Voici la trace de cette belle soirée, avec Jacques Testart, à Lyon le 11 mars dernier :
httpv://youtu.be/kuqIkMqU-OU
httpv://youtu.be/s3HtBoTxF8A
httpv://youtu.be/23_k2mtz-4c
httpv://youtu.be/_xcd_qVeqMs
Merci à Thom d’avoir filmé et monté tout ça 🙂
Appel aux virus 🙂 : ce serait bien de rédiger et de publier une sorte de sommaire minuté de cette vidéo, pour aider les gens à y retrouver facilement un passage ou un autre.
Merci à tous, pour tout ce que vous faites pour rendre cette idée contagieuse :
ce n’est pas aux hommes au pouvoir d’écrire les règles du pouvoir.
Si on veut une vraie constitution, il faudra l’écrire nous-mêmes.
Rendez-vous à Nantes mercredi et jeudi prochains 🙂
Étienne.
Fil Facebook correspondant à ce billet :
https://www.facebook.com/etienne.chouard/posts/10154098758252317
Bravo Etienne pour cette initiative.
Vous m’avez éveillé la conscience. J’interprète désormais différemment les informations que l’on nous diffuse à la télévision où la radio, les causes devenant souvent beaucoup plus claires. Nous sommes beaucoup plus productifs au travail, pourquoi alors dois-je travailler plus et plus longtemps ? Il y a quelque chose qui a été perdu ou volé en route.
Au boulot maintenant, je vais déjà lire la constitution et vérifier que je n’y suis pas représenté. Ensuite j’en parlerai avec mes collègues.
Continuez comme ça
Frédéric
D’abord merci et bravo pour cette soirée. Ensuite, certes, le film Demain ne propose pas de révolutionner le système actuel, car comme le dit si bien Jacques Testart ; ce ne sont que des cas marginaux qui laissent le système perpétrer ses méfaits en s’en détournant le plus possible pour ne plus en être complice (et j’en fais partie).
Mais tous ces gens oeuvrent pour qu’un humus sain engendre une humanité saine, et si l’on cherche des éléments démocratiques à l’esprit collectif, il est préférable de piocher dans le compost de Pierre Rabhi que dans celui de Sarkozy. Il appartient à chacun d’entre nous d’en renverser les proportions…
Sans transition ..
Ce sera,temporairement peut-être, ma dernière intervention sur votre blog.
Je l’explique à la fin.
Et j’ai enfin compris ce point de vue, il me reste à l’approfondir
Commentaire sur Georg Lukács et son livre « Histoire et conscience de classe » et surtout concernant la catégorie capitaliste travail.
Certes, Lukács a tout à fait raison de définir l’« essence ultime » de la « structure marchande » comme une relation entre des personnes médiatisée par le travail. Là où il se trompe, c’est qu’il ne s’agit justement pas là d’un attribut transhistorique de la socialité, mais au contraire d’une caractéristique historiquement spécifique (et, du reste, nullement dissimulée) de la société capitaliste, caractéristique qui la distingue de toutes les autres formes sociales connues. Car si, indéniablement, dans toute société, des choses doivent être produites d’une manière ou d’une autre, la société capitaliste est par contre la seule dans l’histoire à recourir, pour constituer et médiatiser son lien social, à une forme homogène et homogénéisante d’activité : la quantité abstraite d’énergie humaine dépensée. Dans ces conditions, il s’avère impossible pour le travail de se libérer de la réification, puisqu’il est lui-même une forme réifiée d’activité et, en tant que tel, sous-tend la production marchande moderne. La « prise de conscience » par le travail de son rôle de principe de médiation sociale ne débouche dès lors que sur l’antinomie entre « prise de conscience » de la production marchande et soumission « consciente » à ses impératifs et à ses lois. En revanche, si un jour les hommes se mettaient pour de bon, consciemment et directement, c’est-à-dire sans le détour par les biens matériels et l’argent, à s’entendre en vue d’organiser leurs rapports sociaux, cela mènerait non pas simplement à la libération d’une « nature » jusqu’à présent masquée car réifiée, mais bien plutôt à l’abolition du principe de socialisation homogène et répressif – le travail – et à son remplacement par une pluralité de formes de médiation sociale et d’activité. Il se peut que les approches et les potentiels d’une telle évolution soient en germe dans la société productrice de marchandises – ou du moins dans l’opposition toujours vive contre ses perpétuels assauts totalisants –, mais cela ne constitue guère qu’un en-soi auquel il reste encore à devenir pour-soi.
source : http://www.palim-psao.fr/article-lubies-metaphysiques-de-la-lutte-des-classes-par-norbert-trenkle-102870907.html
PS : j’ ai arrêté temporairement mes interventions sur les pages FB des GVs en me désinscrivant , car j’ai parfois des interventions irréfléchies, trop spontanées, qui peuvent nuire au débat.
Je pense à vous. Prenez soin de vous. Je continue à suivre l’affaire.
Amicalement
Guy
C’est entre autre ce qui me rendait dubitatif sur B.Friot et « réeseau salariat » avec qui j’ai essayé de m’expliquer notamment sur cette zone de violence comme ils les appellent que constituent « les caisses d’investissement ».
Ils m’ont répondu qu’ils preparaient une brochure sur le sujet.
Guy
J’avais besoin de ce travail sur la catégorie « travail » en accord avec la centralité
de l’assemblée constituante tiré au sort, pour me persuader que d’autres formes de participation aux activités humaines (fédération des énergies, co-décision sur la chose produite, non-séparation entre le temps où l’on est productif et le temps de plaisir autrement dit que l’activité productive ne soit pas vécu comme une contrainte mais comme un temps de plaisir) soient induites par le travail constituant. Après il y a évidemment la question de la propriété non lucrative, mais qui est d’autant plus ouverte que l’activité productive est débarrassé de la souffrance et au maximum de la contrainte.
Là où il n’y a pas de controverse, il y a‑t-il forcément le plus juste ?
Ne faudrait-il pas automatiquement un débat pour vérifier si tout le monde est bien dans le vrai ?
Je complète. On peut tous avoir tort si on a tous une vue biaisée d’un sujet. Il y a consensus mais on a tous tort.
Une situation comme celle-là est-elle possible ? Peu probable mais une obligation de vérifier si on voit juste serait une bonne chose. Comme un principe de précaution.
Jacques Testard s’exprime principalement en affirmations. Il ne donne pas l’image d’un personnage qui se questionne. Quand Chouard le contredit sur un point, il ne le regarde pas et affiche un sourire contraint.
Sùrement un chic type mais pas le plus souple.
La phrase la plus sage de ls soirée : « Ecoutez ce qu’il dit, n’écoutez pas ce qu’on dit de lui ».
Qu’on peut appliquer à des tas de diabolisés comme Poutine, Assad, etc.
Bonjour Étienne,
Je vais juste discuter la question centrale du débat, à savoir : la décision doit-elle être prise par des gens correctement informés ? C’est évidemment une question où les démocrates vont s’empoigner, et je suis étonné que personne dans le public n’ait vraiment discuté le problème. Pourtant , quand vous dites (Video 1, 16:18) : « Il n’est d’opinion qu’éclairée […] Vous demandez dans la rue une opinion à quelqu’un qui n’a pas réfléchi, cette opinion ne vaut rien […] Une opinion de quelqu’un qui n’a pas réfléchi, on s’en fout complètement », cela devrait faire bondir tout défenseur de la souveraineté du peuple. Bien loin d’être une idée innovante, c’est tout de même le lieu commun de tous les penseurs partisan de l’élitisme : ce sont les Sachants qui doivent prendre les décisions dans la Cité, les Ignorants n’ont pas à s’en mêler. La grande majorité des philosophes politiques depuis Socrate sont sur cette ligne. Et globalement, l’ensemble des personnes qui ont vu des panels citoyens à l’œuvre sont aussi de cet avis : il vaut bien mieux qu’une décision soit prise par un jury tiré au sort et éclairé que par un référendum.
En face, il y a tous les partisans de la démocratie directe pour qui l’essence de la démocratie, c’est la participation de tous à la prise de décision, et pour qui ces jurys citoyens ne sont pas de la démocratie (un exemple qui me vient en tête c’est Florence Gauthier), voire même d’autres pour qui l’élection de représentants est encore plus démocratique que l’assemblée tirée au sort, qui n’est finalement qu’une oligarchie avec un mode de sélection particulier.
En fait, si on creuse bien ce qui oppose les partisans d’une démocratie référendaire et ceux d’une démocratie basée sur le tirage au sort, c’est une question de valeur. Pour les premiers, la valeur suprême de la démocratie, c’est la participation de tous à la décision politique. Pour les seconds, c’est que la décision prise soit la plus profitable à tous. On retrouve un peu l’opposition Liberté des Anciens/Liberté des Modernes.
Il y a juste l’un des dernier intervenants qui a perçu le problème (Video 4, 18:10) et qui explique « Quand on tire au sort, […] je me rend impuissant par rapport à ces tirés au sort, ce n’est pas moi qui décide ». Vous répondez très justement qu’en cas de Constituante, le processus de rédaction se fera en interaction avec l’ensemble de la population, et que chacun pourra intervenir dans le débat. C’est à mon sens ce qu’il y a de plus réaliste. Mais il est a noter que dans la perspective de Testard, les conférences citoyennes se tiennent à huis clos justement pour éviter les interférences avec tout qui voudrait influencer la décision.
Sur le fond, je suis sur la même ligne « conséquentialiste » que Jacques Testard et vous : il vaut mieux une bonne décision prise par un petit groupe éclairé qu’une mauvaise prise par un grand nombre. Mais malheureusement, la méthode de Testard ne sera pas applicable. Imaginons un gouvernement qui a instauré ces conférences de citoyens pour éclairer ses prises de décisions. Il est posé la question : « Faut-il interdire à les organismes de charité privé qui orientent la recherche scientifique, tels que le Téléthon ? » Après travaux à huis-clos, le panel rend un avis unanime : oui, il faut l’interdire. Le gouvernement suit cet avis. L’opinion publique, elle, n’a pas suivi le débat, et les sondages montrent qu’elle est à 70 % favorable au maintient du Téléthon. Un leader de l’opposition se répand dans les médias « C’est scandaleux ! On s’attaque à la recherche et aux malades ! Moi, je respecterais les vrais souhaits du vrai Peuple et je maintiendrais le Téléthon ». Quand après cela, des chercheurs auront aussi protesté, et que la télévision aura montré quelques enfants malades en chaise roulantes, vous pouvez être certain que le gouvernement va très vite supprimer ces conférences de citoyens.
Donc, dans l’état actuel de la société, je ne pense pas que la décision d’un panel éclairé puisse primer sur l’opinion du grand nombre. Mais en fait, vous pressentez bien le problème , puisque dans votre proposition (Video 2, 32:20), la conférence citoyen éclaire de son avis l’opinion publique avant le référendum. C’est aussi mon avis : dans la hiérarchie des instances de décision, c’est l’ensemble de la population, consultée par référendum, qui doit primer sur l’avis du panel tiré au sort (Sinon, je vous assure, le tirage au sort fera long feu). Le rapport du jury citoyen est purement informatif. Oui, mais alors, c’est l’inverse de ce que vous disiez auparavant, que l’opinion de celui qui n’a pas réfléchi à la question ne compte pas. En fait, finalement, ce doit être la décision du grand nombre mal informé qui l’emporte. Et il ne faut pas venir prétendre que l’avis de la conférence citoyenne va « éclairer » la population dans son ensemble avant le référendum. Lors du référendum de 2005, combien de personnes avait réellement lu la proposition de constitution avant de voter ? A fortiori, comme le souligne Jacques Testard, si on commence à organiser des référendum tous les trois mois, les gens ne vont absolument pas pouvoir être adéquatement informés sur l’ensemble des sujets.
Pour terminer, je voudrais juste rappeler ce qu’ont fait les Athéniens. Après une période de régime censitaire qui fut finalement renversé, s’est mis en place progressivement au cours du Vè siècle un régime démocratique. La forme en était finalement devenu une démocratie « radicale », ou l’ensemble des décisions était pris pas le peuple réuni en assemblée. En 404, Athènes perd la Guerre du Péloponnèse. Après le court intermède de la tyrannie des Trente, les Athéniens tentent de réfléchir au causes de la défaite et estiment qu’elle est largement due à la mauvaise qualité des décisions prises par l’Assemblée. Celle-ci était jugée notamment trop sujette à suivre l’opinion de démagogues de talent. L’exemple principal est notamment la décision au milieu de la guerre de condamner à mort l’ensemble des chefs militaires (ce qui n’est effectivement pas la résolution la plus judicieuse de l’histoire militaire). Dans les années qui suivent vont se mettre en place une série de réformes pour aboutir à une démocratie plus « modérée ». L’Assemblée du peuple se voit retirer une grande partie de ses pouvoirs, et ceux-ci vont être répartis en une série d’instances composée de citoyens tirés au sort. C’est notamment le cas du pouvoir de créer les lois, qui est confiées aux nomothètes, sans que l’Assemblée puisse annuler ces lois. Les institutions réformées semblent avoir satisfait les citoyens, puisqu’elles ont fonctionné sans crise jusqu’à la chute de la démocratie, qui est liée à une défaite extérieure, contre la Macédoine (en 322). Je pense cependant que ce qui a peut-être facilité l’acceptation d’un pouvoir détenu par des conseils tirés au sort, c’est qu’il n’y avait pas une grande disproportion entre l’Assemblée du peuple, assez réduite (6000 membres en général), et les instances dirigeantes tirées au sort, avec des panels très larges (entre 200 et 2500 selon les magistratures). Cela serait-il accepté dans un État moderne tel que la France avec une telle différence numérique entre un jury tiré au sort et l’ensemble de la population, je l’ignore.
Bien amicalement,
Ronald
Merci Ronald, pour ce très intéressant commentaire (comme d’habitude 🙂 ).
TEXTE DE LA CONFÉRENCE “expériences politiques”, Jacques Testart – Etienne Chouard Lyon, mars 2016 – Partie 1⁄4
Transcription de la conférence par les soins de Nicole Aune, de notre équipe de synthèse vidéo Justice Démocratique Défiante, Citoyenneté Responsable et Solidaire, 07/04/2016 ; Lien vidéo https://youtu.be/kuqIkMqU-OU ; Proposition, Illustration et validation par Bruce Bourguignon
Etienne Chouard est professeur d’économie à Marseille, blogueur prolifique sur chouard.org, il écrit beaucoup sur un forum du plan C, dans lequel on discute tirage au sort, constitution. Médiatisé à partir de 2005 autour du référendum pour la constitution Européenne, à laquelle il s’est opposé grâce à un texte qu’il a rédigé et qui a été largement diffusé. Il se définit comme un citoyen constituant.
Jacques Testart est biologiste de la procréation, auteur de la première fécondation in-vitro humaine en France (Amandine qui a 34 ans aujourd’hui). Il explore et défend depuis une dizaine d’années la procédure des Conférences des Citoyens. Il a publié en 2015 un livre « L’humanitude au pouvoir » – Comment les citoyens peuvent décider du bien commun.
Étienne : Bonsoir à tous, vous êtes nombreux… 10 mn c’est compliqué, il ne faut pas que je traîne ni que j’ouvre des parenthèses. D’abord, dire tout le bonheur que j’ai de rencontrer Jacques, jacques est quelqu’un d’important pour moi, c’est un praticien de l’idée que je défends et il n’y en a pas beaucoup et ce qu’il fait est remarquable. Quand je vais décrire ce que je fais je vais intégrer son travail, la façon dont je vois son travail par rapport au mien.
En gros et pour aller vite, je ramène nos problèmes sociaux à notre impuissance politique à les régler. Je pense que si nous avons durablement depuis tant de temps, autant de problèmes que nous n’arrivons pas à régler alors que dans toutes nos discussions on voit bien qu’on les a identifiés et qu’on a des tas de choses à proposer, je pense que si ces problèmes, les plus graves, perdurent c’est parce que nous sommes impuissants politiquement. Alors je cherche les raisons de cette impuissance et je les trouve dans un texte où il est écrit que nous n’avons pas de pouvoir. Ce n’est pas écrit clairement, il n’y a pas écrit « le peuple n’a pas de pouvoir », ça serait bien identifié, on se serait révoltés depuis longtemps, c’est plus compliqué à voir : dans ce texte qui est la constitution (qui est l’endroit où l’on dit comment sont désignés et contrôlés les pouvoirs, et quelle est la place réservée aux citoyens pour reprendre la main quand ils l’estiment nécessaire), dans ce texte essentiel il n’est pas écrit le peuple n’a pas de pouvoir, ce qui est écrit dans ce texte, et qui nous concerne, c’est une absence, nous n’y sommes pas. Essayez de lire la constitution, ce n’est pas amusant mais quand vous vous cherchez vous-même, ça vous donne une raison de le lire d’une façon attentive en vous disant où est-ce que je suis là dedans, où est-ce que j’ai un pouvoir de faire quelque chose, de participer au destin commun ?
Alors je cherche à comprendre pourquoi nous n’y sommes pas, parce qu’il n’y a pas que nous en France, c’est dans tous les pays, dans toutes les époques, c’est universel. Les constitutions programment l’impuissance populaire. Si c’est un phénomène mondial n’y a pas un complot, c’est un processus universel qui nous conduit à ça, et je l’identifie dans les auteurs des constitutions. Je pense que les constitutions sont des mauvaises constitutions, voire même pire, des anti-constitutions, des textes qui sont des prisons au lieu d’être des protections parce que ceux qui écrivent ces textes sont toujours des professionnels de la politique. Ce sont toujours précisément les personnes qui devraient craindre cette constitution, qui partout dans le monde écrivent ces constitutions. Donc ils écrivent des fausses, ils écrivent des faux contrôles, des contrôles factices, ils écrivent leur puissance et notre impuissance, parce que c’est leur intérêt personnel tout simplement, ce n’est pas la peine de faire polytechnique pour comprendre ça. Je pense que c’est assez simple, et c’est pour ça que c’est universel.
Mais si je m’arrête là dans mon raisonnement je n’ai pas de solution : si j’attends que les élus me libèrent alors que ce sont eux qui ont fabriqué la prison dans laquelle ils m’ont mis, je vais attendre longtemps. En fait je trouve la solution quand je remonte plus en amont et que j’essaye de comprendre pourquoi les professionnels de la politique peuvent toujours écrire les constitutions alors qu’ils devraient être les seuls à ne pas y toucher. Et je pense que c’est notre faute, et ça, c’est optimiste parce que, si c’est notre faute, ça veut dire qu’il ne tient qu’à nous de tout changer. C’est notre démission du processus constituant, c’est parce que nous démissionnons de ce moment essentiel. Ce n’est pas du tout un texte poussiéreux, ce n’est pas du droit, c’est le droit le droit du droit, et le droit du droit ce n’est pas du droit c’est de la politique. Et c’est parce que nous démissionnons, par paresse un peu ; par complexe d’infériorité : on ne se croit pas compétent et on fait tout pour nous faire croire et nous enraciner dans cette certitude que nous sommes incompétents ; c’est aussi par égoïsme : on s’occupe que de nos affaires, on s’occupe pas du bien commun, il y a plein de raisons… je pense que c’est surtout par complexe d’infériorité. Nous démissionnons du processus constituant, nous ne nous sentons pas concernés et au moment où il y a une révolte, (il y a des révolutions, des insurrections partout dans le monde et à toutes les époques, ça va arriver à nouveau) on arrive à renverser un tyran quel que soit le pays ou l’époque, mais juste après, quand il faut écrire le monde suivant on n’est pas entraînés, on n’a pas fait d’ateliers constituants, on ne sait même pas ce que c’est [qu’une constitution]… Et à chaque fois, quand il faut écrire les nouvelles règles, comment on va faire ? Il y en a un qui se présente, c’est un professionnel de la politique il dit « moi je sais » [écrire la constitution qu’il nous faut], il se présente, il se déclare gouvernement provisoire et c’est parti. En les laissant faire à ce moment essentiel où nous nous transformons de multitude en peuple parce qu’on décide de vivre ensemble en écrivant nous notre contrat social (c’est ça une constitution dans le sens politique le plus noble), à ce moment là on n’est pas là et on la laisse écrire par des professionnels de la politique. Et toutes les impuissances qui suivent sont les conséquences de cette démission.
Alors ce que je suggère c’est que, prenant acte de cette impuissance politique, populaire, universelle, et de ses causes qui sont très probablement dans l’éducation populaire insuffisante, mal faite, de nos enfants et de nous-mêmes, qui n’avons pas encore appris à écrire nous-mêmes les règles supérieures de la politique qui disent comment on désigne les acteurs, comme on contrôle les acteurs, comment on reprend la main quand on n’est pas content, comment on destitue un tyran, comment on règle et contrôle avec des gens tirés au sort, comment on règle et contrôle la banque, les médias, l’information, les sondages…, prenant acte de ce trouble et cette cause en nous-mêmes, je suggère que nous nous entraînions pour la prochaine insurrection : nous entraîner aujourd’hui pendant qu’on est au calme, on a des revenus, on a du temps, pendant que tout va bien on s’entraîne, on fait des ateliers constituants ; demain [jeudi] il y en a [à Nantes] : vous devriez y aller, c’est enthousiasmant, j’en ai fait plein et je n’ai pas un seul exemple de quelqu’un qui se soit ennuyé. Vous allez voir que, quand vous faites de la politique [comme ça], au lieu de vous dire « je vais demander ça aux élus, ou on va exiger des élus, ou on va forcer les élus », vous ne prenez pas du tout le truc sous cet angle, là, vous devenez des adultes et vous vous dites « comment on va écrire, comment on va désigner les acteurs, est-ce qu’on va les élire, est-ce qu’on va les tirer au sort, avec quel mode de scrutin ? Qui va être citoyen, qu’est ce qu’on fait avec les étrangers, est-ce qu’on les fait voter ? Comment on écrit la monnaie, qui décide de la quantité de monnaie qui est nécessaire ? Comment on va décider un référendum d’initiative populaire, combien de personnes peuvent déclencher un R.I.P., sur quel sujet, est-ce qu’on met un garde-fou, pas de garde-fou ? »… les sujets sont tous passionnants. Il ne s’agit pas d’écrire des lois, il s’agit d’écrire des articles de constitution. Les articles de constitution c’est : comment on désigne et contrôles les acteurs et comment on garde la main sur les acteurs politique. Demain vous avez une occasion, je pense que vous devriez la saisir c’est épatant.
Mais après il faut que ça continue : là, vous êtes nombreux, c’est compliqué à organiser. Un atelier constituant, ça peut [se mener] « tout seul » ou à deux, [et] ça, c’est très léger, vous pouvez faire ça quand vous voulez. Un atelier constituant, c’est un humain qui décide concrètement de s’occuper de la constitution ; comme un peintre : il est dans son atelier, il est tout seul. Un atelier constituant, c’est comme ça, ne vous imaginez pas qu’il faut faire des réunions à quinze, vingt, cent… pas du tout ; si vous imaginez ça, vous le ferez jamais tous les jours ! Un atelier constituant, il faut que ça soit tous les jours. Je suggère que, si les humains (pas seulement les Français, tous les humains du monde), si nous nous passons le mot entre nous (n’attendez rien des médias, ni des élus, ça ne passera pas par eux, eux ils vont tout faire pour morpionner le système et nous empêcher d’y arriver), ça va très bien marcher entre nous avec internet (et même sans internet je pense que ça marcherait, c’est l’idée qui est puissante) : si on se passe le mot entre nous et qu’on s’entraîne et qu’on convainc les voisins de s’entraîner à leur tour (il faut que ça soit contagieux pour que ça marche), au moment du printemps, quand ça germe, si ça germe partout, les voleurs de pouvoir ne pourront pas se débarrasser de nous tous, il y en aura trop partout. Et ça pourra être non violent parce qu’on sera très nombreux ; si on n’est pas nombreux et qu’il faut qu’on force les choses, ça sera violent et ça ne marchera pas. Il y a plein de jeunes gens qui veulent se révolter tout de suite « il faut qu’on fasse quelque chose », je pense que les ateliers constituant font qu’on change dans notre tête, on devient des grandes personnes, on devient des adultes, on arrête de se soumettre à des maîtres, à des « élus » : peut-être [décidera-t-on d’avoir] des « élus », mais c’est nous qui allons écrire les règles de l’élection, les règles de la destitution, de la révocation, les règles de la reddition des compte, comment ils nous rendent des comptes et comment on les punit quand ils ont mal fait leur boulot… Les ateliers constituants nous rendent adultes, ils nous transforment intérieurement et ça, c’est plus important que le tirage au sort, c’est plus important même que la constitution, ce qui est important c’est que nous nous transformions d’électeurs enfants en citoyens adultes. Un électeur est hétéronome il subit le droit écrit par quelqu’un d’autre, c’est un enfant politique, un enfant c’est quelqu’un qui n’a pas droit à la parole, qui est privé de la parole étymologiquement. Un électeur c’est un enfant et quand on nous dit qu’on est des citoyens on se paye de mot, ce n’est pas vrai, on se la pète mais on n’est rien du tout, on ne décide rien. Et quand on se transforme en constituant vous allez sentir, dans l’atelier, que, quand vous prenez vos problèmes concrets par la politique adulte qui consiste à écrire nous-mêmes la constitution, vous allez voir, vous allez sentir dans votre chair en même temps que vous écrivez, vous allez sentir 1) que c’est simple et 2) en même temps vous allez sentir comme c’est sûr que ce truc là va tout changer, si on est nombreux (si on n’est pas nombreux ça marchera pas).
Et ce qui m’embête, c’est que vous soyez si nombreux quand on est là, c’est un côté « star » (de ces rencontres nombreuses], vous venez voir une attraction : « [purée] c’est bien ce qu’il dit, ce gars là »… et le problème, c’est que, si vous ne continuez pas après, ça va pas marcher. Vous comprenez ça ? Si demain vous ne continuez pas, ça ne marchera pas ; ça ne marchera que si on est très nombreux, si on est très nombreux, il faut que vous vous y mettiez à deux, que vous invitiez votre voisin… À vous de faire le boulot de convaincre celui qui est encore éteint, [endormi] ; ce n’est pas facile, vous ne l’aurez peut-être pas la première fois, quand vous allez essayer de convaincre quelqu’un ça va pas marcher du premier coup, il va vous dire « ça fait trois fois que tu me casses les pieds avec ce truc là, [alors] tu arrêtes de me parler de ça, sinon je te parle plus » 🙂 Alors, vous arrêtez de lui parler [de ça], et ce n’est plus vous mais ça va être un autre qui va lui parler encore du tirage au sort… Et ça ne va peut-être encore pas marcher, mais la troisième…. peut-être une jolie fille, je ne sais pas, quelqu’un qui va lui en parler à nouveau et là, il va percuter. Il aura fallu qu’on se mettre à trois pour le réveiller et c’est notre boulot de nous réveiller entre nous, la solution ne viendra pas des élus.
Qu’est ce qui me passionne dans ce que fait Jacques ? Jacques prouve avec des conventions de citoyens dont il va vous parler, il prouve que des gens qui se mettent ensemble pour réfléchir au bien commun, deviennent meilleurs quel que soit leur niveau de départ. Ils deviennent meilleurs et produisent des avis, ils donnent des opinions, ils opinent sur des sujets de façon au moins aussi convaincante que quand ce sont des élus. Et ça, c’est magnifique pour nous décomplexer, on a besoin de ça pour se décomplexer, on a besoin des histoires que nous raconte Jacques, des histoires très concrètes, vécues dans des conventions des citoyens, on a besoin de ces histoires là pour se décomplexer, pour y aller, faire de la politique nous-mêmes sans demander à des professionnels de la politique. Dans son travail sur les conventions, il a mis au point un protocole, c’est un mode d’emploi scientifique, rigoureux qui permet d’éclairer l’opinion. Pour lui, il n’y a d’opinion qu’éclairée : si vous demandez un avis à quelqu’un dans la rue sur un sujet sur lequel il n’a pas réfléchi, cette opinion ne vaut rien. Je trouve ça bouleversant, très intéressant, je vais intégrer ça du mieux que je peux dans les institutions et nous devrions faire ça, c’est une bonne idée. C’est vrai qu’une opinion de quelqu’un qui n’a pas réfléchi, on s’en fout complètement, elle vaut pas grand-chose : il y a trop de chance qu’il se trompe. Ce à quoi réfléchit Jacques, c’est : comment on fait pour éclairer l’opinion. Il dit : pour éclairer l’opinion il faut que les gens aient vu des opinions contradictoires, il faut avoir lu des avis différents, il faut avoir été confronté à des opinions dissidentes, vu des gens qui sont pas d’accord qui s’empaillent devant nous, ou qui font des discours… On pourra discuter, d’ailleurs : est-ce qu’on met en scène le fait qu’ils s’empaillent ou bien on fait comme à Athènes où chaque orateur venait faire un discours, puis un discours, puis un discours… mais ils se ne parlaient pas entre eux, peut-être que les deux ont des avantages…
[Une intervention : « Etienne il faut que je t’interrompe avant que tu dises tout ce que Jacques va dire ».] (Rires général).
Un dernier mot quand même. Ce soir je voudrais qu’on fasse ensemble [tous les deux] un atelier constituant. C’est la première fois que je fais ça, on va essayer de faire comme une scène : j’ai réfléchi dans le train, j’ai fait mon atelier constituant tout seul, et j’ai traduit ce que dit Jacques dans la conclusion de son livre « l’humanité au pouvoir »…
Jacques : Merci Etienne, tu m’as laissé quand même quelques petites choses à dire, mais enfin tu fais très bien le meneur de jeu. La première chose qu’il faut que j’explique c’est comment un biologiste, qu’il soit de la procréation ou d’autre chose, un type de labo, en vient à se mêler de la chose politique et à faire des propositions sur la démocratie.
Pour moi c’est devenu évident progressivement. Bien avant cette histoire d’Amandine. J’ai commencé à travailler dans les années 60 à l’INRA, j’ai travaillé sur des vaches et j’ai eu comme mission d’augmenter la productivité laitière des vaches. J’ai mis au point des techniques de mères porteuses pour qu’une vache de haute productivité laitière, au lieu d’avoir un petit par an, en ait dix, quinze, parce que ses embryons vont être portés par d’autres vaches et vont faire des veaux supposés de haute qualité laitière. Quand j’ai fait ce boulot, ça a marché à partir de 1972.
Je me suis aperçu tout de suite, quand j’ai pu sortir de ma technique, de mes bricolages, et réfléchir à ce que j’avais fait, que c’était complètement idiot puisqu’il y avait déjà des quotas laitiers qui étaient imposés par l’Europe et donc augmenter la production laitière au moment où on voulait la diminuer… Je me demandais qui menait le bateau ? Je me suis interrogé ! Alors on peut faire des recherches stupides, elles sont commanditées d’en haut, on ne sait pas par qui, tout le monde est innocent. Là, j’ai commencé à me dire : il y a quelque chose qui ne va pas et il faudrait que la société se mêle un peu de ces affaires-là, elle est toujours tenue en dehors, la preuve c’est que même les gens qui ont mon âge ou presque (ils ne sont pas nombreux dans la salle), ne savent pas que tout ça a existé, on ne vous en a jamais parlé avant, ni pendant, ni après. Et tout ça c’est dans plein de domaines.
Ensuite j’ai travaillé sur la procréation humaine en me disant : cette fois ça va pas être un truc idiot. Ce n’était pas idiot, je ne renie pas d’avoir permis à des tas de gens stériles d’avoir des bébés quand ils ne peuvent pas les avoir autrement, mais il y a eu plein de dérives depuis. Et encore une fois ça n’avait pas été décidé démocratiquement, c’est un truc qui est venu, on a pris l’initiative tout seul dans un hôpital. Et ensuite toutes les dérives qu’il y a eu se font au jour le jour un peu dans tous les pays et la population n’est toujours pas mêlée à la décision. On crée des comités d’éthique, on fait vaguement des bouts de lois qui ne servent pas à grand-chose, mais les gens sont tenus au dehors. Par là, je veux dire que je me suis intéressé aussi parce que j’ai quand même été un militant associatif, je me suis intéressé au nucléaire où là, on ne peut pas dire que la démocratie ait régné, je me suis intéressé aux OGM où c’est pareil ; je me suis intéressé plus récemment aux nanotechnologies, à la biologie de synthèse… c’est toujours la même chose.
Et ce qui m’intéresse là-dedans — puisque vous voyez, c’est toujours des problèmes de technologie, mais on verra que c’est pareil pour les problèmes proprement politiques — c’est comment se fait la décision ? Ça complémente un peu ce que fait Etienne, c’est d’ailleurs pour ça que ça m’intéresse : la constitution, travailler à la démocratie en général, c’est fondamental. Moi, je m’intéresse un peu à la fin du truc, c’est-à-dire comment on va décider de quelque chose démocratiquement ?
Je vais vous parler des “Conventions des Citoyens“. Quand je parle de ça en milieu associatif les gens me disent — par exemple si on fait une convention sur l’énergie nucléaire ou sur les déchets nucléaires ou sur les OGM — « mais pourquoi tu vas demander à des gens qui n’y connaissent rien, puisque nous on sait », j’ai entendu ça de la part de militants « nous on sait, tu n’as qu’à nous demander ». Ah oui, mais à quelle association je vais demander ? Il n’y a pas forcément l’unanimité entre les associations, même si elles défendent toutes ce qu’elles croient être le bien public : il y a plein de divergences et le moment de prendre une décision est un moment différent à mon avis, de celui de l’agitation qui est menée par les associations, par les partis, par les syndicats… qui est indispensable. Mais ça, c’est le bruit de fond qu’il faut maintenir à la fois pour apprendre aux gens qu’il se passe des choses et pour animer l’avis démocratique sur ces sujet.
Mais il y a un moment où il faut prendre une décision et se pose le problème de qui va la prendre, et là j’ai découvert un outil extraordinaire qui s’appelle la “Conférence des Citoyens“ qui a été inventée par le parlement Danois en 1990, ça fait vingt-cinq ans. Il y en a eu des centaines dans le monde depuis, toujours avec des protocoles différents parce que le protocole n’a jamais été écrit. Je le résume, ça se ramène à dire : on va faire un petit groupe de personnes, quinze à vingt, tirées au sort dans la société, on va lui donner une formation avec différents points de vue et on va demander à ces gens-là de prendre un avis sur le problème pour lequel on les a réunis. Ensuite on dissout cette conférence de citoyens parce qu’un citoyen de conférence ça ne sert qu’une fois, on en prendra d’autres pour un autre problème.
Ça c’est le schéma général. Et je l’ai vécu parce que j’ai été président de la Commission Française du Développement Durable qui à mon avis est une hérésie totale, mais j’ai quand même été président, j’en ai démissionné au bout de trois ans, avec fracas. Mais dans cette commission, on a tenu une conférence de citoyens sur les changements climatiques en 2002, et j’ai été bluffé. Moi qui ne suis pas un optimiste de nature, j’ai vu comment les gens qui ont été tirés au sort peuvent évoluer et comment ils arrivent à dire des choses super intelligentes, plus que les experts.
Depuis 2002, je gratte ce truc là et, en travaillant d’une part avec l’association Science Citoyenne qui a pour but de mettre la science en démocratie, qui s’intéresse aussi bien aux lanceurs d’alerte, à des expertises, à la recherche participative, mais aussi à ces conférences de citoyens, on a sollicité des spécialistes universitaires, juristes, sociologues, pour travailler avec nous, pour écrire un règlement, pour écrire vraiment la règle du jeu de ces conférences de citoyens. On a écrit ça en 2007, on l’a fait connaître et on attend toujours que le parlement s’en empare, parce que si ce n’est pas inscrit dans la loi ou mieux dans la constitution, ça ne sert pas à grand-chose.
À partir du schéma général inventé par les Danois et répandu dans tous les pays, il y en a eu en France une dizaine, de ces conférences de citoyens, plus ou moins bien faites, mais sans un protocole précis. On s’est dit qu’il fallait un protocole irréprochable pour que le système soit imparable, ne soit pas critiquable et soit reproductible. On a imaginé… Il y a le tirage au sort, c’est assez facile apparemment, mais ce n’est pas si facile : il ne suffit pas de tirer des gens au sort ; en général ces conférences de citoyens, c’est pour des problèmes très importants au niveau national voire d’avantage (ça pourrait être au niveau international, moi je serais très favorable à ce qu’on les fasse à ce niveau-là), ce n’est pas pour régler un problème local. Il faut tirer au sort des gens mais il faut avoir une hétérogénéité bien sûr, ça c’est facile : on demande à un institut de sondage, à des professionnels de faire ce choix et pour avoir cette quinzaine de citoyens tirés au sort mais représentatifs de la population, il faut partir à peu près de deux cent.
Donc, sur les listes électorales ils prennent deux cent personnes tirées au sort, ils leur téléphonent, leur demandent « est-ce que vous avez envie de travailler bénévolement, sur quelque chose qui vous prendra trois week-ends de travail, plus des réflexions, des coups de fil… » C’est un truc assez lourd, les deux-tiers des gens refusent, donc il en reste soixante et sur les soixante il faut faire un échantillon d’une quinzaine où il y ait autant d’hommes que de femmes, puis les âges, les catégories socioprofessionnelles, la région… tous les caractères possibles auxquels sont habitués les sociologues qui gèrent les sondages. Ils arrivent à faire un groupe qui représente non pas toute la population et même au niveau statistique on dirait que ce n’est pas un échantillon représentatif puisqu’il faudrait plus de mille personnes statistiquement, mais ça n’a pas beaucoup de sens, l’important c’est d’avoir la diversité maximale. Quinze personnes avec la diversité maximale c’est un groupe extraordinaire, il y a un psycho-sociologue impliqué là-dedans pour réguler d’éventuels problèmes à l’intérieur du groupe et pour servir de lien avec l’extérieur.
Les trois premières conférences de citoyens qui ont eu lieu en France depuis 1998 c’est le même psycho-sociologue [qui s’en est chargé]parce qu’il est très bon, il agit comme un technicien de la chose, il a dit cette chose extraordinaire : « J’ai eu à chaque fois le même groupe »…Évidemment, ce n’était pas le même, c’était d’autres gens, mais ça veut dire que le groupe constitué de cette façon a une certaine objectivité puisque ce professionnel de groupes n’avait jamais vu ça, il avait chaque fois quelque chose qui était comme reproductible. Je suis très content de ce commentaire.
On arrive [donc] à avoir ce groupe, ce jury citoyen, mais le plus dur c’est de lui donner la formation. Et c’est là qu’en général dans les conférences de citoyens il y a beaucoup de défauts parce que souvent ceux qui initient le processus ont un point de vue à défendre, pour arriver à une certaine solution. Donc ils vont faire venir surtout des experts défendant surtout un point de vue et ça ne va pas être très équilibré.
Dans d’autres projets de loi, on a inventé le comité de pilotage qui est nommé par le comité d’organisation, par ceux qui sont commanditaires de la conférence de citoyens, et ce comité de pilotage qui compte seulement une dizaine de personnes est composé de gens connus pour ne pas être d’accord entre eux. Ça, c’est possible parce que les conférences de citoyens ont pour but de résoudre une controverse, ce n’est pas un problème qu’on va inventer à l’université et on va dire aux gens « qu’est-ce que vous en pensez ? » Non, elle intervient quand il y a une controverse déjà dans la société, quand il y a des gens qui ont une solution, une autre… il y a plusieurs solutions proposées. Si bien qu’on a vu apparaître des leaders d’opinion, des individus, des associatifs, des industriels… des gens qui disent « il faut résoudre le problème de telle façon ». Vous voyez bien que c’est vrai pour les OGM, le nucléaire, et pour un tas de choses. Donc on connait les gens, on peut identifier ceux qui représentent des opinions différentes, et c’est ceux-là, qu’on met dans le comité de pilotage, avec une seule mission : vous allez vous engueuler autant que vous voulez, mais vous allez construire un programme pour les citoyens, vous allez le faire consensuellement, c’est-à-dire que chacun va essayer de défendre son point de vue en disant « il faut faire intervenir un tel qui va parler de ça », et un autre va dire « il faut faire venir un tel… » En lâchant chacun un peu de lest, ils vont finir par rédiger un programme de formation dans lequel les points de vue seront représentés de façon qu’il y ait une certaine objectivité. Ce système du comité de pilotage pluriel, avec des avis contradictoires, c’est, à notre avis, la façon la plus objective de construire un programme de formation.
Les citoyens vont être confrontés à ce programme, ils vont subir la formation (je dis subir mais en général ceux qui ont accepté ça se prennent au jeu et sont ravis, l’enthousiasme est extraordinaire). Ils vont avoir cette formation pendant deux week-ends, elle se passe dans un endroit fermé pour éviter toute influence extérieure qui n’ait pas été prévue dans le programme par le comité de pilotage, si vous avez bien équilibré tous les points de vue et qu’ensuite il y a un gus, que ce soit un associatif ou un industriel ou n’importe qui, qui se débrouille pour venir bouffer avec les citoyens et qui va les faire pencher d’un côté, le système est foutu. C’est très rigoureux : par exemple, les citoyens vont manger entre eux mais pas avec les formateurs, les formateurs ont chacun un temps qui leur est donné, une heure pour un, une heure et demi pour un autre… c’est le comité de pilotage qui l’a décidé, sur des thèmes variés, et après ils s’en vont.
Et le comité de pilotage lui-même, les gens dont je parlais, connus pour avoir des opinions, ne verront jamais les citoyens ; on essaye d’avoir une espèce de sas de sécurité contre les lobbys divers. Ces citoyens vont avoir aussi des documents à lire chez eux, choisis de la même façon, c’est-à-dire qu’il y a un appel à tous ceux qui voudraient participer à ça en donnant l’information, et le comité de pilotage encore une fois et de la même façon, va choisir des textes pour ne pas donner des tonnes de documents mais donner tel film, tel bouquin, tel article aux citoyens. Ils vont avoir du boulot, ils peuvent se téléphoner, et dans ces week-ends ils peuvent parler entre eux, c’est même recommandé, ils discutent, ils mangent ensemble, et même dans la première que j’avais organisée, il y en a même qui ont fait des petits, vous voyez que ça travaille beaucoup et tout ça dans la joie.
Après ces deux week-ends de formation, il y a un troisième week-end, et celui-là c’est les citoyens eux-mêmes qui l’organisent. C’est-à-dire qu’ils sont devenus assez savants sur le sujet pour voir qu’il y a des trous qui manquent. Pour qu’ils puissent vraiment donner un avis qui soit complètement éclairé, ils demandent qu’on fasse comparaître des individus qu’on n’avait pas prévus qui peuvent être aussi bien un universitaire, un ambassadeur… Par exemple, sur le changement climatique, ils ont demandé l’ambassadeur des États-Unis puisque les États-Unis étaient opposés à tout règlement qui serait contraignant contre le mode de vie américain disaient-ils, donc ils ont jugé intéressant et c’était une idée géniale, que le comité n’avait pas eu, de faire venir l’ambassadeur des États-Unis.
Ça se passe en public, mais les citoyens cette fois-là ne pourront pas être influencés par d’autres personnes que celles qu’ils interrogent parce que, bien qu’ils soient en public, le public n’a pas le droit d’intervenir. Et à la fin de la journée quand les citoyens ont interrogé les experts qu’ils ont eux-mêmes commandés, ils les ont cuisinés, je peux vous dire que c’est très savoureux, quand vous voyez un type qui passe à la télé pour expliquer que les OGM c’est extraordinaire, quand c’est un généticien connu, il a l’ascendant, y compris sur le journaliste, il explique plein de trucs… Là, vous voyez ce type ridiculisé par des citoyens qui disent « mais là, vous racontez n’importe quoi, y a Mac Donald qui a écrit en 1992 et vous tenez pas compte de ça… », le type est complètement coincé, il se trouve presque humilié par ces gens, ces citoyens ordinaires qui viennent lui montrer qu’il a un point de vue qui n’est pas nécessairement le bon, et qui viennent le critiquer, y compris dans son propre domaine, ça c’est quelque chose d’assez délicieux.
Et on peut voir les citoyens parce qu’on ne pourra jamais leur parler, ils vont ensuite se replier dans une salle derrière et ils vont commencer à discuter, à rédiger leur avis qu’ils rendront public en général à l’aube parce qu’il faut une nuit de travail, ils rendront public à l’aube par une conférence de presse. Elle n’a pas lieu trop tôt parce que les journalistes c’est une espèce qui se lève un peu tard : ils font ça à partir de 10 h, puis après, ils rentrent chez eux, c’est fini, c’est dissout ; sauf que l’organisateur s’engage à leur dire qu’est-ce qu’est devenu leur avis, comment il a été utilisé et comment il a été ou pas respecté.
Il y a aussi un comité nommé aussi par le comité d’organisation, qui est chargé de vérifier que tout a été bien fait. Tout est filmé, si bien que les universitaires par exemple qui travaillent sur la sociologie des débats, de la démocratie… peuvent avoir accès à ces documents-là et voir où il y a des défauts et permettre éventuellement des progrès dans la procédure.
Dans notre idée, ça devrait être inscrit évidemment dans la loi ; pour le moment, c’est presque une pratique sauvage. C’est pour ça que je n’encourage même pas à en faire, parce qu’il y aurait une grande désillusion pour les citoyens qui se sont donnés beaucoup de mal, si on ne tient pas compte de ce qu’ils ont dit. Nous, ce qu’on a prévu dans notre projet de loi, c’est que les élus, en l’occurrence le parlement, doivent s’emparer de l’avis des citoyens, le discuter dans la transparence et émettre un vote nominal, c’est-à-dire que chacun qui est opposé à l’avis des citoyens le fait savoir, il ne pourra pas dire plus tard « on ne savait pas que ce produit était dangereux, on avait reçu les prospectus de Monsanto, de machin… des couleurs, c’était super, on nous a tout expliqué et on était d’accord ». Là, il y a l’avis des citoyens, il faut qu’ils disent qu’ils reconnaissent on ne peut pas obliger les élus à suivre l’avis des citoyens tout simplement parce que les citoyens ne sont pas élus, donc les élus sont là pour faire la loi. On est obligé, au moins jusqu’à ce jour (peut-être qu’on va changer avec Etienne, mais jusqu’à ce jour c’est comme ça), alors on va suivre le truc, mais il faut que ces élus prennent leurs responsabilités et je suis persuadé que ça changerait beaucoup leur décision d’être mis face à leur responsabilité.
J’en viens à ce truc d’humanitude qui est le titre de mon bouquin : pourquoi j’ai parlé de ça ? parce qu’il y a un truc extraordinaire qu’on a observé dans tous les pays du monde, il y a des allemands, des américains qui ont observé que, quand il y a des gens comme ça, quinze à vingt personnes sont mises dans une situation de responsabilité, avec un protocole moins rigoureux que celui qu’on propose — ce serait encore mieux avec ça, mais déjà même quand c’est un peu brouillon — sont mises en situation de responsabilité où ils ont l’impression vraiment sérieuse que ce qu’ils sont en train de faire peut avoir une influence sur le monde, sur la planète, sur l’humanité — et c’est vrai, c’est souvent le cas pour les thèmes que j’ai évoqués, le nucléaire, les OGM, c’est vrai — quand ils sont persuadés de ça, ils se mettent à travailler d’une façon qui est tout à fait particulière, c’est-à-dire qu’ils vont développer à la fois une intelligence de groupe, ça se voit un peu dans tous les groupes : on produit toujours à quinze un document de qualité supérieure à celui qu’on produirait tout seul et c’est d’autant plus vrai quand cette quinzaine de personnes est variée, c’est-à-dire il y a une femme de ménage, il y a un médecin, il y a une mère de famille… Il y a des gens. Et quand ils sont tellement différents, ils se complètent mieux que s’ils étaient de la même tribu, de l’ENA par exemple, et ils sont en responsabilité, l’intelligence est là.
Mais il y a un truc en plus, c’est qu’ils se prennent tellement au sérieux qu’ils vont tous rechercher ce qu’on appelle le bien commun, c’est-à-dire qu’ils ne vont pas prêcher dans leur avis qu’il faut faire quelque chose qui les arrangerait eux dans leur vie personnelle, dans leur famille, dans leur groupe : ils vont proposer des choses au niveau de l’humanité et même on pourrait dire, de l’humanité à venir.