Un formidable discours contre la prétendue « Union européenne », signalé plusieurs fois depuis des années sur les pages du Plan C, n’ayant pas pris une ride depuis 1992, celui de Philippe Séguin devant l’Assemblée nationale juste avant la tromperie de Maastricht :
http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/revision5_philippeseguin_Maastricht.asp
httpv://www.youtube.com/watch?v=_oN-DxnGPZQ
Discours prononcé par Philippe Séguin
le 5 mai 1992
Transferts de compétences nécessaires à l’établissement de l’Union économique et monétaire européenne (en vue de l’application du traité de Maastricht)
(exception d’irrecevabilité en application de l’article 91, alinéa 4, du Règlement)
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais croire que nous sommes tous d’accord au moins sur un point : l’exceptionnelle importance, l’importance fondamentale du choix auquel nous sommes confrontés, et, ce disant, je n’ai pas l’impression de me payer de mots !
C’est en tout cas avec gravité que je viens inviter cette assemblée à opposer l’exception d’irrecevabilité au projet de loi constitutionnelle que le Gouvernement nous présente comme préalable à la ratification des accords de Maastricht négociés le 10 décembre 1991 par les chefs d’État et de gouvernement des pays membres des communautés européennes et signés le 7 février dernier.
Mon irrecevabilité se fonde sur le fait que le projet de loi viole, de façon flagrante, le principe en vertu duquel la souveraineté nationale est inaliénable et imprescriptible, ainsi que le principe de la séparation des pouvoirs, en dehors duquel une société doit être considérée comme dépourvue de Constitution.
il existe en effet, au-dessus même de la charte constitutionnelle, des droits naturels, inaliénables et sacrés, à savoir pour nous les droits de l’homme et du citoyen tels qu’Ils ont été définis par la Déclaration de 1789. Et quand l’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 rappelle que « La souveraineté nationale appartient au peuple », il ne fait que reconnaître le pacte originel qui est, depuis plus de deux cents ans, le fondement de notre État de droit. Nulle assemblée ne saurait donc accepter de violer délibérément ce pacte fondamental.
La question de la séparation des pouvoirs se pose dans les mêmes termes. Aucune assemblée n’a compétence pour se dessaisir de son pouvoir législatif par une loi d’habilitation générale, dépourvue de toute condition précise quant à sa durée et à sa finalité. A fortiori, aucune assemblée ne peut déléguer un pouvoir qu’elle n’exerce qu’au nom du peuple. Or, le projet de loi qui nous est soumis comporte bien une habilitation d’une généralité telle qu’elle peut être assimilée à un blanc-seing.
Et nous voilà confrontés à une situation tout à fait extraordinaire dans notre histoire constitutionnelle puisque, pour la première fois, on demande au Parlement de constitutionnaliser par avance des textes qui n’existent pas encore et qui, pour la plupart, ne seront même pas soumis à ratification dès lors qu’il s’agira de normes communautaires directement applicables. On demande donc au Parlement, qui n’en a pas le droit, rien de moins que d’abandonner sa compétence législative aux organes communautaires chaque fois que ceux-ci le jugeront nécessaire pour l’application du traité.
Ayant fait référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, violée deux fois par le projet de loi, je pourrais considérer ma tâche comme accomplie. Néanmoins, tout en conservant présente à l’esprit cette observation préalable qui sous-entend tout mon propos, j’entends traiter le sujet en ne négligeant aucune de ses composantes. Ce n’est pas mon fait si le débat constitutionnel et le débat sur l’avenir européen sont étroitement imbriqués, le projet de révision venant avant le projet de ratification. Alors, autant en convenir déjà entre nous – et vous l’avez déjà fait implicitement cet après-midi, messieurs les ministres : il n’y a en vérité qu’un seul débat qui ne peut être découpé en tranches successives. Et comme ce débat sera clos dès lors que nous nous serons prononcés sur le projet de révision constitutionnelle, autant l’entamer tout de suite et dans sa totalité.
De même, et sans vouloir verser dans un manichéisme que je réprouve, il nous faut également convenir qu’il n’y a rien à amender. Plutôt que de procéder à un toilettage minutieux de nombreuses dispositions constitutionnelles, vous avez préféré pratiquer une sorte de « lessivage à grande eau ». A ce qui aurait pu passer pour une naïveté coupable, vous avez ainsi préféré le risque de l’astuce. Il est vrai que sinon vous auriez été contraints de modifier neuf articles au moins du texte constitutionnel, dont certains sont particulièrement sensibles et symboliques. Vous auriez été contraints, de surcroît et en toute logique, de déconstitutionnaliser la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Vous avez reculé, et l’on vous comprend, au point d’ailleurs d’esquiver vos responsabilités dans la dénomination même du projet qui nous est soumis. Il ne s’agit même pas, si je m’en tiens à son libellé, d’un projet de loi de révision, mais d’un projet de loi constitutionnelle ajoutant à la Constitution un titre supplémentaire.
Je ne peux évidemment applaudir à cette démarche, mais je reconnais que cela ne change rien au fond. Je vous concéderai même que ce blanc-seing que vous sollicitez est en cohérence avec les perspectives que vous ouvrez. Je vous rejoins donc quand vous affirmez que Maastricht n’est pas renégociable et on ne changera pas le traité par le biais d’une manipulation constitutionnelle.
Toutes les garanties, précisions, corrections, conditions dont on nous parle relèvent, à mes yeux, de l’illusion. La révision, la ratification, c’est à prendre ou à laisser.
C’est assez dire qu’il ne m’est pas possible de séparer l’appréciation constitutionnelle de l’analyse critique des accords. Dès lors que l’on nous demande de changer la Constitution dans le seul but de ratifier le traité de Maastricht, nous ne pouvons nous prononcer sur la réforme constitutionnelle sans mesurer à quoi nous engage ce traité.
Ce faisant, je me plie – je n’ai guère le choix – à la procédure, à la méthode, imposée par le Président de la République. L’inconstitutionnalité que je soulève est, du reste, inséparable du regret que suscite en moi le non-recours à l’article 11 de la Constitution qui impliquait le référendum direct.
Allez dire à d’autres, messieurs les ministres, pour justifier ces habiletés tactiques, que la procédure de l’article 89 rend sa dignité au Parlement ! Convenez que l’argument est plutôt singulier au moment où l’on nous demande de diminuer encore son pouvoir réel ! (applaudissements)
Je le proclame donc d’emblée : dès lors que l’entrée de la France dans l’Europe de Maastricht constitue bien l’acte historique qu’a évoqué le Président de la République, il serait normal, nécessaire, légitime, indispensable que la parole soit donnée au peuple..) Non point que je conteste la légitimité de cette assemblée. Je ne me suis pas associé au chœur de ceux qui, il y a quelques semaines, ne trouvaient pas de mots assez durs pour l’abaisser, pour réclamer sa dissolution, voire proposer son auto-dissolution.
Je constate d’ailleurs la contradiction dans laquelle s’enferment aujourd’hui nombre d’entre eux en se refusant à l’idée d’un référendum.
Ce que je veux seulement dire c’est que le recours à la voie parlementaire est contraire à l’esprit de notre pacte social car ce que le peuple fait, seul le peuple peut le défaire.
En outre, c’est une faute politique lourde que de refuser de donner à un engagement aussi grave la sacralisation dont il a besoin. Et ne changerait rien’ l’affaire la manœuvre qui consisterait, ultérieurement, à ne faire ratifier par le peuple que ce que le Parlement aurait déjà décidé.
Non, foin d’arguties ! Il me faut dire avec beaucoup d’autres, au nom de beaucoup d’autres, qu’il est bien temps de saisir notre peuple de la question européenne. Car voilà maintenant trente-cinq ans que le traité de Rome a été signé et que d’Acte unique en règlements, de règlement en directives, de directives en jurisprudence, la construction européenne se fait sans les peuples, qu’elle se fait en catimini, dans le secret des cabinets, dans la pénombre des commissions, dans le clair-obscur des cours de justice.
Voilà trente-cinq ans que toute une oligarchie d’experts, de juges, de fonctionnaires, de gouvernants prend, au nom des peuples, sans en avoir reçu mandat des décisions dont une formidable conspiration du silence dissimule les enjeux et minimise lei conséquences. Que l’on m’entende bien : je ne viens ici donner de leçon à personne ; mais que l’on veuille bien, en retour, respecter ma propre démarche ! Je me serais d’ailleurs bien passé d’être là. Il eût mieux valu, à l’évidence, que des voix plus fortes que la mienne engagent le combat.
Elles ne l’ont pas souhaité, je me garderai de les juger. Je me contente de faire et d’assumer un autre choix. Ce n’est pas si facile.
A la décharge des absents, je reconnais bien volontiers que le conformisme ambiant, pour ne pas dire le véritable terrorisme intellectuel qui règne aujourd’hui, disqualifie par avance quiconque n’adhère pas à la nouvelle croyance, et l’expose littéralement à l’invective. Qui veut se démarquer du culte fédéral est aussitôt tenu par les faiseurs d’opinion (…) au mieux pour un contempteur de la modernité, un nostalgique ou un primaire, au pire pour un nationaliste forcené tout prêt à renvoyer l’Europe aux vieux démons qui ont si souvent fait son malheur.
Mais il est des moments où ce qui est en cause est tellement important que tout doit s’effacer. Et je ne parle pas ici au nom d’une France contre l’autre, car dès lors qu’il s’agit de la France, de la République et de la démocratie, il ne peut plus être question de la droite et de la gauche, l’enjeu, au. delà des partis, des clivages les plus naturels, des oppositions les plus légitimes, des querelles les plus anciennes, n’est rien de moins que notre communauté de destin. Et cette communauté de destin est gravement mise en péril par les accords, alors que ceux-ci ne sont ni la condition de la prospérité, ni la condition de la paix. Dans le monde tel qu’il est, l’idéal comme le réalisme commandaient de faire prévaloir une tout autre conception de l’Europe, voilà ce que je voudrais maintenant développer devant vous.
Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, que l’on ne s’y trompe pas, la logique du processus de l’engrenage économique et politique mis au point à Maastricht est celle d’un fédéralisme au rabais fondamentalement anti-démocratique, faussement libéral et résolument technocratique. L’Europe qu’on nous propose n’est ni libre, ni juste, ni efficace. Elle enterre la conception de la souveraineté nationale et les grands principes issus de la Révolution : 1992 est littéralement l’anti-1789. Beau cadeau d’anniversaire que lui font, pour ses 200 ans, les pharisiens de cette République qu’ils encensent dans leurs discours et risquent de ruiner par leurs actes !
Je sais bien que l’on veut à tout prix minimiser les enjeux et nous faire croire que nous ne cédons rien d’essentiel en ce qui concerne notre indépendance ! Il est de bon ton, aujourd’hui, de disserter à l’infini sur la signification même du concept de souveraineté, de le décomposer en menus morceaux, d’affirmer qu’il admet de multiples exceptions, que la souveraineté monétaire, ce n’est pas du tout la même chose que l’identité collective, laquelle ne courrait aucun risque. Ou encore que l’impôt, la défense, les affaires étrangères, au fond, ne jouent qu’un rôle relatif dans l’exercice de la souveraineté,
Toutes ces arguties n’ont en réalité qu’un but : vider de sa signification ce mot gênant pour qu’il n’en soit plus question dans le débat.
La méthode est habile. En présentant chaque abandon parcellaire comme n’étant pas en soi décisif, on peut se permettre d’abandonner un à un les attributs de la souveraineté sans jamais convenir qu’on vise à la détruire dans son ensemble.
Le procédé n’est pas nouveau. Il y a 2500 ans déjà, de demi-longueur en demi-longueur, Achille se rapprochait en courant de la tortue de Zénon sans jamais la rattraper.., Seulement, ce n’est là que paradoxe. Dans la réalité, Achille gagne bel et bien la course ; de même, à force de renoncements, aussi ténu que soit chacun d’eux, on va bel et bien finir par vider la souveraineté de son contenu. Car il s’agit là d’une notion globale, indivisible comme un nombre premier. On est souverain ou on ne l’est pas ! Mais on ne l’est jamais à demi. Par essence, la souveraineté est un absolu qui exclut toute idée de subordination et de compromission. Un peuple souverain n’a de comptes à rendre à personne et n’a, vis-à-vis des autres, que les devoirs et les obligations qu’il choisit librement de s’imposer à lui-même.
Souvenez-vous du cri de Chateaubriand à la tribune de la Chambre, en 1816 : « Si l’Europe civilisée voulait m’imposer la charte, j’irais vivre à Constantinople. »
La souveraineté, cela ne se divise pas ni ne se partage et, bien sûr, cela ne se limite pas.
Rappelons-nous d’ailleurs, pour avoir un exemple plus récent de ce que vous appelez de vos vœux, ce que put signifier pendant « le printemps de Prague » la doctrine de la souveraineté limité, tant il est vrai que la « souveraineté divisée », « la souveraineté partagée », « la souveraineté limitée » sont autant d’expressions pour signifier qu’il n’y a plus du tout de souveraineté ! Et, de fait, quand on accepte de prendre des décisions à la majorité sur des questions cruciales, et dès lors que ces décisions s’imposent à tous sans pouvoir jamais être remises en cause ultérieurement à l’échelon national, on passe clairement de la concertation à l’intégration. Aussi, quand on nous dit que les accords de Maastricht organisent une union d’États fondée sur la coopération intergouvernementale, on travestit délibérément la réalité. Tout au contraire, ces accords visent à rendre inapplicable le droit de veto et à créer des mécanismes qui échappent totalement aux États.
En fait, ce traité est un « anti-compromis » de Luxembourg en tant qu’il interdit, non seulement aux parlements nationaux mais aussi aux gouvernements, de faire prévaloir l’intérêt national quand il est en cause puisque chacun s’engage à éviter autant que possible d’empêcher qu’il y ait unanimité lorsqu’une majorité qualifiée est favorable à la décision.
Cela est vrai pour la politique monétaire et pour la politique sociale. Mais cela le sera aussi pour la politique étrangère et la politique de défense. D’ailleurs, vous nous l’avez rappelé, monsieur le ministre, les pays membres prennent eux-mêmes l’engagement de ne défendre que des positions communes au sein des organisations internationales, et cet engagement vaut aussi pour la France et le Royaume-Uni en leur qualité de membres permanents du Conseil de sécurité de l’O.N.U. : cette situation, contraire aux dispositions de la charte, plusieurs de nos partenaires l’interprètent déjà, nous le savons, comme une transition vers le transfert de ces deux sièges à la Communauté.
Tout ce dispositif est donc fort peu respectueux de la souveraineté des États membres tant en ce qui concerne la nature des règles de décisions que le caractère irréversible des transferts de pouvoirs envisagés.
Cessons donc de tricher, de dissimuler, de jouer sur les mots, de multiplier les sophismes. L’alternative est claire : nous devons conserver notre souveraineté ou y renoncer.
Il est temps de nous demander comment nous en sommes arrivés à considérer cette question, incongrue il y a quelques mois encore, comme presque banale, comment nous en sommes arrivés à considérer la rupture de notre pacte social sinon comme normale, du moins comme nécessaire.
Évidemment, et aujourd’hui encore, on s’échine à nous persuader qu’il n’y a là rien de nouveau. Rien de nouveau peut-être dans les arrière-pensées, mais nouveauté radicale par rapport aux engagements que nous avions pris jusqu’ici et qui étaient d’une tout autre nature.
Mettons à part le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, qui, au lendemain de la guerre, était tout imprégné d’une idéologie dirigiste et planificatrice, et qui s’est d’ailleurs soldé par un échec total, si l’on en juge par ce qui reste aujourd’hui de la sidérurgie européenne !
Hormis donc le traité instituant le CECA, on pouvait considérer, avant le sommet de Maastricht, que nous n’avions pas ratifié beaucoup plus que des accords de coopération et de libre-échange. D’ailleurs, dix-huit mois après la signature du traité de Rome, les constituants de 1958 ont pu souligner et consacrer la plénitude de la souveraineté nationale. Et ils ne l’ont pas fait pas inadvertance, comme a paru le suggérer M. Mitterrand, ou par négligence, comme a cru devoir le supposer M. le garde des sceaux.
Faut-il rappeler, en effet, que le Traité de Rome ne mentionne que deux politiques communes dont l’une, celle des transports, n’a jamais vu le jour, tandis que l’autre, la politique agricole commune, ne fonctionnait que par consensus depuis que le compromis de Luxembourg avait mis fin – provisoirement – à toute tentation supranationale ? Instaurer un marché commun, puis un marché unique, voilà tout ce à quoi la France s’était engagée, et il n’y aurait rien eu à redire concernant ces engagements-là, si ne s’était développé peu à peu, à force de règlements, de décisions et de directives, tout un droit communautaire dérivé, sans aucun rapport avec les objectifs fixés par les traités.
De toute évidence se posait un problème d’interprétation des textes, devenant de plus en plus grave au fur et à mesure que la connivence de la Commission, du juge européen et des juges nationaux en venait à imposer aux pays membres la suprématie des textes communautaires.
L’exemple de l’Acte unique est, à cet égard, tout à fait révélateur. Ce traité déclare, en effet, que seront prises à la majorité toutes les mesures d’harmonisation nécessaires à la réalisation du marché unique, exception faite des mesures fiscales. A priori, cela n’engage à aucun véritable transfert de souveraineté, si l’on veut bien considérer qu’un marché unique n’est pas un espace économique uniforme et qu’il n’est pas besoin de nombreuses mesures d’harmonisation pour faire jouer convenablement la concurrence entre les pays membres, soumis au principe de reconnaissance mutuelle des réglementations. Mais il a suffi que la Commission, disposant de l’initiative des textes, décide que la réalisation du marché unique nécessitait l’adoption de trois cents directives d’harmonisation pour que celles-ci soient adoptées à la majorité sans qu’aucun recours ait pu être opposé à cette qualification arbitraire, la Cour de justice des Communautés étant elle-même convertie sans réserve à l’idéologie fédéraliste.
C’est ainsi que, dans les faits, notre engagement initial se révèle désormais bien plus contraignant que ce qui ressortait de la lettre du traité.
Pour autant, ce n’est quand même, là encore, qu’un problème d’interprétation, pour lequel on pourrait théoriquement trouver une solution constitutionnelle qui s’impose aux juges.
Ce n’est plus du tout le cas avec les accords de Maastricht, qui ne souffrent d’aucune ambiguïté. On connaît l’argument : il nous faut faire l’Europe, donc il nous faut concéder une partie de notre souveraineté. Comme si cette relation causale allait de soi ! Comme si le respect des souverainetés interdisait la coopération, l’ouverture, la solidarité ! Comme si les États souverains en étaient fatalement réduits à un splendide isolement et condamnés à une politique frileuse de repliement sur soi !
C’est oublier que, si cela lui parait nécessaire, un État peut souverainement décider de déléguer des compétences ou les exercer en commun avec d’autres. La querelle n’est pas purement sémantique. C’est une chose, en effet, que de déléguer temporairement un pouvoir susceptible d’être récupéré lorsque la délégation n’est plus conforme à l’intérêt national ou ne répond plus aux exigences du moment. C’est tout autre chose que d’opérer un transfert sans retour pouvant contraindre un État à appliquer une politique contraire à ses intérêts et à ses choix.
La coopération, la concertation, même quand elles sont poussées très loin, s’accommodent très bien du droit de veto. On peut même dire que le veto est le meilleur stimulant de la concertation puisqu’il oblige à prolonger la négociation jusqu’au consentement général des États. C’est d’ailleurs sur cette philosophie qu’était fondé, j’y reviens, le fameux compromis de Luxembourg, que après la politique de la chaise vide, de Gaulle imposa à nos partenaires et qui n’a pas empêché, bien au contraire, le développement d’une politique agricole commune.
On pourra toujours objecter bien sûr que tout cela n’est pas très important puisque les traités ne sont jamais eux-mêmes totalement irréversibles et que, le cas échéant, chaque pays membre pourra toujours les dénoncer en bloc. Les choses ne sont pas si simples.
D’abord parce que, vérification faite, le traité ne prévoit ni sécession ni retrait. C’est même la première fois qu’un traité est ainsi marqué par la notion d’irréversibilité, et on ne sait que trop ce qu’il en est dans les systèmes où les États fédérés gardent pourtant, théoriquement, le droit de quitter la fédération. On sait comment aux États-Unis les États du Nord ont interprété ce droit quand les États du Sud ont voulu faire sécession. On sait aussi ce que celui-ci signifiait dans la Constitution soviétique. On sait ce qu’il veut dire en Yougoslavie. Et quand bien même les perspectives seraient, en l’occurrence, moins dramatiques, la question se pose de savoir si nous ne sommes pas en train de créer une situation dans laquelle la dénonciation en bloc des traités va devenir si malaisée et si coûteuse qu’elle ne sera bientôt plus qu’un solution illusoire.
Il ne faut pas rêver. Sans monnaie, demain, sans défense, sans diplomatie, peut-être, après-demain, la France, au mieux, n’aurait pas plus de marge de manœuvre que n’en ont aujourd’hui l’Ukraine et l’Azerbaïdjan.
Certains s’en accommodent. Quant à moi, Ce n’est pas l’avenir que je souhaite à mon pays. D’ailleurs, les tenants de la marche vers le fédéralisme ne cachent pas leur dessein. Ils veulent bel et bien, et ils le disent, que les progrès du fédéralisme soient sans retour en droit et, surtout, en pratique, et force est de constater que nous voilà d’ores et déjà pris dans un redoutable engrenage. Depuis que la règle de la majorité s’applique de plus en plus largement dans les prises de décision du Conseil européen et que les jurisprudences convergentes de la Cour de cassation et du Conseil d’État admettent que les traités et le droit communautaire qui en est dérivé bénéficient d’une primauté absolue sur nos lois nationales, le Gouvernement, dès lors qu’il est en minorité au Conseil, non plus que le Parlement français, n’a plus son mot à dire pour infléchir les règles communautaires jugées inacceptables pour la France.
Songez que le juge administratif n’éprouve plus aucune gêne à décider qu’un ministre commet une infraction en prenant un arrêté conforme à une loi nationale dès lors que cette loi est contraire à une directive communautaire, même si la loi est postérieure. L’administration peut même, à ce titre, se voir condamnée à verser des dommages et intérêts. Où allons-nous ?
Où allons-nous si le juge, tout en déclarant qu’il ne veut pas censurer la loi, s’arroge le droit de la rendre inopposable ou inapplicable ? La République, ce n’est pas une justice aux ordres : mais ce n’est pas non plus le gouvernement des juges, a fortiori quand il s’agit de juges européens qui font parler l’esprit des traités !
Bientôt, pourtant, comme nous l’a annoncé M. Delors, au moins 80 p. 100 de notre droit interne sera d’origine communautaire, et le juge ne laissera plus d’autre choix au législateur que le tout ou rien : ou se soumettre totalement ou dénoncer unilatéralement et en bloc des traités de plus en plus contraignants.
Bref, quand, du fait de l’application des accords de Maastricht, notamment en ce qui concerne la monnaie unique, le coût de la dénonciation sera devenu exorbitant, le piège sera refermé et, demain, aucune majorité parlementaire, quelles que soient les circonstances, ne pourra raisonnablement revenir sur ce qui aura été fait.
Craignons alors que, pour finir, les sentiments nationaux, à force d’être étouffés, ne s’exacerbent jusqu’à se muer en nationalismes et ne conduisent l’Europe, une fois encore, au bord de graves difficultés, car rien n’est plus dangereux qu’une nation trop longtemps frustrée de la souveraineté par laquelle s’exprime sa liberté, c’est-à-dire son droit imprescriptible à choisir son destin.
On ne joue pas impunément avec les peuples et leur histoire. Toutes les chimères politiques sont appelées un jour ou l’autre à se briser sur les réalités historiques. La Russie a bel et bien fini par boire le communisme comme un buvard parce que la Russie avait plus de consistance historique que le communisme, mais à quel prix ?
Alors, si nous organisons l’Europe, organisons-la à partir des réalités. Et les réalités, en Europe, ce sont toutes les nationalités qui la composent.
Comment allons-nous articuler la construction de l’Europe avec ces données de faits qui plongent si profond dans le passé et dans l’inconscient collectif ? Comment allons-nous bâtir un système de coopération assurant la paix et la prospérité sans négliger ces réalités nationales dont les mouvements ne nous paraissent parfois imperceptibles que parce qu’ils appartiennent à la très longue durée ? Voilà qui devrait tout naturellement être l’objet d’un vrai et grand débat public.
Mais, constatons-le, Ce débat ne s’engage pas vraiment. On se contente de faire dans l’incantation : « c’est beau, c’est grand, c’est généreux, Maastricht ! Ou dans la menace à peine voilée – Maastricht ou le chaos ! Si vous ne votez pas Maastricht, vous ne serez jamais ministre ! » L’opinion est d’autant plus décontenancée qu’elle sent bien qu’on fait souvent silence pour de simples raisons d’immédiate opportunité et qu’elle assiste à de surprenants chassés-croisés. Les idéologues de la reconquête du marché intérieur se font les chantres de la monnaie unique. Les tenants de la relance et autres théoriciens de l’autre politique économique expliquent doctement qu’il n’existe pas d’alternative à Maastricht. Sans parler de ceux qui nous ont expliqué tour à tour que Maastricht était parfaitement conforme à la Constitution, puis que la ratification imposait la révision de celle-ci : que Maastricht était l’acte le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale, puisqu’il n’était jamais que le prolongement du Traité de Rome et de l’Acte unique… Tout se passe en réalité comme si personne n’avait vraiment envie de débat.
Bien sûr, on peut toujours prétendre – on commence à le faire çà et là – que la question est beaucoup trop technique pour être valablement abordée lors d’un débat public, dans un climat passionnel, à un moment dans la conjoncture qui ne s’y prêtent pas et devant des électeurs dont il est avantageux de postuler l’incompétence. Curieuse conception de la démocratie derrière laquelle, une fois de plus, se profilent la méfiance du suffrage universel, celle du peuple souverain et le dépérissement de la République.
D’autant que la construction européenne n’est pas du tout, par nature, un problème technique. C’est par tactique que, depuis l’échec de la C.E.D. en 1954, les idéologues du fédéralisme et les eurocrates cherchent à dissimuler leur dessein politique sous le manteau de la technique.
Il est vrai qu’ils n’y ont pas si mal réussi jusqu’à présent. Mais jusqu’où est-il permis d’imposer au peuple, sous couvert de technicité, des choix politiques majeurs qui relèvent de lui et de lui seul ? Jusqu’où la dissimulation peut-elle être l’instrument d’une politique ? Il serait indécent et dangereux d’aller plus loin.
Le moment est venu de regarder en face la vraie nature des choses qui n’est pas technique mais politique, et de dire ouvertement, franchement, honnêtement, quels sont les enjeux. Il est temps que ce débat ait lieu. Il est temps de montrer aux Français qu’il y a plusieurs voies possibles et qu’ils ont le choix. Il est temps de leur montrer qu’on les mène vers une impasse et que l’espérance est ailleurs — selon moi du côté de la nation qui est la leur.
Qu’on le veuille ou non, en effet, c’est l’idée qu’on se fait de la nation qui commande l’idée qu’on se fait de l’Europe. C’est pourtant une attitude fort répandue que de marteler le thème de l’Europe sans jamais même effleurer celui de la nation, comme si celle-ci n’était nullement en cause. Il est tellement plus commode de rester dans le flou, dans l’implicite ou le non-dit…
C’est, bien sûr, ce principe d’extrême prudence politique qui a conduit les auteurs du traité de Maastricht à gommer de leur texte le mot « fédéral », Pourtant, cela ne change rien à la chose, car ce qui compte dans un traité, c’est son esprit, ce sont les mécanismes qu’il met en place. Et vous-même, monsieur Dumas, avec la franchise qui vous caractérise, vous l’aviez reconnu ici même, sans détour : cette Europe est à finalité fédérale.
Pourtant, j’en conviens volontiers, ce qu’on nous propose aujourd’hui ce n’est pas le fédéralisme au sens où on l’entend quand on parle des États-unis ou du Canada. C’est bien pire, parce que c’est un fédéralisme au rabais !
On ferait vraiment beaucoup d’honneur au traité en affirmant, sans autre précaution, qu’il est d’essence fédérale. Il ne comporte même pas, en effet — ce serait, après tout, un moindre mal — les garanties du fédéralisme.
Car le pouvoir qu’on enlève au peuple, aucun autre peuple ni aucune réunion de peuples n’en hérite. Ce sont des technocrates désignés et contrôlés encore moins démocratiquement qu’auparavant qui en bénéficient et le déficit démocratique, tare originelle de la construction européenne, s’en trouve aggravé.
Dans ces conditions, un véritable fédéralisme, avec son Gouvernement, son Sénat, sa Chambre des représentants, pourrait demain apparaître comme un progrès, sous prétexte qu’il serait alors le seul moyen de sortir de l’ornière technocratique dans laquelle nous nous serions davantage encore embourbés.
C’est la raison pour laquelle je suis d’autant plus résolument opposé à cette solution d’un fédéralisme bancal qu’elle serait fatalement le prélude à un vrai et pur fédéralisme.
Or, soyons lucides, il n’y a aucune place pour des nations vraiment libres dans un État fédéral. Il n’y a jamais eu de place pour des nations réellement distinctes dans aucun État fédéral. Libre à certains de caresser l’illusion qu’il s’agit de créer une nation des nations : c’est là une contradiction dans les termes et rien de plus. Convenons plutôt qu’il y a quelque ironie à proposer à nos vieilles nations le fédéralisme comme idéal, au moment même où toutes les fédérations de nationalités sont en train de déboucher sur l’échec.
À ceux qui, malgré tout, s’imaginent que le temps et les textes l’emportent sur tout le reste, je voudrais rappeler simplement comment, depuis plus de deux siècles, se pose la question québécoise. Comment, depuis plus de deux siècles, le peuple québécois, à la fois si proche et si différent de ses voisins par ses origines, sa langue et sa culture, vit sa situation d’État fédéré au sein d’un État fédéral qui est pourtant autrement plus démocratique que la construction échafaudée à Maastricht.
En vérité, le fédéralisme ne marche bien que lorsqu’il procède d’un État-nation, comme en Allemagne ou dans les États-unis d’aujourd’hui, au Mexique, au Brésil, ou en Australie. Comment, dans ces conditions, peut-on raisonnablement croire possible de réunir sous une même loi, sous un même pouvoir, à partir d’une union conventionnelle un ensemble transnational qui se suffirait à lui-même et se perpétuerait sans contrainte ?
Dans cette affaire éminemment politique, le véritable et le seul débat oppose donc, d’un côté, ceux qui tiennent la nation pour une simple modalité d’organisation sociale désormais dépassée dans une course à la mondialisation qu’ils appellent de leurs vœux et, de l’autre, ceux qui s’en font une tout autre idée.
La nation, pour ces derniers, est quelque chose qui possède une dimension affective et une dimension spirituelle. C’est le résultat d’un accomplissement, le produit d’une mystérieuse métamorphose par laquelle un peuple devient davantage qu’une communauté solidaire, presque un corps et une âme. Certes, les peuples n’ont pas tous ]a même conception de la nation : les Français ont la leur, qui n’est pas celle des Allemands ni celle des Anglais, mais toutes les nations se ressemblent quand même et nulle part rien de durable ne s’accomplit en dehors d’elles. La démocratie elle-même est impensable sans la nation.
De Gaulle disait : « La démocratie pour moi se confond exactement avec la souveraineté nationale. » On ne saurait mieux souligner que pour qu’il y ait une démocratie il faut qu’existe un sentiment d’appartenance communautaire suffisamment puissant pour entraîner la minorité à accepter la loi de la majorité ! Et la nation c’est précisément ce par quoi ce sentiment existe. Or la nation cela ne s’invente ni ne se décrète pas plus que la souveraineté !
Le fait national s’impose de lui-même sans que personne puisse en décider autrement ; il n’est ni repli ni rejet, il est acte d’adhésion.
Car la nation ce n’est pas un clan, ce n’est pas une race, ce n’est pas une tribu. La nation c’est plus fort encore que l’idée de patrie, plus fort que le patriotisme, ce noble réflexe par lequel on défend sa terre natale, son champ, ses sépultures. Car le sentiment national c’est ce par quoi on devient citoyen, ce par quoi on accède à cette dignité suprême des hommes libres qui s’appelle la citoyenneté !
C’est assez dire que la citoyenneté non plus ne se décrète pas, qu’elle ne relève ni de la loi ni du traité. Pour qu’il y ait une citoyenneté européenne, il faudrait qu’il y ait une nation européenne.
Alors oui, il est possible d’enfermer les habitants des pays de la Communauté dans un corset de normes juridiques, de leur imposer des procédures, des règles, des interdits, de créer si on le veut de nouvelles catégories d’assujettis.
Mais on ne peut créer par un traité une nouvelle citoyenneté. Curieuse citoyenneté d’ailleurs que celle dont on nous parle, parée de droits, mais exempte de devoirs !
Le droit de vote exprime ainsi une adhésion très forte sans laquelle il n’a aucun sens. On ne vote pas dans un pays simplement parce qu’on y habite, mais parce que l’on veut partager ses valeurs et son destin. L’obstacle à la citoyenneté européenne n’est donc pas tant constitutionnel que moral.
Oserai-je dire à cet égard que je suis moins choqué à la limite, sous les précautions que l’on sait par la perspective d’admettre des étrangers à des élections locales qu’à l’idée de reconnaître le droit de vote pour les élections européennes aux ressortissants des autres États membres de la Communauté résidant en France ? Car là est bien, au niveau des principes, la dérive fédéraliste.
Dans l’esprit d’une confédération respectant les souverainetés nationales, ce qui est, jusqu’à preuve du contraire la seule voie sur laquelle nous soyons jusqu’à présent officiellement engagés, les députés au Parlement européen sont les représentants de chacun des peuples de la Communauté. C’est donc tout naturellement qu’ils sont élus sur des bases nationales. Ouvrir ce corps électoral aux résidents des autres États membres, serait rompre avec ce principe et ouvrir une brèche qui nous conduirait bientôt à tenir les décisions du Parlement de Strasbourg pour l’expression de la volonté générale d’un hypothétique « peuple européen », au même titre que la loi édictée par chaque Parlement national est l’expression de la volonté générale de la Nation,
C’est là, bien entendu, où veulent nous conduire les auteurs du traité de Maastricht et il est clair que tous les moyens sont bons à leurs yeux pour y parvenir, Cette disposition est donc absolument inacceptable, quelles qu’en soient les conditions d’exercice.
Je prendrai néanmoins le risque d’étonner en affirmant qu’il faut probablement tenir la création de la citoyenneté européenne pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un simple corollaire de la monnaie unique qui est, elle, le vrai, le puissant mécanisme par lequel se réalisera non seulement l’intégration économique mais aussi finalement l’intégration politique.
Ceux qui se contentent de demander l’abrogation des dispositions sur le droit de vote s’attaquent ainsi, je le crains, aux effets anticipés sans s’attaquer aux causes. On peut d’ailleurs se demander légitimement jusqu’à quel point cette disposition provocante, qu’on pourrait éventuellement paraître atténuer, n’a pas pour seule fonction d’être un abcès de fixation, un leurre, un change comme on dit sur certains terrains de chasse.
Nous en aurons du moins tiré parti pour nous souvenir que le sentiment national n’est pas le nationalisme, Car le nationalisme, avec ses outrances et, son égoïsme forcené a quelque chose de pathologique qui n’a rien à voir avec la nation ni, bien sûr, avec la République.
C’est dire combien la France, dont il nous faut préserver la souveraineté, en refusant de la dissoudre dans l’Europe fédérale, n’est pas la France des extrémistes de droite qui est en fait une anti-France,
Que peuvent d’ailleurs bien comprendre à la nation ceux qui, il y a cinquante ans, s’engageaient dans la collaboration avec les nazis pour bâtir l’ordre européen nouveau ; ceux qui, dans Paris occupé, organisaient des expositions sur la France européenne au Grand Palais, ceux qui prophétisaient qu’on parlerait de l’Allemagne et du Danemark comme on parle de la Flandre et de la Bourgogne, ou encore que dans une Europe où l’Allemagne tiendrait le rôle que l’Angleterre entendait s’arroger, ses intérêts et les nôtres se rejoindraient tôt ou tard ?
Je ne crois pas que ceux-là aient rompu avec ces penchants, malgré les efforts qu’ils déploient pour jouer sur l’égoïsme, tout en dissimulant l’idéologie qui les anime, qui dépasse d’ailleurs les frontières et qui est antirépublicaine parce qu’elle est viscéralement contre l’égalité des droits et la reconnaissance universelle de la dignité de la personne humaine.
Mais qu’on y prenne garde : c’est lorsque le sentiment national est bafoué que la voie s’ouvre aux dérives nationalistes et à tous les extrémismes !
J’ai parlé de république, de valeurs républicaines. Il faut à ce sujet bien nous entendre. En France, la République n’est pas seulement un régime institutionnel. Et s’il fallait lui trouver une date de naissance, je la situerais à Valmy, le 20 septembre 1792, avec le « peuple en armes », plutôt qu’à la Convention, le lendemain, quand les députés décidèrent d’abolir la monarchie. Car la République, c’est avant tout ce système de valeurs collectives par lequel la France est ce qu’elle est aux yeux du monde. Il y a une République française comme il y eut une République romaine. Depuis l’origine, sa maxime est la même : la souveraineté du peuple, l’appel de la liberté, l’espérance de la justice. Elle est inséparable de la dignité de la personne humaine et de son émancipation, de l’État de droit, de l’équité et de l’égalité des chances. Elle est inséparable de la solidarité nationale, de l’ambition collective nationale, de l’esprit national, de l’indépendance nationale. Elle est inséparable de l’État qui, en son nom, doit arbitrer, rendre la justice, attaquer inlassablement les privilèges, combattre les féodalités, accorder la primauté aux mérites et à la vertu. C’est dire que, forgée dans le même moule, la République n’est pas séparable de la nation. Et tout cela, bien sûr, ne date pas d’hier !
N’y avait-il pas déjà un sentiment national dans les groupes anti-Anglais de Normandie pendant la guerre de Cent Ans ? Ou quand, pour la première fois, on a crié à Marseille en 1585 « Vive la République ! » contre la Ligue qui pactisait avec les Espagnols ? N’y avait-il pas déjà au Moyen-Âge un modèle culturel français dans cette université de Paris qui imposait à l’Europe la suprématie de sa méthode et quand l’abbé Suger ouvrait, à Saint-Denis, le temps de ces cathédrales, que l’on n’appelait pas encore gothiques, et dans lesquelles toute l’Europe d’alors reconnaissait l’art de France ? N’y avait-il pas déjà une volonté nationale chez Philippe Le Bel, quand il refusait de tolérer aucun État dans l’État et chez le « petit roi de Bourges » quand il rejetait le traité de Troyes par lequel Isabeau de Bavière avait livré la France aux Anglais ? Et chez François Ier quand il signa à Villers-Cotterêts l’édit par lequel le français allait devenir la langue officielle de l’État ?
A chaque étape de notre histoire, il y a déjà ainsi un peu de la République comme il y en avait quand Napoléon faisait rédiger le code civil et qu’il disait : « Ma maxime a été la carrière ouverte aux talents sans distinction de fortune. »
Il fallait passer par là pour qu’un jour il y eût vraiment la République et les philosophes et la Déclaration des droits et l’école de la République, pour que la France devienne ce pays si singulier dont Malraux disait qu’« il n’est jamais plus grand que lorsqu’il parle à tous les hommes ». Ce pays si singulier qui, depuis toujours au fond, se veut plus exemplaire que dominateur. Ce pays si singulier qui, malgré ses faiblesses et ses renoncements, garde, tout au long des vicissitudes de l’histoire, un statut exceptionnel de guide spirituel et moral : car il y a indubitablement une exception française.
Une exception française, oui, qui traduit cet extraordinaire compromis que la République a réalisé chez nous, entre la nécessité de l’État et la liberté de l’individu et qui ne peut s’accorder avec la normalisation, avec la banalisation que l’on veut imposer à la France, au nom de la logique de Maastricht.
Comme il faut bien nous apaiser, voilà qu’on nous promet de respecter les identités nationales, en cherchant à nous convaincre que ces dernières sont trop fortes pour que le creuset fédéraliste les menace de disparition.
Des concessions nous seront faites, concernant — sait-on jamais ? — nos fromages et quelques-unes de nos coutumes parce que le folklore ne dérange personne, jamais un mouvement folklorique n’est devenu révolutionnaire. On nous laissera peut-être la Marseillaise, à condition d’en changer les paroles parce que ses farouches accents comportent des dangers et rappellent à notre peuple son histoire et sa liberté.
On nous abandonnera notre langue, quitte à nous laisser le soin de l’abâtardir alors que, pour tant de peuples, le français reste encore synonyme de liberté. Déjà, nous nous rallions à cette idée folle que notre langue n’est rien de plus qu’une technique de communication.
Déjà, nous acceptons l’idée qu’il est peu rationnel de cumuler neuf langues de travail et qu’il y a là un vrai problème pour l’Europe.
Or cet utilitarisme à courte vue, auquel se convertissent nos élites et qui fait progresser à grands pas l’Europe fédérale, est de nature à détruire l’âme de la France.
Il est d’ailleurs tout à fait significatif d’avoir choisi le mot identité pour désigner ce qu’on consent à nous laisser. Cette assurance qu’on se croit obligé de nous donner est déjà l’indice d’un risque majeur.
On parle de l’identité lorsque l’âme est déjà en péril, lorsque l’expérience a déjà fait place à l’angoisse. On en parle lorsque les repères sont déjà perdus !
La quête identitaire n’est pas une affirmation de soi. C’est le réflexe défensif de ceux qui sentent qu’ils ont déjà trop cédé. En ne nous laissant que l’identité, on ne nous concède donc pas grand-chose, en attendant de ne plus rien nous concéder du tout !
Que veut-on mettre à la place de ce qu’il est question d’effacer ? À quoi veut-on nous faire adhérer quand on aura obtenu de nous un reniement national ? Sur quoi va-t-on fonder ce gouvernement de l’Europe auquel on veut nous soumettre ?
Sur la conscience européenne ? C’est vrai, cette conscience existe ; il y a même quelque chose comme une civilisation européenne au confluent de la volonté prométhéenne, de la chrétienté et de la liberté de l’esprit. Bien sûr, nous autres Européens avons un patrimoine et toutes sortes de similitudes, mais cela ne suffit pas pour forger un État.
S’il y a une conscience européenne, c’est un peu comme il y a une conscience universelle ; elle est de l’ordre du concept et n’a à voir ni avec l’âme du peuple ni avec la solidarité chamelle de la nation. La nation française est une expérience multiséculaire. La conscience européenne est une idée qui d’ailleurs ne s’arrête pas aux frontières de la Communauté. Et l’on ne bâtit pas un État légitime sur une idée abstraite, encore moins sur une volonté technocratique.
Ainsi, l’État fédéral européen manquerait de fondement réel et de justifications profondes. Ce serait un État arbitraire et lointain dans lequel aucun peuple ne se reconnaîtrait. Les plus lucides des fédéralistes européens le savent bien et ils ont une réponse toute prête. Il s’agit de l’Europe des régions, laquelle présente le double avantage de rapprocher, disent-ils, le pouvoir du citoyen et de mettre hors-jeu – ça c’est sûr les États nationaux,
Seulement voilà : ce fédéralisme régionaliste signifierait à coup sûr la fin de notre République. Ce serait anéantir dix siècles de volonté d’unification du pays, dix siècles de rassemblement des provinces, dix siècles de lutte contre les féodalités locales, dix siècles d’efforts pour renforcer la solidarité entre les régions, dix siècles d’obstination féconde pour forger, de génération en génération, une authentique communauté nationale.
Qu’en adviendra-t-il à terme ? On remplacera les quelques frontières nationales existantes par une multitude de frontières locales invisibles mais bien réelles. On formera de petites provinces là où il y avait de grands États avec autant de communautés crispées sur leurs égoïsmes locaux. On laissera les régions riches devenir toujours plus riches et les pauvres devenir toujours plus pauvres.
On confiera les affaires à des notables que le gouvernement fédéral, du fait de son éloignement et de son manque de légitimité, ne pourra contrôler, pas plus que ne pourront le faire les gouvernements nationaux politiquement affaiblis et limités dans leurs compétences..) Ce sera le grand retour des féodalités, lequel, je vous le concède, a déjà largement commencé.
Ce sera, pour le coup, cette Europe des tribus que nous dit tant redouter M. le Président de la République. Il n’y aura plus en France de redistribution, de péréquation, d’aménagement du territoire. Viendra la règle du chacun pour soi et de Dieu pour personne.
Se noueront des relations de région à région par-dessus la tête des États ; c’est déjà entamé ! Ce sera le contraire de la République et le contraire de la démocratie.
Ceux-là mêmes qui ont multiplié les échelons de l’administration nous disent maintenant qu’il y en a trop, qu’il faut en supprimer, pour rationaliser, pour simplifier. Il y a trop d’échelons, comme il y a trop de communes. Et même s’il n’y a pas de calcul, s’il n’y a pas de préméditation, même si M. Delors est probablement sincère quand il déclare qu’il ne veut pas faire disparaître les nations, l’engrenage qui se met en place est tel qu’au bout du compte ce n’est pas le choix entre le département et la région qui s’imposera dans la multiplicité des échelons du pouvoir : c’est l’escamotage de l’État-nation qui se dessinera !
Et l’idée fait subrepticement chemin : déjà les régions traitent directement avec Bruxelles, pour quémander des subsides, déjà elles s’allient entre elles pour organiser des groupes de pression à l’échelon communautaire ; déjà voient le jour des politiques régionales qui ne tiennent plus aucun compte des impératifs nationaux.
Et voilà que se crée à Bruxelles un comité des régions qui n’a pas encore beaucoup de pouvoirs, mais qui se présente déjà comme organe de représentation. C’est la manifestation ouverte d’un dessein régionaliste qui ne prend même plus la peine de se déguiser, mais dont, comme toujours, on dissimule les véritables ambitions.
Là encore, si nous sommes tellement vulnérables, la faute en est due à notre propre renoncement, un renoncement qui se situe dans la dérive d’une décentralisation mal conçue et mal maîtrisée dont la perspective de l’Europe des régions fait apparaître tout à coup les immenses dangers !
Nous avions pourtant choisi la décentralisation, pas la désintégration !
Les choses vont-elles donc continuer à se défaire sans qu’a aucun moment le peuple français ne soit consulté ? (…)
Mais voilà qu’on nous assure que Maastricht serait la condition de la paix et de la prospérité, ce qui signifie par là même que son échec équivaudrait à la régression et, j’imagine, à la guerre. C’est l’une des idées reçues du moment : les nations seraient inévitablement condamnées au déclin par le progrès de la civilisation matérielle. Leur souveraineté serait incompatible avec le renforcement inéluctable des interdépendances économiques et techniques. L’évolution des choses conduirait nécessairement vers un monde sans frontières, chacune de celles-ci constituant un obstacle à l’efficacité, une entorse à la rationalité, une entrave à la prospérité.
Ce sont là des affirmations qu’il nous faut vérifier avec soin car ce qu’on nous demande d’abandonner, pour atteindre la prospérité, ce n’est pas seulement le droit de battre monnaie, c’est la possibilité de conduire une politique économique qui nous soit propre.
Suffirait-il de constituer un grand ensemble intégré pour brusquement et sûrement accroître ces performances ? On en douterait au spectacle de grands ensembles existants qui périclitent ou se divisent. L’ancienne Union soviétique, la Chine, l’Inde sont-elles à ce point prospères qu’il nous faille à tout prix les imiter ?
Les États-unis eux-mêmes sont-ils à ce point heureux dans la gestion de leurs affaires intérieures qu’il faille les prendre pour modèles ? N’observe-t-on pas à l’inverse des réussites éclatantes qui ne doivent rien à l’immensité au Japon, à Taïwan, en Corée du Sud, voire dans les villes-États, comme Singapour ou Hong Kong ?
Comment s’en étonner ? La mise en commun des faiblesses et des défaillances de chacun n’a jamais amélioré les performances de tous.
Si l’argument de la taille ne convainc pas, on tient en réserve l’une de ses variantes : elle consiste à condamner la tentation de l’autarcie. C’est ce qu’a fait M. le Premier ministre cet après-midi. L’autarcie est-elle la plus sûre façon de ruiner l’économie, d’étouffer l’initiative, d’appauvrir la culture ? Certes oui, mais qui dit le contraire ? Qui parle de replier le pays sur lui-même ? Qui parle de renoncer à la liberté des échanges ? Qui donc ici prône l’exclusion, la fermeture aux autres ? Personne ! En tout cas pas moi ! Mais en quoi donc le rejet de l’autarcie a‑t-il quelque chose à voir avec la prétendue nécessité d’une Europe fédérale ? La réponse est simple : cela n’a rien à voir !
Il y a des siècles que les échanges internationaux se développent et depuis 1945 ils ont enregistré une formidable progression, contribuant à la prospérité et à l’accroissement des niveaux de vie. A‑t-on eu besoin pour cela de réduire le nombre des nations ? Leurs frontières politiques ont-elle fait obstacle à cette évolution ? Les particularismes nationaux ont-ils compromis l’allocation des ressources, freiné l’innovation, ralenti la croissance ? Dans les faits, n’est-ce pas tout le contraire qui s’est passé, et n’est-ce pas le pays qui en a le plus profité, le Japon, qui est aussi le plus rebelle à tout système qui l’intégrerait ? Il est vrai que, pour échanger, il faut avoir quelque chose à échanger. Il est donc autorisé d’être différent et il est même plus souhaitable d’être complémentaire que semblable.
L’avenir n’est donc pas contradictoire avec la volonté des peuples de garder leur caractère, de tirer le meilleur parti de ce qu’ils sont, de leurs atouts, de leurs spécificités pour donner au monde la plus belle part d’eux-mêmes.
La compétition, la concurrence, c’est d’ailleurs cela : c’est le jeu où des producteurs placés dans des situations particulières, avec des capacités et des savoir-faire différents, s’efforcent en permanence de se dépasser afin de produire à moindre coût et de vendre davantage.
Gardons-nous donc de la vision angélique et réductrice d’une internationalisation économique dégagée de toute référence aux nationalités ! Pour garder leur efficacité, les entreprises ont à prendre en compte les caractéristiques des marchés locaux, des mentalités, des comportements, des langues.
Tenir l’économie mondiale pour un système unitaire et indifférencié procède à l’évidence d’une analyse superficielle. En réalité, un espace de concurrence est un espace d’échange libre et non un vase clos dans lequel une bureaucratie tatillonne s’efforce de gommer toutes les différences en imposant avec obstination ce que les auteurs de l’Acte unique ont appelé « l’harmonisation des conditions de la concurrence ».
Redoutable contresens économique, d’ailleurs, que cette « harmonisation » à laquelle nous devons déjà des centaines et des centaines de directives et de règlements communautaires ! Mesurons l’absurdité d’une telle démarche en posant, comme le fit un jour un économiste, cette impertinente mais judicieuse question : « Puisqu’il faut harmoniser les conditions de la concurrence, pourquoi, comme sur le nez de Cyrano, ne pas poser des petits parasols sur les tomates catalanes, gorgées d’un soleil qui fait si injustement défaut aux tomates néerlandaises ? »
Ne rions pas, nous ne sommes pas loin de cela ! Nous n’en sommes pas loin quand on se met à réglementer, pour toute la CEE, les conditions de production pour les chasses d’eau, les survêtements, les fromages. Croyez-vous que cela a quelque chose à voir avec la vitalité des marchés, avec la force créatrice de la libre entreprise, avec le stimulant de la concurrence ?
On nous fabrique aujourd’hui en Europe un espace économique plus uniformisé que le marché intérieur américain lui-même, qui vit et prospère très bien sans même l’harmonisation des fiscalités, alors que, pour créer un marché unique, on pourrait s’en tenir à la libre circulation des biens et des personnes et à la reconnaissance mutuelle des réglementations, en limitant l’effort d’harmonisation à ce qui relève de la santé publique et de la protection de l’environnement.
Mais ce n’était pas assez pour nos eurocrates qui veulent supprimer la concurrence en prétendant la préserver. On met en avant de prétendus impératifs de concurrence pour réglementer, centraliser, diriger l’économie européenne, à la seule fin, non d’accroître l’efficacité et la prospérité communes mais de forger à la fois l’instrument et la raison d’être d’un futur gouvernement fédéral, un gouvernement fédéral qui ne pourra certainement pas souffrir l’existence d’une réelle concurrence entre les États fédérés.
La monnaie unique qu’on nous propose maintenant est la conséquence logique de cette stratégie. Voyons ensemble ce que vaut cette touche finale.
On nous dit que la monnaie unique est la clé de l’emploi. On nous annonce triomphalement qu’elle créera des millions d’emplois nouveaux – jusqu’à cinq millions, selon M. Delors, trois ou quatre, selon le Président de la République. Mais que vaut ce genre de prédiction, alors que, depuis des années, le chômage augmente en même temps que s’accélère la construction de l’Europe technocratique ? Par quel miracle la monnaie unique pourrait-elle renverser cette tendance ? Oublierait-on que certaines simulations sur les effets de l’union monétaire sont particulièrement inquiétantes pour la France puisqu’elles font craindre encore plus de chômage dans les années à venir ? En vérité, tout ce que notre économie doit d’incontestablement positif à la construction européenne, c’est la fin du protectionnisme intracommunautaire, ce qui n’a rien à voir ni avec I« harmonisation à tout prix ni avec la monnaie unique.
On nous dit que les risques cambiaires tendent à limiter les transactions. Mais les échanges internationaux n’ont souffert d’aucun ralentissement notable après la généralisation des changes flottants, moyennant la mise au point de techniques de couverture fort élaborées.
On nous dit que la monnaie unique va favoriser nos exportations, mais les échanges intra-européens sont déjà considérables et l’unification de la monnaie ne supprimera pas les risques de fluctuation vis-à-vis du dollar et du yen. Mieux : dès lors qu’il y aura trois pôles monétaires comparables, les arbitrages triangulaires iront se multipliant, avec tous les risques de change y afférent.
On nous dit que la monnaie unique favorisera les investissements français dans les autres pays de la Communauté. Or aucune statistique ne permet de conclure à un effet significatif du risque de change sur l’investissement.
On nous dit que la monnaie unique fera économiser d’énormes coûts de transaction, mais personnes n’est réellement capable d’évaluer ces coûts et tous les chiffres cités à ce sujet, y compris les vôtres, sont le plus souvent totalement fantaisistes.
M. Rocard nous dit que, si Louis XI n’avait pas eu raison de Charles le Téméraire, la Bourgogne d’aujourd’hui vivrait dans la hantise de voir se détériorer sa balance des paiements avec l’lIe-de-France et l’Aquitaine.
Et il nous prédit que la monnaie unique mettra fin à ce genre d’archaïsme, entrave à la croissance. Mais qui donc est obsédé par le solde des paiements courants sinon ceux-là mêmes qui confondent les conséquences et les causes, qui confondent les écritures comptables avec les mécanismes économiques et qui sont paralysés par des contraintes imaginaires ?
Comment peut-on penser en effet que la balance des paiements est en elle-même une contrainte économique bien réelle et croire qu’il suffit de ne plus libeller les transactions que dans une seule monnaie pour qu’elles s’envolent miraculeusement ?
On nous dit que la monnaie unique fera baisser tes taux d’intérêt, mais cela est plus que douteux dès lors qu’il va falloir intégrer des pays plus sujet à l’inflation et ensuite tout dépendra de la politique de la Banque centrale européenne qui sera indépendante, c’est-à-dire incontrôlable.
On dit encore, en effet, que la monnaie unique entre les mains d’une banque centrale indépendante permettra de mieux assurer la lutte contre l’inflation : mais nul ne peut garantir que les dirigeants de cette banque, qui n’auront de comptes à rendre à personne, feront toujours la meilleure politique possible ! Ou alors doit-on considérer l’irresponsabilité comme le gage le plus sûr de l’efficacité ?
L’expérience de la FED aux États-unis est-elle à cet égard concluante ? Le comportement actuel de la Bundesbank est-il si encourageant ? Certes non, d’ailleurs les plus grandes figures de l’orthodoxie monétaire, comme l’Américain Milton Friedman ou le Français Maurice Allais, sont farouchement opposés au principe de l’indépendance de la banque centrale.
En vérité, il n’y a pas de meilleure incitation à bien gérer la monnaie que la concurrence monétaire même si cette incitation est loin d’être sans défaut.
Or, que nous propose-t-on, sinon de supprimer la concurrence entre les monnaies européennes ?
Alors on vient nous dire, argument ultime et présumé décisif, que nous n’aurions plus d’autre choix qu’entre « subir » et « co-décider ».
Que répondre à ceux qui nous disent qu’en acceptant de participer au SME, notre pays a déjà renoncé à sa souveraineté dans ce domaine ? Que c’est oublier un peu vite qu’il existe des marges de fluctuation significatives. Que nous gardons, c’est vrai, la possibilité de dévaluer si nous le décidons et que nous pouvons sortir du système si nous le jugeons nécessaire. Que, dans le SME, la France choisit librement les contraintes qu’elle s’impose jusqu’à ce qu’elle décide de s’en affranchir. Au contraire, avec la monnaie unique, nous abandonnons définitivement ou presque le droit de choisir notre politique monétaire. Toute la différence est là !
Alors on objecte encore que, même si elle le voulait, la France ne pourrait pas exercer sa souveraineté, qu’elle n’aurait d’autre possibilité que celle de s’aligner sur les décisions des autorités allemandes afin d’éviter la fuite des capitaux flottants et l’effondrement de sa monnaie.
C’est oublier, me semble-t-il, que le maintien à tout prix d’une parité arbitraire entre le franc et le mark est un choix politique qui n’a rien d’inéluctable. C’est oublier qu’une monnaie qui ne se maintient qu’en s’appuyant sur des taux d’intérêt réels exorbitants ne peut pas être considérée comme une monnaie forte et qu’en adoptant une telle politique, la France a permis d’accentuer la sous-évaluation du mark au sein du SME où tous les experts s’accordent pour constater qu’il est déjà sous-évalué depuis 1979, ce qui est un comble puisque nous donnons ainsi à l’Allemagne une prime supplémentaire de compétitivité. Et quand j’entends dire, comme hier, qu’on veut réévaluer le franc par rapport au mark, je me demande si on ne nage pas en pleine folie !
En tout cas, rien n’impose aujourd’hui à la France la politique monétaire qu’elle s’est choisie, qui joue au détriment des salariés, qui disqualifie les investissements à long terme et qui a des effets tellement désastreux sur l’activité qu’ils finiront de toutes les façons par faire fuir les capitaux étrangers.
Et puisque rien n’impose à la France cette politique, rien ne l’empêche non plus d’en changer !
Que ceux qui me disent qu’en ne nous alignant pas systématiquement sur l’Allemagne, nous rejetterions la rigueur et choisirions l’isolement me comprennent bien : il ne s’agit pas à mes yeux de prôner le retour au contrôle des changes, au laxisme budgétaire, à l’inflation, ni même de recommander la sortie du SME, encore moins de la CEE. Mais enfin, le SME a bien survécu à onze ajustements depuis 1979 ! Et ce n’est pas parce que le franc a été dévalué en 1986 et le mark réévalué en 1987 qu’on peut dire que la gestion d’Édouard Balladur n’a pas été rigoureuse !
Dans le domaine monétaire comme dans les autres, il faut se plier aux réalités. Il faut donc savoir ajuster les parités quand c’est nécessaire, non pour faire de la dévaluation compétitive, mais pour éviter la déflation.
Eût-il été déraisonnable de laisser le mark se réévaluer quand la Bundesbank décida de relever ses taux d’intervention pour gérer les conséquences de la réunification ? On pourrait en discuter, mais le choix existait pour la France, Il n’en sera plus de même quand elle sera emprisonnée dans le système de la monnaie unique, Dans ce système, en effet, on chercherait en vain la présence du pouvoir national au milieu des mécanismes de codécision.
Une véritable codécision exigerait l’unanimité, ce qui, bien sûr, paralyserait une institution qui doit en permanence composer avec la conjoncture, les décisions seront donc prises à la majorité, non par des représentants des États, mais par des personnalités indépendantes, qui ne recevront pas d’ordre de leurs gouvernements respectifs. Donc, la France, en tant qu’État, n’aura absolument aucune part à l’élaboration de la politique monétaire. C’est cela, sans doute, qu’on appelle la « souveraineté partagée ». Curieux partage qui tendrait à priver la France de toute liberté de décision !
Et ne négligeons pas les conséquences de ce qui se prépare : conséquences économiques et conséquences politiques.
Conséquences économiques d’abord. Il n’est de politique économique cohérente que dans la mesure où elle dispose de l’ensemble des moyens d’intervention sur l’économie : budget, fiscalité, actions structurelles en faveur des entreprises, monnaie. L’aliénation de notre politique monétaire entraîne donc l’impossibilité de conduire une politique économique autonome, processus que l’Union économique et monétaire reconnaît d’ailleurs, en le qualifiant joliment de « convergence ».
Dès lors, le processus de l’union économique et monétaire mérite trois commentaires.
En premier lieu, il renouvelle le choix d’une politique qu’on pourrait qualifier de « monétarienne », qui est synonyme de taux d’intérêt réels élevés, donc de frein à l’investissement et à l’emploi et d’austérité salariale. Notons à ce propos l’hypocrisie fatale qui consiste à parler de « franc fort » lorsque le refus de la dévaluation se paie du blocage de l’investissement et de l’explosion du chômage. C’est très exactement la réédition de la « politique du bloc-or » qui a conduit l’industrie française à la crise au cours des années trente. Bonjour la modernité !
Maastricht, c’est ensuite la suppression de toute politique alternative, puisque la création d’un système européen de banque centrale, indépendant des gouvernements mais sous influence du mark, revient en quelque sorte à donner une valeur constitutionnelle à cette politique de change et à ses conséquences monétaires.
Quant à ceux qui voudraient croire qu’une politique budgétaire autonome demeurerait possible, je les renvoie au texte du traité, qui prévoit le respect de normes budgétaires tellement contraignantes qu’elles imposeront à un gouvernement confronté à une récession d’augmenter les taux d’imposition pour compenser la baisse des recettes fiscales et maintenir à tout prix le déficit budgétaire à moins de 3 p. 100 du PIB.
Enfin, et je souhaite insister sur ce point, la normalisation de la politique économique française implique à très court terme la révision à la baisse de notre système de protection sociale, qui va rapidement se révéler un obstacle rédhibitoire, tant pour l’harmonisation que pour la fameuse « convergence » des économies.
Que la crise de notre État providence appelle de profondes réformes, je serai le dernier à le contester. Que cette modernisation, faute de courage politique, soit imposée par les institutions communautaires, voilà qui me semble à la fois inquiétant et riche de désillusions pour notre pays. Il suffit d’ailleurs de penser à cette « Europe sociale » qu’on nous promet et dont le Président de la République, lui-même, inquiet, semble-t-il, des conséquences de la monnaie unique, cherchait à nous convaincre, à l’aurore de ce 1er mai 1992, qu’elle aurait un contenu, qu’elle nous assurerait un monde meilleur,
Hélas, quand on lit les accords de Maastricht, on ne voit pas très bien où est le progrès social ! On voit bien, en revanche, qu’on ouvre la porte à l’harmonisation, c’est-à-dire à un processus où, comme en matière fiscale, on cherchera au mieux à se mettre d’accord sur une moyenne plutôt que sur un optimum et où, chaque fois que nous voudrons faire une innovation dans notre législation sociale, il faudra aller demander la permission de nos partenaires.
Les conséquences politiques à escompter du processus ne sont pas moins importantes. Rappelons-nous une évidence. Dès lors que, dans un territoire donné, il n’existe qu’une seule monnaie, les écarts quelque peu significatifs de niveau de vie entre les régions qui le composent deviennent vite insupportables. L’expérience des États fédéraux, mais aussi celle de la réunification allemande devraient dissiper tous les doutes à ce sujet.
Or, si l’on veut, comme l’affirme le traité, imposer une monnaie unique à tous les pays membres, un effort colossal devra être consenti pour réduire les écarts actuels, qui sont immenses, un effort colossal sans commune mesure avec ce que nous réclame présentement Jacques Delors pour doter ses fonds de cohésion.
Il sera sans doute nécessaire de porter progressivement, comme le pensent assez raisonnablement, me semble-t-il, certains experts, le budget communautaire jusqu’à 10 p. 100 du produit national brut, c’est-à-dire huit fois plus qu’aujourd’hui. On n’imagine pas un budget de cette ampleur sans un contrôle politique. Cela ne s’est jamais vu. Il faudra donc bien qu’un Parlement européen vote le budget comme un parlement national et qu’un gouvernement, responsable devant lui, l’exécute. C’est ainsi que la nécessité budgétaire engendrera tout naturellement les organes fédéraux appelés à gérer un gigantesque système centralisé de redistribution à l’échelle de la Communauté.
Et puisqu’il s’agira de redistribuer, ce sera bien entendu aux pays les plus avancés d’en supporter la charge. C’est dire combien la France devra payer, elle dont la contribution nette à la Communauté s’élève déjà, d’après la commission des finances du Sénat, à 25 milliards de francs pour 1991.
C’est ainsi que la France, qui ne trouve déjà plus les moyens de financer pour son propre compte une vraie politique d’aménagement du territoire et d’aménagement urbain, devra demain engager des ressources considérables pour financer l’aménagement du territoire de ses voisins !
C’est ainsi que la France, qui verse déjà un tribut à la réunification allemande sous la forme de taux d’intérêt exorbitants, devra demain débourser une deuxième fois pour l’Allemagne de l’Est par le biais de sa contribution au budget communautaire.
Alors, bien sûr, on peut se rassurer à la pensée que, d’ici à l’an 2000, certains parmi les dix autres pays qui ont accepté le principe de la monnaie unique seront amenés à y renoncer et que l’union monétaire se limitera, au moins provisoirement, à ceux d’entre eux bénéficiant du niveau de vie le plus élevé, de finances publiques en ordre et de prix stables. Mais, dans un noyau dur où ne figuraient ni l’Angleterre ni l’Europe du Sud, que pèserait la France ?
Bref, ou bien l’union monétaire se fait à dix ou à douze, et nous voilà payant très cher, au profit du budget communautaire, des interventions largement inutiles, ou bien elle se fait à six, et nous voilà réduits à un statut proche de celui d’un Land !
Dans tous les cas, la monnaie unique, c’est l’Europe à plusieurs vitesses : à trois vitesses si on la fait à six puisqu’il y aurait alors une Europe du Nord, une Europe du Sud et une Europe de l’Est. À deux vitesses si on la fait à douze puisqu’on continuerait à exclure les pays de l’Est. Et, dans tous les cas, la monnaie unique, c’est une nouvelle division entre les nantis que nous sommes et les autres, c’est-à-dire les pays de l’Europe centrale et orientale.
On nous sert déjà, en effet, un autre plat que celui de la prospérité assurée : la ratification des accords de Maastricht, nous dit-on, serait la seule assurance de la paix, argument déjà entendu en 1954 à propos de la CED. Alors, comme vous, monsieur le ministre d’État, on nous presse de nous souvenir des conflits qui ont ensanglanté notre continent. La seule manière d’empêcher leur renouvellement, nous assure-t-on, c’est de signer des deux mains, sans maugréer ni rechigner.
En fait, tout procède de la même erreur d’analyse et, à trop vouloir nous démontrer les dangers des nations, on débouche sur l’absurde.
Certains théoriciens de l’Europe fédérale, qui ont du moins le courage d’aller au bout de leurs idées, nous assurent que l’humanité entre désormais dans une ère nouvelle, où la nation n’aurait plus sa place, parce qu’elle n’était dans l’avancée des civilisations qu’une étape historique, une sorte de maladie infantile, une phase nécessaire – et le temps serait enfin venu de la dépasser.
On retrouve là ces vieilles obsessions post-hégéliennes qui nous annoncent toujours pour demain la « fin de l’histoire ». Ces vieilles obsessions, c’est un comble qu’elles reprennent du service au moment même où les doctrines politiques qui reposaient sur le « sens de l’histoire » se dissolvent. Il s’agit d’ailleurs plus d’une idéologie que d’une philosophie de l’histoire, et d’une idéologie qui, comme toutes les autres idéologies, tourne le dos à l’observation du réel.
La réalité, c’est que, le plus souvent, les empires sont nés avant les nations et non après elles. Certes, on peut trouver des régions où les nationalités s’imbriquent trop pour qu’il soit possible d’organiser des États mais, partout ailleurs, les ensembles transnationaux qui ont précédé les nations ont dû leur céder la place quand les peuples, enfin, ont revendiqué leur droit à disposer d’eux-mêmes, car il est clair, il est avéré que, dans l’histoire du monde, l’émergence des nations est allée de pair avec l’émancipation des peuples.
Et puis les nations sont bien loin d’avoir été la cause principale de nos épreuves. Force est ainsi de reconnaître que, dans notre siècle, plus de malheurs nous sont venus des grandes idéologies et des impérialismes dominateurs que des ambitions nationales.
Donc, finissons-en avec cette vue naïve des choses qui voudrait nous faire croire que la disparition des États-nations signifierait la fin des conflits armés, « la paix perpétuelle », pour reprendre cette fois la terminologie d’Emmanuel Kant, lequel ne la concevait d’ailleurs que comme une paix entre nations souveraines.
Et à ceux qui entendraient dauber encore sur les passions nationales et leur opposer la sagesse millénaire des commissions et autres conclaves technocratiques et supranationaux, je voudrais rappeler quelques exemples de l’histoire récente. Ils méritent qu’on s’y arrête avant de passer par pertes et profits la possibilité de conduire une politique étrangère nationale.
Chacun a en mémoire l’absence radicale de la Communauté de tous les événements majeurs de la fin des années quatre-vingt et du début des années quatre-vingt-dix : libération de l’Europe de l’Est, éclatement de l’Union soviétique, guerre du Golfe, tout s’est passé sans elle, lorsque ce n’est pas malgré elle !
Même le conflit yougoslave qui, tant par sa situation géographique que par la dimension de son territoire, semblait constituer un terrain d’exercices idéal pour la diplomatie communautaire, s’est transformé en un stand de démonstration de l’impuissance et de la désunion, impuissance qui, dans ce cas, ne tenait pas à l’absence d’une organisation intégrée, mais aux légitimes différences d’approche entre les pays membres – et je souhaite, s’agissant de la France, qu’elle puisse continuer à les exprimer,
La crise des euromissiles apporte une autre éclatante démonstration du poids d’un vieil État-nation dans des circonstances critiques.
Le président Mitterrand croit laisser sa marque dans l’histoire de ce pays comme le héraut de la cause européenne. Oserai-je dire qu’à mon avis, il s’agit d’un contresens ? Car, si cette empreinte historique existe, elle est à chercher plutôt dans son discours au Bundestag, qui a infléchi de manière décisive la position allemande devant la crise des euromissiles dans le sens de la fermeté ! Par là même était ouverte la voie aux événements de la fin des années quatre-vingts, qui ne le virent malheureusement pas faire preuve de la même lucidité.
Ce qui fit peser en 1983 la balance dans le sens de la résistance, et donc de la liberté, ce ne fut certes pas l’intervention d’une communauté hétéroclite, ce fut le représentant d’un vieil État-nation, sûr dans le cas d’espèce de sa légitimité et du soutien des citoyens français, fort de l’opposition résolue du corps social et politique aux sirènes pacifistes,
Qui ne voit, à la lumière de ce qui s’est passé lors de la crise du Golfe, que l’Europe de Maastricht, qui se serait probablement préférée plutôt rouge que morte en 1983, s’acceptera demain verte ou brune au gré des conjonctures, privée qu’elle est de ces garde-fous fondamentaux pour la démocratie que sont le sentiment national et la légitimité populaire.
L’histoire, loin d’être achevée, est plus que jamais en marche et elle demeure tragique.
Oui, nous sommes en guerre économique ! Oui, l’effondrement de l’Union soviétique ne signifie pas la paix mais la montée de nouveaux risques qui ont pour nom prolifération des armements nucléaires et classiques, multiplication des zones grises échappant à tout contrôle étatique, dangers technologiques, menaces majeures pour l’environnement, extension des trafics de stupéfiants !
La conjuration de ces nouveaux périls demande évidemment un renforcement de la coopération interétatique. Elle ne demande nullement la disparition des États-nations dont la légitimité est plus que jamais requise pour intervenir efficacement contre ces fléaux.
Alors, qu’on veuille bien cesser de considérer les réfractaires et les adversaires du traité comme autant de fauteurs de guerre et d’irresponsables ! Comme s’il n’y avait pas d’ailleurs quelque chose de choquant dans cette suspicion mal dissimulée vis-à-vis de partenaires, d’une partenaire dont nous devrions ainsi ignorer les évolutions politiques, économiques, sociales, culturelles intervenues depuis un demi-siècle, dont nous devrions ignorer l’amitié retrouvée, comme si, en tout état de cause, la France après de Gaulle était aussi vulnérable qu’avant lui, comme si, depuis 1945, l’Europe de l’Ouest n’avait pas connu la paix avant même que le Conseil européen ne se donne rendez-vous à Maastricht, comme si enfin l’Europe se réduisait à douze pays.
Car, si l’on veut aller sur ce terrain, est-on sûr que la démarche de Maastricht soit bien la plus prometteuse de paix pour l’ensemble du continent européen ? C’est une erreur de prétendre que l’on pourra réaliser en même temps ce que l’on appelle à tort « l’approfondissement » et ce qu’on nomme, sans mesurer tout ce que ce terme peut impliquer de morgue et de condescendance, « l’élargissement ». Oh ! bien sûr, l’intégration progressive des pays de l’A.E.L.E. est déjà programmée avec la création d’un grand espace économique européen, même si la neutralité de certains États constitue encore un frein politique. Il n’en va pas de même, chacun le sait bien, en ce qui concerne l’Europe orientale et centrale, Car, en vérité, les contraintes qu’impose par exemple la monnaie unique aux économies des États membres excluent de toute évidence, et pour des décennies, tout rapprochement avec le monde de l’Est,
Alors, qu’est-ce donc que cette conscience européenne qui laisse de côté la moitié de l’Europe ? Qu’est-ce donc que cette morale politique qui nous parle sans arrêt de démocratie et ne fait rien pour elle là où elle tente de naître ou de renaître ?
Qu’est-ce donc que ce « sens de l’histoire » qui ne tire aucune conséquence de la levée du rideau de fer et reste crispé sur un projet dépassé par des événements formidables ? Qu’est-ce donc que cette attitude de fermeture, d’égoïsme, de repliement, d’aveuglement qui constitue pour le stalinisme, pour l’Europe de Yalta une extraordinaire victoire posthume ?
Oui ! C’est d’abord la morale qui devrait nous conduire à ne pas rejeter les pays d’Europe centrale et orientale.
En effet, il faut le dire tout net, ces pays ont des droits sur nous. À deux reprises, ils ont payé pour nous. Ils ont tout d’abord payé notre libération au prix fort de leur asservissement, car la victoire sur le nazisme passait par leur invasion. Ils ont ensuite payé notre sécurité au prix fort de leur abandon. Nous les avons laissés à leur sort car nous ne voulions assumer aucun risque politique ou militaire face au totalitarisme soviétique.
Nous sommes nombreux, ici, à appartenir à une génération qui a été bouleversée par les événements de Hongrie en 1956 et ceux de Tchécoslovaquie en 1968. Et nous savons que c’est faire un mauvais procès à M. Claude Cheysson que de lui reprocher d’avoir résumé plus tard à propos de la Pologne ce qui fut notre attitude constante des décennies durant : « Évidemment, nous ne ferons rien. »
Et aujourd’hui que, sans nous, presque malgré nous, ils accèdent à la liberté, nous laisserions, pour reprendre la belle expression de Jacques Chirac, un mur de l’argent se substituer au rideau de fer ? Sommes-nous à ce point oublieux que nous puissions tolérer une telle perspective ? Et si la morale ne suffit pas à nous réveiller, ne voyons-nous pas où est notre intérêt ?
Elles sont loin d’être assurées, ces démocraties balbutiantes d’Europe centrale et orientale aux prises avec la grande misère de l’après-communisme. Elles sont loin d’être assurées parce que le désordre, le chômage et la pauvreté auxquels nous sommes en passe de les condamner engendreront plutôt le populisme, le nationalisme et peut-être le fascisme. Le pitoyable spectacle de l’exode des Albanais vers Bari nous donne quelque idée de la formidable poussée migratoire qui pourrait s’effectuer d’Est en Ouest et s’ajouter à l’irrésistible pression qui s’exerce déjà du Sud vers le Nord. Qui ne voit, dans ces conditions, que l’Europe risque d’être autrement plus dangereuse, plus explosive que du temps des certitudes tranquilles de l’équilibre Est-Ouest. Est-ce bien là le chemin le plus sûr pour la paix ?
Il reste à répondre à une ultime question qui donne toute la mesure de notre responsabilité : existe-t-il une alternative à la démarche de Maastricht ?
La réponse est claire et nette : oui, bien sûr et à l’évidence ! Mais, certes, il y faut de la lucidité et du courage.
De la lucidité d’abord pour comprendre les difficultés que nous vivons, car ce n’est pas le sentiment de la crise, comme on l’entend dire, qui crée la crise. La crise est une réalité profonde qui s’appelle nouvelle pauvreté, exclusion, ghettos, chômage, désespérance des jeunes, inégalités des chances, insécurité, déculturation, perte de repères, dérive du système éducatif.
Il serait vain et dangereux de continuer de répéter que la France se porte bien. Si l’on ne répond pas au désarroi des Français, ils continueront à se laisser aller vers les extrémismes et vers les intégrismes qui minent déjà le sentiment national. De renoncement en renoncement, nous avons nous-mêmes contribué à détourner le peuple de la chose publique et à ruiner le sens civique. A force de laisser entendre que tout se vaut et que l’action est impuissante face aux contraintes de l’économie et de la technique, nous avons accrédité cette idée dangereuse que la politique ne peut rien changer à rien, que ce qui arrive doit donc arriver et que nul n’en est responsable ni coupable.
On ne pourrait rien contre la conjoncture internationale, rien contre la concurrence du Sud-Est asiatique, rien contre les feuilletons américains, rien contre le drame des banlieues, rien contre le progrès technique, prétendument seul à l’origine du chômage. Bref, tout cela serait inscrit dans la nature des choses.
La référence constante à l’exemple des taux d’intérêt pour justifier de tels comportements vaut qu’on s’y arrête à nouveau, car elle n’a pas seulement des conséquences économiques ou sociales, elle contribue à la démoralisation de la nation. Il y a quelque chose de pourri dans un pays où le rentier est plus célébré que l’entrepreneur, où la détention du patrimoine est mieux récompensée que le service rendu à la collectivité.
Ce que cache la politique des comptes nationaux, ce que cache l’obsession des équilibres comptables, c’est bien le conservatisme le plus profond, c’est bien le renoncement à effectuer des choix politiques clairs dont les arbitrages budgétaires ne sont que la traduction. Que penser d’une politique économique qui se contente de guetter la reprise américaine ou la récession outre-Rhin ? Que penser d’une politique économique qui se résume à l’indexation de notre monnaie et de nos taux d’intérêt sur le deutsche mark et les décisions arrêtées par la Bundesbank, au moment où l’Allemagne fait l’objet de critiques convergentes et croissantes au sein du G7 pour la manière dont elle gère les conséquences de la réunification ? Quelle est la logique d’une politique qui oscille au seul gré des parités monétaires, indifférente à l’économie réelle.
Ce n’est même plus de l’ « économisme », c’est de l’ « économétrisme » ! Et n’est-il pas paradoxal de voir l’État, plus myope encore que les marchés, se déterminer au rythme de la publication de quelques indices financiers ?
Oui, la libéralisation et l’internationalisation des activités économiques sont à la fois souhaitables et inéluctables ! Oui, elles entraînent une redéfinition du rôle économique de l’État ! Non, il n’en résulte pas que l’État n’ait désormais d’autre logique de fonctionnement que celle d’une entreprise – au reste plus mal gérée qu’une véritable entreprise. Et oui, l’État conserve une fonction d’arbitrage dans le partage de la valeur ajoutée, une fonction de régulation et d’anticipation, dont l’efficacité détermine la compétitivité des économies comme le montrent à l’envi le Japon, l’Allemagne ou les pays d’Asie du Sud-Est
Mais le premier alibi de tous nos renoncements, c’est indubitablement la construction européenne. Nous ne pouvons rien faire, nous dit-on, puisqu’il faut harmoniser, Bruxelles en ayant décidé ainsi. Nous ne pouvons pas réformer la fiscalité puisqu’il faut soi-disant uniformiser les taux de T.V.A.
Nous ne pouvons pas baisser les taux d’intérêt puisqu’il nous faut soi-disant rester accroché au mark en vue de l’union monétaire. Nous ne pouvons rien pour notre industrie puisque le commissaire à la concurrence y fait obstacle. Nous ne pouvons rien faire pour l’aménagement du territoire puisque nos marges de manœuvre sont mises à la disposition de la Communauté.
On voit bien l’avantage politique à transférer sur Bruxelles ou sur les collectivités locales la responsabilité de ce que l’État n’a plus le courage d’assumer. À commencer par l’impôt, dont on veut bien désormais qu’il soit local ou même européen, pourvu qu’il ne soit pas national et qu’il n’en soit pas tenu compte dans les statistiques de la politique fiscale.
Mais cette Europe alibi est pleine de dangers car il est vain d’espérer que nos problèmes seront résolus par ce qui n’est au fond qu’une fuite en avant. Il est illusoire de chercher ailleurs qu’en nous-mêmes les réponses à nos difficultés. Il est faux de penser qu’en mettant en commun nos problèmes nous allons miraculeusement les résoudre mieux, nous tous, Européens de l’Ouest qui, pris séparément, n’avons eu jusqu’à présent pour leur faire face ni la volonté ni l’imagination nécessaires.
Comment peut-on croire que l’intégration apportera une meilleure sécurité à un moindre coût – alors que la défense, c’est d’abord la volonté de se défendre ! – qu’elle permettra d’augmenter les salaires tout en produisant moins, que la libre circulation des chômeurs autorisera la réduction de leur nombre, que les finances publiques seront mieux gérées à onze ou douze que dans le cadre national ? Il s’agit là de paris insensés ! D’autant plus insensés que le temps passe sans que personne cherche à résoudre des problèmes en voie d’aggravation rapide. Il faut dire qu’à force d’additionner une mauvaise conception de la décentralisation et l’affaiblissement délibéré de l’État, l’idée suivant laquelle la France n’est plus capable de se gouverner finit par acquérir quelque crédit. Est-ce là le fruit d’une stratégie politique ? Nul ne saurait le dire à coup sûr. Mais ce qui est certain, c’est que ceux qui ne voient plus d’autre solution pour la France que de se fondre dans l’Europe intégrée et rétrécie de Maastricht sont précisément ceux qui préfèrent douter de la France el des Français plutôt que d’admettre que leur incapacité pourrait être seule en cause.
On prétend – que n’a-t-on pas dit ? – qu’en refusant de ratifier Maastricht nous déciderions de fait, et peut-être même de jure, notre sécession de la Communauté.
Voilà le plus infondé des procès d’intention, alors que, précisément, nous souhaitons conserver les acquis de la Communauté et la chance qu’ils représentent pour l’Europe, en la remettant sur les rails et en la remettant en perspective ! Car beaucoup de choses ont été accomplies au .sein de cette Communauté, qui ne sauraient être effacées. Beaucoup de liens ont été noués, qui ne sauraient être rompus. Beaucoup de coopérations ont été engagées, qui ne sauraient être arrêtées.
Mais il nous faut redéfinir les règles du jeu pour que la souveraineté reste où elle doit être, c’est-à-dire dans les nations. Dès lors, il ne saurait plus y avoir aucun transfert irrévocable de souveraineté, mais seulement des délégations de compétences, qui pourront tout naturellement être réinterprétées, reformulées ou amendées dès lors que ce Parlement le décidera, dans l’intérêt national.
Alors, si nos partenaires font de même, la coopération entre les Douze fonctionnera comme elle fonctionne aujourd’hui dans le S.M.E., c’est-à-dire par consensus, sans que, ni en droit ni en pratique, aucun État ne se dessaisisse de façon irréversible de son pouvoir de décision.
Mais dans la redéfinition des règles qui régissent la coopération communautaire. il n’y a pas que la question des souverainetés nationales à résoudre ; il y a aussi la lancinante question du déficit démocratique. Or, pas plus après Maastricht qu’avant, le Parlement européen ne sera un véritable législateur et il n’exerce aucun contrôle effectif sur les décisions communautaires. Le gadget de Maastricht s’appelle la « codécision », qui succède à la coopération de l’Acte unique, la codécision n’étant guère que le pouvoir reconnu au Parlement, au terme d’une procédure qui relève du parcours du combattant, d’enterrer les textes sur lesquels il ne parvient pas à se mettre d’accord avec le Conseil.
Pour combler le déficit démocratique, en fait, il faut rendre leurs prérogatives. aux parlements nationaux.
Cela ne veut pas dire qu’il faut se contenter d’associer les parlements à la discussion, ni même faire semblant de les faire participer aux décisions, et encore moins introduire dans notre Constitution la formulation théorique du principe dit de subsidiarité pour empêcher que le droit communautaire n’empiète sur les compétences du législateur national.
Espoir vain si les traités internationaux ne sont pas modifiés ou si l’interprétation de l’article 55 de la Constitution n’est pas précisée. Le principe de subsidiarité n’est pas, en effet, un principe juridique : c’est un principe d’efficacité. Et il n’appartient pas aux juges d’apprécier subjectivement l’efficacité comparée des organes nationaux et des organes communautaires.
En réalité, si l’on veut rendre sa dignité à notre Parlement, il faut, dans un contexte radicalement différent de celui de Maastricht et de ce que vous proposez avec la monnaie unique que nous inscrivions dans Constitution que la loi nationale prime dans l’ordre juridique interne tout texte communautaire dès lors qu’elle est postérieure à celui-ci.
Ce principe juridique fondamental, dit de la loi écran, que reconnaissaient la Cour de cassation jusqu’en 1976 et le Conseil d’État jusqu’en 1989 doit entrer dans l’ordre constitutionnel pour qu’il soit possible à la majorité parlementaire de suspendre l’application d’une norme communautaire par le vote d’une loi contraire, qui s’impose à nouveau aux juges.
Compte tenu des dérives récentes, il est également nécessaire que, pour toutes les matières qui relèvent du domaine législatif, aucune mesure ne puisse être introduite dans le droit interne sans qu’une loi l’autorise expressément ; de même qu’aucune contribution ne doit pouvoir être versée par la France sans l’autorisation du Parlement Il appartient bien, en revanche, au Parlement européen de voter les dépenses de la Communauté, d’exercer éventuellement à cette occasion un droit de veto et d’amendement ou de mettre en jeu la responsabilité de la Commission.
Dès lors, on cessera de prendre à Bruxelles, entre gouvernements, sur proposition d’une commission de technocrates, des décisions qui relèvent exclusivement des Parlements de chaque État.
Encore faut-il, pour que l’ensemble .soit cohérent, que la Commission perde son monopole de l’initiative pour ne plus être que l’organe de préparation et d’exécution des décisions du Conseil. Voilà qui remettra à sa place la technocratie, pour le plus grand profit d’une démocratie qui n’en finit pas d’être vidée de sa substance.
Reste la question monétaire.
Ce n’est certainement pas l’Instabilité des monnaies appartenant au S.M.E. qui étouffe la croissance européenne, Aussi, quand on se pose la question de la monnaie européenne, on doit se poser en rait la question d’une amélioration marginale de l’efficacité de notre système monétaire, certes significative, mais certainement pas décisive pour la compétitivité de notre économie.
Écartant le fantasme de puissance qui sous-tend le projet de monnaie unique, que reste-t-il pour améliorer le système actuel sans renoncer ni à notre souveraineté, ni à la souplesse d’adaptation que procurent les parités ajustables ?
Eh bien, il reste l’intelligente proposition défendu au Royaume-Uni par John Major et, en France, par Édouard Balladur, et sur laquelle s’accordent de nombreux économistes, je veux parler de la création d’une monnaie commune circulant parallèlement aux monnaies nationales, une monnaie commune qui serait l’aboutissement logique du S.M.E.
Celle-ci serait émise en contrepartie des monnaies nationales par un institut d’émission européen dont le pouvoir de création monétaire serait strictement limité pour éviter toute dérive Inflationniste.
Quels services rendrait-elle ? Elle intensifierait la concurrence monétaire en incitant chaque pays à une meilleure gestion de ses liquidités. Elle offrirait aux entreprises un instrument efficace pour mieux gérer leurs risques de change. Elle pourrait rivaliser avec le dollar et le yen sur les marchés internationaux de capitaux.
En adoptant la monnaie commune au lieu de la monnaie unique, on choisirait, je crois, l’efficacité contre l’idéologie.
Tout le reste est l’affaire de la coopération entre États. On observera d’ailleurs que ce qui fonctionne le mieux aujourd’hui en Europe se situe souvent en dehors de l’orbite communautaire, qu’il s’agisse d’Ariane espace, du GIE Airbus ou du CERN.
Donc, la stratégie est claire : il ne faut pas forcément des politiques communes, avec leurs programmes lourds, leur opacité, leurs procédures inextricables, leur arbitraire, leurs gaspillages, mais plutôt un cadre souple permettant des regroupements en fonction des moyens et des intérêts réels de chacun, des priorités et des circonstances.
Mettons en place un cadre souple qui favorise des coopérations efficaces mais aussi un cadre ouvert où chacun pourra maintenir les solidarités qu’il entretient avec le reste du monde et qui sont souvent une part de lui-même.
Un cadre ouvert pour intégrer au plus vite les nouvelles démocraties de l’Europe de l’Est et pour Ies associer aux programmes européens qui les Intéressent directement. Un cadre ouvert pour éviter que le repli de certaines nations sur elles-mêmes ne débouche sur celui de l’Europe tout entière.
Cette communauté-là est, en tout cas, la seule susceptible de s’ouvrir rapidement aux autres nations européennes. A partir d’elle, grâce à elle, nous pourrions construire une Europe plus réaliste, une Europe rendue à sa dimension véritable, une Europe plus démocratique, une Europe plus sûre et, je n’en doute pas, une Europe plus prospère.
Convenons d’appeler ce nouveau système de relations la Confédération européenne puisque les nations y resteront souveraines, tout en gérant ensemble et d’un commun accord leurs interdépendances chaque fois qu’elles le jugeront utile ou nécessaire. Mais ce ne sera pas la Confédération que nous propose M. Mitterrand – conçue comme un noyau dur et formée d’une communauté de nantis autour de laquelle gravitent des États subordonnés ! Les pays de l’Est en ont déjà refusé le principe à Prague il y a un an à peine ; ils ne l’accepteront pas davantage demain. Celle conception n’est pas la bonne. Elle est inadaptée et même dangereuse.
Et c’est précisément parce que nous sommes pour l’Europe que nous sommes contre l’Europe de Maastricht.
Ainsi conçue à partir des États, c’est-à-dire sur une base qui pourra être démocratique, l’organisation de l’Europe permettra d’assurer à tout le moins et sans délai l’entente, la détente, la coopération, ce qui n’est déjà pu si mal,
Que sera cette Europe ? Ce sera une Europe enfin réunifiée, dotée d’un système de sécurité collective et d’un grand marché commun. Car il l’agit tout à la fois de conjurer de conjurer des risques et de garantir des chances.
Les risques tiennent à la prolifération nucléaire, balistique et chimique. Ils sont technologiques et environnementaux. Les chances ce sont celles de la paix et de la prospérité à l’échelle du continent.
Comment concevoir ce système de sécurité collective européen en faveur duquel la France doit agir de toutes ses forces, tout en modernisant sa propre défense ?
Il s’agit de bâtir une organisation régionale conforme à ce qui est prévu par la Charte des Nations unies. Elle serait essentiellement fondée sur un Conseil de sécurité composé pour partie de membres permanents, car l’Europe a besoin au plus vite d’une instance d’arbitrage capable de prévenir les affrontements et, le cas échéant, de les circonscrire et d’en limiter les effets. Il existe, en effet, au sein de l’Europe actuelle une multitude de conflits potentiels, d’autant plus à redouter que le principe de l’intangibilité des frontières est souvent intenable, s’agissant de tracés imposés arbitrairement par les vainqueurs des deux guerres mondiales, au mépris souvent des réalités historiques, culturelles et politiques.
Là est la voie, la seule voie d’une réelle indépendance européenne. J’oserai dire au passage que, dans les diverses célébrations de Maastricht, rien ne m’a choqué davantage que d’entendre quelques atlantistes patentés reprendre à leur compte la perspective d’une Europe indépendante, contribuant A un rééquilibrage politique et offrant un autre modèle au monde que le modèle actuellement dominant. Comme si cela était leur véritable objectif !
A l’inverse, un conseil de sécurité européen permettrait de signifier que si d’aucuns sou haltent organiser sous leur drapeau, comme on le dit, une gendarmerie mondiale, il faudrait lui trouver d’autres terrains de manœuvre que le continent européen.
Pour indispensable qu’il soit, ce système de sécurité ne suffirait pas à empêcher les tensions, les affrontements et les mouvements de population incontrôlés, sans un traitement simultané de la question économique., Et l’on ne pourra pas progresser sur le terrain de l’économie si, au nom du « gradualisme » et des nécessités de la transition, on inflige aux anciennes démocraties populaires ce qu’on a fait subir aux pays du tiers monde depuis trente ans, à savoir la fermeture de nos frontières à leurs produits.
Il faut donc songer à réaliser au plus tôt un grand espace européen à l’intérieur duquel serait progressivement garantie la liberté des échanges. Certes, l’état actuel des législations ne permet sans doute pas d’envisager l’ouverture très rapide d’un marché unique comportant la reconnaissance mutuelle de toutes les réglementations sur l’ensemble du continent, En revanche, rien ne s’oppose à la mise en place d’un grand marché commun dans l’esprit du traité de Rome, avec la libre circulation des marchandises. Rien ne s’oppose non plus à ce que soit signé un accord européen unique portant sur la protection des investissements, avec la création d’une instance arbitrale unique pour régler les litiges en la matière et la mise au point d’une assurance unique destinée à garantir les investissements étrangers contre le risque politique.
Et pour éviter que ne le referme une fois de plus le piège de la dette extérieure, peut-être faut-il admettre, pour apurer les comptes, que les créances publiques soient remboursées en monnaie locale et réinvesties sur place.
Remarquons à ce propos que si la libération des échanges doit être réalisée au plus vite, le passage à la convertibilité monétaire demande moins de hâte et ne pourra s’opérer avant que les banques centrales nationales aient rétabli l’équilibre entre la circulation fiduciaire et le niveau des transactions.
Enfin, un vaste plan de protection de l’environnement et du patrimoine est à mettre en œuvre dans cette Europe centrale et orientale qui est au bord du désastre écologique. Sans doute, une haute autorité de l’environnement aux compétences bien définies, pouvant statuer dans certains cas à la majorité, est-elle nécessaire pour préserver ou restaurer un patrimoine que l’Europe tout entière considère comme un bien commun.
Dans cette Europe-là, la France trouvera naturellement sa place, Elle a un grand rôle à y jouer et rien ne sera sans elle.
Voilà, en tout cas, un projet qui appelle à I’enthousiasme plutôt que de se nourrir de frayeurs et de fantasmes.
II est temps de dire que bâtir l’Europe des Douze sur la peur obsessionnelle de la puissance de l’Allemagne est tout de même une bien étrange démarche, proche de la paranoïa. D’autant qu’à force de vouloir faire cette intégration à tout prix, on va finir par faire l’Europe allemande plutôt que de ne pas faire l’Europe du tout, ce qui serait un comble.
Il ne servira à rien de tenter de ficeler l’Allemagne. Car l’Allemagne, et c’est bien naturel dans sa position, et avecles moyens dont elle dispose, ne renoncera à sa souveraineté que si elle domine l’ensemble, certainement pas si elle lui est subordonnée.
Le débat qui se développe en ce moment en Allemagne à propos de Maastricht en fait la démonstration : les Allemands veulent bien d’une banque centrale européenne, mais seulement si celle-ci est peu ou prou entre les mains de la Bundesbank, et d’une monnaie unique, si celle-ci s’appelle le mark.
Et comment peut-on imaginer que l’Allemagne va renoncer à jouer son jeu en Europe centrale ? N’a-t-elle pas d’ailleurs clairement annoncé la couleur quand elle a reconnu unilatéralement la Croatie, sans se soucier des engagements communautaires qu’elle avait pris quelques semaines auparavant ?
Une fois de plus, il nous faut considérer le monde tel qu’il est et non tel qu’on voudrait qu’il soit. Et dans ce monde-!à, ce que la France peut apporter de plus précieux à l’Europe, c’est de trouver en elle-même assez d’énergie et de volonté pour devenir un contrepoids, pour équilibrer les forces en présence, pour peser lourd face à l’Allemagne, sinon pour faire jeu égal avec elle.
Le meilleur service que nous pouvons rendre à l’Europe, c’est donc de nous engager résolument sur la voie du redressement national, c’est de restaurer la cohésion nationale et l’autorité de l’État.
Encore faut-il que nous gardions les mains assez libres pour cela.
Pour autant, il ne s’agit pas de rompre l’axe franco-allemand, qui est essentiel, mais au contraire de le consolider en le rééquilibrant, en redevenant un partenaire crédible, un associé influent, un interlocuteur valeureux. Un couple franco-allemand où l’Allemagne serait tout et la France plus grand-chose ne serait pas un couple heureux.
Derrière la question de savoir quelle Europe nous voulons, se pose donc fatalement la question cruciale de savoir quelle France nous voulons.
Bien sûr, la France est solidaire du reste de l’Europe, bien sûr, sa participation à la construction européenne est un grand dessein.
Bien sûr, elle se doit en particulier de rassembler l’Europe méditerranéenne. Bien sûr, elle se doit de retrouver ses responsabilités vis-à-vis de l’Europe danubienne.
Mais la France ne saurait avoir l’Europe comme seul horizon, comme seul projet, comme seule vocation. Il suffit de regarder la carte de la francophonie pour comprendre combien la vocation de la France va bien au-delà des frontières de l’Europe.
Tant pis pour les intellectuels de salon qui montrent dédaigneusement du doigt ceux « qui ont cette conviction obsessionnelle que la nation française est porteuse d’un message universel de valeur supérieure et d’une mission civilisatrice ». Oui, la France a une vocation messianique, elle doit assumer et même y entraîner l’Europe, en particulier dans la coopération Nord-Sud pour prévenir les grands exodes que nous préparent la misère africaine.
Encore faut-il que, chez les hommes d’État, le visionnaire l’emporte encore un peu sur le gestionnaire, l’idéal sur le cynisme et la hauteur de vue sur l’étroitesse d’esprit. Car pour donner l’exemple aux autres, il convient d’être soi même exemplaire. Il faut, pour que la France soit à la hauteur de sa mission, qu’elle soit, chez elle, fidèle à ses propres valeurs.
Et la France n’est pas la France quand elle n’est plus capable, comme aujourd’hui, de partager équitablement les profits entre le travail, le capital et la rente, quand elle conserve une fiscalité à la fois injuste et inefficace, quand elle se résigne à voir régresser la solidarité et la promotion sociale, quand elle laisse se déliter ce qu’autrefois on appelait fièrement le creuset français et qui était au cœur du projet républicain.
Les défis que nous avons à relever sont immenses, Jamais ils n’avaient touché aussi profondément ce que nous sommes et ce que nous voulons devenir. Ils tiennent en une seule et même obligation : rompre enfin avec des schémas de pensée, des modes d’approche totalement dépassés du fait de l’évolution de nos sociétés. Et c’est parce que nous nous y accrochons contre toute raison que nous donnons cette impression d’impuissance. A nous de savoir nous en dégager au lieu de nous y résigner ! Quel meilleur service rendre à l’Europe que nous voulons construire !
Sachons, par exemple, prendre la vraie dimension de la crise. Elle n’est pas seulement économique et sociale. Elle est aussi et probablement surtout culturelle. Elle tient à l’incapacité de nos sociétés à s’adapter aux conséquences de la révolution technologique et de l’évolution des mentalités.
Ainsi la lutte contre le chômage passe-t-elle par une meilleure égalité des chances. La reproduction sociale quasiment à l’identique n’est plus seulement intolérable en termes moraux, elle est un handicap insupportable en termes d’efficacité !
La mutation de notre système éducatif est elle-même une clef essentielle, car le problème culturel, le problème des mentalités, le problème de l’adéquation de la modernité à son rythme trouveront leur solution d’abord dans les repères intellectuels et les modes de pensée que nous saurons donner à nos enfants.
La grandeur éducative des débuts de la IIIe République avait su donner à l’immense majorité des Français les moyens d’affronter le grand basculement de la modernité urbaine, industrielle et scientifique de la fin du XIXe siècle. Un siècle après, voilà la République à nouveau confrontée aux mêmes grands défis. Il n’y a plus aujourd’hui aucun grand projet politique qui ne commence par là.
Il est temps de comprendre aussi que la compétitivité d’une nation doit s’apprécier globalement et que la traditionnelle distinction entre l’économique, le social et le culturel est désormais caduque. Mais rien ne se fera sans rétablir l’équilibre entre une nécessaire décentralisation et le rôle absolument irremplaçable de l’État. Il faut en finir avec le développement inégal, rendre leur sens aux principes d’unité, de continuité, d’indivisibilité de la République et les inscrire dans la géographie.
Rien ne sera non plus possible pour la France sans reconstruire le creuset français pour assurer l’intégration des communautés accueillies. Sachons en particulier donner à ce qui est devenu la deuxième religion de France la possibilité d’être pratiquée hors des influences politiques étrangères et dans le cadre des lois de la République laïque. L’Islam est un des grands problèmes européens. Pourquoi la France ne montrerait-elle pas les voles de sa solution ?
J’ai assez dit que la nation doit redevenir ce qu’elle est : notre principe fondateur. Cela implique la restauration de l’État et la réhabilitation de la République. Nation, État et République, ce sont là les moyens de construire une Europe compatible avec l’idée que la France s’est toujours faite d’elle-même.
On ne cesse de nous répéter, on n’a cessé de me répéter ce soir que la jeunesse a déjà fait son choix, qu’elle est contre les frontières, pour le droit de vote aux étrangers, pour la supranationalité, pour la dissolution de la France au sein de l’Europe fédérale.
Mais quelle est la France qu’on lui propose ? Quel est l’avenir qu’on lui dessine dans son propre pays ? Quelle est donc cette politique pitoyable qui, renonçant à faire vivre l’espérance nationale, se contente de faire miroiter à sa jeunesse l’attrait des grands espaces tout en n’étant pas capable de lui donner sa chance ?
Au lieu de continuer à désespérer la jeunesse de ce pays, il faut enfin lui poser la question cruciale, que chacun éIude soigneusement, la seule question qui vaille dans ce débat : est-ce qu’on garantira plus aisément la paix, la démocratie, le bonheur, les conditions les plus favorables à l’épanouissement personnel et aux grands élans collectifs en renonçant à notre souveraineté ou bien en la préservant ?
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, si j’ai déposé cette exception d’irrecevabilité, c’est parce que, je le répète, j’ai le sentiment que Maastricht et ses conséquences sont à prendre ou à laisser. (…)
Une fois ouverte la discussion sur le texte qui nous est soumis, le piège sera refermé. Nous serons prisonniers d’une logique dont nous ne pourrons plus nous dégager.
Le traité, nous le savons tous, n’est pas amendable. Le Président de la République a été particulièrement clair à ce sujet le 1er mai : nulle réserve portant sur le cœur même du traité ne pourrait être opposable aux cocontractants. Quant à la voie de la modification du texte constitutionnel, elle me parait en l’état sans issue.
Du fait de la dérive vers la suprématie du droit communautaire, nous ne disposerons d’aucune garantie en cas de contradiction entre le traité et la Constitution. D’ailleurs, l’obligation de débattre à nouveau de la monnaie unique ne pourrait figurer ni dans l’un ni dans l’autre, et serait de nul effet. De nul effet aussi l’obligation pour le Gouvernement français de s’expliquer devant l’Assemblée avant d’aller se lier les mains à Bruxelles. Quelle en serait la sanction ?
Quant au principe de la subsidiarité, en rappelant sa nature subjective, je crois en avoir d’avance limité la portée. D’ailleurs, tous les règlements et de nombreuses directives s’appliquent sans passer devant le Parlement et, pour tous ces textes, la saisine du Conseil constitutionnel est impossible.
Quant à la maîtrise de notre politique en matière de visas, si elle pouvait être prévue dans la Constitution, elle demeurerait absente du traité. Alors, comment les juges interpréteraient-ils cette contradiction ?
Quant au droit de vote des étrangers, je n’en parle même plus puisque j’ai déjà eu l’occasion de démontrer qu’on confondait probablement en la matière l’accessoire et l’essentiel.
Il n’y a donc, je le crains, aucune garantie à attendre d’un quelconque amendement du projet de loi. Il y a encore moins d’assurance à attendre de l’usure du temps. Ce serait d’ailleurs une bien curieuse démarche que de nous en remettre à la survenance d’hypothétiques catastrophes dans les années à venir pour nous sortir d’un piège dans lequel nous nous serions nous-mêmes enfermés.
Il est donc vain de chercher de subtiles esquives. Il faut se déterminer sans détour. Il faut se déterminer en pensant au droit de notre peuple. C’est à lui de statuer. Voter l’exception d’irrecevabilité, c’est, me semble-t-il, proclamer que nous refusons de nous substituer à lui pour décider de ce qui relève de lui et de lui seul.
Il faut se déterminer en pensant à la France. Le 24 novembre 1953 — peut-être est-ce un débat auquel vous avez participé, monsieur le ministre des affaires étrangères — Pierre Mendès France s’exprimait en ces termes : « On parle souvent de choix, j’ai fait le mien, je choisis l’Europe, mais je veux les conditions de son succès, qui sont aussi les conditions du renouveau de la France. »
Ce qui trouble le débat, c’est qu’une fois encore on nous propose séparément un but dont nous sentons la valeur et la grandeur, mais dont nous redoutons de ne pas voir réunies les conditions de son succès.
Je pense qu’à quarante ans de distance le problème ne se pose pas en termes radicalement différents. L’avenir de la France ne dépend pas seulement du succès de l’Europe, mais l’avenir de l’Europe, à ce moment crucial de son histoire, passe certainement par le redressement de la France. En entravant sa liberté d’agir, en la contraignant à renoncer un peu plus à elle-même, on rendrait un bien mauvais service à l’Europe. Car la République française pourrait être l’âme ou le modèle de cette Europe nouvelle, aujourd’hui aspirée par le vide et qui hésite entre espoir et angoisse, goût de la liberté et peur du désordre, fraternité et exclusion.
En votant l’exception d’irrecevabilité, je crois donc que nous commencerons à travailler à rendre aux Français un peu de cette fierté mystérieuse dont pour l’heure – comme le disait André Malraux – ils ne savent qu’une chose, c’est qu’à leurs yeux la France l’a perdue.
Il faut se déterminer enfin en fonction de l’Europe que nous voulons. En votant l’exception d’irrecevabilité, nous ne signifions pas un congé, nous exprimons la volonté de construire une autre Europe, la seule Europe qui vaille à nos yeux.
En 1958, le général de Gaulle arriva au pouvoir au moment même où, après une décennie d’incantations européennes, la IVe République était en passe de solliciter de nos partenaires le bénéfice de la clause de sauvegarde, différant l’entrée de la France dans le Marché commun. On raconte que Jacques Chaban-Delmas, missionné pour se faire l’écho des inquiétudes de tous ceux qui s’étaient persuadés que le traité de Rome était condamné, se serait entendu répondre par le général de Gaulle : « Nous entrerons, comme convenu, dans le Marché commun, nous y entrerons, oui, mais debout »
De fait, le redressement national que les élites dirigeantes d’alors ne croyaient plus possible permit à la France de devenir le moteur de l’Europe.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la question et la réponse n’ont pas varié : oui, nous voulons l’Europe, mais debout, parce que c’est debout qu’on écrit l’histoire !
Énorme ! c’est une bombe qui hélas n’a fait qu’imploser dans l’hémicycle à son époque, je lui souhaite d’exploser maintenant.
À LA MÊME ÉPOQUE, les « élus » du « PS » justifiaient ainsi la prison-abattoir qu’ils nous imposaient :
Mélenchon fait la promotion de Maastricht
Je n’avais encore jamais lu ce discours auquel j’irais presque jusqu’à dire que je n’aurais rien à enlever et même à ajouter…
Toutefois il y a une chose qui me choque, dans le fonds et surtout dans la forme de cette intervention pourtant si lucide et salutaire. Un oubli dramatique, ou plutôt un renoncement de la part d’une personne qui pouvait sans doute considérer qu’elle avait fait sa part du boulot ?
Car en un mot, tout en refusant – à très juste titre, bien sûr – de reconnaître au Parlement le droit d’éradiquer la souveraineté nationale et d’abolir la république, il se « défausse » finalement complètement… en proposant simplement que le peuple le fasse lui-même par référendum.
Or une révision de la constitution qui attenterait un tant soit peu à la souveraineté nationale ou qui effacerait la séparation des pouvoir est de fait illégale et même nulle et non avenue, de par la nature même d’un régime constitutionnel, et la Constitution française écrite est d’ailleurs très claire là-dessus. En d’autres termes, on ne peut abolir la république qu’en décrétant un changement de constitution et non pas une révision, fut-elle faite « à grandes eaux » (il est même stipulé qu’aucune révision constitutionnelle ne peut abolir la forme républicaine du Gouvernement), et surtout, on ne peut tout bonnement pas aller chercher dans aucune constitution une quelconque autorisation à ce que le Parlement, mais aussi le peuple lui-même, abolissent la souveraineté nationale ou la séparation de pouvoirs… C’est parfaitement évident… mais çà va mieux en le disant.
Que le peuple donne les pouvoirs à un Pétain et la souveraineté nationale à un NSDAP allemand, mettons ; la plus grande des trahisons consisterait à prétendre le faire dans un cadre constitutionnel.
Ainsi toute sa démarche semble finalement s’écrouler. Naturellement, il n’attendait de salut, côté référendum, qu’en cas de réponse négative, pour dire autrement que l’honnêteté de démarche pêchait finalement. Ce qui n’enlève rien, bien sûr, à la qualité de toute l’analyse, à ce « détail » près.
J’avais d’abord pensé, d’ailleurs, pour cette même raison, que le titre que tu donnes à ce billet, Étienne, était mal trouvé et était trop réducteur pour résumer le sens de l’intervention de Seguin, mais le problème est justement qu’il est parfaitement adapté…
Il faut sans doute dire et redire, sans se lasser, car encore tant de gens ne l’ont pas compris, que tout le truc « européen » (et plus largement, transnational) permettant de couvrir la mutation monstrueuse à laquelle nous sommes confrontés, consiste à légaliser le coup d’État en continuant à reconnaître, sans le dire un peu trop fort (ce que fait chaque fois le Conseil constitutionnel), que toute cette construction « au-delà du légal » qui semble inverser la hiérarchie des normes et donc violer systématiquement la constitution, ne vaut et ne vaudra que tant que le Parlement national accepte de ne pas dénoncer les traités, et ne vaudrait plus rien dès lors qu’il se déciderait à le faire. Et pour ce faire, comme dit A.-M. Le Pourhiet, « c’est d’une simplicité biblique » : il faut et il suffit de nettoyer ces maudits traités « au karcher »…
Bises,
Sam
Quelle leçon !
La clairvoyance de l’analyse de Ph.SEGUIN est rassurante car elle autorise à espérer que tout n’est ni irréversible ni perdu!!
Ce texte devrait être soumis à nos élèves de terminales (toutes orientations confondues) et faire l’objet de débats organisés par les enseignants, les élèves, le peuple et les élus politiques en charge des responsabilités gouvernementales. Pour, en finale, se poser la question : « La FRANCE doit-elle rester Européenne avant d’être Nationale ? » MERCI
Bonjour,
Citoyen Français, né en France dans les années 56, je sais maintenant que les fédéralistes ont eu provisoirement la peau de ma nation et que je mourais dans une confédération d’états oligarchiques voir mafieux. Je partirais pourtant, sûre que cette oligarchie que l’on nome « UE » dont on oblige aujourd’hui a arboré les talismans, finira elle-même par s’effondrait sous la pression des peuples.
Espérons que cette disparition se fera sans douleur et que cette construction, sera bannis par histoire déplorable qu’elle aura laissé derrière elle.