[La Chine, l’Inde, et le prétendu « libéralisme »] Bruno Guigue : « La fable du libéralisme qui sauve le monde » & Arundhati Roy : « Capitalisme : une histoire de fantômes »

7/10/2018 | 4 commentaires

Bruno Guigue : La fable du libéralisme qui sauve le monde

En Occi­dent, le libé­ra­lisme passe pour une doc­trine indé­pas­sable. Pur pro­duit du génie euro­péen, il serait à l’origine des mer­veilleuses prouesses dont se vantent les socié­tés déve­lop­pées. Mais l’idéologie domi­nante ne se contente pas de lui attri­buer toutes les ver­tus à domi­cile. Elle lui prête aus­si un rayon­ne­ment sans fron­tières. A croire ses adeptes les plus enthou­siastes, les recettes libé­rales sauvent le monde ! Un édi­to­ria­liste fran­çais, par exemple, peut affir­mer lors d’un débat télé­vi­sé – sans être contre­dit – que « le libé­ra­lisme a éra­di­qué la pau­vre­té en Chine ». Devant une telle assu­rance, la rai­son défaille. Com­ment convaincre des croyants aus­si fana­ti­sés qu’une doc­trine prô­nant la libre concur­rence et pro­hi­bant l’intervention de l’État dans l’économie, en Chine, est une den­rée introu­vable ? On y voit en revanche un Etat sou­ve­rain diri­gé par le par­ti com­mu­niste et char­gé de pla­ni­fier le déve­lop­pe­ment à long terme du pays. Un Etat fort qui s’appuie sur un sec­teur pri­vé flo­ris­sant, certes, mais aus­si sur un puis­sant sec­teur public déte­nant 80% des actifs dans les indus­tries-clé. Pour ceux qui ne l’auraient pas encore remar­qué, en Chine, l’État maî­trise la mon­naie natio­nale, le sys­tème ban­caire est contrô­lé par le gou­ver­ne­ment et les mar­chés finan­ciers sont sous haute surveillance.
Il est clair que l’ouverture inter­na­tio­nale enga­gée par le pou­voir com­mu­niste à par­tir des années 80 a per­mis de cap­ter de pré­cieuses res­sources et d’obtenir des trans­ferts de tech­no­lo­gie. Mais on ne voit aucun rap­port entre cette poli­tique com­mer­ciale auda­cieuse et les dogmes libé­raux, que ce soit l’auto-régulation du mar­ché ou la concur­rence pure et par­faite. Le libé­ra­lisme n’a pas inven­té le com­merce, qui exis­tait bien avant que la moindre idée libé­rale ait ger­mé dans le cer­veau d’Adam Smith. « Etat fort », « pla­ni­fi­ca­tion à long terme », « puis­sant sec­teur public » sont des for­mules qui ne fleurent guère le libé­ra­lisme ordi­naire, et l’imputation à cette doc­trine des pro­grès spec­ta­cu­laires de l’économie chi­noise n’a aucun sens. La pau­vre­té aurait été vain­cue grâce aux recettes libé­rales ? Dans l’imagination des libé­raux, cer­tai­ne­ment. Dans les faits, la réus­site éco­no­mique de la Chine doit davan­tage à la main de fer de l’État qu’à la main invi­sible du mar­ché. Cette éco­no­mie mixte pilo­tée par le par­ti com­mu­niste chi­nois a por­té ses fruits. En trente ans, le PIB a été mul­ti­plié par 17 et 700 mil­lions de per­sonnes ont été extraites de la pau­vre­té. Comme la réduc­tion de la pau­vre­té dans le monde dans la même période est essen­tiel­le­ment due à la poli­tique éco­no­mique chi­noise, on peut dif­fi­ci­le­ment attri­buer au libé­ra­lisme les pro­grès récem­ment enre­gis­trés par l’humanité.
Du point de vue des rap­ports entre libé­ra­lisme et déve­lop­pe­ment, la com­pa­rai­son entre les deux géants asia­tiques est éga­le­ment ins­truc­tive. En 1950, l’Inde et la Chine se trou­vaient dans un état de déla­bre­ment et de misère extrêmes. La Chine connais­sait d’ailleurs une situa­tion pire que celle de son voi­sin, avec un PIB par habi­tant infé­rieur à celui de l’Afrique sub-saha­rienne et une espé­rance de vie moyenne de 42 ans. Aujourd’hui, la Chine est la pre­mière puis­sance éco­no­mique mon­diale et son PIB repré­sente 4,5 fois celui de l’Inde. Non que cette der­nière n’ait accom­pli aucun pro­grès. Bien au contraire. Après avoir jeté les bases d’une indus­trie moderne au len­de­main de l’indépendance (1947), l’Inde a connu depuis vingt ans un déve­lop­pe­ment accé­lé­ré et elle occupe une posi­tion de pre­mier plan dans des sec­teurs comme l’informatique et la phar­ma­cie. Mais elle a beau affi­cher des taux de crois­sance annuels inso­lents, elle char­rie une pau­vre­té de masse dont la Chine, elle, a enfin réus­si à se débar­ras­ser. Auteurs du livre « Splen­deur de l’Inde ? Déve­lop­pe­ment, démo­cra­tie et inéga­li­tés » (2014), Jean Drèze et Amar­tya Sen résument la situa­tion para­doxale du pays : « L’Inde a gra­vi l’échelle du reve­nu par habi­tant en même temps qu’elle a glis­sé au bas de la pente des indi­ca­teurs sociaux ».
En dépit de taux de crois­sance record, la situa­tion sociale du pays, en effet, n’est pas brillante. Il vaut mieux naître en Chine qu’en Inde, où le taux de mor­ta­li­té infan­tile est quatre fois plus éle­vé. L’espérance de vie des Indiens (67 ans) est net­te­ment infé­rieure à celle des Chi­nois (76 ans). Un tiers des Indiens n’ont ni élec­tri­ci­té ni ins­tal­la­tions sani­taires, et la mal­nu­tri­tion touche 30% de la popu­la­tion. Com­ment expli­quer un tel déca­lage ? Pour Jean Drèze et Amar­tya Sen, « l’Inde est le seul pays des BRICS à n’avoir pas connu de phase d’expansion majeure de l’aide publique ou de la redis­tri­bu­tion éco­no­mique. La Chine a fait très tôt d’énormes pro­grès en matière d’accès uni­ver­sel à l’enseignement pri­maire, aux soins médi­caux et à la pro­tec­tion sociale, et ce bien avant de se lan­cer dans des réformes éco­no­miques orien­tées vers le mar­ché, en 1979 ». Pour qu’un éco­no­miste indien (Prix Nobel d’économie 1998) dise que l’Inde aurait dû faire comme la Chine – sur le plan éco­no­mique, s’entend – il faut qu’il ait de bonnes rai­sons de le pen­ser. Et ce qu’il dit est extrê­me­ment clair : l’Inde, contrai­re­ment à la Chine, a man­qué d’un inves­tis­se­ment mas­sif de la puis­sance publique dans l’éducation et la san­té. L’Inde n’a pas souf­fert d’un sur­plus, mais d’un défi­cit d’État.
Mais pour­quoi ? L’explication four­nie par les deux éco­no­mistes à pro­pos de la poli­tique édu­ca­tive est par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sante : « Les pla­ni­fi­ca­teurs indiens étaient à l’opposé de leurs homo­logues des pays com­mu­nistes, à Mos­cou, Pékin et La Havane. Ces der­niers fai­saient grand cas de l’éducation sco­laire uni­ver­selle, consi­dé­rée comme une exi­gence socia­liste fon­da­men­tale, et aucun d’entre eux n’aurait per­mis que de fortes pro­por­tions d’enfants ne soient pas sco­la­ri­sés ». En Inde, en revanche, « la pré­ven­tion des classes et des castes supé­rieures à l’encontre de l’éducation des masses » a frei­né la géné­ra­li­sa­tion de l’enseignement pri­maire, entraî­nant un retard consi­dé­rable dans l’accès à l’éducation. C’est l’orientation idéo­lo­gique, et non une obs­cure fata­li­té, qui explique la dif­fé­rence des niveaux de déve­lop­pe­ment édu­ca­tif entre les deux pays. Les élites diri­geantes de l’Inde nou­velle avaient beau se récla­mer d’idéaux pro­gres­sistes, elles n’ont pas misé sur l’élévation du niveau sco­laire des masses indiennes, les « Intou­chables » se trou­vant relé­gués aux marges d’une socié­té hié­rar­chi­sée, bien loin de l’égalitarisme – y com­pris entre les hommes et les femmes – prô­né par l’idéologie maoïste de la Chine populaire.
Pour sou­li­gner un tel contraste, Amar­tya Sen cite un com­men­taire de l’écrivain indien Rabin­dra­nath Tagore for­mu­lé lors de son voyage en Union sovié­tique (1930) : « En posant le pied sur le sol de la Rus­sie, la pre­mière chose qui atti­ra mon atten­tion fut que, en matière d’éducation en tout cas, la pay­san­ne­rie et la classe ouvrière avaient fait de tels pro­grès en ces quelques années que rien de com­pa­rable n’était adve­nu même à nos classes supé­rieures en un siècle et demi ». On peut dire ce qu’on veut des régimes com­mu­nistes, mais il est indé­niable qu’ils ont misé sur l’éducation uni­ver­selle, la san­té pour tous et l’émancipation fémi­nine. Les conti­nui­tés his­to­riques étant par­fois sai­sis­santes, on peut d’ailleurs rap­pro­cher ce com­men­taire mécon­nu de Tagore sur l’URSS des années 30 avec un autre docu­ment : le résul­tat de l’étude sur la lec­ture (« PIRLS ») conduite par l’Association inter­na­tio­nale pour l’évaluation de la réus­site édu­ca­tive. Menée en 2016 sur un échan­tillon de 319 000 élèves de CM1 dans cin­quante pays, cette étude com­pare les per­for­mances des élèves en matière de lec­ture et de com­pré­hen­sion d’un texte écrit. La Rus­sie est arri­vée en tête, à éga­li­té avec Sin­ga­pour. Mais c’est sans doute le hasard.
En tout cas, une chose est sûre : en Chine popu­laire comme en URSS, l’enseignement public – et notam­ment l’enseignement pri­maire : la lec­ture, l’écriture et le cal­cul – était prio­ri­taire. Si la Chine a su résoudre des pro­blèmes dans les­quels l’Inde se débat tou­jours (illet­trisme, insa­lu­bri­té, mor­ta­li­té infan­tile), ce n’est cer­tai­ne­ment pas parce qu’elle est plus « libé­rale ». En fait, c’est exac­te­ment le contraire. En dotant le pays de solides infra­struc­tures publiques, le socia­lisme chi­nois – en dépit de ses erreurs – a créé les condi­tions d’un déve­lop­pe­ment du pays à long terme. Les diri­geants du par­ti com­mu­niste ont beau faire l’éloge du libre-échange, ils savent bien que la cohé­sion de la socié­té chi­noise ne repose pas sur le com­merce inter­na­tio­nal. Avant d’ouvrir son éco­no­mie, la Chine s’est dotée d’un sys­tème édu­ca­tif et sani­taire lui per­met­tant d’affronter la com­pé­ti­tion éco­no­mique mon­diale. Mani­fes­te­ment, elle cueille aujourd’hui le fruit de ses efforts.
Bien enten­du, ce n’est pas davan­tage par libé­ra­lisme que Deng Xiao Ping a impo­sé la poli­tique de l’enfant unique. En pro­cé­dant à cette intru­sion dans la sphère pri­vée, Pékin a réus­si le pari d’un contrôle des nais­sances indis­pen­sable au déve­lop­pe­ment. Tout le monde est d’accord aujourd’hui pour admettre que le jeu en valait la chan­delle. Mais il est dif­fi­cile d’imputer au libé­ra­lisme le suc­cès d’une régu­la­tion dras­tique des nais­sances impo­sée par le par­ti com­mu­niste. Sous un régime plu­ra­liste, une telle poli­tique ne serait même pas conce­vable. Ni plu­ra­liste ni libé­ral, le régime chi­nois pou­vait pla­ni­fier le déve­lop­pe­ment du pays en sacri­fiant les inté­rêts pri­vés sur l’autel de l’intérêt géné­ral. En atten­dant, les résul­tats parlent d’eux-mêmes. Et il est pro­bable que les Chi­nois en com­prennent d’autant mieux la néces­si­té que cette poli­tique a désor­mais été assou­plie. En Inde, les ten­ta­tives d’Indira Gand­hi n’ont pas eu le même suc­cès, et l’hypothèque démo­gra­phique conti­nue de peser sur le déve­lop­pe­ment du pays.
L’exemple de la démo­gra­phie, d’ailleurs, montre que la ques­tion du déve­lop­pe­ment se pose sous un autre jour si l’on réexa­mine plus fine­ment la situa­tion indienne. « Les Etats indiens qui s’en sortent bien, affirment Jean Drèze et Amar­tya Sen, sont ceux qui avaient posé aupa­ra­vant les solides bases d’un déve­lop­pe­ment par­ti­ci­pa­tif et d’une aide sociale, et pro­mu acti­ve­ment l’extension des capa­ci­tés humaines, par­ti­cu­liè­re­ment dans les domaines de l’éducation et de la san­té ». Avec un indice de déve­lop­pe­ment humain qui est de loin le plus éle­vé du pays, le Kéra­la (sud-ouest de l’Inde) fait figure de vitrine sociale du sous-conti­nent. Il est aus­si l’État de l’Inde où la tran­si­tion démo­gra­phique est la plus ache­vée, ce qui contri­bue à l’évolution posi­tive de la condi­tion fémi­nine. Or la baisse du taux de nata­li­té est direc­te­ment cor­ré­lée à l’élévation du niveau d’éducation. Très pauvre au moment de l’indépendance (1947), le Kéra­la a enga­gé un pro­gramme ambi­tieux de déve­lop­pe­ment édu­ca­tif, sani­taire et social, créant les condi­tions d’un déve­lop­pe­ment éco­no­mique dont il per­çoit aujourd’hui le béné­fice. Avec un reve­nu par tête qui est le plus éle­vé de l’Union (70% de plus que la moyenne indienne), un taux de sco­la­ri­sa­tion de 98%, un taux de mor­ta­li­té infan­tile cinq fois moins éle­vé que la moyenne des Etats indiens, cet Etat de 34 mil­lions d’habitants dont la presse occi­den­tale ne parle jamais a aus­si pour carac­té­ris­tique de favo­ri­ser le rôle poli­tique et social des femmes.
Mais ces suc­cès ne datent pas d’hier, ils sont le fruit d’une poli­tique de longue haleine. Comme en Chine, le déve­lop­pe­ment du pays va de pair avec le sou­ci du long terme. « Le Kéra­la conti­nue de pro­gres­ser rapi­de­ment sur divers fronts et son avance par rap­port aux autres Etats ne semble nul­le­ment se réduire avec le temps, indiquent Jean Drèze et Amar­tya Sen. Depuis les années 80, le déve­lop­pe­ment du Kéra­la a régu­liè­re­ment été dénon­cé par des com­men­ta­teurs méfiants envers l’intervention de l’État, qui le jugeaient insou­te­nable ou trom­peur, voire sus­cep­tible de conduire à la débâcle. Il est cepen­dant appa­ru que l’amélioration des condi­tions de vie dans cet Etat s’est non seule­ment pour­sui­vie mais accé­lé­rée, avec l’aide d’une crois­sance éco­no­mique rapide, favo­ri­sée à son tour par l’attention accor­dée à l’instruction pri­maire et aux capa­ci­tés humaines ». Cette avance du Kéra­la par rap­port aux autres Etats indiens n’est pas un héri­tage de la période anté­rieure à l’indépendance : en 1947, le Kéra­la était extrê­me­ment pauvre. Ce pro­grès est le fruit d’un com­bat poli­tique dont le moment-clé se situe en 1957, lorsque le Kéra­la est le pre­mier Etat à élire une coa­li­tion diri­gée par les com­mu­nistes. Depuis cette date, ils exercent le pou­voir local en alter­nance avec une coa­li­tion de centre gauche diri­gée par le par­ti du Congrès. En tout cas, il ne semble pas que les com­mu­nistes du Com­mu­nist Par­ty of IndiaMar­xist (CPI‑M) et leurs alliés – qui exercent à nou­veau le pou­voir depuis 2016 après avoir fait du Kéra­la l’État le plus déve­lop­pé de l’Inde -, aient pui­sé leur ins­pi­ra­tion dans les doc­trines libérales.
Bref, pour conti­nuer à sau­ver le monde, le libé­ra­lisme va devoir faire la preuve qu’il a quelque chose de neuf à appor­ter aux deux Etats les plus peu­plés de la pla­nète. Que la Chine com­mu­niste soit res­pon­sable de l’essentiel de l’effort accom­pli pour éra­di­quer la pau­vre­té dans le monde, et que cet évé­ne­ment passe inaper­çu de l’opinion occi­den­tale, en dit long sur l’aveuglement idéo­lo­gique ambiant. On pour­rait pour­suivre l’analyse en mon­trant qu’un petit Etat des Caraïbes sou­mis à un blo­cus illé­gal a tout de même réus­si à bâtir un sys­tème édu­ca­tif, sani­taire et social sans équi­valent par­mi les pays en déve­lop­pe­ment. Avec un taux de sco­la­ri­sa­tion de 100% et un sys­tème de san­té récom­pen­sé par l’Organisation mon­diale de la san­té, Cuba a récem­ment accom­pli la prouesse d’offrir à sa popu­la­tion une espé­rance de vie supé­rieure à celle des USA et un taux de mor­ta­li­té infan­tile équi­valent à celui des pays déve­lop­pés. Les méthodes pour y par­ve­nir n’ont rien de libé­ral, mais cha­cun a sa concep­tion des droits de l’homme : en rame­nant le taux de mor­ta­li­té infan­tile de 79 p. 1000 (1959) à 4,3 p. 1000 (2016), le socia­lisme cubain sauve des mil­liers d’enfants par an. Pour contem­pler les effets miri­fiques du libé­ra­lisme, en revanche, il suf­fit de regar­der ce qui se passe dans la région. Du côté d’Haïti, par exemple, ce pro­tec­to­rat amé­ri­cain où l’espérance de vie est de 63 ans (contre 80 pour Cuba), ou du côté de la Répu­blique domi­ni­caine – un peu mieux lotie – où l’espérance de vie est de 73 ans et la mor­ta­li­té infan­tile repré­sente cinq fois celle de Cuba.
Mais ces brou­tilles n’intéressent guère les par­ti­sans du libé­ra­lisme. Leur doc­trine, ils la voient tel un che­va­lier blanc – c’est le cas de le dire – répan­dant ses bien­faits depuis cet Occi­dent qui a tout com­pris et veut en com­mu­ni­quer le béné­fice à des popu­la­tions confites d’émotion devant tant de bon­té et prêtes à embras­ser sa foi dans l’homo œco­no­mi­cus, la loi du mar­ché et la libre concur­rence. Pre­nant le fruit de leur ima­gi­na­tion pour le monde réel, ils confondent l’initiative pri­vée — qui existe à des degrés divers dans tous les sys­tèmes sociaux – et le libé­ra­lisme – une idéo­lo­gie « hors sol » qui n’existe que dans l’esprit des libé­raux pour jus­ti­fier leurs pra­tiques. Si la socié­té était ce que les libé­raux en disent, elle serait réglée comme le mou­ve­ment des pla­nètes. Les lois du mar­ché seraient aus­si inflexibles que les lois de la nature. Tel un chef d’orchestre, le mar­ché har­mo­ni­se­rait les inté­rêts diver­gents et dis­tri­bue­rait équi­ta­ble­ment les res­sources. Toute inter­ven­tion publique serait nocive, puisque le mar­ché génère spon­ta­né­ment la paix et la concorde. La force du libé­ra­lisme, c’est que cette croyance légi­time la loi du plus fort et sacra­lise l’appropriation du bien com­mun. C’est pour­quoi il est l’idéologie spon­ta­née des oli­gar­chies assoif­fées d’argent, des bour­geoi­sies cupides. Le drame du libé­ra­lisme, en revanche, c’est qu’il est ran­gé au maga­sin des acces­soires chaque fois qu’une socié­té pri­vi­lé­gie le bien-être de tous et fait pas­ser l’intérêt com­mun avant les inté­rêts particuliers.
Bru­no Guigue.
Source : https://www.facebook.com/notes/bruno-guigue/la-fable-du-lib%C3%A9ralisme-qui-sauve-le-monde/1517649688380481/

 
Mon commentaire :
Mer­ci Bru­no, pour cette ana­lyse très inté­res­sante (encore une fois).
Sur l’Inde, je te signale un livre impor­tant (et bou­le­ver­sant), qui montre que l’Inde est pro­fon­dé­ment cor­rom­pue et lit­té­ra­le­ment tyrannique :

« Capitalisme : une histoire de fantômes » par Arundhati Roy


httpv://www.youtube.com/watch?v=3tkQyqLnFbk

Je suis sûr que ce livre te pas­sion­ne­ra comme moi.
Étienne.

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4 Commentaires

  1. Jean Molliné

    Inté­res­sant, mais je reste un peu sur ma faim : j’es­pé­rais un peu quelques hypo­thèses trai­tant plus spé­ci­fi­que­ment le modèle français/européen actuel vu avec cette pers­pec­tive asia­tique, on ne peut que les devi­ner en fai­sant des spé­cu­la­tions à par­tir de la conclusion :
    « C’est pour­quoi [le libé­ra­lisme] est l’idéologie spon­ta­née des oli­gar­chies assoif­fées d’argent, des bour­geoi­sies cupides »

    Réponse
  2. Ronald

    Pour le peu que je suis allé en Chine et au Kera­la, je confirme que j’y ai enten­du loca­le­ment tout à fait le même dis­cours que ce que dit cet article.

    Réponse
  3. etienne

    Jean-Luc Mélenchon : LE PIRE ENNEMI DE L’ENTREPRISE, C’EST LA FINANCE

    httpv://www.youtube.com/watch?v=E6FhlUnXKgY

    Réponse
  4. Benoit

    Le Droit de Rêver – Notre Combat pour la Justice, par Arundhati Roy

    « Plai­gnons le pays qui réduit au silence ses écri­vains quand ils disent ce qu’ils pensent… Plai­gnons le pays qui jette en pri­son ceux qui réclament la jus­tice, tan­dis que des tueurs à grande échelle, des mas­sa­creurs, des arna­queurs orga­ni­sés, des pillards, des vio­leurs, et tous ceux qui s’attaquent aux plus pauvres des pauvres se pro­mènent en toute liber­té. » – Arund­ha­ti Roy
    [18 novembre 2011, “ Infor­ma­tion Clea­ring House ” (« site d’informations qu’on ne trouve pas sur CNN ou Fox News »), Assem­blée de “ L’Université popu­laire ” qui s’est tenue en l’Église com­mé­mo­ra­tive de Jud­son, le 16 novembre 2011.]
    Mar­di matin, la police a éva­cué Zucot­ti Park, mais aujourd’hui le peuple est de retour. La police devrait savoir que cette mani­fes­ta­tion n’est pas une bataille pour un ter­ri­toire. Nous ne lut­tons pas pour occu­per un parc, ici ou là. Nous nous bat­tons pour la jus­tice. Pas seule­ment pour le peuple des États-Unis, mais pour tout le monde.
    Ce que vous avez réus­si depuis le 17 sep­tembre, lorsque le mou­ve­ment Occu­pa­tion a débu­té dans tous les États-Unis, c’est d’introduire un nou­vel ima­gi­naire, un nou­veau dis­cours poli­tique au cœur de l’Empire. Vous avez réin­tro­duit le droit de rêver dans un sys­tème qui s’efforce de trans­for­mer les gens en des zom­bies qui, par l’hypnose, assi­milent le consu­mé­risme abru­tis­sant au bon­heur et à l’épanouissement.
    En tant qu’écrivain, je me per­mets de vous dire que vous avez réus­si quelque chose d’extraordinaire et que je ne sau­rais vous remer­cier comme vous le méritez.
    Nous par­lons de jus­tice. Aujourd’hui, au moment où nous nous expri­mons, l’armée des États-Unis mène une guerre d’occupation en Irak et en Afgha­nis­tan. Des drones état­su­niens tuent des civils au Pakis­tan et au-delà. Des dizaines de mil­liers de sol­dats état­su­niens, ain­si que des esca­drons de la mort, pénètrent en Afrique. Si dépen­ser des bil­lions de dol­lars pris dans vos poches pour occu­per et admi­nis­trer l’Irak et l’Afghanistan ne suf­fit pas, alors on vous vante les mérites d’une guerre contre l’Iran.
    Depuis la Grande Dépres­sion des années trente, la pro­duc­tion d’armements, ain­si que des guerres menées à l’étranger ont été pour les États-Unis le meilleur moyen de sti­mu­ler leur éco­no­mie. Tout récem­ment, sous la pré­si­dence d’Obama, ce pays a conclu une vente d’armes de 60 mil­liards de dol­lars avec l’Arabie saou­dite – peu­plé de musul­mans modé­rés, n’est-ce pas ? Les États-Unis espèrent vendre des mil­liers de bombes à charge péné­trante (https://​you​tu​.be/​S​u​n​i​K​s​B​x​Z10) aux Émi­rats Arabes Unis.
    Les États-Unis ont ven­du pour 5 mil­liards de dol­lars d’avions mili­taires à mon pays, l’Inde, qui compte plus de pauvres que tous les pays afri­cains les plus pauvres réunis. Toutes ces guerres, des bom­bar­de­ments d’Hiroshima et Naga­sa­ki, jusqu’au Viet­nam, la Corée, l’Amérique latine, ont fait des mil­liers de vic­times, alors qu’elles étaient toutes menées pour garan­tir le « mode de vie américain ».
    Nous savons aujourd’hui que l’ « Ame­ri­can way of life », ce modèle auquel le reste du monde est cen­sé aspi­rer, signi­fie que 400 per­sonnes pos­sèdent la moi­tié de la richesse des États-Unis. En consé­quence, des mil­liers de gens ont été expul­sés de leur habi­ta­tion et ont per­du leur emploi tan­dis que le gou­ver­ne­ment ren­flouait des banques et des grandes socié­tés (à elle seule, Ame­ri­can Inter­na­tio­nal Group, pre­mière socié­té mon­diale d’assurance et de ser­vices finan­ciers, a reçu 182 mil­liards de dollars).
    Le gou­ver­ne­ment indien est en ado­ra­tion devant la poli­tique éco­no­mique des États-Unis. Après 20 années d’économie de mar­ché, les 100 Indiens les plus riches pos­sèdent un quart du PNB du pays tan­dis que 80% de la popu­la­tion vit avec moins d’un demi dol­lar par jour. 250000 pay­sans, pous­sés dans une spi­rale de mort, se sont sui­ci­dés. On appelle ça le pro­grès, et nous nous consi­dé­rons désor­mais comme une super­puis­sance. Comme vous, nous avons tous les titres requis : des bombes ato­miques et des inéga­li­tés indécentes.
    La bonne nou­velle est que les gens en ont assez et ne vont pas en sup­por­ter davan­tage. Le mou­ve­ment Occu­pa­tion a rejoint des mil­liers d’autres mou­ve­ments de résis­tance dans le monde entier. Les plus pauvres se lèvent et bloquent les grandes socié­tés dans leur tra­jec­toire. Peu d’entre nous rêvaient que vous seriez, vous le peuple des États-Unis, à nos côtés, ten­tant le même com­bat au cœur de l’Empire. Les mots me manquent pour rendre compte de l’énormité de ce que cela signifie.
    Le 1% qui domine le monde affirme que nous n’avons aucune reven­di­ca­tion. Peut-être ne savent-ils pas que notre colère, à elle seule, pour­rait les anéan­tir. Je vous pro­pose quelques petites choses – quelques pen­sées « pré-révo­lu­tion­naires » qui me sont venues à l’esprit – pour que nous réflé­chis­sions ensemble.
    Nous vou­lons poser un cou­vercle sur ce sys­tème qui pro­duit de l’inégalité. Nous vou­lons pla­fon­ner l’accumulation sans limites de richesses et de biens par des indi­vi­dus comme par des socié­tés. En tant que « cou­ver­cleux » et « pla­fon­neux », nous exigeons :
    Pre­miè­re­ment : la fin des pro­prié­tés croi­sées dans le monde des affaires. Ain­si, des mar­chands d’armes ne pour­ront pas pos­sé­der des chaînes de télé­vi­sion ; des socié­tés minières ne pour­ront pas pos­sé­der des jour­naux. Des com­pa­gnies pri­vées ne pour­ront pas finan­cer des uni­ver­si­tés ; des labo­ra­toires phar­ma­ceu­tiques ne pour­ront pas contrô­ler des caisses natio­nales de santé.
    Deuxiè­me­ment : les res­sources natu­relles et les infra­struc­tures indis­pen­sables (l’eau, le gaz, la san­té, l’éducation) ne pour­ront pas être privatisées.
    Troi­siè­me­ment : toute per­sonne a un droit au loge­ment, à l’éducation et aux soins médicaux.
    Qua­triè­me­ment : les enfants des riches ne pour­ront pas héri­ter de leurs parents.
    Ce com­bat a réveillé nos ima­gi­na­tions. Au fil des ans, le capi­ta­lisme avait réduit l’idée de jus­tice au concept de « droits de la per­sonne », tan­dis que l’idée, le rêve d’égalité étaient deve­nus blas­phé­ma­toires. Nous ne nous bat­tons pas sim­ple­ment pour rafis­to­ler un sys­tème qui doit être remplacé.
    En tant que « cou­ver­cleuse » et « pla­fon­neuse », je salue votre combat.
    Salaam and Zindabad.
    Arund­ha­ti Roy
    SOURCE : http://​www​.infor​ma​tion​clea​rin​ghouse​.info/​a​r​t​i​c​l​e​2​9​7​6​6​.​htm
    Arund­ha­ti Roy a obte­nu le Boo­ker prize en 1997 pour son roman Le dieu des petits riens. Par­mi ses essais, on pour­ra lire en fran­çais : La Démo­cra­tie : notes de cam­pagne, Édi­tions Gal­li­mard, Paris, 2011.
    Par­mi ses articles en fran­çais : “ Assié­ger l’Empire ” (http://​www​.monde​-diplo​ma​tique​.fr/​2​0​0​3​/​0​3​/​R​O​Y​/​1​0​013), “ Les périls du tout huma­ni­taire ” (http://​www​.monde​-diplo​ma​tique​.fr/​2​0​0​4​/​1​0​/​R​O​Y​/​1​1​569), “ Le monstre dans le miroir ”, (http://​anti​mythes​.fr/​e​v​e​n​e​m​e​n​t​s​_​h​i​s​t​o​i​r​e​/​i​n​d​e​/​a​r​u​n​d​h​a​t​i​_​r​o​y​_​1​5​_​1​2​_​0​8​.​pdf) et (http://​diver​gences​.be). Cri­tique lucide du néo-impé­ria­lisme, des occu­pa­tions mili­taires, des modèles vio­lents de ‘ déve­lop­pe­ment éco­no­mique ’, Arund­ha­ti Roy a reçu le Syd­ney Peace Prize en 2004. Sa dénon­cia­tion inlas­sable des poli­tiques répres­sives de l’État indien l’a conduite à être trai­tée, au choix, de sédi­tieuse, de séces­sion­niste, de maoïste et de fau­teuse de troubles antipatriotique.
    Tra­duc­tion : Ber­nard Gensane
    http://​ber​nard​-gen​sane​.over​-blog​.com/​a​r​t​i​c​l​e​-​l​e​-​d​r​o​i​t​-​d​e​-​r​e​v​e​r​-​n​o​t​r​e​-​c​o​m​b​a​t​-​p​o​u​r​-​l​a​-​j​u​s​t​i​c​e​-​p​a​r​-​a​r​u​n​d​h​a​t​i​-​r​o​y​-​8​9​5​2​9​1​9​2​.​h​tml

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