même, la question qui se pose maintenant est la suivante : quelle affaire ? Ouverte puis fermée, puis ouverte à nouveau, puis fermée, puis fermée, puis ouverte, et pourtant – le ministère public suédois a encore dit à l’époque qu’’une interview n’était pas à l’ordre du jour’.
Il n’est donc pas surprenant que les autorités suédoises semblent laisser l’affaire en suspens, comme elles le font depuis des années. Les tribunaux suédois ayant récemment déjoué les tentatives du procureur d’extrader Assange vers la Suède, la réouverture de l’affaire n’est-elle plus qu’une simple tactique de contrôle de l’opinion publique ? Peut-être l’ont-ils ouvert pour la troisième fois parce que clôturer définitivement le récit de plus en plus fallacieux du « violeur » risquait d’attirer un soutien accru de la part des membres du public (et du gouvernement) qui n’étaient pas certains auparavant si Assange avait droit à un soutien moral quelconque. Nous verrons si le procureur suédois décidera si un ’entretien est à l’ordre du jour’ après avoir collé l’étiquette de violeur à Assange pendant plus de dix ans déjà.
C’est ainsi qu’avec toute la force que l’establishment britannique pouvait exercer derrière un délit mineur d’infraction à une liberté surveillée, Assange se retrouve piégé à l’intérieur de la prison de Belmarsh.
Belmarsh refuse d’appliquer la loi
Le régime de haute sécurité de la prison de SM Belmarsh s’est avéré jusqu’à présent paralysant pour les espoirs d’Assange d’organiser une défense juridique. Il est maintenant de notoriété publique que les fonctionnaires du gouvernement de Belmarsh ont imposé des restrictions qui ont pour effet de priver Assange de visites juridiques suffisantes, de lui refuser la possibilité de parler à ses avocats américains, de lui refuser l’accès et la possession de documents juridiques et de lui refuser les moyens essentiels pour préparer sa défense juridique, à savoir un ordinateur portable.
Pour les lecteurs qui ne connaissent pas le jargon juridique, les passages suivants montreront comment on peut mesurer le traitement d’Assange par Belmarsh par rapport aux protections et directives reconnues, telles que :
L’article 6.3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui revêt une importance particulière pour les prisonniers (Assange est clairement un prisonnier politique) et stipule que les détenus doivent :
’.… disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur défense…’
Le Conseil de l’Europe (CdE) a élaboré une définition de ce que cela signifie dans un guide sur l’article 6 de la CEDH :
386. Les ’facilités’ dont doit bénéficier toute personne accusée d’une infraction pénale comprennent la possibilité de prendre connaissance, aux fins de la préparation de sa défense, des résultats des enquêtes menées au cours de la procédure.
387.Afin de faciliter la conduite de la défense, l’accusé ne doit pas être empêché d’obtenir des copies des documents pertinents du dossier de l’affaire, ni de compiler et d’utiliser toute note prise.
NOTE : Lors de l’audience du tribunal d’extradition américain d’Assange en juin, Assange lui-même a été catégorique sur le fait qu’il n’avait même pas reçu le texte de l’acte d’accusation américain contre lui et a déclaré qu’il devait recevoir les documents juridiques essentiels qui lui étaient adressés. Son équipe juridique a égalementréitéré que la préparation de sa défense était entravée et que l’accès à son client était restreint par le gouvernement britannique. Il est difficile de croire que cette stratégie n’est pas intentionnelle.
Les lignes directrices du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’homme ont également énoncé dans ses Règles pénitentiaires européennes que :
23.6 Les détenus doivent avoir accès aux documents relatifs à leur procédure judiciaire ou être autorisés à les garder en leur possession.
Fair Trials, l’organisme mondial de surveillance de la justice pénale, explique :
’Une personne faisant face à des accusations criminelles doit avoir le temps et les moyens nécessaires pour préparer sa défense. Ce droit existe à tous les stades de la procédure et comprend le droit à des documents, dossiers et informations ainsi que la garantie d’une communication confidentielle avec des avocats.’
En mai 2019, Nils Melzer, Rapporteur des Nations Unies sur la torture, a indiqué qu’Assange avait un accès limité aux documents juridiques dans sa cellule.
Plus récemment, le journaliste lauréat John Pilger, a également expliqué qu’Assange n’avait pas eu accès à des documents pour préparer sa défense :
https://youtu.be/zVEtUpURNAwEn ce qui concerne la demande d’Assange pour un ordinateur portable, les lignes directrices britanniques sur l’accès à la justice montrent qu’il s’agit d’une demande raisonnable et le cas d’Assange semble répondre exactement aux conditions prévues :
’L’orientation dit que les ordinateurs portables devraient être accordés aux personnes qui ne pourraient pas se préparer correctement sans, mais ne devraient pas l’être uniquement pour une raison de commodité.’
Le guide du Conseil de l’Europe sur l’article 6.3 légitime également cette demande :
387. Lorsqu’une personne est détenue en attendant son procès, la notion de ’facilités’ peut inclure des conditions de détention qui permettent à la personne de lire et d’écrire avec un degré raisonnable de concentration. Il est essentiel que l’accusé et son avocat puissent tous deux participer à la procédure et présenter des observations sans souffrir d’une fatigue excessive.
Suite à son évaluation d’Assange en mai à l’intérieur de la prison de Belmarsh, Nils Melzer a publié une déclaration détaillant les conditions de détention. Melzer était accompagné de deux experts médicaux spécialisés dans l’examen des victimes potentielles de torture ainsi que dans la documentation des symptômes, tant physiques que psychologiques. En examinant Assange Melzer a observé ce qui suit :
« Mais surtout, en plus des maux physiques, M. Assange présentait tous les symptômes typiques d’une exposition prolongée à la torture psychologique, y compris le stress extrême, l’anxiété chronique et le traumatisme psychologique intense. »
En plus de ces préoccupations, des rapports indiquent également que des médicaments sont administrés à Assange.
Melzer a également expliqué que l’accumulation de procédures judiciaires multiples ajoute au stress et à l’incapacité d’Assange à faire face aux exigences de la préparation de sa défense. :
https://youtu.be/zpM0vr0Br8gIl est important de noter que les préparatifs juridiques d’Assange dans cette affaire n’ont rien à voir avec les fausses accusations d’évasion sous liberté surveillée pour lesquelles Assange fut initialement arrêté et détenu par le gouvernement britannique. Sa défense juridique consiste plutôt à combattre ce qui pourrait devenir un précédent juridique déterminant pour notre génération – une affaire d’extradition américaine dans laquelle un citoyen non américain fait face à des accusations en vertu du Espionage Act de 1917 pour son rôle (en tant que journaliste) dans la divulgation de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité par le gouvernement américain – tous publiés par un média non américain. Par conséquent, on peut soutenir à juste titre qu’en limitant l’accès d’Assange à une défense juridique adéquate dans une affaire aussi médiatisée et historique, le gouvernement britannique agit contre l’intérêt public, non seulement à domicile, mais aussi à l’étranger.
Malgré tout cela, Belmarsh semble avoir ignoré ou rejeté les préoccupations concernant l’incapacité d’Assange d’avoir accès aux tribunaux pour sa défense et lui refuse des ’facilités’.
Les restrictions imposées par Belmarsh à la capacité d’Assange de rencontrer ses avocats et son refus de lui permettre de parler à ses avocats américains semblent saper le fondement même de l’article 6, qui, selon le guide du Conseil de l’Europe :
’.…garantit le droit d’un accusé de participer effectivement à un procès pénal.’
En reconnaissance de l’article 6, le site Web du gouvernement britannique fournit des conseils sur le droit de tous les détenus de contacter leur avocat :
’Les prisonniers ont des droits, y compris celui d’entrer en contact avec un avocat.’
Les droits des détenus sont également soutenus par le Citizen’s Advice Bureau (CAB) du Royaume-Uni, qui fournit un service consultatif à tous les détenus. Ce qui suit résume les droits des détenus dans les domaines particuliers où Assange a demandé un accès mais s’est vu refuser ou restreindre cet accès par Belmarsh (gras ajouté) :
- Des installations adéquates pour préparer une défense, y compris un nombre illimité de visites de leur conseiller juridique.
- Appels téléphoniques illimités à leur conseiller juridique ou au CAB. Un détenu peut être en mesure d’utiliser le téléphone officiel de la prison pour des appels juridiques urgents avec l’autorisation écrite du gouverneur. On s’attend à ce qu’un prisonnier paie pour ces appels, à moins que le gouverneur ne soit convaincu qu’il ne peut pas payer.
- Un détenu a accès à des installations informatiques, pour une durée limitée, afin de l’aider à préparer une action en justice, lorsqu’il peut démontrer que son cas serait compromis sans cet accès – par exemple, s’il a un handicap ou un autre problème de santé pertinent.
Il apparaît donc clairement qu’Assange se voit refuser les droits des détenus en matière d’accès à la justice. Le résultat de ces restrictions imposées à Assange est qu’il ne peut pas participer effectivement à la procédure judiciaire engagée contre lui. Les restrictions actuelles de M. Belmarsh semblent miner toutes ses tentatives d’accès à toutes les voies de justice, ainsi que les moyens nécessaires pour participer à sa défense juridique depuis qu’il est entré en prison. Ces atteintes aux droits et ces refus d’accès à la justice sont souvent imputés à des pénuries, à des problèmes de système et à des défaillances, et même justifiés par la sécurité et la pratique institutionnelle. Cependant, toutes les lacunes du système britannique dans ce cas pourraient facilement être évitées ou corrigées par les autorités pénitentiaires.
Dans le cas d’Assange, cela signifie que son équipe juridique est forcée de perdre du temps et des ressources à tenter d’obtenir un accès légal à la justice, y compris éventuellement en intentant des poursuites contre Belmarsh et le gouvernement britannique. Il est facile d’imaginer pourquoi les autorités sont très satisfaites que cela se produise : cela fait perdre du temps, épuise les ressources de son équipe juridique et fait s’accumuler les litiges. Le nombre de batailles qui peuvent être livrées en même temps est limité ; l’appel d’Assange contre la sentence de Belmarsh sur la violation de liberté surveillée a déjà été abandonné. Et même si certaines restrictions seront moins sévères lorsqu’Assange se retrouvera probablement en détention provisoire pour lutter contre l’extradition, le bon sens nous dicte que l’impact des restrictions exercées avant cette date sera très préjudiciable à sa défense.
L’accès à la justice’ a été décrit par la CEDH comme suit :
’L’accès à la justice permet aux individus de se protéger contre les atteintes à leurs droits, de réparer les torts civils, de demander des comptes au pouvoir exécutif et de se défendre dans les procédures pénales. C’est un élément important de l’État de droit…’
Si nous pensons que les obstacles à la capacité d’Assange à se défendre contre l’extradition sont justifiés par les critères d’un système pénitentiaire de haute sécurité ’surchargé et sous-financé ’, alors nous ne faisons que consentir à l’érosion de la loi et accepter à sa place les règles imposées par les administrateurs des institutions de l’État – au détriment de la liberté individuelle. Ces justifications pour refuser à Assange son droit légal fondamental à la justice sont des prétextes commodes pour Belmarsh qui fut choisie – et pas par hasard – pour servir un objectif politique qui cherche à obtenir sa restitution aux Etats-Unis.
Deux poids, deux mesures : l’expérience de la prison de Belmarsh selon le gouverneur
Belmarsh est également la prison d’État de prédilection de Tommy Robinson (de son vrai nom Stephen Yaxley-Lennon), personnalité d’extrême-droite controversée et fondateur de l’English Defence League. M. Robinson a été reconnu coupable d’outrage au tribunal pour avoir diffusé le procès d’un gang de trafiquants sexuels sur Facebook Live à l’extérieur du tribunal de Leeds en 2018, et fut par la suite condamné et enfermé comme « détenu civil » [catégorisation des détenus en fonction de leur statut et/ou nature d’infraction – NdT].
- Robinson est entré en prison portant un t‑shirt « condamné pour journalisme »
Contrairement à Assange qui a été placé dans la population carcérale générale avant d’être placé dans une aile médicale, le placement spécial de Robinson semble appartenir à la catégorie des détenus à Belmarsh qui, en raison de leur profil public et médiatique, ’nécessite des dispositions particulières de gestion’ et a donc été isolé de tous les autres détenus. En conséquence, il est détenu dans l’unité de haute sécurité à l’intérieur de Belmarsh. Les détenus civils sont traités de la même manière que les détenus condamnés, à quelques exceptions près, l’une d’entre elles étant le droit de visite. Selon l’un de ses récents visiteurs, Ezra Levant, directeur du média canadien The Rebel Media, par qui Robinson était employé, ce cernier reçoit des visiteurs trois ou quatre fois par semaine. Levant a également déclaré que le directeur de la prison, Rob Davis OBE, visite Robinson tous les jours, notant que,
’…le gouverneur de la prison, le directeur comme nous l’appelons en Amérique du Nord, lui rend visite tous les jours, ne serait-ce qu’un instant, pour lui dire ’comment ça va’. J’ai trouvé cela très intéressant. Non seulement le directeur se met à la disposition de Tommy, mais il inspecte pour s’assurer que tout va bien. J’ai trouvé ça très intéressant et rassurant.’
Une autre visiteuse de The Rebel Media, Jessica Swietoniowski, a rapporté que Robinson est autorisé à faire des appels téléphoniques illimités entre 9h et 11h chaque matin, déclarant :
’… de 9 h à 11 h, il peut sortir de sa cellule, donc sa cellule s’ouvre de 9 h du matin à 11 h, à 11 h [il] revient dans la cellule. Pendant ce temps, il peut faire de l’exercice et passer autant d’appels qu’il veut, ce qui est une bonne nouvelle.’
Il convient de noter ici que la capacité de Robinson d’avoir un accès sans entraves aux appels téléphoniques est probablement due au fait qu’il est un détenu civil. Cependant, cela montre le fossé qui sépare l’accès aux ressources d’un détenu à un autre, et le peu de ressources accordées à Assange en comparaison.
Swietoniowski a également déclaré que le gouverneur de Belmarsh avait ’ fait une exception pour moi ’ de rendre visite à Robinson lors d’une session de visite le vendredi 15 août au matin, et que le directeur de la prison travaillait avec ’nous’ (The Rebel Media) pour assurer que leurs visites à Belmarsh soient aussi ’positives que possible’. Ceci est expliqué dans les ’rapports de prison’ de The Rebel qui documentent leurs visites à Belmarsh.
Il convient également de noter que si le gouverneur a pris la décision de faire une exception pour un organe de presse qui a employé Robinson et qui peut toucher les partisans de Robinson – il y aura forcément des répercussions positives en termes de relations publiques pour Belmarsh, et par extension pour tous les fonctionnaires du gouvernement britannique impliqués dans le processus. Ils espèrent peut-être que les efforts de Belmarsh auront un écho favorable auprès des partisans de Robinson et contribueront à apaiser les menaces d’agitation que craint le gouvernement. De même, aux yeux de la base de soutien de droite de M. Robinson, le traitement globalement positif de M. Belmarsh à l’égard de M. Robinson pourrait avoir des répercussions positives sur le nouveau gouvernement conservateur et le cabinet dirigé par Boris Johnson, alors que le Parlement se dirige vers des élections générales. Il est raisonnable de considérer qu’il s’agit là d’un résultat prévisible du traitement publiquement favorable que le gouverneur a réservé à Robinson.
L’État, par l’intermédiaire de Belmarsh, tente-t-il de calmer les partisans d’un individu tout en refusant à un autre l’accès à la justice ? S’agit-il d’un programme fallacieux qui se déroule actuellement dans le cadre d’un système carcéral politisé ?
Le contraste frappant entre le traitement réservé par la prison à deux personnalités de premier plan, Robinson et Assange, est certainement évident. Bien que Robinson soit traité équitablement et légalement, Assange ne l’est pas.
Visiting Julian #Assange in prison I glimpsed his barbaric treatment. Isolated, denied proper exercise, access to the library, a laptop, he cannot prepare his defence. He is even denied calls to his US lawyers. His UK lawyer wrote to the governor on 4 June. Silence. How lawless.
Selon John Pilger, le directeur de la prison n’avait pas non plus répondu à la lettre envoyée par l’avocat d’Assange, Gareth Peirce, le 4 juin, à propos des restrictions imposées aux droits d’accès d’Assange.
Tout indique que l’État britannique, via la prison de Belmarsh, impose un régime de non-droit à Assange, qui se retrouve une fois de plus à se battre pour ses droits humains fondamentaux et le respect de la légalité en Grande-Bretagne.
[Deuxième partie – 3/10/2019]
Garder Assange en prison au nom des Néocons de Washington
La décision rendue le 13 septembre par la juge Vanessa Baraitser lors d’une ’audience technique’ devant le tribunal de première instance de Westminster signifie que, bien qu’Assange pouvait être libéré sur parole après avoir accompli la moitié de ce que les experts estiment être une peine disproportionnée de 50 semaines, il restera en prison pendant qu’il s’oppose à une extradition vers les États-Unis, un processus qui pourrait prendre de nombreuses années. Baraitser a justifié sa décision ainsi :
’j’ai de bonnes raisons de croire que si je vous libère, vous vous enfuirez à nouveau’
Elle a décrit son changement de statut comme suit :
’.…de celui d’un détenu à celui d’une personne menacée d’extradition’
Selon la justice britannique, M. Assange fut initialement appréhendé et condamné à la prison parce qu’il avait ’violé la liberté surveillé’ en cherchant refuge et l’asile politique auprès de l’ambassade équatorienne de Londres. Malgré le fait que l’enquête initiale dans laquelle il était recherché pour interrogatoire par les autorités suédoises (et auquel il s’était conformé) avait été abandonnée, les tribunaux britanniques traitaient toujours Assange comme un criminel dangereux et le condamnaient comme tel. Les narratives contenues dans la déclaration de Baraitser, les injustices qui en découlent et les procédures entourant cette audience ont tous été soulignés et fermement condamnés. De plus, malgré le changement de statut d’Assange, il a jusqu’à présent été maintenu à Belmarsh.
Ces incohérences devraient soulever de sérieux doutes quant au fonctionnement objectif et conforme aux normes juridiques nationales et internationales du système judiciaire britannique.
Le « risque de fuite »
Le rapport d’inspection 2018 du gouvernement décrit Belmarsh comme suit :
« Probablement la prison la plus prestigieuse du Royaume-Uni, elle contenait un mélange extrêmement complexe d’hommes. Il y avait des jeunes adultes et des hommes à faible risque semblables à ceux détenus dans d’autres prisons locales, mais aussi plus de 100 condamnés à une peine d’une durée indéterminée et d’autres détenus pour les infractions les plus graves. »
Dans une récente interview, John Shipton, le père d’Assange, a expliqué qu’Assange était un détenu de catégorie ’B’. Cependant, comme on peut le voir, l’infraction de 2012 d’Assange en rapport à sa liberté surveillée fait partie des critères applicables aux détenus de catégorie C. Selon les données du Conseil de la détermination des peines, seule une minorité d’affaires aboutit à des peines privatives de liberté. Les critères de la catégorie C sont expliqués comme suit :
’.…vous avez pris la fuite, omis de vous rendre, violé la liberté sous caution, un couvre-feu de détention à domicile ou une libération avec permis temporaire au cours des trois dernières années…’
Il est important de noter que ’omis de se rendre’ n’est pas la même chose que s’évader ou prendre la fuite. Si le récit de la fuite est utilisé pour maintenir Assange en détention provisoire c’est aussi un mécanisme juridique pratique pour le maintenir dans la catégorie A à Belmarsh.
Mais nous ne devons pas laisser le récit de Baraitser sur le risque de fuite nous faire croire que c’est ainsi que les choses sont censées fonctionner. Comme nous l’avons déjà souligné, chaque année plusieurs milliers de personnes au Royaume-Uni échappent à leur liberté surveillée – sans se retrouver à la prison de Belmarsh. Il existe une distinction claire entre ceux qui ne se rendent pas à un poste de police et les individus dangereux qui s’échappent d’une garde à vue. Le cadre de sécurité nationale du gouvernement pour les prisons définit les détenus de catégorie A comme suit :
’Un détenu de catégorie A est un détenu dont l’évasion serait très dangereuse pour le public, la police ou la sécurité de l’État, et pour qui l’évasion doit être rendue impossible.
…le potentiel d’évasion n’aura normalement pas d’incidence sur l’examen de la pertinence de la catégorie A, parce que la définition porte sur la dangerosité du détenu s’il s’est évadé et non sur la probabilité qu’il s’évade et, de toute façon, il est impossible de prévoir toutes les circonstances dans lesquelles une évasion peut survenir.’
Parce qu’il fut condamné en avril 2019 pour une infraction mineure, Assange ne pouvait être traité pendant très longtemps comme un détenu de catégorie A. Comment est-ce possible ? La décision du juge Baraitser d’ordonner la détention provisoire d’Assange ’en tant que personne menacée d’extradition’ avec le récit selon lequel ’il s’enfuirait’ ne devrait pas servir de prétexte pour le soumettre à une détention illimitée dans une prison de catégorie A, où il a été démontré que l’accès à la justice est refusé.
De délinquant mineur à criminel dangereux
Quelle que soit votre catégorie, une fois à Belmarsh, vous êtes soumis à de sévères restrictions. C’est un point qui a été soulevé à maintes reprises dans les rapports gouvernementaux. Suite à une inspection gouvernementale en 2013, le texte suivant a été rédigé :
’L’accent mis sur la sécurité dont HMP Belmarsh avait besoin pour son petit groupe de détenus à haut risque avait un impact disproportionné sur sa population plus générale.…
…de nombreuses mesures de sécurité supplémentaires n’étaient nécessaires que pour un petit nombre de détenus sur la base de leur catégorie de sécurité, mais la sécurité pourrait devenir une explication fourre-tout des faiblesses et des insuffisances des résultats pour les détenus de catégorie inférieure…’.
En 2018, un rapport de la Chambre des communes sur la santé dans les prisons décrivait comme suit les effets des mesures sévères de sécurité à Belmarsh :
« La population est très hétérogène, allant des détenus de catégorie A aux détenus de catégorie D. Cependant, seuls les détenus à très haut risque sont susceptibles de rester longtemps, car les délinquants peuvent venir à Belmarsh avant d’être transférés dans d’autres prisons. Au moment de notre visite, Belmarsh comptait plusieurs détenus de catégorie D, en raison de problèmes de placement, qui sont gérés avec le même niveau de sécurité que les détenus de catégorie A. »
Le gouvernement reconnaît que les prisonniers qui se rendent à Belmarsh, peu importe leur crime ou leur catégorie, sont soumis à des restrictions de sécurité de catégorie A. Le gouvernement britannique qui poursuit Assange depuis près d’une décennie peut compter sur Belmarsh pour lui infliger une ’expérience de détention intense’ où les restrictions sécuritaires peuvent entraver l’accès à la justice et la capacité de se préparer à sa défense, tout en niant sa capacité à l’autodétermination.
Comment le gouvernement britannique peut-il s’en tirer en imposant la peine la plus sévère possible à quelqu’un qui a commis l’infraction la plus mineure mais qui a aussi embarrassé le gouvernement et ses alliés ? Comment le faire en plein jour tout en le faisant paraître légal ? La réponse est le camouflage : des centaines, des milliers d’hommes, qui ne représentent aucune menace pour le public, ont franchi les portes de la prison de Belmarsh et ont été soumis à de fortes restrictions de sécurité – où tous les prisonniers sont traités comme s’ils étaient de dangereux criminels. C’est devenu la norme, même si le gouvernement lui-même reconnaît que la sécurité est disproportionnée. En se débarrassant d’Assange, quoi de mieux que de le piéger dans un tel endroit, où les questions d’équité et de proportionnalité du traitement peuvent être justifiées comme conséquences des mesures de sécurité.
Plus tard, lorsque sa punition extrême pour avoir enfreint la liberté surveillé prendra fin, l’État britannique pourrait le garder jusqu’à ce qu’une occasion se présente de le rendre à l’allié le plus puissant de la Grande-Bretagne, où Assange croit qu’il perdra la vie à moins que les conditions difficiles auxquelles il est actuellement soumis ne le tuent pas avant.
L’emploi de Belmarsh comme bourreau d’Assange, tout en portant le masque de la bonne gouvernance, est très efficace. Dans une récente interview, Kristinn Hrafnsson, rédacteur en chef de Wikileaks, a rapporté que les avocats représentant les prisonniers de catégorie A à Belmarsh ont affirmé que les conditions dans lesquelles Assange est détenu étaient plus sévères que celles des criminels violents qu’ils représentent.
https://youtu.be/e0XdsC3jaXwC’est comme si le gouvernement britannique comptait sur les défaillances et la disproportionnalité de son institution la plus sévère pour devenir la norme et échapper à tout contrôle.
Le prisonnier exceptionnel : Assange enfermé à Belmarsh plus longtemps que le meurtrier moyen ?
En plus des directives gouvernementales, des inspections et des conclusions parlementaires, les statistiques démontrent également qu’Assange pourrait faire l’objet d’un traitement exceptionnel.
Les détenus ne relevant pas de la catégorie A sont généralement transférés de Belmarsh dans les mois qui suivent. Son rapport d’inspection de 2018 montre que sur 769 détenus (âgés de plus de 21 ans), 120 seulement étaient encore là après un an. De ce nombre, six seulement n’avaient pas été condamnés (en détention provisoire), tandis qu’aucun détenu non condamné n’y a passé plus de deux ans.
De même, le rapport d’inspection de 2015 montre que sur 808 hommes, seuls 112 (âgés de plus de 21 ans) y sont restés après un an, dont 8 seulement n’avaient pas été condamnés. Un seul prisonnier non condamné était encore détenu après 2 ans. Rien n’indique si les personnes non condamnées l’ont finalement été, une catégorie de détention préventive qui s’applique maintenant à Assange, en vertu des dispositions de la loi de 1989 sur l’extradition et de la loi de 1965 sur l’exécution des mandats d’arrêt.
Il apparaît clairement que Belmarsh n’est ni équipé ni adapté pour garder des détenus non classés dans la catégorie A pendant de longues périodes, en particulier ceux en détention préventive. Le rapport de 2018 souligne que même les criminels dangereux ne devraient pas être gardés à Belmarsh pendant de longues périodes (indiquées comme étant plus d’un an) :
’Belmarsh n’a pas été mis en place pour gérer des détenus condamnés pour une longue période.’
La décision de Baraitser signifie qu’Assange ne sera pas libéré pendant qu’il son combat contre l’extradition vers les États-Unis, mais qu’il restera enfermé en tant que personne menacée d’extradition, jusqu’à ce qu’il gagne son procès ou soit extradé vers les États-Unis. Toutefois, l’équipe juridique d’Assange a fait remarquer que cette affaire pourrait durer de nombreuses années.
Cela signifie-t-il qu’Assange pourrait passer des années à languir dans une prison de catégorie A, un prisonnier non condamné qui ne présente aucun danger pour le public, alors que certains des criminels les plus dangereux et les plus violents du pays ne feront que passer ? Si Assange devait être maintenu à Belmarsh, ce serait probablement le cas. Lors d’une conférence de presse cette semaine, John Shipton a expliqué que la lutte de son fils contre l’extradition vers les États-Unis pourrait prendre jusqu’à cinq ans, si elle aboutit devant la Cour européenne des droits de l’homme.
https://youtu.be/iKSM0sEJS6AL’isolement pour soins de santé : un récit trop commode
Bien qu’il soit déjà soumis à d’intenses restrictions qui violent ses droits humains fondamentaux, Assange est également soumis au dur régime d’isolement résultant de son incarcération en tant que patient hospitalisé dans l’unité de soins. Les unités de soins offrent un autre moyen d’isoler une personne – de la même manière que la sécurité peut être utilisée pour justifier le déni des droits des détenus. L’isolement dans les établissements pénitentiaires est largement reconnu comme un problème réel, comme le soulignent les instructions de l’administration pénitentiaire sur la foi et les soins pastoraux publiées par le gouvernement :
’Un membre de l’équipe d’aumônerie doit rendre visite quotidiennement aux détenus dans le centre de soins. Non seulement il s’agit d’une exigence légale, mais elle reconnaît aussi que les détenus qui reçoivent des soins de santé peuvent souvent se sentir isolés ou déprimés. Ils sont normalement retirés de la routine de la vie carcérale et exclus de l’accès à de nombreuses activités.’
Les unités de soins hospitaliers sont des environnements complexes et difficiles. Ils peuvent justifier l’isolement comme mesure préventive, par exemple en cas de maladie infectieuse. Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire. Le rapport d’inspection Belmarsh de 2018 réalisé par le Conseil de surveillance indépendant souligne que les patients hospitalisés sont régulièrement laissés dans leur cellule en raison des nombreuses exigences liées à l’instabilité et à la fragilité des ’patients hospitalisés en santé mentale’, une situation aggravée par un manque de personnel :
’Ce qui préoccupe le conseil d’administration, c’est le nombre élevé de patients hospitalisés en santé mentale, de patients « multi-unlock » [ traduction ? NdT] des patients sous surveillance constante. A titre d’exemple, chaque patient sous surveillance constante nécessite un membre du personnel dédié pour le surveiller. Les soins supplémentaires dont ces patients ont besoin affectent le régime de santé et d’autres secteurs de la prison lorsque le personnel doit être mobilisé pour leur apporter un soutien’.
Ainsi, l’isolement est présenté comme une routine dans le système de santé carcéral, expliquée par le manque de personnel, et comme une question de santé et de sécurité. La situation décrite ci-dessus n’est pas satisfaisante en soi, mais n’explique pas le niveau d’isolement que connaît Assange à l’intérieur de l’unité de santé de Belmarsh. Une visiteuse d’Assange, Felicity Ruby, a récemment rapporté qu’il semble y avoir un régime de séparation planifiée :
« Il explique qu’il est transporté à l’intérieur et à l’extérieur de sa cellule, où il est détenu pendant vingt-deux heures par jour dans le cadre de ce que l’on appelle des ’déplacements contrôlés’, ce qui signifie que la prison est fermée à clé et les couloirs sont évacués. »
[note du traducteur : voir compte-rendu de Felicity Ruby en français : https://www.les-crises.fr/assange-derriere-les-barreaux/ ]
Belmarsh tenterait sans doute de fournir un récit sur la sécurité ou la procédure pour justifier cela, mais l’isolement d’Assange a été constant et continu pendant une longue période de temps. En août, John Pilger a révélé qu’Assange n’était pas autorisé à fraterniser avec d’autres détenus pendant les périodes d’activités communes :
« Ils semblent lui imposer un régime – qui doit être punitif – d’isolement. Il est dans l’aile de santé – ce qu’on appelle l’aile de santé – de la prison de Belmarsh, mais il est dans une seule cellule et il m’a dit : ’ Je vois des gens passer et j’aimerais bien leur parler, mais je ne peux pas ’. Les prisonniers de catégorie A, les meurtriers et les autres personnes qui ont commis des crimes graves sont autorisés à fraterniser. Julian n’a pas le droit de fraterniser. Il n’a même pas le droit de téléphoner à ses avocats américains… »
Plus récemment, dans une autre interview, John Shipton https://youtu.be/sdvgP11xpSs qu’Assange est autorisé à assister à la messe catholique, sinon il ne verrait jamais d’autres détenus. Il est important de noter que la pratique de la religion est un droit humain ; ce n’est pas la même chose que la participation à des activités communes, et elle s’exerce sous contrôle.
Le traitement constant doit certainement indiquer qu’un régime a été imposé pour restreindre autant que possible l’interaction d’Assange avec les autres prisonniers, tandis que la seule concession au culte protège les autorités d’une nouvelle controverse publique. C’est là que les processus administratifs de Belmarsh assurent une fonction indirecte de relations publiques.
Assange n’est pas un prisonnier condamné qui purge une peine, mais un prisonnier non condamné qui est innocent.
N’étant plus un prisonnier, les droits et ’privilèges’ d’Assange ont changé. En tant que personne menacée d’extradition, il aurait droit aux conditions énoncées dans l’ordonnance no 4600 de l’Administration pénitentiaire. Voici quelques-uns des droits particuliers accordés aux détenus non condamnés :
- Avoir accès à ses frais à des livres, journaux, matériel d’écriture et autres moyens d’occupation.
- Avoir des objets pour des activités et passe-temps dans sa cellule remis par des parents ou des amis ou achetés.
- Exercer des activités commerciales
- Porter ses propres vêtements, sauf s’ils soint jugés inappropriés ou inadaptés.
- Être suivi par son propre médecin ou dentiste agréé, à ses propres frais.
- Recevoir autant de visites qu’il le souhaite, dans des limites raisonnables. Les détenus non condamnés ont le droit de recevoir autant de visites qu’ils le souhaitent (la politique de l’administration pénitentiaire exige au minimum que les établissements leur accordent trois heures de visite par semaine).
L’association caritative Prisoners’ Advice Service souligne également que les détenus non condamnés ont le droit de dépenser plus d’argent par semaine.
Il apparaît que, très souvent, les détenus en détention provisoire ne reçoivent pas les choses auxquelles ils ont droit, pour diverses raisons. Il est raisonnable de s’attendre à ce que des restrictions soient imposées à Assange et qu’il faudra une pression publique pour les faire tomber. Toutefois, il convient également de rappeler que Belmarsh a fait tout ce qui était en son pouvoir pour accommoder certains prisonniers très en vue et qu’il a démontré publiquement qu’il pouvait s’assurer que les droits et les droits des prisonniers soient respectés. En quittant Belmarsh le vendredi 13 septembre, le jour où Assange s’est vu refuser sa sortie de prison, Tommy Robinson (de son vrai nom Stephen Yaxley-Lennon), fondateur de la English Defence League, est sorti de la prison de Belmarsh en disant qu’il n’avait rien de ’négatif’ à dire sur le gouverneur. (…) Dans chaque article publié, M. Robinson aurait félicité le gouverneur pour son soutien, notamment en veillant à ce qu’il reçoive plusieurs visites sociales par semaine, ce qui était permis, puisqu’il était un détenu civil condamné.
Maintenant qu’Assange est un prisonnier non condamné, toute personne raisonnable s’attendrait à ce que l’administration pénitentiaire l’aide à obtenir son plein droit de visite, l’accès sans entrave à la justice et tous les autres droits auxquels il a droit en vertu de son ’statut spécial de prisonnier’ d’homme innocent détenu à Belmarsh.
Belmarsh : un hommage symbolique à l’empire américain
Alors pourquoi Julian Assange est-il toujours à la prison de Belmarsh, détenu dans les circonstances les plus oppressantes, isolé et privé des droits fondamentaux d’accès à la justice ? C’est un prisonnier non condamné, il ne représente aucune menace pour la sécurité publique, et son « passé d’évasion » consiste uniquement à avoir demandé et obtenu l’asile politique par crainte d’être persécuté par le gouvernement américain qui le poursuit pour des accusations spécieuses d’espionnage. Compte tenu de tout cela, il est difficile de voir comment un journaliste ou un politicien honnête peut défendre ce que les gouvernements britannique et américain font subir à Assange.
La façon dont le gouvernement britannique a poursuivi Assange fut audacieuse et ostentatoire. Nous avons été témoins de l’exhibition embarrassante de bataillons de policiers métropolitains en uniforme, debout devant l’ambassade de l’Équateur pendant des années, gaspillant des fonds publics indicibles. Et tout cela pour quelqu’un qui n’a jamais été accusé d’un crime, mais dont le travail journalistique a embarrassé les États-Unis.
Les propres normes du gouvernement montrent qu’Assange est traité de manière disproportionnée et qu’il ne peut rester à Belmarsh. Il est possible qu’il puisse être transféré dans une prison de catégorie inférieure, ce qui serait certainement bénéfique à condition qu’il ait pleinement accès à ses avocats et qu’il ait tous les droits des détenus : mais ce serait toujours une détention arbitraire.
Son incarcération à Belmarsh n’est devenue rien de plus qu’un ’show’ ostentatoire destiné à renforcer le récit que ce journaliste primé est en quelque sorte une menace pour le public et à impressionner les néoconservateurs de Washington.
Nina CROSS
1ère partie : https://21stcenturywire.com/2019/08/28/julian-assange-deprivation-of‑j…
2ème partie : https://21stcenturywire.com/2019/10/03/britains-unconvicted-prisoner‑k…
Traduction « ah, la scène de la Reine dans Alice au Pays des Merveilles… » par VD pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles
Le pouvoir contre la presse : les cas d’extradition de Pinochet et d’Assange
https://www.les-crises.fr/le-pouvoir-contre-la-presse-les-cas-d-extradition-de-pinochet-et-d-assange/
Alors que Julian Assange risque d’être extradé de Grande-Bretagne vers les États-Unis pour avoir publié des secrets classifiés, Elizabeth Vos revient sur le cas parallèle mais bien différent d’un dictateur chilien notoire.
Dans huit mois, l’une des audiences d’extradition les plus importantes de l’histoire récente aura lieu en Grande-Bretagne, quand un tribunal britannique et le ministre de l’Intérieur détermineront si l’éditeur deWikiLeaks, Julian Assange, sera extradé vers les États-Unis pour répondre d’accusations d’espionnage pour le crime de journalisme.
Il y a 21 ans, dans une autre affaire d’extradition historique, la Grande-Bretagne a dû a dû décider d’envoyer l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet en Espagne pour le crime d’assassinats de masse.
Pinochet en 1982. (Ben2, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons)
En octobre 1998, Pinochet, dont le régime était devenu synonyme d’assassinats politiques, de « disparitions » et de torture, était arrêté à Londres où il se faisait soigner.
Un juge madrilène, Baltasar Garzón, demanda son extradition au motif de la mort de citoyens espagnols au Chili.
Invoquant l’incapacité de Pinochet à subir un procès en raison de son âge, le Royaume-Uni, en 2000, lui évita finalement d’être extradé vers l’Espagne où il aurait fait l’objet de poursuites pour violation des droits de l’Homme.
Au début de la procédure, l’avocat de Pinochet, Clare Montgomery, fit valoir dans sa défense un argument qui n’avait rien à voir avec l’âge ou la mauvaise santé du dictateur.
« Les États et les organes de l’État, y compris les chefs d’État et les anciens chefs d’État, ont droit à l’immunité absolue contre toute poursuite pénale devant les tribunaux nationaux d’autres pays », a déclaré le Guardian, citant Montgomery. Elle a fait valoir que les crimes contre l’humanité devraient être définis de façon restrictive dans le contexte de la guerre internationale, comme l’a signalé la BBC.
L’argument de l’immunité selon Claire Montgomery fut rejeté par la Chambre des Lords. Mais le tribunal d’extradition jugea que le mauvais état de santé de Pinochet, un ami de l’ancien Premier ministre Margaret Thatcher, ne lui permettait pas d’être transféré en Espagne.
Les mêmes participants
Assange en 2014, à l’ambassade de l’Équateur. (Chancellerie d’Équateur, CC BY-SA 2.0, via Wikimedia Commons)
Bien que plus de deux décennies séparent les affaires de Pinochet et d’Assange, deux acteurs demeurent les mêmes, jouant cette fois des rôles très différents.
Claire Montgomery est réapparue dans l’affaire Assange pour plaider le droit d’un procureur suédois à demander un mandat d’arrêt européen contre Assange.
Elle a, en fin de compte, été déboutée. Un tribunal suédois a récemment rejeté le mandat d’arrêt européen. Pourtant, comme dans l’affaire Pinochet, Claire Montgomery a contribué à faire gagner du temps à son camp, permettant cette fois-ci aux allégations sexuelles suédoises de perdurer et de salir la réputation d’Assange.
Garzón, le juge espagnol qui avait demandé l’extradition de Pinochet, se retrouve également dans l’affaire Assange. C’est un défenseur bien connu des droits de l’Homme, « considéré par beaucoup comme le gardien de la loi le plus courageux d’Espagne et comme un fléau pour les responsables politiques corrompus et les barons de la drogue du monde entier », ainsi que le dépeignait The Independent, il y a quelques années.
Il dirige maintenant l’équipe juridique d’Assange.
Amis et ennemis
La question qui se pose est de savoir si le système judiciaire britannique, qui a laissé en liberté un dictateur notoire comme Pinochet, enverra un éditeur comme Assange aux États-Unis pour y risquer la prison à vie.
Climat hostile envers Assange dans le milieu politique.
Avant que le ministre britannique de l’Intérieur ne signe la demande d’extradition d’Assange, ce qui conduira le tribunal d’instance à organiser une audience de cinq jours fin février 2020, les législateurs britanniques ont publiquement demandé que les poursuites contre Assange suivent leur cours. Peu d’élus ont défendu Assange dont l’image est entachée par les allégations de la Suède pourtant non prouvées et par des critiques concernant les élections américaines de 2016, qui n’ont rien à voir avec la demande d’extradition.
Pinochet, en revanche, avait des amis haut placés. Ainsi Thatcher avait-elleouvertement demandé sa libération.
« [Pinochet] aurait, dit-on, pris l’habitude d’envoyer des chocolats et des fleurs à [Thatcher] lors de ses deux visites annuelles à Londres ainsi que prendre le thé avec elle à chaque fois que c’était possible. Deux semaines seulement avant son arrestation, le général Pinochet était reçu par les Thatcher à leur adresse de Chester Square à Londres », rapportait la BBC.CNN avait fait état de « leur proximité bien connue ».
On a aussi la preuve qu’une même sympathie liait Pinochet et l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger. The Nation a fait état d’un mémo déclassifié concernant une conversation privée à Santiago du Chili, en juin 1976, qui révélait les manifestations « d’amitié, les assurances de soutien » et les souhaits de succès adressés par Kissinger à Pinochet au plus fort de la répression engagée par ce dernier, alors que beaucoup de crimes tels que tortures, disparitions, et actes de terrorisme international – étaient commis.
Pinochet, à gauche, saluant Kissinger en 1976. (Ministère des Relations extérieures du Chili, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons)
Violation des droits de l’Homme systématique et généralisée.
Pinochet est arrivé au pouvoir le 11 septembre 1973 à la suite d’un coup d’État violent de l’armée chilienne, soutenu par les États Unis, qui a évincé le président démocratiquement élu du pays, le socialiste Salvador Allende.Ce coup d’État a été qualifié de « l’un des plus brutaux de l’histoire moderne de l’Amérique latine ».
La CIA a financé des opérations au Chili avec des millions de dollars d’impôts américains avant et après l’élection d’Allende, selon le rapport de 1975 de la Commission du sénateur américain Church.
Bien que le rapport du Comité Church n’ait trouvé aucune preuve que l’Agence ait financé directement le coup d’État, les Archives de la Sécurité nationale ont noté que la CIA « avait soutenu activement la junte militaire après le renversement du président Allende.. De nombreux officiers de Pinochet ont été impliqués dans des violations systématiques et généralisées des droits de l’Homme. Certains d’entre eux étaient des contacts ou des agents de la CIA ou de l’armée des États Unis. »
La violence infligée par Pinochet s’est propagée au-delà des frontières du Chili. C’est sur ses ordres, le lien est établi, qu’a été assassiné un dissident chilien en exil, Orlando Letelier, dans un attentat à la voiture piégée sur le sol des États Unis, attentat qui a également coûté la vie à Ronni Moffitt, citoyen américain.
La Villa Grimaldi, l’un des plus grands centres de torture de la dictature militaire de Pinochet. (CC BY 2.5 via Wikimedia Commons)
Plus de 40 000 personnes, dont beaucoup n’étaient liées qu’indirectement à des dissidents, ont été « portées disparues », torturées ou tuées pendant les 17 années du règne de terreur de Pinochet.
Le Chili de Pinochet, presque immédiatement après le coup d’État, est devenu le laboratoire de la théorie économique néolibérale de l’École de Chicago, c’est-à-dire un nouveau laissez-faire, imposé sous la menace des fusils. Thatcher et le président Ronald Reagan se sont faits les champions d’un système de privatisation, de libre échange, de réduction des services sociaux et de la déréglementation des services de banque et d’affaires, qui a créé les plus grandes inégalités du siècle.
A l’inverse de ces crimes et de cette corruption, Assange a publié des milliers de documents classifiés montrant des fonctionnaires des États Unis et d’autres pays impliqués dans de purs actes criminels et de corruption.
Pourtant, il est loin d’être certain qu’Assange bénéficiera de la clémence dont Pinochet a joui dans le cadre du processus d’extradition britannique.
Après la mort du dictateur, Christopher Hitchens a écrit que le ministère américain de la Justice avait, depuis un certain temps, une mise en accusation concernant Pinochet. « Mais l’acte d’accusation n’a jamais été rendu public », a souligné Hitchens dans Slate.
L’acte d’accusation d’Assange, en revanche, n’a pas seulement été divulgué, mais d’autres accusations ont été portées contre lui.
Compte tenu des difficultés qu’il rencontre depuis longtemps pour accéder à la justice, il est juste de dire que le Royaume-Uni et le reste du monde occidental sont en train de procéder à une lente « disparition forcée » d’Assange.
Elizabeth Vos est journaliste indépendante et collaboratrice régulière deConsortium News.
Source : Consortium News, Elizabeth Vos, 28-06-2019
Traduit par les lecteurs du site http://www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
Assange derrière les barreaux
Une visite à la prison de haute sécurité de Belmarsh
Publié le 27 Septembre 2019
Je n’ai connu Julian Assange qu’en détention. Depuis neuf ans, je lui rends visite en Angleterre pour lui apporter des nouvelles d’Australie et de la solidarité. À Ellingham Hall, j’ai apporté de la musique et du chocolat, à l’ambassade de l’Équateur, j’ai apporté des chemises en flanelle, la sérieRake et du sorbet Wizz Fizz [spécialités australiennes, NDT ] des feuilles d’eucalyptus, mais à la prison de Belmarsh, on ne peut rien apporter, ni un cadeau, ni un livre, ni un bout de papier. Puis je suis retournée en Australie, un pays si lointain qui l’a abandonné à presque tous les égards.
Au fil des ans, j’ai appris à ne pas demander « Comment vas tu ? », parce que c’est évident qu’il est détenu, souillé, calomnié, diffamé, privé de liberté, piégé – toujours plus à l’étroit dans des couloirs toujours plus froids, plus sombres et plus humides – poursuivi et puni pour ses publications. Au fil des ans, j’ai appris à ne pas me plaindre de la pluie ou à évoquer une belle journée, car il est à l’intérieur depuis si longtemps qu’un blizzard serait une bénédiction. J’ai aussi appris qu’il n’est pas réconfortant mais cruel de parler de couchers de soleil, de kookaburras [oiseaux d’Australie NdT], de voyages en voiture ; il n’est pas utile de lui assurer que, comme moi et mon chien, il retrouvera des traces d’animaux de la jungle quand il reviendra, même si j’y pense presque tous les jours.
C’est la nature prolongée et intensifiée de son incarcération qui me frappe alors que j’attends devant la porte d’entrée de la prison en briques brunes. Au centre d’accueil d’en face, on a pris mes empreintes digitales après avoir présenté deux attestations d’adresse et mon passeport. Après avoir vidé complètement mes poches, j’ai fermé mes sacs, ne gardant que 20 £ à dépenser en chocolat et sandwiches. Malgré le système de sécurité qui suit, l’argent est confisqué à un moment donné entre pas moins de quatre portiques qui sont verrouillés derrière nous avant l’ouverture du portique suivant, un détecteur de métal, fouille de haut en bas, une inspection buccale et auriculaire. Après avoir remis nos chaussures, nous traversons un espace extérieur et sommes confrontés à la réalité de la cage : une clôture grise en treillis d’acier avec du fil barbelé acéré d’environ 4 mètres de haut tout autour. Je me dépêche de pénétrer dans le bâtiment suivant avant d’entrer dans une pièce où trente petites tables sont fixées au sol, avec une chaise en plastique bleu faisant face chacune à trois chaises en plastique vert.
Il s’assoit sur l’une des chaises en plastique bleu.
J’hésite maintenant, comme je le fais toujours, à le décrire. Cela aussi, je l’ai appris : c’est une impulsion protectrice contre la fascination morbide de certains partisans, et contre d’autres qui se délectent de ses souffrances. Son état de santé se détériorait déjà gravement lorsqu’il a quitté l’ambassade. Il confirme qu’il est toujours dans le service de santé, bien qu’il n’ait pas vu de spécialistes, ce qui est évidemment nécessaire après ce qu’il a vécu. Il explique qu’il est transporté à l’intérieur et à l’extérieur de sa cellule, où il est maintenu vingt-deux heures par jour dans le cadre de ce que l’on appelle des « déplacements contrôlés », ce qui signifie que la prison est fermée à clé et les couloirs sont dégagés. Il décrit la cour d’exercice. Il est écrit sur le mur : « Profitez des brins d’herbe sous vos pieds », mais il n’y a pas d’herbe, seulement du béton. Il n’y a rien de vert, juste des couches de treillis métallique au-dessus de sa tête, et du béton tout autour.
Après un tel isolement et une telle privation de compagnie humaine, il est bien sûr heureux de voir des amis. Il s’efforce de faire bonne figure, vient à ma rencontre, sourit à mes blagues, fait preuve de patience face à ma maladresse, hoche la tête et m’encourage à me souvenir des messages à moitié mémorisés. Je cours chercher des provisions pour qu’il puisse rencontrer un autre ami. C’est alors que je me rends compte que je n’ai pas d’argent, alors je retourne leur en demander. A mon retour, une femme dans un hijab me dit : « Il n’a rien à faire ici. Il ne devrait pas être ici. Nous savons beaucoup de choses grâce à lui. Il a beaucoup de partisans dans la communauté musulmane ». Cette déclaration et cette solidarité m’aident à me calmer après l’épreuve qui est de pénétrer dans cet endroit sinistre ; même ici, il y a de la chaleur, de l’amitié, de la gentillesse. Je suis très reconnaissante envers cette femme et je reviens avec un plateau de malbouffe et rapporte ce qu’elle vient de me dire, ce qui montre une fois de plus que beaucoup de gens parviennent à se faire une opinion, au delà de la manipulation médiatique intensive à laquelle Julian est soumis, et qu’ils font preuve d’humanité, de bon sens et d’empathie malgré tout.
Julian a droit à deux visites sociales par mois ; la dernière a eu lieu trois semaines et demie plus tôt, alors nous parlons rapidement, échangeons autant de mots, de messages et d’idées que nous le pouvons. Il n’y a jamais de silences entre nous et, carburant uniquement au café jusqu’au petit matin, nous avons souvent parlé en même temps, répondant pendant que les autres parlaient, mais le bruit dans la salle était trop fort. Julian a souvent besoin de fermer les yeux pour retrouver le fil de sa pensée, puis nous reprenons, tellement conscients de l’accélération du temps, si lent en prison, durant les visites tellement bruyantes – une trentaine d’autres prisonniers voient leurs amis et leur famille, les tout-petits essaient d’être entendus, et probablement les micros et les caméras font autant d’efforts que moi pour entendre ce qui se dit.
L’expert de l’ONU sur la torture qui lui a également rendu visite à Belmarsh a déclaré que Julian montre les effets d’une torture psychologique prolongée. Il a été soumis à une détention illimitée, et la perspective de son extradition vers les États-Unis pour un procès mis en scène, où il risquerait 175 ans de prison – une peine de mort effective – est sans aucun doute une forme de torture. Pourtant, je suis toujours frappée du nombre de fois où il ne veut pas parler de lui-même et ramène la conversation aux principes et implications globales de son affaire : « Il ne s’agit pas seulement de moi, Flick ; il s’agit de tant de gens, de tous les journalistes au Royaume-Uni. Si l’on peut me prendre, n’importe quel journaliste ou éditeur australien travaillant à Londres peut être pris pour avoir simplement fait son travail ».
Quelques semaines plus tôt, lors d’un événement des Verts à Sydney, j’ai perdu mon sang-froid lors d’une table ronde face à quelqu’un qui avait tenu les mêmes propos : « Il ne s’agit pas de Julian ; il s’agit de journalisme ». J’ai répliqué aussitôt : « Eh bien, quand est-ce que ça va être à propos de Julian aussi ? Quand il sera mort ? Quand ils l’auront tué ? Quand pensez-vous qu’il pourrait s’agir d’un éditeur australien qui se trouve dans une cage britannique puni par les États-Unis pour avoir publié la vérité sur les guerres en Irak et en Afghanistan ? ».
Il est difficile d’imaginer, même pendant neuf minutes, les choix faits au cours des neuf dernières années – les décisions soudaines, les visites à la librairie, les voyages en cars, bêcher le jardin, emballer les cadeaux – tout cela ne peut être mesuré, à moins de faire appel à sa mémoire lointaine. Cela change radicalement une conversation normale avec Julian. Rien n’est normal ; chaque étape du processus juridique et politique au cours des neuf dernières années a été anormale, et le contexte et les prétextes ont également été manipulés par une kyrielle de stratégies, dont certaines ont été révélées, pour corrompre et modifier la perception qu’il a de son affaire, de son travail et ses partisans. Cela change radicalement la conversation normale à son sujet, même avec certains de mes amis les plus attentionnés.
Je prends dans mes bras un homme beaucoup plus mince que celui que j’ai connu auparavant, et une personne différente disparaît dans le couloir quand la visite est terminée, bien que nos deux poings gauches soient levés, comme d’habitude.
Sur le chemin du retour de la visite, nous avons reçu un appel pour nous informer qu’une audience technique avait été reportée de façon inattendue au lendemain. Lors de cette « audience technique », le juge de district a exclu par anticipation la mise en liberté sous caution. Mais ce n’était pas une audience de mise en liberté sous caution, d’ailleurs les avocats de Julian n’avaient même pas eu la possibilité d’en faire la demande. Le juge l’a exclue sans entendre aucun argument ni aucun fait. Lorsque le juge lui a demandé s’il comprenait, Julian a répondu : « Pas vraiment. Je suis sûr que les avocats l’expliqueront ». Il n’a pas compris parce que c’était incompréhensiblement irrégulier, encore une fois, mais aussi parce qu’il n’a pas accès aux documents judiciaires et aux dossiers juridiques pour l’aider à préparer son affaire.
Lundi 23 septembre, Julian a purgé sa peine pour violation de la liberté sous caution et ne sera détenu par le Royaume-Uni dans le seul but que les États-Unis puissent tenter de l’extrader. Autrement dit, il aura purgé sa peine de prison pour avoir commis le crime de demander et de recevoir l’asile politique. L’Équateur a accordé l’asile parce qu’il était évident que les États-Unis avaient l’intention de le poursuivre pour ses publications. Entre autres choses, il est poursuivi pour avoir publié le nombre réel de civils qui ont été tués en Irak et en Afghanistan – des milliers de personnes qui ont été victimes de bombardements, de mutilations et de tortures. Il a également publié des informations sur des journalistes tués par les forces occidentales, dont José Couso, le journaliste espagnol tué en Irak par les troupes américaines (les Espagnols ont alors fait l’objet de pressions de la part des États-Unis pour qu’ils ne demandent pas d’enquête). C’est pourquoi ils veulent enfermer Julian : pour l’exemple, et pour qu’ils puissent continuer de le faire à l’avenir sans être inquiétés.
Julian avait donc raison depuis le début. Il a demandé l’asile à partir du scénario auquel il est actuellement confronté : l’extradition vers un procès spectaculaire aux États-Unis et une condamnation à mort effective pour avoir publié des informations d’intérêt public. La nature extrême des accusations a étouffé la haine féroce contre Julian, mais pas les déclarations sur sa « personalité pop » – une personnalité que j’apprécie et que j’aime, comme Noam Chomsky, Daniel Ellsberg, Slavoj Žižek, Patti Smith, P. J. Harvey, Scott Ludlam, Ken Loach et plusieurs autres penseurs et militants divers. Aujourd’hui, le New York Times, le Washington Post, le Wall Street Journal et le Guardian font des remarques désobligeantes sur la personnalité de Julian avant d’exprimer leur vive inquiétude face aux accusations qui pèsent contre lui, car bien sûr, comme l’a déclaré Amal Clooney, envoyée spéciale du Royaume-Uni à la Conférence mondiale pour la liberté des médias de juin dernier, ils « criminalisent les pratiques courantes du métier de journaliste ».
Enfin, les éditeurs et les journalistes du monde entier comprennent que leur destin est lié à celui de Julian, qui n’a aucun espoir d’un procès équitable aux États-Unis. Il est accusé en vertu de la Loi sur l’espionnage, une première à l’encontre d’un éditeur, où aucune défense d’intérêt public n’est permise. C’est pourquoi le juge et le ministre de l’Intérieur britanniques ne devraient pas extrader Julian Assange vers les États-Unis. Les voix s’élèvent de plus en plus à mesure que l’on se rend compte que si cette extradition est acceptée, n’importe quel journaliste d’investigation travaillant sur le domaine de la sécurité nationale au Royaume-Uni ou ailleurs dans le monde peut être arrêté, créant un terrible précédent pour tous les journalistes et éditeurs.
Aux États-Unis, le ministère de la Justice de Trump tente de contraindre Chelsea Manning et Jeremy Hammond à témoigner contre Julian dans le cadre d’un procès à huis clos devant le grand jury sans juge – une institution qui a été abolie dans tout les autres pays sauf le Libéria. Alors qu’eux aussi sont en prison indéfiniment, Manning et Hammond résistent. Où cela va-t-il s’arrêter ? Cela devra cesser quand Julian sortira de Belmarsh, puis de l’aéroport de Sydney, pour que ses yeux, endommagés par tant d’années à l’intérieur, puissent enfin s’adapter pour retrouver les sentiers des wombats et de wallabys ici à la maison. Jusque-là, nous devons continuer de lutter contre son extradition, appelant le Royaume-Uni à résister et le gouvernement australien à ramener ce citoyen et cet éditeur chez lui.
***
Les chefs d’accusations
Julian Assange fait face à 18 chefs d’accusations :
1. Complot pour violation de la loi sur l’espionnage : 10 ans
2. Violation de la loi sur l’espionnage en obtenant des dossiers de Manning sur la base navale de Guantanamo Bay (GITMO) : 10 ans
3. Violation de la loi sur l’espionnage par l’obtention de Cablegate par Manning : 10 ans
4. Violation de la loi sur l’espionnage en obtenant des journaux de la guerre d’Irak de Manning : 10 ans
5. Tenter de recevoir et d’obtenir des informations classifiées : 10 ans
6. Obtention et réception illégales de fichiers GITMO : 10 ans
7. Obtention et réception illégales de Cablegate : 10 ans
8. Obtention et réception illégales des journaux de guerre de l’Irak : 10 ans
9. Divulgation illégale par Manning des fichiers GITMO : 10 ans
10.Divulgation illégale par Manning de Cablegate : 10 years
11. Divulgation illégale par Manning des journaux de guerre d’Irak : 10 ans
12. Inciter Manning à communiquer, livrer et transmettre les fichiers GITMO : 10 ans
13. Inciter Manning à communiquer, livrer et transmettre Cablegate : 10 ans
14. Inciter Manning à communiquer, livrer et transmettre les journaux de guerre de l’Irak : 10 ans
15. ‘Publication pure’ de journaux de guerre afghans : 10 ans
16. ‘Publication pure’ des journaux de la guerre d’Irak : 10 ans
17.’Publication pure’ de Cablegate : 10 ans
18. Complot en vue d’enfreindre la Loi sur la fraude et les abus informatiques (LFAFE) : 5 ans
[Auteur Felicy Ruby : son blog : https://felicityruby.com. NdT]Source : Arena, Felicity Ruby, 27-09-2019
Traduit par les lecteurs du site http://www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
Source : https://www.les-crises.fr/assange-derriere-les-barreaux/
L’Amérique doit être condamnée à 10 ans et c’est pas cher payé pour chaque vie éteinte durant les mandats Bush , Obama , Trump ! Passer les présidents en exercice à cette époque devant la CPI devrait leur être imposé ! Abroger ces lois scélérates votées par des bandits qui tuent et condamnent la liberté de le dire , de le publier au monde entier !
C’est un aveu complet de leurs crimes !
Julian Assange , lui , n’a fait que révéler au grand jour ce qu’on savait déjà en » haut lieu » !
Le Brexit , et ces retards incessants de sorties et de ratés , aurait-il un lien direct avec la date du procès de Julian ?
Assange au Tribunal (21 octobre 2019)
par Craig MURRAY :
https://www.legrandsoir.info/assange-au-tribunal-21-octobre-2019.html
Source : Le Grand Soir
JOHN PILGER : Est-ce que cela s’est passé dans la maison de la Magna Carta ?
https://consortiumnews.com/2019/10/25/john-pilger-did-this-happen-in-the-home-of-the-magna-carta/