Vous allez aimer étudier ces expériences populaires au Chiapas, je suis sûr, bande de virus démocratiques 🙂
Première approche, le résumé de Wikipédia :
« On peut considérer l’autonomie zapatiste comme une forme d’autogouvernement permettant l’exercice d’une démocratie radicale (ou tout simplement, d’une démocratie au sens plein du terme, dans laquelle le peuple exerce lui-même les tâches de gouvernement).
Il ne s’agit donc en aucun cas d’une autonomie entendue au sens d’une simple décentralisation des pouvoirs d’État, comme c’est souvent le cas dans les pays européens.
Il s’agit de la construction d’une autre réalité sociale et politique, dans une perspective antisystémique. Comme dit l’un des membres d’un Conseil de bon gouvernement,
« l’autonomie est la construction d’une nouvelle vie »
L’autogouvernement implique que, peu à peu et de manière rotative, l’ensemble de la population participe aux tâches d’organisation de la vie collective.
La politique cesse alors d’apparaître comme une activité de « spécialistes » ; elle est, littéralement, la chose de tous.
L’un des principes auxquels se réfèrent les zapatistes est le mandar obedeciendo (gouverner en obéissant). Cet énoncé paradoxal éloigne de la conception habituelle du pouvoir : celui qui exerce une charge de gouvernement doit le faire en obéissant à ceux qu’il doit « diriger ».
Pourtant, le mandar obedeciendo n’implique pas une conception strictement horizontale de l’organisation collective (qui supposerait que les assemblées puissent être consultées en permanence et constituent la seule source d’initiative collective).
Au contraire, ceux à qui l’on confie des charges éminentes au sein des Conseils de bon gouvernement, s’ils doivent consulter les assemblées autant que possible, jouent néanmoins un rôle particulier, parce qu’ils doivent parfois prendre des décisions urgentes et parce qu’ils ont le devoir de proposer des initiatives pour améliorer en permanence l’organisation de la vie collective.
Enfin, lorsque les décisions ont été prises, à travers le mécanisme complexe de consultation déjà indiqué, les autorités ont aussi le devoir de faire respecter ce qui a été collectivement décidé :
« l’autorité commande sans donner d’ordre parce qu’elle le fait en obéissant aux citoyens… Celui qui commande doit obéir, mais les citoyens doivent aussi obéir à ce que dit l’autorité », explique un membre des Conseils.
Le « mandar obedeciendo » se décline en plusieurs principes dont le respect contribue à lutter contre la dissociation des gouvernants d’avec le monde des gouvernés (notamment « servir et non se servir », « convaincre et non vaincre », « proposer et non imposer »).
Comme l’expliquent les zapatistes, l’autonomie consiste à « découvrir que nous sommes capables de nous gouverner nous-mêmes ».
Ce principe va rigoureusement à l’encontre de la séparation entre gouvernants et gouvernés, qui est au fondement de l’État moderne. En ce sens, l’expérience zapatiste suggère la possibilité d’instaurer des formes non étatiques de gouvernement. »
Source : wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Zapatisme
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J’entends parler depuis 10 ans du Chiapas et du sous-commandant Marcos, bien sûr, et je sais depuis longtemps que je devrais l’étudier comme il faut. Mais il a fallu que je lise ce long et très intéressant papier dans Ballast — où Frédéric Lordon est sévèrement critiqué — pour commencer vraiment ce travail (tout arrive) :
http://www.revue-ballast.fr/frederic-lordon-au-chiapas/
Texte inédit pour le site de Ballast
Frédéric Lordon, que nous avions longuement interrogé pour le troisième numéro de notre revue papier, est l’un des penseurs radicaux les plus stimulants de cette dernière décennie. Économiste et philosophe, il ferraille contre ce qu’il tient pour des impasses, dans les rangs de l’émancipation : l’européisme béat, l’internationalisme incantatoire et le consensus démocratique. Son dernier ouvrage, Imperium, cible notamment la tradition libertaire : si l’intellectuel marxiste loue certains de ses traits, il n’en mord pas moins aux mollets anarchistes en jurant de sa candeur inconséquente. Une vieille querelle politique : Marx et Proudhon avaient ouvert le bal fratricide il y a maintenant deux siècles de cela. Les libertaires, c’est de bonne guerre, ne consentent pas à tendre l’autre joue : c’est ainsi que l’historien Jérôme Baschet, auteur d’ouvrages de référence sur le zapatisme, entend déconstruire, par ce copieux article, le dernier ouvrage de Frédéric Lordon en s’appuyant sur l’expérience révolutionnaire et autonomiste mexicaine. Mais Baschet assure ne pas s’inscrire dans une énième querelle de chapelles ou d’ego entre intellectuels : assumer les tensions est la première étape pour avancer ensemble. Un dialogue fructueux — à condition, hélas, d’en maîtriser les contours. ☰ Par Jérôme Baschet
Débattre d’Imperium1, le dernier ouvrage de Frédéric Lordon, est certainement utile, tant la ligne de clivage entre l’option anti-étatique à laquelle il s’en prend et l’option étatique qu’il défend divise profondément. À l’adversaire qu’il se donne – la « pensée libertaire » –, F. Lordon prête quatre caractéristiques : un idéal d’horizontalisme absolu, la croyance en une nature humaine idéalement bonne, le caractère innécessaire de l’État, un internationalisme universaliste. Imperium a pour objectif de saper ces positions. De les dégriser. Dégriser l’horizontalisme : le social est nécessairement vertical. Dégriser l’anti-étatisme : il y aura toujours de l’État. Dégriser l’universalisme : il y a et il y aura toujours des appartenances particulières. Dégriser le « rousseauisme » : il y a et il y aura de la servitude passionnelle, de sorte que l’émancipation ne pourra être qu’incomplète. Avant d’aborder ces quatre points de discussion, on pourra relever que la manière de construire l’adversaire – cette pensée parfois qualifiée de « libérale-libertaire » – est pour le moins cavalière, malgré quelques hommages ponctuels. Or, lorsqu’on prétend proposer une avancée à partir d’une réduction des idées que l’on récuse à une caricature d’elles-mêmes, on risque de ne produire soi-même que la caricature inverse de celle que l’on s’est faussement donné comme adversaire. Par ailleurs, et même si on ne peut négliger le fait que la conclusion affiche une claire détestation de l’État dans sa forme actuelle (à quelques prudences préalables près, « État du capital » dont il n’y a rien à faire d’autre que de chercher à « s’en débarrasser » ; p. 318), l’élaboration sophistiquée que F. Lordon engage sous la bannière du spinozisme se situe sur un plan résolument abstrait, écartant presque toute analyse historique spécifique, pour s’en tenir à une saisie des implications politiques des configurations passionnelles caractéristiques d’une « nature humaine » (heureusement en partie modifiable).
« Dégriser l’anti-étatisme : il y aura toujours de l’État. Dégriser l’universalisme : il y a et il y aura toujours des appartenances particulières. »
Dans ce contexte de haute abstraction, l’expérience zapatiste fait partie des rares ancrages concrets auxquels quelques pages sont consacrées, avec sans doute pour intention de prendre à contre-pied ses sympathisants : « Le Chiapas [on supposera que le terme désigne la lutte zapatiste, à laquelle la géopolitique chiapanèque ne se réduit pas, ndla] présente les attributs… d’une structure étatique » ; il est « une nation » (p. 131–132). On pourrait s’amuser d’un discours qui, élaboré si loin de son objet, ne craint pas, pour autant, d’asséner des sentences définitives. Mais on préférera prendre ces quelques paragraphes comme un hommage (ironique, mais qu’importe !) adressé à une expérience qui constitue l’un des rares points d’appui potentiels accordés à l’adversaire désigné d’Imperium. Et puisque « le Chiapas » s’est invité dans le débat, je me propose de faire de l’autonomie zapatiste le terrain concret à partir duquel mettre à l’épreuve la conceptualisation lordonnienne2.
Une verticalité fourre-tout
À l’adversaire construit pour les besoins de sa cause et réputé confit dans un idéal d’horizontalité politique parfaite, F. Lordon oppose une indépassable verticalité. Mais son propos repose sur un enchaînement logique pernicieux, un usage biaisé du terme « verticalité » et une notion confuse de la hiérarchie. C’est dans la constitution même du social que le chapitre 2 inscrit le caractère nécessaire de la verticalité. En bon durkheimien, F. Lordon rappelle que le social est plus qu’une collection d’individus et qu’il implique une cohésion qui ne saurait dépendre uniquement des engagements volontaires ou des liens interpersonnels. C’est ce qu’il nomme « l’excédence du social » (du tout sur les parties), principe opposé à une conception contractualiste de l’organisation collective (p. 60–62). Certes, l’excédence du social ne relève pas d’une transcendance tombée du ciel mais d’une « transcendance immanente » qui procède du plissement du social sur lui-même : c’est par « le travail de sa propre puissance » que « la multitude devenue communauté… s’est adjointe une nouvelle dimension : la verticalité » (p. 67). Magie de la géométrie lordonienne : l’épaisseur du plan plissé devient « nappe » et la verticalité est ce supplément qui fait sortir d’une vision trop plate du collectif, comprimé en deux dimensions, pour lui adjoindre cette merveilleuse troisième dimension qui lui manquait…
Mais pernicieuse géométrie tout de même, car si l’on peut bien accepter le principe de l’excédence du social, rien n’oblige à l’associer à la métaphore de la verticalité. Tout le nœud de l’affaire est là, dans le fait de laisser s’instaurer une confusion, aux conséquences considérables, entre l’excédence du social constitué métaphoriquement en verticalité et l’existence de rapports sociaux de domination/subordination. De fait, Imperiumrepose sur un enchaînement entre excédence du social, verticalité hiérarchique et, on le verra plus loin, capture étatique de la puissance de la multitude. Dans la mesure où cette séquence est, le plus souvent, présentée comme nécessaire, domination et hiérarchie apparaissent comme inhérentes à l’ordre du social. Or, tout ceci repose sur une fâcheuse imprécision : par elle-même, l’excédence du social n’implique aucun rapport de subordination entre les membres du collectif ; elle ne fait que placer au-dessus d’eux tous un principe général (que l’on peut, dans un vocabulaire inspiré de Spinoza, nommer « puissance de la multitude »). Cet au-dessus d’eux tous ne fait pas, par lui-même, sortir d’un rapport d’égalité entre les membres du collectif. Il n’y a donc aucune relation nécessaire entre l’excédence du social et la formation d’une appropriation différenciée de la puissance, conduisant à la consolidation d’une hiérarchie entre les hommes. Que les formes historiquement attestées de l’excédence du social soient le plus souvent associées à l’existence d’un pouvoir séparé est évident, mais cela ne justifie en aucun cas l’opération qui consiste à confondre par principe, d’une part, la supposée verticalité du rapport entre les hommes et les principes du collectif auquel ils appartiennent et, d’autre part, la verticalité (effectivement hiérarchique) qui peut s’instaurerentre les hommes eux-mêmes.
« L’expérience zapatiste est étroitement liée à une organisation, l’EZLN, qui garde, aujourd’hui encore, un caractère vertical qu’elle n’a du reste jamais cherché à cacher. »
Un tel tour de passe-passe ne fait guère honneur à une volonté démonstrative qui, par ailleurs, s’emploie à impressionner par un luxe de raffinements savants. S’agissant de la notion de commun, cela tourne à la prestidigitation3. Voilà en effet le commun commué en verticalité, en domination des hommes sur eux-mêmes. C’est un « commun au-dessus de ses parties », car toute « forme de vie commune… est un commun de rang supérieur » (p. 220). À moins de n’énoncer qu’un truisme, on confond là, comme dans l’opération mentionnée auparavant, deux modalités du « au-dessus », ce qui est bien fâcheux, car les conséquences politiques de chacune d’elles sont radicalement différentes. Un exemple encore : la conclusion du livre affirme que l’horizontalité voue toute communauté à l’instabilité et qu’aucune ne peut durer si ce n’est « par le travail d’une verticalité cachée, ou déniée. Par exemple, un leader charismatique ou un gourou dominateur. Ou bien, mais c’est encore un opérateur de verticalité, la force d’un affect commun constitutif d’une forme de vie ». On aura la charité de supposer que F. Lordon fait quelque différence entre affect commun et gourou dominateur, mais il n’en reste pas moins que, du point de vue du principe même de la verticalité tel qu’il l’énonce, leur portée est identique. On voit là à quelle perversion conduisent le glissement conceptuel signalé et le postulat selon lequel le social est, en son essence, verticalité.
Engageons maintenant un premier « test » à l’épreuve du Chiapas. Vu le renversement analytique que F. Lordon met en scène, celui-ci devrait être, pour ses artisans et partisans, l’Éden de l’horizontalisme. Les choses sont pourtant nettement moins simples. En premier lieu, l’expérience zapatiste est étroitement liée à une organisation, l’EZLN, qui, pour avoir été capable d’assumer une dynamique d’auto-transformation profonde, n’en garde pas moins, aujourd’hui encore, un caractère vertical (au sens strict du terme) qu’elle n’a du reste jamais cherché à cacher4. Également reconnue est l’interaction, en grande partie indue, entre les instances civiles de l’autonomie et cette même structure verticale5. On peut, comme Gustavo Esteva, célébrer le transfert progressif par lequel la direction politico-militaire de l’EZLN restitue à ses membres civils le pouvoir qui lui avait été confié6 ; mais force est d’admettre que ce processus n’est pas achevé et qu’il implique des tensions très concrètes, dont il serait loisible d’analyser des exemples précis, entre des habitudes où l’intériorisation de la hiérarchie joue un certain rôle et des attitudes exigeant une pratique plus accomplie de l’autonomie.
On reviendra plus loin sur le fonctionnement des instances autonomes zapatistes, mais on peut déjà tirer quelques remarques du principe dont elles se réclament, le « mandar obedeciendo », explicité par les modestes panneaux qu’on découvre en entrant dans les territoires rebelles : « Ici, le peuple commande et le gouvernement obéit. » La manière dont les zapatistes expliquent ce principe et sa mise en pratique devrait suffire à décourager toute lecture purement « horizontaliste » (si, par là, on entend le primat absolu des assemblées et le fait que le pouvoir de décision soit en permanence également partagé par tous). Certes, exercer des charges (cargos) dans les instances de gouvernement en pratiquant le mandar obedeciendo écarte la relation de pouvoir-sur qui caractérise la logique de l’appareil d’État, en tant que mécanisme programmé en vue du dessaisissement de la capacité collective de décision. Mais le mandar obedeciendo ne peut pas non plus être analysé comme simple horizontalité, car si les conseils de gouvernement doivent consulter largement et suivre ce que demandent les communautés, il lui revient aussi d’appliquer et faire respecter ce qui a été décidé au terme de la délibération collective, ou encore lorsque l’urgence oblige à prendre des mesures sans pouvoir consulter7.
« Des femmes et des hommes, au Chiapas et ailleurs, œuvrent concrètement et quotidiennement à inventer des formes politiques qui renvoient au musée des antiquités la stérile opposition d’un horizontalisme idyllique et d’un verticalisme détestable. »
En outre, un rôle spécifique d’initiative et d’impulsion estreconnu à ceux qui assument temporairement le statut d’autorité : « Tout n’est pas toujours horizontal. Tout ne vient pas du peuple. Il y a une partie verticale, qui vient des autorités, mais qui agit comme représentant. Il faut que quelqu’un prenne les initiatives. Mais la décision, oui, elle est prise par le peuple »8. Plutôt que comme une totale horizontalité qui court le risque de se dissoudre par manque d’initiatives ou de capacités à les concrétiser, l’expérience zapatiste – telle qu’elle s’est développée jusqu’à présent – invite à comprendre le mandar obedeciendo comme articulation de deux principes : d’une part, la capacité de décider réside pour l’essentiel non dans les instances de gouvernement mais dans les assemblées, en leurs différents niveaux ; de l’autre, on reconnaît à ceux qui assument une charge de gouvernement (de manière rotative et révocable) une fonction spécifique dans le processus d’élaboration des décisions, ce qui ne va pas sans ouvrir le double risque d’une déficience ou d’un excès dans l’exercice de ce rôle. On ajoutera, pour finir sur ce point, que ni la pensée libertaire9 (ou anti-étatique) ni les pratiques qui lui correspondent ne sont nécessairement le règne de l’horizontalisme béat que, de très loin, imagine F. Lordon. De ce fait, celui-ci bataille un peu inutilement contre les moulins à vent de ses propres fantasmes. Pendant ce temps, des femmes et des hommes, au Chiapas et ailleurs, œuvrent concrètement et quotidiennement à inventer des formes politiques qui renvoient au musée des antiquités la stérile opposition d’un horizontalisme idyllique et d’un verticalisme détestable.
Un État (trop) général
La forme actuelle de l’État n’est assurément pas la seule possible et c’est, très logiquement, que F. Lordon pose la nécessité d’un concept de l’État qui ne se limite pas à ce cas particulier. Pour lui, ce sera l’État général. Mais ne passe-t-on pas alors d’une signification trop spécifique à un concept d’une portée si large qu’il en perd l’essentiel de sa pertinence ? En tout cas – et il faut y insister –, l’État général lordonnien ne saurait être confondu avec l’État au sens habituel du terme : ce serait donc un grave malentendu que de référer au second ce qu’Imperium dit du premier. Ainsi, affirmer que « le Chiapas » a reconstitué un État pourrait être contesté s’il était question de l’État au sens courant, mais c’est l’État général qui est discuté dans ces pages, de sorte qu’il n’y a là guère plus qu’une évidence, puisque tout le politique est englobé sous la notion d’État général.
Celle-ci est assumée comme une catégorie politique limite. Elle plonge dans l’infra-politique, puisqu’elle n’est rien d’autre que la puissance de la multitude, c’est-à-dire le social entendu dans son excédence. Mais elle est, en même temps, une catégorie véritablement politique, car c’est de là que les institutions politiques tirent leur matière. « Ce droit que définit la puissance de la multitude » est ce que Spinoza nomme « imperium » et que F. Lordon choisit de traduire par « État général ». Il est donc « le pouvoir qu’a la multitude de s’auto-affecter », mais aussi la capture étatique et la formation d’un appareil de domination. Ainsi, « la structure élémentaire de la politique qu’est l’imperium (l’auto-affectation de la multitude) voue le corps politique à expérimenter la capture – capture interne par une de ses parties qui se subordonne la masse des autres » (p. 197). Diantre ! Il y aurait donc un enchaînement fatal conduisant de la nature même du social à la verticalité de l’excédence et, de là, à la capture de la souveraineté collective au bénéfice d’une domination politique exercée par certains.
« L’État dans sa forme actuelle n’est bien sûr qu’une forme spécifique d’une réalité plus ample – non de l’État général, mais bien plutôt de l’État en général. »
Cette même construction notionnelle permet également, par exemple, d’affirmer que les sociétés sans État, étudiées par Pierre Clastres, sont en fait des sociétés à État (général). Mais, outre que la thèse la plus singulière de ce dernier (l’existence de mécanismes visant à contrer la possibilité d’une dérive étatique) est esquivée – sans doute parce qu’elle cadre mal avec l’angélisme supposé de la pensée libertaire –, son propos central n’est nullement démenti. Car en quoi consiste cet Étatgénéral dont la découverte devrait désenchanter le rêve primitiviste ? Réponse : il est « la force morale du groupe capable de dominer tous les membres du groupe et de s’imposer à eux » (p. 126). Assurément. Mais, répétons-le, quelle que soit la capacité d’envoutement du vocabulaire lordonnien, l’État général n’est pas l’État et Lordon, commentateur de Clastres, ne peut que lui concéder, comme en passant, l’essentiel : il n’y a pas, chez les Guarani, « d’appareil étatique séparé ». Ce qui ne l’empêche pas – et c’est bien ce qui peut paraître extravagant – d’affirmer que ces sociétés « sont tout aussi [je souligne, ndla] verticalisées que les autres » (p. 128). Le concept lordonnien de verticalité comme celui d’État général marquent ainsi leur inefficacité, dès lors qu’ils autorisent à ne pas faire de différence – en essence, du point de vue de cette verticalité qui reste toujours la même – entre la chefferie sans pouvoir et, disons, l’absolutisme de droit divin. On peut alors supposer qu’en bonne géométrie lordonnienne une organisation collective fondée sur le mandat impératif et révocable sera, elle aussi, « tout aussi verticalisée » qu’une dictature militaire. On retrouve ici le problème soulevé au point précédent : de même que l’usage qui est fait du concept de verticalité permet de confondre excédence du social et rapports de domination, celui d’État général subsume la puissance de la multitude en tant qu’elle s’exerce sur elle-même et la capture de cette puissance au profit d’un appareil séparé ou d’un groupe particulier. Est oblitérée la différenciation pourtant décisive entre la « puissance de tous », vis-à-vis de laquelle chacun peut être dans un rapport équivalent, et le pouvoir-sur, véritable rapport de domination entre les hommes.
Dans les dernières pages, F. Lordon affirme, à juste titre, que se débarrasser de l’État du capital n’est pas se débarrasser « de l’État tout court – de l’État en général » (p. 318). Lui, si soigneux dans l’emploi des mots, ne dit pas ici l’État général, mais l’État en général. Serait-ce qu’au stade des conclusions, il convient de faire valoir qu’elles s’appliquent à quelque chose de plus que l’État général ? Le lapsus est cependant bienvenu et il invite à se saisir de cette distinction entre État général et État en général, dont l’absence, dans l’ouvrage, est peut-être ce qui autorise une constante équivoque. L’État dans sa forme actuelle n’est bien sûr qu’une forme spécifique d’une réalité plus ample – non de l’État général, mais bien plutôt de l’État en général. L’État général de F. Lordon, c’est le politique dans son ensemble10, c’est l’organisation de la puissance de tous. Quant à l’État en général (au sens habituel du terme), c’est ce qu’Alexandre Matheron qualifie de « confiscation par les dirigeants de la puissance collective de leurs sujets » (cité p. 111) ou ce que F. Lordon lui-même identifie comme « captation [de la souveraineté] en un appareil séparé » (p. 336), plaçant « des gouvernants au-dessus des gouvernés » (p. 198–9).
Au total, la construction d’Imperium a ceci de pernicieux qu’elle occulte l’enjeu majeur d’une politique de l’émancipation, dont le souci devrait être de tracer une ligne de front entre les formes de domination étatique et les formes non étatiques du politique et, tout particulièrement, de nous aider à affiner l’analyse de la zone-frontière – tout sauf étanche ! – qui les sépare. Au contraire, F. Lordon noie le poisson de l’État (en général) dans l’océan du politique (l’État général). La démarche serait fondée s’il démontrait que le second conduit de manière absolument nécessaire au premier. C’est ce qu’on croit parfois comprendre, mais malgré tous les efforts déployés pour établir un continuum de l’un à l’autre et jouer de glissements subreptices, Imperium ne parvient à établir ni identité ni enchaînement fatal entre eux. On en conclura que les thèses lordonniennes relatives à l’État général ne peuvent, par elles-mêmes, s’appliquer à l’État en général que par une coupable absence de discernement conceptuel.
« L’autonomie zapatiste mêle une extrême humilité (le siège d’un conseil de bon gouvernement, c’est une petite maison en bois, une table et des bancs, quelques étagères et tout juste un ordinateur) et une relative complexité, qui met en jeu des interactions entre instances multiples. »
C’est précisément l’expérimentation de formes politiques non étatiques que l’autonomie zapatiste nous invite à explorer. Celle-ci mêle une extrême humilité (le siège d’un conseil de bon gouvernement, c’est une petite maison en bois, une table et des bancs, quelques étagères et tout juste un ordinateur) et une relative complexité, qui met en jeu des interactions entre instances multiples, ainsi qu’une l’articulation d’échelles différentes : la communauté (le village), la commune (l’équivalent d’un canton) et la zone (les territoires zapatistes en comportent cinq, ayant chacune une extension territoriale comparable à celle d’un département). À chaque niveau, interagissent une assemblée et des autorités élues pour deux ou trois ans (agents communautaires, conseil municipal, conseil de bon gouvernement). Les configurations sont différentes à chaque niveau et posent des questions spécifiques, de sorte qu’on échappe ici au « paralogisme scalaire » consistant, selon F. Lordon (p. 74), à penser que les problèmes politiques se posent de la même manière à toutes les échelles. Ainsi, au niveau du village, l’interaction entre agent et assemblée communautaire est étroite et presque constante. Le rôle du premier est d’autant plus circonscrit que la seconde se réunit aisément et même rapidement, dès qu’un problème exige discussion collective. Pour autant, l’agent n’en remplit pas moins un rôle spécifique, quoique restreint : outre le suivi des décisions de l’assemblée, sa capacité d’initiative peut être vitale et son autorité lui confère la possibilité d’exercer une influence particulière sur la manière de traiter certaines questions. À l’échelle de la zone, la situation est différente. L’assemblée se réunit moins aisément (tous les deux ou trois mois, ou pour des raisons extraordinaires) et la diversité des décisions qu’il revient au conseil de bon gouvernement d’assumer augmente. Toutefois, pour les questions les plus importantes, notamment pour les projets dans les domaines tels que la santé, l’éducation, l’agro-écologie, le processus d’élaboration et de prise des décisions est partagé avec l’assemblée de zone. Celle-ci peut trancher, mais si aucun accord clair ne se dégage, il revient aux représentants de toutes les communautés d’engager la discussion dans leurs villages respectifs afin de faire part à l’assemblée suivante d’un accord, d’un refus ou d’amendements. Le cas échéant, ces derniers sont discutés et l’assemblée élabore une proposition rectifiée, à nouveau soumise aux communautés. Plusieurs allers et retours entre conseil, assemblée de zone et villages sont parfois nécessaires avant qu’une proposition puisse être adoptée.
Au-delà des modalités d’articulation entre le rôle des autorités et celui des assemblées, un enjeu essentiel tient aux formes de la délégation. À partir de l’analyse de l’autonomie zapatiste, on peut proposer une distinction entre des formes de délégation structurellement dissociatives et d’autres qui sont faiblement dissociatives. Articulées à d’autres caractéristiques de la structure sociale, les premières ont pour vocation de produire une séparation-capture au profit des gouvernants-dominants ; ainsi, les formes classiques de la représentation sont l’organisation méthodique (et, aujourd’hui, de plus en plus patente) de l’absence effective du représenté. Les secondes réduisent autant que possible la dissociation entre gouvernants et gouvernés, même si le risque que cette dissociation en vienne à se restaurer n’est jamais absent. Aussi, une politique de l’autonomie ne vaut-elle que par les mécanismes pratiques qu’elle invente sans cesse pour lutter contre ce risque et pour entretenir une dynamique de déconcentration de l’exercice des fonctions d’autorité. Que la délimitation entre formes de délégation dissociatives et non dissociatives ne soit jamais tout à fait assuré est bien clair, mais cela n’empêche pas de considérer qu’il s’agit d’une dualité conceptuelle pertinente. On dira même qu’elle est le noyau de la distinction entre une politique étatique – fondée sur l’organisation méthodique d’une dépossession de la puissance du collectif et sur la condensation de l’autorité en pouvoir-sur – et une politique non étatique, laquelle écarte toute consolidation de la dissociation entre gouvernants et gouvernés et lutte activement contre sa reproduction, de sorte que l’exercice de l’autorité demeure essentiellement une manifestation de la puissance collective11.
Encore faut-il indiquer les caractéristiques qui différencient concrètement les formes de délégation fortement ou faiblement dissociatives. Pour les secondes, la révocabilité des mandats est un trait essentiel, justement souligné par F. Lordon. Mais l’expérience zapatiste permet d’en ajouter d’autres : faire en sorte que les charges politiques ne puissent être des occasions de bénéfice personnel (n’y sont attachés ni rétribution, ni avantage matériel), de sorte qu’elles exigent une éthique effectivement vécue du service rendu ; absence de personnalisation et exercice pleinement collégial des charges ; contrôle de leur exercice par d’autres instances ; non-concentration des tâches d’élaboration des décisions. Mais on insistera surtout sur la de-spécialisation des rôles politiques qui, au lieu d’être monopolisés par un groupe spécifique (classe politique, caste fondée sur l’argent ou sur une autre forme de pouvoir symbolique ou de prestige, etc.), doivent faire l’objet d’une circulation généralisée au sein du collectif concerné par ces décisions. Cela suppose de renoncer – point difficile ! – à lier le choix des délégués à l’évaluation d’une « compétence » particulière. Dans l’expérience zapatiste, cela se traduit par le fait que les autorités élues assument sans rougir n’en savoir pas plus – sinon même plutôt moins – que les autres, quant à la chose publique. Accepter cela, c’est la condition d’une pleine dé-spécialisation du politique. Enfin, une autre condition proprement décisive est la non-dissociation des modes de vie entre ceux qui exercent des charges, même de manière très temporaire, et tous les autres. C’est la raison pour laquelle les membres des conseils de bon gouvernement (situés dans les centres régionaux, les caracoles, dont les villages peuvent se trouver fort éloignés) accomplissent leur tâche par rotation, en se relayant par période de 10 à 15 jours, et ce afin de ne pas interrompre trop longtemps leurs activités habituelles, de continuer à s’occuper de leurs familles et de leurs terres. C’est une autre condition jugée indispensable pour garantir la non-spécialisation des tâches politiques et pour éviter que ne réapparaisse une séparation entre l’univers commun et le mode de vie de ceux qui, fut-ce pour un temps bref et de manière très délimitée, assument un rôle particulier dans l’élaboration des décisions collectives.
Identité nationale contre rance universel
« Dans l’expérience zapatiste, les autorités élues assument sans rougir n’en savoir pas plus – sinon même plutôt moins – que les autres, quant à la chose publique. »
F. Lordon nous enjoint d’assumer le sentiment d’appartenance, ciment réel des corps politiques, renvoyant l’universalisme à son manque de consistance. Que tout collectif produise un sentiment d’appartenance – attachement à ce même collectif et satisfaction d’y avoir part –, on ne voit guère de raison de le récuser. « Appartenance », le mot est du reste plutôt aimable, contrairement à celui d’identité, tenu pour équivalent par F. Lordon, mais qui, charriant une relation appauvrie à soi-même, paraît décidément trop compromis avec les conceptions fixistes et substantialistes de l’appartenance qu’il s’agit d’écarter. Quant à l’acception lordonnienne du mot « nation », elle est tout aussi personnelle que celle de la « verticalité » ou de l’« État (général) ». Il désigne en effet toute forme d’appartenance à un collectif un tant soit peu stabilisé et délimité – et ce, par opposition à l’appartenance au genre humain. Redéfinie comme « communauté souveraine », fondée sur « le décider en commun », la nation est ici une « collectivité régie, non par un principe d’appartenance substantielle, mais par un principe de participation – de participation à une forme de vie » (p. 333). Mais si tout collectif fondé sur une forme de vie est une nation, il n’y a plus à s’étonner de lire que « le Chiapas est une nation ». Tout aussi bien, Longo Maï est une nation et le plateau de Millevaches idem. Mais quel sens y a‑t-il à nommer ainsi toute appartenance à une entité politique finie ? Simplement pour faire place aux attachements particuliers ? Le choix terminologique ne laisse pas alors d’être déconcertant, et il importe de souligner que ce que l’on affirme de ces particularismes ne dit rien, en propre, de ce que l’on appelle communément nation. Ou alors choisit-on ce terme parce qu’il autorise, là encore, à passer par glissements successifs de la « nation » au sens lordonnien à la nation au sens historique du terme ? Se reproduirait alors le même tour de passe-passe qu’à propos de la verticalité et de l’État (général).
S’agit-il de prôner une revitalisation de l’appartenance à la nation (au sens courant), contre la supposée détestation, à gauche, du sentiment national ? D’un côté, F. Lordon revendique « l’affect de fierté nationale » et argumente qu’il peut être arraché à ce qu’il a produit de pire, pour peu que l’on abandonne les conceptions substantialistes de la nation au profit d’une approche adoptant comme critère de l’appartenance « la participation contributive à l’effort collectif de la persévérance du groupe dans l’être » (p. 271–2). D’un autre côté, il conclut qu’une tâche essentielle consiste à « se désintoxiquer de l’imaginaire de la grandeur nationale » (p. 310). Quoi qu’il en soit, F. Lordon fait grand cas de l’appartenance nationale : « Le pensable de notre époque est statonational. » Argument qui se pare du caractère indiscutable du réalisme, mais n’en reste pas moins douteux, dès lors que F. Lordon lui-même s’autorise ailleurs à penser à rebrousse-poil de l’époque. Quant à la valorisation du sentiment national, elle appelle au moins deux remarques. Si elle est, pour une large part, une création de l’État moderne, il y a tout lieu de penser qu’elle est fonctionnelle à une domination dont on ne peut que chercher se débarrasser. Par ailleurs, on ne saurait trop rappeler que le sentiment national(iste) est une construction largement artificielle, imposant une prééminence exclusive au sein d’un entrelacement d’appartenances multiples (cette appartenance-là occulte toutes les autres pour devenir, précisément, une « identité ») et qu’une nation est d’abord une « communauté imaginée »12.
Mais l’essentiel, dans Imperium, semble plutôt consister à défendre l’existence des particularismes, contre l’universalisme prêté à la gauche internationaliste. Pour F. Lordon, l’universalisme n’est qu’une « chimère » (p. 100), une idée sans consistance qui dénie la force des « communautés politiques existant réellement ». On pourra juger réductrice, sinon douteuse, la manière dont est traité l’affect internationaliste, exécuté au motif de sa déconfiture en 1914. Mais ce qui est vraiment malencontreux est que, cette fois encore, F. Lordon choisisse si mal sa cible et parte en guerre contre une conception bien rancie de l’universalisme (le chapitre IX opte pour un dialogue avec l’œuvre de Badiou). L’adversaire, construit ad hoc, veut « l’universel comme affranchissement complet d’avec toute particularité, c’est-à-dire comme seul appel à l’humanité générique des hommes, convoqués hors de toute autre propriété distinctive » (p. 280). C’est l’universel comme déliaison et « arrachement de la glèbe » des particularismes. F. Lordon a beau jeu, alors, de dénoncer une opération impossible, dès lors que toute destinée humaine est tissée des appartenances singulières qui l’ont constituée. Malheureusement, dans la phrase citée, comme ailleurs, il se révèle incapable d’envisager que plusieurs échelles d’appartenance puissent ne pas être mutuellement exclusives et omet d’envisager qu’une autre conception de l’universel puisse s’affirmer sans nier les particularités. De ce fait, la critique de l’universalisme demeure tronquée. Il remarque certes que cet universel est produit à partir d’un substrat particulier : il n’est que l’universalisation de valeurs particulières. Mais cette conception même de l’universel n’est pas analysée de manière critique ; elle est seulement récusée. S’interrogeant par exemple sur « les grandes œuvres de l’histoire culturelle », F. Lordon indique qu’elles « saisis[sent] quelque chose de l’humanité générique et s’adress[ent] aux hommes dans leur humanité générique, sans faire acception d’aucune autre qualité particulière » (p. 303). On reste sidéré que le maître des affects imagine que l’on puisse être touché par une œuvre en tant qu’être humain générique, c’est-à-dire en faisant abstraction de toutes les singularités qui, précisément, nous rendent capable d’affects. À l’évidence, ces œuvres n’expriment aucune humanité générique ; elles ont simplement la puissance, à partir d’une forme particulière de l’expérience humaine, de résonner auprès d’autres humanités particulières. Ce qui est en jeu est de l’ordre du trans-historique, nullement d’une généricité anhistorique.
« Dans les rencontres et les fêtes zapatistes, on chante l’hymne mexicain, avant même l’hymne zapatiste, et on rend les honneurs au drapeau national, ce qui ne va pas sans faire grincer bien des dents parmi les sympathisants libertaires. »
Alors que F. Lordon fait la démonstration de son incapacité à penser des appartenances multiples et emboîtées, comme à dépasser le cadre de l’universalité abstraite héritée des Lumières, il y aurait sur ce point une belle leçon à tirer des propositions zapatistes. Certes, F. Lordon suggère que le Chiapas « offre peut-être l’une des meilleures illustrations contemporaines » de ce qu’il appelle une nation (p. 333). Loin de la nation au sens courant du terme, il s’agit, selon lui, d’une appartenance à l’indigénité, reformulée dans une perspective universelle ouverte (p. 131–132). Cela évite au moins les poncifs parfois assénés sur le caractère essencialiste d’une lutte purement ethnique. Mais ce qui est curieux, du point de vue même de F. Lordon, c’est qu’il ignore entièrement, dans sa construction de la supposée nation zapatiste, tout ce qui se réfère à la nation au sens historique du terme13. Dans les rencontres et les fêtes zapatistes, on chante l’hymne mexicain, avant même l’hymne zapatiste, et on rend les honneurs au drapeau national, ce qui ne va pas sans faire grincer bien des dents parmi les sympathisants libertaires – lesquels n’en ont que plus de mérite de tenter de comprendre au-delà de ce que leurs aversions spontanées leur commanderaient de conclure. F. Lordon, qui aimerait tant que l’on parle de la nation autrement qu’en termes de célébration éternitaire ou de répulsion viscérale, aurait donc pu trouver chez les zapatistes, comme auprès d’autres luttes en Amérique latine, une conjonction du projet d’émancipation et de l’attachement à la nation (historique).
Mais le plus intéressant est ailleurs : ce sont (au moins) trois échelles d’appartenance qu’articule le zapatisme, à la fois soulèvement indigène pour la dignité retrouvée et pour l’autonomie, lutte de libération nationale pour transformer le Mexique et rébellion anti-capitaliste pour l’humanité. Même si cette articulation n’a pas toujours été sans tensions, elle transforme le sens de chacun des registres concernés et permet d’écarter les périls que chacun d’eux, pris isolément, pourrait comporter. Ainsi, l’ethnicisme essentialiste est évité au profit d’une conception ouverte de l’indianité, qui ne se laisse pas circonscrire à la revendication d’une identité culturellement définie et constitue bien plutôt le point d’ancrage d’une lutte pour la transformation sociale et politique, associant indiens et non indiens14. Ce que l’appartenance nationale pourrait avoir d’exclusive et d’intolérante est déjoué par sa combinaison avec un internationalisme mis en acte avec constance depuis l’organisation de la Rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme, en 1996, tandis que l’universalisme abstrait, qui finit par être un instrument de négation des différences réelles entre les femmes et les hommes qui composent l’humanité, est récusé par le fait même de son association avec les autres échelles d’appartenance.
Sur ce dernier point, l’expérience zapatiste est riche d’inspiration pour engager la construction d’une autre conception de l’universel. Non un universel abstrait postulant une « humanité générique », mais un universel concret pensé à partir des singularités constitutives de la multiplicité des expériences humaines. Dans la proclamation de la major Ana Maria, lors de la Rencontre intercontinentale de 1996 – « nous sommes tous égauxparce que nous sommes différents » – le paradoxal « parce que » brise l’idée selon laquelle l’égalité et l’unité humaines devraient être définies en dépit des différences entre les individus, les peuples et les sexes. Il revendique une égalité élaborée à partir des différences, sur la base de leur pleine reconnaissance. Au lieu de penser l’humanité en postulant l’identité abstraite de tous les humains et en déniant leur diversité réelle, l’universel peut – et doit – se fonder sur la reconnaissance de la diversité des êtres humains et de la multiplicité de leurs formes de vie. La formule que les zapatistes mettent en œuvre – par exemple dans leurs pratiques éducatives – consiste à viser à la fois plus de soi et plus de l’autre. Ils invitent à penser la complémentarité des appartenances particulières, ancrées dans des expériences territorialisées singulières, et le souci d’une communauté planétaire en quête de son accomplissement. Mais il faut pour cela cesser de postuler un universel générique et faire prévaloir la construction, ô combien ardue, d’une universalité conçue comme traversées mutuelles des singularités.
Anthropologie boiteuse et émancipation triste
« L’expérience zapatiste est riche d’inspiration pour engager la construction d’une autre conception de l’universel. »
S’agissant de la question anthropologique, décisive pour la pensée des formes politiques, F. Lordon entend proposer une position équilibrée : refuser l’idée – « l’illusion occidentale », dirait Marshall Sahlins – d’une nature humaine perverse et égoïste, conduisant à la nécessité d’un pouvoir surplombant (Église, puis État), tout autant qu’une conception postulant « l’exclusivité des passions bonnes », « condition de possibilité anthropologique de [la] forme politique rêvée » de l’horizontalisme (p. 251). Il s’agit de récuser une « anthropologie hémiplégique » (p. 27), qui ne prendrait en compte qu’un seul versant de cet homme bi-face, tissé d’affects passifs et actifs, de convenance autant que de disconvenance passionnelle15. On acceptera une caractérisation qui a l’avantage d’écarter à la fois la nécessité du Léviathan hobbessien et l’idéal d’une société parfaite et sans conflit. Mais, outre que F. Lordon, ici encore, caricature effrontément la pensée libertaire en la ramenant au rêve d’atteindre « les plaines de la paix civile perpétuelle » où règne la « coexistence harmonieuse des communs » (p. 100), on lui reprochera de ne pas tenir l’équilibre annoncé entre les deux versants des penchants humains. C’est que l’enjeu d’Imperium est de faire la guerre à la pensée anti-étatique, en même temps que d’éviter d’être pris en défaut de réalisme anthropologique. C’est donc le versant des tendances à la disconvenance qui est systématiquement souligné et c’est lui seul, ou presque, qui est opérant quant à la détermination des formes politiques viables. Quant à l’autre versant, celui des penchants à la coopération par exemple, il fait l’objet d’une minoration constante et n’ouvre guère d’autre option politique spécifique, selonImperium, que l’illusion de l’associationnisme horizontal. L’anthropologie politique lordonnienne ne marche donc pas sur ses deux pieds, et on peut craindre qu’elle en revienne, sous couvert de spinozisme, à une modalité un peu honteuse d’hobbesianisme. Du reste, F. Lordon n’hésite pas à affirmer que « « sous la conduite des passions plus que de la raison », le monde sans État n’est pas le monde des associations : il est le monde des bandes » (p. 89). Il a beau répéter qu’il faut voir en l’homme et le loup et le dieu, c’est le loup seul, ou presque, qui occupe, chez lui, la scène politique.
Dans ces conditions, quelles sont les chances de l’émancipation ? Imperium en propose une conception prudente et hautement restrictive. Les ambitions émancipatrices sont nécessairement bornées (p. 296) et le communisme est « inatteignable complètement », ce qui n’empêche pas de le désirer (p. 310). F. Lordon multiplie les cautions de « réalisme critique » et prétend récuser à la fois le « déni de servitude passionnelle » et le « renoncement réactionnaire empressé » (p. 301). Sauf que, si vive est sa crainte d’être pris en défaut que, jusqu’à la page 255 du livre, sa manière de raisonner ne diffère guère de celle du « réalisme conservateur ». Les choses changent ensuite, timidement certes, mais cela ne saurait être négligé : ainsi avance-t-il, par exemple, que « rappeler que les modes sont modifiables ouvre une formidable possibilité de principe » (p. 259). Mais on sent l’économiste-philosophe si craintif de se laisser aller à libérer cette « formidable possibilité », de peur sans doute de trop lâcher la bride, qu’il stérilise l’élaboration possible d’une théorie politique de l’émancipation.
Il est sans doute judicieux de faire voir ce qu’une révolution ne peut pas – la réalisation magique d’un monde parfait. Et on peut, à la limite, comprendre le souci de la rendre à la fois désirable et crédible. Mais l’excès de prudence (est-elle même réaliste ?) oublie trop de la rendre désirable, en refermant bien vite l’horizon des possibles sur l’existant, le déjà connu. S’il y a bien une chose qui n’a pas sa place sous l’élégance recherchée de la plume lordonnienne, c’est l’enthousiasme. Cela tient peut-être en partie à l’habitus universitaire, pour lequel ce penchant est perçu comme un manquement à l’éthos professionnel de distanciation critique, exposant au terrible soupçon de naïveté. Pourtant, n’y aurait-il pas quelque raison de s’enthousiasmer un tant soit peu, sans pour autant perdre toute vigilance critique, à la pensée de ce que la sortie – difficile, lente, conflictuelle – de la société de la marchandise ouvrirait de possibles inédits ? Mais l’imaginaire lordonnien de l’émancipation fait trop de place aux affects tristes et bien peu aux affects joyeux. Son idée de la révolution est assurément dégrisée, mais elle est aussi bien grise.
« L’auteur d’Imperium lie essentiellement la transformation de l’humain à l’éducation, plutôt qu’à la transformation des conditions mêmes de l’existence. »
Imperium fait toutefois une place remarquable à la puissance transformatrice du moment insurrectionnel, associé à l’intensité de la lutte commune, dans l’urgence et le danger. Pourtant, comme épouvanté par le potentiel de transformation ainsi convoqué, F. Lordon s’empresse de refermer la porte à peine entr’ouverte : cela ne peut être qu’un moment fugace et, dès l’effervescence du moment insurrectionnel passée, prévaut « la stabilisation de nouveaux rapports sociaux ». Après l’incandescence de l’incendie, les froides « cendres de l’ordinaire » (p. 339). Juste quelques jours d’embrasement, puis tout rentre dans la convenance de l’ordre institué, comme si une nouvelle forme de vie était sortie tout armée de l’intensité émeutière. Quelle extravagante conception de la révolution ! – qui reproduit de la manière la plus grossière la mythologie du Grand Soir, pourtant gaussée, et qui évacue toute perspective d’un processus continué, construisant une réalité collective sans cesse renouvelée16. Quant aux expérimentations présentes de formes de vie non capitalistes, elles pourraient avoir la vertu, concède F. Lordon, de produire à froid ce que le moment insurrectionnel engendre à chaud. On aurait alors la confirmation d’un état des affects révolutionnaires à haute température et en même temps durable (p. 264–6). Il faut donc, là encore, faire marche arrière et adopter un point de vue franchement dépréciatif sur ces expériences, qualifiées « d’isolats » pour « virtuoses de la révolution », « voués à ne rassembler que les convaincus ». Mais c’est là coupablement minimiser ce qu’il y a à apprendre d’elles et l’affirmation brille de la gratuité d’une pure pétition de principe : c’est exclure d’emblée une force d’attraction susceptible de s’exercer sur ceux qui n’en sont pas encore – une force qui, le moment venu, pourrait bien s’avérer décisive.
Sans doute est-il salutaire de prendre ses distances vis-à-vis d’une conception totale de l’émancipation, d’admettre les effets potentiellement divergents de la servitude passionnelle et d’écarter le mirage d’une société débarrassée de tout conflit. Mais il convient aussi, symétriquement, de ne pas minimiser les capacités d’auto-transformation et d’inventivité, et de faire toute sa place, en termes de possibilités d’agencements politiques, au versant positif et coopératif d’une anthropologie véritablement bi-face. Visiblement angoissé, F. Lordon craint pour la révolution : « Qui va descendre les poubelles ? » (p. 294). La question n’a rien de triviale, si l’on entend par là l’interrogation sur les « mobiles par lesquels on se plie aux réquisitions de son insertion personnelle dans un agencement collectif ». L’auteur d’Imperium lie essentiellement la transformation de l’humain à l’éducation, plutôt qu’à la transformation des conditions mêmes de l’existence. Il note cependant que l’opposition entre attitudes coopératives ou compétitives dépend, non d’une quelconque nature humaine, mais des « conditions externes telles qu’elles vont induire préférentiellement tels ou tels mécanismes passionnels » (p. 248–9). Ce point est d’une extrême importance et on regrette que F. Lordon s’y intéresse si peu et ne fasse presque jamais mention des différences radicales qui pourraient exister, quant à ces conditions, entre le réel actuel et la pluralité des mondes post-capitalistes. Or, c’est tout à la fois la nature et l’échelle des problèmes à résoudre (par exemple ceux qui découlent des modes de production des déchets) et les formes de subjectivité qui se trouveraient très profondément modifiés. Enfin, la « question des poubelles » pourrait être, sinon résolue, du moins éclairée en convoquant la conception contributive de l’appartenance, proposée par F. Lordon lui-même. Il y a désir de contribuer, parce qu’il y désir d’appartenance. Sans postuler une dissipation de toutes les questions organisationnelles par la seule vertu d’enthousiasmes inépuisables et toujours bien agencés les uns aux autres, on ne saurait minimiser l’énergie des désirs contributifs, dès lors qu’ils sont aussi désir de faire exister la forme de vie que l’on éprouve comme propre (sans exclure qu’en cas de défaillance, le rappel des règles collectives et le recours à une forme de médiation puissent être nécessaires).
Il y a, dans l’autonomie zapatiste, matière à rejeter l’opposition que F. Lordon établit entre le feu du moment insurrectionnel et les lendemains de cendre. Car voilà une expérience qui résiste, avance, construit une « utopie réelle » depuis 22 ans, malgré les offensives contre-insurrectionnelles de tous ordres, lancées contre elle. Et elle ne tient que par l’engagement quotidien de ses membres. Il serait vain de nier que la fatigue, pour certains plus que pour d’autres, s’insinue dans cette guerre (d’usure, justement). Mais il y a toutefois assez d’énergie renouvelée pour soutenir durablement le goût de vivre dans la lutte. « Le Chiapas » ne se réduit ni au feu du soulèvement insurrectionnel ni aux cendres d’un ordinaire redevenu gris : ses braises se renouvellent depuis plus de deux décennies, non sans quelques étincelles jaillissant vers d’autres cieux. Les zapatistes nous invitent du reste à une autre conception de l’ordinaire, lorsqu’ils affirment : « Somos rebeldes porque somos gente común [Nous sommes rebelles parce que nous sommes des gens ordinaires] ». Des virtuoses, les zapatistes ? D’humbles virtuoses de l’ordinaire, sans doute. Mais à quoi tient l’énergie subjective tranquille de leur art simple de faire d’autres mondes ? Certainement pas à une quelconque essence indienne (encore qu’on ne saurait négliger le fait que le sens du collectif soit, là-bas, tendanciellement plus développé qu’ici). Durant la « petite école zapatiste », l’un desmaestros nous a demandé : « Et vous, est-ce que vous vous sentez libres ? » Pour eux, la réponse est claire. Ils ont fait le choix de vivre dans la lutte et de construire une réalité inédite ; ils décident eux-mêmes de leur propre manière de vivre et de se gouverner. Il est permis de penser que c’est dans l’exercice même de cette liberté – le fait de décider collectivement pour faire croître en plénitude leur forme de vie – et dans la dignité retrouvée que cela confère que se trouve une bonne part de l’énergie subjective nécessaire pour tracer, jour après jour, le long chemin de la transformation permanente qu’est l’émancipation.
« Des virtuoses, les zapatistes ? D’humbles virtuoses de l’ordinaire, sans doute. Mais à quoi tient l’énergie subjective tranquille de leur art simple de faire d’autres mondes ? »
Ce chemin s’avance vers un horizon, mais n’atteindra nulle cité idéale. F. Lordon clôt l’ouvrage par cette phrase : « La politique de l’émancipation est interminable. » L’un des maestroszapatistes l’avait devancé en déclarant : « L’autonomie n’a pas de fin » (l’autonomie, c’est le nom qu’ils donnent à l’expérimentation de formes politiques non étatiques et, plus largement, à la construction d’une forme de vie inédite). Il s’agissait, par là, de reconnaître l’imperfection de l’autonomie : imperfection présente, mais aussi imperfection principielle, car on n’en a jamais fini avec la lutte contre la possible reproduction d’une séparation entre gouvernants et gouvernées, contre la pétrification de l’institué. Proclamer la pleine réalisation de l’autonomie – ou de l’émancipation – serait le symptôme de sa mort. Mais plutôt que de s’en tenir à l’énoncé d’une impossibilité de l’auto-gouvernement, les zapatistes inventent quotidiennement des formes politiques qui, bien qu’imparfaites et contraintes de lutter contre les dérives de la séparation, se transforment sans cesse, au gré de l’analyse des difficultés et des erreurs commises. Pas de fin, pas de perfection, rien de figé ; mais un auto-gouvernement en acte, tout de même.
*
Au total, Imperium livre quelques mises en garde qu’on peut partager (pas d’humanité entièrement libérée de la servitude passionnelle, pas de monde idéal et sans conflit, pas de forme politique sans risque de séparation et de pétrification). Mais les concepts lordonniens sont d’une élasticité telle qu’ils prêtent à confusion et risquent d’autoriser des glissements subreptices, au-delà de ce que l’argumentation soutient véritablement. Surtout, ils manquent de cette capacité de discernement qui importe tant, du point de vue d’une politique de l’émancipation, et dont l’objet prioritaire devrait être de nous aider à faire le partage, aussi incertain soit-il en ses limites, entre des formes politiques étatiques et non étatiques, entre l’invention de procédures qui favorisent l’accroissement de la puissance du collectif et la dépossession de celle-ci au profit du pouvoir-sur des uns sur les autres. Redisons l’essentiel : Imperium ne parvient pas à jeter aux oubliettes de l’histoire la perspective d’une émancipation sans l’État. De l’État en général, rien ne fonde le caractère indépassable ; quant à l’État général, rien ne justifie de lui donner ce nom, sinon le tour de passe-passe qu’il prétend autoriser. Et quand bien même devrait demeurer ce que F. Lordon nomme ainsi, cela ne contredirait en rien la possibilité de destituer ce que nous continuerons à nommer État.
L’horizon de l’émancipation, entendue comme processus toujours en cours, n’est pas la paix civile perpétuelle, ni une quelconque coexistence harmonieuse parfaite. Néanmoins, il serait dommageable de ne pas s’employer à faire valoir, à rebours des pesanteurs systémiques qui prétendent éterniser l’état de fait, que la sortie du monde de la destruction capitaliste ouvre à l’inédit, au-delà même de ce que nous sommes présentement en mesure d’imaginer – alors que, malgré ses dénégations, dans l’univers lordonnien, l’existant borne (trop) le possible. Il ne s’agit certes pas de basculer dans l’idéal, ni de postuler une parfaite maîtrise, surtout si on comprend celle-ci au sens classique de l’autonomie individuelle. Bien au contraire, on pourrait assumer la notion d’appartenance plus radicalement que ne le propose Imperium. Dès lors que, récusant l’idée de l’individu auto-institué, on adopte une conception proprement relationnelle de la personne (selon laquelle celle-ci tient son être même des relations qui la traversent), les collectifs auxquels chacun appartient sont littéralement constitutifs de l’existence singulière. Le collectif dans lequel nous nous insérons, avec ses usages et ses règles, se loge donc en nous et il lui revient parfois de le faire savoir explicitement, sinon abruptement, sous forme de rappel à la nécessaire discipline associée à cette appartenance. Les normes collectives – quelles qu’en soient les modalités – sont modifiables à tout moment, mais il s’agit là d’un processus, non d’une auto-définition ex nihilo permanente. Rien n’est figé dans l’institué, mais la manière de transformer l’existant est tributaire de ce qu’il y a à transformer et qui informe partiellement la manière de vouloir le modifier. La dimension du transindividuel n’est pas hors de portée des collectifs, mais elle échappe par définition à la pleine maîtrise des êtres individués qu’elle contribue à inscrire dans le devenir.
Photographie de portrait de Frédéric Lordon : © Stéphane Burlot
NOTES
1. Frédéric Lordon, Imperium. Structures et affects des corps politiques, Paris, La Fabrique, 2015.
2. Et qu’on ne dise pas que c’est là sombrer dans cette pensée « par modèle » que dénonce F. Lordon. Les zapatistes eux-mêmes n’ont pas cessé de mettre en garde contre la tentation de les idéaliser et de voir dans leur trajectoire singulière un modèle à reproduire. Cela n’empêche pas de se saisir de cette expérience comme d’un point d’appui et d’une source d’inspiration pour aider à penser d’autres situations également singulières.
3. La notion ne suscite que quelques commentaires condescendants, tandis que le livre de Pierre Dardot et Christian Laval (Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2014) est réduit à la mention de deux phrases isolées et congédié avec dédain (p. 74–75).
4. « La partie politico-militaire de l’EZLN n’est pas démocratique, puisque c’est une armée », Sixième Déclaration de la Selva Lacandona, http://cspcl.ouvaton.org/spip.php?article204.
5. « L’accompagnement se convertit en direction, le conseil en ordre… et l’appui en gêne » (Leer un video, août 2004, http://palabra.ezln.org.mx/).
6. Y, sí, aprendimos (La Jornada, http://www.jornada.unam.mx/2013/08/19/opinion/018a2pol).
7. « Il y a des moments où le peuple dirige et le gouvernement obéit ; il y a des moments où le peuple obéit et le gouvernement dirige » (maestro Fidel, « Petite école zapatiste », août 2013). Pour tout ce qui concerne l’autonomie zapatiste, voir l’analyse plus détaillée dans Jérôme Baschet, Adieux au capitalisme. Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes, Paris, La Découverte, 2014 et, avec Guillaume Goutte, Enseignements d’une rébellion. La petite École zapatiste, Paris, Éditions de l’Escargot, 2014.
8. Commentaires de mon Votán lors de la « petite école zapatiste » (à chacun des milliers d’invités était attribuée en propre une personne chargée de prendre soin de lui et de dialoguer de manière interpersonnelle).
9. Récusant une conception libertaire qui consisterait en « une négation du pouvoir », Tomas Ibañez, par exemple, distingue utilement trois sens du terme « pouvoir » (capacité de, relation dissymétrique entre agents, macrostructures de régulation et contrôle), soit précisément ce que l’approche lordonnienne écrase (« Pour un pouvoir politique libertaire », 1983, http://www.grand-angle-libertaire.net/pour-un-pouvoir-politique-libertaire-thomas-ibanez/). Voir aussi Vivien Garcia, L’anarchisme aujourd’hui, Paris, L’Harmattan, 2007, qui distingue, par exemple, relations autoritaires et relations d’autorité légitime.
10. « Tous les groupements politiques sont des États au sens de l’État général », p. 122.
11. On peut définir l’État (en général) par la combinaison de deux caractéristiques : le weberien « monopole de la violence légitime » et une séparation consolidée entre qui est destiné à figurer du côté des gouvernants et qui est voué au statut de gouverné, soit en langue lordonnienne (mais déplacée par rapport aux énoncés d’Imperium) la capture de la puissance du collectif par un de ses sous-ensembles (souverain, caste, classe politique dissociée, appareil bureaucratique fondé sur la revendication d’une compétence sélective et organisant le consentement des dominés à la gestion du monde conformément aux intérêts dominants).
12. Référence pourtant canonique, l’ouvrage de Benedict Anderson – Imagined Communities, dans la version originale – n’est mentionné qu’un seule fois, du bout de la plume (L’imaginaire national, Paris, La Découverte, 2006).
13. Voir ses contorsions cocasses (p. 131) pour expliquer, en référence à sa propre définition, le sens du mot « national » dans l’acronyme de l’EZLN, alors qu’il s’agit d’un héritage de la tradition anti-impérialiste latino-américaine.
14. Sur tout ceci, voir J. Baschet, « Autonomie, indianité et anticapitalisme : l’expérience zapatiste », dans Les Amériques indiennes face au néolibéralisme, Actuel Marx, 56, 2014, p. 23–39.
15. On laisse de côté la discussion sur la notion de « nature humaine » que F. Lordon admet, en s’inspirant de Spinoza, en un sens faible, « sous-déterminé » et éminemment flexible (les hommes sont modifiables), mais qu’on peut tout aussi bien préférer ne pas utiliser, tant elle est chargée d’une dimension fixiste, dont on aura peine à la débarrasser.
16. A propos du Grand Soir, relevons cette affirmation curieuse : « Si la révolution politique de l’horizontalité appelle comme sa condition de possibilité une révolution morale, le problème des révolutions morales c’est qu’elles ne connaissent pas le Grand Soir. » (p. 269). Truisme, encore. Mais qui croit encore à la mythologie du Grand Soir, les adversaires que F. Lordon se donne ou lui-même ?
REBONDS
☰ Lire « Ne vous sentez pas seuls et isolés — par le sous-commandant Marcos » (Memento), avril 2015
☰ Lire « Daniel Bensaïd : Du pouvoir et de l’État », (Texte inédit), avril 2015
☰ Lire notre entretien avec Michael Löwy, « Sans révolte, la politique devient vide de sens », décembre 2014
☰ Lire notre entretien avec Guillaume Goutte : « Que deviennent les zapatistes, loin des grands médias ? », novembre 2014
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Je pense que Lordon a raison de dédiaboliser les mots État et nation, parce que nous en avons besoin pour résister aux plus grands prédateurs capitalistes. Et plusieurs des reproches que lui fait Baschet à la fin sont mal fondés (à mon sens).
Dans cette intéressante controverse, les protagonistes négligent tous les deux, je trouve, la possibilité (et l’intérêt) d’une appropriation populaire du processus constituant : un peuple devenu constituant saurait fort bien limiter et contrôler le pouvoir vertical dont il a besoin.
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Toujours est-il que j’ai ensuite commencé à travailler le livre de Jérôme Baschet, « La rébellion zapatiste » (2002), initialement intitulé « L’étincelle zapatiste », et je le trouve absolument passionnant :
Encore un beau grand chantier pour progresser vers l’auto-institution d’un régime politique juste et pacifiant.
Étienne.
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Page Facebook correspondant à ce billet :
https://www.facebook.com/etienne.chouard/posts/10154202864567317
Pendant que les mexicains au Chiapas se libèrent de leurs maîtres élus, nous restons sous la férule ignominieuse de nos propres « élus », qui trahissent le bien commun chaque jour un peu plus :
CENSURES, par Jacques Sapir :
https://russeurope.hypotheses.org/4945
« Le sectarisme a encore frappé (ou pas). Deux, parmi les « chefs » des « frondeurs », Benoît Hamon et Christian Paul, ont déclaré qu’il n’était pas question pour eux de voter une motion de censure « de droite ».
La tentative de déposer une motion de censure « de gauche » ayant visiblement échoué, on devine que ces grands politiques (et leurs suiveurs) s’abstiendront.
On ne sait ce qu’il y a de plus détestable dans cette attitude : le sectarisme ou l’hypocrisie. Sans doute les deux.
Du sectarisme en politique
Car, une motion de censure est un acte de défiance envers le gouvernement. Si l’on considère ce gouvernement comme « de gauche », la censure est de droite. Si l’on considère ce gouvernement comme « de droite », elle est de gauche. A partir du moment ou l’on veut voter une censure, c’est cela, et cela seul, qui compte. Qualifier une censure par les députés qui l’ont présentée n’est que pur sectarisme. Car, un acte politique ne prend sens que dans sa réalisation, et non dans son origine. Définir cet acte par qui en est l’origine est absurde, même si, dans le texte de cette motion les termes peuvent être clairement connotés. Au bout du compte, seul le résultat compte !
Mais, ajoutons que pour quelqu’un se disant « de gauche », c’est même une double absurdité que de qualifier un acte par son origine. Non seulement c’est oublier qu’en politique la dynamique d’un acte est primordiale mais en plus c’est sacrifier à un « mythe de l’origine » comme n’importe quel militant identitaire. C’est donc montrer au grand jour que son sectarisme l’emporte sur les intérêts que l’on prétend défendre.
Or, les députés représentent la Nation. Ils doivent donc s’engager sur ce qu’ils pensent et non sur qui a présenté tel ou tel texte. Dans le cas présent, la loi El Khomri divise. On peut l’approuver comme on peut la rejeter. Mais, on aura toujours plus de considération pour qui aura assumé ses choix que pour qui aura laissé le sectarisme prendre le pas sur son choix.
De l’hypocrisie en politique
Mais, on peut ici craindre le pire, et ce pire s’appelle l’hypocrisie. Car, si le sectarisme est une plaie qui défigure l’action politique, l’hypocrisie, elle, en est tout simplement la négation. On peut reprocher à un acteur politique ses erreurs, mais on ne peut lui pardonner l’hypocrisie.
Or, en prétendant défendre ses « valeurs » (et en oubliant qu’en politique on n’a que des principes) le député « frondeur » sait fort bien qu’il laisse passer la loi El Khomri qu’il prétend honnir. En se réfugiant derrière le discours sur une motion de censure « de gauche », il construit un argumentaire de justification qui lui permet d’expliquer son inaction en lui donnant les apparences de la morale.
Certes, car Monsieur le « frondeur » a des certitudes, il est opposé à cette loi. Certes, il la trouve rétrograde, inadaptée aux problèmes posés, et fort dangereuse dans un contexte de chômage de masse. Mais il ne peut « en conscience » (très bon cela, coco, que d‘invoquer la conscience en un tel moment) voter une motion « de droite ». Et, comme il sait fort bien que le dépôt d’une motion « de gauche » est plus qu’hasardeux, cela va donc aboutir à ce qu’il ne vote aucune motion de censure.
Le tour est joué, mais dans la honte et l’ignominie. Cette même personne va, ensuite, s’étonner du discrédit dont souffrent les partis politiques traditionnels, sans même voir que son propre comportement est à l’origine du dit discrédit.
Tout est donc dit sur les « frondeurs », sur leur sectarisme, leur hypocrisie et leur lâcheté, sur ce qu’ils sont et ceux qu’ils ne représentent pas. Ajoutons, cependant, que le sectarisme et l’hypocrisie ne se manifestent pas seulement au Parlement. Car, ce sont ces deux maux qui sont aussi à l’œuvre au sein du mouvement social, et en particulier sur la question de l’Euro. On se souvient de ceux qui, n’est-ce pas Fréderic Lordon, défendaient une sortie « de gauche » de l’Euro. Comme si cela avait un sens…
Assurément, il y aura débat sur la politique à mettre en place après la sortie de l’Euro, et cette politique pourra être « de gauche » ou « de droite ». Mais, pour que ce débat ait lieu, il faudra d’abord être sorti de l’Euro, et cela n’est ni de gauche, ni de droite.
On est pour ou l’on est contre, mais ici aussi, comme sur la question du vote de la censure, vouloir faire parade de sa gauchitude comme pourrait le dire une ministre que je ne nommerai pas, c’est tout simplement faire preuve d‘hypocrisie et donc de lâcheté. »
Jacques Sapir
Source : Russeurope, https://russeurope.hypotheses.org/4945
Salut Etienne et les autres,
Le zapatisme est une démocratie de terrain « vraie », j’avais fait un commentaire avec lien vers un article sur le zapatisme mais je ne retrouve plus sur le plan C (peut-tu le retrouver?) sur la subsidiarité inversée en clair nul n’a le droit de décider d’une loi qui ne l’affecte pas en partant de la commune cela permettrai de créer une démocratie digne de ce nom.
ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE. MEXIQUE
SIXIÈME DÉCLARATION DE LA FORÊT LACANDONE
http://cspcl.ouvaton.org/article.php3?id_article=204
Voici notre parole simple qui voudrait arriver au cœur des gens comme nous, humbles et simples, mais, tout comme nous aussi, rebelles et dignes. Voici notre parole simple pour raconter le chemin que nous avons parcouru et où nous en sommes aujourd’hui ; pour expliquer comment nous voyons le monde et notre pays ; pour dire ce que nous pensons faire et comment nous pensons le faire, et pour inviter d’autres à faire le chemin avec nous dans quelque chose de très grand qui s’appelle le Mexique et dans quelque chose de plus grand encore que l’on nomme le monde. Voici notre parole simple pour faire savoir à tous les cœurs honnêtes et nobles ce que nous voulons au Mexique et dans le monde. Voici notre parole simple, parce que c’est notre volonté d’appeler ceux qui sont comme nous et de nous unir à eux, partout où ils vivent et où ils luttent.
I. CE QUE NOUS SOMMES
Nous sommes les zapatistes de l’EZLN. On nous appelle aussi les « néozapatistes ». Bien, alors nous, les zapatistes de l’EZLN, nous avons pris les armes en janvier 1994 parce que nous avons trouvé qu’il y en avait assez de tout ce mal que faisaient les puissants, qui ne font que nous humilier, nous voler, nous jeter en prison et nous tuer, sans que rien de ce que l’on puisse dire ne change rien. C’est pour cela que nous avons dit « ¡Ya basta ! » Ça suffit, maintenant ! Pour dire que nous ne permettrons plus qu’ils nous diminuent et nous traitent pire que des animaux. Et alors nous avons aussi dit que nous voulions la démocratie, la liberté et la justice pour tous les Mexicains, même si nous nous sommes surtout occupés des peuples indiens. Parce qu’il se trouve que nous autres de l’EZLN nous sommes presque tous des indigènes d’ici, du Chiapas, mais que nous ne voulons pas lutter uniquement pour notre propre bien ou uniquement pour le bien des indigènes du Chiapas ou uniquement pour les peuples indiens du Mexique : nous voulons lutter tous ensemble avec tous les gens humbles et simples comme nous et qui sont dans le besoin et subissent l’exploitation et le vol de la part des riches et de leur mauvais gouvernement, ici dans notre Mexique et dans d’autres pays du monde.
Et alors, notre petite histoire, c’est que nous en avons eu assez de l’exploitation que nous faisaient subir les puissants et que nous nous sommes organisés pour nous défendre et pour nous battre pour la justice. Au début, nous n’étions pas beaucoup, quelques-uns seulement à aller d’un côté et de l’autre, à parler et à écouter d’autres comme nous. Nous avons fait ça pendant de nombreuses années et nous l’avons fait en secret, sans faire de bruit. C’est-à-dire que nous avons rassemblé nos forces en silence. Nous avons passé dix ans comme ça et après nous avons grandi et vite nous avons été des milliers. Alors nous nous sommes bien préparés, avec la politique et avec des armes, et, soudainement, quand les riches étaient en pleine fête de nouvel an, nous sommes tombés sur leurs villes et nous avons réussi à les prendre, et nous leur avons montré bien clairement que nous étions là, qu’ils allaient devoir tenir compte de nous. Et alors les riches ont eu une grosse frayeur et ils nous ont envoyé leurs grandes armées pour en finir avec nous. Ils ont fait comme ils font toujours quand les exploités se rebellent, ils envoient quelqu’un en finir avec eux. Mais ils n’ont pas pu le faire avec nous, parce que nous nous sommes très bien préparés avant la guerre et nous nous sommes faits forts dans nos montagnes. Et leurs soldats nous cherchaient partout et nous jetaient leurs bombes et nous tiraient dessus. Et ils ont même commencé à se dire qu’il fallait tuer une fois pour toutes tous les indigènes parce qu’il n’y avait pas moyen de savoir qui était zapatiste et qui ne l’était pas. Et nous à courir et à nous battre, à combattre et à courir, comme l’avaient fait nos ancêtres avant nous. Sans nous rendre, sans nous faire céder, sans nous vaincre.
Et voilà que les gens des villes sont sortis dans les rues et ont commencé à demander en criant que la guerre s’arrête. Et alors nous avons arrêté notre guerre et nous les avons écoutés, ces frères et ces sœurs de la ville qui nous disaient d’essayer d’arriver à un arrangement, c’est-à-dire à un accord avec ceux du mauvais gouvernement pour trouver une solution sans massacre. Et alors nous avons fait ce que nous disaient les gens, parce que ces gens, c’est ce que nous appelons « le peuple », c’est-à-dire le peuple mexicain. Alors nous avons mis de côté le feu et nous avons fait parler la parole.
Et voilà que ceux du gouvernement ont dit qu’ils allaient bien se comporter et allaient dialoguer et faire des accords et les respecter. Et nous, nous avons dit que c’était bien, d’accord, mais nous avons aussi pensé que c’était bien aussi de connaître ces gens qui étaient descendus dans la rue pour arrêter la guerre. Alors, tout en dialoguant avec ceux du mauvais gouvernement, nous avons aussi parlé avec ces personnes et nous avons vu que la plupart étaient des gens humbles et simples comme nous, et que nous comprenions bien pourquoi nous luttions tous les deux, c’est-à-dire eux et nous. Alors nous avons appelé ces gens « société civile », parce que la plupart n’appartenaient pas à des partis politiques et que c’était des gens du commun, comme nous, des gens humbles et simples.
Mais ceux du mauvais gouvernement ne voulaient pas d’un bon arrangement, ce n’était qu’une de leurs feintes de dire qu’ils allaient parler et trouver un accord. Pendant ce temps-là, ils se préparaient à nous attaquer pour nous éliminer définitivement. Et alors plusieurs fois ils nous ont attaqués, mais sans arriver à nous vaincre parce que nous avons su bien résister et que beaucoup de gens dans le monde entier se sont mobilisés. Et alors ceux du mauvais gouvernement se sont dit que le problème, c’était que beaucoup de gens voyaient ce qui se passait avec l’EZLN et alors ils ont décidé de commencer à faire comme s’il ne se passait rien. Et pendant ce temps-là, ils nous encerclaient, c’est-à-dire qu’ils nous mettaient le siège, et ils ont commencé à attendre que les gens, comme nos montagnes sont isolées, oublient parce que le territoire zapatiste est loin. Et régulièrement ceux du mauvais gouvernement essayaient leurs trucs et essayaient de nous tromper ou de nous attaquer, comme en février 1995 quand une grande quantité de troupes a voulu nous repousser mais n’est pas parvenu à nous vaincre. Parce que nous n’étions pas seuls, comme ils l’ont dit après coup, et que beaucoup de gens nous ont soutenus et que nous avons bien résisté.
Alors, ceux du mauvais gouvernement ont dû passer des accords avec l’EZLN et ces accords, ce sont les « Accords de San Andrés », parce que « San Andrés » est le nom de la commune où ont été signés ces accords. Et dans ces pourparlers nous n’étions pas tout seuls à parler avec ceux du mauvais gouvernement, nous avions invité beaucoup de gens et d’organisations qui étaient ou sont engagés dans la lutte pour les peuples indiens du Mexique. Et tous avaient leur mot à dire et tous ensemble nous nous sommes mis d’accord sur ce que nous allions dire à ceux du mauvais gouvernement. C’est comme ça que s’est passé le dialogue, il n’y avait pas que les zapatistes tout seuls d’un côté et ceux du mauvais gouvernement de l’autre, avec les zapatistes il y avait les peuples indiens du Mexique et ceux qui les soutiennent. Et alors dans ces accords ceux du mauvais gouvernement ont dit qu’ils allaient reconnaître les droits des peuples indiens du Mexique et respecter leur culture, et qu’ils allaient le mettre dans une loi dans la Constitution. Mais après avoir signé, ceux du mauvais gouvernement ont fait comme s’ils avaient oublié et beaucoup d’années ont passé et les accords ne sont toujours pas respectés. Au contraire, le gouvernement a attaqué les indigènes pour leur faire abandonner la lutte, comme le 22 décembre 1997. Ce jour-là, Zedillo a fait tuer 45 hommes, femmes, anciens et enfants, dans le hameau du Chiapas qui s’appelle ACTEAL. Un tel crime ne s’oublie pas facilement, mais c’est aussi une preuve de comment ceux du mauvais gouvernement n’hésitent pas un instant à attaquer et à assassiner ceux qui se rebellent contre l’injustice. Et pendant tout ce temps-là, les zapatistes s’obstinaient par tous les moyens à faire respecter les accords et à résister dans les montagnes du Sud-Est mexicain. Et alors nous avons commencé à parler avec d’autres peuples indiens du Mexique et avec les organisations qu’ils avaient et nous avons passé un accord avec eux pour lutter tous ensemble pour la même chose, pour la reconnaissance des droits et de la culture indigènes. Et là aussi, beaucoup de gens du monde entier nous ont soutenus, et des personnes très respectées dont la parole est très grande parce que ce sont de grands intellectuels, de grands artistes et de grands scientifiques du Mexique et du monde entier. Nous avons aussi fait des rencontres internationales, c’est-à-dire que nous nous sommes réunis pour discuter avec des gens venus d’Amérique, d’Asie, d’Europe, d’Afrique et d’Océanie, et que nous avons pu connaître leurs luttes et leur façon de faire, et nous les avons appelées des rencontres « intergalactiques » pour rigoler mais aussi parce que nous avions invité les gens des autres planètes, mais on dirait qu’ils ne sont pas venus ou alors qu’ils sont venus mais qu’ils ne l’ont pas montré.
Mais rien à faire, ceux du mauvais gouvernement ne respectaient pas les accords, alors nous avons décidé de parler avec beaucoup de Mexicains pour avoir leur soutien. Alors d’abord, en 1997, nous avons organisé une marche jusqu’à Mexico qui s’est appelée la « Marche des 1 111 », parce qu’il y avait un compañero et une compañera pour chaque village zapatiste, mais le gouvernement n’a pas réagi. Après, en 1999, nous avons organisé dans tout le pays une consultation et on a pu voir que la majorité était d’accord avec les exigences des peuples indiens, mais ceux du mauvais gouvernement n’ont pas non plus réagi. Et en dernier, en 2001, nous avons organisé ce qui s’est appelé la « Marche pour la dignité indigène » qui a reçu le soutien de millions de Mexicains et de gens d’autres pays et qui est même arrivée là où sont les députés et les sénateurs, c’est-à-dire au Congrès de l’Union, pour exiger la reconnaissance des indigènes mexicains.
Mais pas moyen, les hommes politiques du parti du PRI, du parti du PAN et du parti du PRD se sont mis d’accord entre eux pour ne pas reconnaître les droits et la culture indigènes. Ça s’est passé en avril 2001 et à cette occasion les hommes politiques ont montré clairement qu’ils n’ont pas un gramme de décence et que ce sont des crapules qui ne pensent qu’à gagner de l’argent malhonnête, en mauvais gouvernants qu’ils sont. Il ne faudra surtout pas l’oublier, parce que vous verrez qu’ils seront capables de dire qu’ils vont reconnaître les droits indigènes, mais ce n’est qu’un mensonge qu’ils emploieront pour que l’on vote pour eux, parce qu’ils ont déjà eu leur chance et qu’ils n’ont pas tenu parole.
Alors, à ce moment-là, nous avons compris que le dialogue et la négociation avec ceux du mauvais gouvernement du Mexique n’avaient servi à rien. C’est-à-dire que ce n’est pas la peine de discuter avec les hommes politiques, parce que ni leur cœur ni leurs paroles ne sont droits, ils sont tordus et ils ne font que mentir en disant qu’ils vont respecter des accords. Et ce jour-là, quand les hommes politiques du PRI, du PAN et du PRD ont approuvé une loi qui ne vaut rien, ils ont tué et enterré le dialogue et ils ont montré clairement que ça ne leur fait rien de faire des accords et de signer, parce qu’ils n’ont pas de parole. Alors nous n’avons plus cherché à avoir de contact avec les pouvoirs fédéraux parce que nous avons compris que le dialogue et la négociation avaient échoué à cause de ces partis politiques. Nous avons compris que pour eux, le sang, la mort, la souffrance, les mobilisations, les consultations, les efforts, les déclarations nationales et internationales, les rencontres, les accords, les signatures, les engagements, rien ne compte. La classe politique n’a donc pas seulement claqué la porte, une fois de plus, aux nez des peuples indiens, elle a aussi frappé un coup mortel à une solution pacifique, dialoguée et négociée à la guerre. Et il ne faut pas croire qu’elle respectera les accords qu’elle passera avec qui que ce soit d’autre. Il suffit de voir ce qui nous est arrivé pour comprendre la leçon.
Alors, après avoir vu tout ça se passer, nous nous sommes mis à penser avec notre cœur à ce que nous allions pouvoir faire. Et la première chose que nous avons vue, c’est que notre cœur n’est plus le même qu’avant, quand nous avons commencé notre lutte, mais qu’il est plus grand parce que nous avons pénétré dans le cœur de beaucoup de gens bons. Et nous avons aussi vu que notre cœur est un peu plus meurtri, un peu plus blessé qu’avant. Ce n’est pas à cause de la tromperie de ceux du mauvais gouvernement, c’est parce que quand nous avons touché le cœur de ces autres gens, nous avons aussi touché leur douleur. Comme si nous nous étions regardés dans un miroir.
II. OÙ NOUS EN SOMMES MAINTENANT
Alors, en zapatistes que nous sommes, nous avons pensé qu’il ne suffisait pas de cesser de dialoguer avec le gouvernement, mais qu’il fallait poursuivre notre lutte malgré ces parasites jean-foutre que sont les hommes politiques. L’EZLN a donc décidé d’appliquer, tout seul et de son côté (« unilatéralement » quoi, comme on dit, parce que c’est seulement d’un côté), les Accords de San Andrés en ce qui concerne les droits et la culture indigènes. Pendant quatre ans, de la mi-2001 à la mi-2005, nous nous sommes consacrés à ça, et à d’autres choses que nous vous raconterons aussi.
Bien. Alors, allons‑y d’abord avec les communes autonomes rebelles zapatistes, la forme d’organisation que les communautés ont choisie pour gouverner et se gouverner, pour être plus fortes. Cette forme de gouvernement autonome n’a pas été miraculeusement inventée par l’EZLN, elle vient de plusieurs siècles de résistance indigène et de l’expérience zapatiste et c’est un peu l’auto-organisation des communautés. C’est-à-dire que ce n’est pas comme si quelqu’un de l’extérieur venait gouverner, ce sont les villages eux-mêmes qui décident, parmi eux, qui gouverne et comment, et ceux qui n’obéissent pas sont renvoyés. Si la personne qui commande n’obéit pas à la communauté, on la blâme, elle perd son mandat d’autorité et une autre prend sa place.
Mais nous nous sommes rendu compte que les communes autonomes n’étaient pas toutes sur le même plan. Il y en avait qui allaient plus loin et bénéficiaient de plus de soutien de la société civile, et d’autres qui étaient plus délaissées. Il fallait donc encore s’organiser pour qu’il y ait plus d’égalité. Et nous avons aussi pu constater que l’EZLN, avec son côté politico-militaire, intervenait dans les décisions qui revenaient aux autorités démocratiques « civiles », comme on dit. Le problème était que la partie politico-militaire de l’EZLN n’est pas démocratique, parce que c’est une armée, et nous avons trouvé que ce n’était pas correct que le militaire soit en haut et le démocratique en bas, parce qu’il ne faut pas que ce qui est démocratique se décide militairement, sinon le contraire : c’est-à-dire en haut le politico-démocratique qui commande et en bas le militaire qui obéit. Et peut-être même que c’est encore mieux rien en haut et tout bien plat, sans militaire, et c’est pour ça que les zapatistes s’étaient faits soldats, pour qu’il n’y ait pas de soldats. Alors, pour essayer de résoudre ce problème, nous avons commencé à séparer ce qui est politico-militaire de ce qui concerne les formes d’organisation autonomes et démocratiques des communautés zapatistes. Comme ça, les actions et les décisions qu’effectuait et prenait avant l’EZLN ont été passées petit à petit aux autorités démocratiquement élues dans les villages. Ça a l’air tout simple quand on le dit mais, dans la pratique, c’est beaucoup plus difficile. Parce que, pendant des années, nous nous sommes préparés à faire la guerre et puis, après, il y a eu la guerre elle-même, et on finit par s’habituer à l’organisation politico-militaire. Mais même si ça a été difficile, c’est ce que nous avons fait, parce que ce que nous disons nous le faisons. Sinon, à quoi servirait de dire quelque chose, si après on ne le fait pas.
C’est comme ça que nous avons créé les conseils de bon gouvernement, en août 2003, et avec eux nous avons continué notre propre apprentissage et appris à exercer le « commander en obéissant ».
Depuis, et jusqu’à la mi-2005, la direction de l’EZLN n’est plus intervenue avec ses ordres dans les affaires des civils, mais elle a accompagné et appuyé les autorités démocratiquement élues par les communautés, sans oublier de vérifier que l’on informe correctement la société civile mexicaine et internationale des aides reçues et de ce à quoi elles ont servi. Et maintenant, nous passons le travail de vigilance du bon gouvernement aux bases de soutien zapatistes, avec des mandats temporaires et rotatifs, pour que tous et toutes apprennent et puissent effectuer ce travail. Parce que, nous autres, nous pensons qu’un peuple qui ne contrôle pas ses dirigeants est condamné à être leur esclave et que nous luttons pour être libres, par pour changer de maître tous les six ans.
Pendant les quatre dernières années, l’EZLN a aussi passé aux conseils de bon gouvernement et aux communes rebelles autonomes les aides et les contacts au Mexique et dans le monde entier que nous avons obtenus tout au long des années de guerre et de résistance. Mais, en même temps, l’EZLN a aussi mis en place un réseau d’aide économique et politique qui permette aux communautés zapatistes d’avancer avec moins de difficultés dans la construction de leur autonomie et d’améliorer leurs conditions de vie. Ce n’est pas encore assez, mais c’est beaucoup plus que ce qu’il y avait avant notre soulèvement, en janvier 1994. Si vous prenez une de ces études que font les gouvernements, vous verrez que les seules communautés indigènes qui ont amélioré leurs conditions de vie, c’est-à-dire la santé, l’éducation, l’alimentation, le logement, ce sont celles qui sont en « territoire zapatiste », comme nous disons pour parler de là où sont nos villages. Tout ça a été possible grâce aux progrès effectués dans les communautés zapatistes et grâce au très grand soutien que nous avons reçu de personnes bonnes et nobles, « les sociétés civiles », comme nous les appelons, et de leurs organisations, du monde entier. C’est comme si toutes ces personnes avaient fait du « Un autre monde est possible » une réalité, mais dans les faits, pas dans des discours.
Et alors les communautés ont beaucoup avancé. Maintenant, il y a toujours plus de compañeros, hommes et femmes, qui apprennent à être gouvernement. Et, même si c’est petit à petit, il y a de plus en plus de femmes qui ont ces responsabilités. Mais on manque encore beaucoup de respect envers ces compañeras et il faut qu’elles participent plus aux responsabilités de la lutte. Et puis, avec les conseils de bon gouvernement, la coordination entre les communes autonomes s’est aussi beaucoup améliorée, et aussi la résolution de problèmes avec d’autres organisations et avec les autorités « officielles ». Et puis les projets dans les communautés aussi se sont beaucoup améliorés, et la répartition des projets et des aides de la société civile du monde entier : la santé et l’éducation ont été beaucoup améliorées, même s’il y a encore beaucoup de chemin à faire avant d’arriver à ce qu’il devrait y avoir ; pareil avec le logement et l’alimentation, et dans certaines zones le problème de la terre va beaucoup mieux parce qu’on a réparti les terres récupérées aux grands propriétaires, mais il y a des zones où on manque terriblement de terres à cultiver. Et puis le soutien de la société civile mexicaine et internationale s’est beaucoup amélioré, parce que, avant, les gens allaient là où ça leur plaisait le plus, mais maintenant les conseils de bon gouvernement les orientent vers les endroits où il y en a le plus besoin. Pour les mêmes raisons, partout il y a toujours plus de compañeros, hommes et femmes, qui apprennent à entrer en contact avec des personnes venues d’ailleurs au Mexique et dans le monde. Ils apprennent à respecter et à exiger le respect, ils apprennent qu’il y a de nombreux mondes et que tous ont leur place, leur temps et leur façon de faire, et qu’il faut tous et toutes se respecter mutuellement.
Alors nous, les zapatistes de l’EZLN, nous avons consacré tout ce temps à notre force principale : aux communautés qui nous appuient. Et il faut dire que la situation s’est bien améliorée un peu, comme quoi on ne peut pas dire que l’organisation et la lutte zapatiste n’ont servi à rien mais plutôt que, même si on en finit avec nous, notre lutte aura bel et bien servi à quelque chose.
Mais il n’y a pas que les communautés zapatistes qui ont progressé. L’EZLN aussi. Parce que ce qui s’est passé pendant tout ce temps, c’est que de nouvelles générations ont renouvelé toute notre organisation. Un peu comme si elles lui avaient redonné des forces. Les commandants et les commandantes, qui étaient déjà majeurs au début de notre soulèvement, en 1994, possèdent maintenant la sagesse de ce qu’ils ont appris dans une guerre et dans un dialogue de douze ans avec des milliers de femmes et d’hommes du monde entier. Les membres du CCRI, la direction politico-organisationnelle zapatiste, conseillent et orientent les nouvelles personnes qui entrent dans notre lutte et celles qui vont occuper des postes de dirigeant. Il y a déjà longtemps que « les comités » (comme nous appelons ceux du CCRI) préparent toute une nouvelle génération de commandants et de commandantes pour qu’ils apprennent les tâches de direction et d’organisation et commencent, après une période d’instruction et d’essai, à les assumer. Et il se trouve aussi que nos insurgés et insurgées, nos miliciens et miliciennes, nos responsables locaux et régionaux et nos bases de soutien, qui étaient jeunes quand nous avons pris les armes, sont devenus des femmes et des hommes, des combattants vétérans et des leaders naturels dans leurs unités et dans leurs communautés. Et ceux qui n’étaient que des enfants ce fameux 1er janvier 1994 sont maintenant des jeunes qui ont grandi dans la résistance et qui ont été formés dans la digne rébellion menée par leurs aînés au long de ces douze années de guerre. Ces jeunes ont une formation politique, technique et culturelle que n’avaient pas ceux et celles qui ont commencé le mouvement zapatiste. Ces jeunes viennent grossir aujourd’hui, et toujours plus, aussi bien nos troupes que les postes de direction de notre organisation. Et puis, finalement, nous avons tous pu assister aux tromperies de la classe politique mexicaine et aux ravages destructeurs qu’ils ont perpétrés dans notre patrie. Et nous avons vu les grandes injustices et les massacres que produit la mondialisation néolibérale dans le monde entier. Mais nous parlerons de cela plus tard.
L’EZLN a donc résisté de cette manière à douze ans de guerre et d’attaques militaires, politiques, idéologiques et économiques, à douze ans de siège, de harcèlement et de persécutions, et ils n’ont pas pu nous vaincre, nous ne nous sommes pas rendus ou vendus et nous avons avancé. Des compañeros d’autres lieux sont entrés dans notre lutte et, au lieu de nous affaiblir au long de tant d’années, nous sommes devenus plus forts. Bien sûr, il y a des problèmes qui peuvent se résoudre simplement en séparant plus le politico-militaire du civil-démocratique. Mais il y a certaines choses plus importantes, comme le sont les exigences pour lesquelles nous luttons, qui n’ont pas encore été entièrement satisfaites.
C’est notre pensée et ce que nous éprouvons dans notre cœur qui nous font dire que nous en sommes arrivés à un seuil limite et qu’il se peut même que nous perdions tout ce que nous avons, si nous en restons là et si nous ne faisons rien pour avancer encore. Alors, l’heure est venue de prendre à nouveau des risques et de faire un pas dangereux mais qui en vaut la peine. Et peut-être qu’unis à d’autres secteurs sociaux qui ont les mêmes manques que nous il deviendra possible d’obtenir ce dont nous avons besoin et que nous méritons d’avoir. Un nouveau pas en avant dans la lutte indigène n’est possible que si les indigènes s’unissent aux ouvriers, aux paysans, aux étudiants, aux professeurs, aux employés, c’est-à-dire aux travailleurs des villes et des campagnes.
III. DE COMMENT NOUS VOYONS LE MONDE
Nous allons vous expliquer maintenant comment nous voyons ce qui se passe dans le monde, nous autres, les zapatistes. D’abord, nous voyons que c’est le capitalisme qui est le plus fort aujourd’hui. Le capitalisme est un système social, autrement dit la façon dont sont organisées les choses et les personnes, et qui possède et qui ne possède pas, qui commande et qui obéit. Dans le capitalisme, il y a des gens qui ont de l’argent, autrement dit du capital, et des usines et des magasins et des champs et plein de choses, et il y en a d’autres qui n’ont rien à part leur force et leur savoir pour travailler ; et dans le capitalisme commandent ceux qui ont l’argent et les choses, tandis qu’obéissent ceux qui n’ont rien d’autre que leur force de travail.
Alors, le capitalisme ça veut dire qu’il y a un groupe réduit de personnes qui possèdent de grandes richesses. Et pas parce qu’ils auraient gagné un prix ou qu’ils auraient trouvé un trésor ou qu’ils auraient hérité de leur famille, mais parce qu’ils obtiennent ces richesses en exploitant le travail de beaucoup d’autres. Autrement dit, le capitalisme repose sur l’exploitation des travailleurs, un peu comme s’il les pressait comme des citrons pour en tirer tous les profits possibles. Tout ça se fait avec beaucoup d’injustice parce qu’on ne paye pas aux travailleurs correctement leur travail, sinon qu’on leur donne juste un salaire suffisant pour qu’ils puissent manger et se reposer un peu et que le jour suivant ils retournent au presse-citron, à la campagne comme en ville.
Mais le capitalisme fabrique aussi sa richesse en spoliant, autrement dit par le vol, parce qu’il enlève à d’autres ce qu’il convoite, comme des terres et des richesses naturelles, par exemple. C’est-à-dire que le capitalisme est un système où les voleurs sont libres et admirés et donnés en exemple.
Et en plus d’exploiter et de spolier, le capitalisme réprime, parce qu’il jette en prison et tue ceux qui se rebellent contre l’injustice.
Ce qui intéresse le plus le capitalisme, ce sont les marchandises, parce que, quand on les achète et on les vend, elles donnent du profit. Alors, le capitalisme transforme tout en marchandise : il transforme en marchandise les personnes, la nature, la culture, l’histoire, la conscience, tout. Pour le capitalisme, tout doit pouvoir s’acheter et se vendre. Et il dissimule tout derrière la marchandise pour qu’on ne voie pas l’exploitation qui l’a rendu possible. Et alors les marchandises s’achètent et se vendent dans un marché, et il se trouve que ce marché ne sert pas seulement pour acheter et pour vendre, mais aussi pour dissimuler l’exploitation des travailleurs. Par exemple, sur le marché, on voit le café déjà joliment empaqueté dans sa boîte ou dans son paquet, mais on ne voit pas le paysan qui a souffert pour récolter ce café et on ne voit pas non plus le coyote qui lui a payé à un prix ridicule son travail et on ne voit pas non plus les travailleurs dans les grands ateliers qui passent leur vie à empaqueter ce café. Ou alors on voit un appareil pour écouter de la musique, de la cumbia, des rancheras ou des corridos ou ce qu’on veut, et on trouve que c’est un très bon appareil parce que le son est très bon, mais on ne voit pas l’ouvrière de l’atelier qui a passé un nombre incroyable d’heures à fixer des câbles et à monter cet appareil et qui a touché un salaire de misère pour le faire, on ne voit pas qu’elle vit loin de son travail et tout ce qu’elle doit dépenser pour le transport, sans compter qu’elle risque en plus de se faire enlever, d’être violée ou assassinée, comme ça arrive à Ciudad Juárez, au Mexique.
Autrement dit, sur le marché on voit des marchandises, mais on ne voit pas l’exploitation avec laquelle elles ont été faites. Et alors le capitalisme a besoin de beaucoup de marchés… Ou d’un marché très grand, un marché mondial.
Et alors il se trouve que le capitalisme d’aujourd’hui n’est plus le même qu’avant, où les riches se contentaient d’exploiter les travailleurs chacun dans leurs pays, mais qu’il en est maintenant à un stade qui s’appelle « globalisation néolibérale ». La globalisation en question, ça veut dire que maintenant les capitalistes ne dominent plus seulement les travailleurs dans un pays ou dans plusieurs pays, mais qu’ils essayent de dominer tout dans le monde entier. Et alors le monde, la planète Terre autrement dit, on dit aussi que c’est le « globe terrestre », c’est pour ça qu’on dit « globalisation », la mondialisation, autrement dit le monde entier.
Et le néolibéralisme, eh bien, c’est l’idée selon laquelle le capitalisme est libre de dominer le monde entier et qu’il n’y a rien à dire et qu’on n’a plus qu’à se résigner et à l’admettre et à la fermer, autrement dit à ne pas se rebeller. Alors, le néolibéralisme c’est comme la théorie, le plan, de la mondialisation capitaliste. Et le néolibéralisme a des plans économiques, politiques, militaires et culturels. Dans tous ces plans, il ne s’agit de rien d’autre que de dominer le monde entier. Et ceux qui n’obéissent pas, on les réprime ou on les isole pour les empêcher de donner leurs idées de rébellion aux autres.
Alors, dans la mondialisation néolibérale, les grands capitalistes qui vivent dans des pays puissants, comme les États-Unis, par exemple, veulent que le monde entier devienne une énorme usine où produire des marchandises et une sorte d’énorme marché. Un marché mondial, un marché pour acheter et vendre tout ce qu’il y a dans le monde et pour dissimuler toute l’exploitation du monde entier. Alors les capitalistes mondialisés s’installent partout, autrement dit dans tous les pays, pour faire leurs grands négoces, c’est-à-dire leur grande exploitation. Et alors ils ne respectent rien et s’installent comme ils veulent. C’est comme qui dirait une conquête des autres pays. C’est pour ça que nous, les zapatistes, nous disons que la mondialisation néolibérale est une guerre de conquête du monde entier, une guerre mondiale, une guerre entreprise par le capitalisme pour dominer mondialement. Et alors cette conquête se fait parfois avec des armées qui envahissent un pays par la force et qui s’en emparent. Mais parfois cette conquête se fait avec l’économie, c’est-à-dire que les capitalistes mettent leur argent dans un autre pays ou bien lui prêtent de l’argent à condition qu’il fasse tout ce qu’ils lui disent de faire. Ils s’installent même dans d’autres pays avec les idées : autrement dit, la culture capitaliste, c’est la culture de la marchandise, du profit, du marché.
Alors celui qui fait cette conquête, le capitalisme, fait bien comme il veut, c’est-à-dire qu’il détruit ce qui ne lui plaît pas et élimine ce qui le gêne. Par exemple, ceux qui ne produisent ni n’achètent ni ne vendent des marchandises le gênent. Ou ceux qui se rebellent contre cet ordre mondial. Et ceux qui ne servent pas, il les méprise. C’est pour ça que les indigènes constituent un obstacle à la mondialisation néolibérale et c’est pour ça qu’on les méprise et qu’on veut les éliminer. Le capitalisme néolibéral enlève aussi les lois qui l’empêchent d’exploiter tranquillement et de faire beaucoup de profits. Par exemple, il impose que tout puisse s’acheter et se vendre, mais comme c’est le capitalisme qui a l’argent, il achète tout.
Alors, le capitalisme détruit les pays qu’il envahit avec la mondialisation néolibérale, mais il veut aussi arranger tout ou tout refaire à sa manière, autrement dit d’une manière qui lui convienne et sans être gêné par rien ni personne. Alors la mondialisation néolibérale, capitaliste détruit donc ce qu’il y a dans ces pays : elle détruit leur culture, leur système économique et leur système politique, et elle détruit même le type de rapports que les gens qui vivent dans ce pays ont entre eux. Autrement dit, tout ce qui fait d’un pays un pays est ravagé.
Alors, la mondialisation néolibérale veut détruire les nations du monde et veut qu’il n’y ait plus qu’une seule nation ou pays : le pays de l’argent, le pays du capital. Le capitalisme cherche donc à faire que tout soit comme lui veut que ce soit. Et tout ce qui est différent, ça ne lui plaît pas et il le persécute, il l’attaque, il l’isole dans un coin et fait comme si ça n’existait pas.
Alors, comme qui dirait en résumé, le capitalisme de la mondialisation néolibérale se fonde sur l’exploitation, sur la dépossession, sur le mépris et sur la répression de ceux qui ne se laissent pas faire. Autrement dit, pareil qu’avant mais maintenant globalement, mondialement.
Mais tout ne marche pas comme sur des roulettes dans la mondialisation néolibérale, parce que les exploités de chacun des pays ne veulent pas l’accepter et qu’ils ne se résignent pas à courber l’échine, mais se rebellent, et que ceux qui sont de trop et gênent résistent et ne se laissent pas éliminer. Et alors nous voyons que dans le monde entier ceux qui sont dans un sale pétrin opposent une résistance pour ne pas se laisser faire ; autrement dit, ils se rebellent, et pas seulement dans un pays mais dans plein d’endroits. Autrement dit, de la même façon qu’il y a une mondialisation néolibérale, il y a aussi une mondialisation de la rébellion.
Dans cette mondialisation de la rébellion, il n’y a pas que les travailleurs de la campagne et des villes, mais il y aussi d’autres gens, femmes et hommes, qui sont très souvent persécutés et méprisés parce qu’ils ne se laissent pas non plus dominer : les femmes, les jeunes, les indigènes, les homosexuels, les lesbiennes, les transsexuels, les migrants et beaucoup d’autres que nous ne verrons pas tant qu’ils n’auront pas hurlé que ça suffit qu’on les méprise et qu’ils ne se seront pas révoltés. Et alors nous les verrons, nous les entendrons et nous apprendrons à les connaître.
Et alors nous, nous voyons que tous ces groupes de gens luttent contre le néolibéralisme, autrement dit contre le plan de la mondialisation capitaliste, et qu’ils se battent pour l’humanité.
Et tout ça fait que nous éprouvons une grande inquiétude devant la stupidité des néolibéralistes qui veulent détruire l’humanité tout entière avec leurs guerres et leur exploitation, mais nous éprouvons en même temps une grande satisfaction en voyant que partout surgissent des résistances et des rébellions ; un peu comme la nôtre qui est un peu petite mais qui est toujours là. Et nous voyons tout cela dans le monde entier et notre cœur sait que nous ne sommes pas seuls.
IV. DE COMMENT NOUS VOYONS NOTRE PAYS, LE MEXIQUE
Nous allons parler maintenant de comment nous voyons ce qui se passe au Mexique, notre pays à nous. Alors, ce que nous voyons, c’est que notre pays est gouverné par les néolibéralistes. Autrement dit, comme nous l’avons expliqué auparavant, les gouvernants que nous avons sont en train de détruire ce qui est notre nation, notre patrie mexicaine. Et le travail de ces gouvernants n’est pas de veiller au bien-être du peuple, non, ils ne pensent qu’au bien-être des capitalistes. Par exemple, ils font des lois comme le traité de libre-échange qui plongent dans la misère beaucoup de Mexicains, aussi bien des paysans et des petits producteurs, parce qu’ils sont « mangés » par les grandes entreprises de l’agro-industrie, que des ouvriers et des petits entrepreneurs, parce qu’ils ne peuvent pas rivaliser avec les grandes entreprises multinationales, qui s’installent sans que personne ne s’y oppose – et il y en a même qui leur disent merci – et qui imposent leurs bas salaires et leurs prix élevés. Alors, certaines des bases économiques, comme on dit, de notre Mexique, comme l’agriculture et l’industrie ou le commerce national, sont sacrément détruites et il ne reste d’elles que des ruines qui vont sûrement être vendues aussi.
C’est un grand malheur pour notre patrie, parce que les campagnes ne produisent plus les aliments, mais uniquement ce que vendent les grands capitalistes, et que les bonnes terres sont volées par la ruse et avec la complicité des hommes politiques. Autrement dit, à la campagne, il se passe aujourd’hui la même chose que sous Porfirio, mais la seule différence c’est qu’au lieu d’hacendados, de grands propriétaires terriens, maintenant ce sont des entreprises étrangères qui foutent dans la merde les paysans. Et là où, avant, il y avait des crédits et des prix protégés, maintenant, il n’y a plus que des aumônes… Et parfois même pas.
Les travailleurs de la ville, eux, voient leurs usines fermer et perdent leur travail ou alors ils trouvent à leur place des maquiladoras, comme on les appelle, des usines-ateliers appartenant à l’étranger qui payent une misère pour beaucoup d’heures de travail. Et alors le prix des produits dont a besoin le peuple n’a plus aucune importance, parce que, que ce soit cher ou pas, de toute façon la paye ne suffit pas. Si avant quelqu’un travaillait dans une petite ou moyenne entreprise, c’est fini, parce qu’elle a fermé et que c’est une multinationale qui l’a achetée. Et si avant quelqu’un avait un petit commerce, lui aussi a disparu ou alors il s’est mis à travailler clandestinement pour des grandes entreprises qui l’exploitent un maximum et qui font même travailler des enfants. Et si des travailleurs étaient dans un syndicat pour revendiquer légalement leurs droits, c’est fini, le syndicat lui-même leur dit qu’il faut retrousser ses manches et accepter de baisser les salaires ou de diminuer la journée de travail ou de perdre la protection sociale parce que, sinon, l’entreprise va fermer et va partir s’installer dans un autre pays. Et après, il y aussi cette histoire du microchangarro, « les petits métiers », qui est une sorte de programme économique du gouvernement pour que tous les travailleurs de la ville se mettent à vendre du chewing-gum ou des cartes de téléphone aux coins des rues. C’est-à-dire que dans les villes aussi, c’est la ruine économique totale.
Et alors ce qui se passe, c’est que l’économie du peuple est tellement patraque, à la ville comme à la campagne, que beaucoup de Mexicains et de Mexicaines doivent abandonner leur patrie, leur terre mexicaine, pour aller chercher du travail dans un autre pays, comme les États-Unis, et que là-bas ils ne sont pas mieux traités, parce qu’on les exploite, on les persécute, on les méprise et même ils se font tuer.
Alors, avec le néolibéralisme que nous imposent ceux du mauvais gouvernement, l’économie ne s’est pas améliorée, sinon tout le contraire. Les campagnes sont très pauvres et en ville il n’y a pas de travail. Ce qui se passe, en fait, c’est que le Mexique n’est plus que le pays où naissent, durent un moment et puis après, meurent, ceux qui travaillent pour enrichir des étrangers, principalement des gringos riches. C’est pour ça que nous disons que le Mexique est dominé par les États-Unis.
Mais il n’y a pas que ça qui se passe. Le néolibéralisme a aussi transformé la classe politique mexicaine, autrement dit les hommes politiques, parce qu’il a fait d’eux des employés de grand magasin qui doivent faire tout ce qu’ils peuvent pour tout vendre et vendre au rabais. Vous avez vu comment ils ont changé les lois pour supprimer l’article 27 de la Constitution pour pouvoir vendre les terres communales et celles des ejidos. C’est Salinas de Gortari qui l’a fait ; lui et sa bande prétendaient que c’était pour le bien de l’agriculture et des paysans et que, comme ça, on allait prospérer et vivre mieux. C’est ça qui s’est passé ? Mon œil ! Les campagnes mexicaines sont plus pauvres que jamais et les paysans plus dans la merde que sous Porfirio. Les mêmes avaient aussi dit qu’ils allaient privatiser, autrement dit vendre à l’étranger, les entreprises qui appartiennent à l’État pour améliorer le sort du peuple, sous prétexte qu’il fallait les moderniser et que le mieux, c’était de les vendre. Mais au lieu de s’être amélioré, le système de protection sociale qui avait été acquis de haute lutte avec la révolution de 1910 fait aujourd’hui peine à voir… Ou même honte. Les mêmes avaient aussi dit qu’il fallait ouvrir les frontières pour laisser entrer tout le capital de l’étranger, pour que les patrons mexicains retroussent leurs manches et fassent un peu mieux les choses. Mais aujourd’hui, ce qu’on voit c’est qu’il n’y a plus d’entreprises mexicaines, elles ont toutes été avalées par des étrangers, et que ce qui se vend est pire que ce qu’on fabriquait avant au Mexique.
Et maintenant les hommes politiques mexicains veulent aussi vendre la Pemex, autrement dit le pétrole des Mexicains. La seule différence, c’est qu’il y en a qui disent qu’ils vendront tout et d’autres qui disent qu’ils ne vendront qu’une partie. Et ils veulent aussi privatiser la sécurité sociale, et l’électricité, et l’eau, et les forêts, et tout, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien du Mexique et que notre pays devienne une sorte de terre en friche ou un parc d’attractions réservé aux riches du monde entier, et que les Mexicains et les Mexicaines ne soient plus que leurs domestiques, dépendant de ce qu’on veut bien leur donner, vivant mal, sans racines, sans culture, autrement dit sans patrie.
Autrement dit, les néolibéralistes veulent tuer le Mexique, notre chère patrie mexicaine. Et les partis politiques officiels non seulement ne la défendent pas, mais sont les premiers à se mettre au service de l’étranger, principalement des États-Unis. Ce sont eux qui se chargent de nous tromper et de nous faire regarder ailleurs pendant qu’ils vendent tout et gardent la paye pour eux. Nous disons bien tous les partis politiques officiels qui existent aujourd’hui, pas seulement l’un d’entre eux. Essayez de trouver s’ils ont fait quelque chose de bien et vous verrez que non. Ils n’ont fait que voler et mentir. Et vous verrez qu’eux ont toujours leurs belles maisons et leurs belles voitures et tout leur luxe. Et en plus ils voudraient qu’on leur dise merci et qu’on vote encore une fois pour eux. Il faut bien dire qu’ils n’ont pas honte, comme on dit. Ils n’ont pas honte tout simplement parce qu’ils n’ont pas de patrie, ils n’ont que des comptes en banque.
Nous voyons aussi que le narcotrafic et la criminalité n’ont pas cessé d’augmenter. Parfois nous pensons que les criminels sont comme dans les chansons ou dans les films et peut-être que certains sont comme ça, mais ce ne sont pas les vrais chefs. Les vrais chefs sont bien habillés, ils ont fait des études à l’étranger, ils sont élégants et ils ne se cachent pas. Non, ils mangent dans de bons restaurants et sortent tout beaux, tout propres et bien habillés dans leurs fêtes à la une des journaux, c’est comme dirait l’autre « des gens biens » et certains sont même au gouvernement ou sont députés, sénateurs, ministres, chefs d’entreprise prospères, chefs de la police ou généraux de l’armée.
Nous disons que la politique ne sert à rien ? Non, ce que nous voulons dire, c’est que CETTE politique-là ne vaut rien. Elle ne vaut rien parce qu’elle ne tient pas compte du peuple, qu’elle ne l’écoute pas, qu’elle ne pense pas à lui et parce qu’elle vient le trouver seulement en période d’élections – et ce n’est même pas les votes qui l’intéressent, avec les sondages pour savoir qui va gagner ça lui suffit. Et alors on a droit à plein de promesses. Et que je vais faire ça et puis ça aussi, promis juré. Mais après, il n’y a plus personne, sauf quand on apprend par le journal qu’ils ont volé plein d’argent et qu’on ne va rien leur faire parce que la loi, que ces mêmes hommes politiques ont faite, les protège.
Parce que ça aussi, c’est un problème. La Constitution est complètement manipulée et changée. Ce n’est plus celle où il y avait les droits et les libertés du peuple travailleur, c’est celle des droits et des libertés des néolibéralistes pour faire tous leurs profits. Les juges sont là uniquement pour servir ces néolibéralistes, parce qu’ils finissent toujours par trancher en leur faveur et que ceux qui ne sont pas riches n’ont droit qu’à l’injustice, à la prison et au cimetière.
Eh bien, en dépit de la grande lessive orchestrée par les néolibéralistes, il y a quand même des Mexicains et des Mexicaines qui s’organisent et résistent.
Et on s’aperçoit qu’il y a des indigènes, dans leurs terres reculées, ici, au Chiapas, qui s’organisent de manière autonome, défendent leur culture et protègent la terre, les forêts et l’eau.
Et il y a des travailleurs de la campagne, autrement dit des paysans, qui s’organisent et font des marches et des mobilisations pour demander des crédits et des aides pour la campagne.
Et il y a des travailleurs des villes qui refusent qu’on leur retire leurs droits ou que l’on privatise leur travail et ils protestent et manifestent pour ne pas perdre le peu qu’ils ont et pour que notre pays ne perde pas ce qui lui appartient, comme l’électricité, le pétrole, la sécurité sociale et l’éducation.
Et il y a des étudiants qui refusent que l’on privatise l’éducation et qui se battent pour qu’elle soit gratuite et populaire et scientifique, autrement dit, qu’elle ne soit pas payante, que tout le monde puisse apprendre et que dans les écoles on n’enseigne pas des stupidités.
Et il y a des femmes qui refusent de continuer à être traitées comme de simples potiches et d’être humiliées et méprisées sous le prétexte qu’elles sont femmes, et elles s’organisent et se battent pour obtenir le respect qu’elles méritent en tant que femmes.
Et il y a des jeunes qui refusent qu’on les abrutisse avec des drogues ou qu’on les persécute pour leur façon d’être et ils prennent conscience avec leur musique et leur culture, autrement dit avec leur rébellion.
Et il y a des homosexuels, des lesbiennes, des transsexuels et d’autres encore qui refusent qu’on se moque d’eux, qu’on les méprise, qu’on les maltraite et qu’on en arrive à leur ôter la vie simplement parce qu’ils ont une façon différente d’être, et qu’on les traite d’anormaux ou de délinquants, et ils créent leurs propres organisations pour défendre le droit à la différence.
Et il y a des prêtres et des bonnes sœurs et ceux que l’on appelle séculiers qui ne sont pas du côté des riches et qui ne se résignent pas à la simple prière, et ils s’organisent pour accompagner le peuple dans sa lutte.
Et il y a ceux que l’on appelle combattants sociaux, des femmes et des hommes qui ont passé toute leur vie à se battre pour le peuple exploité, qui ont participé aux grandes grèves et aux actions des ouvriers, aux grandes mobilisations des citoyens et aux grands mouvements paysans et qui ont été victimes d’une terrible répression, mais, en dépit de tout cela et bien que certains soient très vieux, ils continuent à ne pas se rendre. Et ils vont partout où est la lutte et ne cessent de chercher à s’organiser et à faire que justice soit rendue. Et ils créent des organisations de gauche, des organisations non gouvernementales, des organisations pour le respect des droits de l’être humain, des organisations pour la défense des prisonniers politiques et pour la réapparition des disparus. Et ils créent des publications de gauche, des organisations de professeurs ou d’étudiants. Autrement dit, ils participent à une lutte sociale. Et il y en a même qui créent des organisations politico-militaires. Tous ceux-là ne se tiennent pas tranquilles et ils en savent long, parce qu’ils ont vu, et entendu, et vécu beaucoup de choses, et qu’ils ont beaucoup lutté.
Alors, en général, nous, nous voyons que, dans notre pays, qui s’appelle le Mexique, il y a beaucoup de gens qui ne se laissent pas faire, qui ne se rendent pas, qui ne se vendent pas. Autrement dit, qui sont dignes. Et cela nous réjouit et nous donne une certaine satisfaction, parce que avec tous ces gens ça ne va pas être si facile pour les néolibéralistes et peut-être que l’on parviendra même à sauver notre patrie des incroyables vols et de la destruction que les néolibéralistes ont entrepris. Et nous nous prenons à penser que ce serait bien si notre « nous autres » incluait toutes ces rébellions…
V. CE QUE NOUS VOULONS FAIRE
Bien, alors maintenant nous allons vous dire ce que nous voudrions faire dans le monde et au Mexique, parce que nous sommes incapables de nous taire, sans plus, devant tout ce qui se passe sur cette planète, comme s’il n’y avait que nous qui étions là où nous en sommes.
Alors dans le monde, nous voulons dire à vous tous qui résistez et luttez à votre façon et dans votre pays que vous n’êtes pas seuls et que nous, les zapatistes, même si nous sommes tout petits, nous vous soutenons et nous allons chercher un moyen de vous aider dans vos luttes et de parler avec vous pour apprendre, parce que s’il y a bien une chose que nous avons apprise, c’est à apprendre.
Et nous voulons dire aux peuples latino-américains que nous sommes fiers d’être des leurs, même si nous n’en sommes qu’une petite partie. Et que nous nous rappelons parfaitement comment ce continent s’est illuminé, il y a des années de cela, et qu’une lumière s’appelait Che Guevara, comme auparavant elle s’était appelée Bolivar, parce que parfois les peuples se saisissent d’un nom pour dire qu’ils se saisissent d’un étendard.
Et nous voulons dire au peuple de Cuba, qui résiste depuis si longtemps sur son chemin, qu’il n’est pas seul et que nous ne sommes pas d’accord avec le blocus dont il est victime et que nous allons chercher un moyen de lui envoyer quelque chose, même si ce n’est que du maïs, pour l’aider à résister. Et nous voulons dire au peuple nord-américain que nous ne sommes pas naïfs et que nous savons que leurs mauvais gouvernements sont une chose, et que les Nord-Américains qui luttent dans leur pays et se solidarisent avec les luttes d’autres pays sont une chose très différente. Et nous voulons dire aux frères et aux sœurs Mapuche du Chili que nous connaissons leur lutte et que nous apprenons d’elle. Et à ceux et celles du Venezuela que nous trouvons que c’est bien la manière dont ils défendent leur souveraineté, autrement dit le droit de leur nation à décider du chemin qu’elle veut emprunter. Et nous voulons dire aux frères et aux sœurs indigènes d’Équateur et de Bolivie qu’ils sont en train de donner une belle leçon d’histoire, à nous et à l’Amérique latine tout entière, parce que pour une fois on parvient à stopper la mondialisation néolibérale. Et nous voulons dire aux piqueteros et aux jeunes d’Argentine, simplement, que nous les aimons. Et à ceux d’Uruguay qui veulent un meilleur pays que nous les admirons. Et à ceux qui sont sans terre au Brésil que nous les respectons. Et à tous les jeunes d’Amérique latine que ce qu’ils font est très bien et qu’ils nous donnent beaucoup d’espoir.
Et nous voulons dire aux frères et aux sœurs de l’Europe sociale, autrement dit l’Europe digne et rebelle, qu’ils ne sont pas seuls. Que nous nous réjouissons de leurs grands mouvements contre les guerres néolibérales. Que nous observons attentivement leurs formes d’organisation et leurs formes de lutte pour en apprendre éventuellement quelque chose. Que nous cherchons un moyen de soutenir leurs luttes et que nous n’allons pas leur envoyer des euros, pour qu’après ils soient dévalués à cause de l’effondrement de l’Union européenne, mais que nous allons peut-être leur envoyer de l’artisanat et du café, pour qu’ils les commercialisent et en tirent quelque chose pour les aider dans leurs luttes. Et que peut-être que nous leur enverrons du pozole, ça donne des forces pour résister, mais qu’après tout il est possible que nous ne le leur envoyions pas, parce que le pozole c’est quelque chose bien de chez nous et qu’il ne manquerait plus qu’ils attrapent mal au ventre et qu’après, leurs luttes s’en ressentent et qu’ils soient vaincus par les néolibéralistes.
Et nous voulons dire aux frères et sœurs d’Afrique, d’Asie et d’Océanie que nous savons qu’eux aussi luttent et que nous voulons en savoir plus sur leurs idées et sur leurs pratiques.
Et nous voulons dire au monde que nous voulons le faire plus grand, si grand que puissent y avoir leur place tous les mondes qui résistent parce que les néolibéralistes veulent les détruire et qu’ils ne se laissent pas faire mais luttent pour l’humanité.
Alors, au Mexique, nous voulons arriver à un accord avec des personnes et des organisations de gauche, uniquement, parce que nous pensons que ce n’est qu’au sein de la gauche politique que l’on trouve la volonté de résister à la mondialisation néolibérale et de construire un pays où tout le monde jouisse de la justice, de la démocratie et de la liberté. Et non comme maintenant où la justice n’existe que pour les riches, où la liberté n’existe que pour leurs grands négoces et où la démocratie n’existe que pour couvrir les murs de propagande électorale. Et aussi parce que nous pensons que c’est uniquement de la gauche que peut surgir un plan de lutte pour que notre patrie, c’est-à-dire le Mexique, ne meure pas.
Et alors, ce à quoi nous avons pensé, c’est de dresser avec ces personnes et organisations de gauche un plan pour aller partout au Mexique où il y a des gens humbles et simples comme nous.
Et nous n’allons pas aller leur dire ce qu’ils doivent faire, autrement dit leur donner des ordres.
Nous n’allons pas non plus leur demander de voter pour tel ou tel candidat, nous savons parfaitement qu’ils sont tous partisans du néolibéralisme.
Nous n’allons pas non plus leur dire qu’ils fassent comme nous ou qu’ils prennent les armes.
Non, ce que nous allons faire, c’est leur demander comment ils vivent, comment est leur lutte, ce qu’ils pensent de notre pays et comment faire ensemble pour ne pas être vaincus.
Ce que nous allons faire, c’est aller chercher la pensée des gens simples et humbles comme nous et peut-être que nous y trouverons le même amour que nous ressentons pour notre pays.
Et peut-être allons-nous trouver un accord entre gens simples et humbles, et ensemble nous organiser dans tout le pays et faire concorder nos luttes, qui restent isolées, loin les unes des autres, et trouver une sorte de programme qui réunisse ce que tout le monde veut, et un plan de ce que nous ferons, et comment, pour que ce programme, appelé « programme national de lutte », se réalise.
Et alors, en accord avec la majorité des gens que nous allons écouter, eh bien, nous pourrions faire une lutte de tout le monde : des indigènes, des ouvriers, des paysans, des étudiants, des professeurs, des employés, des femmes, des enfants, des anciens et des hommes et avec toutes les personnes au cœur bon qui auront envie de lutter pour que ne soit pas détruit et vendu notre pays, qu’on appelle « le Mexique » et qui va du Rio Bravo au Rio Suchiate et qui est bordé, d’un côté, par l’océan Pacifique, et de l’autre, par l’océan Atlantique.
VI. COMMENT NOUS ALLONS LE FAIRE
Alors voici notre parole simple, qui s’adresse aux gens humbles et simples du Mexique et du monde et que nous appelons en cette occasion :
Sixième Déclaration de la forêt Lacandone
Et nous voici venus pour dire, avec notre parole simple, que…
L’EZLN renouvelle ses engagements concernant le maintien du cessez-le-feu offensif et elle ne lancera aucune attaque contre les forces gouvernementales et n’effectuera aucun mouvement de troupes offensif.
L’EZLN renouvelle ses engagements concernant la poursuite de ses activités dans le cadre de la lutte politique, avec l’initiative pacifique actuelle. Par conséquent, l’EZLN maintient sa volonté de n’entretenir aucune sorte de relation secrète avec des organisations politico-militaires mexicaines ou d’autres pays.
L’EZLN renouvelle ses engagements concernant la défense, le soutien et l’obéissance aux communautés indigènes zapatistes qui la constituent ainsi qu’à leur commandement suprême, et, sans interférer avec leurs méthodes démocratiques internes et dans la mesure de ses possibilités, elle contribuera au renforcement de leur autonomie, de leur bon gouvernement et à l’amélioration de leurs conditions de vie. Autrement dit, ce que nous allons faire au Mexique et dans le monde, nous le ferons sans armes, dans le cadre d’un mouvement civil et pacifique, et sans négliger ni cesser de soutenir nos communautés.
Par conséquent…
Dans le monde…
1. Nous établirons plus de relations respectueuses et de soutiens mutuels avec des personnes et des organisations qui résistent et luttent contre le néolibéralisme et pour l’humanité.
2. Dans la mesure de nos possibilités, nous fournirons des aides matérielles, des aliments et de l’artisanat aux frères et sœurs qui luttent dans le monde entier.
Pour commencer, nous allons demander au conseil de bon gouvernement de La Realidad de nous prêter le camion baptisé « Chompiras », d’une capacité d’environ 8 tonnes, et nous allons le remplir de maïs et si possible de deux bidons de 200 litres chacun rempli d’essence ou de pétrole, selon les besoins, que nous allons livrer à l’ambassade de Cuba à Mexico, pour qu’elle le fasse parvenir au peuple cubain en tant que soutien des zapatistes à sa résistance au blocus nord-américain. Mais s’il y avait un endroit plus près où livrer, ce ne serait pas plus mal, parce qu’il faut toujours aller jusqu’à Mexico qui est bien loin et il n’est pas impossible que « Chompiras » rende l’âme et alors on n’en mènerait pas large. Et de toute façon, ce ne serait pas avant la récolte et si on ne nous attaque pas, parce que tout est encore vert dans la milpa et que si nous l’envoyons maintenant, ce sera de l’elote qui n’arriverait pas en bonnes conditions, même sous forme de tamales. Ce serait mieux en novembre ou en octobre, au choix.
Et nous allons aussi nous mettre d’accord avec des coopératives d’artisanat de femmes pour pouvoir envoyer une bonne cargaison de vêtements brodés aux Europes, qui ne seront peut-être plus une Union, et peut-être aussi du café écologique des coopératives zapatistes, pour les vendre et avoir un peu de sous pour leur lutte. Et si cela ne se vend pas, ils pourront toujours se faire un petit café et causer de la lutte antinéolibérale, et s’il fait froid, ils pourront mettre les vêtements brodés zapatistes, qui résistent parfaitement au lavage à la main et à la pierre, et qui ne déteignent pas, en plus.
Et nous allons aussi envoyer aux frères et sœurs indigènes de Bolivie et d’Équateur un peu de maïs non transgénique. Il y a juste que nous ne savons pas où le livrer pour qu’il arrive en de bonnes mains, mais nous aimerions vraiment fournir cette petite aide. […]
Lire la suite (source) : http://cspcl.ouvaton.org/article.php3?id_article=204
-Certains discours ne sont pas des analyses mais un auto-clouage sur la croix … de la verticalité et de l’horizontalité 😉
avec pour maléfice secondaire de clouer du même coup les autres penseurs sur cette même croix.
C’est de l’ordre du sans issue.
-Dès qu’on avance une idée, théorique ou déjà incarnée, qui met en valeur ou s’appuie sur certains des bons côtés de l’être humain, paf ! c’est comme si on avait appuyé sur le bouton, survient , réflexe animal, le mot « rousseauisme », comme arme de destruction massive de l’espoir, ou fin de non recevoir.
-Les références à la nature humaine utilisées pour disqualifier certaines prospections sur l’organisme social négligent l’interaction entre le système dans lequel il vit et les moteurs intérieurs à l’être, ne considèrent que l’impact des archétypes sur le comportement humain, individuel et collectif, en gommant l’effet rétroactif d’une réforme extérieure à l’être sur ces mêmes archétypes.
La dialectique du moi collectif et de l’inconscient collectif, en quelque sorte ;), qui fait que toute réforme institutionnelle, qu’elle soit bonne ou mauvaise, implique une réforme de même qualité (bonne ou mauvaise) au niveau des esprits, et avec le temps jusque dans leurs profondeurs cachées, donc produit à moyen terme une stabilisation du nouveau système.
Ce message était très négatif 🙂 : je suis agacée par les coups que des gens brillants portent avec insistance à la recherche.
Alors, donc, dans le positif, je suis enthousiasmée par l’aventure zapatiste, porteuse d’espoir, sur le terrain.
Quelque chose de très pertinent, de très « rafraîchissant »…
https://www.facebook.com/albert.franceschini?fref=hovercard
Le 4 octobre 2009, les électeurs grecs font subir une énorme défaite à la droite grecque. Le gouvernement de droite est balayé.
Le 6 octobre 2009, le socialiste Giorgos Papandréou devient le nouveau premier ministre de la Grèce.
Le 17 octobre 2009, Giorgos Papandréou annonce au monde entier une terrible nouvelle : le précédent gouvernement de droite avait menti, les chiffres étaient faux, la Grèce est en faillite.
Rappel :
Onze jours après son arrivée au pouvoir, il annonce, dans un souci de transparence, que l’état réel des finances grecques avait été caché par le précédent gouvernement. Il fait rétablir les véritables données économiques, dont un déficit équivalent à 12,5 % du PIB pour la seule année 2009. La Commission européenne confirmera cette falsification des données quelques semaines plus tard.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gi%C3%B3rgos_Papandr%C3%A9ou_%281952%29
Et sept ans plus tard ?
Sept ans plus tard, en 2016, la Grèce est encore plus en faillite.
Les classes populaires se sont appauvries, les classes moyennes se sont appauvries, et le chômage a explosé.
En 2009, les autres pays européens ont eu une idée géniale : puisque la Grèce était déjà hyper-endettée en 2009, les pays européens ont décidé … de lui prêter de l’argent !
Les pays européens ont rajouté des montagnes de dettes par-dessus les montagnes de dettes qui écrasaient déjà la Grèce.
Aujourd’hui, la Grèce est complètement asphyxiée. Chaque année, le coût de la dette est de 26 milliards d’euros ! (Et chaque année, les recettes de l’Etat sont de 55 milliards d’euros !)
Le coût de la dette va donc rester des plus lourds. La Commission européenne a évoqué une limite de 15 % du PIB pour les besoins de financement du pays chaque année. Si cette limite est appliquée, elle sera considérable et représente aujourd’hui 26 milliards d’euros. Les recettes de l’Etat grec s’élevaient à 55 milliards d’euros en 2015…
http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-une-nouvelle-victoire-pour-les-creanciers-570281.html
Dernier prêt : mardi 24 mai 2016, dans la soirée :
UE : nouveau prêt accordé à la Grèce.
Les ministres des Finances de la zone euro devraient approuver le versement de 10,3 milliards d’euros d’aide à la Grèce, ont déclaré ce soir des responsables de la zone euro en marge d’une réunion de l’Eurogroupe qui se déroule à Bruxelles.
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/05/24/97001–20160524FILWWW00388-ue-nouveau-pret-accorde-a-la-grece.php
Conclusion :
A partir d’octobre 2009, les pays européens auraient dû DONNER 300 milliards d’euros à la Grèce pour la sauver de la faillite. Mais ils n’ont pas voulu lui DONNER de l’argent.
En revanche, ils ont accepté de lui PRETER de l’argent. Ils ont ensuite demandé à la Grèce de payer des intérêts sur ces prêts. Ce faisant, ils ont aggravé la catastrophe.
La faillite totale de la Grèce est le symbole de la faillite totale de la construction européenne.
Topologie de la décision
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La démocratie vraie passe, entre autres, par une invention et par la mise en œuvre d’une topologie de la décision, qui ne saurait être verticale, ni horizontale, mais plane.
Et encore, cette image n’est pas la meilleure, car les centres de décision ne doivent pas former un espace métrique, mais au contraire un espace amétrique ( néologisme de circonstance ), car les points éloignés physiquement ne doivent pas l’être d’un point de vue relationnel.
Si pour un village la question ne se pose pas, il faudra au contraire pour tout vaste territoire penser non seulement une distribution uniforme des points de délibération, mais encore une distribution exhaustive et sans privilège des corrélations entre ces points.
Par ailleurs, du concept de verticalité, dont on sait la toxicité, on pourra conserver le principe de subsidiarité, mais tous azimuts, donc pas dans l’esprit d’une hiérarchie, mais au contraire en concevant dans toutes les directions du plan des emboitements d’assemblées délibératives ( structure gigogne sans direction privilégiée )
Il ne s’agit que d’un brouillon .….…..
La question des acteurs est majeure, mais d’une autre nature.
Une thèse d’anthropologie signalée par David Graeber sur son compte twitter : « Good politics property intersectionality and the making of the anarchist self » par Erica Lagalisse (en anglais).
http://digitool.library.mcgill.ca/R/-?func=dbin-jump-full&object_id=145299&silo_library=GEN01
P.175 : « After all, every time we asked the Zapatistas “What can we do to help?” the answer was something along the lines of “Go home and build social movements there, against neoliberalism and for the people, for their sake and for ours.” This stuff does get lodged in the brain somewhere. »