[À méditer, le crayon à la main (ça fait 200 ans que ça dure…) : cherchez la cause des causes]
« Après la révolution de Juillet [1830], lorsque le banquier libéral Laffitte conduisit en triomphe son compère le duc d’Orléans à l’Hôtel de ville, il laissa échapper ces mots : « Maintenant, le règne des banquiers va commencer. » Laffitte venait de trahir le secret de la révolution.
Ce n’est pas la bourgeoisie française qui régnait sous Louis-Philippe, mais une fraction de celle-ci : banquiers, rois de la Bourse, rois des chemins de fer, propriétaires de mines de charbon et de fer, propriétaires de forêts et la partie de la propriété foncière ralliée à eux, ce que l’on appelle l’aristocratie financière. Installée sur le trône, elle dictait les lois aux Chambres, distribuait les charges publiques, depuis les ministères jusqu’aux bureaux de tabac.
La bourgeoisie industrielle proprement dite formait une partie de l’opposition officielle, c’est-à-dire qu’elle n’était représentée que comme minorité dans les Chambres. Son opposition se fit de plus en plus résolue au fur et à mesure que le développement de l’hégémonie de l’aristocratie financière devenait plus net et qu’après les émeutes de 1832, 1834 et 1839 noyées dans le sang elle crut elle-même sa domination plus assurée sur la classe ouvrière. Grandin, fabricant de Rouen, l’organe le plus fanatique de la réaction bourgeoise, tant dans l’Assemblée nationale constituante que dans la Législative était, à la Chambre des députés, l’adversaire le plus violent de Guizot, Léon Faucher, connu plus tard pour ses vains efforts à se hausser au rôle de Guizot de la contre-révolution française, guerroya dans les derniers temps de Louis-Philippe à coups de plume en faveur de l’industrie contre la spéculation et son caudataire, le gouvernement. Bastiat, au nom de Bordeaux, et de toute la France vinicole, faisait de l’agitation contre le système régnant.
La petite bourgeoisie dans toutes ses stratifications, ainsi que la classe paysanne étaient complètement exclues du pouvoir politique. Enfin, se trouvaient dans l’opposition officielle, ou complètement en dehors du pays légal, les représentants idéologiques et les porte-parole des classes que nous venons de citer, leurs savants, leurs avocats, leurs médecins, etc., en un mot ce que l’on appelait les capacités.
La pénurie financière mit, dès le début, la monarchie de Juillet sous la dépendance de la haute bourgeoisie et cette dépendance devint la source inépuisable d’une gêne financière croissante. Impossible de subordonner la gestion de l’État à l’intérêt de la production nationale sans établir l’équilibre du budget, c’est-à-dire l’équilibre entre les dépenses et les recettes de l’État. Et comment établir cet équilibre sans réduire le train de l’État, c’est-à-dire sans léser des intérêts qui étaient autant de soutiens du système dominant, et sans réorganiser l’assiette des impôts, c’est-à-dire sans rejeter une notable partie du fardeau fiscal sur les épaules de la grande bourgeoisie elle-même ?
L’endettement de l’État était, bien au contraire, d’un intérêt direct pour la fraction de la bourgeoisie qui gouvernait et légiférait au moyen des Chambres. C’était précisément le déficit de l’État, qui était l’objet même de ses spéculations et le poste principal de son enrichissement. À la fin de chaque année, nouveau déficit. Au bout de quatre ou cinq ans, nouvel emprunt. Or, chaque nouvel emprunt fournissait à l’aristocratie une nouvelle occasion de rançonner l’État, qui, maintenu artificiellement au bord de la banqueroute, était obligé de traiter avec les banquiers dans les conditions les plus défavorables. Chaque nouvel emprunt était une nouvelle occasion, de dévaliser le public qui place ses capitaux en rentes sur l’État, au moyen d’opérations de Bourse, au secret desquelles gouvernement et majorité de la Chambre étaient initiés.
En général, l’instabilité du crédit public et la connaissance des secrets d’État permettaient aux banquiers, ainsi qu’à leurs affiliés dans les Chambres et sur le trône, de provoquer dans le cours des valeurs publiques des fluctuations insolites et brusques dont le résultat constant ne pouvait être que la ruine d’une masse de petits capitalistes et l’enrichissement fabuleusement rapide des grands spéculateurs.
Le déficit budgétaire étant l’intérêt direct de la fraction de la bourgeoisie au pouvoir, on s’explique le fait que le budget extraordinaire, dans les dernières années du gouvernement de Louis-Philippe, ait dépassé de beaucoup le double de son montant sous Napoléon, atteignant même près de 400 millions de francs par an, alors que la moyenne de l’exportation globale annuelle de la France s’est rarement élevée à 750 millions de francs.
En outre, les sommes énormes passant ainsi entre les mains de l’État laissaient place à des contrats de livraison frauduleux, à des corruptions, à des malversations et à des escroqueries de toute espèce. Le pillage de l’État en grand, tel qu’il se pratiquait au moyen des emprunts, se renouvelait en détail dans les travaux publics. Les relations entre la Chambre et le gouvernement se trouvaient multipliées sous forme de relations entre les différentes administrations et les différents entrepreneurs.
De même que les dépenses publiques en général et les emprunts publics, la classe dominante exploitait aussi les constructions de lignes de chemin de fer. Les Chambres en rejetaient sur l’État les principales charges et assuraient à l’aristocratie financière spéculatrice la manne dorée. On se souvient des scandales qui éclatèrent à la Chambre des députés lorsqu’on découvrit, par hasard, que tous les membres de la majorité, y compris une partie des ministres, étaient actionnaires des entreprises mêmes de voies ferrées, à qui ils confiaient ensuite, à titre de législateurs, l’exécution de lignes de chemins de fer pour le compte de l’État.
Par contre, la moindre réforme financière échouait devant l’influence des banquiers, telle, par exemple, la réforme postale. Rothschild protesta, l’État avait-il le droit d’amoindrir des sources de revenu qui lui servaient à payer les intérêts de sa dette sans cesse croissante ?
La monarchie de Juillet n’était qu’une société par actions fondée pour l’exploitation de la richesse nationale française dont les dividendes étaient partagés entre les ministres, les Chambres, 240 000 électeurs et leur séquelle. Louis-Philippe était le directeur de cette société : Robert Macaire sur le trône. Le commerce, l’industrie, l’agriculture, la navigation, les intérêts de la bourgeoisie industrielle ne pouvaient être que menacés et lésés sans cesse par ce système. Aussi, celle-ci avait-elle inscrit sur son drapeau, pendant les journées de Juillet : Gouvernement à bon marché. »
Karl Marx, Les luttes de classes en France (1848).
Fil Facebook correspondant à ce billet :
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Ma suggestion :
« Avec le développement de la banque, à compter du XVIIe siècle, et l’aide d’un certain nombre d’autres circonstances, ces cycles d’euphorie et de panique se multiplièrent. Leur amplitude en vint à correspondre à peu près avec le temps qu’il fallait aux gens pour oublier le désastre précédent — le temps que les génies financiers d’une génération mourussent dans la honte et fussent remplacés par de nouveaux hommes de l’art que gogos et gobe-mouches pouvaient croire aussi doués, mais vraiment, cette fois, que Midas.
Ces cycles d’euphorie et de panique se sont étalés sur deux cent soixante-dix ans, de John Law jusqu’aux prestidigitateurs des caisses d’épargne américaines. Puisque John Law a montré, peut-être mieux que personne après lui, ce qu’une banque peut faire avec la monnaie et à la monnaie, il mérite que l’on s’arrête un peu sur son cas. D’autant que, se déroulant à Paris, ses opérations eurent un style et un panache qu’elles n’auraient probablement pas manifestés si elles avaient eu pour cadre une place financière plus banale. Elles eurent aussi le mérite d’une extrême clarté.
Law arriva en France en 1716 avec des antécédents que, même alors, certains ont dû juger peu rassurants. Originaire d’Ecosse, détail qui retiendra l’attention plus tard, il fuit l’Angleterre où on l’accuse de meurtre, à la suite d’un duel dont il est assez irrégulièrement sorti vainqueur. Héritier d’une fortune considérable, il l’avait dilapidée avant de se mettre à gagner sa vie en jouant. » […] (La suite est passionnante et hilarante…)
John Kenneth Galbraith, « L’argent », p 42.
La trahison des Américains par leur Président, Woodrow Wilson :
« Après l’entrée de l’Amérique dans la Première Guerre Mondiale, Woodrow Wilson livra le gouvernement des États-Unis au triumvirat constitué de ceux qui avaient financé sa campagne présidentielle : Bernard Baruch, Eugène Meyer et Paul Warburg. Baruch fut nommé à la tête du Conseil des Industries de la Guerre, avec des pouvoirs de vie et de mort sur toutes les usines aux États-Unis. Eugène Meyer fut nommé à la tête de la Société du Financement de la Guerre, en charge du programme de prêts qui finançaient la guerre. Paul Warburg prit le contrôle du système bancaire de la nation [américaine]. » 174
174 NOTE : Le New York Times du 10 août 1918 : « M. (Paul) Warburg était l’auteur du plan qui organisa la Société de Financement de la Guerre. »
Eustache Mullins, « Les secrets de la réserve fédérale », 1952, p 167.
La révoltante histoire de la « Réserve fédérale » américaine, hold-up planétaire sur la création monétaire
http://etienne.chouard.free.fr/Europe/forum/index.php?2011/02/04/114-la-revoltante-histoire-de-la-pretendue-reserve-federale-americaine
Aucun organe médiatique ne peut rester indifférent aux intérêts de ses annonceurs ou d’aucun pouvoir qui le soutient et lui permet d’exister.
Michel Bounan, « L’impensable, l’indicible, l’innommable » (1999−2007).
Le Journal au lieu d’être un sacerdoce est devenu un moyen pour les partis ; de moyen, il s’est fait commerce ; et comme tous les commerces, il est sans foi ni loi. Tout journal est une boutique où l’on vend au public des paroles de la couleur dont il les veut. S’il existait un journal des bossus, il prouverait soir et matin la beauté, la bonté, la nécessité des bossus. Un journal n’est plus fait pour éclairer, mais pour flatter les opinions.
Honoré de Balzac (1799−1850).
La première condition de la liberté de la presse consiste à ne pas être un métier.
Marx.
D’où l’importance historique de l’Internet dans l’histoire humaine, peu coûteux et facile à financer sans aide extérieure.
ÉC 🙂
« La classe de loisir se recrute aujourd’hui parmi ceux qui ont réussi dans le domaine pécuniaire. On peut donc supposer qu’en fait de particularités rapaces, ces personnes ont été mieux dotées que l’ordinaire. On entre dans la classe de loisir en passant par les activités pécuniaires ; lesquelles, par sélection et adaptation, ne laissent accéder aux plus hauts paliers que certains lignages ; ceux-là même qui, mis à l’épreuve, ont montré des dons de rapace et ont survécu grâce à leurs aptitudes pécuniaires. […]
À la vérité, cette opération de tri dure depuis toujours. Elle est aussi ancienne que la rivalité pécuniaire, disons donc aussi ancienne que la classe de loisir faite institution. C’est le critère de sélection qui n’a pas toujours été le même, et le tri qui n’a donc pas toujours donné les mêmes résultats.
Au début du stade barbare, c’est-à-dire au stade prédateur proprement dit, l’aptitude se jugeait tout naïvement sur la prouesse. Pour être digne d’entrer dans la classe, le candidat devait posséder plusieurs dons : le dévouement exclusif au clan, l’aspect imposant, la férocité, le mépris des scrupules, l’acharnement. C’étaient là des vertus essentielles à qui voulait accumuler des richesses et en jouir. L’assise économique de la classe de loisir était la possession des richesses ; elle le resta, mais les méthodes d’accumulation allaient changer, et d’autres dons allaient être nécessaires pour conserver l’acquis.
Dès ce début de l’époque barbare, la sélection dégageait les caractères dominants de la classe de loisir, audacieuse dans l’offensive, vigilante dans le respect du rang et sans gêne dans le recours à la fraude. Les membres de la classe occupaient leur position par bénéfice de prouesse.
Dans la période tardive de barbarie, sous le régime de rang devenu quasi pacifique, la société allait se faire à des méthodes plus rassises. L’agression pure et simple, la violence effrénée allaient céder largement la place à l’habileté, à la sagacité, à la chicane. Ainsi la classe de loisir conservait différentes sortes d’aptitudes et de penchants. L’agressivité impérieuse, et tout ce qui s’appesantit avec elle, et le sentiment du rang, inflexible et sans pitié, comptaient toujours parmi les plus magnifiques attributs de la classe.
Ils ont subsisté dans nos traditions comme les « vertus aristocratiques » exemplaires. Toutefois, il s’y associait un assortiment toujours plus large de vertus moins voyantes, comme la prévoyance, la prudence et l’esprit de chicane. Avec le temps, aux approches du stade moderne et pacifique de la culture pécuniaire, ces nouvelles aptitudes et habitudes se sont montrées relativement plus utiles aux visées pécuniaires ; elles ont eu plus de poids relatif dans le processus de sélection qui permet d’entrer et demeurer dans la classe de loisir.
Le critère de sélection s’est modifié jusqu’à ne laisser subsister que les aptitudes pécuniaires. Des vertus du rapace reste seulement l’acharnement, ou fixité d’intention, qui avait permis au barbare de supplanter le sauvage pacifique. Or, on ne saurait dire que ce trait de caractère distingue nettement l’homme arrivé, membre de la classe supérieure, du simple troupier des classes industrielles. En effet, ce dernier subit dans la vie moderne un entraînement et une sélection qui lui rendent cette faculté non moins précieuse.
Disons plutôt que l’obstination distingue les deux types déjà nommés de deux autres types : le propre-à-rien sans initiative et le délinquant de bas étage. Pour ce qui est des dispositions naturelles, l’homme de finance s’apparente au délinquant, tout comme l’homme d’industrie se compare au paresseux sans chemise et bon enfant. L’homme de finance idéal ressemble au délinquant idéal en ce qu’il convertit sans scrupules hommes et biens à ses propres fins, qu’il considère avec un mépris endurci les sentiments et aspirations d’autrui, et qu’il se soucie fort peu du résultat éloigné de ses actes ; mais il en est tout différent par le sentiment très vif qu’il a du rang social, et par la clairvoyance et l’application qu’il apporte à des visées plus lointaines. »
Thorstein Veblen, « Théorie de la classe de ceux qui ne font rien » (ou « Classe improductive », souvent traduit improprement « Classe de loisir »), 1899.
« Quand la République tombe entre certaines mains, ce sont CES MAINS-LÀ qui font la contre-révolution » dit-il.
« Que voulez-vous que nous fassions quand le responsable des finances — (cette fois il y va tout droit, hein : CAMBON) —, QUAND LE RESPONSABLE DES FINANCES FOMENTE L’AGIOTAGE, FAVORISE LE RICHE ET DÉSESPÈRE LE PAUVRE ? J’en ai assez de vivre, dit Robespierre, dans un monde où l’honnêteté est toujours victime de l’intrigue et où la Justice est un mensonge. »
Henri Guillemin, conférence sur Robespierre.
« En 1911, un des bien rares économistes français qui ne fût pas conservateur, et qui s’appelait Francis Delaisi, avait lancé une petite brochure, 30 pages environ, qui s’appelait carrément « La guerre qui vient », et je tiens à vous lire un petit paragraphe (de ce texte de Francis Delaisi, en 1911) :
« En dépit des apparences démocratiques en France, le peuple ne contrôle pas ses gouvernements. Un groupe étroit s’est emparé des conseils d’administration des grandes sociétés financières. Ces quelques hommes tiennent entre leurs mains les banques, les mines, les chemins de fer, les compagnies de navigation, bref, tout l’outillage économique de la France. Sans oublier la sidérurgie et les fabriques d’armes d’où ils tirent de croissants profits. Ils dominent le parlement et ont à leur solde la grande presse. La guerre ne leur fait pas peur, ils la considèrent même avec intérêt (…) Nos banques ont gardé le souvenir des bénéfices énormes réalisés par elles en 1871. » »
Henri Guillemin, « L’autre avant-guerre », épisode 11 « La guerre se prépare », min. 0:29.
http://www.rts.ch/archives/tv/culture/dossiers-de-l-histoire/3436351-la-guerre-se-prepare.html
Frédéric Lordon, « Conspirationnisme : la paille et la poutre », 24 août 2012.
[…] « Il faudrait sans doute commencer par dire des complots eux-mêmes qu’ils requièrent d’éviter deux écueils symétriques, aussi faux l’un que l’autre : 1) en voir partout ; 2) n’en voir nulle part.
Quand les cinq grandes firmes de Wall Street en 2004 obtiennent à force de pressions une réunion longtemps tenue secrète à la Securities and Exchange Commission (SEC), le régulateur des marchés de capitaux américains, pour obtenir de lui l’abolition de la « règle Picard » limitant à 12 le coefficient de leviérisation globale des banques d’affaires [1], il faudrait une réticence intellectuelle confinant à l’obturation pure et simple pour ne pas y voir l’action concertée et dissimulée d’un groupe d’intérêts spécialement puissants et organisés – soit un complot, d’ailleurs tout à fait couronné de succès. Comme on sait les firmes de Wall Street finiront leviérisées à 30 ou 40, stratégie financière qui fera leur profits hors du commun pendant la bulle… et nourrira une panique aussi incontrôlable que destructrice au moment du retournement.
Des complots, donc, il y en a, en voilà un par exemple, et il est de très belle facture. » […]
http://etienne.chouard.free.fr/Europe/forum/index.php?2012/08/26/248-f-lordon-conspirationnisme-la-paille-et-la-poutre-jean-quatremer-voit-des-complot-partout
[1] Le coefficient de leviérisation désigne le multiple de dette, par rapport à ses fonds propres, qu’une banque peut contracter pour financer ses positions sur les marchés.
« Le capital doit se protéger par tous les moyens possibles, à la fois par la combinaison et la législation. Les dettes doivent être collectées, les hypothèques saisies le plus rapidement possible. Lorsque, en vertu de la loi, les gens perdront leurs maisons, ils deviendront plus dociles et plus faciles à gouverner grâce au bras fort du gouvernement mis en œuvre par un pouvoir central de la richesse sous le contrôle de grands financiers. Ces vérités sont bien connues parmi nos principaux hommes qui sont maintenant engagés dans la formation d’un impérialisme pour gouverner le monde. En divisant les électeurs par le système des partis politiques, nous pouvons les amener à dépenser leur énergie en se battant pour des questions sans importance. C’est donc par l’action discrète que nous pouvons obtenir pour nous-mêmes ce qui a été si bien planifié et ainsi accompli avec succès. »
Propos souvent attribué (sans preuve) à Norman Montagu (1871−1950),
ex-gouverneur de la Banque d’Angleterre, s’adressant à l’association des Banquiers des États-Unis, New York (1924 ?)
Source : https://books.google.fr/books?id=emg9AAAAYAAJ&dq=Capital+to+govern+the+world.+Capital+must+protect+itself+in+every+possible+manner&q=%22Capital+to+govern+the+world%22.+%22Capital+must+protect+itself+in+every+possible+manner%22&redir_esc=y&hl=fr#search_anchor
http://www.hoaxbuster.com/forum/encore-une-citation-sortie-d-ne-sait-ou
« Arlette Chabot est connue pour ses questions extrêmement acérées, qui doivent avoir à peu près le tranchant d’une asperge… Bon, enfin, c’est une nouvelle démonstration…
Le cas Strauss-Kahn est plus intéressant : on peut interroger DSK sous deux rapports. Le premier, ce serait de l’interroger à propos du présent et de l’avenir, lui dire : « et qu’est-ce que vous faites pour la crise ? Comment on va s’en sortir ? quelles sont vos propositions ? Etc.
Et l’autre question qui, à tout prendre (oui, je sais qu’on préfère l’avenir au passé) mais à tout prendre je préfèrerais la perspective, ou la rétrospective plutôt, parce que la question à lui poser, effectivement, serait : « mais au fait, n’auriez-vous pas contribué, sur les bords, à nous foutre dans cette merdouille, par hasard ?… et là, la réponse est extrêmement édifiante : on peut répondre, par exemple sur la question des stocks options : on peut rappeler que Monsieur Strauss-Kahn a été l’auteur d’un projet de loi qui aménageait un régime fiscal extrêmement douillet pour les stocks options et que ceci s’inscrit dans une longue série de décisions politiques, qui ont produit ce qu’on appelle la « financiarisation », car c’est bien de cela qu’il est question, en fait : poser la question en rétrospective, c’est poser la question de la responsabilité, et là il y a des choses à dire, parce que, lorsque l’on regarde cette crise, évidemment, on est… tout de suite on est furieux, le sang bout, etc. et on cherche des responsables pour se passer les nerfs (ce qui n’est pas un mouvement à réprimer nécessairement d’ailleurs : simplement, il faut le diriger convenablement). Or, les premiers responsables qu’on se trouve, et à qui on voudrait faire passer le goût du pain, sont évidemment ceux que désignerait « la causalité immédiate », c’est-à-dire les banquiers et les traders.
Alors évidemment, oui, les banquiers et les financiers, on a envie de les raccompagner à la sortie de la ville sur un rail avec du goudron et des plumes, ça c’est bien clair, et pourtant, si on s’en tient là, on loupe à peu près tout de la question de la respon-sabilité, car à la limite, les banquiers et les traders, … c’est comme… Je vais te donner une métaphore :
c’est comme si on se plaignait du spectacle dégradant et néfaste à la santé mentale des enfants que donnent deux équipes de rugby où tu vois les gens se frapper dessus et se rentrer dedans avec une violence extrême…
Oui, mais enfin, les joueurs de rugby, ils jouent le jeu qu’on leur a aménagé : il y a un terrain, il y a l’arbitre, et ça fait partie de la règle du jeu de se rentrer dans le lard… donc, une fois qu’on a posé ces règles-là, il ne faut pas s’étonner que des gens y jouent et s’y conforment. Moyennant quoi, la vraie question de la responsabilité doit être décalée, et il faut poser non pas la question des agents qui jouent dans le terrain de jeu de la finance, mais la question de ceux qui ont constitué le terrain de jeu de la finance, et qui ont aménagé ces règles.
Et qui sont ces gens ? Alors, c’est là que la question devient intéressante : ces gens, ce sont essentiellement des politiques, car tous les mouvements de déréglementation, qu’ils soient financiers ou d’une autre nature, sont le produit de décisions de politique publique.
Le marché ne surgit pas comme ça, par génération spontanée, ou par l’effet des forces endogènes (du cosmos ou de tout ce qu’on veut) : ce sont des décisions de politique publique, et il faut en reprendre la chronique : QUI A FAIT QUOI ? QUAND ET COMMENT ? Et là, c’est absolument accablant, y compris pour Monsieur Strauss Kahn, hein ? Le paradoxe veut que ce soit le « socialisme de gouvernement » qui ait équipé de pied en cap les mécanismes de dérégulation financière : ça commence avec Bérégovoy en 1986, ça se termine, on pourrait dire, presque avec le projet de Ségolène Royal en 2007 qui voulait passer aux fonds de pension, bon. Mais entre-temps, il y a toute une série de décisions dont je pourrais te narrer le menu… ça ne serait pas intéressant mais c’est ça la véritable question :
Donc, il y a deux catégories d’individus, d’agents dont il faut incriminer pour de bon la responsabilité. Ce sont 1) ceux qui ont créé, ceux qui ont été les ingénieurs de la déréglementation financière, et 2) ceux qui en ont été les « conservateurs symboliques », c’est-à-dire d’un côté les politiques et de l’autre, la galaxie des faiseurs d’opinion, des prescripteurs, appelons-les comme on veut : éditorialistes, experts, etc. etc. parmi lesquels Chabot, absolument : que ce soit par omission ou par célébration, tous ces prescripteurs, tous ceux qui étaient en position de poser des questions et qui ne les ont, soit pas posées, soit qui ont substitué leurs propres apologies aux questions qu’ils auraient dû poser, font partie de cette catégorie des responsables, et des responsables véritables, qu’il faut savoir débusquer derrière les responsables apparents. »
Frédéric Lordon, décodant la crise financière pour Arrêt sur images en juillet 2009.
https://www.dailymotion.com/video/x9vq7a_integrale-ete-maja-lordon-monte_news
« Il faut suspendre la question de la responsabilité pour regarder non plus des individus, mais regarder des forces, celles qui sont à l’œuvre, c’est-à-dire qui poussent et qui autorisent les agents à faire ce qu’ils font. Or, les forces, elles sont inscrites dans des structures : des structures institutionnelles, des structures réglementaires, des structures légales… et lorsque des structures sont installées, alors il ne faut pas s’étonner que les agents qui y sont plongés se comportent comme ces structures les autorisent et les déterminent à se comporter.
Premier exemple : si vous opérez la modification de structure qui consiste à re légaliser les bobinards, il ne faut pas vous étonner que, si vous lâchez trente sous-mariniers qui sortent de trois mois d’immersion océanique, vous n’allez pas les retrouver en train de jouer au rami ou à la crapette, ça ne se produira pas. Parce que « la situation est armée » et qu’elle va fonctionner, conformément à son concept, si je puis dire.
Et ça sera pas la peine d’en appeler à un geste d’éthique, ou à un sursaut de vertu… ccc’est idiot… »
Frédéric Lordon, décodant la crise financière pour Acrimed en février 2009 (min. 8′30″)
et préférant de bonnes institutions à d’illusoires promesses de vertu.
http://www.agoravox.tv/actualites/medias/article/crise-financiere-decodage-decapant-21961
Serge Halimi : L’État démantelé (2010)
Le 15 septembre 2008, avec la banqueroute de Lehman Brothers, le système financier s’est écroulé. Seul l’État pouvait le sauver, et il l’a fait. Depuis, selon l’économiste américain Paul Krugman, « les choses s’aggravent plus lentement ». Acquis au prix fort, le ralentissement (relatif) de l’aggravation ne saurait faire oublier la réitération d’une évidence ancrée dans l’histoire moderne : celle que le capitalisme autorégulé ne fonctionne pas. Seul l’accroissement des dépenses publiques a permis à l’économie de ne pas s’affaisser davantage. Il a contenu les effets d’un krach né d’un excès de dette privée.
L’État est devenu l’investisseur, l’acheteur, l’emprunteur de dernier recours. Massivement et presque partout, il est intervenu, pour éviter la panne générale. Il a sauvé les banques, puis l’immobilier, puis l’automobile. Les déficits publics ont allègrement crevé le plafond de 3 % du produit intérieur brut (PIB), autrefois jugé sacrilège. Aux États-Unis, en Grèce, en Espagne et au Royaume-Uni, le seuil des 10 % fut franchi ; celui de 8 % en France ; de 6,5 % en Allemagne. Et cette dette n’a pas été créée pour ensevelir le capitalisme, pour « euthanasier les rentiers », mais pour les sauver. Or, qui organisa de telles interventions, sur tous les fronts ? Non pas des socialistes, pas même des keynésiens, mais des libéraux, des hommes de droite. « Quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat », dit le poète.
La grêle, c’est ce moment où les entreprises hésitent à investir, même avec des taux d’intérêt proches de zéro, parce qu’elles n’entrevoient aucune perspective de développement ; où les ménages réduisent leur consommation ; où même les Américains se remettent à épargner parce qu’ils ne sauraient s’endetter davantage pour parer aux dépenses d’une maladie, assurer leur retraite, payer toujours plus cher les études de leurs enfants.
Ce genre d’histoire en rappelle une autre : la crise de 1929 avait déjà rendu nécessaires un certain nombre d’interventions publiques, de réglementations économi-ques et financières, de grands travaux, de planifications, et même de nationalisations. Cela dura une cinquantaine d’années. En 1933, par exemple, la loi Glass Steagall rendit incompatibles les métiers de banque de dépôt et de banque d’investissement, une séparation abolie en 1999 par un président Clinton d’autant plus ivre de déréglementation financière que son parti était soutenu par l’argent des banques. La crise actuelle trouve son origine dans cette décision américaine de 1999. Au lieu de prêter à leurs déposants sur la base d’actifs bien réels, les banques comme les institutions financières ont multiplié les produits dérivés, les investissements risqués, les coups de Bourse. Jusqu’au jour où l’exubérance du marché a remplacé la discipline de la main invisible, où le risque parut s’évanouir derrière l’écran des bulles spéculatives, où les agences de notation furent prises en main par les secteurs industriels qu’elles devaient noter. Jusqu’au jour où les dépôts, mais aussi la retraite, de millions d’épargnants se trouvèrent menacés.
Toutefois, bien avant l’abolition de la loi Glass Steagall, dès 1971 (qui marque la fin de la convertibilité du dollar en or) et pendant une trentaine d’années, le contrôle des prix, l’échelle mobile des salaires, une politique monétaire décidée par les États, nombre de réglementations nées du New Deal avaient été remis en cause par un puissant mouvement intellectuel, lequel se trouva progressivement relayé par toutes les grandes forces politiques, démocrates, sociaux démocrates et socialistes compris.
On parle souvent de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher mais, aux États-Unis, ce fut le démocrate Jimmy Carter qui lança le bal des déréglementations. En France, la grande réforme des marchés financiers eut le socialiste Pierre Bérégovoy et son directeur de cabinet au ministère des Finances Jean-Charles Naouri (plus tard président du groupe Casino) pour parrains. Le discours dominant devint alors presque partout celui de l’autorégulation du marché, de la gestion du risque.
Les résultats, on les connaît. Il ne faut toutefois jamais croire que les faits parlent d’eux-mêmes… Car en matière économique et financière, sujet difficile et qu’on s’emploie à rendre incompréhensible pour tous ceux qu’on veut décourager d’agir, les faits dépendent d’une grille d’analyse, d’un travail politique. Or les libéraux s’emploient en ce moment à convaincre une partie des citoyens que la crise de l’endettement privé provoquée par les banques serait en réalité une crise de la dette publique induite par la gloutonnerie des États, le vieillissement de la population (retraites), la trop grande générosité des programmes sociaux. Quant à la « bulle financière », elle aurait été enfantée par la contrainte imposée aux banques d’accorder des crédits immobiliers à des emprunteurs de moins en moins fiables — autant dire : des pauvres qui voulurent devenir châtelains…
Un tel matraquage idéologique sert de tir d’artillerie pour préparer le terrain des grandes « réformes » à venir. Le plus gros de la crise financière passé — ou plus précisément transféré du privé au public —, le projet libéral va reprendre avec d’autant plus de violence que l’État s’est endetté au-delà des ressources dont il peut disposer ou qu’il accepte de lever. En l’absence d’une gauche digne de ce nom (c’est-à-dire capable de proposer autre chose que la perpétuation adoucie de l’ordre économique existant), les marchés se réinstallent spontanément dans la cabine de pilotage.
En d’autres termes, ce qui s’est produit depuis septembre 2008 marquait peut-être un simple intermède. Déjà, certains libéraux ironisent : nous serions en train de répéter les années 1970, celles de la « crise fiscale de l’État », par crainte de revivre les années 1930 du chômage de masse ; le bouclier social est trop lourd et les caisses trop vides. Ils ironisent et ils se rassurent, car les années 1970 se sont conclues à leur avantage. Endettement, déficits, inflation, mise en cause de programmes de redistribution des revenus jugés trop dispendieux, ils avaient alors fait leur miel de chacun de ces embarras. Entrevue en septembre 2008, leur défaite idéologique est-elle donc aussi acquise qu’on l’a imaginé à l’époque ? L’endettement public, rendu inévitable par la panne économique, ne sert-il pas déjà de prétexte au démantèlement de ce qui subsiste de protection sociale ?
Auquel cas, on pourrait connaître le scénario suivant. Les caisses étaient vides : on ne remplaçait pas un fonctionnaire sur deux. Et puis, la crise financière a sévi. On a alors aidé les banques, on s’est endetté pour les sauver (sans contrepartie) et pour secourir leurs créanciers ; on a lancé de nouveaux emprunts ; on n’a jamais remis en cause les boucliers fiscaux érigés autour des revenus les plus élevés. Depuis, les caisses sont vraiment vides. Alors on ne remplace pas quatre fonctionnaires sur cinq comme en Grèce, ou neuf sur dix comme en Espagne. On réduit leurs salaires. On cède des actifs publics. On rogne sur le remboursement des dépenses médicales et sur le droit à la retraite, une retraite que les gouvernements envisagent de retarder à soixante-cinq ans en Grèce, à soixante-sept ans en Espagne, à soixante-neuf ans en Allemagne…
En cours d’application, ce scénario peut compter sur un acteur plein d’aplomb : la finance. Depuis que, grâce à des injections plantureuses d’argent public, les banques ont retrouvé leurs couleurs, elles ont en effet émergé de la crise plus concentrées, plus puissantes qu’avant, assez effrontées pour prendre les États (qui les ont sauvées) en otage en prétextant de s’inquiéter de leur solvabilité future. Astucieusement mis entre parenthèses tant qu’il fallait débourser des montants dépassant l’entendement pour sauver Goldman Sachs, la Deutsche Bank ou BNP Paribas, le spectre de la faillite a resurgi. Le poids croissant de l’endettement sert de justification supplémentaire, presque obsédante, au démantèlement de la protection sociale, des services publics, à la « découpe » des administrations, à l’invasion des logiques de rentabilité commerciale dans des activités qui en étaient jusque-là préservées. Des libéraux donnés pour comateux au moment de la faillite de Lehman Brothers et d’AIG ont trouvé dans l’annonce répétée que « les caisses sont vides » l’instrument de leur résurrection politique. « Le système public ne reculera que pris en tenaille entre des déficits devenus insupportables et des ressources en voie de rétractation », annonçait Alain Minc en novembre… 1984. Il y a plus d’un quart de siècle.
Or les caisses demeureront d’autant plus vides qu’on s’emploie à ne rien y laisser ni traîner ni venir. La coalition au pouvoir à Berlin a promis 24 milliards d’euros supplémentaires d’allégements d’impôts, alors que le déficit allemand atteignait déjà près de 6,5 % du PIB en 2010 (plus de deux fois le taux maximum autorisé par le pacte de stabilité et de croissance de l’Union européenne). Les conservateurs britanniques se sont engagés à diminuer l’impôt sur les sociétés. En France, depuis l’élection de M. Nicolas Sarkozy, la droite a successivement supprimé l’imposition des heures supplémentaires, dressé un « bouclier fiscal » autour des revenus du capital, réduit les droits de succession et éliminé la taxe professionnelle acquittée par les entreprises. Rien qu’en divisant par trois le montant de la TVA reversée par les cafetiers et restaurateurs, le gouvernement français a sacrifié 2,4 milliards d’euros de recettes en 2009. C’est cinq fois la somme que rapportera au Trésor le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Toutefois, sous prétexte d’« équité », MM. Fillon et Sarkozy ont récupéré 150 millions d’euros grâce à la fiscalisation des indemnités journalières versées aux victimes d’un accident du travail. Bien qu’ils montrent d’excellentes dispositions en la matière, il leur reste un peu de chemin à faire avant d’égaler le cynisme social de Reagan. L’ancien président américain avait rendu beaucoup plus doux les impôts des plus riches. Et puis, parce qu’il fallait réduire les déficits (qu’il venait de creuser), il demanda aux cantines scolaires de comptabiliser le ketchup comme un légume…
Pour les hauts revenus, l’opération d’ensemble est miraculeuse : on réduit leur contribution, ce qui crée une impasse fiscale qu’on les presse de combler (qui d’autre en aurait les moyens ?) en achetant la dette publique. Ils y consentent en échange d’un taux d’intérêt d’autant plus lucratif que celle-ci est élevée… La « politique des caisses vides » est d’abord une politique de classe.
Jadis, les conservateurs se montraient soucieux de comptes en équilibre, au point d’admettre parfois de relever les impôts. Depuis près de trente ans, au contraire, les déficits publics sont devenus leur création consciente, destinée à paralyser les velléités d’intervention de la collectivité. Une pratique laxiste, qui ampute les recettes, se double d’un discours catastrophiste permettant de refouler les dépenses de l’État-providence. « Comment pourra-t-on jamais ramener l’État à de justes proportions ? interrogeait l’économiste Milton Friedman au soir de sa vie. Je pense qu’il n’y a qu’une façon : celle dont les parents contrôlent les dépenses excessives de leurs enfants en diminuant leur argent de poche. Pour un gouvernement, cela signifie réduire les impôts. »
Et tout cela, jusqu’à quand ? On doit d’autant plus se poser la question qu’en l’absence d’une remise en cause fondamentale des politiques économiques et sociales des trente années écoulées, ce sont les mêmes qui demeurent aux commandes de l’État. Et que, dès lors, ce sont aussi les mêmes lobbies qui contrôlent les instances chargées de réglementer leurs secteurs respectifs, de « moraliser le capitalisme » : on risque le retour à une vérité historique bien connue. Quand l’État est la chasse gardée des classes dominantes, quand le pantouflage entre un ministère économique et une grande société privée devient la règle, la régulation ne constitue pas forcément la panacée. Elle peut tout aussi bien être confiée à des régulateurs qui estiment que les régulations ont pour principale utilité de protéger l’intérêt des entreprises qu’ils régulent.
Il suffit pour cela d’offrir à ces intérêts une couverture publique. L’historien Grant McConnell a rappelé dans le Wall Street Journal que la première agence de réglementation fédérale aux États-Unis, l’Interstate Commerce Commission, fut chargée en 1887 de réglementer les tarifs de fret du chemin de fer. Au même moment, un avocat des compagnies de chemin de fer devenait ministre de la Justice. Un jour, celles-ci lui demandèrent de supprimer la réglementation du fret. Il leur répliqua : « L’agence vous est ou peut vous devenir très utile. Elle satisfait la demande populaire d’une réglementation des chemins de fer alors que cette réglementation est purement virtuelle. Par ailleurs, plus l’agence prendra de l’âge, plus elle sera encline à adopter le point de vue de l’industrie. La sagesse n’est donc pas de la détruire mais d’y avoir recours. » Nombre de présidents, de Premiers ministres, de parlements ressemblent un peu à cette agence…
Les libéraux ne cessent de se demander tantôt s’il leur faut avoir recours à l’État pour imposer leurs « réformes » de marché à une société qui les refuse, tantôt si, cet État, ils ne devraient pas plutôt s’en répartir les dépouilles. Il faut espérer que d’autres dilemmes, plus exaltants que celui-ci, surgiront bientôt dans le débat politique.
Serge Halimi, Introduction à « L’État démantelé » (2010).
http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-L____tat_d__mantel__-9782707160195.html
Marx : « Le système du crédit public, c’est-à-dire des dettes publiques, dont Venise et Gênes avaient, au moyen âge, posé les premiers jalons, envahit l’Europe définitivement pendant l’époque manufacturière. Le régime colonial, avec son commerce maritime et ses guerres commerciales, lui servant de serre chaude, il s’installa d’abord en Hollande.
La dette publique, en d’autres termes l’aliénation de l’État, qu’il soit despotique, constitutionnel ou républicain, marque de son empreinte l’ère capitaliste. La seule partie de la soi-disant richesse nationale qui entre réellement dans la possession collective des peuples modernes, c’est leur dette publique. Il n’y a donc pas à s’étonner de la doctrine moderne que plus un peuple s’endette, plus il s’enrichit. Le crédit public, voilà le credo du capital. Aussi le manque de foi en la dette publique vient-il, dès l’incubation de celle-ci, prendre la place du péché contre le Saint-Esprit, jadis le seul impardonnable.
La dette publique opère comme un des agents les plus énergiques de l’accumulation primitive. Par un coup de baguette, elle doue l’argent improductif de la vertu reproductive et le convertit ainsi en capital, sans qu’il ait pour cela à subir les risques, les troubles inséparables de son emploi industriel et même de l’usure privée. Les créditeurs publics, à vrai dire, ne donnent rien, car leur principal, métamorphosé en effets publics d’un transfert facile, continue fonctionner entre leurs mains comme autant de numéraire. Mais, à part la classe de rentiers oisifs ainsi créée, à part la fortune improvisée des financiers intermédiaires entre le gouvernement et la nation – de même que celle des traitants, marchands, manufacturiers particuliers, auxquels une bonne partie de tout emprunt rend le service d’un capital tombé du ciel – la dette publique a donné le branle aux sociétés par actions, au commerce de toute sorte de papiers négociables, aux opérations aléatoires, à l’agiotage, en somme, aux jeux de bourse et à la bancocratie moderne.
Dès leur naissance les grandes banques, affublées de titres nationaux, n’étaient que des associations de spéculateurs privés s’établissant à côté des gouvernements et, grâce aux privilèges qu’ils en obtenaient, à même de leur prêter l’argent du public.
Aussi l’accumulation de la dette publique n’a‑t-elle pas de gradimètre plus infaillible que la hausse successive des actions de ces banques, dont le développement intégral date de la fondation de la Banque d’Angleterre, en 1694.
Celle-ci commença par prêter tout son capital argent au gouvernement à un intérêt de 8 %, en même temps elle était autorisée par le Parlement à battre monnaie du même capital en le prêtant de nouveau au public sous forme de billets qu’on lui permit de jeter en circulation, en escomptant avec eux des billets d’échange, en les avançant sur des marchandises et en les employant à l’achat de métaux précieux. Bientôt après, cette monnaie de crédit de sa propre fabrique devint l’argent avec lequel la Banque d’Angleterre effectua ses prêts à l’État et paya pour lui les intérêts de la dette publique.
Elle donnait d’une main, non seulement pour recevoir davantage, mais, tout en recevant, elle restait créancière de la nation à perpétuité, jusqu’à concurrence du dernier liard donné. Peu à peu elle devint nécessairement le réceptacle des trésors métalliques du pays et le grand centre autour duquel gravita dès lors le crédit commercial. Dans le même temps qu’on cessait en Angleterre de brûler les sorcières, on commença à y pendre les falsificateurs de billets de banque.
Karl Marx, Le Capital, Livre I, Paris : Garnier-Flammarion, 1969. Première édition : 1867. Chapitre XXXI : « Genèse du capitaliste industriel », pp. 556–564.
De toutes les maximes de la finance orthodoxe, il n’en est aucune de plus antisociale que le fétichisme de la LIQUIDITÉ, qui fait un devoir aux institutions de placement de concentrer leurs ressources sur les valeurs « liquides ». Une telle doctrine néglige le fait que, pour la communauté dans son ensemble, il n’y a rien qui corresponde à la liquidité du placement.
Keynes, « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » (1936), p 170.
Une considération qui contribua à paralyser les projets de réforme plus encore que les droits acquis, ce fut la crainte d’irriter les gens de finance. Ils étaient déjà les maîtres de la paix et de la guerre, les hommes qui, suivant le mot de Voltaire, soutiennent l’État comme la corde soutient le pendu.
A. Cochut, Revue des deux mondes, tome 5, « Étude sur les économistes financiers du 18e siècle », 1844.
Un financier est une personne
qui remplit ses poches quand tout va bien
et vide celles des autres quand tout va mal.
« J’ai toujours été l’ennemi des banques ; non de celles qui acceptent les dépôts de liquidités mais bien de celles qui nous refilent leurs billets de papier, écartant ainsi les honnêtes espèces de la circulation.
Mon zèle contre ces institutions était tel qu’à l’ouverture de la banque des É.-U. je m’amusai comme un fou des contorsions de ces bateleurs de banquiers cherchant à arracher au public la matière de leurs jongleries financières et de leurs gains stériles…
Nous faudra-t-il dresser un autel au vieux papier-monnaie de la révolution qui ruina les particuliers mais sauva la république, et y brûler les statuts de toutes les banques présentes et à venir ainsi que tous leurs billets ? Car ces derniers seront la ruine et des particuliers, et de la république.
Hélas ! c’est impossible. La manie est trop forte. Elle a saisi de ses illusions, elle a corrompu, tous les membres de notre gouvernement, tous ceux qui, à tous les échelons, décident de notre sort. »
Thomas Jefferson, Lettre à John Adams, The Adams-]efferson Letters, Lester Cappon, New York, 1971, vol. II, p. 424. Cité par John Kenneth Galbraith, dans « L’argent », Folio, p. 115.
Je relaie ici un petit élan qui pourrait, pourquoi pas, faire courber à terme l’échine de nos mafieux de dirigeants à propos de la réglementation sur le glyphosate.
https://www.helloasso.com/associations/campagneglypho/collectes/j‑ai-des-pesticides-dans-mes-urines-et-toi
On peut envoyer un mail ou bien créer sa propre campagne !
Le petit nombre des super-puissants savent jusqu’où aller dans la compétition relative qui les confrontent pour avant tout défendre leurs intérêts communs contre les masses. Leur culture de classe les y éduquent, leur pourvoir d’enrôlement des talents et des pouvoirs intermédiaires est à la dimension de leur fortune, leur capacité d’organisation en système d’influence cohérents d’autant plus grand qu’ils sont moins nombreux.
Cependant que les innombrables individus constituant les peuples forment une masse infiniment hétérogène dans ses valeurs, objectifs et niveaux de conscience politique.
Les divergences « naturelles / historiques » entres ces individus ou groupes d’individus (peuples, nations, populations, représentations du monde) ne demandent que peu d’efforts aux puissants pour conduire lesdits individus ou groupes d’individus à la confrontation violente, selon le vieil adage du diviser pour mieux régner.
Racistes contre racistes, racistes contre anti-racistes, sexistes contre anti-sexistes, féministes contre masculinistes, humanistes contre anti-spécistes, gauchistes contre droitards, anti-fa contre fascistes, progressistes contre conservateurs, représentations spirituelles du monde contre d’autres, sans compter les innombrables causes « secondaires » à défendre… la partie de la division est trop facile, juste besoin de mettre un peu d’huile sur le feu ici ou là, de temps à autres (surtout lorsqu’un nombre trop important d’individus commencent à se focaliser sur eux), facile de diviser 7 milliards d’êtres humains qui n’auraient pourtant qu’à se mettre d’accord sur le plus grand ennemi, l’ennemi prioritaire entre tous, La Banque et son monopole sur la monnaie.
La Banque est puissante mais les êtres humains se révèlent surtout incapables de se mettre d’accord sur un objectif commun, leur plus petit dénominateur commun…
ET, contrairement à ce que dit Friot, il me semble bien que les puissants n’ont perdu du terrain face au luttes populaires que dans des contextes historiques particuliers…
Monique Pinçon-Charlot : « Macron a crée une société de confiance pour les riches »
https://youtu.be/hqrEnKAcMiw
Romain Migus : Abandon du dollar par le Venezuela, l’UE va-t-elle se comporter en vassale des Etats-Unis ?
httpv://youtu.be/FLHQPH_9vpc
Jacques Sapir sur RT France : Le gouvernement italien choisit la relance et non l’austérité
https://francais.rt.com/opinions/54671-gouvernement-italien-choisit-relance-non-austerite
[Vidéo recommandée] Emmanuel Todd – Qu’est-ce que le macronisme ?
https://www.les-crises.fr/video-emmanuel-todd-quest-ce-que-le-macronisme/
httpv://youtu.be/3Z0yih4Md74
CES MILLIARDAIRES QUI NOUS FONT LES POCHES – DENIS ROBERT
httpv://www.youtube.com/watch?v=aCcjA7QVUdY
J’avais pas encore vu le nouvel article d’Etienne 😉
Je suis en retard de lecture…