[À qui sert la prétendue « Union européenne »] Stathis KOUVELAKIS : Après la capitulation de SYRIZA… l’asservissement total du peuple grec (et bientôt le nôtre)

5/08/2016 | 10 commentaires

[IMPORTANT] Le véri­table objec­tif de l’Union euro­péenne, mis en évi­dence par L’EXEMPLE GREC

[DÉTAILS de l’assassinat de la Grèce par les auto­ri­tés euro­péennes, grâce à la CRIMINELLE TRAHISON des Grecs par leur prin­ci­pal par­ti « de gauche »]

Écou­tez bien (et notez sur un papier) le détail de ce qui est désor­mais infli­gé aux Grecs : ça nous pend au nez (parce qu’on regarde trop la télé et qu’on se fait intoxiquer).

Sta­this KOUVELAKIS : « Après la capi­tu­la­tion de SYRIZA quelles stra­té­gies pour la Gauche en Europe ? »

httpv://www.youtube.com/watch?v=asMWGIYc1s4&feature=youtu.be

Il fau­drait retrans­crire cette inter­ven­tion, que je trouve très impor­tante (ça va cres­cen­do… ce qu’on fait aux Grecs est atroce).

Fil Face­book cor­res­pon­dant à ce billet :
https://​www​.face​book​.com/​e​t​i​e​n​n​e​.​c​h​o​u​a​r​d​/​p​o​s​t​s​/​1​0​1​5​4​3​9​1​8​4​8​1​3​2​317

[Edit : Véro­nique me dit qu’elle va s’oc­cu­per de la retrans­crip­tion. Mer­ci à elle 🙂 ]

 Voi­ci donc le script de cette inter­ven­tion (mer­ci Véronique !) :

STATHIS KOUVELAKIS :
APRÈS LA CAPITULATION DE SYRIZA, 
QUELLES PERSPECTIVES POUR LA GAUCHE EN EUROPE ?

Le LIEU-DIT
Paris, same­di 4 juin 2016

 

 

La conver­gence de fait entre un mou­ve­ment social comme Nuit Debout et l’occupation des places, et les mobi­li­sa­tions syn­di­cales et, c’est plus mul­ti­forme, contre la Loi Tra­vail, a pré­sen­té des res­sem­blances évi­dentes avec le mou­ve­ment mul­ti­formes aus­si tel qu’il s’est expri­mé en Grèce pen­dant les grandes années 2010–2011 de la mobi­li­sa­tion contre les pre­miers mémo­ran­dums. Même si les mémo­ran­dums c’était la loi El Khom­ri à la puis­sance 10, parce que ce n’était pas sim­ple­ment un ren­ver­se­ment com­plet du code du tra­vail et de la légis­la­tion du tra­vail mais un bou­le­ver­se­ment de l’ensemble, disons, du contrat social. Donc, ce qui se passe main­te­nant en Grèce nous informe de l’étape à venir et de la gra­vi­té extrême de ce qui est en train de se pré­pa­rer, et qui affecte, comme cela est deve­nu beau­coup plus clair, l’ensemble des pays européens.

La deuxième rai­son c’est que l’expérience grecque s’est sol­dée par une défaite, et je vais être très clair par rap­port à ça, je vais l’expliquer de façon un peu plus détaillée par la suite, nous sommes encore dans l’onde de choc de cette défaite.

Or cette défaite est celle d’un pari poli­tique de très grande ampleur qui a pola­ri­sé et sus­ci­té l’intérêt des mou­ve­ments sociaux des gauches radi­cales et anti­ca­pi­ta­listes de l’Europe et au-delà, pen­dant toute une période, et, c’est une expé­rience qui a vu la conjonc­tion d’un pari pro­pre­ment poli­tique avec Syri­za, mais aus­si de tout un capi­tal de lutte et de mobi­li­sa­tion sociale.

Donc, il est tout à fait cru­cial de tirer les leçons jus­te­ment de ce qui s’est pas­sé en Grèce, pré­ci­sé­ment pour que les poten­tia­li­tés qui se dégagent main­te­nant, en France et je l’espère ailleurs, avec la reprise de la mobi­li­sa­tion sociale et du com­bat de classe, connaissent une issue différente.

Alors, je vais com­men­cer par un pre­mier point qui est tout sim­ple­ment de vous dire un peu ce qui vient main­te­nant de se scel­ler avec les votes du par­le­ment grec au cours du mois de mai.

Au cours du mois de mai, en deux vagues suc­ces­sives, le noyau dur du troi­sième mémo­ran­dum qui a été signé par Tsi­pras l’été der­nier, est entré dans les faits. Alors la façon habi­tuelle dont ceci est pré­sen­té est que c’est un nou­veau paquet d’austérité, ce qui est bien sûr tout à fait exact. Ce nou­veau paquet d’austérité implique une réforme du sys­tème des retraites avec la sixième vague de dimi­nu­tion des retraites, et la des­truc­tion du sys­tème de retraites par répar­ti­tion et l’entrée dans un sys­tème de retraites par capi­ta­li­sa­tion, et la condam­na­tion à des niveaux de pau­vre­té et de misère de la grande majo­ri­té des retrai­tés grecs. Il se tra­duit aus­si par une nou­velle vague de sur-taxa­tion infli­gée aux ménages les plus fra­giles et les plus modestes et aux classes moyennes aus­si, qui sont déjà les plus lour­de­ment taxées en Europe, sans que rien bien enten­du ne soit fait pour chan­ger la scan­da­leuse non-impo­si­tion du capi­tal et des pri­vi­lé­giés en Grèce.

Donc tout ça si vous vou­lez c’est en rajou­ter une couche par rap­port à ce qui a déjà été fait, ceci dans un pays dont le désastre éco­no­mique et social conti­nue sans aucune dis­con­ti­nui­té. Pré­vi­sion pour cette année : 1,5 % de réces­sion après une réces­sion cumu­lée de près de 26 à 27 % depuis le début de la crise, supé­rieure à celle des années trente, je le rap­pelle. Donc on s’acharne sur un cadavre à l’heure actuelle. Mais ce n’est pas tout, et ce serait même gra­ve­ment insuf­fi­sant de ne voir que ça, et c’est ce sur quoi je veux insis­ter maintenant.

Ce qui se passe en Grèce est une véri­table entre­prise de néo-colo­ni­sa­tion du pays. Je pèse mes mots et je n’exagère en rien ce n’est pas du tout une figure de rhé­to­rique et je vais ten­ter de vous expli­quer pour­quoi. La néo-colo­ni­sa­tion passe par la com­bi­nai­son de deux choses. Pre­miè­re­ment un modèle d’accumulation, un modèle éco­no­mique si vous vou­lez qui est basé sur ce que David Har­vey a appe­lé l’accumulation par dépos­ses­sion. C’est-à-dire un sys­tème d’accumulation du capi­tal qui ne fonc­tionne pas sim­ple­ment et peut-être même pas essen­tiel­le­ment par l’exploitation capi­ta­liste habi­tuelle, celle de la force de tra­vail si vous vou­lez, mais par la pré­da­tion directe de res­sources et tout par­ti­cu­liè­re­ment de res­sources publiques. C’est une notion que David Har­vey a déve­lop­pé au cours de son ana­lyse de ce qu’il appelle « le nou­vel impé­ria­lisme ». Et pour com­prendre jus­te­ment les formes par­ti­cu­liè­re­ment vio­lentes et bru­tales par les­quelles le néo-libé­ra­lisme s’est impo­sé dans les pays du sud. Et c’est pré­ci­sé­ment ce qui est en train de se pas­ser en Grèce. La Grèce c’est l’application pour la pre­mière fois, il n’y a aucune ori­gi­na­li­té en réa­li­té dans la thé­ra­pie de choc qui a été appli­quée en Grèce, en tant que telle, c’est des choses que le FMI a fait dans les pays du sud glo­bal, la seule ori­gi­na­li­té c’est que c’est fait dans un pays d’Europe occidentale.

La deuxième chose, qui est tout à fait essen­tielle d’un point de vue poli­tique, c’est que se trouve déman­te­lé ce qui res­tait de la sou­ve­rai­ne­té de l’Etat grec et de ses ins­ti­tu­tions. Et là la Grèce se trouve main­te­nant pla­cée sous un régime de tutelle, qui exis­tait déjà bien enten­du depuis le début des mémo­ran­dums et du règne de la Troï­ka, mais qui se trouve main­te­nant ver­rouillée à un niveau sans pré­cé­dent. L’Etat grec a été dépouillé de tous ses leviers d’action pos­sibles. Ceci a été consti­tu­tion­na­li­sé en quelque sorte par le troi­sième mémo­ran­dum et va peser très lourd comme vous com­pre­nez dans toute la période qui vient et dans la manière dont les rap­ports de force vont se construire pen­dant la période qui vient. C’est-à-dire que ce à quoi vont faire face les résis­tances et les mobi­li­sa­tions popu­laires pen­dant la période qui vient c’est quelque chose de bien plus grave, bien plus féroce, bien plus ver­rouillé que ce qu’on avait jusqu’à pré­sent.

En quoi ce nou­veau modèle éco­no­mique s’applique ? Pre­miè­re­ment, et ça c’était l’une des pre­mières choses que le gou­ver­ne­ment Tsi­pras II a fait à l’automne der­nier, ce qu’on appelle la reca­pi­ta­li­sa­tion des banques grecques, c’est-à-dire leur vente à des fonds spé­cu­la­tifs, après avoir absor­bé près de 40 mil­liards d’argent public, pour lequel le contri­buable grec, le peuple grec,  s’est endet­té, tout cela a été reven­du à des prix com­plè­te­ment ridi­cules à des fonds spéculatifs.

Donc le sys­tème ban­caire grec qui se trou­vait majo­ri­tai­re­ment sous contrôle éta­tique en réa­li­té, même si ce contrôle n’était pas actif, avec toutes les injec­tions qui avaient été faites de fonds publics et de reca­pi­ta­li­sa­tion, est main­te­nant entiè­re­ment pas­sé dans les mains d’un sec­teur pri­vé, de fonds pri­vés et de fonds pri­vés étran­gers d’ailleurs, donc le sec­teur finan­cier a été com­plè­te­ment cédé aux vau­tours de la finance inter­na­tio­nale. Et c’est la pre­mière grande réforme du gou­ver­ne­ment Tsi­pras II.

Le deuxième méca­nisme c’est celui de la dette. Alors évi­dem­ment je ne vais pas déve­lop­per ce point, (devant Éric [Tous­saint], ce serait com­plè­te­ment ridi­cule, il va vous dire ce qui est néces­saire), ce que je veux sim­ple­ment sou­li­gner, c’est que l’un des bluffs de ce très grand bluf­feur et mani­pu­la­teur qu’est Alexis Tsi­pras au cours de la der­nière période, ça a été de dire, écou­tez ok on va pas­ser des mesures dou­lou­reuses etc. on peut pas faire autre­ment, nana­ni nana­nère, mais on obtien­dra un allè­ge­ment de la dette. Allè­ge­ment de la dette, allè­ge­ment de la dette, la pro­messe de l’allègement de la dette, on a fait un deal vous ver­rez, etc. Le résul­tat est qu’on a eu ces mesures d’austérité féroces et tout le reste,  les réformes de struc­ture dont je vais par­ler, et évi­dem­ment aucun allè­ge­ment sur la dette, une vague pro­messe que  la dis­cus­sion va reprendre à par­tir de 2018 (Éric nous en dira davantage).

Donc deuxième crime. Moi je consi­dère que tout ça c’est des crimes. Et je ne le consi­dère pas per­son­nel­le­ment, Éric pour­ra nous en dire davan­tage, c’est des choses qui sont pas­sibles péna­le­ment, pour tous les gou­ver­ne­ments anté­rieurs, et évi­dem­ment Syri­za a été le pre­mier à le dire, et main­te­nant pour le gou­ver­ne­ment Syri­za II.

Troi­sième chose, les pri­va­ti­sa­tions. Alors là on entre dans quelque chose qui est du jamais vu. Ce qui a été voté par le Par­le­ment grec c’est la consti­tu­tion d’une agence nou­velle, qui vient se sub­sti­tuer à l’agence exis­tante des pri­va­ti­sa­tions, et qui par rap­port à l’ancienne, qui s’appelait Tai­ped, pré­sente trois différences.

Pre­miè­re­ment, c’est une agence qui a une struc­ture de socié­té pri­vée, ce n’est pas une agence publique, même d’un point de vue for­mel, légal.

Deuxiè­me­ment, elle a été créée pour une durée de 99 ans, contre 6 pour l’agence qui exis­tait déjà.

Troi­siè­me­ment, sont pas­sés sous son contrôle la to-ta-li-té des actifs publics de l’Etat grec contre 25 actifs de l’agence qui exis­tait jusqu’à pré­sent. Je dis bien la tota­li­té des actifs de l’Etat grec. La pre­mière liste pro­vi­soire est de 11.900 actifs.

C’est le plus gigan­tesque trans­fert de pro­prié­té jamais opé­ré dans un pays euro­péen de l’ouest, je mets ici évi­dem­ment sous une caté­go­rie sépa­rée les pays des anciens régimes du socia­lisme dit réel, c’est l’opération du plus gigan­tesque trans­fert de pro­prié­té jamais opé­ré dans un pays occi­den­tal (il y avait un article du Guar­dian d’ailleurs très expli­cite sur cette question).

Que va faire cette agence ? Elle va vendre tout jusqu’à hau­teur des 50 mil­liards d’euros, c’est ça l’objectif, dont les recettes seront consa­crées à 50% pour la conso­li­da­tion des banques qui sont pas­sées sous le contrôle du sec­teur pri­vé, à hau­teur de 25 % pour le rem­bour­se­ment de la dette, et  à hau­teur de 25% pour des inves­tis­se­ments non spé­ci­fiés. Le Conseil d’Administration de cette nou­velle socié­té, entiè­re­ment indé­pen­dant de tout contrôle poli­tique, est fait de 5 membres, 3 sont nom­més par le gou­ver­ne­ment grec sous condi­tion expli­cite d’avoir reçu l’approbation préa­lable de la Troï­ka, les deux autres sont nom­més direc­te­ment par la Troï­ka. Et c’est pour 99 ans. La presse éco­no­mique inter­na­tio­nale a immé­dia­te­ment inter­pré­té cette durée tota­le­ment incroyable, c’est du jamais vu, dans aucun pays quelle que soit l’étendue des condi­tions de pri­va­ti­sa­tions n’a été créé une agence qui fonc­tionne selon ces prin­cipes, comme un désa­veu de toute « confiance » des ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales par rap­port à la Grèce.

Cerise sur le gâteau, dans le modèle éco­no­mique, pour déblo­quer une tranche sup­plé­men­taire de prêt,  qui est due en sep­tembre, en plus des 7 mil­liards qui vont être déblo­qués dans les jours qui viennent, la Troï­ka a deman­dé tout un nombre de condi­tions sup­plé­men­taires, concer­nant les taxes etc., mais le noyau dur c’est une réforme du code du tra­vail, et ceci alors que les conven­tions col­lec­tives en Grèce ont déjà été sup­pri­mées, ça n’existe plus, le seul ver­rou légis­la­tif qui existe c’est le Smic, alors vous vous deman­dez si le sys­tème des conven­tions col­lec­tives a été déman­te­lé qu’est ce qui reste à déman­te­ler ? Eh bien ce qui reste à déman­te­ler c’est : la libé­ra­tion com­plète des licen­cie­ments col­lec­tifs, la res­tric­tion du droit de grève, qui est pour le moment le plus favo­rable en Europe, la dimi­nu­tion de la pro­tec­tion dont jouissent les syn­di­ca­listes et les délé­gués syn­di­caux et la dimi­nu­tion dras­tique du finan­ce­ment public qui est des­ti­né aux syndicats.

Voi­là ce qui est au menu des négo­cia­tions d’ici le mois de sep­tembre. À ceci s’ajoutent les réformes de struc­ture. Les réformes de struc­ture sont essen­tiel­le­ment au nombre de deux. Pre­miè­re­ment a été créé un Conseil de dis­ci­pline fis­cale, depuis l’automne der­nier, com­po­sé de sept membres, là encore dont la nomi­na­tion se fait par le minis­tère des finances mais qui exige l’accord préa­lable de la Troï­ka. Quelle est la tâche de ce Conseil ? La tâche de ce Conseil, qui était déjà pré­vue en tant que telle par le mémo­ran­dum, est d’activer des coupes bud­gé­taires auto­ma­tiques si les objec­tifs d’excédents bud­gé­taires ne sont pas atteints, donc s’il y a un soup­çon qu’ils ne seront pas atteints. Or dans une éco­no­mie qui est en réces­sion pour la sep­tième année consé­cu­tive, et mal­gré un véri­table écra­se­ment de la dépense publique, l’objectif qui est fixé est un excé­dent bud­gé­taire pri­maire, c’est-à-dire avant le rem­bour­se­ment de la dette, de 3,5 % du PIB pour à l’horizon 2018. 

C’est des choses qu’aucune éco­no­mie au monde même les plus puis­santes n’est en mesure d’assurer. Donc il est cer­tain d’avance que cet objec­tif com­plè­te­ment irréa­liste ne va pas être tenu et les coupes bud­gé­taires seront acti­vées par le méca­nisme qui vient d’être voté main­te­nant et donc juri­di­que­ment ver­rouillé par le Par­le­ment grec de ce que les grecs appellent « κόπτης [kóp­tis] » ça veut dire au sens strict « le cou­peur », c’est-à-dire c’est ce méca­nisme auto­ma­tique qui va faire les coupes sans même que les coupes passent par un vote par­le­men­taire, par un simple décret. Donc dépos­ses­sion com­plète vrai­ment de ce qui pou­vait exis­ter encore de contrôle de la poli­tique, de ce qui res­tait de contrôle de la poli­tique macroé­co­no­mique, bon en réa­li­té très peu vu les mémorandums.

Deuxième réforme de struc­ture, le Secré­ta­riat d’Etat aux reve­nus, ce qu’on appel­le­rait ici le Tré­sor Public je pense, est deve­nu com­plè­te­ment indé­pen­dant. Alors il était déjà auto­nome, c’est-à-dire qu’il pou­vait déci­der de façon propre de son bud­get et de ses actions. Ça c’était une condi­tion qui avait été posée dès le pre­mier mémo­ran­dum et c’est l’un des obs­tacles d’ailleurs aux­quels le pre­mier gou­ver­ne­ment Syri­za a dû faire face. La vice-ministre de l’économie, Nadia Vala­va­ni, a écrit des textes extrê­me­ment inté­res­sants qui racontent les démê­lés jus­te­ment du minis­tère pen­dant les pre­miers mois du pre­mier gou­ver­ne­ment Syri­za quand il a essayé de pas­ser un mini­mum de mesures favo­rables aux couches popu­laires. Mais là ça devient une agence com­plè­te­ment indé­pen­dante dont les déci­sions ont valeur de décrets minis­té­riels, qui a l’exclusivité de l’interprétation de la légis­la­tion en matière fis­cale, qui est contrô­lée direc­te­ment par des gens approu­vés par la Troï­ka, et en réa­li­té ça veut dire que la Troï­ka contrôle direc­te­ment la col­lecte des taxes, de l’impôt et du reve­nu de l’Etat grec.

Donc on contrôle les taxes, on contrôle les dépenses, le sec­teur finan­cier est par­ti, la poli­tique moné­taire est à Frank­fort. Qu’est-ce qui reste ? Il reste que la Grèce est deve­nue un grand Koso­vo. Voi­là, en gros. Et cela se fait sous un gou­ver­ne­ment, Syri­za, qui dans les votes par­le­men­taires n’a eu qu’une seule perte en terme de voix et de dépu­tés c’est-à-dire moins que ce que le Pasok et la Nou­velle Démo­cra­tie avaient subi comme pertes au par­le­ment de leur propre groupe par­le­men­taire quand ils étaient au gou­ver­ne­ment et fai­saient pas­ser des mesures similaires.

Inter­ven­tion d’une per­sonne dans le public : « Ça veut dire qu’il n’y a qu’un  dépu­té qui les a abandonnés ? »

Kou­ve­la­kis répond et reprend : Un seul oui, une seule dépu­tée, qui a démis­sion­né. Elle a même, démis­sion­né ce qui veut dire que son siège a été rem­pli par le sup­pléant qui est un loya­liste elle n’a même pas pris la déci­sion disons de gar­der son siège et de conti­nuer à avoir une pré­sence indé­pen­dante au Par­le­ment (elle a voté contre deux mesures prin­ci­pales, c’était pas contre l’ensemble du paquet).

Alors la deuxième chose main­te­nant, et je vais conclure cette pré­sen­ta­tion par cela : quel est l’état d’esprit qui existe en Grèce à l’heure actuelle ?

Il ne faut pas se racon­ter des his­toires, on est dans l’onde de choc de la défaite. Les réac­tions sociales qu’il y a eu, des réac­tions sur le fond social en termes de mobi­li­sa­tions ou de grèves, étaient les plus faibles qu’on ait vues depuis le début de la période des mémo­ran­dums. Alors bien sûr on peut cher­cher des expli­ca­tions, l’état déla­bré du mou­ve­ment syn­di­cal, les choix qui sont faits  par des direc­tions syn­di­cales pour leur majo­ri­té cor­rom­pues qui, là, ont été aidées par la tac­tique à la fois atten­tiste et extrê­me­ment sec­taire du par­ti com­mu­niste. Mais ce qui à mon avis est encore plus impor­tant que cela c’est le cli­mat de démo­ra­li­sa­tion qui existe dans la socié­té. Les gens ont reçu un énorme coup de mas­sue sur la tête et l’état d’esprit qui règne c’est que quoi qu’on fasse, quoi qu’on vote, à la fin on se retrouve avec un mémo­ran­dum et il n’y a aucune issue qui appa­raît à ce tunnel.

Et il faut bien com­prendre que l’issue n’apparaît pas à ce tun­nel car la barre est pla­cée tou­jours à ce niveau-là, c’est une pers­pec­tive, si pers­pec­tive alter­na­tive il y a, ce n’est pas pour construire une petite force mino­ri­taire qui va conti­nuer à accu­mu­ler des forces, même si en réa­li­té on ne peut pas faire autre chose pour l’instant que ça, mais pour la socié­té ce qu’elle ne voit pas c’est quelque chose qui trace une véri­table voie alter­na­tive. Et cela veut dire que c’est un constat d’échec pour l’ensemble des forces qui ont lut­té y com­pris celles qui ont lut­té contre le tour­nant et la capi­tu­la­tion de Syri­za, et on pour­ra reve­nir, pen­dant la dis­cus­sion si vous vou­lez, sur les rai­sons plus profondes.

Alors ma der­nière remarque de conclu­sion sera la sui­vante : je crois que la vraie dis­cus­sion qui a com­men­cé en Europe c’est celle sur ce qu’on appelle les plans B, les plans alter­na­tifs. Alors vous savez qu’il y a déjà eu deux ini­tia­tives, l’une à Paris, l’autre à Madrid, Éric a par­ti­ci­pé aux deux il pour­ra nous en dire davan­tage. L’idée de ce plan B pour l’Europe c’est que il faut, si vous vou­lez, des plans B qui soient adap­tés aux diverses réa­li­tés et qui tirent la leçon de ce qui s’est pas­sé en Grèce. C’est-à-dire il est abso­lu­ment clair que si on s’engage dans une pers­pec­tive de rup­ture avec l’austérité et avec le néo­li­bé­ra­lisme sans avoir pré­vu les moyens concrets pour mener la confron­ta­tion avec les ins­ti­tu­tions euro­péennes, avec l’Union Euro­péenne, y com­pris d’ailleurs avec l’euro, avant tout d’ailleurs avec l’euro pour les pays qui en font par­tie, et avec les classes domi­nantes au niveau natio­nal, ces expé­riences n’auront pas d’issue dif­fé­rente que celle de la Grèce. Et par rap­port à ça, c’est bien sûr insuf­fi­sant comme conclu­sion mais c’est à mon avis le point de départ obli­gé pour toute réflexion, il faut abso­lu­ment aban­don­ner les illu­sions et les dis­cours sur chan­ger l’actuelle Union Euro­péenne, réfor­mer l’actuelle Union Euro­péenne, chan­ger gra­duel­le­ment le rap­port de force, reje­ter les gens qui pro­posent des solu­tions de rup­ture comme soit disant des natio­na­listes ou des gens qui veulent le repli natio­nal. Tout ceci en Grèce a fait la preuve du fait qu’il ne pou­vait conduire qu’au désastre. C’est un dis­cours de l’impuissance poli­tique. La rup­ture avec cela est une condi­tion abso­lu­ment pas suf­fi­sante mais tout à fait néces­saire pour enga­ger une réflexion sur le sujet.

Mais il faut aller au-delà. Et l’Union Euro­péenne ce n’est pas sim­ple­ment l’euro et l’utilisation poli­tique de l’euro comme cela a été fait en Grèce pour bri­ser tout gou­ver­ne­ment natio­nal qui veut rompre avec les poli­tiques d’austérité. L’Union Euro­péenne c’est un modèle éco­no­mique qui pro­duit de la pola­ri­sa­tion en son sein, qui pro­duit des diver­gences et des pola­ri­sa­tions crois­santes entre les pays dits du centre et les pays de la péri­phé­rie. Et il y a deux péri­phé­ries en réa­li­té en Europe, il y a la péri­phé­rie du sud euro­péen au sens où je par­lais aupa­ra­vant et il y a la péri­phé­rie de l’est euro­péen éga­le­ment. Et l’Union Euro­péenne ce n’est pas sim­ple­ment ce qui se passe à l’intérieur de l’Union Euro­péenne, c’est aus­si ce qui se passe à l’extérieur de l’Union Euro­péenne. On ne peut pas ici ne pas appe­ler les choses par leur nom. L’Union Euro­péenne n’est pas sim­ple­ment une construc­tion qui ver­rouille le néo­li­bé­ra­lisme. Elle n’est pas sim­ple­ment une construc­tion qui détruit la démo­cra­tie, dépos­sède les peuples et les citoyens de leurs moyens de contrôle et d’action, à quelque niveau que ce soit. C’est une machine impé­ria­liste. Ce n’est pas un impé­ria­lisme uni­fié bien sûr. Il n’y a pas un impé­ria­lisme euro­péen en tant que tel. Mais la France est un pays impé­ria­liste. Et Fran­çois Hol­lande a été le pré­sident le plus va-t-en-guerre qu’on a vu pen­dant ces der­nières décen­nies. Fran­çois Hol­lande est dans la conti­nui­té de Guy Mol­let, Emma­nuel Valls évi­dem­ment de Jules Moch. La Grande-Bre­tagne aus­si est un pays impé­ria­liste. Et l’Allemagne est un pays qui n’a pas un impé­ria­lisme mili­taire mais qui a un impé­ria­lisme éco­no­mique, et pour laquelle la construc­tion euro­péenne est pré­ci­sé­ment le cadre où se déploie son impé­ria­lisme éco­no­mique. Et l’euro a bien enten­du été conçu dans cette perspective-là.

Mais l’Union Euro­péenne fonc­tionne comme un impé­ria­lisme uni­fié sur au moins un niveau, et je ter­mi­ne­rai vrai­ment là par ça.

C’est la construc­tion de l’Europe for­te­resse, qui est l’autre face jus­te­ment de la construc­tion euro­péenne. Et, comme cela était tout à fait pré­vi­sible, la capi­tu­la­tion com­plète de Tsi­pras, au niveau du mémo­ran­dum, au niveau du néo­li­bé­ra­lisme, au niveau des poli­tiques d’austérité, au niveau de la démo­cra­tie, a été sui­vie par sa bruyante appro­ba­tion de l’accord inique qui a été signé entre l’Union Euro­péenne et la Tur­quie, qui empêche les réfu­giés d’accéder à l’Europe et qui trans­forme la Grèce en garde-chiourme de la for­te­resse européenne.

Parce que c’est ça le rôle qui est dévo­lu aux néo-colo­ni­sés. C’est d’accepter doci­le­ment le sort qui leur est fait et de ser­vir de flics de la for­te­resse, pour empê­cher que les va-nu-pieds du sud glo­bal atteignent les pays du centre impé­ria­listes, pros­pères et repus dans leur richesse.

Et par rap­port à cela il faut sou­li­gner, et c’est de mon côté la seule nou­velle posi­tive que j’ai eu de la Grèce à une échelle signi­fi­ca­tive, que la socié­té grecque a réagi de manière posi­tive et soli­daire, dans sa majo­ri­té bien sûr, par rap­port à cette situa­tion. Je dirais que c’est une soli­da­ri­té des humbles, c’est une soli­da­ri­té de ceux qui se sentent eux aus­si écra­sés, qui n’ont pas peut-être per­du la mémoire qu’une par­tie impor­tante de la popu­la­tion grecque actuelle vient éga­le­ment de vagues de réfu­giés, a vécu la situa­tion de réfu­giés, leurs ancêtres ont vécu la situa­tion de réfu­giés en 1922, et a donc refu­sé de suivre les dis­cours racistes, xéno­phobes, qui n’ont pas man­qué, mais ce n’est pas eux qui l’ont empor­té dans la réac­tion de la société.

Et je pense que cette réac­tion soli­daire de la socié­té montre qu’il reste des réflexes pro­fonds qui pour le moment ne peuvent pas trou­ver une voie col­lec­tive et arti­cu­lée pour s’exprimer mais qui dans l’avenir consti­tue­ront le socle de la résis­tance et de la mobi­li­sa­tion popu­laire à venir.

Sta­this KOUVELAKIS.

Pour m'aider et m'encourager à continuer, il est désormais possible de faire un don.
Un grand merci aux donatrices et donateurs : par ce geste, vous permettez à de beaux projets de voir le jour, pour notre cause commune.
Étienne

Catégorie(s) de l'article :

10 Commentaires

  1. etienne

    [Édi­fiant] Situa­tion éco­no­mique de la Grèce avant son adhé­sion à la CEE
    httpv://www.youtube.com/watch?v=gU1XL5-gOkU
    Info signa­lée par les​-crises​.fr

    Réponse
  2. etienne

    [Tra­hi­sons poli­ti­ciennes] Chi­rac sur l’Eu­rope : constance et cohérence
    httpv://www.youtube.com/watch?v=qYYbE4iPK_M

    Réponse
    • Xavier

      Dans ce domaine comme ailleurs, il convien­drait de faire un peu de ther­mo­dy­na­mique pour com­prendre ce qu’est un système.

      Une ques­tion pour illus­trer : « un réfri­gé­ra­teur, ça refroidit ? » ?

      Oui, bien sûr !… un fri­go sert à refroi­dir ! Enfin ce qui est à l’in­té­rieur, mais glo­ba­le­ment un fri­go ça réchauffe !…

      Il serait temps que les occi­den­taux com­prennent, sur le même prin­cipe de la com­par­ti­men­ta­tion, du cloi­son­ne­ment (des murs, entre les USA et le Mexique, entre Israël et la Pales­tine, etc.)… que les « valeurs occi­den­tales » évo­quées par Chi­rac, comme la paix van­tée pour jus­ti­fier la construc­tion euro­péenne, loin de pro­duire glo­ba­le­ment la paix ou le pro­grès, engagent le monde vers la guerre et le chaos.

      Alors quand on est « dans le fri­go », on peut faire sem­blant d’y croire, si les cloi­sons sont joli­ment peintes ou si nos bons maitres ont ouvert des fenêtres pour qu’on voit loin, mais la réa­li­té, mal­gré les bonnes inten­tions, les ONG et autres œillères que nous nous met­tons, c’est que notre mode de vie pro­duit inexo­ra­ble­ment la com­pé­ti­tion dans toutes ses formes, dont celle, ultime, qui vient tou­jours : la guerre, celle que nous avons ingé­nieu­se­ment repous­sée hors de nos fron­tières, mais qui revient comme un boo­me­rang, dans sa moda­li­té sale : le terrorisme.

      Réponse
  3. etienne

    [Depuis tou­jours, les pires enne­mis de l’hu­ma­ni­té sont bien les banques, repaires d’usuriers]

    Banque mondiale, une zone de non-droit protégée par des juges

    23 juillet par Renaud Vivien

    Un tri­bu­nal de Washing­ton a auto­ri­sé la Banque mon­diale à ne pas répondre de ses actes devant la jus­tice éta­su­nienne |1|. Les plai­gnants indiens ont déjà fait appel de cette déci­sion qui confère à la Banque mon­diale une immu­ni­té qui la place de fac­to au des­sus des lois.

    Le litige oppose des pêcheurs et des pay­sans indiens à la Socié­té finan­cière inter­na­tio­nale (SFI) – la branche de la Banque mon­diale char­gée de sou­te­nir le sec­teur pri­vé qui a finan­cé à hau­teur de 450 mil­lions de dol­lars la construc­tion d’une cen­trale à char­bon (dans l’État fédé­ré de Guja­rat situé dans la par­tie ouest de l’Inde). Les plai­gnants demandent aux juges de Washing­ton, où se trouve le siège de la Banque mon­diale, de condam­ner la SFI (Banque mon­diale) à répa­rer le pré­ju­dice social et envi­ron­ne­men­tal cau­sé par cette cen­trale de char­bon construite près des terres où ils vivent et tra­vaillent. Les consé­quences néfastes sont mul­tiples : dégra­da­tion de l’air et de l’écosystème marin, empoi­son­ne­ment de l’eau, dépla­ce­ment de popu­la­tions, des­truc­tion du mode de vie des com­mu­nau­tés locales.

    Ce qui est repro­ché pré­ci­sé­ment à la Banque mon­diale est «  sa conduite irres­pon­sable et négli­gente » à toutes les étapes du pro­jet. La SFI a non seule­ment finan­cé la cen­trale à char­bon mais a éga­le­ment four­ni des conseils et super­vi­sé l’ensemble de sa construc­tion. Pour­tant, dès le début de ce pro­jet, la SFI a elle-même recon­nu qu’il com­por­tait des risques impor­tants et que ses impacts néfastes étaient poten­tiel­le­ment irré­ver­sibles sur les com­mu­nau­tés locales et leur envi­ron­ne­ment. Une plainte en interne a ensuite été dépo­sée par les pay­sans et pêcheurs indiens auprès du ser­vice de média­tion de la Banque mon­diale : the Com­pliance Advi­sor Ombuds­man (CAO). Ce der­nier a don­né rai­son aux com­mu­nau­té locales dans un rap­port concluant que la SFI n’a pas res­pec­té ses propres pro­cé­dures de sau­ve­garde envi­ron­ne­men­tale et sociale. Mais la banque a déci­dé de reje­ter ces conclu­sions et de pour­suivre la projet.

    Cette affaire est loin d’être un cas iso­lé. La Banque mon­diale a admis en mars 2015 que «  la super­vi­sion de ces pro­jets était sou­vent peu ou non docu­men­tée, que l’application des mesures de pro­tec­tion ne fai­sait pas l’objet du sui­vi néces­saire et que le risque éle­vé de cer­tains pro­jets pour les popu­la­tions envi­ron­nantes n’avait pas été suf­fi­sam­ment éva­lué  » |2|. Selon une étude d’OXFAM, la SFI « n’a qu’une connais­sance limi­tée des résul­tats pour les béné­fi­ciaires finaux |3| » car l’évaluation des pro­jets qu’elle finance se base uni­que­ment sur des chiffres trans­mis par l’institution finan­cière cliente et inter­mé­diaire de la SFI.

    Comme l’a sou­li­gné le Conseil consul­ta­tif belge sur la cohé­rence des poli­tiques |4|, plu­sieurs pro­jets finan­cés par la SFI se sont tra­duits par de graves infrac­tions aux droits humains : acca­pa­re­ment des terres, répres­sion, arres­ta­tions arbi­traires ou meurtres afin de faire taire les mou­ve­ments de pro­tes­ta­tion contre cer­tains pro­jets finan­cés par la banque. Le cas de la l’entreprise Dinant au Hon­du­ras illustre bien cette situa­tion |5|. En 2010, Dinant avait été impli­quée dans un conflit fon­cier au cours duquel six pay­sans avaient été abat­tus par les forces de sécu­ri­té pri­vée de la firme. L’enquête sub­sé­quente du CAO de la Banque mon­diale a démon­tré que la SFI était au cou­rant des pro­blèmes entou­rant les acti­vi­tés de Dinant. Mais aucune condam­na­tion n’a sui­vi. Citons éga­le­ment l’enquête de ter­rain réa­li­sée dans qua­torze pays, cou­plée à un tra­vail d’analyse de mil­liers de rap­ports par le consor­tium inter­na­tio­nal de jour­na­liste d’investigation (ICIJ) |6|, qui révèle que les pro­jets finan­cés par la Banque mon­diale ont contraint près de 3,4 mil­lions de per­sonnes à quit­ter leur domi­cile depuis 2004, par­fois avec le recours des poli­ciers armés char­gés de les expulser.

    Consta­tant toutes ces vio­la­tions, le Rap­por­teur spé­cial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’extrême pau­vre­té Phi­lip Alston a pré­sen­té devant l’Assemblée géné­rale de l’ONU le 4 août 2015 un rap­port cin­glant consa­cré à la Banque mon­diale, affir­mant que « la Banque mon­diale s’assied sur les droits humains, elles les consi­dère davan­tage comme un mala­die infec­tieuse que comme des valeurs et des obli­ga­tions uni­ver­selles |7| ».

    Ce com­por­te­ment de la banque est en total déca­lage avec ses obli­ga­tions juri­diques. En effet, la Banque mon­diale a non seule­ment l’o­bli­ga­tion de res­pec­ter ses règles internes (comme les pro­cé­dures de sau­ve­garde envi­ron­ne­men­tale et sociale) mais aus­si toute règle per­ti­nente du droit inter­na­tio­nal géné­ral incluant les ins­tru­ments de pro­tec­tion de droits humains. Comme l’a rap­pe­lé récem­ment le Comi­té de l’ONU pour les droits éco­no­miques, sociaux et cultu­rels dans une décla­ra­tion offi­cielle datée du 24 juin 2016 |8|, la Banque mon­diale comme toute autre orga­ni­sa­tion inter­na­tio­nale doit impé­ra­ti­ve­ment res­pec­ter la Décla­ra­tion uni­ver­selle des droits de l’homme, les prin­cipes géné­raux du droit inter­na­tio­nal et les Pactes de 1966 sur les droits humains |9|. De plus, la Banque mon­diale et le Fonds moné­taire inter­na­tio­nal (FMI), en tant qu’agences spé­cia­li­sées de l’ONU, sont liés par les objec­tifs et prin­cipes géné­raux de la Charte des Nations Unies, par­mi les­quels figurent le res­pect des droits humains et des liber­tés fon­da­men­tales |10|. Par consé­quent, il leur est inter­dit d’imposer des mesures qui empêchent les États de se confor­mer à leurs propres obli­ga­tionss natio­nales et inter­na­tio­nales en matière de droits humains |11|.

    La Banque mon­diale agit donc dans l’illégalité lorsqu’elle finance des pro­jets, tels que la cen­trale à char­bon en Inde, qui ont des consé­quences pré­ju­di­ciable sur les droits humains et l’environnement mais aus­si lorsqu’elle fixe avec le FMI des condi­tion­na­li­tés à leurs prêts, qui vont à l’encontre des droits humains. Le droit à l’eau est, par exemple, régu­liè­re­ment vio­lé par les pri­va­ti­sa­tions impo­sées dans ce sec­teur tout comme le droit à la san­té est bafoué par les réduc­tions de dépenses publiques dans la san­té. Autre exemples, les condi­tion­na­li­tés visant la déré­gu­la­tion du mar­ché du tra­vail et le déman­tè­le­ment des sys­tème publics de pro­tec­tion sociale vont direc­te­ment à l’encontre du droit au tra­vail et à la pro­tec­tion sociale. Ces droits sont aus­si sérieu­se­ment mis à mal dans le rap­port « Doing Busi­ness |12| » publié tous les ans par la banque. Dans ce rap­port, tous les États sont éva­lués et clas­sés en fonc­tion de la faci­li­té à y « faire des affaires », sur base d’une bat­te­rie d’indicateurs comme l’indicateur « employing wor­kers » qui consi­dère que toute forme de légis­la­tion pro­té­geant les tra­vailleurs est un obs­tacle au « busi­ness » |13|. Dans le sec­teur agri­cole, l’amélioration du « cli­mat des affaires » encou­rage fré­quem­ment l’accaparement des terres. A titre d’exemple, les réformes ayant per­mis aux Phi­lip­pines d’améliorer sa posi­tion dans ce clas­se­ment de la Banque mon­diale ont per­mis aux « inves­tis­seurs » dans ce pays de déve­lop­per des mono­cul­tures au pré­ju­dice des com­mu­nau­tés locales, qui ont été expul­sées de leurs terres ances­trales. Dans le domaine agri­cole tou­jours, la Banque mon­diale publie un autre rap­port inti­tu­lé « Enabling the Busi­ness of Agri­cul­ture |14| » qui encou­rage les gou­ver­ne­ments à pri­va­ti­ser des filières agri­coles au détri­ment notam­ment des petits pro­duc­teurs |15|.

    Alors qu’un prin­cipe élé­men­taire du droit est de répa­rer le dom­mage qu’on a cau­sé du fait de sa propre faute, les juges de Washing­ton ont ren­du une déci­sion qui va à l’encontre de ce prin­cipe puisqu’ils consi­dèrent que la Banque mon­diale jouit d’une immu­ni­té en tant qu’organisation inter­na­tio­nale. Ce qui lui garan­tit une impu­ni­té pour toutes ses actions qui vio­le­raient les droits des popu­la­tions. Pire, plus ses actions illé­gales sont nom­breuses et plus les juges éta­su­niens la pro­tègent, au motif que la mul­ti­pli­ca­tion d’actions en jus­tice contre la banque ris­que­rait d’entraver le bon dérou­le­ment de ses acti­vi­tés. C’est ce qu’indique le rai­son­ne­ment des juges de Washington.

    En effet, lorsque les avo­cats des plai­gnants indiens invoquent à juste titre l’article 7 sec­tion 3 |16| des sta­tuts de la Banque mon­diale qui pré­voit expli­ci­te­ment que la banque peut être pour­sui­vie en jus­tice sous cer­taines condi­tions, les juges rétorquent que cette pos­si­bi­li­té de pour­suivre en jus­tice ne vaut que dans les cas où ces pour­suites sont dans l’intérêt de la banque ! Selon les juges, il faut appli­quer cet article 7 sec­tion 3 en tenant compte de l’article 7 sec­tion 1 des sta­tuts, qui indique que la banque a renon­cé à son immu­ni­té dans le but de rem­plir ses fonc­tions |17|. Ce qui fait dire aux juges que la Banque mon­diale a eu l’intention de lever son immu­ni­té uni­que­ment dans les cas où cela lui pro­fite |18|. Lorsque les avo­cats des pay­sans indiens répondent que cette action en jus­tice aura comme effet posi­tif d’inciter la Banque mon­diale à res­pec­ter ses propres pro­cé­dures de sau­ve­gardes sociales et envi­ron­ne­men­tales et donc à agir de façon res­pon­sable à l’avenir, le tri­bu­nal rejette cet argu­ment en disant que le « béné­fice » pour la banque est mar­gi­nal com­pa­ré aux « coûts sub­stan­tiels » qu’entraînerait la levée de cette immu­ni­té |19|. Accep­ter de juger ce cas de vio­la­tion de droits humains aurait de trop lourdes consé­quences pour la banque car cela ouvri­rait la « boîte de pan­dore » avec d’autres actions en jus­tice contre elle. Rap­pe­lons, en effet, que la Banque mon­diale tout comme le FMI n’ont jamais eu à rendre de compte devant la jus­tice, en plus de soixante ans d’existence ?

    Alors que plu­sieurs rap­ports épinglent les mul­tiples vio­la­tions de droits humains par la Banque mon­diale – ce qui devrait logi­que­ment inci­ter les tri­bu­naux à (enfin) sanc­tion­ner ces vio­la­tions – les juges éta­su­niens font l’inverse en ren­for­çant la Banque mon­diale comme « zone exempte de droits de l’homme » comme l’a qua­li­fiée le Rap­por­teur spé­cial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’extrême pau­vre­té |20|.

    Face à ce juge­ment, les com­mu­nau­tés indiennes affec­tées ne baissent pas les bras et ont déjà fait appel. Le CADTM les sou­tient plei­ne­ment dans leur lutte et appelle à mul­ti­plier les pro­cès à chaque fois que cette banque cause des dom­mages à la popu­la­tion et l’environnement. L’impunité de la Banque mon­diale n’a que trop duré.

     

    Notes

    |1| Jam v. Inter­na­tio­nal Finance Cor­po­ra­tion, No. 1:15-cv-00612.https://​www​.ear​thrights​.org/​s​i​t​e​s​/​d​e​f​a​u​l​t​/​f​i​l​e​s​/​d​o​c​u​m​e​n​t​s​/​j​a​m​_​v​_​i​f​c​_​-​_​o​r​d​e​r​_​g​r​a​n​t​i​n​g​_​m​t​d​.​pdf

    |2| http://​www​.ban​que​mon​diale​.org/​f​r​/​n​e​w​s​/​p​r​e​s​s​-​r​e​l​e​a​s​e​/​2​0​1​5​/​0​3​/​0​4​/​w​o​r​l​d​b​a​n​k​-​s​h​o​r​t​c​o​m​i​n​g​s​-​r​e​s​e​t​t​l​e​m​e​n​t​-​p​r​o​j​e​c​t​s​-​p​l​a​n​-​f​i​x​-​p​r​o​b​l​ems

    |3| Oxfam (2015). The suf­fe­ring of the others, Oxford : Oxfam GB, p. 2.https://​www​.oxfam​.org/​e​n​/​r​e​s​e​a​r​c​h​/​s​u​f​f​e​r​i​n​g​-​o​t​h​ers

    |4| Voir son avis por­tant sur « le man­dat de la Bel­gique au sein de la Banque mon­diale » acces­sible surhttp://​www​.ccpd​-abco​.be/. Le Conseil consul­ta­tif sur la cohé­rence des poli­tiques a été créé en avril 2014. Il a pour mis­sion prin­ci­pale de don­ner des avis aux auto­ri­tés fédé­rales belges pour plus de res­pect de la cohé­rence des poli­tiques en faveur du déve­lop­pe­ment. Ces avis sont pré­pa­rés par des experts du monde syn­di­cal, des ONG et du monde aca­dé­mique réunis dans une ‘com­mis­sion thé­ma­tique’. Ils sont ensuite étu­diés et vali­dés par le Conseil consul­ta­tif sur la cohé­rence des poli­tiques pré­si­dé par Oli­vier De Schut­ter. Le CADTM Bel­gique a par­ti­ci­pé à l’élaboration de cet Avis sur la Banque mondiale.

    |5| Cette socié­té hon­du­rienne pro­duc­trice d’huile de palme était le troi­sième client de la banque hon­du­rienne Ficoh­sa, dans laquelle la SFI a inves­ti 70 mil­lions de dol­lars en 2011.
    Lire l’article « Com­ment la Banque mon­diale finance le mas­sacre de dizaines de pay­sans »http://​www​.cncd​.be/​C​o​m​m​e​n​t​-​l​a​-​B​a​n​q​u​e​-​m​o​n​d​i​a​l​e​-​f​i​n​a​nce

    |6| http://www.lesoir.be/852058/article/actualite/monde/2015–04-15/enquete-internationale-34-millions-personnes-expulsees-par-banque-mondiale

    |7| http://​www​.un​.org/​e​n​/​g​a​/​s​e​a​r​c​h​/​v​i​e​w​_​d​o​c​.​a​s​p​?​s​y​m​b​o​l​=​A​/​7​0​/​274
    Lire aus­si l’article « La Banque mon­diale sous les feux de la cri­tique du Rap­por­teur Spé­cial de l’ONU sur l’extrême pau­vre­té et les droits humains » http://​www​.cadtm​.org/​s​p​i​p​.​p​h​p​?​p​a​g​e​=​i​m​p​r​i​m​e​r​&​i​d​_​a​r​t​i​c​l​e​=​1​2​4​2​7​#​nb1

    |8| E/C.12/2016/1 « Public debt, aus­te­ri­ty mea­sures and the Inter­na­tio­nal Cove­nant on Eco­no­mic, Social and Cultu­ral Rights ». Sta­te­ment by the Com­mit­tee on Eco­no­mic, Social and Cultu­ral Rights :

    Extrait : « The Len­ders them­selves have obli­ga­tions under gene­ral inter­na­tio­nal law. As any other sub­jects of inter­na­tio­nal law, inter­na­tio­nal finan­cial ins­ti­tu­tions and other inter­na­tio­nal orga­ni­sa­tions are ’bound by any obli­ga­tions incumbent upon them under gene­ral rules of inter­na­tio­nal law, under their consti­tu­tions or under inter­na­tio­nal agree­ments to which they are parties’.They are the­re­fore bound to com­ply with human rights, as lis­ted in par­ti­cu­lar in the Uni­ver­sal Decla­ra­tion of Human Rights, that are part of cus­to­ma­ry inter­na­tio­nal law or of the gene­ral prin­ciples of law, both of which are sources of inter­na­tio­nal law »
    https://xa.yimg.com/kq/groups/2743668/1005740263/name/Conditional%20lending%20E_C-12_2016_1_8064_E%2Epdf

    |9| Cour inter­na­tio­nale de jus­tice, Inter­pré­ta­tion de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Égypte, avis consul­ta­tif du 20 décembre 1980, CIJ Rec. 1980, para 37, pp. 89–90.

    |10| Charte des Nations Unies, articles 57, 63, 1(3) et 55(3).

    |11| Com­mis­sion du droit inter­na­tio­nal. (2011). Pro­jet d’articles sur la res­pon­sa­bi­li­té des orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales, adop­té par la CDI à sa 63e ses­sion (A/66/10, para. 87), art. 16.

    |12| http://​www​.doing​bu​si​ness​.org/

    |13| http://​www​.cncd​.be/​D​o​i​n​g​-​B​u​s​i​n​e​s​s​-​u​n​-​r​a​p​p​o​r​t​-au

    |14| http://​eba​.world​bank​.org/

    |15| Let­ter from the UN Rap­por­teur on Right to food and the UN Inde­pendent Expert on forei­gn debt to World Bank to
    Pre­sident World Bank, 9 octobre 2012.

    |16| « La Banque ne peut être pour­sui­vie que devant un tri­bu­nal ayant juri­dic­tion sur les ter­ri­toires d’un État membre où elle pos­sède un bureau, a dési­gné un agent char­gé de rece­voir les signi­fi­ca­tions ou noti­fi­ca­tions de som­ma­tions ou a émis ou garan­ti des titres. Aucune action judi­ciaire ne pour­ra cepen­dant être inten­tée par des États membres ou par des per­sonnes agis­sant pour le compte des­dits États, ou fai­sant valoir des droits cédés par ceux-ci. Les biens et avoirs de la Banque où qu’ils soient situés et quel qu’en soit le déten­teur, seront à l’abri de toute forme de sai­sie, d’opposition ou d’exécution tant qu’un juge­ment défi­ni­tif n’aura pas été pro­non­cé contre la Banque ».http://​web​.world​bank​.org/​W​B​S​I​T​E​/​E​X​T​E​R​N​A​L​/​A​C​C​U​E​I​L​E​X​T​N​/​E​X​T​A​B​T​U​S​F​R​E​N​C​H/0„contentMDK:20405772 menuPK:866224 pagePK:64094163 piPK:64094165 theSitePK:328614,00.html#article7section7

    |17| « En vue de mettre la Banque en mesure de rem­plir les fonc­tions qui lui sont confiées, le sta­tut juri­dique, les immu­ni­tés et pri­vi­lèges défi­nis dans le pré­sent article seront accor­dés à la Banque sur les ter­ri­toires de chaque Etat membre ».http://​web​.world​bank​.org/​W​B​S​I​T​E​/​E​X​T​E​R​N​A​L​/​A​C​C​U​E​I​L​E​X​T​N​/​E​X​T​A​B​T​U​S​F​R​E​N​C​H/0„contentMDK:20405772 menuPK:866224 pagePK:64094163 piPK:64094165 theSitePK:328614,00.html#article7section7
    voir éga­le­ment le juge­ment « Men­da­ro contre la Banque mon­diale », US Court of Appeals, D.C Cir., Sept. 27, 1983 ( 717 F.2d 610)

    |18| Extrait du juge­ment : ‘when the bene­fits accruing to the orga­ni­za­tion as a result of the wai­ver would be sub­stan­tial­ly out­wei­ghe d by the bur­dens cau­sed by judi­cial scru­ti­ny of the organization’s dis­cre­tion to select and admi­nis­terts pro­grams, it is logi­cal­ly less pro­bable that the orga­ni­za­tion actual­ly inten­ded to waive its immu­ni­ty.’” (…) The rele­vant ques­tion is thus “whe­ther a wai­ver of immu­ni­ty to allow this type of suit, by this type of plain­tiff, would bene­fit the orga­ni­za­tion over the long term.
    https://​www​.ear​thrights​.org/​s​i​t​e​s​/​d​e​f​a​u​l​t​/​f​i​l​e​s​/​d​o​c​u​m​e​n​t​s​/​j​a​m​_​v​_​i​f​c​_​-​_​o​r​d​e​r​_​g​r​a​n​t​i​n​g​_​m​t​d​.​pdf

    |19| Extrait du juge­ment : «  This Court will not com­ple­te­ly dis­miss the pos­si­bi­li­ty that a wai­ver could pro­vide some incen­tive for IFC to adhere more scru­pu­lous­ly to its poli­cies, over and above the pres­sure alrea­dy applied by the CAO. But that mar­gi­nal bene­fit must be wei­ghed against the rele­vant costs which, in suits like this by these kinds of plain­tiffs ‚remain quite sub­stan­tial. In the Court’s view, for all the rea­sons revie­wed above, suits like plain­tiffs’ are like­ly to impose consi­de­rable costs upon IFC without pro­vi­ding com­men­su­rate bene­fits. Hence, IFC has not wai­ved its immu­ni­ty to this suit ».
    https://​www​.ear​thrights​.org/​s​i​t​e​s​/​d​e​f​a​u​l​t​/​f​i​l​e​s​/​d​o​c​u​m​e​n​t​s​/​j​a​m​_​v​_​i​f​c​_​-​_​o​r​d​e​r​_​g​r​a​n​t​i​n​g​_​m​t​d​.​pdf

    |20| http://​www​.un​.org/​p​r​e​s​s​/​f​r​/​2​0​1​5​/​a​g​s​h​c​4​1​4​2​.​d​o​c​.​htm

    Auteur.e

    Renaud Vivien Co-secré­taire géné­ral du CADTM Bel­gique, juriste en droit inter­na­tio­nal. Il est membre de la Com­mis­sion pour la Véri­té sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.

    Source : CADTM

    Réponse
  4. etienne

    [Inévi­table hubris (déme­sure) des pou­voirs sans limites] 

    Israël auto­rise la pri­son pour actes « ter­ro­ristes » à par­tir de 12 ans :

    http://​www​.euro​pe1​.fr/​i​n​t​e​r​n​a​t​i​o​n​a​l​/​i​s​r​a​e​l​-​a​u​t​o​r​i​s​e​-​l​a​-​p​r​i​s​o​n​-​p​o​u​r​-​a​c​t​e​s​-​t​e​r​r​o​r​i​s​t​e​s​-​a​-​p​a​r​t​i​r​-​d​e​-​1​2​-​a​n​s​-​2​8​1​2​930

    Source : Europe1, via rezo​.net

    L’é­lec­tion donne le pou­voir aux pires.
    Donc, les pires gouvernent.
    Et ça s’aggrave.
    Et la solu­tion ne vien­dra pas d’eux. Ceux qui se consi­dèrent comme « les élus » SONT le plus grave pro­blème de l’humanité.
    Il va fal­loir com­men­cer à vous occu­per vous-même de vos affaires, si vous ne vou­lez pas finir enfermé‑e dans un camp de concentration.

    Réponse
  5. etienne

    Écou­tez bien (et notez sur un papier) le détail expli­qué (par Sta­this KOUVELAKIS) de ce qui est désor­mais infli­gé aux Grecs : ça nous pend au nez (parce qu’on regarde trop la télé et qu’on se fait intoxiquer).

    Réponse
  6. etienne

    « Un homme enchaî­né sait qu’il aurait dû agir plus tôt, car sa capa­ci­té à influer sur l’action de l’État touche à sa fin. »

    Julian Assange (fon­da­teur de Wiki­leaks), dans « L’art de la fuite. Des effets non-linéaires des fuites sur les sys­tèmes de gou­ver­nance injustes » (2006).

    https://​old​.chouard​.org/​E​u​r​o​p​e​/​p​r​e​c​i​e​u​s​e​s​_​p​e​p​i​t​e​s​.​pdf

    Réponse
  7. etienne

    Voi­ci donc le script de cette inter­ven­tion (mer­ci Véronique !) :

    STATHIS KOUVELAKIS :
    APRÈS LA CAPITULATION DE SYRIZA,
    QUELLES PERSPECTIVES POUR LA GAUCHE EN EUROPE ?

    Le LIEU-DIT
    Paris, same­di 4 juin 2016

     

    La conver­gence de fait entre un mou­ve­ment social comme Nuit Debout et l’occupation des places, et les mobi­li­sa­tions syn­di­cales et, c’est plus mul­ti­forme, contre la Loi Tra­vail, a pré­sen­té des res­sem­blances évi­dentes avec le mou­ve­ment mul­ti­formes aus­si tel qu’il s’est expri­mé en Grèce pen­dant les grandes années 2010–2011 de la mobi­li­sa­tion contre les pre­miers mémo­ran­dums. Même si les mémo­ran­dums c’était la loi El Khom­ri à la puis­sance 10, parce que ce n’était pas sim­ple­ment un ren­ver­se­ment com­plet du code du tra­vail et de la légis­la­tion du tra­vail mais un bou­le­ver­se­ment de l’ensemble, disons, du contrat social. Donc, ce qui se passe main­te­nant en Grèce nous informe de l’étape à venir et de la gra­vi­té extrême de ce qui est en train de se pré­pa­rer, et qui affecte, comme cela est deve­nu beau­coup plus clair, l’ensemble des pays européens.

    La deuxième rai­son c’est que l’expérience grecque s’est sol­dée par une défaite, et je vais être très clair par rap­port à ça, je vais l’expliquer de façon un peu plus détaillée par la suite, nous sommes encore dans l’onde de choc de cette défaite.

    Or cette défaite est celle d’un pari poli­tique de très grande ampleur qui a pola­ri­sé et sus­ci­té l’intérêt des mou­ve­ments sociaux des gauches radi­cales et anti­ca­pi­ta­listes de l’Europe et au-delà, pen­dant toute une période, et, c’est une expé­rience qui a vu la conjonc­tion d’un pari pro­pre­ment poli­tique avec Syri­za, mais aus­si de tout un capi­tal de lutte et de mobi­li­sa­tion sociale.

    Donc, il est tout à fait cru­cial de tirer les leçons jus­te­ment de ce qui s’est pas­sé en Grèce, pré­ci­sé­ment pour que les poten­tia­li­tés qui se dégagent main­te­nant, en France et je l’espère ailleurs, avec la reprise de la mobi­li­sa­tion sociale et du com­bat de classe, connaissent une issue différente.

    Alors, je vais com­men­cer par un pre­mier point qui est tout sim­ple­ment de vous dire un peu ce qui vient main­te­nant de se scel­ler avec les votes du par­le­ment grec au cours du mois de mai.

    Au cours du mois de mai, en deux vagues suc­ces­sives, le noyau dur du troi­sième mémo­ran­dum qui a été signé par Tsi­pras l’été der­nier, est entré dans les faits. Alors la façon habi­tuelle dont ceci est pré­sen­té est que c’est un nou­veau paquet d’austérité, ce qui est bien sûr tout à fait exact. Ce nou­veau paquet d’austérité implique une réforme du sys­tème des retraites avec la sixième vague de dimi­nu­tion des retraites, et la des­truc­tion du sys­tème de retraites par répar­ti­tion et l’entrée dans un sys­tème de retraites par capi­ta­li­sa­tion, et la condam­na­tion à des niveaux de pau­vre­té et de misère de la grande majo­ri­té des retrai­tés grecs. Il se tra­duit aus­si par une nou­velle vague de sur-taxa­tion infli­gée aux ménages les plus fra­giles et les plus modestes et aux classes moyennes aus­si, qui sont déjà les plus lour­de­ment taxées en Europe, sans que rien bien enten­du ne soit fait pour chan­ger la scan­da­leuse non-impo­si­tion du capi­tal et des pri­vi­lé­giés en Grèce.

    Donc tout ça si vous vou­lez c’est en rajou­ter une couche par rap­port à ce qui a déjà été fait, ceci dans un pays dont le désastre éco­no­mique et social conti­nue sans aucune dis­con­ti­nui­té. Pré­vi­sion pour cette année : 1,5 % de réces­sion après une réces­sion cumu­lée de près de 26 à 27 % depuis le début de la crise, supé­rieure à celle des années trente, je le rap­pelle. Donc on s’acharne sur un cadavre à l’heure actuelle. Mais ce n’est pas tout, et ce serait même gra­ve­ment insuf­fi­sant de ne voir que ça, et c’est ce sur quoi je veux insis­ter maintenant.

    Ce qui se passe en Grèce est une véri­table entre­prise de néo-colo­ni­sa­tion du pays. Je pèse mes mots et je n’exagère en rien ce n’est pas du tout une figure de rhé­to­rique et je vais ten­ter de vous expli­quer pour­quoi. La néo-colo­ni­sa­tion passe par la com­bi­nai­son de deux choses. Pre­miè­re­ment un modèle d’accumulation, un modèle éco­no­mique si vous vou­lez qui est basé sur ce que David Har­vey a appe­lé l’accumulation par dépos­ses­sion. C’est-à-dire un sys­tème d’accumulation du capi­tal qui ne fonc­tionne pas sim­ple­ment et peut-être même pas essen­tiel­le­ment par l’exploitation capi­ta­liste habi­tuelle, celle de la force de tra­vail si vous vou­lez, mais par la pré­da­tion directe de res­sources et tout par­ti­cu­liè­re­ment de res­sources publiques. C’est une notion que David Har­vey a déve­lop­pé au cours de son ana­lyse de ce qu’il appelle « le nou­vel impé­ria­lisme ». Et pour com­prendre jus­te­ment les formes par­ti­cu­liè­re­ment vio­lentes et bru­tales par les­quelles le néo-libé­ra­lisme s’est impo­sé dans les pays du sud. Et c’est pré­ci­sé­ment ce qui est en train de se pas­ser en Grèce. La Grèce c’est l’application pour la pre­mière fois, il n’y a aucune ori­gi­na­li­té en réa­li­té dans la thé­ra­pie de choc qui a été appli­quée en Grèce, en tant que telle, c’est des choses que le FMI a fait dans les pays du sud glo­bal, la seule ori­gi­na­li­té c’est que c’est fait dans un pays d’Europe occidentale.

    La deuxième chose, qui est tout à fait essen­tielle d’un point de vue poli­tique, c’est que se trouve déman­te­lé ce qui res­tait de la sou­ve­rai­ne­té de l’Etat grec et de ses ins­ti­tu­tions. Et là la Grèce se trouve main­te­nant pla­cée sous un régime de tutelle, qui exis­tait déjà bien enten­du depuis le début des mémo­ran­dums et du règne de la Troï­ka, mais qui se trouve main­te­nant ver­rouillée à un niveau sans pré­cé­dent. L’Etat grec a été dépouillé de tous ses leviers d’action pos­sibles. Ceci a été consti­tu­tion­na­li­sé en quelque sorte par le troi­sième mémo­ran­dum et va peser très lourd comme vous com­pre­nez dans toute la période qui vient et dans la manière dont les rap­ports de force vont se construire pen­dant la période qui vient. C’est-à-dire que ce à quoi vont faire face les résis­tances et les mobi­li­sa­tions popu­laires pen­dant la période qui vient c’est quelque chose de bien plus grave, bien plus féroce, bien plus ver­rouillé que ce qu’on avait jusqu’à pré­sent.

    En quoi ce nou­veau modèle éco­no­mique s’applique ? Pre­miè­re­ment, et ça c’était l’une des pre­mières choses que le gou­ver­ne­ment Tsi­pras II a fait à l’automne der­nier, ce qu’on appelle la reca­pi­ta­li­sa­tion des banques grecques, c’est-à-dire leur vente à des fonds spé­cu­la­tifs, après avoir absor­bé près de 40 mil­liards d’argent public, pour lequel le contri­buable grec, le peuple grec,  s’est endet­té, tout cela a été reven­du à des prix com­plè­te­ment ridi­cules à des fonds spéculatifs.

    Donc le sys­tème ban­caire grec qui se trou­vait majo­ri­tai­re­ment sous contrôle éta­tique en réa­li­té, même si ce contrôle n’était pas actif, avec toutes les injec­tions qui avaient été faites de fonds publics et de reca­pi­ta­li­sa­tion, est main­te­nant entiè­re­ment pas­sé dans les mains d’un sec­teur pri­vé, de fonds pri­vés et de fonds pri­vés étran­gers d’ailleurs, donc le sec­teur finan­cier a été com­plè­te­ment cédé aux vau­tours de la finance inter­na­tio­nale. Et c’est la pre­mière grande réforme du gou­ver­ne­ment Tsi­pras II.

    Le deuxième méca­nisme c’est celui de la dette. Alors évi­dem­ment je ne vais pas déve­lop­per ce point, (devant Éric [Tous­saint], ce serait com­plè­te­ment ridi­cule, il va vous dire ce qui est néces­saire), ce que je veux sim­ple­ment sou­li­gner, c’est que l’un des bluffs de ce très grand bluf­feur et mani­pu­la­teur qu’est Alexis Tsi­pras au cours de la der­nière période, ça a été de dire, écou­tez ok on va pas­ser des mesures dou­lou­reuses etc. on peut pas faire autre­ment, nana­ni nana­nère, mais on obtien­dra un allè­ge­ment de la dette. Allè­ge­ment de la dette, allè­ge­ment de la dette, la pro­messe de l’allègement de la dette, on a fait un deal vous ver­rez, etc. Le résul­tat est qu’on a eu ces mesures d’austérité féroces et tout le reste,  les réformes de struc­ture dont je vais par­ler, et évi­dem­ment aucun allè­ge­ment sur la dette, une vague pro­messe que  la dis­cus­sion va reprendre à par­tir de 2018 (Éric nous en dira davantage).

    Donc deuxième crime. Moi je consi­dère que tout ça c’est des crimes. Et je ne le consi­dère pas per­son­nel­le­ment, Éric pour­ra nous en dire davan­tage, c’est des choses qui sont pas­sibles péna­le­ment, pour tous les gou­ver­ne­ments anté­rieurs, et évi­dem­ment Syri­za a été le pre­mier à le dire, et main­te­nant pour le gou­ver­ne­ment Syri­za II.

    Troi­sième chose, les pri­va­ti­sa­tions. Alors là on entre dans quelque chose qui est du jamais vu. Ce qui a été voté par le Par­le­ment grec c’est la consti­tu­tion d’une agence nou­velle, qui vient se sub­sti­tuer à l’agence exis­tante des pri­va­ti­sa­tions, et qui par rap­port à l’ancienne, qui s’appelait Tai­ped, pré­sente trois différences.

    Pre­miè­re­ment, c’est une agence qui a une struc­ture de socié­té pri­vée, ce n’est pas une agence publique, même d’un point de vue for­mel, légal.

    Deuxiè­me­ment, elle a été créée pour une durée de 99 ans, contre 6 pour l’agence qui exis­tait déjà.

    Troi­siè­me­ment, sont pas­sés sous son contrôle la to-ta-li-té des actifs publics de l’Etat grec contre 25 actifs de l’agence qui exis­tait jusqu’à pré­sent. Je dis bien la tota­li­té des actifs de l’Etat grec. La pre­mière liste pro­vi­soire est de 11.900 actifs.

    C’est le plus gigan­tesque trans­fert de pro­prié­té jamais opé­ré dans un pays euro­péen de l’ouest, je mets ici évi­dem­ment sous une caté­go­rie sépa­rée les pays des anciens régimes du socia­lisme dit réel, c’est l’opération du plus gigan­tesque trans­fert de pro­prié­té jamais opé­ré dans un pays occi­den­tal (il y avait un article du Guar­dian d’ailleurs très expli­cite sur cette question).

    Que va faire cette agence ? Elle va vendre tout jusqu’à hau­teur des 50 mil­liards d’euros, c’est ça l’objectif, dont les recettes seront consa­crées à 50% pour la conso­li­da­tion des banques qui sont pas­sées sous le contrôle du sec­teur pri­vé, à hau­teur de 25 % pour le rem­bour­se­ment de la dette, et  à hau­teur de 25% pour des inves­tis­se­ments non spé­ci­fiés. Le Conseil d’Administration de cette nou­velle socié­té, entiè­re­ment indé­pen­dant de tout contrôle poli­tique, est fait de 5 membres, 3 sont nom­més par le gou­ver­ne­ment grec sous condi­tion expli­cite d’avoir reçu l’approbation préa­lable de la Troï­ka, les deux autres sont nom­més direc­te­ment par la Troï­ka. Et c’est pour 99 ans. La presse éco­no­mique inter­na­tio­nale a immé­dia­te­ment inter­pré­té cette durée tota­le­ment incroyable, c’est du jamais vu, dans aucun pays quelle que soit l’étendue des condi­tions de pri­va­ti­sa­tions n’a été créé une agence qui fonc­tionne selon ces prin­cipes, comme un désa­veu de toute « confiance » des ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales par rap­port à la Grèce.

    Cerise sur le gâteau, dans le modèle éco­no­mique, pour déblo­quer une tranche sup­plé­men­taire de prêt,  qui est due en sep­tembre, en plus des 7 mil­liards qui vont être déblo­qués dans les jours qui viennent, la Troï­ka a deman­dé tout un nombre de condi­tions sup­plé­men­taires, concer­nant les taxes etc., mais le noyau dur c’est une réforme du code du tra­vail, et ceci alors que les conven­tions col­lec­tives en Grèce ont déjà été sup­pri­mées, ça n’existe plus, le seul ver­rou légis­la­tif qui existe c’est le Smic, alors vous vous deman­dez si le sys­tème des conven­tions col­lec­tives a été déman­te­lé qu’est ce qui reste à déman­te­ler ? Eh bien ce qui reste à déman­te­ler c’est : la libé­ra­tion com­plète des licen­cie­ments col­lec­tifs, la res­tric­tion du droit de grève, qui est pour le moment le plus favo­rable en Europe, la dimi­nu­tion de la pro­tec­tion dont jouissent les syn­di­ca­listes et les délé­gués syn­di­caux et la dimi­nu­tion dras­tique du finan­ce­ment public qui est des­ti­né aux syndicats.

    Voi­là ce qui est au menu des négo­cia­tions d’ici le mois de sep­tembre. À ceci s’ajoutent les réformes de struc­ture. Les réformes de struc­ture sont essen­tiel­le­ment au nombre de deux. Pre­miè­re­ment a été créé un Conseil de dis­ci­pline fis­cale, depuis l’automne der­nier, com­po­sé de sept membres, là encore dont la nomi­na­tion se fait par le minis­tère des finances mais qui exige l’accord préa­lable de la Troï­ka. Quelle est la tâche de ce Conseil ? La tâche de ce Conseil, qui était déjà pré­vue en tant que telle par le mémo­ran­dum, est d’activer des coupes bud­gé­taires auto­ma­tiques si les objec­tifs d’excédents bud­gé­taires ne sont pas atteints, donc s’il y a un soup­çon qu’ils ne seront pas atteints. Or dans une éco­no­mie qui est en réces­sion pour la sep­tième année consé­cu­tive, et mal­gré un véri­table écra­se­ment de la dépense publique, l’objectif qui est fixé est un excé­dent bud­gé­taire pri­maire, c’est-à-dire avant le rem­bour­se­ment de la dette, de 3,5 % du PIB pour à l’horizon 2018. 

    C’est des choses qu’aucune éco­no­mie au monde même les plus puis­santes n’est en mesure d’assurer. Donc il est cer­tain d’avance que cet objec­tif com­plè­te­ment irréa­liste ne va pas être tenu et les coupes bud­gé­taires seront acti­vées par le méca­nisme qui vient d’être voté main­te­nant et donc juri­di­que­ment ver­rouillé par le Par­le­ment grec de ce que les grecs appellent « κόπτης [kóp­tis] » ça veut dire au sens strict « le cou­peur », c’est-à-dire c’est ce méca­nisme auto­ma­tique qui va faire les coupes sans même que les coupes passent par un vote par­le­men­taire, par un simple décret. Donc dépos­ses­sion com­plète vrai­ment de ce qui pou­vait exis­ter encore de contrôle de la poli­tique, de ce qui res­tait de contrôle de la poli­tique macroé­co­no­mique, bon en réa­li­té très peu vu les mémorandums.

    Deuxième réforme de struc­ture, le Secré­ta­riat d’Etat aux reve­nus, ce qu’on appel­le­rait ici le Tré­sor Public je pense, est deve­nu com­plè­te­ment indé­pen­dant. Alors il était déjà auto­nome, c’est-à-dire qu’il pou­vait déci­der de façon propre de son bud­get et de ses actions. Ça c’était une condi­tion qui avait été posée dès le pre­mier mémo­ran­dum et c’est l’un des obs­tacles d’ailleurs aux­quels le pre­mier gou­ver­ne­ment Syri­za a dû faire face. La vice-ministre de l’économie, Nadia Vala­va­ni, a écrit des textes extrê­me­ment inté­res­sants qui racontent les démê­lés jus­te­ment du minis­tère pen­dant les pre­miers mois du pre­mier gou­ver­ne­ment Syri­za quand il a essayé de pas­ser un mini­mum de mesures favo­rables aux couches popu­laires. Mais là ça devient une agence com­plè­te­ment indé­pen­dante dont les déci­sions ont valeur de décrets minis­té­riels, qui a l’exclusivité de l’interprétation de la légis­la­tion en matière fis­cale, qui est contrô­lée direc­te­ment par des gens approu­vés par la Troï­ka, et en réa­li­té ça veut dire que la Troï­ka contrôle direc­te­ment la col­lecte des taxes, de l’impôt et du reve­nu de l’Etat grec.

    Donc on contrôle les taxes, on contrôle les dépenses, le sec­teur finan­cier est par­ti, la poli­tique moné­taire est à Frank­fort. Qu’est-ce qui reste ? Il reste que la Grèce est deve­nue un grand Koso­vo. Voi­là, en gros. Et cela se fait sous un gou­ver­ne­ment, Syri­za, qui dans les votes par­le­men­taires n’a eu qu’une seule perte en terme de voix et de dépu­tés c’est-à-dire moins que ce que le Pasok et la Nou­velle Démo­cra­tie avaient subi comme pertes au par­le­ment de leur propre groupe par­le­men­taire quand ils étaient au gou­ver­ne­ment et fai­saient pas­ser des mesures similaires.

    Inter­ven­tion d’une per­sonne dans le public : « Ça veut dire qu’il n’y a qu’un  dépu­té qui les a abandonnés ? »

    Kou­ve­la­kis répond et reprend : Un seul oui, une seule dépu­tée, qui a démis­sion­né. Elle a même, démis­sion­né ce qui veut dire que son siège a été rem­pli par le sup­pléant qui est un loya­liste elle n’a même pas pris la déci­sion disons de gar­der son siège et de conti­nuer à avoir une pré­sence indé­pen­dante au Par­le­ment (elle a voté contre deux mesures prin­ci­pales, c’était pas contre l’ensemble du paquet).

    Alors la deuxième chose main­te­nant, et je vais conclure cette pré­sen­ta­tion par cela : quel est l’état d’esprit qui existe en Grèce à l’heure actuelle ?

    Il ne faut pas se racon­ter des his­toires, on est dans l’onde de choc de la défaite. Les réac­tions sociales qu’il y a eu, des réac­tions sur le fond social en termes de mobi­li­sa­tions ou de grèves, étaient les plus faibles qu’on ait vues depuis le début de la période des mémo­ran­dums. Alors bien sûr on peut cher­cher des expli­ca­tions, l’état déla­bré du mou­ve­ment syn­di­cal, les choix qui sont faits  par des direc­tions syn­di­cales pour leur majo­ri­té cor­rom­pues qui, là, ont été aidées par la tac­tique à la fois atten­tiste et extrê­me­ment sec­taire du par­ti com­mu­niste. Mais ce qui à mon avis est encore plus impor­tant que cela c’est le cli­mat de démo­ra­li­sa­tion qui existe dans la socié­té. Les gens ont reçu un énorme coup de mas­sue sur la tête et l’état d’esprit qui règne c’est que quoi qu’on fasse, quoi qu’on vote, à la fin on se retrouve avec un mémo­ran­dum et il n’y a aucune issue qui appa­raît à ce tunnel.

    Et il faut bien com­prendre que l’issue n’apparaît pas à ce tun­nel car la barre est pla­cée tou­jours à ce niveau-là, c’est une pers­pec­tive, si pers­pec­tive alter­na­tive il y a, ce n’est pas pour construire une petite force mino­ri­taire qui va conti­nuer à accu­mu­ler des forces, même si en réa­li­té on ne peut pas faire autre chose pour l’instant que ça, mais pour la socié­té ce qu’elle ne voit pas c’est quelque chose qui trace une véri­table voie alter­na­tive. Et cela veut dire que c’est un constat d’échec pour l’ensemble des forces qui ont lut­té y com­pris celles qui ont lut­té contre le tour­nant et la capi­tu­la­tion de Syri­za, et on pour­ra reve­nir, pen­dant la dis­cus­sion si vous vou­lez, sur les rai­sons plus profondes.

    Alors ma der­nière remarque de conclu­sion sera la sui­vante : je crois que la vraie dis­cus­sion qui a com­men­cé en Europe c’est celle sur ce qu’on appelle les plans B, les plans alter­na­tifs. Alors vous savez qu’il y a déjà eu deux ini­tia­tives, l’une à Paris, l’autre à Madrid, Éric a par­ti­ci­pé aux deux il pour­ra nous en dire davan­tage. L’idée de ce plan B pour l’Europe c’est que il faut, si vous vou­lez, des plans B qui soient adap­tés aux diverses réa­li­tés et qui tirent la leçon de ce qui s’est pas­sé en Grèce. C’est-à-dire il est abso­lu­ment clair que si on s’engage dans une pers­pec­tive de rup­ture avec l’austérité et avec le néo­li­bé­ra­lisme sans avoir pré­vu les moyens concrets pour mener la confron­ta­tion avec les ins­ti­tu­tions euro­péennes, avec l’Union Euro­péenne, y com­pris d’ailleurs avec l’euro, avant tout d’ailleurs avec l’euro pour les pays qui en font par­tie, et avec les classes domi­nantes au niveau natio­nal, ces expé­riences n’auront pas d’issue dif­fé­rente que celle de la Grèce. Et par rap­port à ça, c’est bien sûr insuf­fi­sant comme conclu­sion mais c’est à mon avis le point de départ obli­gé pour toute réflexion, il faut abso­lu­ment aban­don­ner les illu­sions et les dis­cours sur chan­ger l’actuelle Union Euro­péenne, réfor­mer l’actuelle Union Euro­péenne, chan­ger gra­duel­le­ment le rap­port de force, reje­ter les gens qui pro­posent des solu­tions de rup­ture comme soit disant des natio­na­listes ou des gens qui veulent le repli natio­nal. Tout ceci en Grèce a fait la preuve du fait qu’il ne pou­vait conduire qu’au désastre. C’est un dis­cours de l’impuissance poli­tique. La rup­ture avec cela est une condi­tion abso­lu­ment pas suf­fi­sante mais tout à fait néces­saire pour enga­ger une réflexion sur le sujet.

    Mais il faut aller au-delà. Et l’Union Euro­péenne ce n’est pas sim­ple­ment l’euro et l’utilisation poli­tique de l’euro comme cela a été fait en Grèce pour bri­ser tout gou­ver­ne­ment natio­nal qui veut rompre avec les poli­tiques d’austérité. L’Union Euro­péenne c’est un modèle éco­no­mique qui pro­duit de la pola­ri­sa­tion en son sein, qui pro­duit des diver­gences et des pola­ri­sa­tions crois­santes entre les pays dits du centre et les pays de la péri­phé­rie. Et il y a deux péri­phé­ries en réa­li­té en Europe, il y a la péri­phé­rie du sud euro­péen au sens où je par­lais aupa­ra­vant et il y a la péri­phé­rie de l’est euro­péen éga­le­ment. Et l’Union Euro­péenne ce n’est pas sim­ple­ment ce qui se passe à l’intérieur de l’Union Euro­péenne, c’est aus­si ce qui se passe à l’extérieur de l’Union Euro­péenne. On ne peut pas ici ne pas appe­ler les choses par leur nom. L’Union Euro­péenne n’est pas sim­ple­ment une construc­tion qui ver­rouille le néo­li­bé­ra­lisme. Elle n’est pas sim­ple­ment une construc­tion qui détruit la démo­cra­tie, dépos­sède les peuples et les citoyens de leurs moyens de contrôle et d’action, à quelque niveau que ce soit. C’est une machine impé­ria­liste. Ce n’est pas un impé­ria­lisme uni­fié bien sûr. Il n’y a pas un impé­ria­lisme euro­péen en tant que tel. Mais la France est un pays impé­ria­liste. Et Fran­çois Hol­lande a été le pré­sident le plus va-t-en-guerre qu’on a vu pen­dant ces der­nières décen­nies. Fran­çois Hol­lande est dans la conti­nui­té de Guy Mol­let, Emma­nuel Valls évi­dem­ment de Jules Moch. La Grande-Bre­tagne aus­si est un pays impé­ria­liste. Et l’Allemagne est un pays qui n’a pas un impé­ria­lisme mili­taire mais qui a un impé­ria­lisme éco­no­mique, et pour laquelle la construc­tion euro­péenne est pré­ci­sé­ment le cadre où se déploie son impé­ria­lisme éco­no­mique. Et l’euro a bien enten­du été conçu dans cette perspective-là.

    Mais l’Union Euro­péenne fonc­tionne comme un impé­ria­lisme uni­fié sur au moins un niveau, et je ter­mi­ne­rai vrai­ment là par ça.

    C’est la construc­tion de l’Europe for­te­resse, qui est l’autre face jus­te­ment de la construc­tion euro­péenne. Et, comme cela était tout à fait pré­vi­sible, la capi­tu­la­tion com­plète de Tsi­pras, au niveau du mémo­ran­dum, au niveau du néo­li­bé­ra­lisme, au niveau des poli­tiques d’austérité, au niveau de la démo­cra­tie, a été sui­vie par sa bruyante appro­ba­tion de l’accord inique qui a été signé entre l’Union Euro­péenne et la Tur­quie, qui empêche les réfu­giés d’accéder à l’Europe et qui trans­forme la Grèce en garde-chiourme de la for­te­resse européenne.

    Parce que c’est ça le rôle qui est dévo­lu aux néo-colo­ni­sés. C’est d’accepter doci­le­ment le sort qui leur est fait et de ser­vir de flics de la for­te­resse, pour empê­cher que les va-nu-pieds du sud glo­bal atteignent les pays du centre impé­ria­listes, pros­pères et repus dans leur richesse.

    Et par rap­port à cela il faut sou­li­gner, et c’est de mon côté la seule nou­velle posi­tive que j’ai eu de la Grèce à une échelle signi­fi­ca­tive, que la socié­té grecque a réagi de manière posi­tive et soli­daire, dans sa majo­ri­té bien sûr, par rap­port à cette situa­tion. Je dirais que c’est une soli­da­ri­té des humbles, c’est une soli­da­ri­té de ceux qui se sentent eux aus­si écra­sés, qui n’ont pas peut-être per­du la mémoire qu’une par­tie impor­tante de la popu­la­tion grecque actuelle vient éga­le­ment de vagues de réfu­giés, a vécu la situa­tion de réfu­giés, leurs ancêtres ont vécu la situa­tion de réfu­giés en 1922, et a donc refu­sé de suivre les dis­cours racistes, xéno­phobes, qui n’ont pas man­qué, mais ce n’est pas eux qui l’ont empor­té dans la réac­tion de la société.

    Et je pense que cette réac­tion soli­daire de la socié­té montre qu’il reste des réflexes pro­fonds qui pour le moment ne peuvent pas trou­ver une voie col­lec­tive et arti­cu­lée pour s’exprimer mais qui dans l’avenir consti­tue­ront le socle de la résis­tance et de la mobi­li­sa­tion popu­laire à venir.

    Sta­this KOUVELAKIS.

    Réponse
  8. fanfan

    Eric Tous­saint : « Après la capi­tu­la­tion de SYRIZA quelles stra­té­gies pour la Gauche en Europe ? » Dix pro­po­si­tions pour avancer.
    L’intervention fait suite à celle Sta­this Kou­vé­la­kis avec qui il don­nait une confé­rence le 4 juin 2016 à Paris sur le thème.
    Eric Tous­saint pré­sente dix pro­po­si­tions concer­nant les mesures prio­ri­taires qu’une force de gauche, pré­ten­dant arri­ver au gou­ver­ne­ment, s’en­gage à prendre en cas de vic­toire élec­to­rale et de par­ti­ci­pa­tion à un gou­ver­ne­ment. Ensuite il revient sur le bilan de la Grèce entre fin 2010 et 2015.
    Lien : https://​you​tu​.be/​Q​g​j​p​B​s​l​N​Qdc

    Renaud Vivien : « Com­ment remettre en cause le pro­gramme d’austérité grec, un an après sa signature ? »
    http://​www​.cadtm​.org/​C​o​m​m​e​n​t​-​r​e​m​e​t​t​r​e​-​e​n​-​c​a​u​s​e​-le

    Réponse

Laisser un commentaire

Derniers articles

[Dérive du pouvoir scolaire] Le préparateur – Alain, 25 août 1906

[Dérive du pouvoir scolaire] Le préparateur – Alain, 25 août 1906

[LE PRÉPARATEUR] Un nouvel examen vient d'être institué, à la suite duquel on pourra recevoir un certificat d'aptitude aux fonctions de magistrat. Il en sera de cet examen comme de tous les autres, il donnera de bons résultats au commencement, et de mauvais ensuite....

JUSTICE CITOYENNE – Regards croisés – LIVE 4 novembre 2024, 19h45

JUSTICE CITOYENNE – Regards croisés – LIVE 4 novembre 2024, 19h45

Bonjour à tous Pendant cette soirée dédiée au bilan de la période récente, où nous venons de vivre (le début d')une bascule totalitaire sous prétexte sanitaire, et demain sous prétexte de péril de guerre ou de catastrophe climatique, je parlerai de souveraineté...