[Notre avenir, infernal, si nous restons passifs] Grèce : Le démantèlement méthodique et tragique des institutions de santé publique (CADTM)

16/03/2018 | 7 commentaires

Source : CADTM, Comi­té d’an­nu­la­tion de la dette du tiers-monde, http://​www​.cadtm​.org/​G​r​e​c​e​-​L​e​-​d​e​m​a​n​t​e​l​e​m​e​n​t​-​m​e​t​h​o​d​i​que

12 mars 2018 par Noëlle Bur­gi

[Nota : « déva­lua­tion interne », pour les éco­no­mistes gre­dins, est le nom de code secret pour dire « baisse des salaires et de la pro­tec­tion sociale ». ÉC] 

5 juillet 2015 – Pho­to mlck

 
Le sys­tème natio­nal de san­té grec a été déman­te­lé par l’application d’un ensemble de mesures impo­sées depuis 2010 par les créan­ciers de la Grèce dans les sec­teurs de san­té pri­maire, secon­daire et phar­ma­ceu­tique. Ce texte pré­sente une ana­lyse cri­tique des prin­ci­pales mesures de com­pres­sion bud­gé­taire mises en place dans ces sec­teurs et intro­duit un débat sur des ini­tia­tives com­mu­nau­taires cen­sées ren­for­cer cer­tains déter­mi­nants sociaux de la san­té (indem­ni­tés de chô­mage, assu­rance mala­die, reve­nu mini­mum garan­ti). Il appa­raît que les poli­tiques mémo­ran­daires ont man­qué le but d’efficience et d’efficacité affi­ché, mais peut-être pas le pro­jet impli­cite de construire un « nou­veau modèle social euro­péen » réduit à quelques pres­ta­tions tout juste suf­fi­santes à la sur­vie des dépos­sé­dés. En s’appuyant sur de nom­breux tra­vaux scien­ti­fiques, des entre­tiens en Grèce auprès de mili­tants et dans des éta­blis­se­ments de soin et une enquête en cours dans des quar­tiers ouvriers du Pirée, l’article conclut à l’épuisement – pas­sa­ger ? – des forces lut­tant pour la sur­vie des droits sociaux démocratiques.

Sept ans après la mise en œuvre des memo­ran­da, la Grèce se trouve dans une situa­tion bien pire qu’en 2010

Depuis 2010, la Grèce est sou­mise à un régime de dis­ci­pline et de contrôle de ses finances et poli­tiques publiques sans équi­valent dans l’histoire euro­péenne d’après 1945. Peu après la révé­la­tion en 2009 des « vrais » chiffres, jusque-là maquillés, du défi­cit public grec [1] par le gou­ver­ne­ment tout juste élu de Georges Papan­dreou, la troï­ka (Com­mis­sion euro­péenne,Banque cen­trale euro­péenne et Fonds moné­taire inter­na­tio­nal [2]) des ins­ti­tu­tions cré­di­trices du pays a mis le pays sous tutelle à tra­vers une série de plans d’ajus­te­ment struc­tu­rel ou mémo­ran­dums (2010, 2012, 2015 [3]) cen­sés résoudre le pro­blème de sa dette et le remettre sur le che­min de la crois­sance. Les objec­tifs affi­chés de ces pro­grammes n’ont pas été atteints, au contraire. Sept ans après leur mise en œuvre, la Grèce se trouve dans une situa­tion bien pire qu’en 2010.

Ce n’est pas faute d’avoir appli­qué les mesures conte­nues dans les mémo­ran­dums, ou d’avoir pro­lon­gé à sou­hait leur mise en œuvre. La troï­ka se dit régu­liè­re­ment « impa­tiente » et reproche au gou­ver­ne­ment grec ses retards dans la mise en œuvre des « paquets » de réformes pres­crites, mais elle ne lui laisse pra­ti­que­ment aucune marge de manœuvre. En effet, l’approche géné­rale des mémo­ran­dums est celle d’un « sys­tème de sur­veillance intense et qua­si per­ma­nent ». Joa­quin Almu­nia, alors com­mis­saire euro­péen char­gé des Affaires éco­no­miques et moné­taires, avait uti­li­sé cette for­mule en février 2010 pour dési­gner le régime qui serait bien­tôt infli­gé à la Grèce : celle-ci devrait « quan­ti­fier » et « pré­ci­ser » les mesures annon­cées, « envoyer le calen­drier » de leur mise en œuvre, rendre compte très régu­liè­re­ment de l’état d’avancement de son pro­gramme et s’engager à prendre inces­sam­ment des mesures sup­plé­men­taires si ces objec­tifs n’étaient pas atteints [4].

« C’est la pre­mière fois que des ins­tru­ments de sur­veillance éco­no­mique et bud­gé­taire sont uti­li­sés simul­ta­né­ment et de manière inté­grée », se féli­ci­tait pour sa part la Com­mis­sion euro­péenne. De fait, pour évi­ter tout retour en arrière et rendre les effets des pro­grammes d’austérité irré­ver­sibles, la méthode appli­quée en Grèce (puis à d’autres pays vul­né­rables) consiste à concen­trer les mesures (front­loa­ding) et à en véri­fier constam­ment la bonne exé­cu­tion, notam­ment à la veille des ver­se­ments du prêt, pré­vus par tranches en prin­cipe tous les tri­mestres. L’état d’avancement du pro­gramme d’austérité est lui-même subor­don­né à l’appréciation qu’en donnent les experts et contrô­leurs de la troï­ka, ins­tal­lés à plein temps dans les minis­tères et sou­te­nus dans leur tâche par d’autres experts. Ce qui conduit les créan­ciers du pays à des actes répé­ti­tifs d’intimidation et de chan­tage. Ils exigent régu­liè­re­ment des mesures d’austérité plus convain­cantes à leurs yeux, reportent les ver­se­ments, menacent de cou­per les vivres.

En Grèce, les pro­grammes d’austérité ont entraî­né une dépres­sion éco­no­mique et une réces­sion sociale

Les mémo­ran­dums font par­tie d’une stra­té­gie plus glo­bale fon­dée sur une doc­trine dite d’« aus­té­ri­té expan­sion­niste » en ver­tu de laquelle une baisse des coûts rela­tifs par rap­port à d’autres éco­no­mies per­met de créer les condi­tions d’une reprise par les expor­ta­tions. En l’absence d’une déva­lua­tion de la mon­naie, elle sup­pose que soient appli­quées des poli­tiques aus­té­ri­taires [5]dites de déva­lua­tion interne : coupes plus ou moins impor­tantes dans la pro­tec­tion sociale, la san­té, l’éducation et d’autres ser­vices publics, baisses des salaires et des retraites, aug­men­ta­tion des impôts indi­rects sur la consom­ma­tion, déré­gu­la­tion des rela­tions pro­fes­sion­nelles et du droit du tra­vail… Cette doc­trine a été dis­cré­di­tée sur les plans métho­do­lo­gique et empi­rique (Jaya­dev, Konc­zal, 2010 ; FMI, 2012 ; Hern­don et al., 2013) : comme l’avait noté Paul Krug­man, ses pré­dic­tions « ont été entiè­re­ment contre­dites par la réa­li­té, et la recherche aca­dé­mique invo­quée pour sou­te­nir [cette] posi­tion s’est révé­lée truf­fée d’erreurs, d’omissions et de sta­tis­tiques suspectes ».

Entre autres dif­fi­cul­tés, la déva­lua­tion interne ne peut pas fonc­tion­ner si tous les pays d’une même zone éco­no­mique l’adoptent simul­ta­né­ment : dans ce cas, son seul effet est de conduire à une baisse des niveaux de vie et à réduire l’accès des popu­la­tions aux biens publics essentiels.

C’est néan­moins la voie qui fut choi­sie en réponse à la crise finan­cière de 2007–2008 pour tous les États membres de l’Union éco­no­mique et moné­taire (UEM). En Grèce, les pro­grammes d’austérité sans fin et tou­jours plus intenses ont entraî­né une dépres­sion éco­no­mique et une réces­sion sociale jamais vues en Europe en temps de paix (Ioa­kei­mo­glou, 2017). Per­sis­tantes, les ins­ti­tu­tions cré­di­trices du pays lui appliquent encore ces mesures.


 
La socié­té grecque a pour­tant résis­té au trai­te­ment subi. Le pays fut secoué par une impres­sion­nante vague de grèves et de mani­fes­ta­tions qui dura jusqu’en 2012 mal­gré une tout aus­si impres­sion­nante répres­sion poli­cière (Kotro­na­ki, 2014). Le sys­tème poli­tique se frac­tu­ra. Tan­dis qu’aux élec­tions de 2012 le Par­ti socia­liste pan­hel­lé­nique (Pasok) s’effondrait et que les conser­va­teurs de Nou­velle démo­cra­tie (ND), quoique plus résis­tants, s’affaiblissaient, le par­ti de la gauche radi­cale Syri­za deve­nait le pre­mier par­ti d’opposition. Emme­né par Alexis Tsi­pras et por­té par le mou­ve­ment social, il venait de connaître une ascen­sion ful­gu­rante : tout juste entré au Par­le­ment en 2009 avec 4,6 % des voix, il obtint 27 % des suf­frages en juin 2012. Sa mon­tée se pour­sui­vit jusqu’aux légis­la­tives de jan­vier 2015 qui le por­tèrent au pouvoir.

Syri­za incar­nait l’espoir qu’un gou­ver­ne­ment for­mé par une nou­velle géné­ra­tion de poli­ti­ciens de gauche, jeunes et non cor­rom­pus, ren­drait sa digni­té et sa sou­ve­rai­ne­té au pays et met­trait fin aux mémorandums.

Cepen­dant, n’ayant réus­si à obte­nir aucune conces­sion pen­dant les six pre­miers mois de sté­riles négo­cia­tions avec la troï­ka, Alexis Tsi­pras orga­ni­sa un réfé­ren­dum le 5 juillet 2015 à l’issue duquel les citoyens grecs dirent mas­si­ve­ment « Non » (61,5 % des voix) à la pour­suite de l’austérité.

Le Pre­mier ministre n’avait pas pré­vu ce résul­tat et ne pou­vait ni ne vou­lait affron­ter ses cré­di­teurs au point d’envisager une sor­tie de la Grèce de l’euro (le « Grexit »). Sept jours plus tard, il trans­for­mait le « Non » en « Oui » et cédait face à l’Union euro­péenne. Il accep­tait l’ultimatum du ministre des Finances alle­mand, Wolf­gang Schäuble, en ver­tu duquel la Grèce renon­çait à sa sou­ve­rai­ne­té et se pliait, en contre­par­tie d’un nou­veau mémo­ran­dum (incluant un prêt de 86 mil­liards d’euros éta­lés sur trois ans et ser­vant uni­que­ment à rem­bour­ser la dette), au pro­gramme d’ajustement struc­tu­rel le plus aus­tère jamais exi­gé d’un pays européen.

Alexis Tsi­pras ne démis­sion­na pas. Il rem­por­ta de nou­velles élec­tions en sep­tembre, juste avant la mise en œuvre des pre­mières mesures d’austérité du troi­sième pro­gramme. Depuis, il applique les pres­crip­tions de ses cré­di­teurs – les véri­tables gou­ver­neurs de la Grèce –, creu­sant le déses­poir d’une socié­té atteinte dans sa sub­stance, désor­ga­ni­sée et vain­cue par ceux-là mêmes qui pro­met­taient de la défendre.


 
Cet article ana­lyse les prin­ci­pales mesures appli­quées au sys­tème natio­nal de san­té grec, sec­teur d’une impor­tance capi­tale en période de crise des finances publiques et miroir dans lequel se reflètent les condi­tions d’existence des popu­la­tions. Le texte ques­tionne la ratio­na­li­té en ver­tu de laquelle les gou­ver­neurs de l’UEM per­sistent à « faire comme si » la déva­lua­tion interne était la seule voie pos­sible et à se mon­trer aveugles aux effets délé­tères de celle-ci.

L’hypothèse, défen­due ailleurs plus en détail (Bur­gi, 2014a), est que nous assis­tons à la culmi­na­tion d’un effort long de dés­ins­ti­tu­tio­na­li­sa­tion des régimes de pro­tec­tion sociale, pour­sui­vi gra­duel­le­ment depuis au moins trois décen­nies, qui s’accélère à la faveur des choix poli­tiques arrê­tés par les puis­sances hégé­mo­niques d’Europe pour gérer les effets de la crise finan­cière de 2007–2008. Cet effort est lié à un pro­jet néo­li­bé­ral de refon­da­tion com­plète des prin­cipes, des moda­li­tés et des fina­li­tés de l’intervention de l’État d’après 1945. Éga­le­ment appe­lé « fon­da­men­ta­lisme de mar­ché [6] », il pré­co­nise la sujé­tion de toute la vie sociale et de toute la sphère publique, y com­pris l’État, aux méca­nismes du marché.

Par­mi les nou­velles attri­bu­tions de l’État, l’une des règles essen­tielles com­mande que sa poli­tique sociale soit entiè­re­ment remo­de­lée pour accom­pa­gner « de façon active » et por­ter à leur paroxysme les méca­nismes de concur­rence. Avant 2010, qua­si­ment tous les gou­ver­ne­ments occi­den­taux, cha­cun à leur rythme et avec leurs moda­li­tés propres, ont cher­ché à pro­gres­si­ve­ment recon­fi­gu­rer leurs sys­tèmes natio­naux de pro­tec­tion sociale pour les conduire dans cette direc­tion et les mener vers la consti­tu­tion d’un nou­veau « modèle social euro­péen » dans lequel les pres­ta­tions à voca­tion uni­ver­selle des États sociaux construits après 1945 sont rem­pla­cées par un filet social mini­mal, par un « mini­mum vital » (Hayek, 1985 [1946]:89–90).

Ce mini­mum n’est pas conçu comme un moyen de lutte contre la pré­ca­ri­sa­tion et la pau­pé­ri­sa­tion des masses car il n’est pas ques­tion de s’attaquer à leurs causes ni de reve­nir sur la régu­la­tion néo­li­bé­rale. Au contraire, dans le cadre du « fon­da­men­ta­lisme de mar­ché », le mini­mum vital a pour fonc­tion de faire en sorte que per­sonne, en prin­cipe, ne tombe défi­ni­ti­ve­ment hors-jeu – hors du jeu de la concur­rence géné­ra­li­sée. Pour le dire autre­ment, le pro­blème théo­rique et pra­tique posé à la gou­ver­ne­men­ta­li­té [7] néo­li­bé­rale dans la redé­fi­ni­tion des poli­tiques de pro­tec­tion sociale est de savoir, non pas com­ment com­battre le chô­mage de masse ou conte­nir l’extension des zones de pré­ca­ri­té et de vul­né­ra­bi­li­té, mais jusqu’où il est pos­sible et/ou sou­hai­table d’abaisser le « seuil de pau­vre­té “abso­lue” [8] » en des­sous duquel l’État devra impo­ser un filet social mini­mal, au sens d’un régime de sou­tien (et de contrôle étroit et puni­tif) des plus dému­nis, certes finan­cé par la col­lec­ti­vi­té, mais juste suf­fi­sant pour le marché.

Au rythme dic­té par la troï­ka, les gou­ver­ne­ments grecs ont taillé dans les dépenses de san­té au cou­teau de boucher

La décons­truc­tion métho­dique, quoique par­fois anar­chique, des ins­ti­tu­tions grecques de san­té publique s’inscrit dans cette évo­lu­tion. Au rythme dic­té par les ins­ti­tu­tions de la troï­ka, les gou­ver­ne­ments grecs ont taillé dans les dépenses de san­té « avec des cou­teaux de bou­cher », selon l’expression d’un ancien ministre de la San­té (2010−2012), Andreas Lover­dos, et cela, au moment même où les déter­mi­nants sociaux de la san­té – les condi­tions de vie, for­te­ment dégra­dées sous l’effet des poli­tiques aus­té­ri­taires dans leur ensemble – se réper­cu­taient sur la san­té de la popu­la­tion. Pour recon­fi­gu­rer le sec­teur, des recettes « clé en main » de la Banque mon­diale et du FMI (par­tage des coûts, prin­cipe de dis­so­cia­tion entre ache­teurs et four­nis­seurs, tari­fi­ca­tion à l’activité, pri­va­ti­sa­tion des ser­vices…) ont été pla­quées sur le sys­tème public de san­té grec dans l’intention prio­ri­taire de réduire les coûts, d’extraire des res­sources et de réorien­ter les com­por­te­ments vers la consom­ma­tion d’assurances et de ser­vices privés.

L’ampleur des coupes bud­gé­taires et la logique qui leur est sous-jacente sont pré­sen­tées dans un pre­mier temps (I). Une deuxième par­tie étu­die plus en détail les contra­dic­tions et les effets des poli­tiques rela­tives aux médi­ca­ments et aux sec­teurs secon­daire (hos­pi­ta­lier) et pri­maire (II). Abor­dant en der­nier lieu la ques­tion des déter­mi­nants sociaux de la san­té (III), la réflexion, cen­trée sur la mise en place d’un filet social équi­table qui reste très lar­ge­ment insuf­fi­sant, débouche sur un ques­tion­ne­ment por­tant sur le sens et les pers­pec­tives d’une socié­té dite résiliente.


I. Des « cou­teaux de bou­cher » pour tailler dans les dépenses

En valeur réelle, les dépenses de san­té ont donc chu­té de près de moi­tié en quelques années

Depuis sept ans, le sec­teur de la san­té publique est l’une des prin­ci­pales cibles des pro­grammes dits d’ajustement struc­tu­rel dic­tés à la Grèce par les ins­ti­tu­tions de la troï­ka dans le cadre des mémo­ran­dums de 2010, 2012 et 2015. Le pre­mier avait exi­gé que les bud­gets de san­té publique passent de 6,8 % du PIB en 2010 à 6,0 % en 2012. À l’époque, des cher­cheurs inter­na­tio­na­le­ment recon­nus avaient jugé « arbi­traire » et « anor­ma­le­ment bas » un tel objec­tif (Stu­ck­ler, Basu, 2013, trad. fr. 2014 ; Kara­ni­ko­los et al., 2013 ; Kon­di­lis et al., 2012, 2013 ; Ken­ti­ke­le­nis et al., 2014). Il fut cepen­dant atteint en 2012 puis lar­ge­ment dépas­sé. En 2014, le ratio des dépenses de san­té publique rap­por­tées au PIB était de 4,9 %, son niveau le plus bas depuis 2004. Il est remon­té à 5,0 % en 2015, 5,1 % en 2016 et les pré­vi­sions pour 2017 le situent à 5,4 % du PIB. Cela se com­pare à une moyenne de 6,5 % dans l’Union euro­péenne (UE) et à des ratios (stables) bien plus éle­vés dans les pays les plus riches de l’Union, notam­ment la France et l’Allemagne (tableau 1). On sou­li­gne­ra que la contrac­tion des bud­gets de san­té publique a été plus impla­cable encore en Grèce que ne l’indiquent ces pour­cen­tages : dans la mesure où le PIB a lui-même per­du 27 points de pour­cen­tage depuis 2010. En valeur réelle, les dépenses de san­té ont donc chu­té de près de moi­tié en quelques années.

Tableau 1

 
Cette com­pres­sion a don­né lieu à une recom­po­si­tion des dépenses de san­té. Selon Gian­nis Kyrio­pou­los [9], ancien doyen de l’École natio­nale de san­té d’Athènes, alors que le finan­ce­ment des hôpi­taux publics a chu­té de plus de moi­tié entre 2009 et 2014 et que les dépenses totales de san­té (publiques et pri­vées) sont en forte baisse, le sec­teur hos­pi­ta­lier a connu un accrois­se­ment de sa part (+41 % entre 2008 et 2013) dans les dépenses totales, deve­nant (sans moyens sup­plé­men­taires) le der­nier recours pour les malades. Cela reflète un moindre accès non seule­ment aux soins hos­pi­ta­liers pri­vés (qui ont bais­sé de 28 % pen­dant la même période), mais encore aux soins pri­maires (ser­vices médi­caux de base, soins den­taires, diag­nos­tics, phy­sio­thé­ra­pies et autres) pour les­quels les dépenses ont chu­té de 56 % au cours de ces années. Dans le même temps, la désor­ga­ni­sa­tion des struc­tures de soin a accen­tué la cor­rup­tion et la quête de passe-droits avec des paie­ments for­mels et infor­mels aux méde­cins du sec­teur pri­vé, en hausse de 52 %.

La chute des dépenses publiques de san­té après 2010 les ramènent à leur niveau de 2004

Aus­si indis­pen­sables soient-elles, les don­nées agré­gées ne per­mettent cepen­dant pas de sai­sir l’ampleur de la crise sani­taire. On constate par exemple en 2014 que la chute des dépenses publiques de san­té après 2010 les ramènent, en valeur rela­tive, à leur niveau de 2004 (gra­phique 1). Or en 2004, les Grecs, dans l’ensemble, avaient accès aux soins médi­caux. Ce n’est plus le cas en 2014, et moins encore en 2017.

Gra­phique 1

 
Le taux de pau­vre­té extrême est pas­sé de 2,2 % en 2009, à 8 % en 2011 et à 15 % en 2015

La dif­fé­rence entre 2004 et 2017 tient aux dimen­sions qua­li­ta­tives du déman­tè­le­ment récent des struc­tures de san­té publique – non-recours aux soins en temps utile, carences et dys­fonc­tion­ne­ments des ser­vices médi­caux… –, dont un des indices clés se constate dans l’augmentation signi­fi­ca­tive après 2010 des cas de mor­ta­li­té dus à des évé­ne­ments indé­si­rables sur­ve­nus en cours de trai­te­ment (Lalio­tis et al., 2016).

Mais la san­té publique dépend aus­si très lar­ge­ment de fac­teurs sociaux plus géné­raux : accès à l’éducation, condi­tions de tra­vail et loi­sirs, loge­ment, pers­pec­tives d’avenir, état des com­mu­nau­tés, des vil­lages et des villes. Ces condi­tions struc­tu­relles de la vie quo­ti­dienne consti­tuent « les déter­mi­nants sociaux de la san­té et sont res­pon­sables pour une part impor­tante des inéga­li­tés de san­té entre pays et à l’intérieur des pays » (Com­mis­sion on Social Deter­mi­nants of Health [CSDH], 2008:1 ; Daniels et al., 1999).

Or, dans le contexte des poli­tiques aus­té­ri­taires géné­ra­li­sées exi­gées par l’UE et ses membres les plus influents pour gérer les effets de la crise finan­cière de 2008, la Grèce, clas­sée pre­mière par l’OCDE (2015:126) pour sa « réac­ti­vi­té glo­bale aux prio­ri­tés de réformes » entre 2007 et 2014, est allée plus loin que tous les autres pays de l’organisation inter­na­tio­nale dans la mise en place de mesures d’austérité, excep­tion­nel­le­ment sévères en ce qui la concerne.

Au-delà des ser­vices de san­té stric­to sen­su, elles ont pro­vo­qué une abrupte dégra­da­tion des condi­tions de vie (des déter­mi­nants sociaux de la san­té) (com­pa­rai­son des don­nées Elstat [10] entre 2012 et 2017 ; Bur­gi, 2014c). Pra­ti­que­ment du jour au len­de­main, le taux de chô­mage a grim­pé pour deve­nir le plus éle­vé d’Europe (il frappe le quart de la popu­la­tion, la moi­tié des jeunes et sa durée s’allonge : les chô­meurs étaient à 73,5 % de longue durée en 2015), les niveaux de vie se sont effon­drés de plus de 30 % en moyenne, la pau­vre­té rela­tive et sur­tout l’extrême pau­vre­té ont connu une pro­gres­sion spec­ta­cu­laire [11], les ser­vices publics ont été déman­te­lés et le droit du tra­vail et de la négo­cia­tion col­lec­tive qua­si­ment liqui­dé (Kap­sa­lis, Kou­zis, 2014), le tout entraî­nant une impor­tante fuite des cer­veaux (Konior­dos, 2017) et des capi­taux et une « catas­trophe » sani­taire (expres­sion de Méde­cins du Monde, notamment).

Les consé­quences sur la san­té des poli­tiques d’ajustement struc­tu­rel ont été lar­ge­ment igno­rées, voire niées par les gou­ver­neurs [12] euro­péens et grecs. Ils ont presque [13] tou­jours sou­te­nu, contre l’évidence, que les poli­tiques aus­té­ri­taires ne touchent en rien les ser­vices essen­tiels : « néces­saires » au bien com­mun, elles auraient au contraire per­mis de pré­ser­ver l’avenir grâce à des gains d’efficience et d’efficacité du sys­tème de soins.

La san­té comme un droit humain fon­da­men­tal acces­sible à tous s’est muée en tran­sac­tion économique

Cette ligne d’argumentation n’est pas nou­velle ni limi­tée à un pays. Elle reflète un chan­ge­ment pro­fond dans la manière de conce­voir et d’aborder les pro­blé­ma­tiques rela­tives à la san­té publique. L’idéal ins­crit dans la décla­ra­tion d’Alma Alta (1978) en ver­tu duquel la san­té, consi­dé­rée comme un droit humain fon­da­men­tal, devrait être acces­sible à tous en fonc­tion des besoins de cha­cun, s’est mué en une repré­sen­ta­tion de la san­té assi­mi­lée à une tran­sac­tion économique.

Cette approche, por­tée par des ins­ti­tu­tions puis­santes comme la Banque mon­diale et le FMI, est deve­nue hégé­mo­nique dans les années 1990 et 2000. La pre­mière a réus­si à impo­ser au monde sa vision éco­no­mi­ciste de la san­té et ces mêmes pré­ceptes se retrouvent dans les pres­crip­tions stan­dar­di­sées des pro­grammes d’ajustement struc­tu­rel du FMI : maxi­mi­sa­tion des pres­ta­tions pri­vées, frais modé­ra­teurs [14], prio­ri­té aux mar­chés et à la concur­rence. Le but serait d’accroître la ren­ta­bi­li­té des dépenses afin de créer les condi­tions d’un déve­lop­pe­ment éco­no­mique soutenable.

Cepen­dant, comme le montre la lit­té­ra­ture aca­dé­mique qui a ana­ly­sé les consé­quences de ces mesures, les dis­po­si­tifs de type mar­chand ont accru plu­tôt que réduit les coûts, notam­ment les coûts bureau­cra­tiques ; ils ont miné la recherche médi­cale et les ser­vices publics de san­té exis­tants et appro­fon­di les inéga­li­tés (Lis­ter, 2008 ; Sachs, 2005 ; Com­mis­sion on Social Deter­mi­nants of Health [CSDH], 2008).

 

II. Construction et déconstruction du système de santé

Les reproches adres­sés aux opé­ra­tions « clé en main » de restruc­tu­ra­tion des ins­ti­tu­tions de san­té publique n’induisent pas qu’il ne fau­drait pas amé­lio­rer ou réfor­mer les sys­tèmes exis­tants. Ils portent sur la méthode, les fina­li­tés et les effets des mesures intro­duites sans consi­dé­ra­tion pour les droits fon­da­men­taux et le bien-être phy­sique, men­tal et social des citoyens dans leur ensemble. S’agissant du sys­tème natio­nal de san­té grec, il n’a jamais été par­ti­cu­liè­re­ment cohé­rent ou effi­cient. Mais les dis­po­si­tions prises depuis 2010 par les gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs sous l’égide de la troï­ka – poli­tique du médi­ca­ment, restruc­tu­ra­tion hos­pi­ta­lière, ratio­na­li­sa­tion des soins pri­maires – ont consi­dé­ra­ble­ment aggra­vé les pro­blèmes de fonc­tion­ne­ment, d’efficacité et d’accès aux soins médi­caux obser­vables à la veille des mémorandums.


II.1. Déboires et suc­cès du sys­tème natio­nal de san­té grec (ESY) à la veille des mémorandums

Créé en 1983, l’ESY repré­sente incon­tes­ta­ble­ment le plus impor­tant effort ten­té en Grèce pour éta­blir un véri­table sys­tème natio­nal de san­té. À l’origine, le pro­jet ambi­tion­nait d’unifier une plé­thore de caisses pro­fes­sion­nelles et de rem­pla­cer l’incohérente infra­struc­ture de soins pri­maires exis­tants par un réseau entiè­re­ment nou­veau de centres de san­té urbains et ruraux qui don­ne­raient à tous les citoyens un égal accès aux soins, gra­tuits au point d’utilisation.

Cepen­dant, la résis­tance de groupes d’intérêt puis­sants (méde­cins pra­ti­quant dans des cabi­nets pri­vés, fonds d’assurance auto­nomes, fonc­tion­naires, syn­di­cats, ain­si que des poli­ti­ciens au pou­voir ou dans l’opposition) contra­ria cette visée ini­tiale (Mos­sia­los et al., 2005) et le sys­tème fina­le­ment mis en place asso­cia de façon com­plexe trois types de struc­tures : (a) des struc­tures de type beve­rid­giennes finan­cées par l’impôt (l’ESY pro­pre­ment dit) ; (b) des orga­nismes de type bis­mar­ckien regrou­pés dans le réseau des assu­rances sociales obli­ga­toires finan­cées par des coti­sa­tions de sécu­ri­té sociale ; et © les ser­vices de san­té pri­vés [15].

Centre de santé, île de Skopelos.
 
Avant 2010, l’ESY com­pre­nait : 201 centres de san­té ruraux et trois centres de san­té urbains qui for­maient des uni­tés décen­tra­li­sées des hôpi­taux régio­naux de l’ESY ; 1 478 postes médi­caux ou chi­rur­gi­caux rat­ta­chés aux centres de san­té ; et les cli­niques ambu­la­toires de 140 hôpi­taux publics. Les centres de san­té, les postes médi­caux et chi­rur­gi­caux offraient à la popu­la­tion rurale des ser­vices pré­ven­tifs, cura­tifs, d’urgence et de réha­bi­li­ta­tion gra­tuits au point d’utilisation. Les cli­niques ambu­la­toires des hôpi­taux publics pro­po­saient des ser­vices de spé­cia­listes ou de diag­nos­tic à la popu­la­tion urbaine et semi-urbaine. De jour, l’accès était gra­tuit ou sou­mis à une par­ti­ci­pa­tion finan­cière mini­male et, de nuit, il fal­lait acquit­ter un copaiement.

Le réseau de sécu­ri­té sociale consis­tait en 36 caisses pro­fes­sion­nelles cou­vrant les soins pri­maires de 95 % de la popu­la­tion selon diverses for­mules. L’affiliation à ces caisses, struc­tu­rées par branche ou par caté­go­rie socio-pro­fes­sion­nelle, était obli­ga­toire. Par ordre d’importance, la pre­mière des quatre prin­ci­pales caisses était l’IKA (ou Fon­da­tion de Sécu­ri­té sociale, créée en 1934), la caisse la plus impor­tante des tra­vailleurs du sec­teur pri­vé. Elle avait sa propre infra­struc­ture de soins et ses propres méde­cins (sur­tout des spé­cia­listes), tous sala­riés et auto­ri­sés à ouvrir des cabi­nets pri­vés à mi-temps. Les trois autres caisses cou­vraient res­pec­ti­ve­ment les tra­vailleurs agri­coles (l’OGA), les pro­fes­sions libé­rales (l’OAEE) et les employés du sec­teur public (l’OPAD).

Tous les centres de san­té ache­taient par­tiel­le­ment ou exclu­si­ve­ment des ser­vices auprès de labo­ra­toires ou de méde­cins pri­vés. Les assu­rés avaient gra­tui­te­ment accès à une vaste gamme de ser­vices, prin­ci­pa­le­ment cura­tifs et de diag­nos­tic. Si les patients étaient redi­ri­gés vers des labo­ra­toires et méde­cins pri­vés, ils ver­saient un copaiement.

Enfin, le sec­teur pri­vé com­pre­nait envi­ron 25 000 méde­cins, 12 000 den­tistes, entre 400 et 700 labo­ra­toires et 167 hôpi­taux avec leurs dépar­te­ments ambu­la­toires. Des centres de diag­nos­tic pri­vés hau­te­ment ren­tables contrô­laient presque tout l’équipement bio­mé­di­cal du pays. Ces centres et les méde­cins pri­vés pas­saient des contrats avec les caisses d’assurances sociales et les assu­rances pri­vées et fac­tu­raient leurs inter­ven­tions sur la base d’un for­fait fixe par ser­vice payé conjoin­te­ment par les usa­gers et les caisses. Le sec­teur pri­maire pri­vé absor­bait plus de 65 % des dépenses pri­vées totales de san­té (Kon­di­lis et al., 2012).

Pour diverses rai­sons, ce sys­tème com­pli­qué, frag­men­té et peu coor­don­né connais­sait des dif­fi­cul­tés per­ma­nentes avant 2010. La part impor­tante du sec­teur pri­vé, la carence de géné­ra­listes, d’importantes dif­fé­rences dans le nombre et la qua­li­té des ser­vices et dans l’étendue de la cou­ver­ture garan­tis par les dif­fé­rents régimes d’assurance, et de réelles carences dans les zones rurales ren­daient le sys­tème inef­fi­cient et inéga­li­taire. En outre, les très faibles salaires du per­son­nel de l’ESY et du réseau pri­maire des assu­rances sociales avaient cau­sé des pro­blèmes struc­tu­rels : dif­fi­cul­tés per­ma­nentes de recru­te­ment dans les hôpi­taux, sous-effec­tifs impor­tants, sur­tout d’infirmiers et de doc­teurs, manque d’unités de soins inten­sifs (du fait des sous-effec­tifs), longues listes d’attente… condui­sant à l’habitude de glis­ser une enve­loppe (fake­la­ki) entre les mains des méde­cins afin de contour­ner la liste d’attente et (espé­rer) obte­nir un meilleur traitement.

S’il ne fait pas de doute que le sys­tème natio­nal de san­té avait besoin de chan­ge­ment, il avait mal­gré tout contri­bué à une amé­lio­ra­tion remar­quable de la san­té publique entre 1983 et 2009. Les don­nées de l’Organisation mon­diale de la san­té (OMS) indiquent une impor­tante pro­gres­sion de l’espérance de vie pen­dant cette période grâce à la chute des mor­ta­li­tés évi­tables (cau­sées par des mala­dies trai­tables), en par­ti­cu­lier un remar­quable déclin de la mor­ta­li­té infan­tile et néo­na­tale (pas­sées res­pec­ti­ve­ment de 17,94 à 2,65 et de 13,58 à 1,79 morts pour 1 000 nais­sances), et de la mor­ta­li­té post­na­tale et mater­nelle. De même, dans le Rap­port sur la san­té dans le monde publié par l’OMS en 2000, la Grèce figu­rait en excel­lente posi­tion dans le clas­se­ment des 191 pays membres de l’Organisation selon la qua­li­té des soins médi­caux dis­pen­sés. Elle était alors 14e. La France figu­rait au pre­mier rang, sui­vie par l’Italie ; l’Espagne était sep­tième ; le Por­tu­gal, pré­cé­dé de la Nor­vège, 12e. La Suède arri­vait en 23e posi­tion, l’Allemagne en 25e, les États-Unis, pays notoi­re­ment connu pour son sys­tème de san­té mer­can­tile, 37e.


II.2. Res­tric­tions bud­gé­taires et délais de paie­ment : des médi­ca­ments de moins en moins accessibles

Les dys­fonc­tion­ne­ments de l’ESY avaient favo­ri­sé une sur­con­som­ma­tion de médi­ca­ments en Grèce. En 2009, les dépenses médi­ca­men­teuses étaient les plus éle­vées des pays de l’OCDE (2,4 % du PIB contre 1,6 % en moyenne). Ce phé­no­mène s’explique notam­ment par les pra­tiques des méde­cins du réseau pri­maire des assu­rances sociales : ils avaient été nom­breux à cher­cher une com­pen­sa­tion à leurs faibles salaires [16] en ouvrant les après-midis des cabi­nets pri­vés. Du coup, les consul­ta­tions publiques du matin deve­naient un vivier de recru­te­ment de patients pour leurs consul­ta­tions pri­vées : sché­ma­ti­que­ment, le patient était rapi­de­ment reçu le matin avant de repar­tir avec un ren­dez-vous pour une consul­ta­tion pri­vée, ou à défaut avec une grosse ordon­nance de médicaments.

La réduc­tion des dépenses phar­ma­ceu­tiques fut pro­gram­mée dès le pre­mier mémo­ran­dum. La troï­ka vou­lut une baisse de près de moi­tié des dépenses en deux ans (de 4,37 mil­liards d’euros en 2010 à 2,88 mil­liards d’euros en 2012 – cet objec­tif fut atteint) puis à 2 mil­liards d’euros en 2014 (Ken­ti­ke­le­nis et al., 2014) en agis­sant sur les prix, les pres­crip­tions et le moni­to­ring (Carone et al., 2012:50–52). Par­mi les autres mesures figu­rait une liste régu­liè­re­ment modi­fiée de médi­ca­ments rem­bour­sables conçue pour ser­vir l’objectif prio­ri­taire, en Grèce comme ailleurs, du recours aux géné­riques ; un sys­tème de rabais sur tous les médi­ca­ments ven­dus aux caisses de sécu­ri­té sociale ; et un droit de recou­vre­ment par l’État lorsque les dépenses du bud­get phar­ma­ceu­tique public excé­daient un pla­fond pério­di­que­ment révisé.

Les hôpi­taux déla­brés ne sont pas en mesure de com­man­der des médi­ca­ments dont les patients ont besoin

Le prix des médi­ca­ments est main­te­nant basé sur la moyenne des trois plus bas prix de l’Union euro­péenne. Des éco­no­mies sub­stan­tielles ont ain­si été réa­li­sées sans tou­te­fois assu­rer un meilleur accès du public aux médi­ca­ments. Les rai­sons en sont com­plexes. Les hôpi­taux déla­brés ne sont pas en mesure de com­man­der des médi­ca­ments dont les patients ont besoin et laissent ces der­niers essayer de résoudre le pro­blème. Les phar­ma­cies sont en dif­fi­cul­té : d’un côté, elles ont accu­mu­lé des dettes du fait des délais de rem­bour­se­ment des orga­nismes de sécu­ri­té sociale (actuel­le­ment, quatre à cinq mois de retard en moyenne, mais cela peut atteindre dix ou onze mois) qui leur doivent un total éva­lué en 2015–2016 à 500 mil­lions d’euros (Kara­ma­no­li, 2015 ; Man­tas, entre­tien 2016). De l’autre côté, les four­nis­seurs accordent un délai de un à trois mois, mais exigent le plus sou­vent un règle­ment immédiat.


Un très grand nombre de phar­ma­cies a fermé

Les phar­ma­cies sont alors for­cées de payer leurs com­mandes d’avance en atten­dant le rem­bour­se­ment des assu­reurs sociaux, ou de s’organiser infor­mel­le­ment avec d’autres phar­ma­cies, par­mi les­quelles les phar­ma­cies soli­daires aujourd’hui très bien orga­ni­sées [17], pour trou­ver ou échan­ger les médi­ca­ments ; ou encore d’exiger des patients d’avancer les fonds ; ou enfin de les envoyer ten­ter leur chance ailleurs. Ces solu­tions sont fra­giles : un très grand nombre de phar­ma­cies a fer­mé. Beau­coup d’autres ont sur­vé­cu en appa­rence mais ont été rache­tées par des firmes mul­ti­na­tio­nales de gros­sistes pri­vés. Ces der­niers ont réagi aux bas prix et aux longs délais d’apurement des créances en se tour­nant vers d’autres mar­chés plus lucra­tifs. Pen­dant un temps, les fabri­cants ont fixé des quo­tas cen­sés cou­vrir les besoins du mar­ché grec, et, par consé­quent, ils ne livraient pas néces­sai­re­ment les com­mandes en tota­li­té. Pour se jus­ti­fier, ils disaient ne pas avoir suf­fi­sam­ment de stocks, et par­mi eux quelques-uns avaient arrê­té de vendre des médi­ca­ments coû­teux à la Grèce.

Un pro­blème par­ti­cu­lier se pose au sujet des nou­veaux médi­ca­ments entrant sur le mar­ché grec (83 ces trois der­nières années) parce que la Grèce figure au plan inter­na­tio­nal par­mi les pays de réfé­rence pour l’établissement et la négo­cia­tion de leur prix [18]. Ain­si, la firme Novar­tis s’est alliée avec des agents publics et des doc­teurs grecs pour vendre en Grèce cer­tains nou­veaux pro­duits à des prix exor­bi­tants qui lui ont assu­ré des pro­fits éle­vés dans des pays plus peu­plés (comme par exemple la Tur­quie, et plus encore le Bré­sil). Le scan­dale Novar­tis [19] fait actuel­le­ment l’objet d’une enquête pour éta­blir les faits et déter­mi­ner les res­pon­sa­bi­li­tés. En atten­dant, des ini­tia­tives inter­na­tio­nales sont prises pour ten­ter de modé­rer les appé­tits des fabri­cants du fait de la crise géné­rale des finances publiques. En Grèce, la pres­sion (et le mécon­ten­te­ment des fabri­cants) est encore plus forte parce que, en sus de son droit de recou­vre­ment, l’État demande aux fabri­cants une réduc­tion de 25 % pour chaque nou­veau médi­ca­ment dont le prix est fixé en Grèce.

Ajou­tons enfin que l’industrie phar­ma­ceu­tique grecque est struc­tu­rel­le­ment vul­né­rable aux firmes mul­ti­na­tio­nales et aux poli­tiques gou­ver­ne­men­tales. Elle pro­duit des géné­riques de haute qua­li­té et consti­tue un vivier de main‑d’œuvre effec­tif et poten­tiel, mais elle n’est pas en mesure de se défendre contre des menaces telles que le dum­ping sur les prix des firmes phar­ma­ceu­tiques mon­diales. Elle a aus­si été affai­blie par le droit de recou­vre­ment de l’État dont le mon­tant pour 2014 a été esti­mé à 30 % du bud­get natio­nal phar­ma­ceu­tique (Anas­ta­sa­ki et al., 2014). Des oppor­tu­ni­tés de crois­sance endo­gène se perdent ain­si, tan­dis que la socié­té est dépos­sé­dée d’un four­nis­seur de qualité.

Les nou­velles poli­tiques ont trans­fé­ré une par­tie des coûts aux patients

Pour aggra­ver la situa­tion, les nou­velles poli­tiques ont trans­fé­ré une par­tie des coûts aux patients qui doivent assu­mer une part crois­sante de la dépense totale non rem­bour­sée au risque de se pri­ver de soins. Le panier de soins a été modi­fié pour intro­duire des frais modé­ra­teurs et exclure cer­tains pro­duits et ser­vices, en par­ti­cu­lier les tests cli­niques et phar­ma­co­lo­giques, de la cou­ver­ture publique (les assu­reurs pri­vés ont aus­si res­treint leur cou­ver­ture). En moyenne, le ticket modé­ra­teur acquit­té par les assu­rés est pas­sé de 9 % du prix du médi­ca­ment en 2011 à 25 % en 2013 et 35 à 40 % en 2015. Dans les cas extrêmes, le ticket modé­ra­teur peut atteindre 75 % du prix du médi­ca­ment. En rai­son des effets com­bi­nés des pénu­ries, des stra­té­gies des firmes, et de la règle stricte de l’alignement du médi­ca­ment sur les trois plus bas prix de l’UE, les médi­ca­ments pres­crits sont régu­liè­re­ment introu­vables sur le mar­ché. Par exemple, ce sont les vac­cins, sur­tout les vac­cins pour enfants (en 2017), ou encore l’insuline, les anti­coa­gu­lants, les pro­duits anti­dia­bé­tiques et anti­can­cé­reux, les immu­no­sup­pres­seurs et d’autres pro­duits essen­tiels qui ne sont plus en cir­cu­la­tion ou ne s’obtiennent que très dif­fi­ci­le­ment. Le dys­fonc­tion­ne­ment du sys­tème est par­ti­cu­liè­re­ment dan­ge­reux pour les per­sonnes atteintes de mala­dies chroniques.

En 2017, les vac­cins pour enfants, l’insuline, les anti­coa­gu­lants, les pro­duits anti­dia­bé­tiques, anti­can­cé­reux et autres pro­duits essen­tiels s’obtiennent difficilement


II.3. Les hôpi­taux en sur­sis permanent

Des mesures dras­tiques ont été intro­duites pour restruc­tu­rer les hôpi­taux publics et le reste de l’ESY. Au cours des der­nières années, on a assis­té à la fer­me­ture de grands hôpi­taux à Athènes, Thes­sa­lo­nique et ailleurs, la sup­pres­sion et/ou la fusion d’un grand nombre de cli­niques ou d’unités spé­cia­li­sées, le regrou­pe­ment de cen­taines de labo­ra­toires, et l’élimination d’au moins 2 000 lits. Des méca­nismes de sur­veillance mana­gé­riale ont été mis en place : les bud­gets des hôpi­taux sont main­te­nant gérés par une firme pri­vée (Kara­kiou­la­fis, 2014:90) et des tech­niques variées per­mettent d’inspecter l’activité hos­pi­ta­lière et celle des méde­cins, dont un sys­tème de col­lecte men­suelle des don­nées pour contrô­ler l’activité et les dépenses hos­pi­ta­lières à tra­vers des pro­cé­dures élec­tro­niques obli­ga­toires. Comme ailleurs en Europe, deux ins­tru­ments clés ont été action­nés par les gou­ver­neurs pour ralen­tir la crois­sance des dépenses hos­pi­ta­lières : la tari­fi­ca­tion à l’acte et la com­pres­sion du per­son­nel.


La tari­fi­ca­tion à l’activité

La tari­fi­ca­tion à l’activité ou diag­no­sis rela­ted groups (DRGs) est un outil bud­gé­taire impor­té des États-Unis au début des années 1980 qui s’est sub­sti­tué au prix de jour­née habi­tuel­le­ment pra­ti­qué en Europe. Elle s’est impo­sée par­tout, bien que la recherche scien­ti­fique et les éva­lua­tions indé­pen­dantes mettent depuis long­temps en lumière sa nui­si­bi­li­té tant pour les finances publiques que pour les patients. Elle consiste à lier direc­te­ment les recettes des hôpi­taux au volume d’activité (nombre d’actes et de consul­ta­tions) enre­gis­trées pour chaque groupe homo­gène de malades. Le cri­tère est pure­ment comp­table et ne per­met pas de dis­tin­guer entre une acti­vi­té tech­nique, faci­le­ment quan­ti­fiable, mesu­rable, et une autre plus com­plexe exi­geant plus de temps et l’appel à des com­pé­tences plu­ri­dis­ci­pli­naires. En France, par exemple, où un finan­ce­ment ana­logue a été intro­duit, toute consul­ta­tion, pour être ren­table, ne devrait pas dépas­ser douze minutes. Dans le contexte de l’injonction poli­tique d’un retour à « l’équilibre finan­cier », il n’est donc plus vrai­ment ques­tion de soins mais d’augmentation du nombre d’actes ren­tables (Gri­mal­di, 2009). En Grèce aus­si, cette poli­tique orga­nise le renon­ce­ment à la qua­li­té de bien public inhé­rente aux ser­vices de soin pour les trans­for­mer en entre­prises capi­ta­listes (Ioa­kei­mo­glou, 2010).

Cette trans­for­ma­tion est cepen­dant coû­teuse. Comme le note le neu­ro­logue Makis Man­tas (entre­tien, 2014), coor­di­na­teur jusqu’en juillet 2015 du pro­gramme de soins pri­maires de Syri­za, le sys­tème de paie­ment à l’acte « … a accru les défi­cits publics [grecs] et mul­ti­plié les coûts hos­pi­ta­liers par sept. Il favo­rise les hôpi­taux pri­vés. Pre­nez le cas du stra­bisme. Il s’agit d’un acte très simple. Dans le pas­sé, l’opération coû­tait entre 70 et 90 euros en Grèce. Aucun hôpi­tal pri­vé ne s’y inté­res­sait. Aujourd’hui, la même opé­ra­tion coûte dix fois plus cher. Sou­dai­ne­ment, les hôpi­taux publics qui pre­naient en charge toutes ces opé­ra­tions le font de moins en moins ; ils cèdent la place aux hôpi­taux privés. »

Les hôpi­taux pri­vés y trouvent leur compte et en tirent des pro­fits éle­vés parce qu’ils peuvent faci­le­ment se spé­cia­li­ser dans les trai­te­ments rela­ti­ve­ment simples et peu ris­qués de mala­dies cou­rantes et pré­vi­sibles. Ce qui péna­lise les hôpi­taux publics et uni­ver­si­taires aux­quels incombent les trai­te­ments plus com­plexes, coû­teux et ris­qués, alors que leurs res­sources et celles de la recherche médi­cale ont diminué.


Des coupes dras­tiques dans les salaires et les effec­tifs du sec­teur public de santé

Autre ins­tru­ment majeur visant la baisse des coûts, les coupes sala­riales et la liqui­da­tion des droits des tra­vailleurs dans tout le sec­teur public ont été, dès le pre­mier mémo­ran­dum, l’une des prin­ci­pales prio­ri­tés de la troï­ka. En 2011, il appa­rais­sait déjà que la chute des dépenses publiques hos­pi­ta­lières avait été obte­nue spé­cia­le­ment au moyen d’une dimi­nu­tion de 75 % des coûts sala­riaux (plu­tôt que d’un accrois­se­ment de l’efficience) (Kon­di­lis et al., 2013). Les salaires des pro­fes­sion­nels de san­té publique, qui étaient les plus faibles d’Europe occi­den­tale avant la crise finan­cière, ont été réduits d’au moins 40 % depuis 2010. Cha­ris Mat­sou­ka (entre­tien, 2014 [20]) affir­mait qu’elle gagnait 2 000 euros par mois, frais pro­fes­sion­nels inclus, alors qu’elle avait atteint le som­met de la car­rière hos­pi­ta­lière. Aujourd’hui, le salaire moyen d’un nou­veau méde­cin réfé­rent ou d’un pro­fes­seur de méde­cine débu­tant s’élève envi­ron à 1 100 euros (Ifan­ti et al., 2014 ; entre­tiens, 2016, 2017).

Une perte de 30 % des effectifs

La com­pres­sion du per­son­nel dans le sec­teur de la san­té publique a été dra­ma­tique, avec une perte de 30 % des effec­tifs consé­cu­tive au gel des embauches, au non-rem­pla­ce­ment de fait des tra­vailleurs par­tant à la retraite et au non-renou­vel­le­ment des contrats tem­po­raires. En 2011, l’Association médi­cale d’Athènes esti­mait qu’en cette seule année, 26 000 agents du sec­teur de la san­té publique, dont près de 9 100 méde­cins, allaient perdre leur tra­vail (Tri­an­ta­fyl­lou, Ange­le­to­pou­lou, 2011). La réduc­tion du nombre de méde­cins a été beau­coup plus impor­tante que celle pré­vue par la troï­ka (Cor­reia et al., 2015) à cause de la dété­rio­ra­tion rapide de l’environnement et des condi­tions de tra­vail. Nombre de doc­teurs et d’infirmiers ont pris des retraites anti­ci­pées. À cela s’ajoute un exode mas­sif depuis 2010 de jeunes grecs hau­te­ment qua­li­fiés, par­mi les­quels des méde­cins spé­cia­listes et autres per­son­nels médi­caux à la recherche de condi­tions de tra­vail meilleures hors de Grèce. On estime à plus de 7 500 le nombre de méde­cins grecs ayant émi­gré jusqu’en 2014, notam­ment vers l’Allemagne où ils sont employés dans des postes en deçà de leurs qua­li­fi­ca­tions et à des taux de rému­né­ra­tion infé­rieurs à ceux de leurs col­lègues [21].

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Consul­ta­tions can­cé­ro­lo­gie, Aghios Sav­vas, Athènes.

 

Des condi­tions de tra­vail et sani­taires déplorables

Les hôpi­taux sont à court des four­ni­tures les plus élémentaires

Les sous-effec­tifs, un afflux consi­dé­rable de patients et les pénu­ries ont pous­sé les hôpi­taux publics au point de rup­ture. Les condi­tions de tra­vail y sont pré­caires et dan­ge­reuses. Les hôpi­taux sont à court des four­ni­tures les plus élé­men­taires : draps, ciseaux, antal­giques, ten­sio­mètres, équi­pe­ment sté­ri­li­sé, médi­ca­ments vitaux, dépis­tage du can­cer et équi­pe­ment appro­prié pour les inter­ven­tions chi­rur­gi­cales… Le nombre d’heures tra­vaillées a consi­dé­ra­ble­ment aug­men­té. Le temps de tra­vail des méde­cins, incluant les périodes de garde, peut atteindre 32 heures inin­ter­rom­pues, et lorsqu’ils sont en ser­vice d’astreinte la durée du tra­vail peut atteindre 93 heures par semaine.

Aler­tée, la Com­mis­sion euro­péenne a por­té le pro­blème devant la Cour de jus­tice qui a jugé ces pra­tiques illé­gales [22]. Jusqu’ici, cela n’a pas été sui­vi d’effet : alors que taux de chô­mage est éle­vé par­mi les méde­cins et le per­son­nel soi­gnant, les recru­te­ments de méde­cins sta­tu­taires n’ont pas aug­men­té, des mil­liers d’embauches sont tou­jours en attente et les internes quittent l’ESY. À la mi-2017, une loi des­ti­née à réduire le temps de tra­vail légal des méde­cins grecs pour le rendre conforme aux normes euro­péennes (48 heures) était en pré­pa­ra­tion. Mais comme il n’est tou­jours pas pos­sible de recru­ter du per­son­nel sta­tu­taire, le pro­jet de loi pré­voit une option en ver­tu de laquelle les méde­cins qui le sou­haitent auront la pos­si­bi­li­té de tra­vailler 60 heures heb­do­ma­daires à condi­tion de signer un docu­ment attes­tant qu’ils font eux-mêmes le choix de tra­vailler plus (aupa­ra­vant, ils y étaient obligés).

Par ailleurs, la pra­tique consis­tant à recru­ter du per­son­nel non sta­tu­taire auto-employé sur des contrats à court terme se géné­ra­lise. Des uni­tés de soins inten­sifs, des labo­ra­toires et même des dépar­te­ments hos­pi­ta­liers entiers ferment ou menacent constam­ment de fer­mer. Les divers ser­vices luttent constam­ment pour obte­nir les finan­ce­ments indis­pen­sables à leur sur­vie. Comme le dit une femme méde­cin dans un entretien :

« Nous devons sans arrêt nous battre pour obte­nir des fonds addi­tion­nels du gou­ver­ne­ment. (…) Ça se passe tous les trois mois. Donc nous avons constam­ment un hori­zon de trois mois devant nous. C’est épui­sant. Et déprimant… »

Cer­tains centres publics de trai­te­ment du can­cer n’arrivent même pas à nour­rir leurs patients

Cer­tains centres publics de trai­te­ment du can­cer n’arrivent même pas à nour­rir leurs patients. Le manque de res­sources les amène par­fois à fer­mer abrup­te­ment leurs ser­vices à divers moments de la jour­née et à annu­ler des consul­ta­tions sans les repor­ter à une autre date. En jan­vier 2016, l’hôpital uni­ver­si­taire géné­ral Lai­ko à Athènes a ren­voyé des dizaines de patients atteints du can­cer parce qu’il ne pou­vait pas pra­ti­quer les chi­mio­thé­ra­pies vitales pré­vues pour eux [23].

Dans cer­taines cir­cons­tances extrêmes, des nou­veau-nés ont été reti­rés à leur mère jusqu’à ce qu’elle puisse payer la fac­ture hos­pi­ta­lière ; le car­dio­logue Geor­gos Vichas, qui dirige la cli­nique métro­po­li­taine soli­daire d’Hellinikon, a rap­por­té des situa­tions où des patients atteints du can­cer avaient été expul­sés de l’établissement de soins où ils devaient subir une opé­ra­tion chi­rur­gi­cale parce qu’ils ne pou­vaient pas payer 1 800 euros. Consé­quence de la forte pro­por­tion de per­sonnes non assu­rées, ces der­nières situa­tions sont cepen­dant res­tées excep­tion­nelles grâce à l’ingéniosité des méde­cins grecs qui trouvent des moyens créa­tifs de contour­ner les régulations.


II.4. Le déman­tè­le­ment du sys­tème de soins primaires

Inéga­li­taire et frag­men­té avant 2010, le réseau des ser­vices de soins pri­maires a connu, depuis, une série de réor­ga­ni­sa­tions. En 2011–2012, les quatre prin­ci­pales caisses d’assurances sociales (IKA, OGA, OAEE et OPAD) furent trans­fé­rées avec leurs effec­tifs et leur infra­struc­ture à une nou­velle et unique Orga­ni­sa­tion natio­nale pour la pres­ta­tion de ser­vices de san­té (EOPYY). L’intégration des struc­tures de soins pri­maires avait été espé­rée depuis au moins la créa­tion de l’ESY en 1983 car elle por­tait une pro­messe d’universalité et d’égalité d’accès à la san­té. La pro­messe ne fut pas hono­rée dans le contexte des mémo­ran­dums. Léga­le­ment obli­gées de dépo­ser 77 % de leurs avoirs dis­po­nibles à la Banque de Grèce, les caisses d’assurance mala­die absor­bées par l’EOPYY per­dirent 53,5 % de leurs avoirs au moment de la restruc­tu­ra­tion (« la décote ») d’une par­tie de la dette grecque en mars 2012. Elles ne reçurent aucune com­pen­sa­tion pour leurs pertes (envi­ron 10 mil­liards d’euros en trois mois), contrai­re­ment aux banques. Par ailleurs, la dimi­nu­tion des pres­ta­tions cou­vertes par les caisses, l’augmentation des frais modé­ra­teurs, la com­pres­sion des per­son­nels soi­gnants et les baisses de salaire dété­rio­rèrent, comme dans le sec­teur hos­pi­ta­lier, la qua­li­té des pres­ta­tions et l’accès aux soins pri­maires publics (Kai­te­li­dou, Kou­li, 2012 ; Kon­di­lis et al., 2013).

En 2014, Geor­gia­dis fer­ma les uni­tés de soins pri­maires et ren­voya chez eux 6 500 à 8 000 médecins

En 2014, dans la ligne des prin­cipes pro­mus par la Banque mon­diale, le ministre de la San­té, Ado­nis Geor­gia­dis, dis­so­cia les fonc­tions d’acheteur et de four­nis­seur ou pres­ta­taire de soins. La fonc­tion d’acheteur res­ta de la com­pé­tence de l’EOPYY, tan­dis que les pres­ta­tions de san­té furent confiées à un nou­veau Réseau natio­nal de soins de san­té pri­maire (PEDY). Le ministre manœu­vra habi­le­ment pour pro­vo­quer le départ « volon­taire » de la moi­tié des méde­cins des centres de san­té inté­grés à l’EOPYY deux ans plus tôt. En février 2014, il fer­ma du jour au len­de­main toutes les uni­tés du réseau de soins pri­maires et ren­voya chez eux quelque 6 500 à 8 000 méde­cins. Il annon­ça que ceux-ci pour­raient être embau­chés à l’ouverture du nou­veau réseau (PEDY), à condi­tion d’accepter des contrats de tra­vail à plein temps et de fer­mer leurs cabi­nets pri­vés. L’idée de créer un sta­tut d’emploi exclu­si­ve­ment public dans le sec­teur des soins pri­maires était popu­laire et en géné­ral bien­ve­nue, mais cela impli­quait que les doc­teurs doré­na­vant se contentent du même (bas) salaire (1 100 euros), renoncent à des sources sup­plé­men­taires de reve­nus (en fer­mant leurs cabi­nets) et oublient les pers­pec­tives de car­rière [24]. Ils furent nom­breux à « s’auto-licencier », pour citer la for­mule d’un de mes inter­lo­cu­teurs, c’est-à-dire à « choi­sir » de perdre leur emploi. Aujourd’hui, le réseau PEDY compte quelque 2 700 médecins.

De très nom­breux patients doivent attendre long­temps pour une très brève consultation

En dehors de réus­sir un « coup » avec la sup­pres­sion d’un nombre consé­quent d’employés du sec­teur public, l’initiative d’Adonis Geor­gia­dis s’est révé­lée pro­blé­ma­tique. D’abord, les struc­tures de soins pri­maires (c’est-à-dire prin­ci­pa­le­ment celles de l’ancienne IKA) ont pra­ti­que­ment ces­sé de fonc­tion­ner en rai­son de l’importance des sous-effec­tifs. Autre­fois dotées de moyens, notam­ment humains, suf­fi­sants, elles sont désor­mais pra­ti­que­ment vides. Par consé­quent, de très nom­breux patients doivent attendre long­temps pour une très brève consul­ta­tion [25]. Les méde­cins n’ont pas le temps de faire davan­tage que de contrô­ler les car­nets de san­té ou les anciennes ordon­nances, et en faire de nou­velles. De plus, ils sont étroi­te­ment sur­veillés par une pla­te­forme élec­tro­nique : ils ne peuvent pas pres­crire de médi­ca­ments ou d’examens au-delà de ce qu’autorise leur bud­get [26]. S’ils s’y hasardent, le sys­tème com­mence par lan­cer un aver­tis­se­ment avant de se blo­quer, et le méde­cin, alors pas­sible d’une amende, ne peut plus rien prescrire.

Dans les ser­vices de san­té pri­maire (comme à l’hôpital), des auxi­liaires pré­caires sont embau­chés pour des périodes courtes allant de huit mois (ce qui évite de les gar­der l’été) à un an et demi au mieux : ceux-là ne veulent pas ris­quer leur emploi ou avoir une amende. Les autres [27] sont éga­le­ment pié­gés par le sys­tème, de sorte que la plu­part des méde­cins ne peuvent pas soi­gner leurs patients. Si néces­saire, ils les envoient à l’hôpital où il est encore pos­sible de pres­crire libre­ment des médi­ca­ments ou des exa­mens. Mais c’est un cercle vicieux, car les méde­cins hos­pi­ta­liers estiment à juste titre qu’ils n’ont pas le temps de rece­voir les gens pour sim­ple­ment leur déli­vrer des ordon­nances, et que ce n’est pas leur rôle.


 
Même quand ils n’étaient pas diri­gés à l’hôpital par leur méde­cin trai­tant, et parce que les soins pri­maires ne fonc­tionnent pas, les patients se sont mas­si­ve­ment tour­nés vers les urgences hos­pi­ta­lières. C’est le deuxième grand écueil de la réor­ga­ni­sa­tion conduite par Ado­nis Geor­gia­dis. Pour décon­ges­tion­ner les urgences et pal­lier les consé­quences des sous-effec­tifs dans les soins pri­maires, le ministre de la San­té a cru trou­ver une solu­tion en inci­tant les méde­cins du sec­teur pri­vé à pas­ser des conven­tions avec l’EOPYY : ils s’engageaient à exa­mi­ner 200 patients par mois contre une rému­né­ra­tion de 2 000 euros men­suels. Cette mesure extrê­me­ment coû­teuse pour le sys­tème de san­té publique s’est aus­si avé­rée très inef­fi­cace car la plu­part des méde­cins « se débar­ras­saient » des 200 patients en une semaine, sinon plus vite, et pen­dant le res­tant du mois les malades n’avaient d’autre choix que de payer le prix d’une consul­ta­tion pri­vée, d’aller à l’hôpital ou de ten­ter leur chance dans un centre de soins primaires.

Telle était encore la situa­tion au prin­temps 2017 quand l’actuel ministre de la San­té, Andreas Xan­thos, lan­çait un nou­veau pro­jet de loi qua­drien­nal dit « Soins pri­maires de san­té » [28]. Son objec­tif prio­ri­taire consiste tou­jours à désen­gor­ger les urgences hos­pi­ta­lières mais le gou­ver­ne­ment entend aus­si remettre à plat tout le sys­tème en vue de son amé­lio­ra­tion (enca­dré). L’initiative est bien­ve­nue : elle sim­pli­fie l’organisation des soins pri­maires, vise leur inté­gra­tion à un sys­tème natio­nal de san­té unique et pour­rait cor­ri­ger cer­tains dys­fonc­tion­ne­ments. Mais les fortes contraintes bud­gé­taires indiquent que la pers­pec­tive reste celle d’un ration­ne­ment des soins de san­té publique. Les besoins du pays tout entier ne sau­raient être cou­verts par le recru­te­ment de seule­ment 1 300 nou­veaux méde­cins, même si les pro­fils pri­vi­lé­giés (géné­ra­listes, inter­nistes, pédiatres) cor­res­pondent à un manque avé­ré, tant le dés­équi­libre est grand entre, d’un côté, les spé­cia­listes en sur­nombre et, de l’autre, les géné­ra­listes sou­vent inexis­tants dans les ser­vices de soins pri­maires. Avec seule­ment trois pra­ti­ciens, le rôle des uni­tés locales de san­té risque de se rame­ner à celui de pour­voyeur d’ordonnances et de garde-bar­rière empê­chant le tout-venant de se rendre spon­ta­né­ment aux urgences hos­pi­ta­lières. On ne sait pas encore ce que devrait impli­quer la restruc­tu­ra­tion de ces der­nières, actuel­le­ment à l’étude. Elles pour­raient deve­nir des uni­tés auto­nomes dotées d’un per­son­nel propre, dis­tinct des équipes soi­gnantes des hôpitaux.

Dans l’ensemble, la pré­ca­ri­sa­tion des per­son­nels soi­gnants ira en aug­men­tant. Même si les contrats des méde­cins conven­tion­nés sont révi­sés, il man­que­ra au sys­tème natio­nal de san­té, et sin­gu­liè­re­ment au sec­teur des soins pri­maires, la masse cri­tique indis­pen­sable à des pres­ta­tions publiques de qua­li­té. La dépen­dance à l’égard du sec­teur pri­vé n’en sera que ren­for­cée. On s’achemine très pro­ba­ble­ment vers un sys­tème à deux vitesses com­pre­nant des ser­vices publics rudi­men­taires, sinon gra­tuits du moins à faible coût, et des pres­ta­tions pri­vées ou mixtes acces­sibles seule­ment aux plus aisés.

Enca­dré

 
De fait, la logique d’une par­ti­ci­pa­tion maxi­male du sec­teur pri­vé s’installe pro­gres­si­ve­ment dans le sec­teur des soins pri­maires. Les dépenses non rem­bour­sables se mul­ti­plient. Les copaie­ments pour les consul­ta­tions ambu­la­toires sont pas­sées de 3 à 5 euros en 2011 (le gou­ver­ne­ment Syri­za a sup­pri­mé cette taxe qui vient d’être réin­tro­duite). Les pres­crip­tions médi­cales sont limi­tées à trois médi­ca­ments. S’il en faut davan­tage, le méde­cin doit éta­blir une ou plu­sieurs nou­velles ordon­nances, cha­cune coû­tant 1 euro au patient. Il y a aus­si d’autres coûts moins visibles, comme le prix d’un appel télé­pho­nique pour pro­gram­mer un ren­dez-vous chez le doc­teur. Il sera bien­tôt pos­sible de le faire par voie élec­tro­nique, solu­tion dif­fi­cile pour les per­sonnes âgées ou démunies.

L’assurance pri­vée croît len­te­ment dans le mar­ché des soins pri­maires avec des for­mules bon mar­ché. Par exemple, on a vu des jour­naux comme Pro­to The­ma ou Anexar­ti­sia offrir aux lec­teurs dans leurs édi­tions du week-end des cou­pons à col­lec­tion­ner pour obte­nir une carte de san­té « gra­tuite » don­nant un accès annuel limi­té et à faible coût à des méde­cins et des centres pri­vés de diag­nos­tic. Les banques aus­si offrent à leurs clients dif­fé­rents types de polices d’assurance mala­die (selon un éven­tail de prix variant de 85 à 800 euros annuels).

Les mon­tants de ces contri­bu­tions acquit­tées par le patient peuvent paraître négli­geables. Cepen­dant, elles pour­raient bien avoir un but péda­go­gique. Comme a pu le dire un méde­cin grec au cours d’un entre­tien : « Le pro­jet consiste à habi­tuer les gens à payer jusqu’à ce que le sys­tème [de san­té publique] soit fina­le­ment sup­pri­mé. » Dans sa contri­bu­tion aux tra­vaux du réseau Glo­ba­li­za­tion and Health Know­ledge Net­work, John Lis­ter note : « Il ne fait pas de doute qu’en pro­mou­vant des frais modé­ra­teurs, la Banque mon­diale et d’autres agences enten­daient notam­ment nour­rir l’apparition de polices d’assurance, même dans les pays les plus pauvres […]. [Par exemple], à l’occasion d’un ate­lier majeur finan­cé par l’Agence des États-Unis pour le déve­lop­pe­ment inter­na­tio­nal (USAID), qui s’est tenu au Zim­babwe, l’une des conclu­sions prin­ci­pales rela­tives aux “ensei­gne­ments” tirés de la réflexion sur le finan­ce­ment des soins de san­té était que “les frais modé­ra­teurs sont vitaux pour l’introduction de n’importe quel type de sys­tème assu­ran­tiel” » (McEuen et McGaugh, cité par Kon­di­lis et al., 2013 ; Lis­ter, 2008:34).

Tout aus­si impor­tantes ont été d’autres mesures prises en Grèce pour aller dans la même direc­tion. La déré­gu­la­tion des ser­vices pri­vés de san­té a com­men­cé très tôt au début du pre­mier pro­gramme d’ajustement struc­tu­rel. Par exemple, Kon­di­lis et alii (2013) men­tionnent la sup­pres­sion de toutes les limites à l’établissement de labo­ra­toires, de centres médi­caux et d’unités de dia­lyse par des entre­pre­neurs pri­vés, et la levée des res­tric­tions rela­tives à l’expansion des hôpi­taux pri­vés. Les auteurs relèvent éga­le­ment l’introduction en 2011 de contrats pas­sés par les éta­blis­se­ments publics avec les com­pa­gnies d’assurance pri­vées pour leur trans­fé­rer des ser­vices hos­pi­ta­liers publics. Ils leur ont attri­bué des cen­taines de lits hos­pi­ta­liers de luxe. Avant même la loi « Soins pri­maires de san­té » d’Andreas Xan­thos, deux grandes cli­niques pri­vées aux spé­cia­li­tés mul­tiples fonc­tion­nant en lien avec d’importants pres­ta­taires d’assurance pri­vées avaient été créées en rem­pla­ce­ment des struc­tures du réseau PEDY à Athènes et à Thessalonique.

III. Survivre sous conditions

L’importance des déter­mi­nants sociaux de la san­té pour le bien-être phy­sique, men­tal et social des com­mu­nau­tés humaines a été sou­li­gnée plus haut. Avec l’aide et une cer­taine com­pli­ci­té du gou­ver­ne­ment grec (Bur­gi, 2014a), la troï­ka a pré­ten­du pal­lier les effets de la « crise » (les effets de la qua­si-liqui­da­tion, effec­tive ou en ins­tance, de la pro­tec­tion sociale) en agis­sant sur ces déter­mi­nants dans l’intention de ren­for­cer la « rési­lience » de la popu­la­tion. Les mesures phares ini­tiées à cette fin – indem­ni­sa­tion et accès des chô­meurs aux soins médi­caux, ins­tau­ra­tion d’un reve­nu mini­mum garan­ti (RMG) – tracent, dans leur ver­sion grecque, les contours maté­riels et idéels du « nou­veau modèle social euro­péen » appe­lé à se sub­sti­tuer à l’État social décré­té « révo­lu » par le gou­ver­neur de la Banque cen­trale euro­péenne, Mario Dra­ghi, en 2012. Ce modèle est évo­qué dans le mémo­ran­dum d’août 2015 qui consacre une petite sec­tion à un « authen­tique filet de sécu­ri­té sociale » et à « une socié­té plus équi­table ». Embras­sant la notion pro­mue par la Banque mon­diale d’un « ensemble de pres­ta­tions de base » (essen­tial package) pour les plus dému­nis, il assure tout juste la sur­vie des plus pauvres.


III.1. La recon­fi­gu­ra­tion des indem­ni­tés de chô­mage et de l’assurance-maladie

Avant juillet 2011, la durée maxi­male d’indemnisation du chô­mage, qui condi­tion­nait l’accès aux pres­ta­tions de san­té, n’excédait pas un an, mais les patients en fin de droit et pri­vés de res­sources finan­cières pou­vaient encore être trai­tés dans les hôpi­taux. Après juillet 2011, de nou­velles dis­po­si­tions exi­gèrent que les non-assu­rés paient inté­gra­le­ment leurs soins et en mars 2012, les mon­tants de l’indemnisation furent réduits (de 561 à 360 euros [29]). Entre­temps, les taux de chô­mage et le nombre de per­sonnes non assu­rées grim­pèrent en flèche et res­tèrent énormes jusqu’à aujourd’hui. Méde­cins de Monde estime qu’il y a envi­ron 3 mil­lions de non-assu­rés, si l’on inclut les auto-employés qui ne sont pas comp­ta­bi­li­sés dans les chiffres offi­ciels du chô­mage ; Makis Man­tas estime la pro­por­tion de non-assu­rés toutes caté­go­ries confon­dues à 35 % de la popu­la­tion en 2016, par­mi les­quels 60 % de pro­fes­sions indé­pen­dantes et d’auto-employés ; les rap­ports offi­ciels de l’UE ou de l’OCDE avancent géné­ra­le­ment le chiffre de 2,5 mil­lions de non-assu­rés (sur une popu­la­tion totale de 11 mil­lions d’habitants).

Sous la pres­sion sociale, le ministre de la San­té, Ado­nis Geor­gia­dis, intro­dui­sit par décret minis­té­riel en 2013 puis en 2014 un sys­tème de cou­pons cen­sés per­mettre aux non-assu­rés d’accéder aux soins pri­maires (2013) puis éga­le­ment aux soins hos­pi­ta­liers (2014). Ces cou­pons, admi­nis­tra­ti­ve­ment ingé­rables et en pra­tique inac­ces­sibles au plus grand nombre, se révé­lèrent une mesure pal­lia­tive [30]. Les patients se retrou­vèrent dans des situa­tions où ils devaient payer for­mel­le­ment ou infor­mel­le­ment – en signant une recon­nais­sance de dette envers l’établissement public de soins – une par­tie sinon la tota­li­té de leur trai­te­ment hos­pi­ta­lier, diag­nos­tic et médicamenteux.

Fina­le­ment, c’est au gou­ver­ne­ment Syri­za qu’est reve­nue la res­pon­sa­bi­li­té de mettre en place un plan dit d’accès « égal et uni­ver­sel à la san­té ». Amé­lio­ra­tion signi­fi­ca­tive, la loi n° 436816 com­plé­tée par un arrê­té minis­té­riel du 2 mars 2016 offre à tous les citoyens léga­le­ment ins­tal­lés en Grèce la pos­si­bi­li­té d’être plei­ne­ment cou­verts sur simple pré­sen­ta­tion de leur numé­ro de Sécu­ri­té sociale. Les réfu­giés récem­ment entrés et enre­gis­trés en Grèce le sont au même titre que les autres citoyens dépour­vus d’assurance sociale. Par contre, les immi­grés sans papiers plus anciens, Pakis­ta­nais, Indiens ou autres, ne sont pas couverts.


 
Sauf pour les très pauvres, la gra­tui­té des soins n’inclut pas les médi­ca­ments dont le coût est en moyenne sup­por­té pour moi­tié par les patients. La dis­pense des frais modé­ra­teurs est subor­don­née à des condi­tions telles que seul un petit nombre, esti­mé [31] à quelque 170 000 per­sonnes, est concer­né (sur au moins 2,5 mil­lions de béné­fi­ciaires poten­tiels, comme on vient de le voir). La gra­tui­té des médi­ca­ments est sou­mise aux cri­tères sui­vants : (1) les reve­nus ne doivent pas excé­der 2 400 euros annuels pour une per­sonne seule (le double pour un couple avec deux enfants) ; (2) si une per­sonne n’a pas de reve­nus mais pos­sède un bien immo­bi­lier d’une valeur de 150 000 euros et plus, ou si une per­sonne a un compte en banque com­pre­nant des avoirs équi­va­lents à trois fois le cri­tère annuel des 200 euros men­suels (donc un solde cré­di­teur de 7 200 euros), elle doit par­ti­ci­per aux frais modé­ra­teurs ; (3) les han­di­ca­pés dont le taux de han­di­cap est éva­lué à moins de 67 % ne sont pas cou­verts à 100 % (avec une légère dif­fé­rence en leur faveur s’il y a des enfants) ; (4) l’accès à la consul­ta­tion de spé­cia­listes est res­treint : la pres­ta­tion de ser­vices publics de san­té gra­tuits est rigou­reu­se­ment limi­tée aux res­sources publiques exis­tantes et ne s’étend pas à des ser­vices que les hôpi­taux ou les centres de san­té contractent auprès de pres­ta­taires pri­vés. Dans tous les cas où les patients habitent une contrée dépour­vue du ser­vice ou du spé­cia­liste recher­chés, ils se voient obli­gés ou bien de voya­ger s’ils le peuvent pour se rendre dans une grande ville, ou bien de se pas­ser de soins spécialisés.


III.2. L’Allocation de soli­da­ri­té sociale, un reve­nu mini­mum garanti

Cen­sé reflé­ter l’ambition de « jus­tice sociale » des rédac­teurs du troi­sième mémo­ran­dum, le reve­nu mini­mum garan­ti (RMG) incarne bien l’idéal d’une pro­tec­tion sociale réduite à un plan­cher de pres­ta­tions mini­males. La Com­mis­sion euro­péenne le décrit comme un « exemple typique d’investissement social » (Zio­mas et al., 2015a). L’« inves­tis­se­ment social » est alors l’antithèse des droits (dure­ment conquis) à des reve­nus de trans­fert incon­di­tion­nels qui sont, eux, déso­bli­geam­ment appe­lés « consom­ma­tion sociale ». La fina­li­té de cet « inves­tis­se­ment social » ciblé exclu­si­ve­ment sur la pau­vre­té extrême (ibid.) n’est pas de com­battre l’indigence, mais de réduire l’indicateur mesu­rant « l’écart de pau­vre­té » (Zio­mas et al., 2015b), c’est-à-dire l’écart rela­tif entre le niveau de vie médian de la popu­la­tion pauvre et le seuil de pauvreté.

Le RMG est entré en appli­ca­tion en 2017 [32] sous l’appellation « allo­ca­tion de soli­da­ri­té sociale » (KEA selon l’acronyme grec). Il avait préa­la­ble­ment été l’objet d’une expé­ri­men­ta­tion pilote dans treize gou­ver­ne­ments locaux entre novembre 2014 et avril 2015. Le dis­po­si­tif com­prend une allo­ca­tion dégres­sive infé­rieure au seuil de pau­vre­té extrême [33] n’excédant pas 200 euros men­suels pour une per­sonne seule, et par exemple 400 euros pour une famille de quatre per­sonnes ou 500 euros pour un couple et quatre enfants mineurs. Il com­prend éga­le­ment une aide sociale en nature et une aide à la recherche d’emploi. Les condi­tions d’attribution des aides sont ana­logues à celles men­tion­nées pré­cé­dem­ment au sujet du pro­gramme d’accès uni­ver­sel à la san­té. Le reve­nu décla­ré du ménage au cours des six mois pré­cé­dant la demande ne doit pas excé­der six fois le mon­tant de l’allocation [34] ou un pla­fond fixé à 5 400 euros quel que soit le nombre de per­sonnes com­po­sant le ménage. À cela s’ajoutent des cri­tères por­tant sur la pro­prié­té, qui varient aus­si en fonc­tion de la com­po­si­tion du ménage. Ils incluent la valeur taxable des biens immo­bi­liers en Grèce ou à l’étranger [35], le coût objec­tif de tous types de véhi­cules pri­vés [36] et le mon­tant total des dépôts en banque ou dans toute autre ins­ti­tu­tion de cré­dit [37]. La mise en œuvre du dis­po­si­tif est confiée aux municipalités.

Les volets aide sociale et aide à la recherche d’emploi n’avaient pas été inclus dans l’expérimentation pilote : celui sur la recherche d’emploi parce que la Grèce est plon­gée dans une dépres­sion éco­no­mique durable et que les struc­tures de ce type sont qua­si­ment inexis­tantes, en tout cas inopé­rantes ; celui sur l’aide sociale (prin­ci­pa­le­ment des opé­ra­tions de dis­tri­bu­tion ali­men­taire), parce que les condi­tions d’ouverture res­pec­ti­ve­ment du droit au reve­nu mini­mum garan­ti et du droit à l’aide sociale n’étaient pas encore harmonisées.

Depuis l’entrée en appli­ca­tion du dis­po­si­tif KEA, les listes de béné­fi­ciaires du reve­nu mini­mum garan­ti sont uti­li­sées par les ser­vices sociaux muni­ci­paux pour l’attribution d’une aide sociale et sont par­fois croi­sées avec des listes éta­blies par d’autres struc­tures, dont les églises, pour évi­ter que le même indi­vi­du puisse pro­fi­ter simul­ta­né­ment de plu­sieurs pro­grammes d’aide.

À par­tir de début 2018 aura lieu le renou­vel­le­ment du droit à l’allocation KEA de soli­da­ri­té sociale. À cette occa­sion, les béné­fi­ciaires admis en 2017 qui n’auraient pas su qu’ils devaient, ou n’auraient pas vou­lu décla­rer une éven­tuelle modi­fi­ca­tion de leur situa­tion dans le cours de l’année, ou ceux dont on s’apercevra que le dos­sier dépo­sé en 2017 com­porte des erreurs, quelles qu’elles soient et même si c’est à leur insu [38], seront som­més de rem­bour­ser les sommes qui leur ont été ver­sées [39]. On ne sait pas ce qu’il advien­dra de ces béné­fi­ciaires ni com­ment le pro­blème sera géré. En tout état de cause, l’adjonction de l’aide sociale au reve­nu mini­mum n’est pas de nature à conso­li­der les déter­mi­nants sociaux de la santé.


III.3. Le cadre de la survie

De ce qui pré­cède, il est per­mis de pen­ser que l’allocation de soli­da­ri­té sociale, com­po­sante cen­trale de ce qui est pré­sen­té comme un filet social, est appe­lée à deve­nir un dis­po­si­tif inté­gré de coor­di­na­tion de poli­tiques dites de pro­tec­tion sociale ciblées sur la misère, qui pro­duisent, nor­ma­lisent et contrôlent le sta­tut de dépos­sé­dé ; un dis­po­si­tif de ges­tion limi­té aux 15 % de la popu­la­tion clas­sés comme extrê­me­ment pauvres. Les consé­quences sociales des poli­tiques aus­té­ri­taires se rédui­raient à la « rési­lience » défec­tueuse d’une minorité.

Notion poly­sé­mique, la rési­lience sociale peut s’entendre comme la capa­ci­té des indi­vi­dus ou des groupes de résis­ter à l’adversité en mobi­li­sant et en inven­tant de nou­velles res­sources et manières de faire et d’agir pour pré­ser­ver leur bien-être maté­riel, phy­sique et psy­chique, ain­si que la digni­té confé­rée par la recon­nais­sance de soi et d’autrui comme membre à part entière d’une com­mu­nau­té de sem­blables. Bien sûr, les réponses indi­vi­duelles et col­lec­tives à la désta­bi­li­sa­tion des cadres sociaux dif­fèrent sen­si­ble­ment d’une socié­té à l’autre (Hall, Lamont, 2013). Pour ce qui concerne la san­té publique en Grèce, la créa­tion, évo­quée plus loin, d’un réseau de struc­tures de soins soli­daires dans tout le pays a été por­tée par l’espoir de pré­ser­ver la sub­stance de la socié­té et défendre ses droits.

Ce n’est pas ain­si que les ins­ti­tu­tions domi­nantes conçoivent la notion de rési­lience. Elles donnent à ce vocable un sens nor­ma­tif infé­rant une sou­mis­sion allant de soi à l’ordre éta­bli. Dans son accep­tion poli­ti­co-admi­nis­tra­tive, la rési­lience désigne la résis­tance avant tout psy­cho­lo­gique des indi­vi­dus à l’infortune (euphé­misme pour injus­tice) au sens de leur apti­tude à réa­li­ser un « ajus­te­ment posi­tif » pour s’adapter et « rebon­dir » dans les contextes les plus dif­fi­ciles – qui ne sont pas, eux, ques­tion­nés (par exemple Bur­gi, Sou­ma­ra, 2015). Cette gram­maire de la rési­lience induit la convic­tion qu’il faut s’accommoder de la (grande) pré­ca­ri­té, contrô­ler le « désordre », les com­por­te­ments « anti­so­ciaux », les troubles à l’ordre public, et légi­ti­mer si néces­saire des mesures d’exception et/ou le recours à la force. Il appar­tien­drait à cha­cun et à tous de se prendre en charge. Seules les caté­go­ries sociales tota­le­ment dému­nies (à l’exclusion des réfu­giés et autres immi­grés) pour­raient espé­rer, sous d’austères condi­tions, une aide maté­rielle par­ci­mo­nieuse finan­cée par la communauté.

Des mala­dies que l’on croyait éra­di­quées comme la mala­ria réap­pa­raissent, le VIH s’est répandu

La troï­ka trouve dans ces pré­ceptes un moyen par­mi d’autres de pas­ser sous silence sinon de nier les consé­quences de ses poli­tiques. Avant la crise finan­cière, les gens allaient chez le méde­cin mal­gré les carences des soins pri­maires. Main­te­nant, ils doivent se résoudre à une mort à échéance plus ou moins pré­coce. Même les assu­rés sociaux, sou­vent inca­pables de cou­vrir les dépenses non rem­bour­sables, ont ten­dance à négli­ger les exa­mens pré­ven­tifs, à les repor­ter à plus tard (ou trop tard) ; ils réduisent leurs trai­te­ments, les prennent de façon dis­con­ti­nue, les rem­placent par des sub­sti­tuts moins chers, les arrêtent même. Des mala­dies que l’on croyait éra­di­quées comme la mala­ria réap­pa­raissent, le VIH s’est répan­du. L’état de la san­té men­tale est désastreux.

Dès le pre­mier mémo­ran­dum, les méde­cins hos­pi­ta­liers consta­taient une aug­men­ta­tion des patho­lo­gies car­diaques et acci­dents vas­cu­laires céré­braux liés à l’anxiété et au stress [40]. Le taux de dépres­sions majeures est pas­sé entre 2009 et 2014 de 3,5 % à 12,5 % de la popu­la­tion et le taux de sui­cides s’est accru de 35 % entre 2010 et 2013 (Eco­no­mou, Pep­pou, Fous­ke­tat­ki et al., 2013 ; Eco­no­mou, Madia­nos, Pep­pou et al., 2013 ; Eco­no­mou et al., 2016 ; Madia­nos et al., 2014). La consom­ma­tion de « drogues de la crise » – sub­stances syn­thé­tiques très bon mar­ché comme la métam­phé­ta­mine (1 à 5 euros) fabri­quées dans des labo­ra­toires de for­tune et même dans les cui­sines des par­ti­cu­liers – pour­rait détruire une géné­ra­tion entière d’adolescents, comme le sisaen Argen­tine (Mat­sa, 2014).

La dés­in­té­gra­tion de la socié­té et le désastre sani­taire nour­rissent la vio­lence inter­per­son­nelle (homi­cides et vio­lence domes­tique). Le psy­chiatre Spy­ros Sour­las (entre­tien, 2015) a obser­vé un accrois­se­ment de 30 % des troubles psy­cho­so­ma­tiques (maux de tête, de ventre) par­mi les enfants, dont un tiers finit à l’hôpital. Gera­si­mos Kolai­tis et Georges Gian­na­ko­pou­los (2015), tous deux pra­ti­quant dans d’importants ser­vices hos­pi­ta­liers de psy­chia­trie infan­tile à Athènes, rap­portent qu’ils ren­contrent un « nombre tou­jours gran­dis­sant de familles confron­tées à des adver­si­tés psy­cho­so­ciales com­pli­quées » et d’enfants mal­trai­tés ou négli­gés admis dans le plus grand hôpi­tal pédia­trique de Grèce au titre de la pro­tec­tion de l’enfance…

Les trai­tés font obli­ga­tion à la Com­mis­sion euro­péenne d’évaluer les effets sociaux et sani­taires de toutes les poli­tiques publiques, y com­pris celles de la troï­ka. Elle y a rechi­gné. Une étude d’impact social a fini par être réa­li­sée a pos­te­rio­ri en 2015, mais elle fut pour le moins « déce­vante à bien des égards », comme le note dans sa décla­ra­tion de fin de mis­sion sur l’état social et humain de la Grèce Juan Pablo Boho­slavs­ky (2015), expert indé­pen­dant sur la dette exté­rieure et les droits humains auprès des Nations unies. Elle « ne men­tionne pas une seule fois la notion de “droits humains” » fon­da­men­taux, pour­suit l’expert, dont le rap­port pointe au contraire une vio­la­tion sys­té­ma­tique de ces droits [41]. La « ver­ti­gi­neuse liste de normes, règles, lois grecques, euro­péennes et inter­na­tio­nales pié­ti­nées par les mémo­ran­dums » (CADTM, 2015) est aujourd’hui assez bien réper­to­riée (par exemple Salo­mon, 2015 ; Ghai­la­ni, 2016) mais mal connue du grand public mieux infor­mé sur l’interprétation domi­nante des abon­dantes don­nées éco­no­miques et finan­cières que sur les atteintes à la démocratie.

Pour leur part, les gou­ver­ne­ments grecs se sont mon­trés tout aus­si cyniques et indif­fé­rents au sort de la popu­la­tion. Ils ont par exemple repor­té sur les femmes et les migrants la res­pon­sa­bi­li­té de la crise sani­taire. En 2012 et 2013, ils orches­trèrent des cam­pagnes de « net­toyage » contre les consom­ma­teurs de drogue et les migrants. Ils mirent le pays en garde contre la pro­pa­ga­tion du Sida – qui « peut être trans­mis par une femme migrante illé­gale au consom­ma­teur grec, à la famille grecque » – et contre les « bombes à retar­de­ment sani­taires » mena­çant les hommes grecs et les ménages. Un décret (39A) de 2012 per­met­tant à la police de déte­nir n’importe qui en vue de pro­cé­der à des tests for­cés de dépis­tage des mala­dies infec­tieuses et de rendre publiques les don­nées per­son­nelles des sujets atteints du VIH entraî­na de mul­tiples rafles, des pour­suites pénales, et l’arrestation, l’emprisonnement, la stig­ma­ti­sa­tion et l’humiliation de mil­liers de per­sonnes (Vasi­lo­pou­lou, 2014:225–227). Il fut défi­ni­ti­ve­ment abro­gé en avril 2015 par le gou­ver­ne­ment Syri­za, à qui fut cepen­dant trans­fé­rée par les puis­sances domi­nantes de l’UE la charge et la res­pon­sa­bi­li­té de « trai­ter » au moins 60 000 réfu­giés actuel­le­ment blo­qués en Grèce où ils sont confron­tés à la poli­tique de déten­tion auto­ma­tique dans des camps inhu­mains et aux plus grandes dif­fi­cul­tés d’accès (si tant est qu’ils accèdent) à des soins médi­caux essen­tiels. Alors qu’il n’y a pas de rela­tion de cause à effet entre la migra­tion et l’importation de mala­dies conta­gieuses (par exemple Lan­glois et al., 2016 ; Rechel et al., 2011 ; Grove, Zwi, 2006), ces trai­te­ments spé­ciaux pour­raient bien rendre encore plus cri­tique la crise sani­taire et finir par mettre en dan­ger la socié­té tout entière.

Phar­ma­ciens soli­daires dans le dis­pen­saire social Mitro­po­li­ti­ko, Athènes, 2016.

 

Conclusion

 
Un élan de soli­da­ri­té remarquable

Loin de cette logique mor­ti­fère, une par­tie de la socié­té a pris un che­min d’une tout autre nature pour défendre la san­té publique et ses condi­tions de pos­si­bi­li­té. Dans un élan de soli­da­ri­té remar­quable, des hommes et des femmes béné­voles, méde­cins, soi­gnants ou simples citoyens ont œuvré pour créer et faire fonc­tion­ner à par­tir de 2009 une qua­ran­taine de cli­niques et phar­ma­cies auto­gé­rées dans tout le pays. Toute per­sonne néces­si­tant des soins médi­caux sans y avoir accès pour une rai­son ou une autre y est accueillie indé­pen­dam­ment de sa natio­na­li­té, de son sta­tut social ou de ses ori­gines. Ces struc­tures ont sau­vé des mil­liers de vies, mais leurs maigres res­sources, pro­ve­nant exclu­si­ve­ment de dons de la popu­la­tion et de réseaux mili­tants natio­naux et inter­na­tio­naux (dont le col­lec­tif Soli­da­ri­té France-Grèce pour la San­té) ne leur per­mettent de répondre qu’à une part minime des besoins de la popu­la­tion. La lutte ain­si enga­gée au nom de la san­té pour tous n’a pas eu pour objet de construire une alter­na­tive au sys­tème public de san­té. Elle a été pen­sée, menée et vécue comme un acte de résis­tance posi­tive contre un pou­voir des­po­tique, un acte sus­cep­tible d’amener les habi­tants à se rele­ver et défendre par leurs pra­tiques soli­daires leurs droits et les prin­cipes démocratiques.

Cet espoir s’essouffle depuis que le gou­ver­ne­ment Syri­za et son Pre­mier ministre, choi­sis­sant de conser­ver le pou­voir après la capi­tu­la­tion d’Alexis Tsi­pras en juillet 2015, appliquent un troi­sième pro­gramme mémo­ran­daire plus violent et puni­tif encore que les deux pré­cé­dents. L’apathie gagne du ter­rain. Les mili­tants et béné­voles, épui­sés, quittent les orga­ni­sa­tions de soli­da­ri­té. Nul ne sait par quels moyens la socié­té grecque cher­che­ra dans le dénoue­ment de cette tra­gé­die à se défendre contre les atteintes por­tées à sa sub­stance même.

Noëlle BURGI

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Noëlle Bur­gi est membre du CNRS, CESSP

Source : LA REVUE DE L’IRES N° 91–92 – 2017÷1−2

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Notes

[1Sur­es­ti­mé à 15,8 % du PIB après de trou­blantes révi­sions à la hausse, mais tout de même bien supé­rieur à la limite des 3 % auto­ri­sée par le trai­té de Maas­tricht. Pour une ana­lyse appro­fon­die, voir le site du Comi­té pour l’abolition des dettes illé­gi­times (CADTM) et en par­ti­cu­lier le Rap­port CADTM 2015

[2Rejointe par le Méca­nisme euro­péen de sta­bi­li­té (MES) en 2015, elle est deve­nue un Quartet.

[3De très nom­breux docu­ments sont asso­ciés aux mémo­ran­dums (CADTM, 2015). Pour les deux pre­miers mémo­ran­dums, on peut consul­ter les docu­ments de la Com­mis­sion euro­péenne (Euro­pean Com­mis­sion, 2010, 2012). Pour le troi­sième, on dis­pose d’une ver­sion com­men­tée par Yanis Varou­fa­kis, ex-ministre des Finances du pre­mier gou­ver­ne­ment Tsi­pras, du Com­mu­ni­qué de l’Eurogroupe, et du mémo­ran­dum avec sa tra­duc­tion fran­çaise sur le blog de Paul Jorion.

[4Joa­quin Almu­nia est lar­ge­ment cité dans la presse quo­ti­dienne du 12 février 2010. Sur l’approche métho­dique et puni­tive des mémo­ran­dums et, au-delà, de la « nou­velle gou­ver­nance euro­péenne » enté­ri­née par le Trai­té bud­gé­taire euro­péen (2012), voir Greer et al. (2016) ; Sta­ma­ti, Bae­ten (2014) ; Bur­gi (2014a, 2014b), ain­si que les mémo­ran­dums eux-mêmes (voir note précédente).

[5Au sens où ces poli­tiques sont impo­sées par la contrainte (Lochard, Per­not, 2010).

[6Le fon­da­men­ta­lisme de mar­ché s’enracine dans divers cou­rants théo­riques, dont l’ordo-libéralisme, théo­ri­sé par des éco­no­mistes alle­mands et autri­chiens rejoints par Frie­drich Hayek dès avant la seconde guerre mon­diale. Long­temps mar­gi­nales, leurs thèses ont trou­vé leur point d’appui poli­tique dans les « révo­lu­tions conser­va­trices » des années 1970 et 1980 impul­sées par That­cher et Reagan.

[7La notion fou­cal­dienne de « gou­ver­ne­men­ta­li­té » désigne, au-delà des struc­tures poli­tiques et de la ges­tion des États, et des formes ins­ti­tuées et légi­times d’assujettissement poli­tique ou éco­no­mique, un art de gou­ver­ner consis­tant à « conduire des conduites », à agir sur les pos­si­bi­li­tés d’action des indi­vi­dus et des groupes, et donc à struc­tu­rer leur champ d’action éventuel.

[8L’expression est pro­po­sée par Michel Fou­cault (2004:207–213) dans un pas­sage où il dis­cute la ques­tion du mini­mum vital, qu’il appelle « clause de sau­ve­garde » ou de « non-exclu­sion ». La notion de pau­vre­té « abso­lue » ne s’entend évi­dem­ment pas au sens de la théo­rie éco­no­mique. L’idée doit se com­prendre comme une opé­ra­tion consis­tant à agir sur la pau­pé­ri­sa­tion des masses, consi­dé­rée comme un des effets de la régu­la­tion néo­li­bé­rale, sans tou­te­fois cher­cher à en modi­fier les causes. Il s’ensuit que le tra­cé du seuil de pau­vre­té résulte d’un choix et d’une appré­cia­tion politiques.

[9G. Kyrio­pou­los, « Υγεία : “νικητές” και “ηττημένοι” της κρίσης » (« San­té : gagnants et per­dants de la crise »), The Huf­fing­ton Post, 19 juin 2015 (en grec), http://​www​.huf​fing​ton​post​.gr/​g​i​a​n​n​i​s​-​k​y​r​i​o​p​o​u​l​o​s​/​-​_​5​8​3​_​b​_​7​6​1​9​1​7​0​.​h​tml

[11Selon l’étude détaillée de Mat­sa­ga­nis et al. (2016), le taux de pau­vre­té extrême n’excédait pas 2,2 % en 2009 ; il était de 8 % en 2011 et de 15 % en 2015. On en trou­ve­ra une syn­thèse en anglais dans Geor­ga­ko­pou­los (2016). Sur l’évolution du seuil de pau­vre­té, voir Par­le­ment hel­lé­nique (2014) et Mat­sa­ga­nis, Leven­ti (2013).

[12J’emploie le mot gou­ver­neurs pour mar­quer le déploie­ment en un ordre de bataille qua­si-mili­taire des injonc­tions et des mesures d’austérité.

[13Depuis sep­tembre 2015, le gou­ver­ne­ment d’Alexis Tsi­pras tient un double dis­cours, « réa­liste » ou « résis­tant », selon l’auditoire auquel il s’adresse.

[14Les frais modé­ra­teurs dési­gnent la par­tie des coûts assu­mée par les patients pour les ser­vices cou­verts par les régimes publics d’assurance mala­die : ticket modé­ra­teur (repré­sen­tant un pour­cen­tage fixe du coût du ser­vice), copaie­ment (mon­tant for­fai­taire exi­gible quel que soit le coût du ser­vice, par exemple 5 euros), fran­chise (coût total assu­mé à hau­teur d’un cer­tain pla­fond), sur­fac­tu­ra­tion, etc.

[15La des­crip­tion qui suit est emprun­tée pour l’essentiel à Kon­di­lis et al. (2012).

[161 100 euros men­suels dans les uni­tés de soins de l’IKA, sans aug­men­ta­tion jusqu’à la retraite, non com­prise l’assurance mala­die obli­ga­toire entiè­re­ment à leur charge (contrai­re­ment à tous les autres sala­riés), et sans indem­ni­tés en cas de licenciement.

[17Elles sont briè­ve­ment évo­quées à la fin de ce texte.

[18Sur ces pra­tiques, voir par exemple Gand­jour (2013).

[21Les don­nées de l’OCDE sur l’émigration du per­son­nel médi­cal ne sont pas dis­po­nibles pour la Grèce.

[22Juge­ment de la Cour (Neu­vième Chambre) du 23 décembre 2015, Euro­pean Com­mis­sion v Hel­le­nic Repu­blic, case C‑180/14. La direc­tive 2003/88/CE dis­pose qu’une période de tra­vail de 24 heures doit être entre­cou­pée d’au moins 11 heures consé­cu­tives de repos et que le tra­vail ne doit pas excé­der 48 heures par semaine.

[24Pour cette rai­son, les méde­cins et le per­son­nel soi­gnant avaient depuis novembre 2013 lan­cé des grèves recon­duc­tibles. Ils pro­tes­taient contre les plans du ministre et les licen­cie­ments, mises en dis­po­ni­bi­li­té et mobi­li­tés for­cées qui se pro­fi­laient. Nombre d’entre eux avaient cepen­dant gar­dé ouverts leurs cabi­nets pri­vés, ce qui a peut-être délé­gi­ti­mé le mou­ve­ment aux yeux d’une par­tie de l’opinion publique, les doc­teurs pou­vant don­ner l’impression d’être mus par des moti­va­tions indi­vi­duelles dans ce conflit.

[25Il faut se repré­sen­ter ce que cela signi­fie : j’ai vu un méde­cin géné­ra­liste s’occuper de 24 per­sonnes en une heure un quart, ce qui revient à une durée moyenne de trois minutes par consul­ta­tion. Ce n’est pas excep­tion­nel. Le tra­vail du méde­cin est aus­si pénible que l’est la situa­tion pour le malade. Les patients pour la plu­part savent ce qu’ils ont et viennent seule­ment renou­ve­ler leurs ordon­nances. Mais il y a tou­jours au moins une mino­ri­té qui ne sait pas ce qui lui arrive et qui ne trou­ve­ra ni l’attention ni l’écoute dont elle a besoin.

[26Il est alloué à cha­cun en fonc­tion de sa spécialité.

[27Ceux qui ont accep­té les condi­tions posées par Ado­nis Geor­gia­dis et ont été embau­chés dans le nou­veau réseau natio­nal (PEDY) après avoir le cas échéant fer­mé leur cabi­net pri­vé, et un second (petit) groupe de méde­cins et soi­gnants qui avaient réin­té­gré les ser­vices de soins pri­maires sur la base de plu­sieurs juge­ments des tri­bu­naux condam­nant le ministre pour leur licen­cie­ment de fait. Ces der­niers ont béné­fi­cié des mêmes condi­tions de tra­vail (salaire et pos­si­bi­li­té de conser­ver leur cabi­net pri­vé) pen­dant plu­sieurs années éven­tuel­le­ment renou­ve­lables. Les per­son­nels soi­gnants ont donc des sta­tuts d’emploi dif­fé­ren­ciés et inégalitaires.

[28D. Ter­zis, « Ετοιμάζουν… ΤοΜΥ στην Πρωτοβάθμια Υγεία » (« Ils pré­parent… Des ToMy dans le sec­teur pri­maire de la san­té »), Efsyn, 12 avril 2017, http://​www​.efsyn​.gr/​a​r​t​h​r​o​/​e​t​o​i​m​a​z​o​y​n​-​t​o​m​y​-​s​t​i​n​-​p​r​o​t​o​v​a​t​h​m​i​a​-​y​g​eia. Les ToMY sont des « uni­tés locales de san­té » (voir encadré).

[29Et la durée des indem­ni­tés de chô­mage fut éten­due pour cou­vrir sous de strictes condi­tions cer­taines caté­go­ries de chô­meurs de longue durée en fin de droit (200 euros mensuels).

[30En colère, les méde­cins des cli­niques sociales soli­daires dénon­cèrent « une goutte dans l’océan ». « Le ministre de la San­té, dirent-ils en 2013, espère nous impres­sion­ner avec une aspi­rine, quand une cure beau­coup plus radi­cale est néces­saire » (MCCH, archive 2013, http://www​.mkiel​li​ni​kou​.org/​e​n​/​c​a​t​e​g​o​r​y​/​m​c​c​h​/​p​a​g​e​/2/).

[31Esti­ma­tions attri­buées par la presse au ministre de la San­té Andreas Xan­thos et à la vice-ministre, Thea­no Fotiou.

[32Arrê­té minis­té­riel du 24 jan­vier 2017 rela­tif à la loi n° 432015.

[33Selon les résul­tats de l’enquête de Mat­sa­ga­nis et al. (2016), le seuil d’extrême pau­vre­té varie selon les loca­li­tés consi­dé­rées : Athènes, « Autres zones urbaines », « Zones rurales et péri­ur­baines » dans leur étude. Pour une per­sonne seule, il se situait en 2015 res­pec­ti­ve­ment à 222, 216 et 182 euros ; pour un couple avec deux enfants : 640, 614 et 524 euros. Ces chiffres concernent la popu­la­tion qui ne doit payer ni loyer ni emprunt immo­bi­lier. Avec un loyer ou un emprunt immo­bi­lier, les seuils sont plus élevés.

[341 200 euros pour une per­sonne seule, un peu plus selon la com­po­si­tion du ménage, par exemple 3 000 euros pour un couple et quatre enfants.

[3590 000 euros pour une per­sonne seule, avec un pla­fond fixé à 150 000 euros.

[36Voi­tures, et même bicy­clettes : il ne doit pas excé­der 6 000 euros.

[374 800 euros pour une per­sonne seule, 9 600 euros pour deux adultes et deux enfants mineurs, 14 400 euros pour deux adultes et six enfants mineurs, avec des pla­fonds inter­mé­diaires ren­voyant à la com­po­si­tion des ménages.

[38Les deman­deurs ont la pos­si­bi­li­té de faire leur demande en ligne soit par eux-mêmes, soit avec l’aide d’un comp­table, soit en pas­sant par un centre de ser­vices aux citoyens (KEP), soit direc­te­ment à la mai­rie. Il semble que les comp­tables et les KEP, peu fami­liers de la pro­cé­dure, aient mal ques­tion­né ou infor­mé les deman­deurs et invo­lon­tai­re­ment omis de men­tion­ner des détails rela­tifs à leurs obli­ga­tions et à leur situa­tion (sources de reve­nus ou autres). Or, les deman­deurs doivent signer un for­mu­laire attes­tant de la véra­ci­té de la décla­ra­tion, et sont consi­dé­rés comme res­pon­sables en cas d’inexactitude.

[39Entre­tiens effec­tués en octobre 2017 dans les muni­ci­pa­li­tés por­tuaires de Per­ama et Kerat­si­ni- Dra­pet­so­na dans le cadre d’une enquête qua­li­ta­tive en cours effec­tuée par l’auteure de ces lignes avec l’historienne Ele­ni Kyra­mar­giou, cher­cheure à la Fon­da­tion natio­nale de la recherche his­to­rique en Grèce.

[40Entre­tiens à l’hôpital uni­ver­si­taire de Thes­sa­lo­nique, 2011.

Noëlle Bur­giMembre du CNRS, CESSP.

Source : CADTM, Comi­té d’an­nu­la­tion de la dette du tiers-monde, http://​www​.cadtm​.org/​G​r​e​c​e​-​L​e​-​d​e​m​a​n​t​e​l​e​m​e​n​t​-​m​e​t​h​o​d​i​que
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7 Commentaires

  1. etienne

    Le modèle allemand : Leader européen de la précarité :

    Réponse
  2. etienne

    Allemagne, République des soupes populaires.

    Tou­jours van­tée comme modèle éco­no­mique par les libéraux…

    Toutes les mesures anti­so­ciales adop­tées en Alle­magne ins­pirent les diri­geants européens.

    La barre record des seize mil­lions de per­sonnes vivant sous le seuil de pau­vre­té vient d’être fran­chie. Pau­vre­té, inéga­li­tés, bas salaires, ser­vices publiques atro­phiés, de nom­breux alle­mands sont obli­gés de cumu­ler deux emplois pour bou­cler leurs fins de mois. 

    Une réa­li­té beau­coup moins média­ti­sée et pour­tant très impor­tante à connaitre, qui découle des mesures néo­li­bé­rales bru­tales mises en place depuis Gerhard Schrö­der et pour­sui­vies par Ange­la Merkel :
    aus­té­ri­té géné­ra­li­sée, baisse des salaires, géné­ra­li­sa­tion des mini-emplois, coupes bud­gé­taires dans les ser­vices publics, baisses des allo­ca­tions chô­mage et des coti­sa­tions sociales, etc.

    Toutes ces mesures furent mises en place en 1998 afin de favo­ri­ser la sacro-sainte « com­pé­ti­ti­vi­té » et les expor­ta­tions, sur les­quelles est aujourd’hui basée l’économie alle­mande. Si les expor­ta­tions aug­men­tèrent signi­fi­ca­ti­ve­ment, force est de consta­ter que cette « poli­tique de l’offre » agres­sive se fit au détri­ment de la demande interne, mais aus­si des classes moyennes et popu­laires, des sala­riés, des retrai­tés, des col­lec­ti­vi­tés et des infra­struc­tures publiques. En effet, dans l’ensemble, les expor­ta­tions ne béné­fi­cient pas aux tra­vailleurs alle­mands, mais aux déten­teurs de capi­taux, qui s’empressent de pla­cer leurs béné­fices à l’étranger au lieu de les redis­tri­buer dans les salaires ou les inves­tir dans la recherche ou l’économie allemande.

    « Depuis 2006, on observe clai­re­ment une dan­ge­reuse ten­dance d’augmentation de la pau­vre­té. La pau­vre­té est un pro­blème bien de chez nous. L’Allemagne a clai­re­ment un pro­blème crois­sant de dis­tri­bu­tion de la richesse »
    en tant que lea­der éco­no­mique et poli­tique de l’UE, l’Allemagne d’Angela Mer­kel pèse de tout son poids dans les mesures d’austérité dic­tées par la troï­ka aux pays euro­péens en dif­fi­cul­té, notam­ment à la Grèce : pri­va­ti­sa­tions, baisses des salaires et des pen­sions, coupes dans le social, la san­té et l’éducation, etc. Des mesures qui ont eu des consé­quences dra­ma­tiques, fai­sant explo­ser la pau­vre­té (35% de la popu­la­tion), les sui­cides, le chô­mage, les mala­dies et… la dette, alors qu’elles étaient cen­sées la réduire. Les grandes gagnantes de ces mesures sont les banques fran­çaises et alle­mandes, qui ont « prê­té » de l’argent à la Grèce et jouissent des inté­rêts très ren­tables de ces pla­ce­ments, appe­lés abu­si­ve­ment « aides » par les néolibéraux.

    Toutes les mesures anti­so­ciales adop­tées en Alle­magne ins­pirent les diri­geants euro­péens, qui s’empressent de faire de même pour paraître « bon élève » aux yeux de l’Allemagne et de la Com­mis­sion Européenne.

    En 2007, le gou­ver­ne­ment d’Angela Mer­kel aug­men­ta de trois points la TVA et por­ta l’âge de la retraite de 65 à 67 ans. Matra­quant géné­reu­se­ment les consom­ma­teurs alle­mands, les com­merces de proxi­mi­té, les classes popu­laires et les seniors. Les citoyens fran­çais ou belges recon­naî­tront sans mal ce type de mesures appli­quées par mimé­tisme par leurs diri­geants politiques.

    On assiste au final à une éton­nante course à la régres­sion sociale. Un jeu macabre dans lequel chaque pays joue à celui qui tire­ra le plus bas pos­sible les salaires, les acquis sociaux et les dépenses publiques vitales, tou­jours au nom des intou­chables : com­pé­ti­ti­vi­té et crois­sance. Mais qui gagne vrai­ment à ce petit jeu ? Cer­tai­ne­ment pas les sala­riés, ni les consom­ma­teurs, ni les com­mer­çants, ni les pré­caires, ni les seniors, ni même la collectivité.

    Ce sont les diri­geants des grandes entre­prises, les banques, les action­naires de mul­ti­na­tio­nales et les per­sonnes les plus riches qui en profitent. 

    Jamais depuis la réuni­fi­ca­tion alle­mande l’écart de reve­nu entre sala­riés et PDG n’a été aus­si impor­tant. Jamais le nombre de mil­lion­naires et mil­liar­daires n’a été aus­si grand. Jamais la finance n’a autant vam­pi­ri­sé la richesse pro­duite par les salariés.

    Réponse
  3. ABC

    Bon­jour mon­sieur Chouard, ne pen­sez vous pas que la cause de tous les maux de notre civi­li­sa­tion ? Peut on conce­voir un monde sans argent ?
    Connais­sez vous mon­sieur Phil­lippe Landeux ?
    Il condamne la croyance que la notion de valeur mar­chande est néces­saire pour échanger.
    L’argent est incom­pa­tible avec l’Égalité (des Citoyens) et contraire aux Prin­cipes de l’ordre social.

    http://​phi​lip​pe​lan​deux​.hau​tet​fort​.com/​a​r​c​h​i​v​e​/​2​0​1​2​/​0​2​/​1​9​/​t​o​u​s​-​m​e​s​-​l​i​v​r​e​s​1​.​h​tml

    Si vous avez le temps et la curiosité.
    Bien à vous.

    R.C

    Réponse
  4. BA

    10 mars 2017 :

    Pro­gramme Macron : un copier-col­ler des recom­man­da­tions européennes. 

    Finances publiques, retraites, chô­mage, droit du tra­vail et même grands pro­jets comme le déve­lop­pe­ment numé­rique, toutes les réformes struc­tu­relles que le Conseil euro­péen demande à la France depuis plu­sieurs années se retrouvent dans le pro­gramme d’Emmanuel Macron. Mot pour mot.

    Des mil­liers d’intervenants de la socié­té civile, des comi­tés locaux dans toute la France réunis par thèmes, des cen­taines d’experts pour débattre des pro­jets, des groupes pour ana­ly­ser les pro­po­si­tions et sélec­tion­ner les meilleures… Emma­nuel Macron n’a pas man­qué de sou­li­gner la démarche ori­gi­nale mise en œuvre pour l’élaboration de son pro­gramme et pour jus­ti­fier le retard pris. Il fal­lait du temps pour éla­bo­rer le plan d’ensemble, a‑t-il expli­qué avant de dévoi­ler ses mesures le 2 mars.

    https://​www​.media​part​.fr/​j​o​u​r​n​a​l​/​f​r​a​n​c​e​/​1​0​0​3​1​7​/​p​r​o​g​r​a​m​m​e​-​m​a​c​r​o​n​-​u​n​-​c​o​p​i​e​r​-​c​o​l​l​e​r​-​d​e​s​-​r​e​c​o​m​m​a​n​d​a​t​i​o​n​s​-​e​u​r​o​p​e​e​n​nes

    Réponse
  5. etienne

    Le contre-discours de Thomas Porcher, économiste hérétique :

    Réponse
  6. Ecrlinf

    Excellent article de N. Bur­gi. A lire aus­si son article inti­tu­lé « La construc­tion de l’E­tat social mini­mal » (acces­sible notam­ment sur Cairn), où elle déve­loppe la notion de « soli­da­ri­té d’ex­cep­tion ». J’a­jou­te­rai que le mini­mum vital ne vise pas sim­ple­ment à rendre néces­saire la reprise d’une acti­vi­té (d’es­clave) pour se nour­rir ; il pro­cède selon moi aus­si de la volon­té de pré­ser­ver la paix sociale. Ce qui est sûr, comme le dit N. Bur­gi, c’est que les tech­no-experts de l’i­déo­lo­gie néo­li­bé­rale, qui offi­cient dans les gou­ver­ne­ments, les ins­ti­tu­tions de la finance et de la gou­ver­nance glo­bale, passent leur temps à cal­cu­ler jus­qu’où ils peuvent aller dans le déman­tè­le­ment social. D’où la ques­tion de savoir où se situe l’ef­fet de seuil au-delà duquel une révo­lu­tion peut s’en­clen­cher. En 1789, l’én­ne­mi était plu­tôt visible, les gens avaient faim, l’op­pres­sion était gros­sière. Mais aujourd’­hui ? Les pauvres, mar­gi­na­li­sés, ato­mi­sés, pré­sen­tés et per­çus comme un rési­du struc­tu­rel, sont-ils en mesure de faire chan­ger les choses ?

    Réponse
  7. Berbère

    Bon­jour Etienne,
    je met cette lettre de péti­tion ici et vous la chan­gez de place si vous en trou­vez une meilleure ? pareille si elle prend trop de place…vous la dimi­nuez ? (je n’ai pas copié les pho­tos avec)
    Merci 🙂
    L’Appel des Pro­fes­seurs Luc Mon­ta­gnier et Hen­ri Joyeux pour un prin­cipe de pré­cau­tion en matière médi­cale et de san­té dans la Consti­tu­tion Française
    Chère amie, cher ami, 

    Le prin­cipe de pré­cau­tion s’applique pour les sols, les forêts, les lacs et les rivières, les ani­maux mais pas pour la san­té des êtres humains. 

    C’est le Pré­sident Jacques Chi­rac qui avait fait ins­crire, en 2005, dans la consti­tu­tion le prin­cipe de pré­cau­tion en matière d’environnement.

    Ce texte fon­da­teur a per­mis de faire évo­luer les esprits, notam­ment des res­pon­sables politiques. 

    De nom­breux pro­jets poten­tiel­le­ment catas­tro­phiques comme l’exploitation du gaz de schiste ont été refu­sés au nom du prin­cipe de précaution. 

    C’est un ver­rou indis­pen­sable pour limi­ter les lois du mar­ché tout puis­sant et pré­ser­ver nos écosystèmes. 

    En France, on a évi­té cela : 

    Exploi­ta­tion de gaz de schiste aux Etats-Unis, Wyoming.

    Pour autant, rien n’a été pré­vu dans le texte pour pro­té­ger direc­te­ment la san­té et les per­sonnes humaines. 

    Pour quelle raison ? 

    C’est simple : il y n’a pas eu la mobi­li­sa­tion néces­saire pour convaincre les pou­voirs publics. 

    En matière de san­té, le débat a été pha­go­cy­té par l’industrie phar­ma­ceu­tique. À tous les niveaux de déci­sion, régio­nal, natio­nal, euro­péen et mon­dial, les labo­ra­toires sont surreprésentés. 

    Les citoyens n’ont jamais leur mot à dire que ce soit pour auto­ri­ser un médi­ca­ment, un trai­te­ment, un vac­cin ou pour obte­nir un remboursement. 

    C’est ain­si que l’on a auto­ri­sé des médi­ca­ments dan­ge­reux qui ont été réper­to­riés dans le « best-sel­ler » des Pr Ber­nard Debré et Phi­lippe Even, leGuide des 4000 médi­ca­ments utiles, inutiles ou dangereux : 

    C’est ain­si aus­si que l’on a lais­sé mettre de l’aluminium dans des vac­cins obligatoires ! 

    Et pour­tant, la dan­ge­ro­si­té de l’aluminium n’est plus un secret. 

    Les tra­vaux des Pro­fes­seurs Chris Exley, Chris­to­pher Shaw, Yeho­va Shoen­feld ou encore Romain Ghe­rar­di l’ont suf­fi­sam­ment démontré. 

    Face au pou­voir du lob­by phar­ma­ceu­tique, il faut des garde-fous. 

    Le prin­cipe de pré­cau­tion dans le domaine de la san­té en est un. 

    C’est la rai­son pour laquelle les Pro­fes­seurs Hen­ri Joyeux et Luc Mon­ta­gnier lancent un appel pour un prin­cipe de pré­cau­tion en matière médi­cale et de santé. 

    Ins­crit dans la consti­tu­tion ce prin­cipe per­met­trait de : 

    • mieux contrô­ler la mise sur le mar­ché de médi­ca­ments poten­tiel­le­ment dangereux ;
    • mieux pro­té­ger les popu­la­tions face aux dan­gers que repré­sentent les ondes, la pol­lu­tion des eaux et de l’air, les nanoparticules… ;
    • deman­der des études indé­pen­dantes com­plé­men­taires en cas de doute sur une pra­tique indus­trielle ou médi­cale que les auto­ri­tés s’ap­prêtent à autoriser.
    Pour cela il est néces­saire de nous mani­fes­ter mas­si­ve­ment auprès des auto­ri­tés en signant l’Appel au Pré­sident de la République. 

    En effet, une réforme de la consti­tu­tion est pré­vue dans les semaines qui viennent. 

    Nous devons abso­lu­ment pro­fi­ter de cette situa­tion pour y faire figu­rer le prin­cipe de pré­cau­tion en matière de santé. 

    Signez l’appel ici. 

    En effet, per­sonne n’a inté­rêt (je veux dire, inté­rêt finan­ciè­re­ment), à faire pas­ser le prin­cipe de pré­cau­tion en matière de san­té dans notre Constitution.

    Seuls les patients, les accom­pa­gnants et leurs soi­gnants sont moti­vés, car leur san­té, leur vie même par­fois, sont en jeu. 

    C’est pour­quoi ce mou­ve­ment ne fera boule de neige que par la mobi­li­sa­tion de cha­cun d’entre nous. 

    Signez cet appel, et faites tout votre pos­sible pour mobi­li­ser votre entourage. 

    Il s’agit d’une grande ini­tia­tive démo­cra­tique, d’une mani­fes­ta­tion paci­fique. La force du nombre est essentielle. 

    Plus nous aurons de voix, plus nous serons légitimes. 

    Le Pro­fes­seur Luc Mon­ta­gnier et le Pro­fes­seur Hen­ri Joyeux inter­vien­dront en nos noms, mais il est indis­pen­sable de nous mobi­li­ser main­te­nant pour mani­fes­ter concrè­te­ment notre sou­tien à cette initiative. 

    Nous serons enten­dus par le Pré­sident de la Répu­blique, Mon­sieur Emma­nuel Macron, si nous sommes assez nom­breux à signer cet appel. 

    Pour cela, nous n’avons aucun autre moyen que votre mobi­li­sa­tion et votre soli­da­ri­té, via Inter­net et les réseaux sociaux. 

    Atten­tion, tout va se jouer dans les jours qui viennent : 

    La réforme consti­tu­tion­nelle est aujourd’hui en pleine phase de réa­li­sa­tion. Les Par­le­men­taires pour­raient être convo­qués pour voter à Ver­sailles dans les semaines à venir. 

    Il est donc indis­pen­sable que vous agis­siez dès aujourd’hui, dès maintenant. 

    Signez l’appel ici. 

    Un grand mer­ci par avance pour votre mobi­li­sa­tion. Les géné­ra­tions à venir vous diront merci. 

    Natu­rel­le­ment vôtre, 

    Augus­tin de Livois
    l’Ins­ti­tut pour la Pro­tec­tion de la San­té Naturelle

    Réponse

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