Anne-Marie Le Pourhiet sur l’UE : « Renationaliser le pouvoir de décision pour le repolitiser »

25/05/2014 | 5 commentaires

Voi­ci un entre­tien très inté­res­sant, avec Anne-Marie Le Pou­rhiet, remar­quable résis­tante (depuis long­temps) à la tyran­nie pré­ten­du­ment « européenne » :

Source : http://​www​.cercle​-poin​care​.com/​2​0​1​4​/​0​3​/​e​n​t​r​e​t​i​e​n​-​a​v​e​c​-​a​n​n​e​-​m​a​r​i​e​-​l​e​-​p​o​u​r​h​i​e​t​.​h​tml

À l’ap­proche des élec­tions euro­péennes, Anne-Marie Le Pou­rhiet, pro­fes­seur de droit public à l’u­ni­ver­si­té de Rennes‑I, a répon­du sans ambages aux ques­tions d’Alexis sur le fonc­tion­ne­ment et l’é­vo­lu­tion de l’U­nion euro­péenne, et ses consé­quences sur l’ordre juri­dique français.

* * *

Les élec­tions des dépu­tés euro­péens approchent. Les der­nières échéances ont mon­tré un fort dés­in­té­rêt des citoyens de presque tous les pays pour ce suf­frage, et cer­tains son­dages annoncent une majo­ri­té euros­cep­tique au Par­le­ment euro­péen. Dans cette hypo­thèse, quelle influence pour­rait avoir cette « chambre introu­vable » euros­cep­tique sur le fonc­tion­ne­ment, voire la réforme, de l’U­nion européenne ?

Vous savez, je suis consti­tu­tion­na­liste et non poli­to­logue et encore moins voyante, je serais donc bien inca­pable de vous dire ce que serait et ferait exac­te­ment cette chambre à majo­ri­té euros­cep­tique. Mais la logique vou­drait qu’elle refuse d’adopter une grande par­tie de la légis­la­tion enva­his­sante que pro­pose la Com­mis­sion en invo­quant sys­té­ma­ti­que­ment les prin­cipes de pro­por­tion­na­li­té et de sub­si­dia­ri­té aux­quels est consa­cré un pro­to­cole addi­tif au trai­té de Lis­bonne. Défendre l’autonomie des États et sabo­ter les pré­ten­tions fédé­ra­listes de l’Union devrait être le pre­mier sou­ci d’une telle chambre.

Sauf que la nou­veau­té des élec­tions euro­péennes de 2014, intro­duite par le trai­té de Lis­bonne, c’est que les têtes de liste des par­tis euro­péens sont désor­mais trans­na­tio­nales, dési­gnées au niveau de l’U­nion, et celle dont le par­ti sor­ti­ra pre­mier du scru­tin aura de grandes chances d’être élue, à la majo­ri­té abso­lue de la nou­velle chambre, à la tête de la Com­mis­sion euro­péenne. Le trai­té de Lis­bonne réa­lise-t-il ain­si l’as­pi­ra­tion que Jacques Delors expri­mait en 1990 – reje­tée avec vigueur par Mar­ga­ret That­cher à la Chambre des Com­munes, avec son fameux « No ! No ! No ! » – de créer un régime par­le­men­taire fédé­ral en Europe, où l’exé­cu­tif pro­cé­de­rait du légis­la­tif et serait res­pon­sable devant lui ?

Que le trai­té de Lis­bonne ait des pré­ten­tions consti­tu­tion­nelles n’a rien d’étonnant puisqu’il est la copie conforme du trai­té consti­tu­tion­nel que les Fran­çais avaient reje­té et que Nico­las Sar­ko­zy a cepen­dant fait rati­fier par les par­le­men­taires, de gauche et de droite, réunis pour contour­ner le ver­dict popu­laire. Le divorce ne peut que s’accroître entre des ins­ti­tu­tions à pré­ten­tion fédé­rale et des peuples rétifs à la supra­na­tio­na­li­té. Élire des listes anti-fédé­ra­listes aux euro­péennes est donc une bonne stra­té­gie pour essayer de tor­piller le sys­tème de l’intérieur.

Ces élec­tions euro­péennes, ins­tau­rées en 1979, ont eu pour voca­tion de démo­cra­ti­ser le fonc­tion­ne­ment de l’UE, en ins­tau­rant un corps repré­sen­ta­tif éma­nant direc­te­ment des citoyens des États-membres. Or l’i­dée même de « démo­cra­tie euro­péenne » est dis­cu­tée, notam­ment par la Cour consti­tu­tion­nelle de Karls­ruhe, en Alle­magne, qui, dans sa déci­sion du 30 juin 2009, estime qu’en l’ab­sence de peuple euro­péen, il ne sau­rait y avoir de démo­cra­tie euro­péenne pos­sible. Dépour­vue de demos, l’UE n’a-t-elle pas voca­tion à n’être qu’une orga­ni­sa­tion internationale ?

Je vous rap­pelle que le Conseil consti­tu­tion­nel lui-même a affir­mé clai­re­ment, dans sa déci­sion du 30 décembre 1976 (n°76–71 DC) rela­tive à l’élection au suf­frage uni­ver­sel direct de ceux que l’on appe­lait encore à l’époque les  « repré­sen­tants des peuples des États-membres des com­mu­nau­tés euro­péennes », qu’ « aucune dis­po­si­tion de nature consti­tu­tion­nelle n’autorise des trans­ferts de tout ou par­tie de la sou­ve­rai­ne­té natio­nale à quelque orga­ni­sa­tion inter­na­tio­nale que ce soit », que l’élection des euro­dé­pu­tés au suf­frage uni­ver­sel direct n’est pas « de nature à modi­fier la nature de cette assem­blée qui demeure com­po­sée de repré­sen­tants de cha­cun des peuples de ces États », que «  la sou­ve­rai­ne­té qui est défi­nie à l’article 3 de la Consti­tu­tion de la Répu­blique fran­çaise, tant dans son fon­de­ment que dans son exer­cice, ne peut être que natio­nale et que seuls peuvent être regar­dés comme par­ti­ci­pant à l’exercice de cette sou­ve­rai­ne­té les repré­sen­tants du peuple fran­çais élus dans le cadre des ins­ti­tu­tions de la Répu­blique ». Le Conseil conclut que « l’acte du 20 sep­tembre 1976 est rela­tif à l’élection des membres d’une assem­blée qui n’appartient pas à l’ordre ins­ti­tu­tion­nel de la Répu­blique fran­çaise et qui ne par­ti­cipe pas à l’exercice de la sou­ve­rai­ne­té natio­nale ». Dans sa déci­sion du 19 novembre 2004 (n° 2005–505 DC) rela­tive au trai­té consti­tu­tion­nel, il a encore rap­pe­lé que le par­le­ment euro­péen « n’est pas l’émanation de la sou­ve­rai­ne­té natio­nale ».

Il n’empêche que les révi­sions consti­tu­tion­nelles ad hoc aux­quelles nous pro­cé­dons avant la rati­fi­ca­tion de chaque nou­veau trai­té obs­cur­cissent la situa­tion juri­dique et que le Conseil est contraint de rédi­ger des moti­va­tions com­plexes. Dans la même déci­sion, après avoir consta­té que les sti­pu­la­tions du trai­té consti­tu­tion­nel concer­nant son entrée en vigueur, sa révi­sion et sa pos­si­bi­li­té de dénon­cia­tion lui conservent « le carac­tère d’un trai­té inter­na­tio­nal » et que sa déno­mi­na­tion (consti­tu­tion pour l’Europe) est « sans inci­dence sur l’existence de la consti­tu­tion fran­çaise et sa place au som­met de l’ordre juri­dique interne », il affirme cepen­dant que « l’article 88–1 de la Consti­tu­tion fran­çaise, issu de la révi­sion de 1992, consacre l’existence d’un ordre juri­dique com­mu­nau­taire inté­gré à l’ordre juri­dique interne et dis­tinct de l’ordre juri­dique inter­na­tio­nal ». C’est peu dire que le rai­son­ne­ment est confus et que sa cohé­rence laisse à dési­rer. La Consti­tu­tion fran­çaise reste donc au som­met d’un ordre juri­dique interne auquel un trai­té inter­na­tio­nal intègre cepen­dant un ordre juri­dique externe dis­tinct de l’ordre juri­dique inter­na­tio­nal mais dont les normes priment sur le droit interne ! Allez comprendre !

En tout état de cause, il eût fal­lu s’entendre effec­ti­ve­ment, depuis long­temps, sur le fait que l’Europe ne devait pas dépas­ser le stade d’une confé­dé­ra­tion et d’un mar­ché, mais nul n’a été capable d’arrêter le délire méga­lo­ma­niaque qui ins­pire cette machine infernale.

— À ce pro­pos, les évo­lu­tions récentes de la construc­tion euro­péenne laissent trans­pa­raître l’as­cen­dant qu’a l’Al­le­magne sur le fonc­tion­ne­ment pré­sent et futur de l’U­nion euro­péenne. Pour autant, avec la déci­sion de la Cour de Karls­ruhe men­tion­née plus haut, le juge consti­tu­tion­nel alle­mand a clai­re­ment iden­ti­fié les domaines où tout nou­vel appro­fon­dis­se­ment de l’in­té­gra­tion euro­péenne requer­rait préa­la­ble­ment une réforme sub­stan­tielle – et impro­bable – de la Loi fon­da­men­tale alle­mande. L’i­dée de construire les « États-Unis d’Eu­rope », si elle existe encore, est-elle vouée à mou­rir à Karlsruhe ?

Par rap­port au Conseil consti­tu­tion­nel fran­çais, la Cour consti­tu­tion­nelle de Karls­ruhe est obli­gée d’être beau­coup plus rigou­reuse car les jus­ti­ciables qui la sai­sissent pro­duisent des recours rédi­gés par des juristes poin­tus, dont les argu­ments ne peuvent être éva­cués par des pirouettes. En outre la Consti­tu­tion alle­mande consacre une forme de supra-consti­tu­tion­na­li­té inter­di­sant de révi­ser les prin­cipes posés à l’article 20, essen­tiel­le­ment le prin­cipe démo­cra­tique de sou­ve­rai­ne­té du peuple. La Cour est donc en effet condam­née à se mon­trer sévère et à déter­mi­ner un seuil au-delà duquel il ne serait plus pos­sible de ren­for­cer la supra­na­tio­na­li­té euro­péenne dans le cadre de la loi fon­da­men­tale existante.

Dès après sa réélec­tion, Ange­la Mer­kel annon­çait vou­loir une réforme des trai­tés euro­péens pour 2015, notam­ment en faveur d’un ren­for­ce­ment de la gou­ver­nance de la zone euro. David Came­ron a quant à lui ins­tau­ré une forme d’ul­ti­ma­tum à la réforme de l’U­nion euro­péenne en fixant à 2017 le réfé­ren­dum d’ap­par­te­nance du Royaume-Uni à l’UE. Fran­çois Hol­lande pré­fère, de son côté, jouer la montre. Face à ces aspi­ra­tions cen­tri­fuges des trois grandes puis­sances euro­péennes, quelles devraient être, selon vous, les prio­ri­tés d’une refonte de l’UE ?

Les aspi­ra­tions de Hol­lande et de Mer­kel ne me semblent pas « cen­tri­fuges », contrai­re­ment à celles de Came­ron. Je dois dire que nous devons une fière chan­delle aux conser­va­teurs bri­tan­niques et que je ne peux m’empêcher de pen­ser avec satis­fac­tion : « Mes­sieurs les Anglais, tirez-vous les pre­miers ! ». C’est aus­si à eux, et à la confé­rence de Brigh­ton qu’ils avaient convo­quée, que l’on doit le pro­to­cole n°15 à la Conven­tion euro­péenne de sau­ve­garde des droits de l’homme intro­dui­sant expres­sé­ment dans son pré­am­bule le res­pect du « prin­cipe de sub­si­dia­ri­té » et de la « marge natio­nale d’appréciation » que la Cour de Stras­bourg a une fâcheuse ten­dance à piétiner.

La prio­ri­té d’une refonte de l’Union consiste à chan­ger com­plè­te­ment le mode de défi­ni­tion des com­pé­tences de l’union en s’inspirant d’un modèle confé­dé­ral et d’une répar­ti­tion cen­tri­fuge et  sta­tique à l’américaine plu­tôt que d’une répar­ti­tion cen­tri­pète et dyna­mique à l’allemande. Il faut impé­ra­ti­ve­ment rena­tio­na­li­ser le pou­voir de déci­sion pour le repo­li­ti­ser et faire recu­ler cette hydre tech­no­cra­tique mani­pu­lée par des lobbies.

Mais les adver­saires d’une réforme de l’U­nion en faveur des États arguent sou­vent du carac­tère irré­ver­sible de la construc­tion euro­péenne. Le trai­té de Maas­tricht était d’ailleurs écrit dans cet esprit, alors que celui de Lis­bonne ouvre une brèche avec l’ar­ticle 50 du Trai­té sur l’U­nion euro­péenne (TUE) qui per­met le « retrait volon­taire » d’un État-membre de l’U­nion. Que l’on parle de rapa­trie­ment de com­pé­tences ou d’ « Europe à la carte » avec des coopé­ra­tions ren­for­cées entre cer­tains États, com­ment pour­rait-on concrè­te­ment, et juri­di­que­ment, mettre en œuvre cet éven­tuel détri­co­tage de l’UE actuelle ?

C’est d’une sim­pli­ci­té biblique ! Vous pre­nez les trai­tés actuels, vous ratu­rez par­tout et sur­tout vous réécri­vez les dis­po­si­tions essen­tielles défi­nis­sant les « objec­tifs » de l’Union en des termes filan­dreux et sans fin, car ce sont par­tout ces objec­tifs qui jus­ti­fient les com­pé­tences, ren­dant par là-même celles-ci illi­mi­tées. Il faut revoir tout cela « au kar­cher ». C’est très facile, il suf­fit de le vouloir.

À l’oc­ca­sion de l’a­dop­tion du pacte de sta­bi­li­té, vous aviez dénon­cé un texte qui, par le biais de la « règle d’or » bud­gé­taire que cer­tains vou­laient ins­crire dans la Consti­tu­tion, impor­tait en France la pré­fé­rence alle­mande pour la règle. Votre posi­tion se fon­dait alors sur les dif­fé­rences de nature qui existent entre les modèles consti­tu­tion­nels fran­çais et alle­mand ; ce der­nier étant cen­tré sur une Loi fon­da­men­tale pré­cise et, dans une cer­taine mesure, exhaus­tive. Quels risques cette ten­dance fait-elle cou­rir sur la lettre et l’es­prit de la Consti­tu­tion de la Ve Répu­blique, et sur l’é­qui­libre ins­ti­tu­tion­nel qu’elle consacre ?

Hélas, ce risque est depuis long­temps consom­mé. Voyez les révi­sions consti­tu­tion­nelles qui se sont accu­mu­lées depuis les années 1990 et qui ont mul­ti­plié les dis­po­si­tions lour­dingues et indi­gestes dont cer­taines incom­pré­hen­sibles avec des ren­vois à un arse­nal com­plé­men­taire de lois orga­niques et ordi­naires en cas­cade, c’est un ham­bur­ger juri­dique ins­pi­ré des façons de légi­fé­rer ger­ma­niques et euro­péennes. Ceci s’observe dans des révi­sions qui ne sont pour­tant pas direc­te­ment « com­man­dées » par l’Europe elle-même, comme celle de 2003 sur l’organisation décen­tra­li­sée (encore que la Charte euro­péenne de l’autonomie locale ait ins­pi­ré l’ensemble)  ou celle de 2008 sur la moder­ni­sa­tion des ins­ti­tu­tions.  C’est une mode, un tra­vers cala­mi­teux, une véri­table « addic­tion » à la norme, un « mal­droit »  que je com­pare volon­tiers à la « mal­bouffe » nutri­tion­nelle et qui débouche sur la même obé­si­té. Voyez la pro­po­si­tion de loi consti­tu­tion­nelle socia­liste sur la rati­fi­ca­tion de la Charte euro­péenne des langues régio­nales, c’est une par­faite cari­ca­ture de cette pathologie.

D’ailleurs, l’U­nion euro­péenne semble se construire et se légi­ti­mer par la norme jus­te­ment, que ce soit par l’or­tho­doxie bud­gé­taire dans la gou­ver­nance de la zone euro ou par l’in­fla­tion nor­ma­tive qui résulte de l’ac­ti­visme de la Com­mis­sion et du Par­le­ment. En quoi est-ce un pro­blème que le pro­jet euro­péen, à défaut d’a­voir un objec­tif et une forme clairs, repose au moins sur un appa­reil juri­dique « solide » ? 

Solide ? Ce n’est sûre­ment pas l’accumulation de normes tatillonnes, enva­his­santes et illé­gi­times qui rend un sys­tème juri­dique solide. Envoyez un obèse aux jeux olym­piques, vous allez voir son degré de per­for­mance et de compétitivité !

Certes. Mais dans le cas de la France, cette « impor­ta­tion » de la pré­fé­rence alle­mande pour la règle n’a-t-elle pas au moins l’in­té­rêt d’être un rem­part contre les erre­ments d’une classe poli­tique fran­çaise acca­pa­rée par la com­pé­ti­tion poli­ti­cienne, elle-même per­mise par diverses évo­lu­tions du régime de 1958 ?

Oh la-la ! Vous m’entraînez dans la socio­lo­gie poli­tique. Allez voir le der­nier film de Rober­to Ando « Viva la liber­tà » qui res­sasse l’éternel pro­blème de la classe poli­tique ita­lienne, sans tou­te­fois faire encore autre chose que de s’indigner et d’en appe­ler de façon incan­ta­toire à  la repo­li­ti­sa­tion et au réen­chan­te­ment… Les belles paroles et les leçons de morale ne suf­fisent pas à révo­lu­tion­ner les hommes et leurs mœurs ! Les Ita­liens comme les Fran­çais ont sûre­ment la classe poli­tique qu’ils méritent : elle est sans doute à leur image. Il n’y pas de socié­té poli­tique cor­rom­pue sans socié­té civile cor­rup­trice. Mais je ne pense pas  que la solu­tion à cette « catas­trophe » (selon le terme du film) consiste à accep­ter de se sou­mettre à la schlague alle­mande. Je n’oublierai jamais la lettre péremp­toire adres­sée en pleine crise finan­cière par le com­mis­saire euro­péen Olli Rehn à Guglio Tre­mon­ti (ministre ita­lien de l’é­co­no­mie et des finances de 2008 à 2011) et le priant de répondre « in english »…. L’horreur abso­lue, une gifle à la démo­cra­tie, mais Rome s’est cou­chée ! Et à quel ter­rible spec­tacle avons-nous assis­té lorsque le Pre­mier ministre grec a pro­po­sé d’organiser un réfé­ren­dum sur la mise sous tutelle de son pays… On venait tuer la démo­cra­tie à domi­cile ! Pierre-André Taguieff a écrit en 2001 sur l’Union une phrase dure mais vraie : «  L’Europe est un empire gou­ver­né par des super-oli­garques, caste d’imposteurs suprêmes célé­brant le culte de la démo­cra­tie après en avoir confis­qué le nom et inter­dit la pra­tique » (« Les ravages de la mon­dia­li­sa­tion heu­reuse », in Peut-on encore débattre en France ? Plon – Le Figa­ro, 2001).

Pour ter­mi­ner l’en­tre­tien et élar­gir le pro­pos, éloi­gnons-nous (quoique) de l’U­nion euro­péenne et par­lons du Conseil de l’Eu­rope, et de sa célèbre charte sur les langues régio­nales et mino­ri­taires. D’au­cuns décrient une atteinte d’une rare gra­vi­té contre le modèle répu­bli­cain fran­çais. Qu’en pensez-vous ?

Je ne peux que vous ren­voyer à mon article récem­ment publié dans Marianne le 31 jan­vier 2014. Mon point de vue est clair : cette charte et ses pro­mo­teurs sont anti-républicains.

Vous avez par­fois dénon­cé la dimen­sion anglo-saxonne qui tend à carac­té­ri­ser de plus en plus le droit euro­péen, incom­pa­tible selon vous avec le droit conti­nen­tal, et a for­tio­ri avec le droit répu­bli­cain fran­çais. En quoi consiste cette incom­pa­ti­bi­li­té ? Quelles consé­quences pro­duit cette dif­fé­rence de nature entre les dif­fé­rents droits appli­cables en France ?

Outre les vieilles dif­fé­rences de sys­tème juri­dique entre la com­mon law et le droit conti­nen­tal, il y a sur­tout une dif­fé­rence cultu­relle colos­sale entre le mul­ti­cul­tu­ra­lisme anglo-saxon et le modèle répu­bli­cain fran­çais. Lorsque nous orga­ni­sons des col­loques juri­diques com­muns entre l’u­ni­ver­si­té de Rennes 1, celle de Lou­vain-la-Neuve en Bel­gique et celle d’Ot­ta­wa, au Cana­da, je me rends compte que nous sommes tous fran­co­phones mais que les Belges et les Cana­diens ne rai­sonnent pas comme nous. C’est frap­pant. Tous les conflits qui tra­versent actuel­le­ment la socié­té fran­çaise résultent de cette confron­ta­tion entre le modèle répu­bli­cain et le mul­ti­cul­tu­ra­lisme (fémi­nisme com­pris) anglo-saxon. Et vous remar­que­rez que tous ces conflits atter­rissent dans la Consti­tu­tion puisque c’est elle qui fonde notre contrat social et notre « tra­di­tion répu­bli­caine » (cf. révi­sions sur la Nou­velle-Calé­do­nie, l’organisation décen­tra­li­sée ver­sion fédé­ra­lisme asy­mé­trique, pari­té, Europe, langues régio­nales, etc …). C’est incon­tes­ta­ble­ment notre « iden­ti­té consti­tu­tion­nelle » qui est en jeu.

Vous avez men­tion­né plus tôt la Cour euro­péenne des Droits de l’Homme, par­lons-en. Ses juges sont répu­tés pour les contro­verses poli­tiques que créent leurs juge­ments dans cer­tains États, et plus géné­ra­le­ment pour l’in­ter­pré­ta­tion exten­sive qu’ils auraient de leur office. La jus­tice ayant pour but de faire appli­quer les lois qu’une socié­té se donne, et en l’ab­sence de socié­té euro­péenne, quelle est la légi­ti­mi­té d’une jus­tice euro­péenne s’ap­pli­quant uni­for­mé­ment à des pays de cultures et de tra­di­tions dif­fé­rentes ? Quelle place et quel cré­dit accor­der à la supra­na­tio­na­li­té normative ?

Vous savez, Jean Foyer, quand il était garde des sceaux du géné­ral de Gaulle, avait com­pris que si le texte de la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme ne sou­le­vait aucune objec­tion en lui-même, c’est l’existence d’une Cour char­gée de l’interpréter qui allait poser de graves pro­blèmes de sou­ve­rai­ne­té. Il avait donc mis le géné­ral de Gaulle en garde contre le risque qu’il y avait à pla­cer ain­si la France sous tutelle de juges euro­péens. Au Conseil des ministres sui­vant, après que Couve de Mur­ville eut expo­sé l’intérêt de rati­fier la Conven­tion, le Géné­ral conclut, en s’adressant à son garde des Sceaux : « J’ai lu votre note. Vous m’avez convain­cu. La Conven­tion ne sera pas rati­fiée. La séance est levée ». Il lui avait pré­cé­dem­ment ensei­gné : « Sou­ve­nez-vous de ceci : il y a d’abord la France, ensuite l’État, enfin, autant que les inté­rêts majeurs des deux sont sau­ve­gar­dés, le droit ». Et il avait rai­son. Le droit n’est légi­time que s’il tra­duit la volon­té popu­laire, la « supra­na­tio­na­li­té » nor­ma­tive n’est évi­dem­ment pas légi­time dès lors qu’elle échappe au contrôle des repré­sen­tants de la nation.

Source : http://​www​.cercle​-poin​care​.com/​2​0​1​4​/​0​3​/​e​n​t​r​e​t​i​e​n​-​a​v​e​c​-​a​n​n​e​-​m​a​r​i​e​-​l​e​-​p​o​u​r​h​i​e​t​.​h​tml

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5 Commentaires

  1. Ana Sailland

    Par­don­nez moi un peu d’au­to­pub, mais un ami ayant inté­gré cette page dans sa signa­ture auto­ma­tique, je redé­couvre un tra­vail déjà un peu ancien :

    Page 10 du livret « de la dette, indi­gnons nous » chez Yves Michel ->

    ////////////////////////////////////////////////////////////////

    Sont confis­qués : l’espoir et le choix

    En effet :

    Le capi­ta­lisme et le libé­ra­lisme se sont unis naguère pour enfan­ter ensemble d’une force démen­tielle, auto­nome, libre. 

    Indé­pen­dante de toute conscience, elle se nour­rit de ses « res­sources humaines » ;
    force impla­cable, elle s’avance, géné­ti­que­ment pro­gram­mée par l’unique ambi­tion de croître et se for­ti­fier, sans frein ni limite, et cela quel que soit le prix à payer pour l’humanité, l’air, l’eau, la vie et la Terre.

    L’être humain doit se dres­ser face à cette force .

    L’être humain doit se réap­pro­prier son libre arbitre.

    Nous, indi­gnés du Pâquier, appe­lons donc tous les citoyens, et toutes les citoyennes, et tous les habi­tants de France, ou d’ailleurs, à prendre conscience, puis à s’indigner à leur tour, puis à s’engager.

    Nous les appe­lons tous à rejoindre les rangs de la contestation,
    nous les appe­lons tous à rejoindre les rangs de la résistance,
    nous les appe­lons tous à rejoindre les rangs de la création.

    Car « résis­ter c’est créer, créer c’est résister ».

    Réponse
  2. Ana Sailland

    Le mot héré­sie est un mot mis à l’en­vers … par l’inquisition.

    Il vient du grec αἵρεσις et signi­fie « choix »

    Le choix nous est encore inter­dit, par nos institutions.

    Osons être hérétiques 😉

    Réponse
  3. 222

    Il faut s’at­ta­quer (dans le sens ‘bous­cu­ler’, ‘remettre en cause’/Cause) à Dieu pour « mécham­ment » inter­pel­ler les consciences et ces schèmes men­taux, tous ces for­ma­tages cultu­rels de toutes sortes… et, bien sûr, dépos­sé­der la Tech­no­lo­gie et la Science de leur pré­ro­ga­tive et puis­sance actuelles : j’en ai rien à cirer qu’il existe une vie extra­ter­restre ou qu’il soit à ce point ‘capi­tal’ (futé le double sens ^^) d’en­voyer des robots voir des astro­nautes sur telle ou telle planète !…

    Mon « choix », oui, contre la Croix sata­nique à laquelle Jésus est asso­cié, pour le pire et pas vrai­ment pour le meilleur, Fille de l’E­glise de mes deux, tant de morts et tant de capi­ta­li­sa­tions au compteur !

    EFFAB

    Réponse
    • Ana Sailland

      La fron­tière est ténue entre dénon­cer et blesser.

      Réponse
    • 222

      Je te ras­sure, de la pro­voque assu­mée à ce pro­fond res­pect qui m’a­nime, il n’y a là de ma part que bien­veillance et juste mesure, ma volon­té étant l’é­gale de cette Cause, ni plus ni moins.
      Affectueusement
      EFFAB

      Réponse

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