httpv://www.youtube.com/watch?v=iaN_1ojdeok
« Toute personne qui prône l’austérité devrait faire l’objet d’une enquête de moralité »…
Retranscription (merci Nicole Aune 🙂 ) :
Emmanuel Todd.
« La notion même d’austérité est véhiculée par des pourris ! »Avril 2013
« Jean-Jacques Bourdin : et tous ces dirigeants, chefs du gouvernement, chefs d’Etat, professeurs d’austérité ou de rigueur à travers l’Europe qui sévissent… La rigueur, l’austérité c’est le dogme.
Emmanuel Todd : mais là, ce qui est formidable, c’est que la vérité est en train de sortir sur les partisans de l’austérité. Je trouve que l’affaire Cahuzac est une très bonne nouvelle pour la démocratie en France. Cahuzac s’était fait une image… Il s’occupait du budget, il était là pour tenir les comptes de l’État, pour mettre en place la rigueur et l’austérité, et tout d’un coup on s’aperçoit que le type qui est là pour gérer l’austérité, le père la Vertu est un pourri. Ce qu’il ne faut surtout pas faire, c’est s’imaginer que c’est une exception ! En vérité, tout ce qui sort petit à petit, c’est que la notion même d’austérité est véhiculée par des gens qui ne sont pas nets, est véhiculée par des pourris.
Jean-Jacques Bourdin : ils ont des rapports étranges avec l’argent
Emmanuel Todd : je vais vous donner les deux exemples, les pères la vertu : Monti en Italie et le mec de la banque centrale Draghi, qui sont des gens qui avaient des liens avec la banque Goldman Sachs, donc avec la spéculation. Et le dernier exemple qui vient de sortir, c’était dans toute la presse, un article fait par deux professeurs, publié dans une revue de Harvard, qui essayaient d’établir que les pays à gros déficit public avaient de grosses difficultés. Et ce qu’il vient d’exploser c’est que l’article n’est pas sérieux, fonctionne avec un calcul qui est faux, ça veut dire que la corruption a atteint la science.
Maintenant je vous propose une règle opératoire et je le propose à tous les gens qui s’occupent d’informations et de journalisme : Toute personne qui prône l’austérité devrait faire l’objet d’une enquête de moralité. Les gens pour lesquels on devrait exiger la transparence, ce sont les gens qui réclament l’austérité. C’est systémique, c’est quoi, l’austérité ? On culpabilise les gens, on leur dit : l’État a trop dépensé et l’Etat c’est les Français. On essaye de culpabiliser le citoyen de base sur le budget de l’État.
C’est quoi la dette publique ? Ce sont des riches qui ont prêté leur trop d’argent à l’État. Donc les gens qui gèrent la rigueur, les gens qui veulent maintenir l’État en état de servir les intérêts de la dette publique sont des gens qui travaillent pour les riches.
Jean-Jacques Bourdin : les financiers, les marchés financiers…
Emmanuel Todd : je veux dire que la rigueur, c’est quelque chose qui a pour objet d’éviter ce qui apparaîtra un jour comme inévitablement nécessaire, c’est-à-dire le défaut sur les dettes. Hier, je lisais un article sur le grand journal financier anglais Financial Times, un article qui disait que les banquiers centraux ne comprenaient plus ce qu’il se passait, il y avait l’expression “ volent à l’aveugle “… Je dirais ça aux gens, ils seraient dans un état d’inquiétude extrême sur les classes dirigeantes, mais c’était écrit noir sur blanc sur le Financial Times d’hier.
Ce qui me fascinait, c’est que, évidement les banquiers centraux (ou pas, d’ailleurs) ne peuvent pas comprendre ce qui se passe parce qu’ils ne peuvent pas accepter la réalité de ce qui se passe.
C’est quoi la réalité de ce qui se passe ? Les inégalités ont fortement augmenté dans l’ensemble du monde. Les inégalités, c’est l’écrasement des revenus des gens d’en bas (les gens d’en bas, c’est tout le monde pour moi), et l’accumulation exagérée de pognon (disons les choses par leur petit nom simple et familier) en haut de la structure sociale ; et les gens qui sont en haut de la structure sociale et qui ont déjà trop d’argent prêtent cet argent (parce que les riches ont leurs problèmes et il faut faire quelque chose de cet argent) et il est évident que tous les mécanismes de correction, de gestion de la dette, etc. des sociétés avancées ne peuvent pas fonctionner si de plus en plus d’argent va aux gens qui ont trop d’argent.
Donc, inévitablement, le mur de la réalité qui est devant tous les gouvernements occidentaux et le gouvernement français en particulier, c’est que, si on veut faire redémarrer les économies occidentales, il va falloir effacer des dettes, il va falloir spolier les riches. Moi ça ne me fait pas peur. »
Fil Facebook correspondant à ce billet :
https://www.facebook.com/etienne.chouard/posts/10155700616642317
Non, ce n’est pas « trop cher » : le financement des besoins collectifs est rendu sciemment ruineux par un sabordage monétaire étonnant
http://etienne.chouard.free.fr/Europe/forum/index.php?2007/05/01/72-non-ce-n-est-pas-trop-cher-le-financement-des-besoins-collectifs-est-rendu-sciemment-ruineux
7 mai 2007… plus de 10 ans que je ferraille sur ce sujet, réveillé par André-Jacques Holbecq
Excellent Gérard Filoche (2015) : on est gouvernés précisément par les criminels qui nous volent tous les jours comme au coin du bois.
Il suffit de reprendre l’argent aux voleurs !
À sa place, je rajouterais cet indispensable complément (radical), sans lequel on ne comprend rien et sans lequel on ne changera rien :
1) c’est précisément le faux « suffrage universel » (l’élection-de-maîtres-parmi-des-candidats-qu’on-peut-aider) qui DONNE partout le pouvoir aux plus riches voleurs (pléonasme),
et 2) jamais des « élus » n’y changeront quoi que ce soit (à cause de leur irrépressible conflit d’intérêts dans le processus constituant) : seuls les citoyens eux-mêmes sont capables d’écrire (et de protéger) une constitution digne de ce nom.
3) Mais on ne naît pas citoyen, on le devient : en s’entraînant quotidiennement à devenir constituant, personnellement, courageusement.
Fil fb correspondant à ce commentaire :
https://www.facebook.com/etienne.chouard/posts/10155689294892317
httpv://www.youtube.com/watch?v=66cYcSak6nE
Nous sommes incapable de nommer le mal qui nous ronge il est d’ordre pathologique.Nous sommes gouvernées par des psychopathes, des pervers narcissiques.
L’enquête de moralité, le casier judiciaire tout cela est bien gentil,mais je préfère de loin une analyse psychiatrique faite par des spécialistes de la santé mental.
Bonjour Etienne,
Deux remarques complémentaires :
1) Sur le notion d’austérité
« Austérité » est l’un de ces mots à la signification floue dont l’usage même rend difficile la compréhension de la réalité qu’il recouvre.
De nombreuses personnes prônent l’austérité. Ce sont tout ceux qui ont une préoccupation environnementale. Ceux qui veulent promouvoir le vélo sur la voiture, la culture locale plutôt que le transports de produits exotiques, le chauffage au bois plutôt qu’au pétrole ou au nucléaire n’est-ce pas là de l’austérité ? Le principe même de « décroissance » n’est-il pas une austérité organisée ? Qu’on appelle cela « frugalité » ou « consommation responsable » plutôt qu’austérité ne change pas la réalité : pour certains, il faut vivre plus chichement. Pourtant, ici, point de critique, on ne dira pas que ce sont des « pourris ». Le raisonnement en gros est que les ressources naturelles étant limitées et la planète ne pouvant absorber indéfiniment la pollution, il faut restreindre sa propre consommation pour que les générations ultérieures puissent en profiter. Et en ce sens, l’ « austérité » ne me semble pas un mal.
Mais quelle différence alors avec les « pourris » ? Qu’ils l’imposent aux autres mais pas à eux-même ? Mmmh … Oui, c’est déjà une différence … Mais surtout, l’écologiste pratique une austérité « matérielle », ou « réelle ». Alors que l’austérité vantée par les dirigeants gouvernementaux signifie une austérité « monétaire ». Il n’est pas demandé de restreindre sa consommation. Simplement, on restreint la monnaie en circulation. Et seul ceux qui disposent encore de signes monétaires peuvent encore consommer, sans que le moindre effort leur soit demandé.
On voit ici comment la fiscalité écologique peut s’inscrire ici : en imposant plus ou en subsidiant moins les objets de consommation polluants, on réduit encore la masse monétaire circulante d’une manière facilement acceptée par la populations. Car « c’est-pour-la-planète ».
Le plus intéressant – alors que pour ma part je n’ai jamais vu faire ce rapprochement – est que du point de vue environnemental, les deux « austérités » peuvent se rejoindre. Si les gens ont moins de monnaie, ils consomment moins. S’ils consomment moins, ils polluent moins, et ils épuisent moins les ressources naturelles. Si les prix de l’essence à la pompe sont actuellement moindres qu’ils n’ont été il y a quelques années, c’est exactement par ce mécanisme. C’est grâce à l’austérité monétaire. Cela permet à ceux qui disposent d’un accès facile à la monnaie de profiter des ressources de manière plus durable et à moindre coût.
L’austérité monétaire, c’est de l’écologisme dans une société capitaliste oligarchique.
2) Sur le règlement de la dette.
L’échange entre Filoche et Vondel dans la video est un argument que l’on entend souvent : si la fraude fiscale est de 80 milliards par ans, il suffit d’engager 2000 inspecteurs de impôts, qui coûteront 3 milliards par an, pour les récupérer. Le problème du déficit budgétaire sera réglé.
Moi, le raisonnement me parle. Cela me paraît une manière raisonnable d’éponger la dette. Pourquoi n’est-ce pas fait ? Je n’ai jamais vu quelqu’un essayer de réfuter l’argument. J’aimerais bien lire un ouvrage qui s’est penché sur le problème. Parce que des poursuites, il y en a (Cahuzac, Dassault). A mon avis, le problème est que ces 80 milliards ne seront pas récupérés avec certitude. Ils sont sans doute dans une zone grise entre la fraude et l’ « optimisation fiscale ». Si après des années de travail et d’attente de procès, c’est pour entendre le juge dire que finalement, il n’y a pas matière à sanctionner, ou qu’il y a prescription, c’est vrai que ce n’est peut-être pas un méthode judicieuse pour régler la dette.
L’idée de répudier la dette m’avait autrefois séduit. J’en suis revenu avec la lecture du livre de JB Bersac. Je suis d’accord avec lui que le défaut de paiement créerait le chaos, et qu’il faudrait finalement malgré tout créer de la monnaie pour renflouer les épargnants ruinés par la faillite des banques :
« Parmi toutes les alternatives proposées pour régler la question du financement de l’État, le défaut sur la dette publique, même partiel, est l’une des plus mauvaises. Je la fais figurer dans cette liste parce qu’elle est fréquemment proposée et qu’il est important de comprendre ses étroites limites, si nous voulons ne pas être leurrés et lâcher la proie pour son ombre dans le combat actuel sur les problèmes monétaires. Elle consiste à désigner un certain nombre de titres de dette publique, le plus souvent la totalité, et à décider dans quelle mesure ne seront pas payées les sommes promises. Déjà déstabilisante du temps de la monnaie-or, cette méthode l’est encore plus aujourd’hui alors que la dette publique et les devises sont devenues les deux faces d’une même entité, deux substituts extrêmement identiques l’un à l’autre. Effacer en une nuit du bilan des fragiles banques une portion substantielle de leurs actifs les plus sûrs amènerait à devoir les recapitaliser aussitôt, recapitalisation qui échoirait à l’État comme à chaque fois. Pire encore, le défaut ne traite nullement la racine du mal, seulement son symptôme : ce n’est pas parce qu’il y a défaut de paiement que tout le monde retrouve, ou trouve enfin, le mystérieux sens parfait du marché qui parviendrait à nous faire calculer la valeur des choses à la perfection et ainsi à éviter les crises. Une fois le défaut accompli, les comptes recommenceraient à dévier de la réalité tout aussi sûrement que par le passé. Et cycliquement, nous nous entre-déchirions pour savoir qui a mal calculé et laissé les finances dégénérer en Ponzi, donc à qui revient l’impératif de faire défaut. L’État pressurerait à ce titre plus ou moins l’économie, puis ferait lui-même défaut, plus ou moins vite en fonction de ce qu’il a accepté de ne pas lui infliger. À titre illustratif, il est frappant de constater que la différence d’endettement entre la France est l’Italie n’est qu’un simple transfert de la nécessité actuelle du Ponzi depuis les entreprises vers l’État, avec même une légère amélioration du niveau d’endettement global en faveur de l’Italie. Au mieux, le défaut permet de capter plus de monnaie qu’il n’en est nécessaire de réinjecter par recapitalisation, c’est-à-dire qu’il est une taxe alambiquée sur la finance et la rente. » (Jean-Baptiste BERSAC, Devises, l’irrésistible émergence de la monnaie, pp 326–7)
Je le suis et j’aboutis à la même conclusion que lui : il vaut mieux que l’État récupère la capacité d’émettre la monnaie et fasse de la création monétaire pure. Cela amènerait une dévaluation étalée dans le temps et une réduction progressive de la dette d’une manière beaucoup plus sereine.
Il y a cependant d’autre passages ou je suis encore réticent à le suivre, par exemple quand il considère dans une sorte de chartalisme radical que la dette publique est de la création de devise sous un autre nom, avec seulement l’ajout de deux mesures annexes :
– on offre un petit pourcentage aux financiers.
– on introduit par le mot de « dette » le sentiment moral dans le public qu’il doit payer l’impôt et se restreindre.
C’est raide, mais intéressant :
« En fait, la dette publique est si indispensable au fonctionnement du système monétaire ainsi conçu, qu’elle est un substitut parfait à la devise de la banque centrale, sauf que la dette publique rapporte des intérêts à ses détenteurs, contrairement aux simples devises. Cette équivalence est
à la fois niée par la vulgate libérale et très connue des banquiers centraux. Voici une confirmation par les experts de la Banque des Règlements Internationaux :
‘Le papier à court-terme du gouvernement joue quasiment le même rôle : il est généralement liquide, éligible comme collatéral pour les opérations de la banque centrale, sujet à très peu de risque de marché et a une proportion zéro de capital réglementaire. Cela en fait un substitut extrêmement proche aux réserves bancaires en terme de services de liquidité. La même chose vaut pour le papier à court-terme de la banque centrale. En fait, dans la mesure où le papier à court-terme paie des intérêts aux taux du marché, il peut facilement dominer les réserves bancaires, tout bien considéré.’
Aller jusqu’à affirmer que la dette publique centrale n’est que le déguisement de la devise en dette, c’est aller encore plus loin que ne sont prêts à le faire ces experts de la BRI, mais c’est pourtant ce qui se dégage de plus en plus à mesure que nous expliquons le système monétaire. Ce mécanisme tordu de dette publique ne présente aucun problème de financement, ni même de prix. Cependant, il présente un problème distributif, c’est à dire concernant non pas la présence ou l’absence de devises, mais à qui elle va. Un des effets de ce mécanisme est d’imposer sur chaque dépense de l’État une redevance financière : l’État n’a le droit d’émettre sa propre devise qu’en payant une commission aux financiers. Sans la moindre contrepartie autre pour la dette publique que de mimer
le fonctionnement de la dette d’un simple ménage. Même si ce dernier ne pourra jamais, vraiment jamais, emprunter à 10 ans à seulement 0,77 % d’intérêt alors qu’il est endetté à plus de deux fois la production nationale. Disons que lâcher le mot « dette » dans le débat public permet de faire appel à des notions nettement plus coercitives dans l’esprit des masses que le mot « argent » ou « devise » lorsqu’il s’agit de gérer le budget de l’État. Toutefois, même l’effet sur la distribution des dépenses de l’État est très limité. Les financiers se font une concurrence trop féroce pour que les intérêts versés par le trésor public soient très supérieurs aux intérêts versés à la banque centrale. Seul l’effet psychologique que la technique de la dette publique suggère si fortement est vraiment gênant : Ce serait les financiers qui financeraient l’État en sa propre devise et non l’État émetteur de sa devise qui financerait tout le monde dont les financiers. Avec cet effet psychologique, l’État est conduit à choisir de favoriser toujours davantage les financiers, de peur de perdre leur « financement », et à rationner toujours plus le reste de l’économie, de peur de « trop » s’endetter. » (op. cit. , pp 52–4)
Merci Ronald.
Intéressant le point sur l’écologie. Il faudrait se méfier des impôts pour sauver la planète, ce serait en fait plutôt des impôts pour sauver les voyages aux Seychelles des plus riches.
Pour la dette publique je donne ma vision mais je ne suis pas un expert, loin de là.
Je m’appuie sur le texte de Marc Lavoie « approche critique amicale du chartalisme ». Si on était dans de la création monétaire pure, on aurait lors d’un déficit à l’actif des banques commerciales une augmentation des réserves, et au passif une augmentation des dépôts des ménages.
Dans le système actuel on a une augmentation des bons du trésor à l’actif des banques commerciales lors des déficits. Ces bons du trésor pouvant être échangés contre des réserves auprès de la banque centrale en cas de besoin, on est dans un système proche de la création monétaire pure.
L’austérité est un mot dont on se sert pour faire comprendre à ceux qui n’ont pas beaucoup qu’on va encore en enlever un peu !
Mais que peut-on retirer de plus à qqu’un qui n’a déjà rien ?
Austère avait autrefois une connotation de rigueur religieuse qui correspondait pour les enfants nouvellement orphelins à un placement dans un établissement de cet acabit ! La grandeur , les murs , les odeurs , l’environnement et la hiérarchie donnait les frissons à marquer qqu’un pour longtemps , si ce n’est toute sa vie !
L’austérité créée par les riches est une façon de t’enlever le soleil dont on a besoin pour être épanoui !
En qques mots , leur guerre monétaire dont nous sommes absents nous condamne à la subir en spectateurs sans pouvoir intervenir !
Si l’argent est le problème , changer l’argent et notre manière de consommer ! Les laisser s’étriper gaiement .…
httpv://youtu.be/GwBndJzOwnk
Dans la haute antiquité ce sont deux ensembles principaux de pratiques qui sont mentionnés comme impliquant le tirage au sort. D’un côté des pratiques divinatoires et de l’autre le partage des biens notamment des héritages et des lots de terres gagnées dans les conquêtes. D’ailleurs comme Dumont l’a montré le terme grec de kleros désigne le sort mais aussi le lot ou l’apanage dans le cadre de règlements successoraux. Et cette étymologie se retrouve notamment dans le terme assez tardif de loterie ou dans l’anglais « selection by lot » : sélection aléatoire. Dans certains cas c’est à partir de ces deux ensembles de pratique que le tirage au sort s’est étendue par contagion au choix des dirigeants politiques. Pratiquement il y avait deux manières de tirer au sort. La première consistait à inscrire sur des tablettes appelé à rome « Sortes », des noms, des signes, des mots. Littéralement on tirait les sorts en extrayant ses tablettes à l’aveugle d’un récipient et l’étymologie du mot sort vient de là. On pouvait également à la place des tablettes employés des fèves la deuxième manière était de recourir aux dés ou aux osselets. Là encore l’étymologie l’atteste : l’aléa en latin est un jeu de dés. Pensez à la célèbre phrase de césar passant le Rubicon « les dés sont jetés (alea jacta est) ». Il tirait au sort. Le hasard vient de l’arabe « al-zahr » ce qui était un jeu de dés. La chance en italien « caso » vient du latin « cadencia », la façon dont tombaient les dés. Sous l’une ou l’autre de ces formes on a des témoignages de tirage au sort politique dans la haute antiquité grecque dans l’Iliade et l’odyssée par exemple. Mais il faut noter que jusqu’à l’invention de techniques spécifiquement politique pour tirer au sort c’est généralement par les « sortes » plutôt que par les dés que la méthode aléatoire a été utilisée en politique.
C’est cependant à l’âge classique et tout particulièrement à Athènes que le tirage au sort des charges publiques va devenir systématique et que son usage politique va s’émanciper radicalement de ses significations religieuses ou surnaturelles. Il y a de ce point de vue la rupture plutôt que continuité. Le recours à la sélection aléatoire se routinise alors. Et pour le permettre, les grecs inventent un instrument spécifique (dont il a été fait mention un instant par Pierre Rosanvallon) utilisé en politique : le kleroterion, littéralement une machine à tirer au sort. C’était une stèle de marbre de la hauteur d’un homme avec cinq colonnes munies de rainures dans lequel on pouvait insérer les tablettes sur lesquelles étaient inscrits les noms a tirer au sort. Le tirage au sort a été largement étudié, y compris dans ses murs je crois, et largement présenté. C’est pour ça que je me contenterai de le décrire brièvement. Au 5e et au 4e siècle av JC, le système athénien reposait sur trois piliers d’une part l’assemblée générale du peuple, « l’ecclesia » : 6 à 12⁄15 mille personnes réunies plusieurs dizaines de fois par an sur 30 à 40 mille citoyens libres. L’élection : 10% des magistrats étaient élus par tirage au sort mais c’étaient les magistratures les plus importantes et notamment les magistratures politico-militaires. Et le troisième pilier c’était le tirage au sort. Et celui-ci intervenait dans quatre dimensions au moins. D’une part c’est par tirage au sort que l’on sélectionnait 90% des magistratures. Deuxièmement c’est par tirage au sort que l’ on sélectionnait les membres du conseil, « la boulé », « les 500 » : une espèce d’approximation du parlement actuel. Troisièmement, la sélection des jurés populaires (qui étaient généralisés à Athènes) était faite à travers la sélection aléatoire. Et enfin le tirage au sort était utilisé pour des choses plus secondaires comme de choisir le président de séance, de répartir les rôles au sein des organes collégiaux, de préciser la rotation des responsabilités à l’intérieur des conseils.
Le tirage au sort ne prenait son sens que parce qu’il était couplé à une rotation rapide des tâches et à l’interdiction du cumul des mandats (on ne pouvait par exemple pas faire partie du conseil plus de deux fois dans sa vie) et également à la collégialité de toutes les magistratures. Comme l’a bien expliqué Jean-Pierre Vernant on avait avec la cité un pouvoir qui n’était plus concentré en un personnage unique au sommet de l’organisation sociale mais qui se trouvait en son centre vide, sans « mesone ». Et suivant un cycle réglé, la souveraineté passait d’un groupe à l’autre, d’un individu à l’autre de telle sorte que commander et obéir au lieu de s’opposer comme deux absolus devenaient deux termes inséparables d’un même rapport réversible. L’égalité est également affirmée dans le rapport entre les citoyens et leurs gouvernants. Ceux-ci sont considérés comme au service des gouvernés et non pas leurs maîtres. Et du coup le fait de les désigner par tirage au sort peut sembler plus logique. Le détour par la Grèce est salutaire car comme le dit l’historien Finley « il faut pour comprendre ce système politique aller au delà de l’équation démocratie = élection » qui nous semble à nous modernes aussi évidente. On comprend mieux pourquoi l’âge d’or de la cité athénienne et de la Grèce a correspondu avec un épanouissement maximal du tirage au sort en politique. Une vertu épistémologique du tirage au sort est bien résumée par Cléon, l’un des démagogues du 5e siècle, dans des propos rapportés par Thucydide. Je cite : « Allons-nous oublier que l’on tire meilleur parti d’une ignorance associée à une sage pondération, que d’une habileté jointe à un caractère capricieux. Et qu’en général les cités sont mieux gouvernées par les gens ordinaires que par les hommes d’esprit plus subtile. Ces derniers veulent paraître plus intelligents que les lois. Les gens ordinaires au contraire ne prétendent pas avoir plus de discernement que les lois, moins habiles à critiquer l’argumentation de l’orateur éloquent. Ils se laissent guider quand ils jugent des affaires par le sens commun et non par l’esprit de compétition. C’est ainsi que leur politique a généralement des effets heureux. »
L’une des meilleure explication en a été fournie par Guicciardini à l’époque de Machiavel lorsqu’il a reconstruit les débats du grand conseil florentin dans les années 1490. Une extraordinaire tirade du porte parole du parti populaire défendant le recours au tirage au sort la résume parfaitement. Je cite : « il convient que tous les citoyens participent aux honneurs et aux bénéfices que peut procurer cette république. S’ils n’étaient pas réparties de façon universelle ce serait comme si une partie de la cité dominait sans partage que l’autre était réduite en esclavage. Les tenants de l’élection affirment que celle-ci sélectionne pour les offices les personnes les plus choisis car il semble que ceux en faveur desquels se tourne le jugement d’un plus grand nombre aient davantage de mérites. Le problème naît simplement du fait qu’il y à une sorte d’hommes qui ont été favorisés au jeu de dés de la vie, qui ont raflé toute la mise et qui pensent que l’état leur appartient, parce qu’ils sont plus riches, qu’ils sont considérés comme plus nobles ou qu’ils ont hérité de la réputation de leur père et de leurs aïeux. Et nous qui avons été défavorisé au jeu de dés de la vie nous ne mériterions pas ces dignités. Pourtant nous sommes citoyens et membres du conseil comme eux et le fait d’avoir plus de bien, plus de parents renommés et d’avoir une meilleure fortune dans la vie ne fait pas qu’ils soient plus citoyens que nous ; quant à la question de savoir qui est le plus apte à gouverner, nous avons autant d’esprit et de sentiment qu’eux, nous avons une langue tout comme eux et si nous manquons peut-être par rapport à eux de désir et de passion, ce sont là des facteurs qui corrompent le jugement. »
Texte de Guicciardini à lire ici https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2009–4‑page-85.htm
Yves Sintomer est directeur-adjoint du département de science politique de l’université de Paris 8, chercheur au CRESSPA (CNRS) et chercheur associé à l’Institut de sociologie de l’université de Neuchâtel. Extrait de « Tirage au sort et politique : de l’autogouvernement républicain à la démocratie délibérative » http://www.college-de-france.fr/site/pierre-rosanvallon/seminar-2012–02-15–10h00.htm
A propos de la guerre des classes :
26 novembre 2006 :
Warren Buffett, troisième fortune mondiale, déclare au journal New-York Times :
« There’s class warfare, all right, Mr. Buffett said, but it’s my class, the rich class, that’s making war, and we’re winning. »
Traduction :
« La guerre des classes existe, c’est d’accord, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner. »
http://www.nytimes.com/2006/11/26/business/yourmoney/26every.html