Venezuela : comment NE PAS donner une information
Ángeles Diez Rodríguez
photo : Ángeles Diez Rodríguez, Docteure en Sciences Politiques et en Sociologie, professeure de l’Universidad Complutense de Madrid.
Le 30 juillet s’est produit un événement politique d’une portée historique considérable : un peuple internationalement assailli à l’extérieur et soumis à la violence paramilitaire à l’intérieur, est descendu dans la rue pour exprimer son double rejet de l’ingérence internationale et des aspirations des élites locales à reprendre le pouvoir.
Il y a moins de vingt ans, au siècle dernier, un événement d’une telle ampleur aurait figuré en première page de toute la presse d’information du monde. Les médias de masse, publics et privés, l’auraient relevé dans leurs gros titres, sans doute manipulateurs, mais ceux-ci auraient parlé du défi du peuple vénézuélien face aux menaces de l’impérialisme. Ils auraient montré des images, peu nombreuses, mais sans doute quelqu’une ou quelqu’autre de ces immenses files de vénézuéliens devant les bureaux de vote, comme ceux du Poliedro de Caracas, ou de ces gens marchant à travers les collines et traversant les rivières dans la région de Táchira ou de Mérida, où les bureaux de vote étant occupés par des guarimberos (casseurs) armés, il fallait se déplacer à la recherche de centres de secours où pouvoir voter, souvent sans y parvenir.
Les légendes des photos auraient sûrement détourné les images et proposé une lecture en accord avec le désespoir de l’opposition putchiste incapable d’accepter une défaite. Mais il y aurait eu une image, un commentaire, une toute petite information qui aurait parlé de la volonté majoritaire du peuple vénézuélien contre tout pronostic et tout calcul rationnel.
Tout journaliste digne de ce nom aurait voulu consigner, analyser, vérifier et même manipuler cet événement. Plus encore en des temps où les réseaux sociaux font circuler une infinité d’images qui comblent les vides des nouvelles qui en sont dépourvues. Là où les médias de masse cachent une image, les réseaux en mettent des centaines. Cependant, le 31 Juillet, l’information sur les élections vénézuéliennes pour l’Assemblée Constituante est passée sous silence dans les médias espagnols. C’est une autre information qui fut donnée à sa place.
La non nouvelle qui a supplanté l’événement vénézuélien, bâtie sur le modèle déjà existant (violence et chaos) était : nouvelle journée de violence au Venezuela. Tous les gros titres visaient, avec plus ou moins de qualificatifs, à façonner une image qui corresponde à la propagande distillée au cours des mois antérieurs. Puis ont éclos les spores disséminées par la non nouvelle, qui avaient déjà été diffusées par les agences impérialistes : auto-coup d’état, fraude, moins de votes que n’en déclare le gouvernement, opposants nouvellement arrêtés, isolement international…
L’événement d’une journée électorale qui a mobilisé des millions de vénézuéliens qui sont allés voter pour leurs candidats à la Constituante, fut trop incontestable pour être passé sous silence ; les flots du peuple vénézuélien trouvaient une infinité de fenêtres numériques par où s’écouler. De sorte que le système de propagande de guerre des médias de masse espagnols, si bien entretenu et huilé par les agences de presse étasuniennes, activa l’un de ses ressorts les plus subtils. Il n’affronta pas la nouvelle en la taisant, bien qu’il le fît également, il ne manipula pas des images comme il l’a réellement fait avec le frauduleux référendum de l’opposition du 16 Juillet (le journal El País dût rectifier une image du test électoral pour l’assemblée Constituante, sous laquelle figurait une légende affirmant que c’étaient des queues pour voter au référendum organisé par l’opposition). Dans ce cas, la technique de propagande médiatique majoritairement employée fit remplacer l’information qui faisait l’évènement par d’autres qui attireraient l’attention des audiences.
Les gros titres parlèrent de violence, dictature et condamnation internationale : “Lors d’une journée marquée par la tension, les manifestations, la réprobation internationale et la violence, les vénézuéliens ont voté pour choisir les membres de l’Assemblée Nationale Constituante » (CNN en espagnol) ; “Maduro concrétise un coup d’état contre lui-même au Venezuela au cours d’une journée électorale des plus violentes” (El País) ; “Condamnation internationale de l’usage disproportionné de la force au Venezuela. 10 personnes au moins sont mortes dans les manifestations pendant les élections à l’assemblée constituante que soutient Nicolás Maduro. (Télévision Espagnole).
Pas une seule image des quelques 14500 bureaux de vote où plus de 8 millions de vénézuéliens attendaient leur tour pour voter. Après les élections présidentielles de 2012 qui élirent Hugo Chávez, ce furent les élections qui mobilisèrent la plus large participation de masse. Toutefois, lorsque l’on consulte les archives photographiques du journal El País, on se trouve devant un étrange phénomène : sur 30 images sélectionnées par le quotidien, 7 sont celles d’explosions, de barricades et d’actes de violence, 2 montrent les opposants, 2 autres le président Maduro et le reste montre des vénézuéliens isolés en train de voter, l’urne en premier plan, des petits groupes regardant les listes ou assis, attendant pour voter ; il n’y a qu’une photo où l’on voit très loin des voitures et des personnes avec une légende qui parle de « files d’attente » pour voter. Le même manque d’images significatives fut constaté sur la Télévision Espagnole. C’est dire que, dans les médias espagnols de grande audience, les images, quand elles faisaient allusion à l’acte de voter, lançaient un message contraire à la réalité qui circulait sur les réseaux sociaux, elles disaient : peu de vénézuéliens sont allés voter. C’étaient des images soigneusement sélectionnées pour appuyer la version de l’opposition et ne pas donner l’information de l’appui massif à la Constituante donné par le peuple vénézuélien.
Dans ces temps des réseaux sociaux, où les hommes politiques ne font pas de déclaration, ils twittent, où la volatilité de l’information numérique prévaut sur le papier et où les télévisions copient les réseaux sociaux, les façons de mentir et de déformer sont de plus en plus complexes. Plutôt que de cacher une information, il est plus efficace d’en donner une autre différente, qui occupe la place de la réelle. Nous appellerons cela la « non information ».
Il semble, d’après les recherches du CIS (Centre d’investigations sociologiques) que ceci soit habituel dans les médias espagnols. Comme antécédents nous avons cette étude de Juin 2016 qui signalait que la Télévision Espagnole, alors que le chômage était toujours la première préoccupation des espagnols, lui avait consacré la moitié du temps qu’elle avait employé à parler de la crise politique au Venezuela (les journaux télévisés de ce mois-là consacrèrent 71 minutes à la situation du Venezuela face aux 31 qu’ils dédièrent au chômage dans notre pays) ou ce 7 avril de cette année, alors que tous les bulletins d’information du monde ouvraient sur le désarmement de l’ETA, la Télévision Espagnole parlait du Venezuela plutôt que du désarmement de l’ETA.
Cette technique de propagande de guerre qu’emploient les journaux d’information espagnols fait partie d’autres techniques mieux répertoriées comme : le deux poids deux mesures, prendre la partie pour le tout, les infos toxiques, la partialité des sources, l’occultation ou l’inversion cause/effet.
Dans le cas de l’information de substitution, la non information, elle, doit comporter certaines caractéristiques. En premier lieu, elle doit être crédible, c’est-à-dire qu’elle doit se situer dans la logique même de la matrice déjà établie ; dans le cas des élections à l’Assemblée Constituante cette matrice est : violence, coup d’état, chaos, urgence humanitaire.
De plus, elle doit avoir comme base un fait certain comme le feu mis à quelque bureau de vote, des barricades incendiées, un quelconque incident isolé. Ce fait, du point de vue de l’importance sociale, est anecdotique ou ne peut être généralisé si l’on prend en compte l’évolution des votes. Cependant, pour ne pas donner l’information importante ‑celle qui, elle, est généralisable quantitativement et qualitativement‑, il est fondamental de s’appuyer sur ce fait qui, entre les mains de la guerre médiatique, fonctionne, comme les attentats sous faux drapeaux ou attentats contre soi-même, (ceux qui sont commis pour rejeter la faute sur l’ennemi et justifier une intervention). Ainsi, lors de la journée d’élections vénézuélienne il y eut des incidents provoqués par l’opposition, un attentat contre la Garde Nationale Bolivarienne, des embuscades armées pour dissuader les votants et incendie de bureaux de vote. Mais si l’on prend la journée dans son ensemble, le fait notable a été l’attitude pacifique et la détermination des votants dans l’accomplissement de leur devoir électoral.
En troisième lieu, l’information de substitution doit être au rang du spectaculaire autant que l’information réelle, afin de retenir toute l’attention. La violence est toujours une information spectaculaire en soi, elle est capable de retenir l’attention et de reléguer tout autre fait. C’est pourquoi, même lorsque l’on ne dispose pas d’images de violence il faut que le journaliste apparaisse portant un gilet pare-balles, un masque à gaz et un casque, pour que notre cerveau prête foi aux actes de violence dont parle le reporter.
En quatrième lieu, elle doit être capable de concentrer l’attention de ceux qui sont critiques envers les médias de masse, afin que tout le potentiel de contre-information soit pointé vers la mise en cause du « messager » (les moyens de communication de masse). Nous, les intellectuels et analystes, nous nous focalisons sur la dénonciation de la manipulation des médias et nous laissons de côté la diffusion de l’information réelle, par exemple nous nous sommes concentrés sur la dénonciation de l’attentat contre la garde nationale bolivarienne, que les médias ont transformé en « répression contre Maduro » ou sur la dénonciation de la violence des paramilitaires de l’opposition qui sabotaient les élections, au lieu de parler des vénézuéliens élus pour réformer la Constitution, de leur origine sociale, de leur engagement envers leurs bases, des premières propositions pour la réforme de la Constitution, des problèmes d’impunité que souhaite résoudre la nouvelle carta magna … En théorie de la communication cela se comprend comme l’Agenda Setting, c’est-à-dire que ce sont les médias de masse qui imposent ce dont on parlera, qui fixent ce qui est important, ce qui ne doit apparaître dans aucun média, comment livrer l’information. L’agenda des médias de masse devient l’agenda de l’opinion publique.
Une autre non information de ces jours derniers a été « l’isolement international du Venezuela ». Aux Nations Unies, le Venezuela a obtenu le ferme appui de 57 pays qui, au sein du Conseil des Droits de l’Homme, approuvèrent une résolution de reconnaissance de la Constituante vénézuélienne et réclamèrent la non-ingérence. Parmi ces pays figuraient les plus peuplés au monde et quelques autres de grand poids international comme la Russie, la Chine, l’Iran, l’Inde ou le Pakistan.
La non information qui remplaça celle-ci fut « Les Etats-Unis et les principaux pays d’Amérique Latine condamnent la Constituante de Maduro (El País) » information également présente dans la majorité des médias espagnols le lendemain des élections.
Mais cette technique ne fonctionne que si l’on dispose du personnel spécialisé capable, presque spontanément, d’élaborer les non informations, capable de regarder ailleurs, bien équipé du déguisement du « reporter de guerre ». Ce sont les parajournalistes, et à la tête de la profession internationale se trouvent les espagnols, tant des médias de masse privés que des médias publics.
L’an dernier j’ai déjà défini ce que j’entends par parajournalistes : « Si l’on qualifie de paramilitaire celui qui est affilié à une organisation civile dotée d’une structure ou d’une discipline militaire, nous pouvons dire des parajournalistes qu’ils sont ces journalistes affiliés à des médias de masse qui suivent une discipline militaire, lançant des bombes informatives sur les objectifs définis par leurs entreprises ». Parmi ces derniers nous avons Marcos López et Nuria Ramos, correspondants de Télévision Espagnole, qui sans aucun doute méritent une mention spéciale pour leur mauvais travail journalistique, toujours prêts à se placer du côté de ceux qui jettent les bombes incendiaires sur la garde bolivarienne, capables de contredire sans difficulté les images que recueillent leurs propres appareils de photos, disposés à se faire les victimes –tout comme l’opposition- de la « répression du gouvernement bolivarien ».
La grande offensive contre le gouvernement du Venezuela de la part des médias de masse espagnols fait partie de la guerre mondiale contre tout processus qui ne se plie pas aux intérêts impérialistes. Nos parajournalistes jouent leur rôle comme membres de l’armée vassale. Ces jours derniers nous avons vérifié que la guerre médiatique contre le Venezuela est l’une des plus féroces que l’on connaisse, peut-être parce que l’escalade guerrière d’aujourd’hui est sans précédents, et qu’en réalité il n’existe pas différents types de guerre mais une seule qui revêt divers aspects. Si, comme dirait le Pape François, nous sommes face à une Troisième Guerre Mondiale dont nous ne voyons que des bribes, le Venezuela est aujourd’hui l’un des objectifs prioritaires pour l’empire. La difficulté vient de ce que, contrairement à ce que nous vendent les films de Hollywood, aujourd’hui la guerre ne se présente pas à nous sous la même forme qu’au siècle dernier, il nous est plus difficile de reconnaître son mode de déroulement et d’identifier ses nouveaux et ses anciens bataillons.
Cette guerre contre le Venezuela essaie de combattre les deux piliers sur lesquels repose la Révolution bolivarienne : la souveraineté nationale et l’utopie socialiste. Elle vise à miner l’image du Venezuela à l’extérieur pour contrebalancer deux des traits les plus caractéristiques de la révolution bolivarienne : la voie pacifique et démocratique pour transformer le pays et l’utilisation de ses ressources naturelles pour améliorer les conditions de vie socio-économiques de la population. C’est-à-dire, miner l’image d’un pays qui construit une alternative au Capitalisme. En ce sens, le Venezuela a également pris la relève de Cuba comme référent de lutte pour d’autres peuples. Tout comme Cuba, il est devenu le mauvais exemple.
D’où les missiles qui sont constamment lancés depuis les médias de masse afin d’éviter l’appui à la révolution bolivarienne : la violence et l’autoritarisme. Il s’agit là de deux torpilles qui traditionnellement sont pointées sur la ligne de flottaison de toute utopie socialiste.
Avec un pareil objectif, les moyens de communication et tout le système de propagande contre le Venezuela visent très spécialement le terrain des campagnes électorales et mettent en cause sa démocratie. Il ne faut pas oublier que les élections sont la condition de la démocratie pour les élites politiques mais, seulement si l’on peut garantir que les gens votent ce qu’il faut, c’est-à-dire, si, grâce à la guerre des moyens de communication, l’on parvient à convaincre la population de qui doivent être leurs gouvernants.
Les guerres ne sont pas l’affaire des gouvernements, ni des corporations, ni des moyens de communication, ni des peuples. Les guerres sont le résultat de tous et de chacun de ces éléments. Les gouvernements déclarent la guerre mais, avant, les peuples assument qu’elle « était inévitable », mais, avant, les corporations font leurs comptes et le bilan des coûts et profits, mais, avant, les moyens de communication créent les conditions pour qu’il n’y ait pas de résistance.
Mais tout n’est pas perdu : selon un rapport élaboré par l’Université d’Oxford en 2015 et publié par l’Institut Reuters pour l’étude du journalisme, sur les 11 pays européens étudiés, les moyens de communication espagnols sont les moins fiables. Au niveau mondial, quand sont étudiés les publics des Etats-Unis, Grande Bretagne, Allemagne, France, Espagne, Italie, Irlande, Danemark, Finlande, Brésil, Japon et Australie, seuls les moyens de communication étasuniens ont moins de crédibilité que les espagnols.
Ángeles Diez Rodríguez
Docteure en Sciences Politiques et en Sociologie, professeure de l’Universidad Complutense de Madrid.
Source : http://www.alainet.org/es/articulo/187357
Traduction : Michele ELICHIRIGOITY
»» https://venezuelainfos.wordpress.com/2017/08/19/venezuela-comment-ne‑p…
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Essayer de s’informer autrement !
Le peuple vénézuélien, maître de son destin
par Alex ANFRUNS
Au cours d’une journée électorale déstabilisée par l’opposition par des heurts, 8 millions de Vénézuéliens se sont exprimés par les urnes pour choisir les candidats à l’Assemblée Nationale Constituante. Avec un pourcentage de participation de 41 %, le peuple vénézuélien a exprimé sa volonté de résoudre les problèmes que traverse le pays par la voie démocratique et pacifique. Il y a eu certes quelques foyers de violence, comme à Tachira et Mérida à l’Ouest du pays ou dans le quartier Altamira de Caracas, mais les menaces et les intimidations de l’opposition n’ont pas empêché de larges couches de la population d’aller voter.
La journée de ce dimanche 30 juillet 2017 peut être considérée comme étant historique à plusieurs égards : d’abord, en raison du contexte particulier où ces élections ont eu lieu. C’est pour faire face au refus du dialogue de l’opposition et à son appel au chaos dans la rue, que le président Nicolas Maduro a annoncé, lors du 1er mai, que seule la participation du peuple vénézuelien dans sa diversité à travers un processus constituant pourrait garantir la paix sociale. La source de légitimité de cette Constituante serait le pouvoir originaire, c’est-à-dire le peuple souverain. Par conséquent, son caractère devait lui ressembler : “la Constituante sera citadine, ouvrière, communale, estudiantine, juvénile, féministe et indienne. Mais surtout elle sera profondément ouvrière et communale !”
En fait, ces élections répondent à la volonté de surmonter les difficultés de l’impasse entre l’opposition et le gouvernement d’une façon démocratique. Ce qui apparemment n’est pas au goût de tout le monde : pendant des semaines, les attaques venant de tous bords n’ont pas cessé, se centrant sur les détails de la procédure plutôt que sur le but de cette initiative qui n’est autre que la paix. Combien de personnes naissent et meurent aux quatre coins du monde en caressant le rêve de participer à la construction et à l’avenir de leur pays à travers un processus constituant ?
On comprend difficilement l’attitude de l’opposition du MUD (Table d’Unité Démocratique), qui a fermé la porte à tout dialogue depuis le mois de janvier. Et en avril, la MUD a lancé ses partisans vers une impasse, avec des manifestations violentes marquées par des lynchages contre de supposés chavistes ayant entraîné leur mort (une vingtaine de personnes brûlées vives), l’assassinat de deux candidats à l’ANC (José Luis Rivas Aranguren et José Pineda), de nombreuses morts d’innocents à cause des barricades et des saccages, l’incendie de cinq mille commerces et de 51 autobus, l’attaque d’un hôpital maternel et enfin la destruction des machines électroniques électorales. Pendant ce temps-là, les appels de l’opposition à bloquer complètement le pays (“trancazo”) se sont intensifiés, dans le but de rendre “ingouvernable” le pays, s’approchant de l’”heure zéro”. Est-ce une attitude pacifique ?
A quoi, il faut ajouter la peur inoculée par les médias internationaux pro-opposition, les menaces de sanctions de la part de Donald Trump, les multiples déclarations contre l’Assemblée Constituante des présidents soumis à l’agenda US (Espagne, Colombie, Mexique). Avec un contexte international tellement favorable à ses intérêts, l’opposition a même annoncé la création d’un “gouvernement alternatif”! La destruction de plusieurs tonnes d’aliments pour semer le mécontentement chez la population prouve qu’il s’agit d’un conflit entre deux classes sociales : c’est la révolte des riches !
L’opposition a appelé à ne pas voter. Et pourtant, 8 millions de Vénézuéliens se sont déplacés aux urnes malgré un contexte de violence ce qui témoigne d’un niveau de confiance et un enthousiasme populaire important. Et si l’on considère qu’une partie des vénézuéliens ont suivi les consignes de l’opposition, cela signifie que l’initiative du gouvernement a récolté presque 3 millions d’électeurs supplémentaires par rapport aux élections législatives de 2015. Pour eux, l’Assemblée Constituante est perçue comme une chance pour le pays. Tandis que les nouveaux gouvernements de droite dans la région se sont donné pour mission de démanteler les services publics (le budget de l’Etat brésilien a été gelé pour les 20 prochaines années) le peuple vénézuélien a la possibilité d’inscrire le droit à la santé, à l’alimentation, au logement ou à la culture dans la nouvelle Constitution. Des droits en partie conquis grâce aux 18 dernières années de révolution bolivarienne.
Après avoir défendu en 2016 la nécessité de tourner la page de la Constitution bolivarienne, l’opposition vénézuelienne est tombée une nouvelle fois dans le piège de ses propres contradictions en annonçant le sabotage des élections. La veille, Leopoldo Lopez et Henrique Capriles, ses têtes visibles, ont renouvelé les appels aux blocages de rue, au risque de perturber l’ordre public et de provoquer des violences tragiques. Ce qui ne tarda pas à se produire : un candidat aux élections et un membre de l’opposition furent assassinés avant que le soleil se lève. Plus tard dans la journée, une artefact explosif prit pour cible le cortège des policiers motorisés, provoquant un blessé. Une image qui sera utilisée par de nombreux médias internationaux pour noircir et délégitimer la journée électorale, allant jusqu”à déformer les faits et nier leur caractère criminel.
Finalement, les actions illégales contre les élections ont été marginales, bien que significatives. Les uns ont scellé les bureaux de vote avec le message : “danger ne pas traverser”, tandis que les autres y ont mis le feu. Face au climat menaçant qui régnait dans les quartiers contrôlés par la droite et à l’impossibilité physique de voter dans leur bureau de vote, le Conseil National Electoral (CNE) a mis à la disposition des citoyens un grand stade, “le Poliedro” de Caracas. Comme à chaque processus électoral, les forces armées nationales se sont déployées pour assurer la sécurité dans tout le pays. C’est ce qui a sans doute permis de calmer les groupes violents de l’opposition, même si à Altamira ils ont réussi à tendre une embuscade contre les forces de l’ordre.
Mais ces événements isolés n’expliquent rien sur le fond, si ce n’est le nouvel échec de l’opposition. Ses efforts en 2016 se sont concentrés à délégitimer les institutions du pays, comme la Cour Suprême de Justice et le Conseil National Electoral, en les accusant de ne pas être impartiaux. Or, au Venezuela, il y a 5 pouvoirs indépendants : le pouvoir éxécutif, judiciaire, législatif, électoral et citoyen. Le système électoral vénézuélien (CNE) a été reconnu pour son efficacité et sa transparence par de nombreux organismes internationaux. L’ancien président des Etats-Unis Jimmy Carter, l’a même qualifié du “meilleur système électoral au monde”.
L’expérience de la démocratie participative au Venezuela trouve peu d’équivalents dans le monde. Une vraie culture de débat politique s’y est accumulée. Et, contrairement à l’image de “dictature” que les médias internationaux essaient de disséminer, le gouvernement a essuyé deux défaites, qui furent inmédiatement reconnues : une lors d’un référendum constitutionnel en 2007, et l’autre lors des élections législatives en décembre de 2015. On ne peut pas dire la même chose de l’opposition, qui dénonce la “fraude” à chaque fois qu’elle est vaincue dans des élections. En essayant de saboter les élections pour l’Assemblée Constituante, elle s’est déconnectée des aspirations de la population.
Source : Le Journal de Notre Amérique, août 2017
Signalée par Investig’Action- Michel Collon (indispensable source d’information populaire) :
http://www.investigaction.net/fr/le-peuple-venezuelien-maitre-de-son-destin/
Quelle forme aurait une intervention militaire nord-américaine au Venezuela ? (Hasta el Nocau)
Marco TERUGGI
Les États-Unis jouent plusieurs cartes simultanément. Ils parient sur l’une ou l’autre selon l’évolution du scénario, en fonction du résultat du jeu. Ils n’en écartent aucune, même celle qui pourrait sembler la plus lointaine : l’intervention militaire. Donald Trump lui-même s’est chargé de l’annoncer, personnellement et en direct pour le monde entier. La question serait : pourquoi en cet instant du conflit ?
Les élections du 30 juillet ont porté un coup à l’accumulation de force insurrectionnelle par la droite. Il s’est agi d’une égalisation du chavisme, d’une reprise d’initiative, comme un boxeur dans les cordes qui rebondit en portant un direct à son adversaire et restabilise le combat. Avec un avantage évident : la subjectivité. Celui qui sentait qu’il allait gagner s’est retrouvé déconcerté, démoralisé. La droite se voyait déjà – du moins sa base y croyait – en train de prendre le pouvoir, dans un déploiement qui semblait ne pas avoir de limite. Il n’a fallu que deux semaines pour qu’elle perde la rue, l’initiative, le discours, l’épopée : les militants de base accusent les leaders de la Table de l’Unité Démocratique d’être des traîtres et des lâches.
La conclusion du résultat est que la droite n’a pas de corrélation de forces – et ne semble pas non plus en condition de la construire – à l’intérieur du Venezuela pour sortir le gouvernement par la force. Pire encore : ce qu’elle annonçait comme une victoire assurée quel que soit le scénario électoral ne l’est plus. Il est difficile de savoir qui gagnera les élections des gouverneurs qui auront lieu en octobre. Les chants de victoire qu’annonçait déjà la droite ne fonctionnent plus. La défaite a un « effet domino ».
Avec ce scénario, les autres cartes, prévues à l’avance, ont commencé à bouger. D’un côté, et toujours comme transversale et permanente, la carte économique : les attaques se sont accentuées sur la monnaie et les prix. D’un autre côté, publiquement, les annonces de participation électorale : presque toute l’opposition a fini par inscrire ses candidatures. Enfin, en même temps que la carte de la violence souterraine, la carte internationale, liée à la précédente, l’économique et la diplomatique. Un mot résume cette stratégie : intégralité.
La carte souterraine
Un bras armé de la droite, toujours – apparemment – à l’état de germination est en construction. On l’a vu agir depuis le début de l’escalade du mois d’avril. D’un côté, les actions paramilitaires dans plusieurs lieux du pays, avec des attaques de casernes militaires, de commissariats, de corps de sécurité de l’État, de contrôles du territoire, de commerce et de transport. D’un autre côté, et connectés, le développement de groupes de choc qui, au fil des mois, par exemple, à Caracas, ont montré une transformation de l’esthétique, des méthodes, de l’organisation et de la capacité. Entre les premiers encapuchonnés de début avril et les « écuyers » de juin/juillet, une évolution a eu lieu. Où sont ces groupes maintenant que les rues sont calmes ?
A leur tour se sont multipliées les vidéos sur les réseaux de groupes armés, qui, avec des capuches, des armes longues et une esthétique militaire, ont annoncé être préparés pour la confrontation militaire. Leurs objectifs sont, répètent-ils, doubles : tant le gouvernement que les organisations du chavisme.
Ces groupes ont essayé de créer des héros : le premier, Oscar Pérez, qui a lancé les grenades sur le Tribunal Suprême de Justice, et ensuite apparu interviewé sur les écrans. Le second, Juan Caguaripano, qui s’est attribué la direction de l’assaut de la caserne de Fuerte Paramacay où ont été volées plus de cent armes, et qui a été arrêté le vendredi soir. L’objectif semblerait être la création de mythes, de figures qui puissent rassembler et servir de référents à une droite en panne de dirigeant visible. Sous la table certes, elle a des dirigeants : des secteurs nord-américains, ceux-là mêmes qui ont planifié l’escalade insurrectionnelle, et qui battent les cartes avec de manière subordonnée, la droite vénézuélienne, comme Voluntad Popular.
Cette force semble en processus de développement. Elle a mené des essais, suivi des entraînements. Elle essaie d’émerger, de se structurer et de se consolider, maintenant que la perte de la rue par la droite est impossible à cacher.
La carte internationale
C’est celle qui est devenue la plus forte après le 30 juin. Les Etats-Unis ont déployé un éventail de mesures contre le Venezuela, depuis les sanctions économiques, les blocus financiers, les tentatives de sièges et isolements diplomatiques, jusqu’à l’annonce récente par Donald Trump de la possibilité de l’intervention militaire. Remettre l’initiative dans les mains du front international met en évidence la dépendance et l’incapacité de l’opposition au niveau national. Là, comme dans la stratégie générale, ils jouent de toutes les cartes simultanément. Ils mesurent, préparent, évaluent les possibilités pour les discours : les conditions dans le continent ne sont pas les mêmes qu’au Moyen-Orient, en termes militaires, diplomatiques, politiques. Elles ne le sont pas non plus en géopolitique globale.
Ainsi le vice-président des Etats-Unis, Mike Pence, lors de sa conférence de presse de dimanche, après s’être réuni avec le président de Colombie, Juan Manuel Santos, a affirmé que les sanctions seraient économiques et diplomatiques. Il a écarté publiquement la possible intervention militaire qui avait été annoncée par le président états-unien. Cela pourrait s’expliquer par le rejet manifesté par Santos – allié-clef dans le conflit contre le Venezuela – d’une voie militaire, après avoir évalué qu’il n’existe pas de consensus en Amérique Latine pour poser une preuve frontale d’impérialisme disparue depuis des années. Et parce que pour intervenir militairement il n’est pas nécessaire d’annoncer qu’on le fera – ils le font déjà, de fait, à travers l’élaboration d’actions et de financement, direct ou indirect, des groupes armés de la droite.
Pour imaginer l’hypothèse de l’intervention militaire il faut se débarrasser de l’image d’un débarquement de soldats mâchant du chewing-gum, avec l’emblème des Etats-Unis sur le front. Ils n’offriront pas l’a preuve de l’action : la guerre sur chacun de leurs fronts a été posée ainsi. Il semble plus adroit de chercher dans des formes souterraines, comme le déclenchement d’actions qui serviraient de prétextes, des attaques depuis d’autres frontières avec le Venezuela, avec d’autres identités. C’est là que rentre par exemple la connexion avec la tentative de développement d’un bras armé qui pourrait avoir un nom, une direction publique, et se déployer avec une puissance de feu dans certaines zones. La tactique se construirait en fonction du développement de cette structure, sa capacité ou non à avancer et construire un pouvoir. Pour l’instant ce n’est qu’en germe.
Toutes les cartes sont sur la table. Le cours des événements indiquera lesquelles prendront le plus de poids et lesquelles seront écartées. La décision et le rôle des États-Unis est claire, ils posent des temps, des tactiques, ils déploient une force que la droite n’a pas au niveau national. Les élections régionales d’octobre seront des élections-clé : un bon résultat du chavisme enlèverait du poids au secteur de la droite vénézuélienne qui parie sur la résolution électorale. Cela renforcerait la thèse qu’on ne peut sortir le chavisme du gouvernement que par la force, par un bras armé, articulé avec une intervention plus grande venant d’une autre frontière, comme la Colombie ou le Brésil.
Marco Teruggi
Source : Le Grand Soir, https://www.legrandsoir.info/quelle-forme-aurait-une-intervention-militaire-nord-americaine-au-venezuela-hasta-el-nocau.html
Bonjour,
On nous dit un peu partout que le Venezuela est en crise depuis que le prix du petrole a baissé, mais pourquoi a t‑il baissé, alors qu’il devrait plutot augmenter étant donné sa raréfaction a terme ? Il a donc baissé de façon artificielle et choisie par qui OPEP, US ? pourquoi le Venezuela a t‑il accepté cette baisse si elle allait mettre le pays en crise ? quels liens y a t‑il avec la production de petrole américain ?
merci pour les réponses éventuelles
Le pétrole est le principal revenu externe du Venezuela, le pays obtient des dollars à la place. Il y a aussi les emprunts en dollars (ou autres monnaies, euro, rouble, yen,…). Toutes ces monnaies étrangères leur permettent d’acheter des biens qui sont produits hors du Venezuela (car ils n’en ont pas la technologie ou l’industrie).
Le Venezuela tout seul n’a pas (ou peu) d’influence sur le prix du pétrole, mais bien l’ensemble des producteurs. S’il y a des accords tacites pour maintenir des prix bas, cela permet de faire tomber certains producteurs fragiles (comme le Venezuela pour l’instant). « Fragile » car attaqué de toutes parts par l’Occident : embargos externes et paralysie interne de l’économie et la politique. Les USA viennent encore de décider de nouvelles sanctions : « La Maison Blanche a imposé vendredi de nouvelles sanctions au Venezuela visant à restreindre l’accès du régime de Nicolas Maduro aux capitaux étrangers dont il a un besoin crucial. /AFP »
Le Venezuela est isolé par tous les moyens comme l’a été Cuba, comme on pourrait l’imaginer d’une cellule cancéreuse dont on vise la mort.