History Channel révèle enfin l’incroyable histoire secrète de la « guerre contre la drogue », par Jon Schwarz (source : les​-crises​.fr)

27/07/2017 | 5 commentaires

Encore un bon papier, tra­duit par l’in­dis­pen­sable (et quo­ti­dien) les​-crises​.fr :

History Channel révèle enfin l’incroyable histoire secrète de la « guerre contre la drogue », par Jon Schwarz

Pho­to : Avec l’aimable auto­ri­sa­tion de HISTORY

CHUCK GRASSLEY, un séna­teur répu­bli­cain de l’Iowa, est connu sur Twit­ter pour expri­mer son désir de voir His­to­ry Chan­nel mon­trer enfin un peu d’Histoire. Voi­ci deux de ses nom­breux tweets sur ce sujet :


J’adore l’Histoire. Donc de temps en temps je zappe sur His­to­ry Chan­nel. Quand vont-ils remettre de l’histoire sur cette chaîne, ces tanches ?

— Chuck­Grass­ley (@ChuckGrassley) Februa­ry 26, 2012


De temps en temps je zappe sur His­to­ry Chan­nel en espé­rant voir de l’Histoire. Quand est-ce que His­to­ry Chan­nel aura une bonne grille d’Histoire, à l’ancienne ?

— Chuck­Grass­ley (@ChuckGrassley) Janua­ry 7, 2012

La bonne nou­velle pour Grass­ley, et pour tout le monde, c’est que de dimanche soir à mer­cre­di, His­to­ry Chan­nel dif­fuse une nou­velle série en quatre par­ties inti­tu­lée « La guerre de l’Amérique contre la drogue ». Non seule­ment c’est une contri­bu­tion impor­tante à l’histoire récente amé­ri­caine, mais c’est aus­si la pre­mière fois que la télé­vi­sion US a révé­lé le fond de la véri­té sur l’un des plus impor­tants pro­blèmes des cin­quante der­nières années.

Le fond de la véri­té est : la guerre contre la drogue a tou­jours été une pure comé­die. Depuis des décen­nies le gou­ver­ne­ment fédé­ral s’est lan­cé dans une série d’alliances de com­mo­di­té avec quelques-uns des plus grands car­tels de la drogue dans le monde. Le taux d’incarcération amé­ri­cain a quin­tu­plé depuis la pre­mière décla­ra­tion de guerre à la drogue faite par le pré­sident Richard Nixon en 1971, mais les plus gros dea­lers ont dans le même temps pro­fi­té de la pro­tec­tion des plus hautes ins­tances du pou­voir en Amérique.

D’un côté, cela ne devrait pas être sur­pre­nant. La docu­men­ta­tion volu­mi­neuse de cette réa­li­té dans des dizaines de livres est acces­sible à n’importe qui de curieux pos­sé­dant une carte de bibliothèque

Pour­tant d’une cer­taine façon, bien que les États-Unis n’aient pas de sys­tème for­mel de cen­sure, ce scan­dale monu­men­tal n’a jamais été pré­sen­té de manière com­plète là où la plu­part des Amé­ri­cains vont s’informer : à la télévision.

C’est pour­quoi la série « La guerre de l’Amérique contre la drogue » est un véri­table tour­nant. Nous avons vu récem­ment com­ment des idées qui sem­blaient à un moment tota­le­ment ridi­cules et tabous – par exemple, que l’Église catho­lique ait consciem­ment pro­té­gé des prêtres ayant abu­sé sexuel­le­ment d’enfants, ou que Bill Cos­by n’ait pas été le meilleur choix pour America’s Dad – pou­vaient après des années de silence se his­ser dans la conscience popu­laire et être sui­vies de consé­quences pré­cises et réelles. La série pour­rait être un élé­ment déci­sif pour que la même chose se pro­duise pour l’une des plus cyniques et cruelles poli­tiques de l’histoire des États-Unis.

Un por­trait de l’ancien baron de la drogue Rick Ross dans le docu­men­taire de His­to­ry Chan­nel « America’s War on Drugs ». Pho­to : Avec la cour­toi­sie de History

La série, dont les pro­duc­teurs exé­cu­tifs sont Julian P. Hobbs, Elli Haka­mi et Antho­ny Lap­pé, est un docu­men­taire TV stan­dard, com­bi­nant des inter­views, des images d’archives et des recons­ti­tu­tions dra­ma­tiques. Ce qui n’est pas stan­dard en revanche, c’est l’histoire racon­tée face à la camé­ra par d’anciens agents de la Drug Enfor­ce­ment Admi­nis­tra­tion ain­si que par des jour­na­listes et des tra­fi­quants de drogue en per­sonne. (Un des repor­ters est Ryan Grim, le chef du bureau de l’Intercept à Washing­ton et auteur de « This Is Your Coun­try on Drugs : The Secret His­to­ry of Get­ting High in Ame­ri­ca ». « C’est ton pays au sujet de  la drogue : L’histoire Secrète pour se défon­cer en Amérique ».)

Il n’y a pas de ronds-de-jambe alam­bi­qués pour expli­quer ce qui s’est pas­sé. Le pre­mier épi­sode com­mence avec la voix de Lind­say Moran, un ancien offi­cier clan­des­tin de la CIA, décla­rant : « L’agence était impli­quée jusqu’au cou avec les tra­fi­quants de drogues ».

Richard Strat­ton, tra­fi­quant de mari­jua­na deve­nu écri­vain et pro­duc­teur de télé­vi­sion, explique alors : « La plu­part des Amé­ri­cains seraient pro­fon­dé­ment cho­qués s’ils connais­saient la pro­fon­deur de l’implication pas­sée de la CIA dans le tra­fic inter­na­tio­nal de la drogue ».

Ensuite, le pro­fes­seur de l’université de New York Chris­tian Paren­ti raconte aux télé­spec­ta­teurs : « Depuis son ori­gine la CIA col­la­bore avec les mafias impli­quées dans le tra­fic de drogue dans le but que ces mafias servent l’objectif plus large de la lutte contre le communisme ».

Pen­dant les huit heures sui­vantes, la série plonge à toute vitesse dans l’histoire des plus grands suc­cès du par­te­na­riat du gou­ver­ne­ment amé­ri­cain avec les tra­fi­quants d’héroïne, d’hallucinogènes et de cocaïne. Que ces plus gros suc­cès puissent rem­plir la majeure par­tie de quatre épi­sodes de deux heures montre à quel point l’histoire est extra­or­di­nai­re­ment pro­fonde et hideuse.

Tout d’abord, nous appre­nons que la CIA tra­vaillait avec le chef de la mafia de Flo­ride, San­to Traf­fi­cante Jr., au début des années 60. La CIA vou­lait la mort de Fidel Cas­tro et, en échange de l’aide de Traf­fi­cante dans divers pro­jets d’assassinat, était prête à fer­mer les yeux sur ses tra­fics de drogue exten­sifs et ceux de ses alliés exi­lés cubains.

Ensuite, il y a le récit extrê­me­ment curieux de la manière dont la CIA a impor­té de grandes quan­ti­tés de LSD de son pro­duc­teur suisse, dans l’espoir qu’il pour­rait être uti­li­sé pour contrô­ler men­ta­le­ment des gens. Au contraire, en appro­vi­sion­nant des mil­liers de jeunes volon­taires comme Ken Kesey, Whi­tey Bul­ger et le paro­lier des Gra­te­ful Dead, Robert Hun­ter, l’agence a acci­den­tel­le­ment contri­bué à popu­la­ri­ser l’acide et à géné­rer la contre-culture psy­ché­dé­lique des années 60.

Pen­dant la guerre du Viet­nam, les États-Unis se sont alliés avec les forces anti­com­mu­nistes du Laos, qui ont mis à pro­fit notre sou­tien pour deve­nir par­mi les plus gros pour­voyeurs d’opium de la pla­nète. Air Ame­ri­ca, une cou­ver­ture de la CIA, appor­tait des four­ni­tures pour les gué­rillas du Laos et repar­tait avec de la drogue, tout cela avec la par­faite connais­sance et pro­tec­tion des agents américains.

La même dyna­mique s’est déve­lop­pée dans les années 80, quand l’administration de Rea­gan a essayé de ren­ver­ser le gou­ver­ne­ment san­di­niste du Nica­ra­gua. Les avions qui appor­taient secrè­te­ment des armes aux contras rap­por­taient au retour de la cocaïne aux États-Unis, à nou­veau sous la pro­tec­tion des forces de l’ordre amé­ri­caines par la CIA.

Plus récem­ment, nous trou­vons notre guerre de seize ans en Afgha­nis­tan. Bien que moins de choses soient révé­lées sur les machi­na­tions de la CIA là-bas, il est dif­fi­cile de ne pas noter que nous avons ins­tal­lé Hamid Kar­zai comme pré­sident alors que son frère était sur les listes de paie de la CIA et simul­ta­né­ment, l’un des plus gros tra­fi­quants d’opium du pays. L’Afghanistan actuel­le­ment four­nit envi­ron 90% de l’héroïne mondiale.

À son cré­dit, la série explique que cela ne fait pas par­tie d’un plan secret du gou­ver­ne­ment pour trans­for­mer les Amé­ri­cains en toxi­co­manes. Mais, comme l’exprime Moran : « Quand la CIA se foca­lise sur une mis­sion, sur un but par­ti­cu­lier, ils ne vont pas s’asseoir et pon­ti­fier sur « les pos­sibles consé­quences glo­bales à long terme de leurs actions ». Gagner leurs guerres secrètes a tou­jours été leur pre­mière prio­ri­té, et si cela requiert une coopé­ra­tion avec des car­tels de la drogue qui inondent les États-Unis de leur pro­duc­tion, qu’il en soit ain­si ». « Beau­coup de ces pra­tiques qui remontent aux années 60 deviennent cycliques », ajoute Moran. « Ces rela­tions se déve­loppent encore et tou­jours pen­dant qu’on mène la guerre contre la drogue ».

Ce qui rend l’histoire tel­le­ment gro­tesque, c’est le degré d’hypocrisie effa­rant du gou­ver­ne­ment. C’est comme si Donald Trump décla­rait la guerre aux pro­mo­teurs immo­bi­liers et rem­plis­sait les pri­sons de gens louant occa­sion­nel­le­ment leur chambre sur Airbnb.

Cela nous ramène à Charles Grass­ley. Grass­ley est main­te­nant pré­sident du comi­té judi­ciaire du Sénat, un com­bat­tant enga­gé de longue date contre la drogue et – pen­dant les années 80 – un sou­tien des contras.

Pour­tant, même Grass­ley semble réa­li­ser qu’il y a peut-être eu quelques failles dans la guerre contre la drogue depuis le début. Il a récem­ment co-par­rai­né une loi pour réduire les peines mini­males pour les infrac­tions liées à la drogue.

Main­te­nant que His­to­ry Chan­nel comble les sou­haits de Grass­ley et dif­fuse cette his­toire extrê­me­ment impor­tante, il nous revient de nous assu­rer que lui et ceux qui sont comme lui, s’asseyent et la regardent. Le simple fait que cette série existe montre que nous sommes à un point de bas­cu­le­ment de ces men­songes catas­tro­phiques éhon­tés. Nous devons pous­ser suf­fi­sam­ment fort pour les mettre à terre.

Pho­to ci-des­sus : un plan fixe tiré du docu­men­taire de His­to­ry Chan­nel « America’s War on Drugs ».

Source : The Inter­cept, Jon Schwartz, 18-06-2017

Tra­duit par les lec­teurs du site www​.les​-crises​.fr. Tra­duc­tion libre­ment repro­duc­tible en inté­gra­li­té, en citant la source.


Mon com­men­taire :

C’est impor­tant, cette nou­velle contre-his­toire vue à la télé, mais n’ou­bliez pas qu’elle ne révèle qu’UNE CONSÉQUENCE, dont vous seriez bien ins­pi­rés de cher­cher (et de faire connaître) LA CAUSE première.

Un bon com­men­taire, lu chez Olivier :
Dans 50 ans on aura droit à un docu­men­taire : ” la véri­té sur la lutte contre le terrorisme ” …

Je ren­ché­ris : Et sur « la lutte contre l’in­fla­tion », et sur « l’u­ti­li­té éco­no­mique des ‘inves­tis­seurs’ « , et sur « l’au­to­ré­gu­la­tion des mar­chés », et sur « la lutte contre le chômage »…

- Tout pou­voir va jus­qu’à ce qu’il trouve une limite (Mon­tes­quieu).
– QUI fixe les limites ?
– Ce n’est pas aux hommes au pou­voir d’é­crire les règles du pouvoir.

#pas­de­dé­mo­cra­tie­sans­ci­toyens­cons­ti­tuants

Étienne.

 

Fil Face­book cor­res­pon­dant à ce billet :

Pour m'aider et m'encourager à continuer, il est désormais possible de faire un don.
Un grand merci aux donatrices et donateurs : par ce geste, vous permettez à de beaux projets de voir le jour, pour notre cause commune.
Étienne

Catégorie(s) de l'article :

5 Commentaires

  1. etienne

    MILLE FOIS PLUS ÉNORME QUE LE WATERGATE
    ET POURTANT PASSÉ SOUS LE RADAR…

    Webb_01 : « Secret d’État », le film de Michael Cues­ta, raconte l’histoire vraie de Gary Webb. Le jour­na­liste qui a prou­vé les liens entre la CIA et les car­tels de la cocaïne à l’époque de Rea­gan. Tel­le­ment énorme que ça res­semble à une théo­rie de la conspi­ra­tion comme inter­net les aiment tant. Et pour­tant, tout est vrai. Il faut aller voir ce film avant qu’il ne dis­pa­raisse des écrans.

    J’avais ren­con­tré Gary Webb, alors que l’énormité de son scoop avait com­men­cé de le broyer.

    Inexo­ra­ble­ment. Jusqu’au 12 décembre 2004. Un peu avant Noël.

    Webb_02 : L’homme était seul dans sa petite mai­son de la ban­lieue de Sacra­men­to, en Cali­for­nie. Il venait de la vendre. Le len­de­main matin, il devait la quit­ter. Il n’avait plus les moyens de payer les traites. Ce qui res­tait de sa vie, ses sou­ve­nirs, tenait en quelques car­tons. Ce jour là, il n’a pas eu la force de s’en aller. Pas le cou­rage de conti­nuer. Il a écrit deux lettres. L’une à sa femme dont il était divor­cé : « Je n’arrive plus à écrire. Je suis rui­né. Je ne peux même pas vous aider à sub­ve­nir à vos besoins… C’est fini. Trop de souf­france. » L’autre à ses deux fils : « Soyez fidèles à la véri­té. Com­bat­tez la bigo­te­rie et l’hypocrisie. » Ensuite, il a posé une note sur la porte d’entrée, pour les démé­na­geurs : « Ne ren­trez pas, s’il vous plait. Pré­ve­nez la police. » Puis il a pris le vieux pis­to­let de son père qui était dans le tiroir de sa table de che­vet et il s’est tiré une balle dans la tête.

    Gary Webb avait 49 ans. C’était l’un des meilleurs jour­na­listes d’investigation de sa géné­ra­tion. Il avait quit­té son jour­nal, le San José Mer­cu­ry News, cinq ans aupa­ra­vant et n’avait plus retrou­vé de tra­vail sérieux depuis. Dépres­sif après son divorce, il a déci­dé de mettre fin à ses jours. Huit ans aupa­ra­vant, il avait mis le doigt sur une affaire où la rai­son d’état se mêlait à un réseau cri­mi­nel. Gary Webb allait se cogner à une machine tout entière dédiée à éteindre l’incendie qu’il avait allu­mé. Son scoop fini­ra par mettre fin à sa car­rière, puis à sa vie.

    Webb_03 : Quand je ren­contre Gary Webb, en 1997, son jour­nal a déjà com­men­cé à le lâcher. Ren­co­gné dans son petit bureau, il est sur­veillé par une assis­tante, aga­cée de voir des jour­na­listes euro­péens s’intéresser à son his­toire. Webb dis­si­mu­lait un regard fixe, étran­ge­ment impas­sible, sous une grande mèche blonde. Il habi­tait un pavillon clo­né dans un ensemble rési­den­tiel de Sacra­men­to. Sa femme Susan, ren­con­trée au col­lège, l’avait épou­sé alors qu’ils étaient encore étu­diants. Il avait trois gosses, jouait au hockey tous les same­dis avec l’aîné et bri­co­lait sa mai­son le week-end. Webb par­lait d’une voix sans emphase, étran­gère à l’excitation.

    Ce fils de mili­taire avait l’obsession de la méthode. Chaque matin, il ouvrait les grandes enve­loppes kraft des diverses agences gou­ver­ne­men­tales chez qui il avait dépo­sé des demandes de déclas­si­fi­ca­tion de docu­ments. Son achar­ne­ment lui avait déjà valu, à 43 ans, les dis­tinc­tions les plus pres­ti­gieuses de la pro­fes­sion. Je me suis dit : dif­fi­cile d’imaginer ce gars capable de pas­sion. Je me trom­pais. Webb croyait au jour­na­lisme. A son rôle de contre-pou­voir. « Aus­si long­temps que je me sou­vienne, raconte Kurt, son frère, il avait tou­jours vou­lu être journaliste. »

    Un an avant que je le ren­contre, à l’été 96, Webb avait déclen­ché une énorme vague dans l’opinion amé­ri­caine. Il avait révé­lé com­ment deux dea­lers de cocaïne nica­ra­guayens avaient inon­dé de drogue les ghet­tos noirs de Los Angeles dans les années 80. Les gangs Crips et Blood avaient trans­for­mé cette cocaïne en crack. Une drogue plus addic­tive encore. Le crack ali­men­tait des légions de toxi­co­manes, la pros­ti­tu­tion, la pri­son, des enfants délais­sés par des mères accro­chées à la plus des­truc­trice des sub­stances… L’invasion par le crack, les propres élus locaux de la com­mu­nau­té en avaient été témoins. Maxine Waters est une congres­siste démo­crate black du ghet­to de South Cen­tral à Los Angeles. Elle n’a jamais per­du le contact avec la rue. Les mômes des gangs qu’elle a vu gran­dir et déra­per, la res­pectent assez pour lui par­ler : « Qua­si­ment du jour au len­de­main, il y en avait par­tout. Tous les jeunes en ven­daient. Je leur deman­dais : Mais où diable trou­vez vous l’argent pour ache­ter toute cette drogue ? Ils me disaient : on nous fait cré­dit, on paye après… Mais après, bien sûr, il y en avait beau­coup qui ne pou­vaient pas rem­bour­ser leurs dettes. Et là, com­men­çaient les pro­blèmes, les meurtres, la vio­lence… La guerre des gangs était décu­plée… Jusqu’à l’enquête de Gary Webb, je me suis tou­jours deman­dé : mais d’où vient toute cette came ?!… »

    Maxine Waters va décou­vrir que l’affrontement des gangs, les drive-by shoo­tings des rouges et des bleus, ce folk­lore meur­trier sur­ex­ploi­té par Hol­ly­wood, avait aus­si des racines géo-poli­tiques. Les deux dea­lers nica­ra­guayens dénon­cés par Gary Webb n’étaient pas de simples gang­sters. Ils appar­te­naient à un réseau de sou­tien finan­cier à la Contra, un groupe armé contrô­lé par la CIA, qui com­bat­tait un gou­ver­ne­ment de gauche au Nica­ra­gua. Le finan­ce­ment de la Contra était orga­ni­sé sous l’ordre du pré­sident Rea­gan. Le réseau était noyau­té à tous les niveaux par des bar­bouzes, des sup­plé­tifs sous contrat avec la CIA. L’argent ne peut venir que de finan­ce­ment illé­gaux car jusqu’en 1986, le Congrès amé­ri­cain refu­sait que l’argent du contri­buable serve à payer des opé­ra­tions ter­ro­ristes. De 1980 à 1986, la Mai­son Blanche du mettre en place plu­sieurs com­bines illi­cites pour armer les Contras. Dans l’un de ces réseaux paral­lèles, les hommes du pré­sident en sont venus à col­la­bo­rer avec des tra­fi­quants de cocaïne.

    L’histoire parait folle, voire incroyable. Elle est par­fai­te­ment docu­men­tée. Au moment même où Nan­cy Rea­gan, la femme du pré­sident amé­ri­cain, occu­pait les écrans de télé­vi­sion avec sa célèbre cam­pagne « Say No to Drugs », alors que des lois d’une extrême sévé­ri­té allaient être votées et per­mettre d’envoyer en pri­son pen­dant des années les consom­ma­teurs trou­vés por­teurs de quelques grammes de crack, à quelques mètres du bureau de son mari, Ronald, des membres des ser­vices secrets coor­don­naient des opé­ra­tions avec des hommes du car­tel de Medel­lin. Des dea­lers lati­nos trans­por­taient des armes dans leurs avions vers le Nica­ra­gua et rame­naient de la drogue sur le ter­ri­toire des Etats Unis. C’est ce que met­tra au jour l’investigation menée par le séna­teur John Ker­ry de 1986 à 1988, pour une com­mis­sion d’enquête sénatoriale.

    John Ker­ry n’avait pu éta­blir où allait la drogue une fois arri­vée sur le sol amé­ri­cain. Lors d’une audi­tion célèbre, il avait posé la ques­tion au tra­fi­quant colom­bien Jorge Morales : « Je ne sais pas, avait-il répon­du. Mon job était d’amener la drogue. Ensuite, un autre réseau s’occupait de la distribution. »
    L’enquête de Gary Webb com­mence là où s’arrêtait celle du séna­teur Kerry.

    Au tout début de ses recherches, il appelle Robert Par­ry, le jour­na­liste qui le pre­mier a mis en lumière l’existence de la cel­lule occulte dans la Mai­son Blanche. Par­ry le met en garde, sa série de scoops lui a coû­té sa propre car­rière. « Quand il m’a appe­lé, je lui ai dit : c’est sûre­ment avé­ré, cette piste, mais c’est dan­ge­reux, j’espère que tes rédac­teurs en chef te sou­tiennent. Il a cru que j’étais lâche. Il a pen­sé : Ah-ah, encore un jour­na­liste de Washing­ton trop ner­veux. Et, dans un sens, je suis content de ne pas l’avoir dis­sua­dé parce qu’il était impor­tant de sor­tir la véri­té là des­sus. Mais lui allait payer un prix très éle­vé pour ça… »

    Gary Webb se lance dans une odys­sée qui va occu­per chaque minute de sa vie pen­dant une année entière. « Je suis allé à Mia­mi, au Nica­ra­gua, sur toute la cote ouest. J’ai inter­viewé beau­coup de monde. J’ai ren­con­tré des flics, des dea­lers, je suis allé dans des tri­bu­naux, j’ai déter­ré des pro­cès ver­baux, des cas­settes audio de la bri­gade des stups… »

    En août 1996, le San Jose Mer­cu­ry News publie enfin son enquête : « The Dark Alliance ». La grande presse et la télé­vi­sion com­mencent par l’ignorer.

    C’est là qu’intervient Inter­net. Consciente du carac­tère cho­quant et par­fois dif­fi­ci­le­ment croyable des révé­la­tions de Webb, la direc­tion de son jour­nal a déci­dé de mettre en ligne les docu­ments bruts recueillis au cours de l’investigation. Les pro­cès ver­baux de la police et la jus­tice, les pho­tos, les enre­gis­tre­ments audios devant les tri­bu­naux… Des cen­taines de pièces à por­tée d’un simple click. Chaque lec­teur inter­naute peut ain­si véri­fier par lui-même les asser­tions de l’auteur, refaire l’enquête à son tour. L’équipe du site inter­net du Mer­cu­ry News envoie des mes­sages aux forums, des e‑mails aux news­groups qui eux-même réper­cutent à d’autres news­groups. Cette expo­si­tion élec­tro­nique démul­ti­plie la puis­sance du dos­sier. En dix jours le site connaît plus d’un mil­lion de visiteurs.

    Pour la pre­mière fois de son his­toire, le pou­voir d’influence d’Internet va sup­plan­ter celui des jour­naux et de la télé­vi­sion. Mais per­sonne ne contrôle le feu qui courre sur la toile. L’enquête échappe à son auteur. Dans les sites et les chats conspi­ra­tio­nistes, les révé­la­tions du Mer­cu­ry News sont défor­mées, ampli­fiées, faus­sées. Dans la com­mu­nau­té noire, l’affaire prend une dimen­sion irra­tion­nelle. La CIA, démontre Webb, a fer­mé les yeux sur les acti­vi­tés de ce réseau occulte. Mais les blacks s’estiment ciblés. Pour cer­tains, la CIA veut la peau des afro-amé­ri­cains… On parle de géno­cide et on rap­pelle l’exemple de Tus­ke­gee, en Ala­ba­ma, où pen­dant qua­rante années, de 1932 à 1972, 399 sol­dats noirs avaient été injec­tés avec la tuber­cu­lose et la syphil­lis, à leur insu, aux fins d’expériences médi­cales. La presse black extré­miste de The Nation of Islam titre : « Com­ment le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain a répan­du la cocaïne dans les ghet­tos noirs ». Des mani­fes­ta­tions emplissent les rues de Los Angeles. Plane le spectre des ter­ribles inci­dents de 92 où les blacks des quar­tiers pauvres étaient remon­tés jusqu’à Mel­rose et Sun­set. Ils avaient mis à sac les rues hup­pées, pillé les maga­sins, incen­dié, lyn­ché quelques mal­heu­reux blancs qui croi­saient leur che­min. L’Amérique vit avec ce cau­che­mar : la colère des relé­gués se déverse et inonde les quar­tiers pro­té­gés. Régu­liè­re­ment ce mau­vais rêve devient réalité.

    Il va alors se pro­duire un évè­ne­ment extra­or­di­naire. Coin­vain­cu par des par­le­men­taires de la gauche du Par­ti Démo­crate, le propre direc­teur de la CIA décide de venir dans le ghet­to, s’expliquer auprès des habi­tants dans un gym­nase du quar­tier de Watts. Il vient annon­cer solen­nel­le­ment le lan­ce­ment d’une enquête interne. Même le plus fer­tile des scé­na­ristes aurait eu bien du mal à ima­gi­ner une telle scène. Des chefs de gang pati­bu­laires, mas­sifs, les bras croi­sés sur la poi­trine, des mili­tants afro-amé­ri­cains en dread-locks et aux vête­ments cou­verts de badges de sou­tiens aux causes les plus exo­tiques, des petites grand-mêres black endi­man­chées, aux visages acca­blés d’avoir vu s’éteindre leurs petits enfants pen­dant l’épidémie de crack, des jeunes femmes à la colère incon­trô­lable qui montent sur leur chaise et hurlent qu’elles ont mis dix ans à décro­cher, qu’elles ont dû aban­don­ner leurs gosses aux ser­vices sociaux après des années de prostitution.

    Aux quatre coins de la salle, des dizaines d’agents des ser­vices secrets, visages fer­més, cos­tumes sombres et liai­son par oreillette. A la tri­bune, John Deutsch, chef de la CIA, un intel­lec­tuel de la Côte Est éga­ré à ce poste depuis quelques mois. Le pré­sident démo­crate Clin­ton, sou­cieux de rompre avec les années Rea­gan, lui a don­né pour mis­sion de mora­li­ser l’Agence. Il n’a aucune res­pon­sa­bi­li­té dans les incri­mi­na­tions de Webb. Il semble sin­cè­re­ment tou­ché : « C’est une accu­sa­tion ahu­ris­sante, dit-il au micro. Une accu­sa­tion qui touche au coeur de ce pays. Qu’est ce qui est affir­mé ? Une agence du gou­ver­ne­ment amé­ri­cain, la CIA, qui a été fon­dée pour pro­té­ger les citoyens de ce pays, aurait aidé à intro­duire de la drogue, du poi­son, chez nos enfants et tué ain­si leur ave­nir ?!… Toute per­sonne qui est à la tête d’une agence gou­ver­ne­men­tale, et ça veut dire moi aus­si, ne peut tolé­rer une telle accu­sa­tion. J’irais jusqu’au bout, j’enquêterais et je vous ferais connaitre les résul­tats de notre investigation… »

    Dans la salle, très échauf­fé, un noir mas­sif, crâne ton­du et che­mise noire, se sai­sit du micro. Il parle avec ses épaules :

    – Auto­ri­sez Gary Webb à mener l’enquête avec vos hommes. Qu’ils puissent com­pa­rer leurs docu­ments tout au long de l’investigation… C’est tout ! Ca résou­dra tout, on arrê­te­ra de gueu­ler parce qu’on aura un repré­sen­tant, l’homme qui a fait écla­ter cette his­toire, dans l’affaire.

    – Le rap­port, répond Deutsch, sera ren­du acces­sible à tous les jour­na­listes quand il sera terminé. »

    Quelques semaines après son enga­ge­ment public, John Deutsch devra démis­sion­ner de la CIA. Offi­ciel­le­ment parce qu’il a empor­té quelques dos­siers sen­sibles pour tra­vailler à la mai­son sur son ordi­na­teur per­son­nel non sécu­ri­sé. D’après ce qui sort dans la presse à l’époque, ses manières d’universitaire pré­oc­cu­pé d’éthique lui ont fabri­qué quelques enne­mis mor­tels à la direc­tion de l’Agence.

    Sans attendre les résul­tats de l’enquête interne, les jour­na­listes spé­cia­li­sés CIA de la grande presse ont déci­dé de pas­ser le tra­vail de Gary Webb à la mou­li­nette. Le Washing­ton Post, le New York Times et le Los Angeles Times (au LA Times, une cel­lule spé­ciale de jour­na­listes est créée, elle avait un nom de code : les Webb bus­ters, les cas­seurs de Webb…). Dans leurs contre-enquêtes, des sources « proches du gou­ver­ne­ment et de la CIA » nient toute impli­ca­tion avec les deux dea­lers nicas. Le Washing­ton Post recon­naît que Webb a bien éta­bli la connexion entre la Contra et les tra­fi­quants de cocaïne mais il déplore que Webb n’ai pas réus­si à citer le nom d’un seul agent de la CIA dans ce sché­ma (*WP, 4 octobre 1996). Le New York Times admet que les deux dea­lers nica­ra­guayens sont bien allés ren­con­trer un chef Contra en Amé­rique Cen­trale : Enrique Ber­mu­dez mais ils écrivent : « Bien que Mr Ber­mu­dez, comme d’autres lea­ders de la contra, était sou­vent payé par la CIA, il n’était pas un agent de la CIA. » (*NYT, 21 octobre 1996). Nuance pré­cieuse, il est vrai… Enfin, les « sources ano­nymes » des jour­na­listes anti-Webb leur indiquent que les deux dea­lers ont effec­ti­ve­ment ver­sé de l’argent du crack aux Contras mais « seule­ment 50 000 dollars ». 

    Chiffres contre-dits par des docu­ments de jus­tice que Gary Webb a mis en ligne sur le site du Mer­cu­ry News.

    Au Washing­ton Post, c’est un vété­ran qui a tra­vaillé contre Gary Webb : Wal­ter Pin­cus. Il a des che­veux blancs, un regard per­çant qui dis­pa­raît sous des sour­cils en brous­sailles. Il porte des bre­telles, une cra­vate et sur­tout il suit la CIA depuis qu’il est étu­diant. Cet accès pri­vi­lé­gié lui a valu quelques scoops. Il recon­naît aujourd’hui que tous ces papiers visant à amoin­drir les révé­la­tions de Webb étaient moti­vés par la peur de la rue.

    « Quand le groupe des par­le­men­taires noirs, le Black Cau­cus, a com­men­cé à dire : Voi­là ce qui a ame­né la drogue dans nos quar­tiers, une agence gou­ver­ne­men­tale ! Il y avait les mani­fes­ta­tions par­tout… A ce moment là j’ai dit : il faut qu’on scrute son tra­vail de très près. Les accu­sa­tions sont trop énormes. C’est alors qu’on a fait un papier. On a décou­vert par exemple que Blan­don (l’un des deux nica­ra­guayens) n’était pas un gros dealer…

    – Les esti­ma­tions les plus faibles de la jus­tice lui attri­buent la vente de 800 kilos de cocaïne…

    – Au total, mais pas au début… Voyez vous la chro­no­lo­gie est une chose très impor­tante dans le jour­na­lisme d’investigation… »

    A force d’attaques, le jour­nal de Gary Webb qui l’a sou­te­nu pen­dant des mois, finit par le lâcher. Fin 1996, son rédac­teur en chef lui explique qu’il va publier un rec­ti­fi­ca­tif en Une : Oui, il y a eu un tra­fic de drogue d’une dimen­sion énorme mais tu exa­gères quand tu dis que l’épidémie de crack au niveau natio­nal est due exclu­si­ve­ment à cette opé­ra­tion ; et puis les dea­lers nica­ra­guayens n’ont pas envoyé tout l’argent aux Contras, ils en ont gar­dé beau­coup pour eux même…

    L’année 1997 com­mence mal pour Gary Webb. Il est KO debout. Mais il s’acharne :

    « Ils se trompent ! Ce qu’ils ont fait c’est qu’ils sont allés voir des sources ano­nymes au gou­ver­ne­ment qui ont nié les faits. Mais c’est clair : ces gens ont ven­du de la cocaïne aux Etats Unis, ils ont ven­du des tonnes de cocaine, ils ont col­lec­té de l’argent pour les contras et les argu­ments qu’on m’oppose c’est : ouais, y avait pas autant de cocaïne que vous le dites, ils ont pas ramas­sé autant d’argent que vous le dites… Mais per­sonne ne peut nier que c’est vrai­ment arrivé ! »

    Gary webb aura beau se défendre, son enquête est dis­cré­di­tée à Washing­ton. L’adjectif « contro­ver­sée » lui est appo­sé comme une marque d’infamie. Il subit le sort du séna­teur John Ker­ry, dix ans aupa­ra­vant, lorsque celui-ci s’était inté­res­sé de trop prêt à la même question.

    Fin 1997, Gary Webb est muté à 200 km de chez lui dans un bureau sans impor­tance où il fait les chiens écra­sés. Son ex-épouse se sou­vient de cette lente des­cente aux enfers : « C’est pas comme s’ils l’avaient viré. D’abord, ils lui ont dit, on t’envoie dans un petit bureau à Cup­per­ti­no. On te mute. Il écri­vait des nécro­lo­gies. Son pre­mier papier était sur le décès d’un vieux che­val de police. C’était ça son pre­mier article, à Cuppertino… »

    Humi­lié, bri­sé, Gary Webb se décide à démis­sion­ner. Signer la lettre lui pren­dra plu­sieurs mois : « Il vou­lait pas le faire, se sou­vient Susan. Il se pro­me­nait avec les papiers, je lui deman­dais : tu les a signés ? Il disait non… Il a fina­le­ment signé et envoyé sa lettre de démis­sion. Mais c’était dur et dépri­mant. Il avait l’impression de signer son arrêt de mort. »

    Le 8 octobre 1998, avec un an de retard, la CIA rend enfin les résul­tats du rap­port interne, celui pro­mis par John Deutsch sur les alle­ga­tions de Webb (*consul­table en ligne sur le site de la CIA : http://​www​.cia​.gov/​c​i​a​/​r​e​p​o​r​t​s​/​c​o​c​a​i​n​e​/​i​n​d​e​x​.​h​tml). Il s’agit du tome 2, le plus inté­res­sant, le plus abou­ti. Devant une bro­chette de par­le­men­taires, Fre­de­rick Hitz, ins­pec­teur géné­ral de la CIA, pré­sente les conclusions.

    Tout d’abord, dit-il, l’agence dément avoir col­la­bo­ré « direc­te­ment ou indi­rec­te­ment » avec les deux dea­lers nica­ra­guayens, Blan­don et Meneses, dénon­cés par Gary Webb :

    « – Nous sommes caté­go­riques en ce qui concerne l’absence de rela­tions entre la CIA et Blan­don et Meneses… »

    Mais l’enquête ne s’en tient pas là. Dans le coeur des 400 pages, cela four­mille d’informations qui indiquent une col­la­bo­ra­tion étroite entre la Mai­son Blanche et des dizaines de dea­lers de cocaïne, des spé­cia­listes du blan­chi­ment d’argent sale liés au crime. Un séna­teur qui sait lire, a décou­vert, en plein milieu du texte, quelques phrases alam­bi­quées. Le doigt sur le rap­port, lunettes demi-lunes posées sur le bout du nez, il demande des éclair­cis­se­ments à l’homme de la cia devant les camé­ras de la chaîne par­le­men­taire C‑Span.

    « Vous indi­quez avoir trou­vé des cas pour les­quels la CIA n’a pas aus­si­tôt cou­pé les liens avec des indi­vi­dus qui sou­te­naient la contra et qu’on soup­çon­nait de tra­fi­quer de la drogue. Est ce que ça pou­vait vou­loir dire que ces gens tra­fi­quaient sur le sol américain ?

    – Oui, répond l’Inspecteur Général.

    – Ces allé­ga­tions cou­vraient-elle du tra­fic en Californie ?

    – Non… Enfin… Pas spé­ci­fi­que­ment… » (* « cia-cocaïne : l’enquête à hauts risques », Canal plus, 25 avril 2005).

    Voi­là, c’est dit : la CIA recon­naît avoir, en connais­sance de cause, tra­vaillé avec des tra­fi­quants qui agis­saient sur le ter­ri­toire des Etats-Unis d’Amérique. Ce n’est pas la seule révé­la­tion. Pen­dant l’enquête, Maxine Waters, congres­siste de Cali­for­nie, a mis au jour un curieux docu­ment. Pour pou­voir tra­vailler en toute léga­li­té avec des tra­fi­quants de drogue, la CIA avait pas­sé un accord secret, un memo­ran­dum, avec le minis­tère de la justice.

    « Le texte de cet accord éta­blis­sait que les gens de la CIA n’étaient plus for­cés de dénon­cer les tra­fi­quants de drogue pen­dant tout le temps où notre gou­ver­ne­ment a sou­te­nu les contras. On est en droit de se poser la ques­tion : pour­quoi vous faites ça ? Pour­quoi est ce que vous rédi­gez un règle­ment par­ti­cu­lier pour dis­pen­ser vos gens de dénon­cer des tra­fi­quants de drogue ?… »

    En quelques semaines, la CIA recon­naît offi­ciel­le­ment devant un groupe de par­le­men­taires avoir col­la­bo­ré avec des dea­lers qui ven­daient de la cocaïne aux amé­ri­cains et avoir chan­gé les règles pour ne pas avoir à les dénoncer. 

    Théo­ri­que­ment, ces aveux devraient don­ner lieu à un trem­ble­ment de terre. Quelles consé­quences vont-ils avoir ?
    Aucune ou presque.

    Le rap­port passe inaper­çu. Deux petits papiers en pages inté­rieures dans le New York Times et le Washing­ton Post. Rien, pas une ligne, dans le Los Angeles Times qui avait pour­tant cru­ci­fié Gary Webb.

    Il faut dire que le rap­port de la CIA sort très oppor­tu­né­ment. A l’automne 98, l’Amérique est inon­dée par le scan­dale des scan­dales. Des forêts entières sont cou­pées chaque jour pour impri­mer les der­niers rebon­dis­se­ments de cette affaire pla­né­taire : une sta­giaire de la Mai­son Blanche répon­dant au nom de Moni­ca Lewins­ky aurait pro­cé­dé à des faveurs buc­cales sur la per­sonne du Pré­sident. En plein bureau ovale. L’Amérique, vis­sée à sa télé, ne prête aucune atten­tion aux arti­cu­lets signa­lant du bout du sty­lo et avec mille pré­cau­tions que leur agence de ren­sei­gne­ments aurait peut-être un peu col­la­bo­ré avec quelques tra­fi­quants de cocaïne. Elle n’a d’yeux que pour la bouche pul­peuse de Monica…

    L’affaire Lewins­ky, c’est 1502 sujets de télé­vi­sion, 43 heures d’antenne cumu­lées (*rap­por­té par Fran­çois Rufin dans « Com­bat pour les médias », Manière de voir, le monde diplomatique).

    Wal­ter Pin­cus fut l’un des seuls jour­na­listes à rendre compte du rap­port de la CIA dans les pages inté­rieures du Washing­ton Post. Aujourd’hui, il jus­ti­fie le peu de place qu’il lui a don­né : « Je dois être trop vieux… Mais pour moi, c’est du déjà vu. Déjà au Laos, il y avait de la contre­bande d’héroïne dans les années 70, pen­dant la guerre du Viet­nam. C’est comme ça dans les opé­ra­tions under­co­ver. On a besoin de pilotes d’hélicoptère, ils tra­vaillent pour la mafia et en pro­fitent pour rame­ner de la drogue… C’est connu tout ça… « Pour Pin­cus, il faut être bien naïf pour s’étonner d’un tel dés­équi­libre de trai­te­ment entre l’affaire Lewins­ky et les aveux de la CIA sur sa col­la­bo­ra­tion avec le nar­co­tra­fic : « C’est beau­coup plus sexy comme scan­dale (l’affaire Moni­ca). Il n’y a qu’une seule per­sonne et il y a le pré­sident des Etats Unis…

    – Enfin, tout de même… Il est prou­vé que dans les ghet­tos des Etats Unis, il y a eu des gosses tou­chés par la drogue. On sait que c’est un énorme pro­blème social et humain et ça n’a pas été per­çu comme un scan­dale aus­si impor­tant par le monde jour­na­lis­tique que l’affaire Moni­ca Lewinsky… »

    Pin­cus me toise, il semble api­toyé par tant de candeur :

    – C’est notre réa­li­té, ici… » (*inter­view avec l’auteur, jan­vier 2005)

    Quant à Gary Webb, après sa démis­sion du San Jose Mer­cu­ry News, il n’a pas retrou­vé de tra­vail dans un grand jour­nal. Il sen­tait le souffre.
    Sa femme le voit peu à peu som­brer. « Je lui ai dit : je n’arrive pas à croire que quelqu’un ne va pas finir par te don­ner du bou­lot, ça me cho­que­rai. Il m’a répon­du : j’espère que tu as rai­son. Et il a pleu­ré ce jour là, il s’est assis et il a pleu­ré. Parce qu’il avait vrai­ment peur… »

    Gary Webb va s’enfoncer dans la dépres­sion. Il fini­ra par divor­cer et quit­ter sa femme et ses trois enfants. Il ne remon­te­ra plus jamais la pente. « Il avait besoin de faire ces­ser la dou­leur, dit Susan. Il en était à ce point là, il fal­lait que ça s’arrête, il n’en pou­vait plus.

    Pour les funé­railles, John Ker­ry qui vient de perdre les élec­tions pré­si­den­tielles face à George W Bush, a envoyé un petit mot. Il disait ceci : « Grâce à son tra­vail, la CIA a du recon­naître des dou­zaines de rela­tions troubles avec des tra­fi­quants de drogue. Ca ne serait jamais arri­vé s’il n’avait pas pris tous les risques. J’espère qu’il trou­ve­ra enfin la paix qui l’avait quit­té dans cette vie. »

    Pos­té le 6 décembre 2014 par Paul Moreira.

    http://​www​.pltv​.fr/​f​r​/​b​l​o​g​s​/​m​i​l​l​e​-​f​o​i​s​-​p​l​u​s​-​e​n​o​r​m​e​-​q​u​e​-​l​e​-​w​a​t​e​r​g​a​t​e​-​e​t​-​p​o​u​r​t​a​n​t​-​p​a​s​s​e​-​s​o​u​s​-​l​e​-​r​a​d​ar/

    Réponse
  2. etienne

    SECRET D’ÉTAT
    httpv://youtu.be/_Tn2imHNw6E

    Réponse
  3. etienne

    POURRITURE POLITICIENNE

    Les gangsters et la République 13 ‑Au nom du drapeau

    httpv://www.youtube.com/watch?v=ehmhDCwoLC4

    Les gangsters et la République 23 Petits arrangements entre amis

    httpv://www.youtube.com/watch?v=Jy9XPUtsXEU

    Les gangsters et la République 3÷3− La loi de la drogue

    httpv://www.youtube.com/watch?v=c_fD2R3UyYA

    Réponse
  4. etienne

    Jean-Luc Mélenchon :
    « LA PROCHAINE CRISE SERA UNE CRISE DE RÉGIME »

    httpv://www.youtube.com/watch?v=D2r3_G0jt‑Y&feature=youtu.be

    Réponse
  5. joss

    En Ita­lie pareil (je pense que l’on retrou­ve­ra le même cane­vas dans d’autres pays),
    Col­lu­sion entre Mafia – ser­vices secrets/gladio/otan/cia – gou­ver­ne­ment – finance et indus­triels – magis­trats – armée – loge maçonnique…

    httpv://www.youtube.com/watch?v=UR8ldTvdP0Q

    …un nom (par­mi d’autres) sur une liste : Sil­vio Berlusconi

    Réponse

Laisser un commentaire

Derniers articles

JUSTICE CITOYENNE – Regards croisés – LIVE 4 novembre 2024, 19h45

JUSTICE CITOYENNE – Regards croisés – LIVE 4 novembre 2024, 19h45

Bonjour à tous Pendant cette soirée dédiée au bilan de la période récente, où nous venons de vivre (le début d')une bascule totalitaire sous prétexte sanitaire, et demain sous prétexte de péril de guerre ou de catastrophe climatique, je parlerai de souveraineté...