[À propos du complotisme évident des « anticomplotistes »] Frédéric Lordon : « Contre les ‘fake-news’, Macron décodeur-en-chef »

8/01/2018 | 16 commentaires

Macron décodeur-en-chef

par Fré­dé­ric Lor­don, 8 jan­vier 2018
https://blog.mondediplo.net/2018–01-08-Macron-decodeur-en-chef

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Gérôme, « La Véri­té sor­tant du puits armée de son mar­ti­net pour châ­tier l’humanité », 1896

« Alors les Déco­deurs se réveillèrent, et ils virent qu’ils avaient l’air con… »Lamen­ta­tions, cha­pitre 2, ver­set 2 (révi­sé)

Par un effet de retour, que deux inno­cents grecs, Jocaste et Laïos, avaient bien expé­ri­men­té en leur temps, voi­là donc les Déco­deurs vic­times du tra­gique des­tin qu’ils ont eux-mêmes conscien­cieu­se­ment œuvré à mettre en branle. L’histoire com­mence comme la charge de la bri­gade légère (ou lourde ?). La véri­té est en dan­ger, elle appelle à la res­cousse. Mais qui pour lui venir en aide ? Qui sinon des voca­tions pures ? La presse libre et indé­pen­dante, la presse démo­cra­tique. Elle vole au secours.

On en était là de l’épopée, les Déco­deurs assu­raient la main­te­nance de la véri­té en régime de croi­sière, bref les choses allaient gen­ti­ment leur train, quand plus sérieux qu’eux arrive leur indi­quer d’autres manières : la dis­tri­bu­tion des gom­mettes fai­sant un peu léger, on y met­tra main­te­nant les moyens de l’État.

Et voi­là com­ment on se retrouve avec un pro­jet de loi sur les fake news (1).

Il n’était pas besoin d’être grand clerc pour aper­ce­voir dès le départ que tout s’était mis de tra­vers dans cette his­toire, et pour­sui­vrait de même. Il fal­lait d’abord que la presse de ser­vice s’abuse consi­dé­ra­ble­ment quant à son propre cré­dit dans la popu­la­tion pour s’imaginer en rem­part de cor­rec­tion, elle dont la mis­sion d’intoxiquer n’est même plus vécue comme une mis­sion tant elle est deve­nue une nature seconde. Il fal­lait ensuite ne pas craindre les balles per­dues du fusil à tirer dans les coins, les médias rec­ti­fi­ca­teurs, à défaut d’avoir son­gé à se blin­der le fon­de­ment, étant voués à se retrou­ver eux-mêmes rec­ti­fiés par der­rière, c’est-à-dire sys­té­ma­ti­que­ment inter­ro­gés pour leur sub­stan­tielle contri­bu­tion au faux géné­ral de l’époque. Ce qu’un mini­mum de décence réflexive – ou de régu­la­tion du ridi­cule – a man­qué à pro­duire : un réveil, il se pour­rait que la loi anti fake news de Macron y par­vienne, mais trop tard et avec quelques effets rétro­ac­tifs pénibles. En tout cas, et c’est le moins qu’on puisse dire, l’annonce n’a pas fait pous­ser des cris de triomphe dans les rédac­tions, même les plus en pointe dans la croi­sade du vrai – où, pour la pre­mière fois, on per­çoit comme un léger sen­ti­ment d’alarme. On aurait pu ima­gi­ner une sorte d’exultation à la recon­nais­sance suprême du bien-fon­dé de la cause. L’ambiance est plu­tôt à une vague intui­tion du péril. De fait, le pas de trop est celui qui jette d’un coup une lumière un peu bla­farde sur tout l’édifice.

Égoutiers de l’Internet ?

Car il devient de plus en plus dif­fi­cile de se décla­rer sol­dat de la véri­té. L’enrôlement plus ou moins cra­po­teux au ser­vice du grand capi­tal numé­rique n’était déjà pas bien glo­rieux – on ne s’était d’ailleurs pas trop pré­ci­pi­té pour faire la publi­ci­té de ces col­la­bo­ra­tions. On apprend en effet depuis peu que bon nombre de rédac­tions touchent de Google et Face­book pour mettre à dis­po­si­tion des équipes de jour­na­listes-rec­ti­fi­ca­teurs aidant à pur­ger les tuyaux. Il faut vrai­ment que l’argent manque pour accep­ter ain­si de se trans­for­mer en égou­tiers de l’Internet pour le compte des Com­pa­gnies des Eaux qui pros­pèrent en sur­face. Bien sûr ça n’est pas de cette manière qu’on pré­sente les choses, cepen­dant même ré-enjo­li­vée en cause com­mune de la véri­té démo­cra­tique, l’association nor­ma­li­sa­trice avec les gros­siums de la don­née pro­duit déjà un effet bizarre.

Il faut sans doute être un Déco­deur, ou en l’occurrence un Dés­in­toxi­ca­teur (Libé­ra­tion), pour se pro­me­ner dans cet envi­ron­ne­ment en toute inno­cence, et même cas­ser le mor­ceau avec une par­faite can­deur : « Nous, par exemple, on tra­vaille pour Face­book, comme un cer­tain nombre de médias en France tra­vaillent pour Face­book et rému­né­rés par Face­book pour faire le ménage dans les conte­nus qui cir­culent », déclare Cédric Mathiot avec une com­plète absence de malice (2) – on voit très bien Hubert Beuve-Méry ou Sartre envi­sa­geant de « faire le ménage dans les conte­nus » en com­pa­gnie d’IBM ou de (la nom­mée avec pré­science) Control Data Corporation.

On vou­drait donc éclai­rer l’égoutier heu­reux sur les com­man­di­taires pour qui il pousse le balai : Google News par exemple a consi­dé­ré récem­mentqu’un site comme le World Socia­list Web­site (WSW) méri­tait d’être éva­cué comme de la déjec­tion ordi­naire. C’est que Chris Hedges y a don­né un entre­tien aver­tis­sant des risques de cen­sure par Google – qui n’a pas plu à Google. Le mal­heu­reux Hedges a donc aus­si­tôt dis­pa­ru des réfé­ren­ce­ments par Google News. Quant au WSW, il a vu sa fré­quen­ta­tion ache­mi­née par Google chu­ter de 74 %. Comme le net­toyage est géné­ral, treize des prin­ci­paux sites de gauche état­su­niens dégrin­golent de 55 % (3). À Libé­ra­tion donc, pour le compte de Face­book, ou de qui vou­dra (paie­ra), et au nom de la véri­té, les Dés­in­toxi­ca­teurs « font le ménage » – des mots par­fai­te­ment choi­sis pour signi­fier une tonique pro­messe de démocratie.

Lire aus­si , « Cen­sure et chaus­settes roses », Le Monde diplo­ma­tique, jan­vier 2018.

C’est tou­jours le même éton­ne­ment, éter­nel­le­ment renou­ve­lé, que d’entendre un Déco­deur ou assi­mi­lé prendre la parole pour livrer sa phi­lo­so­phie du métier, à chaque fois la même confir­ma­tion per­for­ma­tive du nau­frage de pen­sée en quoi consistent les idées mêmes de fake news ou de post-véri­té. Plus qu’un éton­ne­ment en fait, une sorte de ver­tige : le Dés­in­toxi­ca­teur ne voit même pas le pro­blème. On note­ra à sa décharge que ses employeurs semblent ne pas l’avoir vu davan­tage. À moins que leur situa­tion de tré­so­re­rie les ait dis­sua­dés de le regar­der trop long­temps. Mais alors pour­quoi, en si bon che­min, se mettre à tous­so­ter au moment de rece­voir les consé­cra­tions de la loi ? Un rude objec­teur remar­que­rait qu’à l’inverse de Google et Face­book, la loi, elle, ne paye pas. Ne res­tent que les incom­mo­di­tés de la com­pro­mis­sion – rache­tés par rien. Ça n’est pas faux.

… ou attachés de bureau au ministère de l’intérieur ?

C’est même si vrai que, jusque dans les direc­tions de médias les plus fana­tiques, on pressent confu­sé­ment la mau­vaise affaire sym­bo­lique de se retrou­ver trop visi­ble­ment absor­bées dans le pro­ces­sus en cours de fusion orga­nique des puis­sances : capi­tal, État, médias. Les dis­tinc­tions ins­ti­tu­tion­nelles pure­ment nomi­nales – « les entre­prises », « les médias », « le gou­ver­ne­ment » –, deve­nues entiè­re­ment fac­tices, feuilles de vigne recou­vrant une indif­fé­ren­cia­tion déjà per­cep­tible de tous, n’en étaient que plus dra­ma­ti­que­ment pré­cieuses, pré­ci­sé­ment parce que c’est tout ce qu’il reste : des noms usi­tés, pour tra­ves­tir le réel, au tra­vers des­quels on com­mence quand même à voir a gior­no, mais vitaux pour ten­ter de pré­ser­ver les der­niers sem­blants. Libé­ra­tion passe la loque pour Face­book, c’est déjà un peu lourd – si c’est rému­né­ra­teur. Mais cou­ler cet atte­lage dans un minis­tère de l’intérieur éten­du, ça va deve­nir trop – et finir par se voir.

Car voi­là toute l’affaire : c’est qu’à un pro­ces­sus de fusion externe, en répond un autre, interne – à l’appareil d’État. Et les deux entrent en coa­les­cence pour pro­duire un résul­tat tout à fait inédit. Le pro­ces­sus interne est celui qui voit la dif­fé­ren­cia­tion fonc­tion­nelle de l’appareil d’État s’effacer ten­dan­ciel­le­ment pour le mena­cer de s’effondrer en un double minis­tère sec – dont un gigan­tesque minis­tère de l’intérieur. De quoi en effet l’État s’occupe-t-il essen­tiel­le­ment désor­mais ? De deux choses : le ser­vice du capi­tal, et le contrôle des popu­la­tions. Les inéga­li­tés en fusée et l’État social conduit au déla­bre­ment par pau­pé­ri­sa­tion déli­bé­rée du côté du Minis­tère des amis, il ne reste for­cé­ment plus que des solu­tions de « main­tien de l’ordre » du côté du Minis­tère des incon­vé­nients. De ce côté-là, la fusion jus­tice-police est déjà bien avan­cée – il suf­fit de se repas­ser les exploits des pro­cu­reurs, de leurs réqui­si­tion, de leurs appels, depuis l’affaire Ada­ma Trao­ré jusqu’à celle du quai de Val­my, et chaque fois qu’il s’agit de prendre le par­ti de la police ou d’avoir affaire à quelque forme de contes­ta­tion. Comme il se doit, l’ensemble coer­ci­tif est par­ache­vé par l’état d’urgence qui, conver­ti en droit ordi­naire, offre les moyens d’une toute nou­velle poli­tique de « pré­ven­tion » : sur­veiller les oppo­sants poli­tiques, si besoin est frap­per ou inti­mi­der les élé­ments un peu remuants.

Lire aus­si , « La loi des sus­pects », Le Monde diplo­ma­tique, juillet 2017.

La pré­ven­tion remonte main­te­nant d’un cran quand elle envi­sage de sur­veiller non pas des agi­tés décla­rés, mais la cir­cu­la­tion des idées qui pour­raient en conduire d’autres à l’agitation. C’est en ce point pré­cis que les deux pro­ces­sus de fusion, interne et externe, se ren­contrent, au moment où les médias se retrouvent inté­grés dans la grande divi­sion du tra­vail de sur­veillance, et comme délé­ga­taires d’une nou­velle mis­sion de main­tien de l’ordre – de l’ordre des esprits. Mais sans avoir rien deman­dé, et en se trou­vant un peu embar­ras­sés, for­cé­ment, de cette attri­bu­tion de fait, sinon de droit. C’est que l’image de soi en défen­seur de la liber­té en prend un vieux coup de se voir « rouage externe » du grand minis­tère de l’intérieur, par ailleurs en train de réduire à lui une bonne moi­tié de la struc­ture gouvernementale.

Si elle est oxy­mo­rique, l’idée de « rouage externe » dit pour­tant bien ce qu’il y a à dire : l’effacement des fron­tières ins­ti­tu­tion­nelles et l’intégration pro­gres­sive de tous les pou­voirs dans un com­plexe unique. L’absorption com­plète des médias dans le capi­tal est déjà une évi­dence quand dix mil­liar­daires contrôlent 90 % de la dif­fu­sion des quo­ti­diens natio­naux (4). Mais leur satel­li­sa­tion par un appa­reil éta­tique de contrôle de l’information vraie fait par­tie de ces varia­tions de degré qui menacent d’une modi­fi­ca­tion qua­li­ta­tive de la perception.

Médias français : qui possède quoi (1er décembre 2016)

Voi­là donc le tra­gique des­tin. Les médias ont cru se sau­ver de la misère et de la décon­si­dé­ra­tion en jouant comme der­nière car­touche la croi­sade contre les fake news. Mais plus puis­sant et plus oppor­tu­niste qu’eux vient ramas­ser la mise et s’établir comme le Par­rain de la véri­té – en les vas­sa­li­sant de fait. Ça n’est pas que les médias n’aient pas déjà lar­ge­ment pris le pli de la vas­sa­li­té : quand Le Monde ou L’Obs se retrouvent dans la main de Xavier Niel qui ne cache rien de son idée géné­rale de la presse –« quand des jour­na­listes m’emmerdent, je prends une par­ti­ci­pa­tion dans leur canard et ensuite ils me foutent la paix » (5) –, quand Libé­ra­tion ouL’Express se voient en équi­valent numé­rique de l’ancien radio-réveil offert avec un abon­ne­ment, en l’occurrence à un four­nis­seur d’accès, on ne se sent pas exac­te­ment fouet­té par le grand vent de la liberté.

Mais, signe des temps, si, néces­si­té fai­sant loi, l’on s’est très bien accom­mo­dé du der­nier degré de vas­sa­li­sa­tion éco­no­mique, on conti­nue de faire des mines au moment d’entrer dans l’orbite de l’État. C’est qu’on ten­tait de sur­vivre en trayant la rente morale offerte par des Erdoğan, Orban, Pou­tine et des Kim Jong variés. L’exercice de la pos­ture va deve­nir plus dif­fi­cile dans ces condi­tions où soi-même on consulte au minis­tère. On était Samuel Laurent ou Cédric Mathiot quand même, c’est-à-dire pas n’importe quoi, et voi­là qu’on se réveille comme chef de bureau à la sous-direc­tion de la véri­té au minis­tère de l’intérieur. Tech­ni­cien de sur­face chez Face­book à la rigueur, mais cadre B de la fonc­tion publique, non !

La vérité de « la vérité »

Ça n’est pas tant, ici, que le chan­ge­ment de degré pro­duise le chan­ge­ment de nature, mais qu’il le révèle – car il était acquis depuis un cer­tain temps déjà. En réa­li­té la per­cep­tion com­men­çait d’être acquise elle aus­si, mais il est indé­niable que le patro­nage éta­tique dans la cer­ti­fi­ca­tion de la véri­té lui fait connaître un fameux pro­grès. Et, coïn­ci­dence mal­heu­reuse, en venant miner la stra­té­gie rési­duelle même que déployaient les médias pour plan­quer la merde au chat : quand on croule sous le poids de ses propres man­que­ments, qu’on est sous le feu de la cri­tique, et qu’on n’a aucune inten­tion de rien chan­ger, il reste tou­jours la pos­si­bi­li­té de reprendre l’initiative en inven­tant des croi­sades subal­ternes : le com­plo­tisme et lesfake news.

Choix ter­ri­ble­ment mal ins­pi­rés en fait puisqu’ils étaient l’un comme l’autre sus­cep­tibles de se retour­ner en incri­mi­na­tion des incri­mi­na­teurs. L’obsession du com­plo­tisme en dit au moins aus­si long sur l’existence réelle de délires conspi­ra­tion­nistes que sur un cer­tain tour d’esprit propre aux hommes de pou­voir qui vivent objec­ti­ve­ment dans l’élément du com­plot, et dont les jour­na­listes, quoique demi-sels d’antichambre, ont fini par s’imprégner à force de proxi­mi­té. Si bien que la chasse aux com­plo­tistes a tout d’une mani­fes­ta­tion de mau­vaise conscience pro­jec­tive (6) – mais évi­dem­ment par­fai­te­ment mécon­nue comme telle (voir aus­si l’encadré ci-dessous).

Le cas de la fake news est plus déses­pé­rant encore. Il y a d’abord l’indigence intrin­sèque de la notion, révé­lée par ses phi­lo­sophes mêmes :« fake news », nous aver­tit Cédric Mathiot, « a un sens très par­ti­cu­lier »– qui jus­ti­fie donc l’intervention d’intellectuels spé­ci­fiques – : il s’agit d’« une véri­table volon­té de trom­pe­rie, (d’)une infor­ma­tion fausse, fabri­quée à des­sein pour trom­per ». L’idée, d’une nou­veau­té lit­té­ra­le­ment ter­ras­sante, méri­tait bien de rece­voir son concept à part entière, et sur­tout d’être dite en anglais. Car on n’avait jamais rien vu de tel – même pas en fran­çais. « Un sens très par­ti­cu­lier » donc. Pour commencer.

Mais si c’était là le seul pro­blème de la fake newsHélas son incon­vé­nient prin­ci­pal est ailleurs : là encore, dans sa traî­tresse réver­si­bi­li­té. Car évo­quer la pro­pa­ga­tion de fausses nou­velles fait imman­qua­ble­ment reve­nir en mémoire l’édifiant bilan de la presse offi­cielle en cette matière, depuis ce qu’Acrimed appelle assez jus­te­ment le jour­na­lisme de pré­fec­ture (7) jusqu’à la pré­pa­ra­tion du ter­rain pour des guerres à morts par mil­liers (8) (mais le compte Twit­ter de BHL ne risque rien). De même, donc, que pour le com­plo­tisme de l’anticomplotisme, la chasse à la fake news est la mau­vaise conscience ren­ver­sée de la fake news ins­ti­tu­tion­nelle. Repro­dui­sant par-là le sys­tème géné­ral des auto­ri­sa­tions dif­fé­ren­tielles propre aux inéga­li­tés sociales, sys­tème par lequel le même acte est jugé dif­fé­rem­ment selon la posi­tion sociale des com­met­tants, la dénon­cia­tion de la fake news des gueux a pour objet de faire oublier la fake news des puis­sants (ou des bons puis­sants contre les mau­vais), la fake news pro­té­gée par les habi­tudes de la res­pec­ta­bi­li­té et les tolé­rances de l’entre-soi.

Mais elle vise plus encore à sub­sti­tuer sa ques­tion secon­daire à une ques­tion prin­ci­pale, par le pro­jet de réor­ga­ni­ser tout le débat sur les médias autour du pro­blème somme toute inepte de la « véri­té » – car il est inepte une fois qu’on a accor­dé cette tri­via­li­té que tout com­mence avec l’établissement cor­rect des faits –, quand le seul pro­blème impor­tant est celui de la déten­tion – action­na­riale. Que le fonc­tion­ne­ment géné­ral de l’information soit infi­ni­ment moins affec­té par quelques cin­glés qui délirent, ou quelques offi­cines qui intriguent, que par le fait mas­sif de la pro­prié­té capi­ta­liste concen­trée, c’est ce que peinent visi­ble­ment à com­prendre les demeu­rés du fact-che­cking qui font la chasse aux mouches pen­dant que le gros ani­mal est dans leur dos.

Ça n’est donc même pas que la diver­sion « fake news » tourne court, c’est qu’elle revient façon mani­velle. Mais la foi­rade est com­plète quand le nou­veau par­te­na­riat des médias et du par­quet (si les pre­miers ne s’y trouvent pas embar­qués de leur com­plet aval) achève de mettre en pleine lumière l’indésirable véri­té de la « lutte pour la véri­té ». Il n’y avait plus que l’idéologie pro­fes­sion­nelle de la cor­po­ra­tion pour croire à cette vaste blague de la presse contre-pou­voir, quand tout atteste qu’elle est pas­sée entiè­re­ment du côté des pou­voirs. Au moins res­tait-il ce qu’il fal­lait de dis­tinc­tions for­melles pour faire per­du­rer l’illusion auprès des moins aver­tis. Évi­dem­ment, si les médias ins­tallent leurs « cel­lules » quelque part entre le palais de jus­tice et la pré­fec­ture de police, tout ça va deve­nir plus compliqué.

Politique-fake news

Que tout se voie davan­tage, c’était bien une pré­vi­sible némé­sis pour les médias du macro­nisme. Car s’il y a une maxime carac­té­ris­tique du macro­nisme, c’est bien moins « En marche » que « Tout est clair ». Avec Macron tout est deve­nu très clair, tout a été por­té à un suprême degré de clar­té. L’État est pré­si­dé par un ban­quier, il offre au capi­tal le sala­riat en chair à sau­cisse, il sup­prime l’ISF, il bas­tonne pauvres et migrants, dix ans plus tard et après n’avoir rien com­pris, il rejoue la carte de la finance. Tout devient d’une cris­tal­line sim­pli­ci­té. En même temps – comme dirait l’autre – il n’a pas encore com­plè­te­ment rejoint son lieu natu­rel, le lieu du cynisme avoué et du grand éclat de rire ; et la guerre aux pauvres ouverte en actes ne par­vient pas encore à se décla­rer en mots. Il faut donc pré­tendre l’exact contraire de ce qu’on fait, scru­pule rési­duel qui met tout le dis­cours gou­ver­ne­men­tal sous une vive ten­sion… et, par consé­quent, vaut à ses porte-parole un rap­port disons tour­men­té à la véri­té. Se peut-il que le schème géné­ral de l’inversion, qui rend assez bien compte des obses­sions anti­com­plo­tistes et anti-fake news, trouve, à cet étage aus­si, à s’appliquer ? C’est à croire, parce que la masse du faux a pris des pro­por­tions inouïes, et qu’il n’a jamais autant impor­té d’en redi­ri­ger l’inquiétude ailleurs, n’importe où ailleurs. On doit prier dans les bureaux pour que se fassent connaître en nombre de nou­veaux fadas, des équi­va­lents fonc­tion­nels de la Piz­ze­ria Comet Ping Pong (9), des hackers russes, des allu­més des chem­trails ou de n’importe quoi pour­vu qu’on puisse dire que le faux, c’est eux. Mais qu’heureusement l’État de médias veille.

Lire aus­si , « Macron ou le rêve patro­nal en ordon­nances », Le Monde diplo­ma­tique, décembre 2017.

En atten­dant que ces faux adver­saires et vrais ren­forts arrivent, et qu’on puisse lan­cer contre eux la bri­gade très légère des fact-che­ckers, éven­tuel­le­ment accom­pa­gnée d’un panier à salade, il faut bien par­ler quand on est ministre et qu’on n’a pas réus­si à évi­ter tous les micros (vrai­ment, on com­prend qu’ils se planquent). Muriel Péni­caud explique sans cil­ler que la nou­velle dis­po­si­tion des rup­tures conven­tion­nelles consti­tue « un atout pour les sala­riés » (10). La même, qui a consti­tué une par­tie de son patri­moine par des plus-values sur stock-options consé­cu­tives à ses licen­cie­ments, est bien par­tie pour éco­no­mi­ser 49 000 euros d’ISF – et l’on se demande ce qui, de ce fait ou de la fausse nou­velle d’un compte de Macron aux Baha­mas, offense le plus l’esprit public. En tout cas Ben­ja­min Gri­veaux n’en jure pas moins que « le gou­ver­ne­ment ne fait pas de cadeaux aux riches » (11). Gérard Col­lomb affirme, lui, qu’avec la loi anti­ter­ro­riste« nous sor­tons de l’état d’urgence ». Édu­qués à faire où on leur dit de faire, les médias ont répé­té à l’unisson. Avec évi­dem­ment un niveau de dis­so­nance à y lais­ser la san­té men­tale : « sur le fond, les mesures d’exception vont deve­nir la norme » écrivent ain­si Les Échos – qui n’en titrent pas moins « Macron tire un trait sur l’état d’urgence » (12). On rap­porte que Col­lomb en a marre de « pas­ser pour le facho de ser­vice ». Mais c’est qu’il lui revient fonc­tion­nel­le­ment le mau­vais bout dans la ficelle de la double véri­té – allez, c’est le bout où l’on récu­père quand même l’admiration de l’extrême droite. Le bon bout, Macron se l’est gar­dé pour lui : « nous devons accueillir les réfu­giés, c’est notre devoir et notre hon­neur ».

Tout ça fait déjà beau­coup, mais le men­songe s’élève pour ain­si dire au car­ré quand il est celui d’un dis­cours qui porte sur le men­songe. Éle­vant tout cet ensemble à un point de per­fec­tion, et se ren­dant elle-même au tré­fonds de l’abaissement, la ministre de la culture n’hésite pas à décla­rer que la future loi sur les fake news vise « à pré­ser­ver la liber­té d’expression » (13). Boucle bou­clée – et le minis­tère de l’intérieur a main­te­nant éga­le­ment absor­bé une direc­tion de la culture rectifiée.

S’il faut conser­ver quelque chose de la phi­lo­so­phie du Dés­in­toxi­ca­teur, accor­dons-lui que le concept de la fake news est bien là, dans sa pure­té : nous avons affaire à un ensemble de dires outra­geu­se­ment faux,« fabri­qués à des­sein pour trom­per ». Pré­vi­sible iro­nie, la loi sur les fake news est bien le ter­mi­nus de la véri­té – mais rejoint au nom de la lutte contre la post-véri­té. Que la némé­sis de la presse macro­nienne advienne par Macron lui-même, n’est-ce pas fina­le­ment dans la logique des choses ? Ce n’est plus un gou­ver­ne­ment, c’est une fan­fare à fake news. Tous les ins­tru­men­tistes semblent bour­rés, en tout cas cornent à tout va. Mais en fait sous la férule et dans la crainte du chef d’orchestre. Et, comme le veut cette forme ren­ver­sée de cohé­rence désor­mais fami­lière, le tout selon une par­ti­tion atta­quant les liber­tés au nom de la lutte contre« l’illibéralisme ».

Remar­quable tra­jec­toire, même si elle n’est faite que pour éton­ner les « fai­seurs de bar­rage ». Pré­tex­tée par les outrances de Trump, la course à la véri­té s’achève dans un deve­nir-Trump de Macron, qui plus est embar­quant la presse des vraies-news dans ce grand huit d’où l’on aura sans doute à ramas­ser quelques déso­rien­tés. Que Macron se mette à avoir des airs de Trump, ce sont leurs poli­tiques fis­cales sem­blables qui l’ont déjà lais­sé entre­voir (14). Voi­là qu’ils se res­semblent main­te­nant par leur com­mune obses­sion pour les fake news, simul­ta­né­ment pro­pa­ga­teurs – bien sûr pas encore au même degré de gros­siè­re­té – et pro­met­tant de les éra­di­quer. Comme l’autre, Macron a visi­ble­ment envie d’être quelque chose in chief. Pour­quoi pas Deco­der in chief alors ?

On devrait tenir pour un symp­tôme sérieux qu’un gou­ver­nant se prenne d’obsession pour les fake news : le symp­tôme de celui qui, tra­quant les offenses à la véri­té, révèle qu’il est lui-même en déli­ca­tesse avec la véri­té. Nous en savons main­te­nant assez pour voir que la poli­tique entière de Macron n’est qu’une gigan­tesque fake news – par­ache­vée, en bonne logique, par une loi sur les fake news. Entre le par­quet et les cel­lules de Déco­deurs, il y a de la catas­trophe logique dans l’air, et de la souf­france au tra­vail qui s’annonce. Ou peut-être pas.

Obsessions complotistes, obsessions anticomplotistes

On com­prend sans peine que Libé­ra­tion et Le Monde, mais par­mi tant d’autres, se soient fait une joie de l’étude Fon­da­tion Jean-Jau­rès-Ipsos sur les ten­dances com­plo­tistes de la popu­la­tion. Les deux prin­ci­pales écu­ries à Déco­deurs n’allaient tout de même pas lais­ser pas­ser ce caviar d’une jus­ti­fi­ca­tion en quelque sorte onto­lo­gique. Ni la presse en géné­ral man­quer une occa­sion de réaf­fir­mer que le mono­pole de l’information vraie comme de la pen­sée juste lui appar­tient. On note­ra au pas­sage comme est bien conçue cette « étude », qui accole les 75 % de la popu­la­tion mani­fes­tant une défiance envers les médias avec le reste de la benne à com­plo­tistes, l’idée étant de sug­gé­rer, comme il se doit, que dou­ter des médias et battre la cam­pagne conspi­ra­tion­niste, c’est tout un. À l’évidence, ce qu’on pour­ra main­te­nant appe­ler le « mas­sif du pou­voir », atta­qué de toutes parts, n’est plus capable, pour se main­te­nir dans son mono­pole de la direc­tion géné­rale, de trou­ver d’autre solu­tion que… la dis­qua­li­fi­ca­tion de la popu­la­tion même : elle est éco­no­mi­que­ment illet­trée, poli­ti­que­ment errante, et d’une cré­du­li­té vicieuse.

On sait donc main­te­nant avec une cer­ti­tude scien­ti­fique au moins égale à celle de l’institut Ipsos que le mas­sif du pou­voir a per­du tout moyen de com­prendre ce qui lui arrive – état de stu­pi­di­té qui fait pres­sen­tir les condi­tions dans les­quelles, inca­pable de la moindre rec­ti­fi­ca­tion de tra­jec­toire, il fini­ra : mal (car il fini­ra bien un jour). Il a notam­ment per­du les moyens de com­prendre ce qui se joue avec l’inflammation conspi­ra­tion­niste – dont il reste à prou­ver, tous effets de loupe des réseaux sociaux mis à part, qu’elle a effec­ti­ve­ment crû. C’est que Rudy Reichs­tadt et la Fon­da­tion Jean Jau­rès se seraient sans doute empres­sés de comp­ta­bi­li­ser comme com­plo­tistes les « satel­lites détra­quant la météo » qui fai­saient les beaux jours des comp­toirs des années 60 – et les satel­lites étaient russes !

Que la pen­sée publique erre dans le mou­ve­ment natu­rel de faire sens de ce qui lui arrive, c’est un fait dont la nou­veau­té his­to­rique deman­de­rait à être beau­coup dis­cu­tée. Que, par un effet para­doxal, l’ampleur des élu­cu­bra­tions ait crû à pro­por­tion de l’élévation du niveau géné­ral d’étude, c’est-à-dire du nombre des gens s’estimant auto­ri­sés à « avoir des idées » sur le cours du monde, et à les dire, main­te­nant même à les publier, c’est pro­ba­ble­ment une piste plus robuste. Que l’obstination des pou­voirs à confis­quer la conduite des affaires publiques en en dis­si­mu­lant à peu près tout des gou­ver­nés, fouette la pro­duc­tion popu­laire des conjec­tures, qui plus est dans un contexte d’illégitimité crois­sante des gou­ver­nants, et avec néces­sai­re­ment la crois­sance, là encore sim­ple­ment pro­por­tion­nelle, de sa part éga­rée, ce serait aus­si une piste à creu­ser. Mais on com­prend que ni Le Monde ni Libé­ra­tion n’en aient la moindre envie. Quant à la cabane de jar­din de la rue de Sol­fé­ri­no (la Fon­da­tion Jean Jau­rès) il y a beau temps qu’elle a per­du le der­nier outil qui lui per­met­trait de creu­ser quoi que ce soit.

 

Fré­dé­ric Lordon

________________
Notes :

(1) Annon­cé par Emma­nuel Macron lors des voeux à la presse, 4 jan­vier 2018.

(2) Cédric Mathiot, Jour­nal de 13 heures, France Inter, 30 décembre 2017.

(3) Andre Damon, « Google ren­force la mise sur liste noire des sites Web des jour­na­listes de gauche », World Socia­list Web­site, 20 octobre 2017. Voir éga­le­ment : Pierre Rim­bert, « Cen­sure et chaus­settes roses », Le Monde Diplo­ma­tique, jan­vier 2018.

(4) Agnès Rous­seaux, « Le pou­voir d’influence déli­rant des dix mil­liar­daires qui contrôlent la presse fran­çaise », Bas­ta­mag, 3 avril 2017 ; voir aus­si la carte « Médias fran­çais : qui pos­sède quoi ? », régu­liè­re­ment mise à jour sur le site du Monde Diplo­ma­tique.

(5) Pro­pos rap­por­té par Odile Benya­hia-Koui­der dans Un si petit monde, Fayard, 2011.

(6) Voir « Le com­plo­tisme de l’anticomplotisme », Le Monde Diplo­ma­tique, octobre 2017.

(7) Fré­dé­ric Lemaire, « Dés­in­for­ma­tion sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes : les médias au garde-à-vous », Acri­med, 2 jan­vier 2018.

(8) Pierre Rim­bert, « Les chauf­fards du bobard », Le Monde Diplo­ma­tique, jan­vier 2017.

(9) Une rumeur pro­pa­gée sur Inter­net pen­dant la cam­pagne de 2016 a accu­sé Hil­la­ry Clin­ton de diri­ger un réseau pédo­phile à par­tir de la Piz­ze­ria Comet Ping Pong…

(10) Le 79, France Inter, 4 jan­vier 2018.

(11) BFM-TV, 4 jan­vier 2018.

(12) Les Échos, 31 octobre 2017.

(13) AFP, 4 jan­vier 2018.

(14) Tho­mas Piket­ty, « Trump, Macron : même com­bat », Le Monde, 12 décembre 2017.

Source : https://blog.mondediplo.net/2018–01-08-Macron-decodeur-en-chef


Mon com­men­taire :

Je trouve tor­dantes l’i­mage et sa légende 🙂
Et, comme d’ha­bi­tude, quelques savou­reuses formulations.

Juger une per­sonne (ou un groupe de per­sonnes, ou un média) EN BLOC, plu­tôt que juger ses idées (ou ses croyances, ou ses « infor­ma­tions ») UNE PAR UNE, est un com­por­te­ment tyran­nique, une gros­sière et trom­peuse approxi­ma­tion, une forme de « racisme », qui enferme un tout dans une de ses par­ties, comme si cette par­tie était défi­ni­ti­ve­ment, onto­lo­gi­que­ment (par son être même), l’es­sence du tout.

Fré­dé­ric mérite PARFOIS lui-même, bien sûr, les reproches (D’INJONCTION AUTORITAIRE À LA PURETÉ TOTALE) qu’il for­mule ici (avec rai­son) à l’é­gard des cen­seurs pré­ten­du­ment « déco­deurs ». Pour­tant, je ne le réduis pas à ce qu’il a pu dire ou faire un jour et que je consi­dère comme erreur ou faute ; je conti­nue à le lire et à l’ai­mer pour ce qu’il fait bien.

J’aime cette pen­sée de Jean Gre­nier (qui était le pro­fes­seur de phi­lo de Camus), que je trouve fondamentale :
« IL CONVIENT DE DISSOCIER LES IDÉES, AVANT ET AFIN D’ASSOCIER LES CŒURS. »

Pas mieux.

Étienne.

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16 Commentaires

  1. ève

    C’est cadeau

    Pos­té le lun­di 25 avril 2011 15:41

    LA VÉRITÉ AU FOND DU PUITS

    DESCENDANTE ET REMONTANTE ,
    DES TRÉFONDS DE SON ENCEINTE
    PEUPLÉE DE VIES ET D’INFINIS
    QUE D’ESPOIRS VIFS ONT ENCEINT
    LES AMOURS CRIANT DE L’OUBLI

    LES EAUX CHAVIRANT ET VERSANT
    GRINCEMENTS RYTHMÉS BALANÇANT
    AU SEAU LA TRISTE VÉRITÉ .
    DE LITANIES ELLES EN GÉMISSENT
    DE LES SOUFFLER ELLES N’EN FINISSENT

    DE NOS PASSIONS , DÉSIRS ‚BRÛLONS
    DE VIVRE TOUTES NOS ENVIES
    EFFLEURÉES PAR PEUR DE L’IMPIE
    REGRETS ET SOLITUDE VONT
    IMPOSER LE CHEMIN À SUIVRE

    S’IL RESTE ENFIN UN LIEU-DIT
    OÙ TOUCHER UNE ÂME ÉRUDITE
    L’AIMER AU DELÀ DES NON-DITS
    DANS UN BONHEUR PROFOND CHOISIT
    SANS S’OURDIR ET PRESSÉE D’EN VIVRE

    LES MIRAGES S’EN VONT JOUANT
    DE LEUR IMAGE , REFLÉTANT
    DU PASSÉ PRÉSENT À VENIR
    DU TEMPS RESTANT À PARCOURIR
    DONT ON PEUT PLEINEMENT JOUIR

    TOUT N’EST PAS VASTE ILLUSION
    QUAND LA LUMIÈRE LUIT, NOUS LIT,
    NOUS DIT L’OMBRE DU SEAU DES SONS
    SANS FUIR TOUTES RÉALITÉS
     » ET VÉRITÉ AU FOND DU PUITS »
    ève

    Réponse
  2. etienne

    Mon com­men­taire :

    Juger une per­sonne (ou un groupe de per­sonnes, ou un média) EN BLOC, plu­tôt que juger ses idées (ou ses croyances, ou ses « infor­ma­tions ») UNE PAR UNE, est un com­por­te­ment tyran­nique, une gros­sière et trom­peuse approxi­ma­tion, une forme de « racisme », qui enferme un tout dans une de ses par­ties, comme si cette par­tie était défi­ni­ti­ve­ment, onto­lo­gi­que­ment (par son être même), l’essence du tout.

    Fré­dé­ric mérite par­fois lui-même, bien sûr, les reproches (d’in­jonc­tion auto­ri­taire et illé­gi­time à la pure­té totale sous peine d’os­tra­cisme) qu’il for­mule ici (avec rai­son) à l’égard des cen­seurs pré­ten­du­ment « déco­deurs ». Pour­tant, je ne le réduis pas à ce qu’il a pu dire ou faire un jour et que je consi­dère comme erreur ou faute ; je conti­nue à le lire et à l’aimer pour ce qu’il fait bien.

    J’aime cette pen­sée de Jean Gre­nier (qui était le pro­fes­seur de phi­lo de Camus), que je trouve fondamentale :
    « IL CONVIENT DE DISSOCIER LES IDÉES, AVANT ET AFIN D’ASSOCIER LES CŒURS. »

    Pas mieux.

    Étienne.

    Réponse
  3. etienne

    « Émile Bur­nouf dans la Science des reli­gions écrit : « Quand une opi­nion se déclare droite et vraie, cela signi­fie que toute opi­nion dif­fé­rente n’est ni l’un ni l’autre. » « Chaque ortho­doxie a pour opi­nion qu’elle est la seule bonne et la seule vraie. » Une ortho­doxie est donc avant tout une doc­trine d’exclusion.

    Jean Gre­nier, « Essai sur l’esprit d’orthodoxie », 1938.

    Réponse
  4. etienne

    « Une fois qu‘on est entré dans un par­ti, on est obli­gé, pour ne pas être « embê­té », de pen­ser ce que pensent les plus bêtes. »
    Jean Gre­nier, « Essai sur l’esprit d’orthodoxie », 1938.

    Réponse
  5. etienne

    « L’or­tho­doxie suc­cède à la croyance. Un croyant en appelle à tous les hommes pour qu’ils par­tagent sa foi ; un ortho­doxe récuse tous les hommes qui ne par­tagent pas sa foi. C’est que la foi du pre­mier est sur­tout un sen­ti­ment et la foi du second sur­tout un sys­tème. Le pre­mier dit : « Lais­sez venir à moi… » et le second : « Qu’il soit ana­thème…» C’est une loi presque fatale que ceci suc­cède à cela.

    Pour­quoi ce dur­cis­se­ment, ce pas­sage de l’ap­pel au refus ? C’est que toute croyance contient en germe un élé­ment néga­tif : la même idée qui est un moyen de ral­lie­ment sert aus­si un moyen d’ex­clu­sion : « Qui n’est pas avec moi est contre moi. »

    C’est sur­tout qu’une croyance en s’im­plan­tant dans une socié­té s’or­ga­nise et se défend comme une plante qui étend ses racines jus­qu’à ce qu’elle trouve de l’eau, recouvre sa tige d’é­corce, tourne ses feuilles vers le soleil, enfin use de tous les moyens pour se déve­lop­per et repousse avec intran­si­geance tout ce qui ne peut pas l’y aider. L’or­tho­doxie est donc une suite fatale de toute croyance qui réus­sit ; ou, en tout cas, elle est une ten­ta­tion à laquelle peu de croyances résistent. »

    Jean Gre­nier, « Essai sur l’esprit d’orthodoxie », 1938.

    Réponse
  6. etienne

    2° À peine née, la foi agit ; à peine agit-elle qu’elle cherche à se nom­mer. Elle ras­semble autour d’elle un nombre d’hommes qu’elle sépare des autres : ce par­tage forme les par­tis. Déjà l’i­déal se trouble et s’obs­cur­cit en pas­sant dans la pra­tique. Il exis­tait pour uni­fier ; voi­ci qu’il divise. Le croyant s’é­tonne qu’on ne par­ti­cipe pas à sa croyance. Mais il ne nie que parce qu’il affirme ; il ne déteste que parce qu’il aime. Un moment vient où il finit par oublier le but pour ne plus voir que le moyen.

    (Com­men­taire) : Nous n’exa­mi­nons ni le fas­cisme ni le social-natio­na­lisme. La Nation et la Race peuvent être effi­caces mais c’est, nous semble-t-il, plu­tôt comme mythes que comme idéaux. Un mythe divise dès le début ; un idéal peut se dégra­der en mythe, mais com­mence tou­jours par unir. Nous sommes contre les mythes.

    Du par­ti.

    Il peut être inté­res­sant de voir main­te­nant com­ment se fait l’adhé­sion à un par­ti une fois que nous avons cir­cons­crit le champ dans lequel peut se faire cette adhé­sion. Nous lais­sons le cas de ceux qui ont souf­fert et n’ont pas eu à choi­sir, pour nous tour­ner du côté de ceux qui n’ont pas souf­fert et dont le choix doit être déter­mi­né par l’in­tel­li­gence. Nous ne par­lons plus ici des mêmes hommes ; et nous allons signa­ler quelques dif­fi­cul­tés qui se pré­sentent aux intellectuels.

    3° Un intel­lec­tuel qui s’est mon­tré dilet­tante et n’a envi­sa­gé dans la vie que sa part de rêve et de jeu, dès qu’il est conver­ti à l’ac­tion sociale, se pré­ci­pite vers la concep­tion la plus rigide de l’art popu­laire : il ne veut plus écrire une ligne qui ne serve à la socié­té ; et sur­tout il ne ver­ra aucune dif­fi­cul­té à adhé­rer au Cre­do le plus caté­go­rique. Plus on a pris de liber­tés autre­fois, plus on doit se mon­trer sévère envers soi-même — et aus­si envers les autres. La psy­cho­lo­gie de saint Augus­tin est celle de tous les convertis.

    4° Comme l’in­tel­lec­tuel a d’ha­bi­tude (et rien n’est plus mal­heu­reux) peu de contact avec les autres hommes, en tout cas en a moins que l’ou­vrier, le tech­ni­cien ou l’homme poli­tique, comme par suite il ne peut agir direc­te­ment autour de lui, il se croit obli­gé d’a­dop­ter des opi­nions extrêmes afin de com­pen­ser le peu d’é­ten­due de son action. Il sera d’au­tant plus ten­té de le faire, s’il a le sen­ti­ment de la jus­tice, que sa situa­tion sociale paraî­tra aux autres plus avantageuse.

    5° Quand on doit trai­ter une affaire qui vous concerne per­son­nel­le­ment on réflé­chit avant de s’y enga­ger, car si l’af­faire tourne mal vous en sup­por­tez les consé­quences. Un pilote, un chi­rur­gien, un méca­ni­cien, n’ont pas le droit de se trom­per. Si vous adop­tez une théo­rie poli­tique vous n’au­rez pas ces scru­pules… Et même… Lais­sons par­ler Descartes :

    « II me sem­blait que je pour­rais ren­con­trer plus de véri­té dans les rai­son­ne­ments que cha­cun fait tou­chant les affaires qui lui importent, et dont l’é­vé­ne­ment le doit punir bien­tôt après s’il a mal jugé, que dans ceux que fait un homme de lettres dans son cabi­net tou­chant des spé­cu­la­tions qui ne pro­duisent aucun effet, et qui ne lui sont d’autre consé­quence sinon que peut-être il en tire­ra d’au­tant plus de vani­té qu’elles seront plus éloi­gnées du sens com­mun, à cause qu’il aura dû employer d’au­tant plus d’es­prit et d’ar­ti­fice à tâcher de les rendre vraisemblables. »

    6° Il faut tenir compte du désir de sim­pli­fi­ca­tion natu­rel à tout homme. Autre­fois il y avait dans les vil­lages les « blancs » et les « rouges » et il ne fal­lait pas sor­tir de là. Main­te­nant si l’on n’est pas « mar­xiste » ou sus­cep­tible de le deve­nir, on vous tient pour « fas­ciste ». Ce n’est pas une mau­vaise tac­tique étant don­né la peur des mots ; et l’on voit des gens rési­gnés à tout dire et à tout faire « pour ne pas pas­ser pour… ». Mais un pareil pro­cé­dé n’est preuve ni de bon sens ni de bonne foi.

    Jean Gre­nier, Essai sur l’es­prit d’or­tho­doxie (1938), p.42 et s.

    Réponse
  7. etienne

    Il n’y a pas de troupes sans chefs et il n’y a pas de chefs sans doctrines. 

    Or ces doc­trines que l’on impose aux foules peuvent avoir de graves consé­quences, entre autres celles de rui­ner la liber­té de la pensée.

    Jean Gre­nier, Essai sur l’es­prit d’or­tho­doxie (1938), p.58.

    Réponse
  8. BA

    La construc­tion euro­péenne a entraî­né un appau­vris­se­ment généralisé.

    Entre 1993 et 2010, en France, la pro­por­tion des emplois à moyen salaire s’est effon­drée de 8,6 % !

    Autre­ment dit : 

    En France, les classes moyennes se sont beau­coup appau­vries. Les classes moyennes rejoignent de plus en plus les classes sociales les plus pauvres.

    En Alle­magne, la pro­por­tion des emplois à moyen salaire a bais­sé de 6,7 %. (Rap­pel : en sep­tembre 2017, l’ex­trême-droite a obte­nu 94 dépu­tés au par­le­ment en Alle­magne. Je dis bien : 94 députés.)

    Cet appau­vris­se­ment des classes moyennes est encore pire dans d’autres pays de l’U­nion européenne :

    En Suède, la pro­por­tion des emplois à moyen salaire s’est effon­drée de 9,6 % !
    Au Dane­mark, la pro­por­tion des emplois à moyen salaire s’est effon­drée de 10,3 % !
    En Autriche, effon­dre­ment de 10,4 % !
    En Ita­lie, effon­dre­ment de 10,6 % !
    En Fin­lande, effon­dre­ment de 10,6 % !
    En Grèce, effon­dre­ment de 10,7 % !
    Au Luxem­bourg, effon­dre­ment de 10,8 % !
    Au Royaume-Uni, effon­dre­ment de 10,9 % !
    En Espagne, effon­dre­ment de 12 % !
    En Bel­gique, effon­dre­ment de 12,1 % !
    En Irlande, effon­dre­ment de 14,9 % !

    L’ap­pau­vris­se­ment des classes moyennes va avoir des consé­quences poli­tiques par­tout en Europe.

    Comme les classes moyennes deviennent de plus en plus pauvres, elles vont voter pour les par­tis extrémistes.

    Cet échec total de la construc­tion euro­péenne est visible dans le gra­phique page 15 : « Change in Occu­pa­tio­nal Employ­ment Shares in Low, Middle, and High-Wage »

    https://​eco​no​mics​.mit​.edu/​f​i​l​e​s​/​1​1​563

    Réponse
  9. zedav

    Comme la plu­part de ces pen­sées de Jean Gre­nier s’ap­pliquent bien à la doc­trine fémi­niste ! (hommes cou­pables femmes vic­times / hommes avan­ta­gés femmes désavantagées).

    Et à pro­pos de cen­sure, dénon­cée par le site « les crises », il peut être utile de savoir qu’un très grand nombre de pro­pos dif­fé­rents peuvent être tenus dans les com­men­taires de ce site, à l’ex­clu­sion de la moindre cri­tique sur l’i­déo­lo­gie fémi­niste vic­ti­maire misandre sys­té­ma­ti­que­ment cen­su­rée par les modérateurs.

    Même les tweets les plus sexistes et tota­li­taires, qua­li­fiés par « les crises » d’actes de résis­tance, ne souffrent aucune remarque. Ain­si d’un tweet com­men­tant un fait divers (un homme aurait « vio­lé » un cadavre) : « […] même mortes ILS ne nous lais­se­ront pas tranquilles. »

    Notez que TOUT les hommes sont conte­nus dans ce ILS. Allons ne niez pas mes­sieurs, vous êtes bien tous des nécrophiles !

    A cen­seurs, cen­seurs et demi !

    PS : heu­reu­se­ment que cer­taines femmes com­mencent à réagir à ce délire hai­neux, comme ce col­lec­tif de 100 femmes dénon­çant cette ten­dance dans une tri­bune dans le monde reprise par Cau­seur https://​www​.cau​seur​.fr/​g​o​l​d​e​n​-​g​l​o​b​e​s​-​s​a​n​d​r​a​-​m​u​l​l​e​r​-​f​e​m​i​n​i​s​m​e​-​1​4​9​008

    Réponse
    • ève

      Tou­jours aus­si per­cu­tant et c’est bien !
      Refaire une élec­tion , c’est don­ner une chance sup­plé­men­taire à la Fi d’a­gran­dir son nombre , rêvons-le quand même !
      Croire n’est pas savoir , c’est sup­po­ser ! Lire une info et apprendre qu’elle est fausse devrait impo­ser aux gens en toute confiance en eux de ne plus reve­nir au jour­nal col­por­teur , comme pour une tra­hi­son entre deux per­sonnes . La fia­bi­li­té , ça s’ap­prend , la confiance se perd plus vite qu’elle ne se gagne ! C’est dur , oui , mais c’est la vie ! Le  » tri  » se fait ain­si tout seul , et je n’ai pas le sen­ti­ment de don­ner une leçon en écri­vant ces mots .…

      Réponse
  10. BA

    Jean Las­salle : « Macron est au ser­vice de ses maîtres, comme Vichy l’a été pour les Allemands. »

    Par­ti­cu­liè­re­ment sévère sur l’élection et le bilan de Macron, qu’il décrit comme « le pro­duit et l’instrument du sys­tème finan­cier qui l’a fait élire par un coup d’Etat démo­cra­tique », Jean Las­salle affirme que « Macron est au ser­vice de nos nou­veaux maîtres qui l’ont por­té à l’Elysée, comme le gou­ver­ne­ment de Vichy, sous l’Occupation, l’a été pour les Allemands ».

    L’ancien numé­ro deux du MoDem de Bay­rou annonce, par ailleurs, qu’il a « la volon­té de conduire » sa propre liste aux élec­tions euro­péennes de 2019. Sur une ligne clai­re­ment euros­cep­tique : « Si j’avais été anglais, j’aurais voté pour le Brexit », confie-t-il.

    https://​www​.valeur​sac​tuelles​.com/​p​o​l​i​t​i​q​u​e​/​e​x​c​l​u​s​i​f​-​j​e​a​n​-​l​a​s​s​a​l​l​e​-​m​a​c​r​o​n​-​e​s​t​-​a​u​-​s​e​r​v​i​c​e​-​d​e​-​s​e​s​-​m​a​i​t​r​e​s​-​c​o​m​m​e​-​v​i​c​h​y​-​l​a​-​e​t​e​-​p​o​u​r​-​l​e​s​-​a​l​l​e​m​a​n​d​s​-​9​2​386

    Réponse
  11. etienne

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