Je vous signale deux documents intéressants sur les causes (et solutions) monétaires de « la crise » :
1) D’abord, une courte vidéo, bien intéressante, à écouter le crayon à la main :
Jean-Michel Naulot : CRISE FINANCIÈRE, pourquoi les gouvernements ne font rien
httpv://www.youtube.com/watch?v=TPox2yLANbg
Avec un livre qui devrait être intéressant, (commandé mais pas encore reçu => je vous en reparlerai) :
2) Mais surtout une tribune magnifique, brève et puissante, de quelques économistes que j’aime bien, dans Libération — alors ça, ça vaut de l’or : appréciez chaque phrase, c’est vraiment bien que l’idée chartaliste germe ainsi aussi puissamment 🙂
Sortir de l’austérité sans sortir de l’euro… grâce à la monnaie fiscale complémentaire
Introduire des liquidités dans une économie en crise grâce à une monnaie complémentaire, adossée aux recettes fiscales à venir, permettrait d’imaginer d’autres politiques sans pour autant remettre en question la monnaie commune. Cela permettrait une stabilisation de la zone euro.
Via les crédits qu’elles accordent, les banques commerciales privées disposent dans la zone euro d’un quasi monopole de création de la monnaie. Après les injections massives de liquidités à bas coût de la Banque centrale européenne (BCE) au système bancaire privé, il est clair que ce monopole enferme l’économie européenne dans une trappe déflationniste. Dans les périodes récessives, les banques commerciales sont structurellement incapables d’assurer une création contracyclique de monnaie de crédit destinée aux secteurs productifs. Pour nourrir leurs profits, elles dirigent l’essentiel de leurs liquidités vers les marchés financiers où elles alimentent de dangereuses bulles spéculatives. Aussi, de nombreux économistes et certains politiques s’accordent sur la nécessité de retirer aux banques leur privilège de création de la monnaie, et la Suisse votera sur cette question en 2018. Néanmoins une telle réforme suppose dans l’Union européenne (UE) un accord entre Etats membres qui, dans son état actuel, n’est pas prêt d’aboutir. Que faire d’autre ? Sortir de l’euro ?
L’accession en Grèce en 2015 de Syriza au gouvernement a conduit à envisager une autre stratégie qui, décidée par un Etat, lui permettrait de sortir d’une politique d’austérité sans remettre en cause l’unité de la zone euro : injecter de la liquidité par l’émission d’une monnaie fiscale complémentaire à l’euro. Dans cette stratégie, l’euro est conservé en tant que monnaie commune de cours légal dans tous les Etats membres, mais est complété par un moyen de paiement national constitué de bons du Trésor de faible dénomination – de 5 à 50 euros – et de durée limitée mais renouvelable. Adossés comme toute dette publique aux recettes fiscales à venir, ces bons seraient libellés en euro-franc, et maintenus à parité avec l’euro sans pour autant être convertibles sur les marchés des changes.
Il ne s’agit donc pas d’émettre une monnaie ayant cours légal, mais de proposer des titres de crédit destinés au règlement des salaires des fonctionnaires, des prestations sociales et des achats publics, dépenses qui sont de facto de la dette publique de court terme. Ils seraient réciproquement acceptés en paiement des impôts et, grâce à cette dernière garantie, pourraient circuler en tant que moyens de paiement au niveau national.
Face aux politiques d’austérité prônées actuellement, il y a urgence à émettre ce type de monnaie partout où la monnaie unique conduit à la récession, au chômage de masse, à la montée de l’insécurité sociale et à l’abandon des investissements de long terme indispensables à la transition écologique. Mais le couple monnaie commune – monnaie fiscale complémentaire n’est pas seulement une solution d’urgence ; c’est aussi potentiellement un outil durable de stabilisation monétaire de la zone euro. En effet, la réduction de la dette publique par autofinancement de la dette flottante et l’amélioration du solde des échanges extérieurs par réduction des importations (la circulation géographiquement limitée de l’euro-franc inciterait à relocaliser la production) réduisent la dépendance extérieure des Etats à l’égard tant de la finance internationale que des marchés extérieurs qui sont la source principale de son instabilité.
Cette forme de liquidité émise par les Etats sans passer par les banques n’est pas nouvelle, et sa combinaison avec une monnaie commune dans un système politique de type fédéral a été expérimentée avec succès dans les années 30 aux Etats-Unis et, plus récemment, entre 1984 et 2003 en Argentine. Ces expériences montrent que, sous certaines conditions, un tel dispositif monétaire remplit son office de réduction de la dette publique et de redynamisation de l’économie locale, sans créer de tension inflationniste ni de décrochage entre la monnaie locale et la monnaie centrale.
En l’état actuel des traités européens, la stratégie ici proposée est conforme au principe de subsidiarité qui reconnaît à tout Etat membre de l’Union la capacité de prendre des initiatives propres en matière de politique fiscale et budgétaire. Les Etats ne sont nullement obligés de se soumettre aux marchés et aux banques commerciales pour se financer, surtout à court terme. Rien ne les empêche de disposer de leurs propres systèmes de paiement, dès lors que ceux-ci remplissent les conditions de sécurité requises.
Se doter d’une monnaie fiscale nationale – en France, l’euro-franc – complémentaire à l’euro bancaire permettrait de financer les services publics et de mettre fin aux politiques d’austérité actuelles qui menacent le projet européen lui-même. C’est une politique réaliste qui peut être décidée immédiatement et unilatéralement au niveau national sans aller à l’encontre des traités européens. Mais pour assurer le succès de l’euro-franc, il ne suffit pas que l’Etat en garantisse l’acceptabilité en l’instituant comme moyen d’acquitter des impôts et en stabilisant sa valeur à la parité avec l’euro. Il doit aussi être soutenu par une large partie de la population qui le reconnaisse comme un instrument crédible de sortie de l’austérité. Pour cela, une fraction des euro-francs créés pourrait être distribuée aux PME et aux ménages endettés comme moyen de règlement de leurs dettes (privées). Cette mesure ferait d’une pierre quatre coups : par ce jubilé partiel des dettes, elle mettrait fin à l’excès d’endettement privé, cause principale de la récession dont souffre notre économie ; loin de pénaliser les créanciers résidents, elle les sécuriserait, vu le contexte d’une solvabilité très incertaine ; elle accomplirait le quantitative easing for the people (« assouplissement monétaire pour les gens ») dont Mario Draghi reconnaît qu’il est de nature à relancer l’économie européenne et l’emploi ; elle mettrait en circulation une monnaie complémentaire à une échelle qu’aucune des monnaies locales qui s’inventent aujourd’hui ne peut ambitionner.
Bien sûr, d’autres moyens d’assurer la confiance dans cette monnaie sont parfaitement concevables. Gageons qu’un tel euro-franc ne tarderait pas à être imité par nos voisins, ce qui redonnerait du même coup sa légitimité à un euro devenu monnaie commune.
================================================
On ne se sortira du pétrin qu’en reprenant la création monétaire aux banques commerciales
(qui nous l’ont volée !)
================================================
[Edit 24h après : je viens de recevoir le livre. Je vous ai scanné/OCRisé la table des matières :]
Jean-Michel NAULOT, « Éviter l’effondrement. Les politiques nous préparent une catastrophe financière pire que le précédente » (Seuil, 2017)
Table
Remerciements 9
Avertissement 11
1. UNE GÉNÉRATION QUI A FAIT MONTER LES « POPULISMES » 15
Responsable et coupable 15
Depuis le milieu des années 1980, ils sont habités par les démons du dogmatisme 18
Le débat actuel révèle une grande méfiance à l’égard de la démocratie directe 20
L’obsession du fédéralisme et l’obsession du tout-libéral sont les terreaux du populisme 23
La génération aux commandes est non seulement responsable mais coupable 26
La gauche, amie de la finance, a perdu ses marques 27
La droite, amie de la monnaie unique, a elle aussi perdu ses marques 29
Le conte de fées d’un libéralisme qui dope la croissance 32
Le fantasme de la monnaie unique qui apporte la puissance et la prospérité 41
L’instrumentalisation de la dette publique : vraiment des cigales, les citoyens ? 44
La jeunesse oubliée 47
Il faut savoir dire « non » 50
2. CE VOLCAN FINANCIER QUI NOUS MENACE …59
Pourquoi la prochaine crise risque d’être pire encore 59
Savoir résister au « syndrome de Grignan » ! 61
Le problème, ce n’est pas la petite aiguille, mais la bulle . 63
La monnaie n’est pas un voile 65
La création monétaire extravagante des banques centrales et des banques commerciales 67
L’histoire agitée des banques centrales indépendantes .…71
Le monarque monétaire 74
Défaillances des banques : insuffisance d’éthique ou insuffisance de régulation ? 81
Le régulateur souvent en retard sur l’innovation financière des banques 83
Nouvelles règles bancaires : une simple remise à niveau 86
La pondération des risques a introduit un biais inégalitaire dans l’allocation des financements 87
La fable des méga-banques qui pourraient faire faillite sans faire appel au contribuable 89
Banques systémiques : leur taille ne devient-elle pas un problème ? 95
La tyrannie acceptée des marchés financiers 96
1) La moitié des transactions sur les marchés d’actions est déréglementée 98
2) Sur les grandes valeurs cotées, en Europe et aux États-Unis, plus de la moitié des transactions est due au trading à haute fréquence alors que l’utilité économique et sociale de cette pratique est proche de zéro 101
3) Le montant des produits dérivés reste quasiment inchangé 103
4) Les hedge funds ont un effet de levier (une capacité spéculative) non réglementé 112
5) La quasi-totalité des hedge funds est domiciliée dans les paradis fiscaux 115
6) Les marchés de matières premières sont dominés à plus de 80 % par des acteurs financiers et non par les industriels 116
7) La finance de l’ombre (la finance peu ou pas réglementée) représente plus du tiers de la finance mondiale 118
8) La politique de limitation des émissions de gaz à effet de serre est confiée aux marchés financiers 123
Une dette mondiale à un niveau historique 130
Comme en 1929, comme en 2007–2008, les conditions d’une crise systémique sont réunies 133
À la veille de la crise de 1929 135
À la veille de la crise de 2007–2008 136
En 2017 138
Quatre foyers de crise continuent de se développer 139
États-Unis : déficits et inégalités 140
Zone euro : la crise toujours là 143
Chine : déséquilibres hérités de 2007–2008 144
Japon : la dette 145
Une réalité de plus en plus évidente : le ralentissement de la croissance mondiale 146
Une absence de gouvernance internationale face à la menace d’une crise grave 148
3. LES « MENOTTES » DE L’EURO 151
Un système monétaire au bord de la faillite 151
Naissance de l’euro : un copier-coller de l’ordolibéralisme allemand 154
L’Allemagne a réussi à imposer un ordre juridique à la zone euro 158
Une flexibilité sociale qui prend ses distances avec l’économie sociale de marché 160
L’austérité comme seul horizon 163
Les règles budgétaires du traité de Maastricht ont été durcies une première fois avec le Pacte de stabilité et de croissance en 1997 165
À la fin de l’année 2010, la Commission européenne a mis en place le « Semestre européen », un programme de travail très contraignant afin de peser fortement sur les politiques économiques et budgétaires de la zone euro 166
Le Semestre européen a été complété par des textes législatifs très importants, le six-pack puis le two-pack 167
Pour « faciliter » la réalisation de ce travail, la Commission utilise de plus en plus dans ses discussions avec les États les « lignes directrices intégrées » 170
Le TSCG (Pacte budgétaire), ratifié à l’automne 2012, a couronné ce processus d’intrusion dans les politiques budgétaires nationales en transposant une « règle d’or » inspirée de celle qui figure dans la Loi fondamentale allemande de 1949 171
La pratique sinistre de la dévaluation interne 174
Le biais inégalitaire de la zone euro 180
Un taux de change de l’euro qui ne convient à personne, sauf à l’Allemagne 186
Dix ans d’euro, tous à l’hosto ! 192
Le coût financier des crises 194
Premier coup de canif de la BCE dans l’interdiction de financer les États 194
Deuxième coup de canif : les financements illimités à un État en difficulté (OMT) 195
Troisième coup de canif : le quantitative easing 197
Le financement des banques centrales du Sud par les banques centrales du Nord 198
Le financement des États par les États 199
Gestion de la crise grecque : la honte de l’Europe 199
Aide à la Grèce : vingt-cinq fois le montant de l’aide à l’Argentine 200
Une gestion calamiteuse de la crise par la troïka 202
13 juillet 2015 : une journée noire dans l’histoire de l’Europe 203
Et la démocratie dans tout cela ? 205
Les « menottes » de l’euro 208
Ces économistes qui avaient mis en garde 210
Une pensée unique qui tue la politique 214
La bulle Draghi 219
4. RESTAURER LA PRIMAUTÉ DU POLITIQUE 225
Réarticuler gouvernance internationale et souveraineté économique nationale 225
1) Réduire l’hypertrophie de la finance, c’est-à-dire le déséquilibre entre la finance et l’économie réelle, grâce à une meilleure gouvernance internationale 227
Renoncer au double discours sur la réforme de la finance 228
Comment éviter les pièges tendus par les lobbies ? Quelques règles simples de bonne conduite 235
S’interdire tout ce qui pourrait conduire à une forme de connivence 236
Éviter le déséquilibre des rapports de force lors des négociations 238
Fixer des délais rapprochés pour la mise en place des réformes 238
Faire des textes simples 240
Ne pas donner trop d’importance aux consultations publiques 240
Tenter de détecter les risques liés à l’innovation financière sans attendre l’accident de marché 241
Se méfier de ceux qui évoquent en permanence l’éthique et la transparence 242
Être peu réceptif à l’argument de la « liquidité du marché » 243
Retenir une définition stricte du market making 243
Donner la priorité à la maîtrise du risque systémique sur la compétitivité de la place financière 244
Revoir les statuts des banques centrales pour limiter leur dépendance à l’égard des marchés financiers 245
Réformer la « boîte noire » de la pondération des risques et les structures bancaires pour remettre les banques au service de l’économie réelle 248
Dix mesures pour assainir en profondeur les marchés financiers 255
Première mesure : le passage de toutes les transactions de produits dérivés par des institutions spécialisées supervisées par la BCE 256
Deuxième mesure : la limitation de l’effet de levier des hedge funds 258
Troisième mesure : le traitement des opérations de bourse sur les seuls marchés réglementés 260
Quatrième mesure : la taxation des ordres du trading à haute fréquence 262
Cinquième mesure : l’interdiction aux acteurs financiers de spéculer sur les matières premières 263
Sixième mesure : la transparence et l’enregistrement des opérations traitées dans le shadow banking 263
Septième mesure : l’obligation faite aux gérants de hedge funds de domicilier leurs fonds à l’endroit où ils les gèrent 265
Huitième mesure : l’harmonisation fiscale en Europe 267
Neuvième mesure : l’harmonisation des normes comptables autour de critères inspirés par le bon sens et la nécessité d’assurer la stabilité financière 269
Dixième mesure : la mise en place d’une taxe carbone européenne 271
Une gouvernance internationale entre les mains des gouvernements et non des banquiers centraux 273
2) Rétablir notre souveraineté économique en redonnant de la flexibilité monétaire et budgétaire à la zone euro 276
Des dirigeants politiques enfin touchés par la grâce dans le débat sur l’euro ? La parole à Léon Blum 277
Sortir de l’entre-deux par plus d’intégration politique ne peut se faire sans référendum 280
Un big-bang institutionnel qui serait plein de dangers 285
Les peuples n’attendent pas plus d’intégration mais au contraire plus d’indépendance et de flexibilité 289
La refondation des traités exige d’abord l’assouplissement des critères budgétaires de Maastricht et de la règle d’or du TSCG (Pacte budgétaire) 289
La refondation des traités exige aussi de revoir entièrement les modalités de fonctionnement de la monnaie unique 291
N’ayons pas peur des turbulences provoquées par la transition vers un système plus flexible ! 294
3) Gouvernance internationale et souveraineté économique sont deux notions complémentaires et non pas opposées, deux fils conducteurs face à la mondialisation 299
Restaurer la primauté du politique pour éviter un effondrement 300
Maîtriser le capitalisme financier, cette face noire de la mondialisation 301
Le débat sur la mondialisation est légitime et nécessaire 302
Conclusion
Agir maintenant 305
Rappel de quatre billets mémorables publiés sur ce blog sur ce thème :
• CHARTALISME : les peuples crèvent par MANQUE D’ARGENT. C’est L’ÉTAT qui DOIT créer l’argent, AVANT qu’on le lui rende en impôts, et PAS LE CONTRAIRE (30 mai 2014)
———
• Révolution monétaire – Débat avec Stéphane Laborde et Jean-Baptiste Bersac : les perspectives d’émancipation politique offertes par le chartalisme et par la théorie relative de la monnaie (TRM) (25 sept 2014)
——–
• ÉPOUVANTAILS (PRÉTENDUE MENACE D’HYPERINFLATION) OU REFLATION (RETOUR VOLONTAIRE À L’INFLATION) ? RELANCER LA DEMANDE AVEC DE L’HELICOPTER MONEY. VITE !
——–
À propos des gouvernements qui ne font « rien » (rien pour nous mais tout pour les banques), NE RATEZ PAS ÇA :
Histoire détaillée d’un odieux complot, celui de la dérégulation financière : INSIDE JOB, enquête essentielle pour comprendre la prochaine « crise » et l’énorme trahison des « élites »
Fil Facebook correspondant à ce billet :
https://www.facebook.com/etienne.chouard/posts/10155050340277317
Cher Étienne et autres lecteurs des commentaires de ce blog, je porte à votre connaissance l’ouverture de la campagne de financement participatif intitulée « Voter ne suffit pas ».
J’en avais déjà parlé ici-même en novembre dernier, mais cette fois, ça y est, c’est lancé.
Il s’agit de récolter des fonds pour financer une campagne de publicité géante sur le thème « Nous ne sommes pas en démocratie ». L’idée étant de toucher un autre public que les internautes déjà rompus à toutes ces questions.
Ça se passe ici :
Voter ne suffit pas
par Les Amis de l’Émancipation sociale
https://www.helloasso.com/associations/les-amis-de-l-emancipation-sociale/collectes/ceci-n-est-pas-une-democratie
À votre bon cœur !
Je viens de recevoir le livre de JM NAudot => je vous ai scanné et OCRisé/corrigé la table des matières 🙂
J’ai mis tout ça dans le billet ci-dessus.
Ça a l’air bien intéressant.
C’est Jacques Généreux qui est le responsable de collection => le livre est sûrement très bon 🙂
Petite parenthèse sur la monnaie et le Bitcoin ou rappel de qui a le pouvoir :
https://www.insolentiae.com/le-regulateur-americain-provoque-un-mini-krach-du-bitcoin/
Les mesures préconisées cherchent à améliorer le système mais ne touchent pas à son coeur et risquent d’être insuffisantes. Le coeur, c’est la création monétaire sous forme de dettes par des banques centrales hors contrôle démocratique : une création monétaire exclusivement sous contrôle démocratique permettrait non seulement des prêts à taux zéro mais aussi le paiement de tous ceux qui travaillent pour la collectivité. Les impôts n’interviendraient que pour redistribuer l’argent des plus riches vers les plus pauvres. Voir : http://democratie-sociale.fr/2017/la-revolution-monetaire/
Toute dette émise dans le droit d’un pays peut-être re-dénominée dans une nouvelle monnaie, si ce pays se décide à changer de monnaie :
par Jacques Sapir
http://claude-rochet.fr/lex-monetae-et-droit-europeen/
Stanislas Jourdan vient de publier une bonne tribune dans L’Obs :
Pourquoi la BCE devrait verser de l’argent directement aux citoyens
Et si, pour faire repartir l’économie, la BCE distribuait de l’argent directement aux citoyens plutôt que d’injecter des milliards d’euros dans les marchés ? (Russ Rohde/Cultura Creative/AFP)
En utilisant la « monnaie hélicoptère », la BCE pourrait relancer l’économie plus efficacement tout en injectant bien moins de monnaie qu’avec sa politique actuelle d’assouplissement quantitatif. Et elle ferait ainsi taire de nombreuses critiques de l’union monétaire.
« Depuis deux ans la Banque centrale européenne (BCE) a injecté pas moins de 1.750 milliards d’euros dans les marchés financiers de la zone euro avec son programme de quantitative easing (QE). Cet argent est utilisé par la BCE pour racheter des actifs financiers, y compris des dettes des multinationales européennes les plus polluantes. La BCE estime à 1,3% la croissance supplémentaire causée par son programme, alors même qu’il représente près de 20% du PIB de la zone euro. Un rendement très faible !
La politique de la BCE échoue car la création de liquidités est inutile si les banques privées ne font pas leur travail de transmission de la politique monétaire en octroyant plus de crédits. Il est vrai que sous l’impulsion de la BCE, les banques ont largement réduit les taux d’intérêt et ont assoupli les conditions d’accès au crédit. Mais cela est vain s’il n’y a pas en face des entreprises ou des ménages désireux de s’endetter. Et c’est bien là tout le problème : l’occasion ne fait pas le larron quand les perspectives de croissance sont atones et que l’économie est déjà surendettée.
Le Quantitative easing expliqué à un enfant de 5 ans. Bon, OK, 12 ans
Mais il y a pire. Conjugué à sa politique de taux d’intérêts négatifs, le QE de la BCE fausse le fonctionnement du marché des capitaux. Par exemple, les assurances et les fonds de pension font face à une crise existentielle en l’absence d’actifs sûrs et rentables leur permettant de garantir les rendements futurs promis à leurs clients. Cette distorsion du rôle du taux d’intérêt conduit à créer des incitations contre-productives pour les investisseurs aboutissant à une mauvaise allocation des capitaux, une sur-évaluation de certains actifs, comme le dénonce par exemple l’ancien membre du directoire de la BCE Jürgen Stark ou, en France, l’ancien régulateur à l’Autorité des marchés financiers Jean-Michel Naulot.
Et si la planche à billets cessait de nourrir les marchés ?
Mais gardons-nous de jeter le bébé avec l’eau du bain. Laisser aux seuls gouvernements la tâche de relancer la croissance grâce à la politique budgétaire et autres réformes n’est pas une approche suffisante. L’expérience de ces dernières années l’a démontré : les réformes structurelles sont déflationnistes et conduisent à des situations politiquement très hasardeuses.
Les économies de la zone euro ont bel et bien besoin d’un coup de pouce de la politique monétaire. Mais il est temps d’apprendre des leçons de trois années de politique monétaire ultra-accommodante et d’essayer de nouvelles approches pour s’attaquer au problème fondamental : le manque de demande.
Comment rendre la zone euro enfin efficace ? Voici huit propositions
Moins d’injections, un meilleur fléchage
Une idée fait son chemin en Europe : le « Quantitative easing for people » ou « monnaie hélicoptère » : il s’agit de créer de la monnaie en l’injectant directement sur les comptes bancaires des citoyens. Bien qu’inédite, une telle politique a beaucoup plus de chances de remplir les objectifs de la BCE tout en créant moins d’effets pervers.
Imaginez : au lieu d’injecter 1.750 milliards d’euros dans les marchés, la BCE aurait pu créer trois fois moins de monnaie et distribuer à la place 200 euros par mois à chaque citoyen adulte pendant un an. A mesure que les gens dépenseraient cet argent, cela stimulerait à la fois la croissance mais aussi les recettes de TVA des gouvernements. Ceux qui ont des emprunts peuvent choisir de les rembourser plus vite, et pourront donc augmenter leur consommation future plus rapidement. Selon une analyse de la banque néerlandaise ING, une telle mesure serait susceptible d’augmenter le PIB d’environ 2%, soit largement plus que le QE actuel.
Et si la banque centrale balançait des billets par hélicoptère ? Pas si farfelu
La mesure est certes spectaculaire, mais n’a pourtant rien d’une nouveauté sur le plan économique. Au final, l’effet recherché est très proche d’une relance budgétaire keynésienne. La véritable innovation est institutionnelle. Il s’agit de confier à la BCE les outils dont elle a réellement besoin pour contrôler la masse monétaire et parer aux risques déflationnistes, sans pour autant marcher sur les plates-bandes de la politique budgétaire.
Mais est-ce légal ? Étrangement oui : l’idée est tellement inhabituelle chez les financiers qu’ils n’ont même pas pensé à l’interdire. Mario Draghi lui-même le reconnaissait à demi-mot dans une lettre adressée à un parlementaire européen en décembre dernier.
Viabilité politique
Si la création monétaire de la BCE est techniquement illimitée, elle ne peut s’affranchir d’un cadre institutionnel robuste pour que cette proposition soit politiquement viable. Il reviendrait à la BCE de fournir un cadre institutionnel à cette mesure, mais on peut déjà envisager ces deux principes de bon sens :
Distribuer directement de l’argent aux citoyens ? La BCE y réfléchit
Actuellement, l’inflation remonte en zone euro à un niveau proche de l’objectif de 2% de la BCE. Mais cette remontée est essentiellement due à la hausse des prix de l’énergie, facteur sur lequel la BCE n’a aucun contrôle. Cela ne signale donc pas un quelconque succès de la politique monétaire de la BCE ni une relance de l’activité économique. Au contraire, cette inflation importée va de nouveau heurter le pouvoir d’achat des ménages, et donc diminuer à terme la consommation. Un sondage montre même que seulement 14% des Européens seraient opposésà cette idée (contre 54% en faveur). La mesure fonctionnerait, elle est légale, et ferait un grand bien au sens commun européen.
Angela Merkel critique l’euro, mais qu’attend-elle pour le réparer ?
Qu’attend la BCE ? Naturellement, les banquiers centraux craignent qu’un tel transfert d’argent à la population dépasse le cadre de leur mandat. Il est donc également du ressort des citoyens et de leurs représentants de lancer un signal à la BCE pour réaffirmer leur confiance dans la légitimité de la BCE afin de mettre en œuvre de nouveaux instruments de politique monétaire. Par là même, les dirigeants européens offriraient un réponse forte à la montée des appels à la sortie de l’euro. »
Michel Crinetz, ancien superviseur financier
Gilles Raveaud, Institut d’études européennes, université Paris 8 – Saint-Denis
Bernard Barthalay, économiste et président de Puissance Europe
Stanislas Jourdan, coordinateur de la campagne « Quantitative easing for People »
Source : L’Obs, http://tempsreel.nouvelobs.com/le-labo/20170322.OBS6965/tribune-pourquoi-la-bce-devrait-verser-de-l-argent-directement-aux-citoyens.html
Cher Étienne,
je vous suis depuis quelques temps déjà, et vous m’avez convaincu que l’émancipation des peuples passera par une constitution écrite par eux-mêmes pour les protéger de ceux qui gouvernent, ce qui serait une véritable révolution politique.
Mais ceci va de pair avec la libération des peuples de la création monétaire. C’est visible rien que par le fait que la monnaie permet ou non d’acheter facilement des médias et donc d’influer sur l’opinion publique… ce qui permet actuellement que l’information de votre message soit « contenue » par des médias achetés. Vous le répétez sans cesse, pour faire gagner un candidat aux présidentielles, il suffit de parler de lui à la télé (on en a une preuve criante aujourd’hui avec Macron). Ce n’est pas différent pour n’importe quelle autre opinion, dont celle sur la constitution qui est immédiatement qualifiée dans les médias de populiste au mieux, et farfelue au pire histoire de bien convaincre M. et Mme Michu que c’est une inutile perte de temps de s’y intéresser.
Tout comme les hommes de pouvoir écrivent les règles du pouvoir en leur faveur, les mêmes hommes de pouvoir émettent la monnaie de telle manière que cette émission leur soit favorable (dans l’espace et dans le temps). Il n’y a qu’à voir comment la BCE joue avec les marchés depuis quelques temps déjà et particulièrement depuis 2 ans. Mais cela, M. et Mme Michu ne le savent même pas, et même s’ils le savaient, ils n’en comprendraient pas les implications sans qu’on le leur explique simplement et en boucle à la télé. Le pouvoir des peuples est donc totalement asymétrique en terme politique grâce à la constitution qui protège les élus au lieu du peuple ainsi qu’en terme monétaire grâce à la création de la monnaie par des acteurs privilégiés.
Alors tout comme le peuple doit écrire les règles du pouvoir pour rendre le pouvoir symétrique (pouvoir des tirés au sort de « faire » ce qu’il faut pour faire tourner le pays, et pouvoir du peuple sur ces tirés au sort, il y a réciprocité, symétrie), il doit aussi se libérer du joug de la création monétaire asymétrique, et j’ai bien peur que ces titres émis par les états ne soient qu’un « patch » sur un système qui est vicié à la racine, par le simple fait que certains privilégiés contrôlent toujours l’émission monétaire (on remplace la BCE par l’état, ça ne change fondamentalement pas grand-chose tant qu’on n’est pas en démocratie, M. et Mme Michu sont toujours à la traîne). C’est certes légèrement moins injuste que le système actuel, mais pour ma part, j’en ai pris mon parti, rajouter des patchs sur le système ne fait que retarder la prise de conscience collective de la perversité du système. Je pense que c’est la raison pour laquelle énormément de propositions de « changements » deviennent populaires ces derniers temps, telles que le revenu de base par exemple. Les oligarques ont compris que les peuples commencent à mettre à nu les failles du système, ils lâchent donc un peu de lest avant que tout cela ne s’embrase, et chaque patch rajouté permet de gagner du temps, sans changer ce qui compte fondamentalement. Car chaque « amélioration » retarde la prise de conscience collective des problèmes réels, sans changer radicalement le système. La Suisse n’est plus la garante du secret bancaire qu’elle était parce qu’elle était devenue trop visible, elle a donc été sacrifiée (au moins en partie), maintenant on cache tout cela aux Caïmans et ailleurs, mais les procédés restent les mêmes.
J’ai découvert grâce à l’un de vos mumbles la monnaie libre de Stéphane Laborde, et il me semble qu’elle convient parfaitement à l’émancipation monétaire des peuples, tout comme le « plan C » convient à leur émancipation politique. Et de mon point de vue, l’une aura du mal à réussir sans l’autre : la constitution par le peuple seule se fera bouffer toute crue en terme d’opinion par les médias au service des oligarques par la monnaie qui permet les trust médiatiques, et la monnaie libre seule se fera écraser par le pouvoir et la justice au service des mêmes oligarques par la constitution qui permet la corruption des élus. Ce n’est qu’en débloquant les deux verrous qu’on pourra faire sauter le système.
La disparition des espèces ou la lutte des banquiers contre les libertés publiques
Par Valérie Bugault et Jean Rémy – Le 17 mars 2017
Source : le Saker francophone, http://lesakerfrancophone.fr/la-disparition-des-especes-ou-la-lutte-des-banquiers-contre-les-libertes-publiques
1. La lutte contre le terrorisme, argument fallacieux pour faire disparaître les espèces
Un récent document de la Commission européenne propose d’unifier au niveau européen la législation tendant à réduire, puis supprimer les possibilités de paiement en espèces. Cette proposition émanant de la Commission européenne est parée des bonnes intentions de la lutte contre le blanchiment d’argent et, par voie de conséquence, contre le financement du terrorisme. Nous allons voir que la justification annoncée est parfaitement fallacieuse et cache d’autres intentions, beaucoup moins avouables, des principaux propriétaires de capitaux. Cette analyse fait écho à celle, plus générale, que nous avions faites des entreprises bancaires.
2. Contexte dans lequel la proposition de la Commission européenne s’inscrit
Ce texte est une copie quasi conforme des réglementations coercitives issues du Patriot Act de Georges Bush, qui ont donné le signal d’une importante réduction des libertés publiques, plus précisément des libertés fondamentales, pour les citoyens américains. La déclinaison européenne du Patriot Act s’est faite progressivement depuis le 11 septembre 2001. Les banques américaines et européennes ont ainsi été amenées à recruter des cohortes de nouveaux employés dotés de pouvoirs exorbitants : ils sont chargés, au sein de nouveaux départements appelés « contrôle permanent » et « conformité« , de profiler les clients et leurs opérations afin de les contrôler au moyen de systèmes informatiques experts. Ce nouveau type de personnel, improductif (« bullshit job » dénoncé par Jean-François Zobrist, précurseur de « l’entreprise libérée »), a été chargé de missions de délation et de contrôle des personnes ; il s’élève, rien qu’en France, à plusieurs dizaines de milliers de personnes, soit environ un tiers des effectifs de la gendarmerie nationale !
Pour couronner le tout, la « fonction conformité » (Compliance functions) a été instituée en France en 2012. Son rôle est de veiller à réduire au maximum les risques de non-conformité, c’est-à-dire les risques de sanctions encourues pour non-respect de dispositions propres aux activités financières et bancaires, en matière législative ou réglementaire (fiscalité incluse). Il s’agit notamment de mettre la pression pour que le contrôle permanent des personnes soit irréprochable et efficace dans tous les établissements.
La France est parmi les pays d’Europe et du monde les plus impliqués dans les réglementations bancaires coercitives, mais rappelons qu’en Europe, au-delà de l’échelon national, se trouvent les institutions de l’Union Européenne. Il faut ici rappeler ce qui est trop peu souvent expliqué au public : à savoir que les institutions européennes organisent, via les Traités européens (TUE et TFUE issus du Traité de Lisbonne, version à peine édulcorée de la Constitution européenne rejetée par le peuple français), la souveraineté commerciale des multinationales ; au travers de cette souveraineté commerciale, il s’agit en réalité de la souveraineté des principaux détenteurs de capitaux, au premier rang desquels se trouvent justement les principaux propriétaires des grandes banques systémiques. Les Traités européens, bâtis autour de la question du commerce, utilisent le terme de « Parlement » de façon fallacieuse, pour laisser entendre aux ressortissants européens que ces institutions sont, comme les anciennes institutions nationales, organisées autour du principe de démocratie représentative. Or, il n’en est rien. D’une part, le prétendu Parlement européen n’a aucune légitimité politique, puisqu’il ne représente aucun peuple homogène doté d’une même histoire politique, d’une même culture sociale, d’une même langue et, plus généralement d’un même mode de vie. D’autre part, ce Parle-ment ne dispose pas de l’initiative des lois, qui appartient exclusivement à la Commission. Par ailleurs, les institutions qui ont le plus de poids dans la création des « lois » européennes (droit dérivé) sont incontestablement les lobbies, avec une moyenne de trente lobbyistes par « décideur » (parlementaires, commissaires) ; chaque immeuble, dans un rayon d’un kilomètre autour de la Commission, du Conseil et du Parle-ment européen est occupé par les « grands noms du monde des affaires ».
3. L’argument de la distorsion de compétitivité développé par le texte va dans le sens d’un renforcement du fédéralisme et donc dans celui de la disparition du concept d’État
La proposition de la Commission argue du fait qu’une législation restrictive des paiements en espèces existe d’ores et déjà dans certains États membres et que son absence dans d’autres États induit une distorsion de concurrence sur le marché intérieur ; il est ainsi implicitement suggéré que cette situation génère, à l’intérieur de l’Union européenne, un espace de non droit dans lequel vont s’engouffrer les individus cherchant à blanchir de l’argent, notamment à des fins de financement de terrorisme.
Le document précise que les législations existantes restrictives des paiements en espèces sont compatibles avec la loi de l’Union. Une telle précision relève de la tautologie, si l’on veut bien considérer que de telles législations ont pour rôle et fonction essentiels de renforcer le pouvoir des banques… Il serait plus juste de dire et d’écrire que ces législations sont éminemment souhaitées par les instances européennes, lesquelles sont sous le contrôle des principaux propriétaires de capitaux.
Il faut ici rappeler plusieurs choses. La première est que la liberté de circulation des capitaux est organisée et protégée par l’article 63 du TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), non seulement à l’intérieur des frontières de l’Union, c’est-à-dire dans les pays membres, mais encore dans le monde entier. La seconde précision à apporter est que seules les multinationales et les organisations implantées sur différents États peuvent jouer de ces différentes législations. Les simples particuliers ne sont pas concernés par cette course à la moins-disance juridique et réglementaire, comprise comme « une distorsion de concurrence » par la Commission européenne (laquelle révèle par là même où sont ses centres de préoccupations) ; ce sont pourtant eux qui supporteront le poids de la disparition des espèces et de leur autonomie juridique et sociale. Le particulier lambda sera le seul réel perdant de cette législation harmonisée tendant à la suppression des espèces car il deviendra, pour le déroulement de sa vie quotidienne, totalement dépendant des banques.
Ainsi, peu à peu, conformément à la politique des petits pas suivie depuis toujours dans la construction européenne, les banques tendent à se substituer aux États. Les particuliers ne dépendront plus, dans leur vie quotidienne, de la législation de leur État mais du bon vouloir de leur banque. Inutile de préciser toutes les garanties, en termes de justice et liberté (foin de l’organisation politique, foin de la séparation des pouvoirs, foin de la reconnaissance juridique et social des ressortissants des anciens États), qui seront perdues par les particuliers ; la liberté devient le dommage collatéral essentiel de la translation du pouvoir de l’État vers les banques.
En conclusion, les organisations et individus qui protègent juridiquement la liberté mondiale des capitaux (article 63 du TFUE, OMC, OCDE…), sont également ceux qui apportent une solution « sur mesure », dans l’intérêt des principaux propriétaires de capitaux, au problème induit de la multiplication des possibilités de blanchiment d’argent.
L’argument des distorsions de compétitivité – induit par l’hétérogénéité des législations des États membres sur les restrictions aux paiements en espèces – sur le marché européen, c’est-à-dire parmi les États membres (cf. p. 2 du document) est en réalité un simple prétexte pour renforcer le fédéralisme européen et diminuer les libertés publiques. Étant précisé que le fédéralisme européen n’est pas au service des peuples, mais au service des initiateurs de la construction européenne, c’est-à-dire, depuis toujours, au service des plus grands propriétaires de capitaux.
4. Les institutions européennes, au premier rang desquelles se trouvent la Commission européenne, sont une simple courroie de transmission des intérêts bancaires supérieurs
La suppression des espèces revient à privatiser la totalité de la monnaie et à supprimer les derniers vestiges d’une monnaie entendue comme institution d’État, c’est-à-dire comme un service rendu par l’État à ses ressortissants ; alors même que la raison d’être de la monnaie est fondamentalement un service rendu par l’État afin de faciliter les échanges. Autrement dit, alors que la monnaie est, de façon fondamentale, un service public de l’État, ce service a été aujourd’hui quasi-totalement privatisé par quelques personnes, qui se sont arrogé le droit de battre monnaie envers et contre les États et leurs ressortissants.
Réduire et interdire l’usage des espèces est en réalité l’ultime étape de l’accaparement de l’institution monétaire par des intérêts privés. Cet accaparement se cache, comme toujours, derrières les arguments fallacieux de sécurité publique et de justice fiscale. Justice fiscale, dont la disparition est délibérément et savamment orchestrée par ces mêmes intérêts, via l’organisation et la gestion non seulement de la liberté mondiale de circulation des capitaux, mais aussi et surtout des paradis fiscaux, qui sont le corollaire institutionnel indispensable à la liberté mondiale de circulation des capitaux.
Via le contrôle total des monnaies en circulation, les principales banques de la planète organisent l’accaparement des biens matériels tangibles mais s’arrogent également, via tout un tas d’institutions – nationales (banques centrales), internationales (OMC, FMI, Banque mondiale, BRI, OCDE…) et supra-nationales (Banque centrale européenne, Union européenne…) – l’intégralité du pouvoir politique.
Au bout de cette logique d’asservissement, les individus ne seront plus justiciables d’États, entendus au sens politique du terme, c’est-à-dire dans son acception d’organisation de la vie en société dans un objectif de pacification, mais des banques qui se seront arrogées de façon institutionnelle le droit de vie et mort, tant au niveau social qu’au niveau biologique, sur les individus. Une façon simple de mesurer ce phénomène est de considérer le succès des systèmes de substitution pour des services minimum de paiements prépayés, comme le compte Nickel, qui peut être ouvert dans certains bureaux de tabac en cinq minutes.
5. L’entretien volontaire d’une confusion entre l’anonymat du paiement en espèces et l’anonymat des détenteurs de capitaux
D’un point de vue technique, la transparence revendiquée (cf. p. 3 du document) dans l’interdiction du paiement des espèces est en réalité la transparence totale des particuliers vis-à-vis de leur banque, elle n’est pas celle des paradis fiscaux dans lesquels transitent les véritables financements d’activités terroristes.
Dans le contexte actuel, il est en effet logique et facile de ne considérer que la seule apparence, selon laquelle les paiements en espèces pour des montants exagérés sont des moyens faciles de blanchiment d’argent sale. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue l’essentiel : de tels blanchiments ne peuvent exister que parce qu’existent, en amont, la liberté de circulation des capitaux et son corollaire que sont les paradis fiscaux, refuges inaltérables des profits résultants de tous les trafics illicites. Or, ces paradis fiscaux n’existent que par la volonté des principaux détenteurs de capitaux, via les grandes banques systémiques et les grands cabinets d’audit ; ce sont les principaux détenteurs de capitaux qui organisent et gèrent les paradis fiscaux.
Il faut ici rappeler que la lutte contre les paradis fiscaux n’est pas réellement menée par les« pouvoirs publics ».
La prétendue lutte contre le blanchiment d’argent par les paiements en espèces est en réalité une figure de style rhétorique, destinée à faire passer des vessies pour des lanternes : il s’agit ici d’assimiler délibérément le financement du terrorisme avec l’anonymat du paiement en espèces par les particuliers. En réalité, le paiement en espèces, aussi important soit-il, n’est un problème que parce qu’existent en amont les paradis fiscaux qui reçoivent en toute indépendance les profits résultant des pires trafics. En résumé, la nécessité de blanchir l’argent dans de grandes proportions n’existe que parce que les paradis fiscaux accueillent l’argent de tous les trafics illicites, que les banques qui y sont installées permettent de retirer partout dans le monde. Il n’y aurait aucune nécessité de blanchiment en l’absence de revenus tirés des trafics illicites, lesquels sont entretenus par l’existence des paradis fiscaux.
En d’autres termes : le blanchiment n’existe que parce que l’argent sale existe, aujourd’hui dans des proportions tout à fait extravagantes, grâce à l’organisation mondiale de la liberté de circulation des capitaux et des paradis fiscaux.
Le terrorisme financier trouve en réalité essentiellement sa source dans l’opacité des paradis fiscaux et des chambres de compensation, lesquels sont sous le contrôle capitalistique des principaux propriétaires de capitaux, pas dans l’anonymat des paiements en espèces.
En réalité, la lutte contre le terrorisme et l’évasion fiscale permet de justifier :
La véritable lutte contre le blanchiment d’argent ne passe pas par la suppression de l’argent liquide (qui serait illico remplacé par des espèces étrangères, des dollars par exemple, qui ont une parité plus ou moins proche de l’euro) mais par la suppression juridique de l’anonymat des capitaux et par la disparition de la liberté de circulation des capitaux (acté, au niveau mondial, par l’article 63 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne), que l’OMC est chargée de mettre en œuvre dans tous les pays du monde. Ces deux mesures sont, à elles seules, de nature à rendre obsolète le concept de paradis fiscal qui ne serait dès lors plus un refuge pour trafics illicites. L’assèchement de l’argent sale générant automatiquement l’assèchement d’argent à blanchir.
Dans le contexte décrit, on peut aller plus loin et affirmer que la lutte contre le financement du terrorisme serait seule efficacement réalisée par un pouvoir politique rénové, qui reprendrait le contrôle du fait monétaire. Un pouvoir politique rénové s’entend d’une rupture conceptuelle de l’organisation sociale, dont le contrôle devrait être fait par les ressortissants d’un État et non par les principaux propriétaires de capitaux.
Valérie Bugault et Jean Rémy
Valérie Bugault est Docteur en droit, ancienne avocate fiscaliste, analyste de géopolitique juridique et économique.
Jean Rémy est un spécialiste des systèmes d’information bancaire, ancien banquier international, il a créé il y a une trentaine d’années la théorie structurale de la monnaie. Aujourd’hui en retraite, il est conférencier, et militant pour une moralisation de la finance et de la banque.
Source : le Saker francophone, http://lesakerfrancophone.fr/la-disparition-des-especes-ou-la-lutte-des-banquiers-contre-les-libertes-publiques