Discours ESSENTIEL prononcé par Philippe Séguin le 5 mai 1992 contre la TRAHISON parlementaire qui consiste à nous imposer l’Union européenne sans référendum

24/05/2014 | 5 commentaires

Un for­mi­dable dis­cours contre la pré­ten­due « Union euro­péenne », signa­lé plu­sieurs fois depuis des années sur les pages du Plan C, n’ayant pas pris une ride depuis 1992, celui de Phi­lippe Séguin devant l’As­sem­blée natio­nale juste avant la trom­pe­rie de Maastricht :

http://​www​.assem​blee​-natio​nale​.fr/​c​o​n​n​a​i​s​s​a​n​c​e​/​r​e​v​i​s​i​o​n​5​_​p​h​i​l​i​p​p​e​s​e​g​u​i​n​_​M​a​a​s​t​r​i​c​h​t​.​asp

httpv://www.youtube.com/watch?v=_oN-DxnGPZQ

Discours prononcé par Philippe Séguin
le 5 mai 1992

Transferts de compétences nécessaires à l’établissement de l’Union économique et monétaire européenne (en vue de l’application du traité de Maastricht)

Philippe Seguin © Assemblée nationale

(excep­tion d’ir­re­ce­va­bi­li­té en appli­ca­tion de l’ar­ticle 91, ali­néa 4, du Règlement)

M. Phi­lippe Séguin :

Mon­sieur le pré­sident, madame, mes­sieurs les ministres, mes chers col­lègues, je vou­drais croire que nous sommes tous d’ac­cord au moins sur un point : l’ex­ceptionnelle impor­tance, l’im­por­tance fon­da­men­tale du choix auquel nous sommes confron­tés, et, ce disant, je n’ai pas l’im­pres­sion de me payer de mots !

C’est en tout cas avec gra­vi­té que je viens invi­ter cette assem­blée à oppo­ser l’ex­cep­tion d’ir­re­ce­va­bi­li­té au pro­jet de loi consti­tu­tion­nelle que le Gou­ver­ne­ment nous pré­sente comme préa­lable à la rati­fi­ca­tion des accords de Maas­tricht négo­ciés le 10 décembre 1991 par les chefs d’É­tat et de gou­ver­ne­ment des pays membres des com­mu­nau­tés euro­péennes et signés le 7 février dernier.

Mon irre­ce­va­bi­li­té se fonde sur le fait que le pro­jet de loi viole, de façon fla­grante, le prin­cipe en ver­tu duquel la sou­ve­rai­ne­té natio­nale est inalié­nable et impres­crip­tible, ain­si que le prin­cipe de la sépa­ra­tion des pou­voirs, en dehors duquel une socié­té doit être consi­dé­rée comme dépour­vue de Constitution.

il existe en effet, au-des­sus même de la charte constitution­nelle, des droits natu­rels, inalié­nables et sacrés, à savoir pour nous les droits de l’homme et du citoyen tels qu’Ils ont été défi­nis par la Décla­ra­tion de 1789. Et quand l’ar­ticle 3 de la Consti­tu­tion du 4 octobre 1958 rap­pelle que «  La sou­ve­rai­ne­té natio­nale appar­tient au peuple », il ne fait que recon­naître le pacte ori­gi­nel qui est, depuis plus de deux cents ans, le fon­de­ment de notre État de droit. Nulle assem­blée ne sau­rait donc accep­ter de vio­ler déli­bé­ré­ment ce pacte fondamental.

La ques­tion de la sépa­ra­tion des pou­voirs se pose dans les mêmes termes. Aucune assem­blée n’a com­pé­tence pour se des­sai­sir de son pou­voir légis­la­tif par une loi d’ha­bi­li­ta­tion géné­rale, dépour­vue de toute condi­tion pré­cise quant à sa durée et à sa fina­li­té. A for­tio­ri, aucune assem­blée ne peut délé­guer un pou­voir qu’elle n’exerce qu’au nom du peuple. Or, le pro­jet de loi qui nous est sou­mis com­porte bien une habi­li­ta­tion d’une géné­ra­li­té telle qu’elle peut être assi­mi­lée à un blanc-seing.

Et nous voi­là confron­tés à une situa­tion tout à fait extra­or­di­naire dans notre his­toire consti­tu­tion­nelle puisque, pour la pre­mière fois, on demande au Par­le­ment de constitutionna­liser par avance des textes qui n’existent pas encore et qui, pour la plu­part, ne seront même pas sou­mis à rati­fi­ca­tion dès lors qu’il s’a­gi­ra de normes com­mu­nau­taires direc­te­ment appli­cables. On demande donc au Par­le­ment, qui n’en a pas le droit, rien de moins que d’a­ban­don­ner sa com­pé­tence légis­la­tive aux organes com­mu­nau­taires chaque fois que ceux-ci le juge­ront néces­saire pour l’ap­pli­ca­tion du traité.

Ayant fait réfé­rence à la Décla­ra­tion des droits de l’homme et du citoyen, vio­lée deux fois par le pro­jet de loi, je pour­rais consi­dé­rer ma tâche comme accom­plie. Néan­moins, tout en conser­vant pré­sente à l’es­prit cette obser­va­tion préa­lable qui sous-entend tout mon pro­pos, j’en­tends trai­ter le sujet en ne négli­geant aucune de ses com­po­santes. Ce n’est pas mon fait si le débat consti­tu­tion­nel et le débat sur l’a­ve­nir euro­péen sont étroi­te­ment imbri­qués, le pro­jet de révi­sion venant avant le pro­jet de rati­fi­ca­tion. Alors, autant en conve­nir déjà entre nous – et vous l’a­vez déjà fait impli­ci­te­ment cet après-midi, mes­sieurs les ministres : il n’y a en véri­té qu’un seul débat qui ne peut être décou­pé en tranches suc­ces­sives. Et comme ce débat sera clos dès lors que nous nous serons pro­non­cés sur le pro­jet de révi­sion consti­tu­tion­nelle, autant l’en­ta­mer tout de suite et dans sa totalité.

De même, et sans vou­loir ver­ser dans un mani­chéisme que je réprouve, il nous faut éga­le­ment conve­nir qu’il n’y a rien à amen­der. Plu­tôt que de pro­cé­der à un toi­let­tage minu­tieux de nom­breuses dis­po­si­tions consti­tu­tion­nelles, vous avez pré­fé­ré pra­ti­quer une sorte de « les­si­vage à grande eau ». A ce qui aurait pu pas­ser pour une naï­ve­té cou­pable, vous avez ain­si pré­fé­ré le risque de l’as­tuce. Il est vrai que sinon vous auriez été contraints de modi­fier neuf articles au moins du texte consti­tu­tion­nel, dont cer­tains sont par­ti­cu­liè­re­ment sen­sibles et sym­bo­liques. Vous auriez été contraints, de sur­croît et en toute logique, de décons­ti­tu­tion­na­li­ser la Décla­ra­tion des droits de l’homme et du citoyen. Vous avez recu­lé, et l’on vous com­prend, au point d’ailleurs d’es­qui­ver vos responsabi­lités dans la déno­mi­na­tion même du pro­jet qui nous est sou­mis. Il ne s’a­git même pas, si je m’en tiens à son libel­lé, d’un pro­jet de loi de révi­sion, mais d’un pro­jet de loi consti­tutionnelle ajou­tant à la Consti­tu­tion un titre supplémentaire.

Je ne peux évi­dem­ment applau­dir à cette démarche, mais je recon­nais que cela ne change rien au fond. Je vous concé­derai même que ce blanc-seing que vous sol­li­ci­tez est en cohé­rence avec les pers­pec­tives que vous ouvrez. Je vous rejoins donc quand vous affir­mez que Maas­tricht n’est pas rené­go­ciable et on ne chan­ge­ra pas le trai­té par le biais d’une mani­pu­la­tion constitutionnelle.

Toutes les garan­ties, pré­ci­sions, cor­rec­tions, condi­tions dont on nous parle relèvent, à mes yeux, de l’illu­sion. La révi­sion, la rati­fi­ca­tion, c’est à prendre ou à laisser.

C’est assez dire qu’il ne m’est pas pos­sible de sépa­rer l’ap­pré­cia­tion consti­tu­tion­nelle de l’ana­lyse cri­tique des accords. Dès lors que l’on nous demande de chan­ger la Consti­tu­tion dans le seul but de rati­fier le trai­té de Maas­tricht, nous ne pou­vons nous pro­non­cer sur la réforme consti­tu­tion­nelle sans mesu­rer à quoi nous engage ce traité.

Ce fai­sant, je me plie – je n’ai guère le choix – à la pro­cé­dure, à la méthode, impo­sée par le Pré­sident de la Répu­blique. L’in­cons­ti­tu­tion­na­li­té que je sou­lève est, du reste, insé­pa­rable du regret que sus­cite en moi le non-recours à l’ar­ticle 11 de la Consti­tu­tion qui impli­quait le réfé­ren­dum direct.

Allez dire à d’autres, mes­sieurs les ministres, pour jus­ti­fier ces habi­le­tés tac­tiques, que la procé­dure de l’ar­ticle 89 rend sa digni­té au Par­le­ment ! Conve­nez que l’ar­gu­ment est plu­tôt sin­gu­lier au moment où l’on nous demande de dimi­nuer encore son pou­voir réel ! (applau­dis­se­ments)

Je le pro­clame donc d’emblée : dès lors que l’en­trée de la France dans l’Eu­rope de Maas­tricht consti­tue bien l’acte his­torique qu’a évo­qué le Pré­sident de la Répu­blique, il serait nor­mal, néces­saire, légi­time, indis­pen­sable que la parole soit don­née au peuple..) Non point que je conteste la légi­ti­mi­té de cette assem­blée. Je ne me suis pas asso­cié au chœur de ceux qui, il y a quelques semaines, ne trou­vaient pas de mots assez durs pour l’a­bais­ser, pour récla­mer sa dis­so­lu­tion, voire pro­po­ser son auto-dissolution.

Je constate d’ailleurs la contra­dic­tion dans laquelle s’en­ferment aujourd’­hui nombre d’entre eux en se refu­sant à l’i­dée d’un référendum.

Ce que je veux seule­ment dire c’est que le recours à la voie par­le­men­taire est contraire à l’es­prit de notre pacte social car ce que le peuple fait, seul le peuple peut le défaire.

En outre, c’est une faute poli­tique lourde que de refu­ser de don­ner à un enga­ge­ment aus­si grave la sacra­li­sa­tion dont il a besoin. Et ne chan­ge­rait rien’ l’af­faire la manœuvre qui consis­te­rait, ulté­rieu­re­ment, à ne faire rati­fier par le peuple que ce que le Par­le­ment aurait déjà décidé.

Non, foin d’ar­gu­ties ! Il me faut dire avec beau­coup d’autres, au nom de beau­coup d’autres, qu’il est bien temps de sai­sir notre peuple de la ques­tion euro­péenne. Car voi­là main­te­nant trente-cinq ans que le trai­té de Rome a été signé et que d’Acte unique en règle­ments, de règle­ment en direc­tives, de direc­tives en juris­pru­dence, la construc­tion euro­péenne se fait sans les peuples, qu’elle se fait en cati­mi­ni, dans le secret des cabi­nets, dans la pénombre des com­mis­sions, dans le clair-obs­cur des cours de justice.

Voi­là trente-cinq ans que toute une oli­gar­chie d’ex­perts, de juges, de fonc­tion­naires, de gou­ver­nants prend, au nom des peuples, sans en avoir reçu man­dat des déci­sions dont une for­mi­dable conspi­ra­tion du silence dis­si­mule les enjeux et mini­mise lei consé­quences. Que l’on m’en­tende bien : je ne viens ici don­ner de leçon à per­sonne ; mais que l’on veuille bien, en retour, res­pec­ter ma propre démarche ! Je me serais d’ailleurs bien pas­sé d’être là. Il eût mieux valu, à l’é­vi­dence, que des voix plus fortes que la mienne engagent le combat.

Elles ne l’ont pas sou­hai­té, je me gar­de­rai de les juger. Je me contente de faire et d’as­su­mer un autre choix. Ce n’est pas si facile.

A la décharge des absents, je recon­nais bien volon­tiers que le confor­misme ambiant, pour ne pas dire le véri­table ter­ro­risme intel­lec­tuel qui règne aujourd’­hui, dis­qua­li­fie par avance qui­conque n’adhère pas à la nou­velle croyance, et l’ex­pose lit­té­ra­le­ment à l’in­vec­tive. Qui veut se démar­quer du culte fédé­ral est aus­si­tôt tenu par les fai­seurs d’o­pi­nion (…) au mieux pour un contemp­teur de la moder­ni­té, un nos­tal­gique ou un pri­maire, au pire pour un natio­na­liste for­cené tout prêt à ren­voyer l’Eu­rope aux vieux démons qui ont si sou­vent fait son malheur.

Mais il est des moments où ce qui est en cause est tel­le­ment impor­tant que tout doit s’ef­fa­cer. Et je ne parle pas ici au nom d’une France contre l’autre, car dès lors qu’il s’a­git de la France, de la Répu­blique et de la démo­cra­tie, il ne peut plus être ques­tion de la droite et de la gauche, l’en­jeu, au. delà des par­tis, des cli­vages les plus natu­rels, des oppo­si­tions les plus légi­times, des que­relles les plus anciennes, n’est rien de moins que notre com­mu­nau­té de des­tin. Et cette com­mu­nau­té de des­tin est gra­ve­ment mise en péril par les accords, alors que ceux-ci ne sont ni la condi­tion de la pros­pé­ri­té, ni la condi­tion de la paix. Dans le monde tel qu’il est, l’i­déal comme le réa­lisme com­man­daient de faire pré­va­loir une tout autre concep­tion de l’Eu­rope, voi­là ce que je vou­drais main­te­nant déve­lop­per devant vous.

Mon­sieur le pré­sident, madame, mes­sieurs les ministres, mes chers col­lègues, que l’on ne s’y trompe pas, la logique du pro­ces­sus de l’en­gre­nage éco­no­mique et poli­tique mis au point à Maas­tricht est celle d’un fédé­ra­lisme au rabais fonda­mentalement anti-démo­cra­tique, faus­se­ment libé­ral et réso­lu­ment tech­no­cra­tique. L’Eu­rope qu’on nous pro­pose n’est ni libre, ni juste, ni effi­cace. Elle enterre la concep­tion de la sou­ve­rai­ne­té natio­nale et les grands prin­cipes issus de la Révo­lu­tion : 1992 est lit­té­ra­le­ment l’an­ti-1789. Beau cadeau d’an­ni­ver­saire que lui font, pour ses 200 ans, les pha­ri­siens de cette Répu­blique qu’ils encensent dans leurs dis­cours et risquent de rui­ner par leurs actes !

Je sais bien que l’on veut à tout prix mini­mi­ser les enjeux et nous faire croire que nous ne cédons rien d’es­sen­tiel en ce qui concerne notre indé­pen­dance ! Il est de bon ton, aujourd’­hui, de dis­ser­ter à l’in­fi­ni sur la signi­fi­ca­tion même du concept de sou­ve­rai­ne­té, de le décom­po­ser en menus mor­ceaux, d’af­fir­mer qu’il admet de mul­tiples excep­tions, que la sou­ve­rai­ne­té moné­taire, ce n’est pas du tout la même chose que l’i­den­ti­té col­lec­tive, laquelle ne cour­rait aucun risque. Ou encore que l’im­pôt, la défense, les affaires étran­gères, au fond, ne jouent qu’un rôle rela­tif dans l’exer­cice de la souveraineté,

Toutes ces argu­ties n’ont en réa­li­té qu’un but : vider de sa signi­fi­ca­tion ce mot gênant pour qu’il n’en soit plus ques­tion dans le débat.

La méthode est habile. En pré­sen­tant chaque aban­don par­cel­laire comme n’é­tant pas en soi déci­sif, on peut se per­mettre d’a­ban­don­ner un à un les attri­buts de la sou­ve­rai­ne­té sans jamais conve­nir qu’on vise à la détruire dans son ensemble.

Le pro­cé­dé n’est pas nou­veau. Il y a 2500 ans déjà, de demi-lon­gueur en demi-lon­gueur, Achille se rap­pro­chait en cou­rant de la tor­tue de Zénon sans jamais la rat­tra­per.., Seu­lement, ce n’est là que para­doxe. Dans la réa­li­té, Achille gagne bel et bien la course ; de même, à force de renonce­ments, aus­si ténu que soit cha­cun d’eux, on va bel et bien finir par vider la sou­ve­rai­ne­té de son conte­nu. Car il s’a­git là d’une notion glo­bale, indi­vi­sible comme un nombre pre­mier. On est sou­ve­rain ou on ne l’est pas ! Mais on ne l’est jamais à demi. Par essence, la sou­ve­rai­ne­té est un abso­lu qui exclut toute idée de subor­di­na­tion et de com­pro­mis­sion. Un peuple sou­ve­rain n’a de comptes à rendre à per­sonne et n’a, vis-à-vis des autres, que les devoirs et les obli­ga­tions qu’il choi­sit libre­ment de s’im­po­ser à lui-même.

Sou­ve­nez-vous du cri de Cha­teau­briand à la tri­bune de la Chambre, en 1816 : «  Si l’Eu­rope civi­li­sée vou­lait m’im­po­ser la charte, j’i­rais vivre à Constantinople. »

La sou­ve­rai­ne­té, cela ne se divise pas ni ne se par­tage et, bien sûr, cela ne se limite pas.

Rap­pe­lons-nous d’ailleurs, pour avoir un exemple plus récent de ce que vous appe­lez de vos vœux, ce que put signi­fier pen­dant « le prin­temps de Prague » la doc­trine de la sou­ve­rai­ne­té limi­té, tant il est vrai que la « sou­ve­rai­ne­té divi­sée », « la sou­ve­rai­ne­té par­ta­gée », « la sou­ve­rai­ne­té limi­tée » sont autant d’ex­pres­sions pour signi­fier qu’il n’y a plus du tout de sou­ve­rai­ne­té ! Et, de fait, quand on accepte de prendre des déci­sions à la majo­ri­té sur des ques­tions cru­ciales, et dès lors que ces déci­sions s’im­posent à tous sans pou­voir jamais être remises en cause ulté­rieu­re­ment à l’é­che­lon natio­nal, on passe clai­re­ment de la concer­ta­tion à l’in­té­gra­tion. Aus­si, quand on nous dit que les accords de Maas­tricht orga­nisent une union d’É­tats fon­dée sur la coopé­ra­tion inter­gou­ver­ne­men­tale, on tra­ves­tit déli­bé­ré­ment la réa­li­té. Tout au contraire, ces accords visent à rendre inap­pli­cable le droit de veto et à créer des méca­nismes qui échappent tota­le­ment aux États.

En fait, ce trai­té est un « anti-com­pro­mis » de Luxem­bourg en tant qu’il inter­dit, non seule­ment aux par­le­ments natio­naux mais aus­si aux gou­ver­ne­ments, de faire pré­va­loir l’in­té­rêt natio­nal quand il est en cause puisque cha­cun s’en­gage à évi­ter autant que pos­sible d’empêcher qu’il y ait una­ni­mi­té lors­qu’une majo­ri­té qua­li­fiée est favo­rable à la décision.

Cela est vrai pour la poli­tique moné­taire et pour la poli­tique sociale. Mais cela le sera aus­si pour la poli­tique étran­gère et la poli­tique de défense. D’ailleurs, vous nous l’a­vez rap­pe­lé, mon­sieur le ministre, les pays membres prennent eux-mêmes l’en­ga­ge­ment de ne défendre que des posi­tions com­munes au sein des orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales, et cet enga­ge­ment vaut aus­si pour la France et le Royaume-Uni en leur qua­li­té de membres per­ma­nents du Conseil de sécu­ri­té de l’O.N.U. : cette situa­tion, contraire aux dis­po­si­tions de la charte, plu­sieurs de nos par­te­naires l’in­ter­prètent déjà, nous le savons, comme une tran­si­tion vers le trans­fert de ces deux sièges à la Communauté.

Tout ce dis­po­si­tif est donc fort peu res­pec­tueux de la sou­ve­rai­ne­té des États membres tant en ce qui concerne la nature des règles de déci­sions que le carac­tère irré­ver­sible des trans­ferts de pou­voirs envisagés.

Ces­sons donc de tri­cher, de dis­si­mu­ler, de jouer sur les mots, de mul­ti­plier les sophismes. L’al­ter­na­tive est claire : nous devons conser­ver notre sou­ve­rai­ne­té ou y renoncer.

Il est temps de nous deman­der com­ment nous en sommes arri­vés à consi­dé­rer cette ques­tion, incon­grue il y a quelques mois encore, comme presque banale, com­ment nous en sommes arri­vés à consi­dé­rer la rup­ture de notre pacte social sinon comme nor­male, du moins comme nécessaire.

Évi­dem­ment, et aujourd’­hui encore, on s’é­chine à nous per­sua­der qu’il n’y a là rien de nou­veau. Rien de nou­veau peut-être dans les arrière-pen­sées, mais nou­veau­té radi­cale par rap­port aux enga­ge­ments que nous avions pris jus­qu’i­ci et qui étaient d’une tout autre nature.

Met­tons à part le trai­té ins­ti­tuant la Com­mu­nau­té euro­péenne du char­bon et de l’a­cier, qui, au len­de­main de la guerre, était tout impré­gné d’une idéo­lo­gie diri­giste et pla­ni­fi­ca­trice, et qui s’est d’ailleurs sol­dé par un échec total, si l’on en juge par ce qui reste aujourd’­hui de la sidé­rur­gie européenne !

Hor­mis donc le trai­té ins­ti­tuant le CECA, on pou­vait consi­dé­rer, avant le som­met de Maas­tricht, que nous n’a­vions pas rati­fié beau­coup plus que des accords de coopé­ra­tion et de libre-échange. D’ailleurs, dix­-huit mois après la signa­ture du trai­té de Rome, les consti­tuants de 1958 ont pu sou­li­gner et consa­crer la plé­ni­tude de la sou­ve­rai­ne­té natio­nale. Et ils ne l’ont pas fait pas inad­ver­tance, comme a paru le sug­gé­rer M. Mit­ter­rand, ou par négli­gence, comme a cru devoir le sup­po­ser M. le garde des sceaux.

Faut-il rap­pe­ler, en effet, que le Trai­té de Rome ne men­tionne que deux poli­tiques com­munes dont l’une, celle des trans­ports, n’a jamais vu le jour, tan­dis que l’autre, la poli­tique agri­cole com­mune, ne fonc­tion­nait que par consen­sus depuis que le com­pro­mis de Luxem­bourg avait mis fin – pro­vi­soi­re­ment – à toute ten­ta­tion supra­na­tio­nale ? Ins­tau­rer un mar­ché com­mun, puis un mar­ché unique, voi­là tout ce à quoi la France s’é­tait enga­gée, et il n’y aurait rien eu à redire concer­nant ces enga­ge­ments-là, si ne s’é­tait déve­lop­pé peu à peu, à force de règle­ments, de déci­sions et de direc­tives, tout un droit com­mu­nau­taire déri­vé, sans aucun rap­port avec les objec­tifs fixés par les traités.

De toute évi­dence se posait un pro­blème d’in­ter­pré­ta­tion des textes, deve­nant de plus en plus grave au fur et à mesure que la conni­vence de la Com­mis­sion, du juge euro­péen et des juges natio­naux en venait à impo­ser aux pays membres la supré­ma­tie des textes communautaires.

L’exemple de l’Acte unique est, à cet égard, tout à fait révé­la­teur. Ce trai­té déclare, en effet, que seront prises à la majo­ri­té toutes les mesures d’har­mo­ni­sa­tion néces­saires à la réa­li­sa­tion du mar­ché unique, excep­tion faite des mesures fis­cales. A prio­ri, cela n’en­gage à aucun véri­table trans­fert de sou­ve­rai­ne­té, si l’on veut bien consi­dé­rer qu’un mar­ché unique n’est pas un espace éco­no­mique uni­forme et qu’il n’est pas besoin de nom­breuses mesures d’har­mo­ni­sa­tion pour faire jouer conve­na­ble­ment la concur­rence entre les pays membres, sou­mis au prin­cipe de recon­nais­sance mutuelle des régle­men­ta­tions. Mais il a suf­fi que la Com­mis­sion, dis­po­sant de l’i­ni­tia­tive des textes, décide que la réa­li­sa­tion du mar­ché unique néces­si­tait l’a­dop­tion de trois cents direc­tives d’har­mo­ni­sa­tion pour que celles-ci soient adop­tées à la majo­ri­té sans qu’au­cun recours ait pu être oppo­sé à cette qua­li­fi­ca­tion arbi­traire, la Cour de jus­tice des Com­mu­nau­tés étant elle-même conver­tie sans réserve à l’i­déo­lo­gie fédéraliste.

C’est ain­si que, dans les faits, notre enga­ge­ment ini­tial se révèle désor­mais bien plus contrai­gnant que ce qui res­sor­tait de la lettre du traité.

Pour autant, ce n’est quand même, là encore, qu’un pro­blème d’in­ter­pré­ta­tion, pour lequel on pour­rait théo­ri­que­ment trou­ver une solu­tion consti­tu­tion­nelle qui s’im­pose aux juges.

Ce n’est plus du tout le cas avec les accords de Maas­tricht, qui ne souffrent d’au­cune ambi­guï­té. On connaît l’ar­gu­ment : il nous faut faire l’Eu­rope, donc il nous faut concé­der une par­tie de notre sou­ve­rai­ne­té. Comme si cette rela­tion cau­sale allait de soi ! Comme si le res­pect des sou­ve­rai­ne­tés inter­di­sait la coopé­ra­tion, l’ou­ver­ture, la soli­da­ri­té ! Comme si les États sou­ve­rains en étaient fata­le­ment réduits à un splen­dide iso­le­ment et condam­nés à une poli­tique fri­leuse de replie­ment sur soi !

C’est oublier que, si cela lui parait néces­saire, un État peut sou­ve­rai­ne­ment déci­der de délé­guer des com­pé­tences ou les exer­cer en com­mun avec d’autres. La que­relle n’est pas pure­ment séman­tique. C’est une chose, en effet, que de délé­guer tem­po­rai­re­ment un pou­voir sus­cep­tible d’être récu­pé­ré lorsque la délé­ga­tion n’est plus conforme à l’in­té­rêt natio­nal ou ne répond plus aux exi­gences du moment. C’est tout autre chose que d’o­pé­rer un trans­fert sans retour pou­vant contraindre un État à appli­quer une poli­tique contraire à ses inté­rêts et à ses choix.

La coopé­ra­tion, la concer­ta­tion, même quand elles sont pous­sées très loin, s’ac­com­modent très bien du droit de veto. On peut même dire que le veto est le meilleur sti­mu­lant de la concer­ta­tion puis­qu’il oblige à pro­lon­ger la négo­cia­tion jus­qu’au consen­te­ment géné­ral des États. C’est d’ailleurs sur cette phi­lo­so­phie qu’é­tait fon­dé, j’y reviens, le fameux com­promis de Luxem­bourg, que après la poli­tique de la chaise vide, de Gaulle impo­sa à nos par­te­naires et qui n’a pas empê­ché, bien au contraire, le déve­lop­pe­ment d’une poli­tique agri­cole commune.

On pour­ra tou­jours objec­ter bien sûr que tout cela n’est pas très impor­tant puisque les trai­tés ne sont jamais eux­-mêmes tota­le­ment irré­ver­sibles et que, le cas échéant, chaque pays membre pour­ra tou­jours les dénon­cer en bloc. Les choses ne sont pas si simples.

D’a­bord parce que, véri­fi­ca­tion faite, le trai­té ne pré­voit ni séces­sion ni retrait. C’est même la pre­mière fois qu’un trai­té est ain­si mar­qué par la notion d’ir­ré­ver­si­bi­li­té, et on ne sait que trop ce qu’il en est dans les sys­tèmes où les États fédé­rés gardent pour­tant, théo­ri­que­ment, le droit de quit­ter la fédé­ra­tion. On sait com­ment aux États-Unis les États du Nord ont inter­pré­té ce droit quand les États du Sud ont vou­lu faire séces­sion. On sait aus­si ce que celui-ci signi­fiait dans la Consti­tu­tion sovié­tique. On sait ce qu’il veut dire en You­go­sla­vie. Et quand bien même les pers­pec­tives seraient, en l’oc­cur­rence, moins dra­ma­tiques, la ques­tion se pose de savoir si nous ne sommes pas en train de créer une situa­tion dans laquelle la dénon­cia­tion en bloc des trai­tés va deve­nir si mal­ai­sée et si coû­teuse qu’elle ne sera bien­tôt plus qu’un solu­tion illusoire.

Il ne faut pas rêver. Sans mon­naie, demain, sans défense, sans diplo­ma­tie, peut-être, après-demain, la France, au mieux, n’au­rait pas plus de marge de manœuvre que n’en ont aujourd’­hui l’U­kraine et l’Azerbaïdjan.

Cer­tains s’en accom­modent. Quant à moi, Ce n’est pas l’a­ve­nir que je sou­haite à mon pays. D’ailleurs, les tenants de la marche vers le fédé­ra­lisme ne cachent pas leur des­sein. Ils veulent bel et bien, et ils le disent, que les pro­grès du fédé­ra­lisme soient sans retour en droit et, sur­tout, en pra­tique, et force est de consta­ter que nous voi­là d’ores et déjà pris dans un redou­table engre­nage. Depuis que la règle de la majo­ri­té s’ap­plique de plus en plus lar­ge­ment dans les prises de déci­sion du Conseil euro­péen et que les jurispru­dences conver­gentes de la Cour de cas­sa­tion et du Conseil d’É­tat admettent que les trai­tés et le droit com­mu­nau­taire qui en est déri­vé béné­fi­cient d’une pri­mau­té abso­lue sur nos lois natio­nales, le Gou­ver­ne­ment, dès lors qu’il est en mino­ri­té au Conseil, non plus que le Par­le­ment fran­çais, n’a plus son mot à dire pour inflé­chir les règles com­mu­nau­taires jugées inac­cep­tables pour la France.

Son­gez que le juge admi­nis­tra­tif n’é­prouve plus aucune gêne à déci­der qu’un ministre com­met une infrac­tion en pre­nant un arrê­té conforme à une loi natio­nale dès lors que cette loi est contraire à une direc­tive com­mu­nau­taire, même si la loi est pos­té­rieure. L’ad­mi­nis­tra­tion peut même, à ce titre, se voir condam­née à ver­ser des dom­mages et inté­rêts. Où allons-nous ?

Où allons-nous si le juge, tout en décla­rant qu’il ne veut pas cen­su­rer la loi, s’ar­roge le droit de la rendre inop­po­sable ou inap­pli­cable ? La Répu­blique, ce n’est pas une jus­tice aux ordres : mais ce n’est pas non plus le gou­ver­ne­ment des juges, a for­tio­ri quand il s’a­git de juges euro­péens qui font par­ler l’es­prit des traités !

Bien­tôt, pour­tant, comme nous l’a annon­cé M. Delors, au moins 80 p. 100 de notre droit interne sera d’o­ri­gine com­mu­nau­taire, et le juge ne lais­se­ra plus d’autre choix au légis­la­teur que le tout ou rien : ou se sou­mettre tota­le­ment ou dénon­cer uni­la­té­ra­le­ment et en bloc des trai­tés de plus en plus contraignants.

Bref, quand, du fait de l’ap­pli­ca­tion des accords de Maas­tricht, notam­ment en ce qui concerne la mon­naie unique, le coût de la dénon­cia­tion sera deve­nu exor­bi­tant, le piège sera refer­mé et, demain, aucune majo­ri­té par­le­men­taire, quelles que soient les cir­cons­tances, ne pour­ra rai­son­na­ble­ment reve­nir sur ce qui aura été fait.

Crai­gnons alors que, pour finir, les sen­ti­ments natio­naux, à force d’être étouf­fés, ne s’exa­cerbent jus­qu’à se muer en natio­na­lismes et ne conduisent l’Eu­rope, une fois encore, au bord de graves dif­fi­cul­tés, car rien n’est plus dan­ge­reux qu’une nation trop long­temps frus­trée de la sou­ve­rai­ne­té par laquelle s’ex­prime sa liber­té, c’est-à-dire son droit impres­crip­tible à choi­sir son destin.

On ne joue pas impu­né­ment avec les peuples et leur his­toire. Toutes les chi­mères poli­tiques sont appe­lées un jour ou l’autre à se bri­ser sur les réa­li­tés his­to­riques. La Rus­sie a bel et bien fini par boire le com­mu­nisme comme un buvard parce que la Rus­sie avait plus de consis­tance his­to­rique que le com­mu­nisme, mais à quel prix ?

Alors, si nous orga­ni­sons l’Eu­rope, orga­ni­sons-la à par­tir des réa­li­tés. Et les réa­li­tés, en Europe, ce sont toutes les natio­na­li­tés qui la composent.

Com­ment allons-nous arti­cu­ler la construc­tion de l’Eu­rope avec ces don­nées de faits qui plongent si pro­fond dans le pas­sé et dans l’in­cons­cient col­lec­tif ? Com­ment allons-nous bâtir un sys­tème de coopé­ra­tion assu­rant la paix et la pros­pé­ri­té sans négli­ger ces réa­li­tés natio­nales dont les mou­ve­ments ne nous paraissent par­fois imper­cep­tibles que parce qu’ils appar­tiennent à la très longue durée ? Voi­là qui devrait tout natu­rel­le­ment être l’ob­jet d’un vrai et grand débat public.

Mais, consta­tons-le, Ce débat ne s’en­gage pas vrai­ment. On se contente de faire dans l’in­can­ta­tion : « c’est beau, c’est grand, c’est géné­reux, Maas­tricht ! Ou dans la menace à peine voi­lée – Maas­tricht ou le chaos ! Si vous ne votez pas Maas­tricht, vous ne serez jamais ministre ! » L’o­pi­nion est d’au­tant plus décon­te­nan­cée qu’elle sent bien qu’on fait sou­vent silence pour de simples rai­sons d’im­mé­diate oppor­tu­ni­té et qu’elle assiste à de sur­pre­nants chas­sés-croi­sés. Les idéo­logues de la recon­quête du mar­ché inté­rieur se font les chantres de la mon­naie unique. Les tenants de la relance et autres théo­ri­ciens de l’autre poli­tique éco­no­mique expliquent doc­te­ment qu’il n’existe pas d’al­ter­na­tive à Maas­tricht. Sans par­ler de ceux qui nous ont expli­qué tour à tour que Maas­tricht était par­fai­te­ment conforme à la Consti­tu­tion, puis que la rati­fi­ca­tion impo­sait la révi­sion de celle-ci : que Maas­tricht était l’acte le plus impor­tant depuis la Seconde Guerre mon­diale, puis­qu’il n’é­tait jamais que le pro­lon­ge­ment du Trai­té de Rome et de l’Acte unique… Tout se passe en réa­li­té comme si per­sonne n’a­vait vrai­ment envie de débat.

Bien sûr, on peut tou­jours pré­tendre – on com­mence à le faire çà et là – que la ques­tion est beau­coup trop tech­nique pour être vala­ble­ment abor­dée lors d’un débat public, dans un cli­mat pas­sion­nel, à un moment dans la conjonc­ture qui ne s’y prêtent pas et devant des élec­teurs dont il est avanta­geux de pos­tu­ler l’in­com­pé­tence. Curieuse concep­tion de la démo­cra­tie der­rière laquelle, une fois de plus, se pro­filent la méfiance du suf­frage uni­ver­sel, celle du peuple sou­ve­rain et le dépé­ris­se­ment de la République.

D’au­tant que la construc­tion euro­péenne n’est pas du tout, par nature, un pro­blème tech­nique. C’est par tac­tique que, depuis l’é­chec de la C.E.D. en 1954, les idéo­logues du fédé­ra­lisme et les euro­crates cherchent à dis­si­mu­ler leur des­sein poli­tique sous le man­teau de la technique.

Il est vrai qu’ils n’y ont pas si mal réus­si jus­qu’à pré­sent. Mais jus­qu’où est-il per­mis d’im­po­ser au peuple, sous cou­vert de tech­ni­ci­té, des choix poli­tiques majeurs qui relèvent de lui et de lui seul ? Jus­qu’où la dis­si­mu­la­tion peut-elle être l’ins­tru­ment d’une poli­tique ? Il serait indé­cent et dan­ge­reux d’al­ler plus loin.

Le moment est venu de regar­der en face la vraie nature des choses qui n’est pas tech­nique mais poli­tique, et de dire ouver­te­ment, fran­che­ment, hon­nê­te­ment, quels sont les enjeux. Il est temps que ce débat ait lieu. Il est temps de mon­trer aux Fran­çais qu’il y a plu­sieurs voies pos­sibles et qu’ils ont le choix. Il est temps de leur mon­trer qu’on les mène vers une impasse et que l’es­pé­rance est ailleurs — selon moi du côté de la nation qui est la leur.

Qu’on le veuille ou non, en effet, c’est l’i­dée qu’on se fait de la nation qui com­mande l’i­dée qu’on se fait de l’Eu­rope. C’est pour­tant une atti­tude fort répan­due que de mar­te­ler le thème de l’Eu­rope sans jamais même effleu­rer celui de la nation, comme si celle-ci n’é­tait nul­le­ment en cause. Il est tel­le­ment plus com­mode de res­ter dans le flou, dans l’im­pli­cite ou le non-dit…

C’est, bien sûr, ce prin­cipe d’ex­trême pru­dence poli­tique qui a conduit les auteurs du trai­té de Maas­tricht à gom­mer de leur texte le mot « fédé­ral », Pour­tant, cela ne change rien à la chose, car ce qui compte dans un trai­té, c’est son esprit, ce sont les méca­nismes qu’il met en place. Et vous-même, mon­sieur Dumas, avec la fran­chise qui vous carac­té­rise, vous l’a­viez recon­nu ici même, sans détour : cette Europe est à fina­li­té fédérale.

Pour­tant, j’en conviens volon­tiers, ce qu’on nous pro­pose aujourd’­hui ce n’est pas le fédé­ra­lisme au sens où on l’en­tend quand on parle des États-unis ou du Cana­da. C’est bien pire, parce que c’est un fédé­ra­lisme au rabais !

On ferait vrai­ment beau­coup d’hon­neur au trai­té en affir­mant, sans autre pré­cau­tion, qu’il est d’es­sence fédé­rale. Il ne com­porte même pas, en effet — ce serait, après tout, un moindre mal — les garan­ties du fédéralisme.

Car le pou­voir qu’on enlève au peuple, aucun autre peuple ni aucune réunion de peuples n’en hérite. Ce sont des tech­no­crates dési­gnés et contrô­lés encore moins démo­cra­ti­que­ment qu’au­pa­ra­vant qui en béné­fi­cient et le défi­cit démo­cra­tique, tare ori­gi­nelle de la construc­tion euro­péenne, s’en trouve aggravé.

Dans ces condi­tions, un véri­table fédé­ra­lisme, avec son Gou­ver­ne­ment, son Sénat, sa Chambre des repré­sen­tants, pour­rait demain appa­raître comme un pro­grès, sous pré­texte qu’il serait alors le seul moyen de sor­tir de l’or­nière techno­cratique dans laquelle nous nous serions davan­tage encore embourbés.

C’est la rai­son pour laquelle je suis d’au­tant plus réso­lu­ment oppo­sé à cette solu­tion d’un fédé­ra­lisme ban­cal qu’elle serait fata­le­ment le pré­lude à un vrai et pur fédéralisme.

Or, soyons lucides, il n’y a aucune place pour des nations vrai­ment libres dans un État fédé­ral. Il n’y a jamais eu de place pour des nations réel­le­ment dis­tinctes dans aucun État fédé­ral. Libre à cer­tains de cares­ser l’illu­sion qu’il s’a­git de créer une nation des nations : c’est là une contra­dic­tion dans les termes et rien de plus. Conve­nons plu­tôt qu’il y a quelque iro­nie à pro­po­ser à nos vieilles nations le fédé­ra­lisme comme idéal, au moment même où toutes les fédé­ra­tions de natio­na­li­tés sont en train de débou­cher sur l’échec.

À ceux qui, mal­gré tout, s’i­ma­ginent que le temps et les textes l’emportent sur tout le reste, je vou­drais rap­pe­ler sim­ple­ment com­ment, depuis plus de deux siècles, se pose la ques­tion qué­bé­coise. Com­ment, depuis plus de deux siècles, le peuple qué­bé­cois, à la fois si proche et si dif­fé­rent de ses voi­sins par ses ori­gines, sa langue et sa culture, vit sa situa­tion d’É­tat fédé­ré au sein d’un État fédé­ral qui est pour­tant autre­ment plus démo­cra­tique que la construc­tion écha­fau­dée à Maastricht.

En véri­té, le fédé­ra­lisme ne marche bien que lors­qu’il pro­cède d’un État-nation, comme en Alle­magne ou dans les États-unis d’au­jourd’­hui, au Mexique, au Bré­sil, ou en Aus­tra­lie. Com­ment, dans ces condi­tions, peut-on rai­son­na­ble­ment croire pos­sible de réunir sous une même loi, sous un même pou­voir, à par­tir d’une union conven­tion­nelle un ensemble trans­na­tio­nal qui se suf­fi­rait à lui-même et se per­pé­tue­rait sans contrainte ?

Dans cette affaire émi­nem­ment poli­tique, le véri­table et le seul débat oppose donc, d’un côté, ceux qui tiennent la nation pour une simple moda­li­té d’or­ga­ni­sa­tion sociale désor­mais dépas­sée dans une course à la mon­dia­li­sa­tion qu’ils appellent de leurs vœux et, de l’autre, ceux qui s’en font une tout autre idée.

La nation, pour ces der­niers, est quelque chose qui pos­sède une dimen­sion affec­tive et une dimen­sion spi­ri­tuelle. C’est le résul­tat d’un accom­plis­se­ment, le pro­duit d’une mys­té­rieuse méta­mor­phose par laquelle un peuple devient davan­tage qu’une com­mu­nau­té soli­daire, presque un corps et une âme. Certes, les peuples n’ont pas tous ]a même concep­tion de la nation : les Fran­çais ont la leur, qui n’est pas celle des Alle­mands ni celle des Anglais, mais toutes les nations se ressem­blent quand même et nulle part rien de durable ne s’ac­com­plit en dehors d’elles. La démo­cra­tie elle-même est impen­sable sans la nation.

De Gaulle disait : « La démo­cra­tie pour moi se confond exac­te­ment avec la sou­ve­rai­ne­té natio­nale. » On ne sau­rait mieux sou­li­gner que pour qu’il y ait une démo­cra­tie il faut qu’existe un sen­ti­ment d’ap­par­te­nance com­mu­nau­taire suffi­samment puis­sant pour entraî­ner la mino­ri­té à accep­ter la loi de la majo­ri­té ! Et la nation c’est pré­ci­sé­ment ce par quoi ce sen­ti­ment existe. Or la nation cela ne s’in­vente ni ne se décrète pas plus que la souveraineté !

Le fait natio­nal s’im­pose de lui­-même sans que per­sonne puisse en déci­der autre­ment ; il n’est ni repli ni rejet, il est acte d’adhésion.

Car la nation ce n’est pas un clan, ce n’est pas une race, ce n’est pas une tri­bu. La nation c’est plus fort encore que l’i­dée de patrie, plus fort que le patrio­tisme, ce noble réflexe par lequel on défend sa terre natale, son champ, ses sépul­tures. Car le sen­ti­ment natio­nal c’est ce par quoi on devient citoyen, ce par quoi on accède à cette digni­té suprême des hommes libres qui s’ap­pelle la citoyenneté !

C’est assez dire que la citoyen­ne­té non plus ne se décrète pas, qu’elle ne relève ni de la loi ni du trai­té. Pour qu’il y ait une citoyen­ne­té euro­péenne, il fau­drait qu’il y ait une nation européenne.

Alors oui, il est pos­sible d’en­fer­mer les habi­tants des pays de la Com­mu­nau­té dans un cor­set de normes juri­diques, de leur impo­ser des pro­cé­dures, des règles, des inter­dits, de créer si on le veut de nou­velles caté­go­ries d’assujettis.

Mais on ne peut créer par un trai­té une nou­velle citoyen­neté. Curieuse citoyen­ne­té d’ailleurs que celle dont on nous parle, parée de droits, mais exempte de devoirs !

Le droit de vote exprime ain­si une adhé­sion très forte sans laquelle il n’a aucun sens. On ne vote pas dans un pays sim­ple­ment parce qu’on y habite, mais parce que l’on veut par­ta­ger ses valeurs et son des­tin. L’obs­tacle à la citoyen­neté euro­péenne n’est donc pas tant consti­tu­tion­nel que moral.

Ose­rai-je dire à cet égard que je suis moins cho­qué à la limite, sous les pré­cau­tions que l’on sait par la pers­pec­tive d’ad­mettre des étran­gers à des élec­tions locales qu’à l’i­dée de recon­naître le droit de vote pour les élec­tions euro­péennes aux res­sor­tis­sants des autres États membres de la Commu­nauté rési­dant en France ? Car là est bien, au niveau des prin­cipes, la dérive fédéraliste.

Dans l’es­prit d’une confé­dé­ra­tion res­pec­tant les souverai­netés natio­nales, ce qui est, jus­qu’à preuve du contraire la seule voie sur laquelle nous soyons jus­qu’à pré­sent officielle­ment enga­gés, les dépu­tés au Par­le­ment euro­péen sont les repré­sen­tants de cha­cun des peuples de la Com­mu­nau­té. C’est donc tout natu­rel­le­ment qu’ils sont élus sur des bases natio­nales. Ouvrir ce corps élec­to­ral aux rési­dents des autres États membres, serait rompre avec ce prin­cipe et ouvrir une brèche qui nous condui­rait bien­tôt à tenir les déci­sions du Par­le­ment de Stras­bourg pour l’ex­pres­sion de la volon­té géné­rale d’un hypo­thé­tique « peuple euro­péen », au même titre que la loi édic­tée par chaque Par­le­ment natio­nal est l’ex­pres­sion de la volon­té géné­rale de la Nation,

C’est là, bien enten­du, où veulent nous conduire les auteurs du trai­té de Maas­tricht et il est clair que tous les moyens sont bons à leurs yeux pour y par­ve­nir, Cette dis­po­si­tion est donc abso­lu­ment  inac­cep­table, quelles qu’en soient les condi­tions d’exercice.

Je pren­drai néan­moins le risque d’é­ton­ner en affir­mant qu’il faut pro­ba­ble­ment tenir la créa­tion de la citoyen­ne­té euro­péenne pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un simple corol­laire de la mon­naie unique qui est, elle, le vrai, le puis­sant méca­nisme par lequel se réa­li­se­ra non seule­ment l’in­té­gra­tion éco­no­mique mais aus­si fina­le­ment l’in­té­gra­tion politique.

Ceux qui se contentent de deman­der l’a­bro­ga­tion des dis­po­si­tions sur le droit de vote s’at­taquent ain­si, je le crains, aux effets anti­ci­pés sans s’at­ta­quer aux causes. On peut d’ailleurs se deman­der légi­ti­me­ment jus­qu’à quel point cette dis­po­si­tion pro­vo­cante, qu’on pour­rait éven­tuel­le­ment paraître atté­nuer, n’a pas pour seule fonc­tion d’être un abcès de fixa­tion, un leurre, un change comme on dit sur cer­tains ter­rains de chasse.

Nous en aurons du moins tiré par­ti pour nous sou­ve­nir que le sen­ti­ment natio­nal n’est pas le natio­na­lisme, Car le natio­na­lisme, avec ses outrances et, son égoïsme for­ce­né a quelque chose de patho­lo­gique qui n’a rien à voir avec la nation ni, bien sûr, avec la République.

C’est dire com­bien la France, dont il nous faut pré­ser­ver la sou­ve­rai­ne­té, en refu­sant de la dis­soudre dans l’Eu­rope fédé­rale, n’est pas la France des extré­mistes de droite qui est en fait une anti-France,

Que peuvent d’ailleurs bien com­prendre à la nation ceux qui, il y a cin­quante ans, s’en­ga­geaient dans la col­la­bo­ra­tion avec les nazis pour bâtir l’ordre euro­péen nou­veau ; ceux qui, dans Paris occu­pé, orga­ni­saient des expo­si­tions sur la France euro­péenne au Grand Palais, ceux qui pro­phé­ti­saient qu’on par­le­rait de l’Al­le­magne et du Dane­mark comme on parle de la Flandre et de la Bour­gogne, ou encore que dans une Europe où l’Al­le­magne tien­drait le rôle que l’An­gle­terre enten­dait s’ar­ro­ger, ses inté­rêts et les nôtres se rejoin­draient tôt ou tard ?

Je ne crois pas que ceux-là aient rom­pu avec ces pen­chants, mal­gré les efforts qu’ils déploient pour jouer sur l’é­goïsme, tout en dis­si­mu­lant l’i­déo­lo­gie qui les anime, qui dépasse d’ailleurs les fron­tières et qui est anti­ré­pu­bli­caine parce qu’elle est vis­cé­ra­le­ment contre l’é­ga­li­té des droits et la recon­nais­sance uni­ver­selle de la digni­té de la per­sonne humaine.

Mais qu’on y prenne garde : c’est lorsque le sen­ti­ment natio­nal est bafoué que la voie s’ouvre aux dérives natio­na­listes et à tous les extrémismes !

J’ai par­lé de répu­blique, de valeurs répu­bli­caines. Il faut à ce sujet bien nous entendre. En France, la Répu­blique n’est pas seule­ment un régime ins­ti­tu­tion­nel. Et s’il fal­lait lui trou­ver une date de nais­sance, je la situe­rais à Val­my, le 20 sep­tembre 1792, avec le « peuple en armes », plu­tôt qu’à la Conven­tion, le len­de­main, quand les dépu­tés déci­dèrent d’a­bo­lir la monar­chie. Car la Répu­blique, c’est avant tout ce sys­tème de valeurs col­lec­tives par lequel la France est ce qu’elle est aux yeux du monde. Il y a une Répu­blique fran­çaise comme il y eut une Répu­blique romaine. Depuis l’o­ri­gine, sa maxime est la même : la sou­ve­rai­ne­té du peuple, l’ap­pel de la liber­té, l’es­pé­rance de la jus­tice. Elle est insé­pa­rable de la digni­té de la per­sonne humaine et de son émanci­pation, de l’É­tat de droit, de l’é­qui­té et de l’é­ga­li­té des chances. Elle est insé­pa­rable de la soli­da­ri­té natio­nale, de l’am­bi­tion col­lec­tive natio­nale, de l’es­prit natio­nal, de l’in­dé­pen­dance natio­nale. Elle est insé­pa­rable de l’É­tat qui, en son nom, doit arbi­trer, rendre la jus­tice, atta­quer inlas­sa­ble­ment les pri­vi­lèges, com­battre les féo­da­li­tés, accor­der la pri­mau­té aux mérites et à la ver­tu. C’est dire que, for­gée dans le même moule, la Répu­blique n’est pas sépa­rable de la nation. Et tout cela, bien sûr, ne date pas d’hier !

N’y avait-il pas déjà un sen­ti­ment natio­nal dans les groupes anti-Anglais de Nor­man­die pen­dant la guerre de Cent Ans ? Ou quand, pour la pre­mière fois, on a crié à Mar­seille en 1585 « Vive la Répu­blique ! » contre la Ligue qui pac­ti­sait avec les Espa­gnols ? N’y avait-il pas déjà au Moyen-Âge un modèle cultu­rel fran­çais dans cette uni­ver­si­té de Paris qui impo­sait à l’Eu­rope la supré­ma­tie de sa méthode et quand l’ab­bé Suger ouvrait, à Saint-Denis, le temps de ces cathé­drales, que l’on n’ap­pe­lait pas encore gothiques, et dans les­quelles toute l’Eu­rope d’a­lors recon­nais­sait l’art de France ? N’y avait-il pas déjà une volon­té natio­nale chez Phi­lippe Le Bel, quand il refu­sait de tolé­rer aucun État dans l’É­tat et chez le « petit roi de Bourges » quand il reje­tait le trai­té de Troyes par lequel Isa­beau de Bavière avait livré la France aux Anglais ? Et chez Fran­çois Ier quand il signa à Vil­lers-Cot­te­rêts l’é­dit par lequel le fran­çais allait deve­nir la langue offi­cielle de l’État ?

A chaque étape de notre his­toire, il y a déjà ain­si un peu de la Répu­blique comme il y en avait quand Napo­léon fai­sait rédi­ger le code civil et qu’il disait : « Ma maxime a été la car­rière ouverte aux talents sans dis­tinc­tion de fortune. »

Il fal­lait pas­ser par là pour qu’un jour il y eût vrai­ment la Répu­blique et les phi­lo­sophes et la Décla­ra­tion des droits et l’é­cole de la Répu­blique, pour que la France devienne ce pays si sin­gu­lier dont Mal­raux disait qu’« il n’est jamais plus grand que lors­qu’il parle à tous les hommes ». Ce pays si sin­gu­lier qui, depuis tou­jours au fond, se veut plus exem­plaire que domi­na­teur. Ce pays si sin­gu­lier qui, mal­gré ses fai­blesses et ses renon­ce­ments, garde, tout au long des vicis­si­tudes de l’his­toire, un sta­tut excep­tion­nel de guide spi­ri­tuel et moral : car il y a indu­bi­ta­ble­ment une excep­tion française.

Une excep­tion fran­çaise, oui, qui tra­duit cet extra­or­di­naire com­pro­mis que la Répu­blique a réa­li­sé chez nous, entre la néces­si­té de l’É­tat et la liber­té de l’in­di­vi­du et qui ne peut s’ac­cor­der avec la nor­ma­li­sa­tion, avec la bana­li­sa­tion que l’on veut impo­ser à la France, au nom de la logique de Maastricht.

Comme il faut bien nous apai­ser, voi­là qu’on nous pro­met de res­pec­ter les iden­ti­tés natio­nales, en cher­chant à nous convaincre que ces der­nières sont trop fortes pour que le creu­set fédé­ra­liste les menace de disparition.

Des conces­sions nous seront faites, concer­nant — sait-on jamais ? — nos fro­mages et quelques-unes de nos cou­tumes ­parce que le folk­lore ne dérange per­sonne, jamais un mou­ve­ment folk­lo­rique n’est deve­nu révo­lu­tion­naire. On nous lais­se­ra peut-être la Mar­seillaise, à condi­tion d’en chan­ger les paroles parce que ses farouches accents com­portent des dan­gers et rap­pellent à notre peuple son his­toire et sa liberté.

On nous aban­don­ne­ra notre langue, quitte à nous lais­ser le soin de l’a­bâ­tar­dir alors que, pour tant de peuples, le fran­çais reste encore syno­nyme de liber­té. Déjà, nous nous ral­lions à cette idée folle que notre langue n’est rien de plus qu’une tech­nique de communication.

Déjà, nous accep­tons l’i­dée qu’il est peu ration­nel de cumu­ler neuf langues de tra­vail et qu’il y a là un vrai pro­blème pour l’Europe.

Or cet uti­li­ta­risme à courte vue, auquel se conver­tissent nos élites et qui fait pro­gres­ser à grands pas l’Eu­rope fédé­rale, est de nature à détruire l’âme de la France.

Il est d’ailleurs tout à fait signi­fi­ca­tif d’a­voir choi­si le mot iden­ti­té pour dési­gner ce qu’on consent à nous lais­ser. Cette assu­rance qu’on se croit obli­gé de nous don­ner est déjà l’in­dice d’un risque majeur.

On parle de l’i­den­ti­té lorsque l’âme est déjà en péril, lorsque l’ex­pé­rience a déjà fait place à l’an­goisse. On en parle lorsque les repères sont déjà perdus !

La quête iden­ti­taire n’est pas une affir­ma­tion de soi. C’est le réflexe défen­sif de ceux qui sentent qu’ils ont déjà trop cédé. En ne nous lais­sant que l’i­den­ti­té, on ne nous concède donc pas grand-chose, en atten­dant de ne plus rien nous concé­der du tout !

Que veut-on mettre à la place de ce qu’il est ques­tion d’ef­fa­cer ? À quoi veut-on nous faire adhé­rer quand on aura obte­nu de nous un renie­ment natio­nal ? Sur quoi va-t-on fon­der ce gou­ver­ne­ment de l’Eu­rope auquel on veut nous soumettre ?

Sur la conscience euro­péenne ? C’est vrai, cette conscience existe ; il y a même quelque chose comme une civi­li­sa­tion euro­péenne au confluent de la volon­té pro­mé­théenne, de la chré­tien­té et de la liber­té de l’es­prit. Bien sûr, nous autres Euro­péens avons un patri­moine et toutes sortes de simi­li­tudes, mais cela ne suf­fit pas pour for­ger un État.

S’il y a une conscience euro­péenne, c’est un peu comme il y a une conscience uni­ver­selle ; elle est de l’ordre du concept et n’a à voir ni avec l’âme du peuple ni avec la soli­da­ri­té cha­melle de la nation. La nation fran­çaise est une expé­rience mul­ti­sé­cu­laire. La conscience euro­péenne est une idée qui d’ailleurs ne s’ar­rête pas aux fron­tières de la Com­mu­nau­té. Et l’on ne bâtit pas un État légi­time sur une idée abs­traite, encore moins sur une volon­té technocratique.

Ain­si, l’É­tat fédé­ral euro­péen man­que­rait de fon­de­ment réel et de jus­ti­fi­ca­tions pro­fondes. Ce serait un État arbi­traire et loin­tain dans lequel aucun peuple ne se recon­naî­trait. Les plus lucides des fédé­ra­listes euro­péens le savent bien et ils ont une réponse toute prête. Il s’a­git de l’Eu­rope des régions, laquelle pré­sente le double avan­tage de rap­pro­cher, disent-ils, le pou­voir du citoyen et de mettre hors-jeu – ça c’est sûr ­ les États nationaux,

Seule­ment voi­là : ce fédé­ra­lisme régio­na­liste signi­fie­rait à coup sûr la fin de notre Répu­blique. Ce serait anéan­tir dix siècles de volon­té d’u­ni­fi­ca­tion du pays, dix siècles de ras­sem­ble­ment des pro­vinces, dix siècles de lutte contre les féo­da­li­tés locales, dix siècles d’ef­forts pour ren­for­cer la soli­da­ri­té entre les régions, dix siècles d’obs­ti­na­tion féconde pour for­ger, de géné­ra­tion en géné­ra­tion, une authen­tique com­mu­nau­té nationale.

Qu’en advien­dra-t-il à terme ? On rem­pla­ce­ra les quelques fron­tières natio­nales exis­tantes par une mul­ti­tude de fron­tières locales invi­sibles mais bien réelles. On for­me­ra de petites pro­vinces là où il y avait de grands États avec autant de com­mu­nau­tés cris­pées sur leurs égoïsmes locaux. On lais­se­ra les régions riches deve­nir tou­jours plus riches et les pauvres deve­nir tou­jours plus pauvres.

On confie­ra les affaires à des notables que le gou­ver­ne­ment fédé­ral, du fait de son éloi­gne­ment et de son manque de légi­ti­mi­té, ne pour­ra contrô­ler, pas plus que ne pour­ront le faire les gou­ver­ne­ments natio­naux poli­ti­que­ment affai­blis et limi­tés dans leurs com­pé­tences..) Ce sera le grand retour des féo­da­li­tés, lequel, je vous le concède, a déjà lar­ge­ment commencé.

Ce sera, pour le coup, cette Europe des tri­bus que nous dit tant redou­ter M. le Pré­sident de la Répu­blique. Il n’y aura plus en France de redis­tri­bu­tion, de péréqua­tion, d’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire. Vien­dra la règle du cha­cun pour soi et de Dieu pour personne.

Se noue­ront des rela­tions de région à région par-des­sus la tête des États ; c’est déjà enta­mé ! Ce sera le contraire de la Répu­blique et le contraire de la démocratie.

Ceux-là mêmes qui ont mul­ti­plié les éche­lons de l’ad­mi­nis­tra­tion nous disent main­te­nant qu’il y en a trop, qu’il faut en sup­pri­mer, pour ratio­na­li­ser, pour sim­pli­fier. Il y a trop d’é­che­lons, comme il y a trop de com­munes. Et même s’il n’y a pas de cal­cul, s’il n’y a pas de pré­mé­di­ta­tion, même si M. Delors est pro­ba­ble­ment sin­cère quand il déclare qu’il ne veut pas faire dis­pa­raître les nations, l’en­gre­nage qui se met en place est tel qu’au bout du compte ce n’est pas le choix entre le dépar­te­ment et la région qui s’im­po­se­ra dans la mul­ti­pli­ci­té des éche­lons du pou­voir : c’est l’es­ca­mo­tage de l’É­tat-nation qui se dessinera !

Et l’i­dée fait subrep­ti­ce­ment che­min : déjà les régions traitent direc­te­ment avec Bruxelles, pour qué­man­der des sub­sides, déjà elles s’al­lient entre elles pour orga­ni­ser des groupes de pres­sion à l’é­che­lon com­mu­nau­taire ; déjà voient le jour des poli­tiques régio­nales qui ne tiennent plus aucun compte des impé­ra­tifs nationaux.

Et voi­là que se crée à Bruxelles un comi­té des régions qui n’a pas encore beau­coup de pou­voirs, mais qui se pré­sente déjà comme organe de repré­sen­ta­tion. C’est la mani­fes­ta­tion ouverte d’un des­sein régio­na­liste qui ne prend même plus la peine de se dégui­ser, mais dont, comme tou­jours, on dissi­mule les véri­tables ambitions.

Là encore, si nous sommes tel­le­ment vul­né­rables, la faute en est due à notre propre renon­ce­ment, un renon­ce­ment qui se situe dans la dérive d’une décen­tra­li­sa­tion mal conçue et mal maî­tri­sée dont la pers­pec­tive de l’Eu­rope des régions fait appa­raître tout à coup les immenses dangers !

Nous avions pour­tant choi­si la décen­tra­li­sa­tion, pas la désintégration !

Les choses vont-elles donc conti­nuer à se défaire sans qu’a aucun moment le peuple fran­çais ne soit consulté ? (…)

Mais voi­là qu’on nous assure que Maas­tricht serait la condi­tion de la paix et de la pros­pé­ri­té, ce qui signi­fie par là même que son échec équi­vau­drait à la régres­sion et, j’ima­gine, à la guerre. C’est l’une des idées reçues du moment : les nations seraient inévi­ta­ble­ment condam­nées au déclin par le pro­grès de la civi­li­sa­tion maté­rielle. Leur sou­ve­rai­ne­té serait incom­pa­tible avec le ren­for­ce­ment iné­luc­table des inter­dé­pen­dances écono­miques et tech­niques. L’é­vo­lu­tion des choses condui­rait néces­sai­re­ment vers un monde sans fron­tières, cha­cune de celles-ci consti­tuant un obs­tacle à l’ef­fi­ca­ci­té, une entorse à la ratio­na­li­té, une entrave à la prospérité.

Ce sont là des affir­ma­tions qu’il nous faut véri­fier avec soin car ce qu’on nous demande d’a­ban­don­ner, pour atteindre la pros­pé­ri­té, ce n’est pas seule­ment le droit de battre mon­naie, c’est la pos­si­bi­li­té de conduire une poli­tique éco­no­mique qui nous soit propre.

Suf­fi­rait-il de consti­tuer un grand ensemble inté­gré pour brus­que­ment et sûre­ment accroître ces per­for­mances ? On en dou­te­rait au spec­tacle de grands ensembles exis­tants qui péri­clitent ou se divisent. L’an­cienne Union sovié­tique, la Chine, l’Inde sont-elles à ce point pros­pères qu’il nous faille à tout prix les imiter ?

Les États-unis eux-mêmes sont-ils à ce point heu­reux dans la ges­tion de leurs affaires inté­rieures qu’il faille les prendre pour modèles ? N’ob­serve-t-on pas à l’in­verse des réus­sites écla­tantes qui ne doivent rien à l’im­men­si­té au Japon, à Taï­wan, en Corée du Sud, voire dans les vil­les­-États, comme Sin­ga­pour ou Hong Kong ?

Com­ment s’en éton­ner ? La mise en com­mun des fai­blesses et des défaillances de cha­cun n’a jamais amé­lio­ré les per­for­mances de tous.

Si l’ar­gu­ment de la taille ne convainc pas, on tient en réserve l’une de ses variantes : elle consiste à condam­ner la ten­ta­tion de l’au­tar­cie. C’est ce qu’a fait M. le Pre­mier ministre cet après-midi. L’au­tar­cie est-elle la plus sûre façon de rui­ner l’é­co­no­mie, d’é­touf­fer l’i­ni­tia­tive, d’ap­pau­vrir la culture ? Certes oui, mais qui dit le contraire ? Qui parle de replier le pays sur lui-même ? Qui parle de renon­cer à la liber­té des échanges ? Qui donc ici prône l’ex­clu­sion, la fer­me­ture aux autres ? Per­sonne ! En tout cas pas moi ! Mais en quoi donc le rejet de l’au­tar­cie a‑t-il quelque chose à voir avec la pré­ten­due néces­si­té d’une Europe fédé­rale ? La réponse est simple : cela n’a rien à voir !

Il y a des siècles que les échanges inter­na­tio­naux se déve­loppent et depuis 1945 ils ont enre­gis­tré une for­mi­dable pro­gres­sion, contri­buant à la pros­pé­ri­té et à l’ac­crois­se­ment des niveaux de vie. A‑t-on eu besoin pour cela de réduire le nombre des nations ? Leurs fron­tières poli­tiques ont-elle fait obs­tacle à cette évo­lu­tion ? Les par­ti­cu­la­rismes natio­naux ont-ils com­pro­mis l’al­lo­ca­tion des res­sources, frei­né l’in­no­va­tion, ralen­ti la crois­sance ? Dans les faits, n’est-ce pas tout le contraire qui s’est pas­sé, et n’est-ce pas le pays qui en a le plus pro­fi­té, le Japon, qui est aus­si le plus rebelle à tout sys­tème qui l’in­té­gre­rait ? Il est vrai que, pour échan­ger, il faut avoir quelque chose à échan­ger. Il est donc auto­ri­sé d’être dif­fé­rent et il est même plus sou­hai­table d’être complémen­taire que semblable.

L’a­ve­nir n’est donc pas contra­dic­toire avec la volon­té des peuples de gar­der leur carac­tère, de tirer le meilleur par­ti de ce qu’ils sont, de leurs atouts, de leurs spé­ci­fi­ci­tés pour don­ner au monde la plus belle part d’eux-mêmes.

La com­pé­ti­tion, la concur­rence, c’est d’ailleurs cela : c’est le jeu où des pro­duc­teurs pla­cés dans des situa­tions par­ti­cu­lières, avec des capa­ci­tés et des savoir-faire dif­fé­rents, s’effor­cent en per­ma­nence de se dépas­ser afin de pro­duire à moindre coût et de vendre davantage.

Gar­dons-nous donc de la vision angé­lique et réduc­trice d’une inter­na­tio­na­li­sa­tion éco­no­mique déga­gée de toute réfé­rence aux natio­na­li­tés ! Pour gar­der leur effi­ca­ci­té, les entre­prises ont à prendre en compte les carac­té­ris­tiques des mar­chés locaux, des men­ta­li­tés, des com­por­te­ments, des langues.

Tenir l’é­co­no­mie mon­diale pour un sys­tème uni­taire et indif­fé­ren­cié pro­cède à l’é­vi­dence d’une ana­lyse super­fi­cielle. En réa­li­té, un espace de concur­rence est un espace d’é­change libre et non un vase clos dans lequel une bureau­cra­tie tatillonne s’ef­force de gom­mer toutes les dif­fé­rences en impo­sant avec obs­ti­na­tion ce que les auteurs de l’Acte unique ont appe­lé « l’har­mo­ni­sa­tion des condi­tions de la concurrence ».

Redou­table contre­sens éco­no­mique, d’ailleurs, que cette « har­mo­ni­sa­tion » à laquelle nous devons déjà des cen­taines et des cen­taines de direc­tives et de règle­ments com­mu­nau­taires ! Mesu­rons l’ab­sur­di­té d’une telle démarche en posant, comme le fit un jour un éco­no­miste, cette imper­ti­nente mais judi­cieuse ques­tion : « Puis­qu’il faut har­mo­ni­ser les condi­tions de la concur­rence, pour­quoi, comme sur le nez de Cyra­no, ne pas poser des petits para­sols sur les tomates cata­lanes, gor­gées d’un soleil qui fait si injus­te­ment défaut aux tomates néerlandaises ? »

Ne rions pas, nous ne sommes pas loin de cela ! Nous n’en sommes pas loin quand on se met à régle­men­ter, pour toute la CEE, les condi­tions de pro­duc­tion pour les chasses d’eau, les sur­vê­te­ments, les fro­mages. Croyez-vous que cela a quelque chose à voir avec la vita­li­té des mar­chés, avec la force créa­trice de la libre entre­prise, avec le sti­mu­lant de la concurrence ?

On nous fabrique aujourd’­hui en Europe un espace écono­mique plus uni­for­mi­sé que le mar­ché inté­rieur amé­ri­cain lui-même, qui vit et pros­père très bien sans même l’harmonisa­tion des fis­ca­li­tés, alors que, pour créer un mar­ché unique, on pour­rait s’en tenir à la libre cir­cu­la­tion des biens et des per­sonnes et à la recon­nais­sance mutuelle des réglementa­tions, en limi­tant l’ef­fort d’har­mo­ni­sa­tion à ce qui relève de la san­té publique et de la pro­tec­tion de l’environnement.

Mais ce n’é­tait pas assez pour nos euro­crates qui veulent sup­pri­mer la concur­rence en pré­ten­dant la pré­ser­ver. On met en avant de pré­ten­dus impé­ra­tifs de concur­rence pour régle­men­ter, cen­tra­li­ser, diri­ger l’é­co­no­mie euro­péenne, à la seule fin, non d’ac­croître l’ef­fi­ca­ci­té et la pros­pé­ri­té com­munes mais de for­ger à la fois l’ins­tru­ment et la rai­son d’être d’un futur gou­ver­ne­ment fédé­ral, un gou­ver­ne­ment fédé­ral qui ne pour­ra cer­tai­ne­ment pas souf­frir l’exis­tence d’une réelle concur­rence entre les États fédérés.

La mon­naie unique qu’on nous pro­pose main­te­nant est la consé­quence logique de cette stra­té­gie. Voyons ensemble ce que vaut cette touche finale.

On nous dit que la mon­naie unique est la clé de l’emploi. On nous annonce triom­pha­le­ment qu’elle crée­ra des mil­lions d’emplois nou­veaux – jus­qu’à cinq mil­lions, selon M. Delors, trois ou quatre, selon le Pré­sident de la Répu­blique. Mais que vaut ce genre de pré­dic­tion, alors que, depuis des années, le chô­mage aug­mente en même temps que s’ac­cé­lère la construc­tion de l’Eu­rope tech­no­cra­tique ? Par quel miracle la mon­naie unique pour­rait-elle ren­ver­ser cette ten­dance ? Oublie­rait-on que cer­taines simu­la­tions sur les effets de l’u­nion moné­taire sont par­ti­cu­liè­re­ment inquié­tantes pour la France puis­qu’elles font craindre encore plus de chô­mage dans les années à venir ? En véri­té, tout ce que notre éco­no­mie doit d’in­con­tes­ta­ble­ment posi­tif à la construc­tion euro­péenne, c’est la fin du pro­tec­tion­nisme intra­com­mu­nau­taire, ce qui n’a rien à voir ni avec I« har­mo­ni­sa­tion à tout prix ni avec la mon­naie unique.

On nous dit que les risques cam­biaires tendent à limi­ter les tran­sac­tions. Mais les échanges inter­na­tio­naux n’ont souf­fert d’au­cun ralen­tis­se­ment notable après la géné­ra­li­sa­tion des changes flot­tants, moyen­nant la mise au point de tech­niques de cou­ver­ture fort élaborées.

On nous dit que la mon­naie unique va favo­ri­ser nos expor­ta­tions, mais les échanges intra-euro­péens sont déjà consi­dé­rables et l’u­ni­fi­ca­tion de la mon­naie ne sup­pri­me­ra pas les risques de fluc­tua­tion vis-à-vis du dol­lar et du yen. Mieux : dès lors qu’il y aura trois pôles moné­taires com­pa­rables, les arbi­trages tri­an­gu­laires iront se mul­ti­pliant, avec tous les risques de change y afférent.

On nous dit que la mon­naie unique favo­ri­se­ra les investis­sements fran­çais dans les autres pays de la Com­mu­nau­té. Or aucune sta­tis­tique ne per­met de conclure à un effet signi­fi­ca­tif du risque de change sur l’investissement.

On nous dit que la mon­naie unique fera éco­no­mi­ser d’é­normes coûts de tran­sac­tion, mais per­sonnes n’est réel­le­ment capable d’é­va­luer ces coûts et tous les chiffres cités à ce sujet, y com­pris les vôtres, sont le plus sou­vent tota­le­ment fantaisistes.

M. Rocard nous dit que, si Louis XI n’a­vait pas eu rai­son de Charles le Témé­raire, la Bour­gogne d’au­jourd’­hui vivrait dans la han­tise de voir se dété­rio­rer sa balance des paie­ments avec l’lIe-de-France et l’Aquitaine.

Et il nous pré­dit que la mon­naie unique met­tra fin à ce genre d’ar­chaïsme, entrave à la crois­sance. Mais qui donc est obsé­dé par le solde des paie­ments cou­rants sinon ceux-là mêmes qui confondent les consé­quences et les causes, qui confondent les écri­tures comp­tables avec les méca­nismes éco­no­miques et qui sont para­ly­sés par des contraintes imaginaires ?

Com­ment peut-on pen­ser en effet que la balance des paie­ments est en elle-même une contrainte éco­no­mique bien réelle et croire qu’il suf­fit de ne plus libel­ler les tran­sac­tions que dans une seule mon­naie pour qu’elles s’en­volent miraculeusement ?

On nous dit que la mon­naie unique fera bais­ser tes taux d’in­té­rêt, mais cela est plus que dou­teux dès lors qu’il va fal­loir inté­grer des pays plus sujet à l’in­fla­tion et ensuite tout dépen­dra de la poli­tique de la Banque cen­trale euro­péenne qui sera indé­pen­dante, c’est-à-dire incontrôlable.

On dit encore, en effet, que la mon­naie unique entre les mains d’une banque cen­trale indé­pen­dante per­met­tra de mieux assu­rer la lutte contre l’in­fla­tion : mais nul ne peut garan­tir que les diri­geants de cette banque, qui n’au­ront de comptes à rendre à per­sonne, feront tou­jours la meilleure poli­tique pos­sible ! Ou alors doit-on consi­dé­rer l’ir­res­pon­sa­bi­li­té comme le gage le plus sûr de l’efficacité ?

L’ex­pé­rience de la FED aux États-unis est-elle à cet égard concluante ? Le com­por­te­ment actuel de la Bun­des­bank est-il si encou­ra­geant ? Certes non, d’ailleurs les plus grandes figures de l’or­tho­doxie moné­taire, comme l’A­mé­ri­cain Mil­ton Fried­man ou le Fran­çais Mau­rice Allais, sont farou­che­ment oppo­sés au prin­cipe de l’in­dé­pen­dance de la banque centrale.

En véri­té, il n’y a pas de meilleure inci­ta­tion à bien gérer la mon­naie que la concur­rence moné­taire même si cette inci­ta­tion est loin d’être sans défaut.

Or, que nous pro­pose-t-on, sinon de sup­pri­mer la concur­rence entre les mon­naies européennes ?

Alors on vient nous dire, argu­ment ultime et pré­su­mé déci­sif, que nous n’au­rions plus d’autre choix qu’entre « subir » et « co-décider ».

Que répondre à ceux qui nous disent qu’en accep­tant de par­ti­ci­per au SME, notre pays a déjà renon­cé à sa sou­ve­rai­ne­té dans ce domaine ? Que c’est oublier un peu vite qu’il existe des marges de fluc­tua­tion signi­fi­ca­tives. Que nous gar­dons, c’est vrai, la pos­si­bi­li­té de déva­luer si nous le déci­dons et que nous pou­vons sor­tir du sys­tème si nous le jugeons néces­saire. Que, dans le SME, la France choi­sit libre­ment les contraintes qu’elle s’im­pose jus­qu’à ce qu’elle décide de s’en affran­chir. Au contraire, avec la mon­naie unique, nous aban­don­nons défi­ni­ti­ve­ment ou presque le droit de choi­sir notre poli­tique moné­taire. Toute la dif­fé­rence est là !

Alors on objecte encore que, même si elle le vou­lait, la France ne pour­rait pas exer­cer sa sou­ve­rai­ne­té, qu’elle n’au­rait d’autre pos­si­bi­li­té que celle de s’a­li­gner sur les déci­sions des auto­ri­tés alle­mandes afin d’é­vi­ter la fuite des capi­taux flot­tants et l’ef­fon­dre­ment de sa monnaie.

C’est oublier, me semble-t-il, que le main­tien à tout prix d’une pari­té arbi­traire entre le franc et le mark est un choix poli­tique qui n’a rien d’i­né­luc­table. C’est oublier qu’une mon­naie qui ne se main­tient qu’en s’ap­puyant sur des taux d’in­té­rêt réels exor­bi­tants ne peut pas être consi­dé­rée comme une mon­naie forte et qu’en adop­tant une telle poli­tique, la France a per­mis d’ac­cen­tuer la sous-éva­lua­tion du mark au sein du SME où tous les experts s’ac­cordent pour consta­ter qu’il est déjà sous-éva­lué depuis 1979, ce qui est un comble puisque nous don­nons ain­si à l’Al­le­magne une prime sup­plé­men­taire de com­pé­ti­ti­vi­té. Et quand j’en­tends dire, comme hier, qu’on veut rééva­luer le franc par rap­port au mark, je me demande si on ne nage pas en pleine folie !

En tout cas, rien n’im­pose aujourd’­hui à la France la poli­tique moné­taire qu’elle s’est choi­sie, qui joue au détri­ment des sala­riés, qui dis­qua­li­fie les inves­tis­se­ments à long terme et qui a des effets tel­le­ment désas­treux sur l’ac­ti­vi­té qu’ils fini­ront de toutes les façons par faire fuir les capi­taux étrangers.

Et puisque rien n’im­pose à la France cette poli­tique, rien ne l’empêche non plus d’en changer !

Que ceux qui me disent qu’en ne nous ali­gnant pas sys­té­ma­ti­que­ment sur l’Al­le­magne, nous rejet­te­rions la rigueur et choi­si­rions l’i­so­le­ment me com­prennent bien : il ne s’a­git pas à mes yeux de prô­ner le retour au contrôle des changes, au laxisme bud­gé­taire, à l’in­fla­tion, ni même de recom­man­der la sor­tie du SME, encore moins de la CEE. Mais enfin, le SME a bien sur­vé­cu à onze ajus­te­ments depuis 1979 ! Et ce n’est pas parce que le franc a été déva­lué en 1986 et le mark rééva­lué en 1987 qu’on peut dire que la ges­tion d’É­douard Bal­la­dur n’a pas été rigoureuse !

Dans le domaine moné­taire comme dans les autres, il faut se plier aux réa­li­tés. Il faut donc savoir ajus­ter les pari­tés quand c’est néces­saire, non pour faire de la déva­lua­tion com­pé­ti­tive, mais pour évi­ter la déflation.

Eût-il été dérai­son­nable de lais­ser le mark se rééva­luer quand la Bun­des­bank déci­da de rele­ver ses taux d’in­ter­ven­tion pour gérer les consé­quences de la réuni­fi­ca­tion ? On pour­rait en dis­cu­ter, mais le choix exis­tait pour la France, Il n’en sera plus de même quand elle sera empri­son­née dans le sys­tème de la mon­naie unique, Dans ce sys­tème, en effet, on cher­che­rait en vain la pré­sence du pou­voir natio­nal au milieu des méca­nismes de codécision.

Une véri­table codé­ci­sion exi­ge­rait l’u­na­ni­mi­té, ce qui, bien sûr, para­ly­se­rait une ins­ti­tu­tion qui doit en per­ma­nence com­po­ser avec la conjonc­ture, les déci­sions seront donc prises à la majo­ri­té, non par des repré­sen­tants des États, mais par des per­son­na­li­tés indé­pen­dantes, qui ne rece­vront pas d’ordre de leurs gou­ver­ne­ments res­pec­tifs. Donc, la France, en tant qu’É­tat, n’au­ra abso­lu­ment aucune part à l’é­la­bo­ra­tion de la poli­tique moné­taire. C’est cela, sans doute, qu’on appelle la « sou­ve­rai­ne­té par­ta­gée ». Curieux par­tage qui ten­drait à pri­ver la France de toute liber­té de décision !

Et ne négli­geons pas les consé­quences de ce qui se pré­pare : consé­quences éco­no­miques et consé­quences politiques.

Consé­quences éco­no­miques d’a­bord. Il n’est de poli­tique éco­no­mique cohé­rente que dans la mesure où elle dis­pose de l’en­semble des moyens d’in­ter­ven­tion sur l’é­co­no­mie : bud­get, fis­ca­li­té, actions struc­tu­relles en faveur des entre­prises, mon­naie. L’a­lié­na­tion de notre poli­tique moné­taire entraîne donc l’im­pos­si­bi­li­té de conduire une poli­tique éco­no­mique auto­nome, pro­ces­sus que l’U­nion éco­no­mique et moné­taire recon­naît d’ailleurs, en le qua­li­fiant joli­ment de « convergence ».

Dès lors, le pro­ces­sus de l’u­nion éco­no­mique et moné­taire mérite trois commentaires.

En pre­mier lieu, il renou­velle le choix d’une poli­tique qu’on pour­rait qua­li­fier de « moné­ta­rienne », qui est syno­nyme de taux d’in­té­rêt réels éle­vés, donc de frein à l’in­ves­tis­se­ment et à l’emploi et d’aus­té­ri­té sala­riale. Notons à ce pro­pos l’hy­po­cri­sie fatale qui consiste à par­ler de « franc fort » lorsque le refus de la déva­lua­tion se paie du blo­cage de l’in­ves­tis­se­ment et de l’ex­plo­sion du chô­mage. C’est très exac­te­ment la réédi­tion de la « poli­tique du bloc-or » qui a conduit l’in­dus­trie fran­çaise à la crise au cours des années trente. Bon­jour la modernité !

Maas­tricht, c’est ensuite la sup­pres­sion de toute poli­tique alter­na­tive, puisque la créa­tion d’un sys­tème euro­péen de banque cen­trale, indé­pen­dant des gou­ver­ne­ments mais sous influence du mark, revient en quelque sorte à don­ner une valeur consti­tu­tion­nelle à cette poli­tique de change et à ses consé­quences monétaires.

Quant à ceux qui vou­draient croire qu’une poli­tique bud­gétaire auto­nome demeu­re­rait pos­sible, je les ren­voie au texte du trai­té, qui pré­voit le res­pect de normes bud­gé­taires tel­le­ment contrai­gnantes qu’elles impo­se­ront à un gou­ver­ne­ment confron­té à une réces­sion d’aug­men­ter les taux d’im­po­si­tion pour com­pen­ser la baisse des recettes fis­cales et main­te­nir à tout prix le défi­cit bud­gé­taire à moins de 3 p. 100 du PIB.

Enfin, et je sou­haite insis­ter sur ce point, la nor­ma­li­sa­tion de la poli­tique éco­no­mique fran­çaise implique à très court terme la révi­sion à la baisse de notre sys­tème de pro­tec­tion sociale, qui va rapi­de­ment se révé­ler un obs­tacle rédhi­bi­toire, tant pour l’har­mo­ni­sa­tion que pour la fameuse « conver­gence » des économies.

Que la crise de notre État pro­vi­dence appelle de pro­fondes réformes, je serai le der­nier à le contes­ter. Que cette moder­ni­sa­tion, faute de cou­rage poli­tique, soit impo­sée par les ins­ti­tu­tions com­mu­nau­taires, voi­là qui me semble à la fois inquié­tant et riche de dés­illu­sions pour notre pays. Il suf­fit d’ailleurs de pen­ser à cette «  Europe sociale » qu’on nous pro­met et dont le Pré­sident de la Répu­blique, lui-même, inquiet, semble-t-il, des consé­quences de la mon­naie unique, cher­chait à nous convaincre, à l’au­rore de ce 1er mai 1992, qu’elle aurait un conte­nu, qu’elle nous assu­re­rait un monde meilleur,

Hélas, quand on lit les accords de Maas­tricht, on ne voit pas très bien où est le pro­grès social ! On voit bien, en revanche, qu’on ouvre la porte à l’har­mo­ni­sa­tion, c’est-à-dire à un pro­ces­sus où, comme en matière fis­cale, on cher­che­ra au mieux à se mettre d’ac­cord sur une moyenne plu­tôt que sur un opti­mum et où, chaque fois que nous vou­drons faire une inno­va­tion dans notre légis­la­tion sociale, il fau­dra aller deman­der la per­mis­sion de nos partenaires.

Les consé­quences poli­tiques à escomp­ter du pro­ces­sus ne sont pas moins impor­tantes. Rap­pe­lons-nous une évi­dence. Dès lors que, dans un ter­ri­toire don­né, il n’existe qu’une seule mon­naie, les écarts quelque peu signi­fi­ca­tifs de niveau de vie entre les régions qui le com­posent deviennent vite insup­por­tables. L’ex­pé­rience des États fédé­raux, mais aus­si celle de la réuni­fi­ca­tion alle­mande devraient dis­si­per tous les doutes à ce sujet.

Or, si l’on veut, comme l’af­firme le trai­té, impo­ser une mon­naie unique à tous les pays membres, un effort colos­sal devra être consen­ti pour réduire les écarts actuels, qui sont immenses, un effort colos­sal sans com­mune mesure avec ce que nous réclame pré­sen­te­ment Jacques Delors pour doter ses fonds de cohésion.

Il sera sans doute néces­saire de por­ter pro­gres­si­ve­ment, comme le pensent assez raisonnable­ment, me semble-t-il, cer­tains experts, le bud­get communau­taire jus­qu’à 10 p. 100 du pro­duit natio­nal brut, c’est-à-dire huit fois plus qu’au­jourd’­hui. On n’i­ma­gine pas un bud­get de cette ampleur sans un contrôle poli­tique. Cela ne s’est jamais vu. Il fau­dra donc bien qu’un Par­le­ment euro­péen vote le bud­get comme un par­le­ment natio­nal et qu’un gou­ver­ne­ment, res­pon­sable devant lui, l’exé­cute. C’est ain­si que la néces­si­té bud­gé­taire engen­dre­ra tout natu­rel­le­ment les organes fédé­raux appe­lés à gérer un gigan­tesque sys­tème cen­tra­li­sé de redis­tri­bu­tion à l’é­chelle de la Communauté.

Et puis­qu’il s’a­gi­ra de redis­tri­buer, ce sera bien enten­du aux pays les plus avan­cés d’en sup­por­ter la charge. C’est dire com­bien la France devra payer, elle dont la contri­bu­tion nette à la Com­mu­nau­té s’é­lève déjà, d’a­près la com­mis­sion des finances du Sénat, à 25 mil­liards de francs pour 1991.

C’est ain­si que la France, qui ne trouve déjà plus les moyens de finan­cer pour son propre compte une vraie poli­tique d’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire et d’a­mé­na­ge­ment urbain, devra demain enga­ger des res­sources consi­dé­rables pour finan­cer l’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire de ses voisins !

C’est ain­si que la France, qui verse déjà un tri­but à la réu­nification alle­mande sous la forme de taux d’in­té­rêt exorbi­tants, devra demain débour­ser une deuxième fois pour l’Al­le­magne de l’Est par le biais de sa contri­bu­tion au bud­get communautaire.

Alors, bien sûr, on peut se ras­su­rer à la pen­sée que, d’i­ci à l’an 2000, cer­tains par­mi les dix autres pays qui ont accep­té le prin­cipe de la mon­naie unique seront ame­nés à y renon­cer et que l’u­nion moné­taire se limi­te­ra, au moins provisoire­ment, à ceux d’entre eux béné­fi­ciant du niveau de vie le plus éle­vé, de finances publiques en ordre et de prix stables. Mais, dans un noyau dur où ne figu­raient ni l’An­gle­terre ni l’Eu­rope du Sud, que pèse­rait la France ?

Bref, ou bien l’u­nion moné­taire se fait à dix ou à douze, et nous voi­là payant très cher, au pro­fit du bud­get com­mu­nau­taire, des inter­ven­tions lar­ge­ment inutiles, ou bien elle se fait à six, et nous voi­là réduits à un sta­tut proche de celui d’un Land !

Dans tous les cas, la mon­naie unique, c’est l’Eu­rope à plu­sieurs vitesses : à trois vitesses si on la fait à six puis­qu’il y aurait alors une Europe du Nord, une Europe du Sud et une Europe de l’Est. À deux vitesses si on la fait à douze puis­qu’on conti­nue­rait à exclure les pays de l’Est. Et, dans tous les cas, la mon­naie unique, c’est une nou­velle divi­sion entre les nan­tis que nous sommes et les autres, c’est-à-dire les pays de l’Eu­rope cen­trale et orientale.

On nous sert déjà, en effet, un autre plat que celui de la pros­pé­ri­té assu­rée : la rati­fi­ca­tion des accords de Maas­tricht, nous dit-on, serait la seule assu­rance de la paix, argu­ment déjà enten­du en 1954 à pro­pos de la CED. Alors, comme vous, mon­sieur le ministre d’É­tat, on nous presse de nous sou­ve­nir des conflits qui ont ensan­glan­té notre conti­nent. La seule manière d’empêcher leur renouvel­lement, nous assure-t-on, c’est de signer des deux mains, sans mau­gréer ni rechigner.

En fait, tout pro­cède de la même erreur d’a­na­lyse et, à trop vou­loir nous démon­trer les dan­gers des nations, on débouche sur l’absurde.

Cer­tains théo­ri­ciens de l’Eu­rope fédé­rale, qui ont du moins le cou­rage d’al­ler au bout de leurs idées, nous assurent que l’hu­ma­ni­té entre désor­mais dans une ère nou­velle, où la nation n’au­rait plus sa place, parce qu’elle n’é­tait dans l’a­van­cée des civi­li­sa­tions qu’une étape his­to­rique, une sorte de mala­die infan­tile, une phase néces­saire – et le temps serait enfin venu de la dépasser.

On retrouve là ces vieilles obses­sions post-hégé­liennes qui nous annoncent tou­jours pour demain la « fin de l’his­toire ». Ces vieilles obses­sions, c’est un comble qu’elles reprennent du ser­vice au moment même où les doc­trines poli­tiques qui repo­saient sur le « sens de l’his­toire » se dis­solvent. Il s’a­git d’ailleurs plus d’une idéo­lo­gie que d’une phi­lo­so­phie de l’his­toire, et d’une idéo­lo­gie qui, comme toutes les autres idéo­lo­gies, tourne le dos à l’ob­ser­va­tion du réel.

La réa­li­té, c’est que, le plus sou­vent, les empires sont nés avant les nations et non après elles. Certes, on peut trou­ver des régions où les natio­na­li­tés s’im­briquent trop pour qu’il soit pos­sible d’or­ga­ni­ser des États mais, par­tout ailleurs, les ensembles trans­na­tio­naux qui ont pré­cé­dé les nations ont dû leur céder la place quand les peuples, enfin, ont reven­di­qué leur droit à dis­po­ser d’eux-mêmes, car il est clair, il est avé­ré que, dans l’his­toire du monde, l’é­mer­gence des nations est allée de pair avec l’é­man­ci­pa­tion des peuples.

Et puis les nations sont bien loin d’a­voir été la cause prin­ci­pale de nos épreuves. Force est ain­si de recon­naître que, dans notre siècle, plus de mal­heurs nous sont venus des grandes idéo­lo­gies et des impé­ria­lismes domi­na­teurs que des ambi­tions nationales.

Donc, finis­sons-en avec cette vue naïve des choses qui vou­drait nous faire croire que la dis­pa­ri­tion des États-nations signi­fie­rait la fin des conflits armés, « la paix per­pé­tuelle », pour reprendre cette fois la ter­mi­no­lo­gie d’Em­ma­nuel Kant, lequel ne la conce­vait d’ailleurs que comme une paix entre nations souveraines.

Et à ceux qui enten­draient dau­ber encore sur les pas­sions natio­nales et leur oppo­ser la sagesse mil­lé­naire des commis­sions et autres conclaves tech­no­cra­tiques et supra­na­tio­naux, je vou­drais rap­pe­ler quelques exemples de l’his­toire récente. Ils méritent qu’on s’y arrête avant de pas­ser par pertes et pro­fits la pos­si­bi­li­té de conduire une poli­tique étran­gère nationale.

Cha­cun a en mémoire l’ab­sence radi­cale de la Commu­nauté de tous les évé­ne­ments majeurs de la fin des années quatre-vingt et du début des années quatre-vingt-dix : libé­ra­tion de l’Eu­rope de l’Est, écla­te­ment de l’U­nion sovié­tique, guerre du Golfe, tout s’est pas­sé sans elle, lorsque ce n’est pas mal­gré elle !

Même le conflit you­go­slave qui, tant par sa situa­tion géo­gra­phique que par la dimen­sion de son ter­ri­toire, sem­blait consti­tuer un ter­rain d’exer­cices idéal pour la diplo­ma­tie com­mu­nau­taire, s’est trans­for­mé en un stand de démons­tra­tion de l’im­puis­sance et de la dés­union, impuis­sance qui, dans ce cas, ne tenait pas à l’ab­sence d’une orga­ni­sa­tion inté­grée, mais aux légi­times dif­fé­rences d’ap­proche entre les pays membres – et je sou­haite, s’a­gis­sant de la France, qu’elle puisse conti­nuer à les exprimer,

La crise des euro­mis­siles apporte une autre écla­tante démons­tra­tion du poids d’un vieil État-nation dans des cir­cons­tances critiques.

Le pré­sident Mit­ter­rand croit lais­ser sa marque dans l’his­toire de ce pays comme le héraut de la cause euro­péenne. Ose­rai-je dire qu’à mon avis, il s’a­git d’un contre­sens ? Car, si cette empreinte his­to­rique existe, elle est à cher­cher plu­tôt dans son dis­cours au Bun­des­tag, qui a inflé­chi de manière déci­sive la posi­tion alle­mande devant la crise des euro­mis­siles dans le sens de la fer­me­té ! Par là même était ouverte la voie aux évé­ne­ments de la fin des années quatre-vingts, qui ne le virent mal­heu­reu­se­ment pas faire preuve de la même lucidité.

Ce qui fit peser en 1983 la balance dans le sens de la résis­tance, et donc de la liber­té, ce ne fut certes pas l’in­ter­ven­tion d’une com­mu­nau­té hété­ro­clite, ce fut le repré­sen­tant d’un vieil État-nation, sûr dans le cas d’es­pèce de sa légi­ti­mi­té et du sou­tien des citoyens fran­çais, fort de l’op­po­si­tion réso­lue du corps social et poli­tique aux sirènes pacifistes,

Qui ne voit, à la lumière de ce qui s’est pas­sé lors de la crise du Golfe, que l’Eu­rope de Maas­tricht, qui se serait pro­ba­ble­ment pré­fé­rée plu­tôt rouge que morte en 1983, s’ac­cep­te­ra demain verte ou brune au gré des conjonc­tures, pri­vée qu’elle est de ces garde-fous fon­da­men­taux pour la démo­cra­tie que sont le sen­ti­ment natio­nal et la légi­ti­mi­té populaire.

L’his­toire, loin d’être ache­vée, est plus que jamais en marche et elle demeure tragique.

Oui, nous sommes en guerre éco­no­mique ! Oui, l’ef­fon­dre­ment de l’U­nion sovié­tique ne signi­fie pas la paix mais la mon­tée de nou­veaux risques qui ont pour nom pro­li­fé­ra­tion des arme­ments nucléaires et clas­siques, mul­ti­pli­ca­tion des zones grises échap­pant à tout contrôle éta­tique, dan­gers tech­nologiques, menaces majeures pour l’en­vi­ron­ne­ment, exten­sion des tra­fics de stupéfiants !

La conju­ra­tion de ces nou­veaux périls demande évi­dem­ment un ren­for­ce­ment de la coopé­ra­tion inter­éta­tique. Elle ne demande nul­le­ment la dis­pa­ri­tion des États-nations dont la légi­ti­mi­té est plus que jamais requise pour inter­ve­nir effi­ca­ce­ment contre ces fléaux.

Alors, qu’on veuille bien ces­ser de consi­dé­rer les réfrac­taires et les adver­saires du trai­té comme autant de fau­teurs de guerre et d’ir­res­pon­sables ! Comme s’il n’y avait pas d’ailleurs quelque chose de cho­quant dans cette sus­pi­cion mal dis­si­mu­lée vis-à-vis de par­te­naires, d’une par­te­naire dont nous devrions ain­si igno­rer les évo­lu­tions poli­tiques, éco­no­miques, sociales, cultu­relles inter­ve­nues depuis un demi-siècle, dont nous devrions igno­rer l’a­mi­tié retrou­vée, comme si, en tout état de cause, la France après de Gaulle était aus­si vul­né­rable qu’a­vant lui, comme si, depuis 1945, l’Eu­rope de l’Ouest n’a­vait pas connu la paix avant même que le Conseil euro­péen ne se donne ren­dez-vous à Maas­tricht, comme si enfin l’Eu­rope se rédui­sait à douze pays.

Car, si l’on veut aller sur ce ter­rain, est-on sûr que la démarche de Maas­tricht soit bien la plus pro­met­teuse de paix pour l’en­semble du conti­nent euro­péen ? C’est une erreur de pré­tendre que l’on pour­ra réa­li­ser en même temps ce que l’on appelle à tort « l’ap­pro­fon­dis­se­ment » et ce qu’on nomme, sans mesu­rer tout ce que ce terme peut impli­quer de morgue  et de condes­cen­dance, «  l’é­lar­gis­se­ment ». Oh ! bien sûr, l’in­tégration pro­gres­sive des pays de l’A.E.L.E. est déjà pro­grammée avec la créa­tion d’un grand espace éco­no­mique euro­péen, même si la neu­tra­li­té de cer­tains États consti­tue encore un frein poli­tique. Il n’en va pas de même, cha­cun le sait bien, en ce qui concerne l’Eu­rope orien­tale et cen­trale, Car, en véri­té, les contraintes qu’im­pose par exemple la mon­naie unique aux éco­no­mies des États membres excluent de toute évi­dence, et pour des décen­nies, tout rap­pro­che­ment avec le monde de l’Est,

Alors, qu’est-ce donc que cette conscience euro­péenne qui laisse de côté la moi­tié de l’Eu­rope ? Qu’est-ce donc que cette morale poli­tique qui nous parle sans arrêt de démo­cra­tie et ne fait rien pour elle là où elle tente de naître ou de renaître ?

Qu’est-ce donc que ce « sens de l’his­toire » qui ne tire aucune consé­quence de la levée du rideau de fer et reste cris­pé sur un pro­jet dépas­sé par des évé­ne­ments for­mi­dables ? Qu’est-ce donc que cette atti­tude de fer­me­ture, d’é­goïsme, de replie­ment, d’a­veu­gle­ment qui consti­tue pour le sta­li­nisme, pour l’Eu­rope de Yal­ta une extra­or­di­naire vic­toire posthume ?

Oui ! C’est d’a­bord la morale qui devrait nous conduire à ne pas reje­ter les pays d’Eu­rope cen­trale et orientale.

En effet, il faut le dire tout net, ces pays ont des droits sur nous. À deux reprises, ils ont payé pour nous. Ils ont tout d’a­bord payé notre libé­ra­tion au prix fort de leur asser­vis­se­ment, car la vic­toire sur le nazisme pas­sait par leur inva­sion. Ils ont ensuite payé notre sécu­ri­té au prix fort de leur aban­don. Nous les avons lais­sés à leur sort car nous ne vou­lions assu­mer aucun risque poli­tique ou mili­taire face au tota­li­ta­risme soviétique.

Nous sommes nom­breux, ici, à appar­te­nir à une géné­ra­tion qui a été bou­le­ver­sée par les évé­nements de Hon­grie en 1956 et ceux de Tché­co­slo­va­quie en 1968. Et nous savons que c’est faire un mau­vais pro­cès à M. Claude Cheys­son que de lui repro­cher d’a­voir résu­mé plus tard à pro­pos de la Pologne ce qui fut notre atti­tude constante des décen­nies durant : « Évi­dem­ment, nous ne ferons rien. »

Et aujourd’­hui que, sans nous, presque mal­gré nous, ils accèdent à la liber­té, nous lais­se­rions, pour reprendre la belle expres­sion de Jacques Chi­rac, un mur de l’argent se sub­sti­tuer au rideau de fer ? Sommes-nous à ce point oublieux que nous puis­sions tolé­rer une telle pers­pec­tive ? Et si la morale ne suf­fit pas à nous réveiller, ne voyons-nous pas où est notre intérêt ?

Elles sont loin d’être assu­rées, ces démo­cra­ties bal­bu­tiantes d’Eu­rope cen­trale et orien­tale aux prises avec la grande misère de l’a­près-com­mu­nisme. Elles sont loin d’être assu­rées parce que le désordre, le chô­mage et la pau­vre­té aux­quels nous sommes en passe de les condam­ner engen­dre­ront plu­tôt le popu­lisme, le natio­na­lisme et peut-être le fas­cisme. Le pitoyable spec­tacle de l’exode des Alba­nais vers Bari nous donne quelque idée de la for­mi­dable pous­sée migra­toire qui pour­rait s’ef­fec­tuer d’Est en Ouest et s’a­jou­ter à l’ir­ré­sis­tible pres­sion qui s’exerce déjà du Sud vers le Nord. Qui ne voit, dans ces condi­tions, que l’Eu­rope risque d’être autre­ment plus dan­ge­reuse, plus explo­sive que du temps des cer­ti­tudes tran­quilles de l’é­qui­libre Est-Ouest. Est-ce bien là le che­min le plus sûr pour la paix ?

Il reste à répondre à une ultime ques­tion qui donne toute la mesure de notre res­pon­sa­bi­li­té : existe-t-il une alter­na­tive à la démarche de Maastricht ?

La réponse est claire et nette : oui, bien sûr et à l’é­vi­dence ! Mais, certes, il y faut de la luci­di­té et du courage.

De la luci­di­té d’a­bord pour com­prendre les dif­fi­cul­tés que nous vivons, car ce n’est pas le sen­ti­ment de la crise, comme on l’en­tend dire, qui crée la crise. La crise est une réa­li­té pro­fonde qui s’ap­pelle nou­velle pau­vre­té, exclu­sion, ghet­tos, chô­mage, déses­pé­rance des jeunes, inéga­li­tés des chances, insé­cu­ri­té, décul­tu­ra­tion, perte de repères, dérive du sys­tème éducatif.

Il serait vain et dan­ge­reux de conti­nuer de répé­ter que la France se porte bien. Si l’on ne répond pas au désar­roi des Fran­çais, ils conti­nue­ront à se lais­ser aller vers les extré­mismes et vers les inté­grismes qui minent déjà le sen­ti­ment natio­nal. De renon­ce­ment en renon­ce­ment, nous avons nous-­mêmes contri­bué à détour­ner le peuple de la chose publique et à rui­ner le sens civique. A force de lais­ser entendre que tout se vaut et que l’ac­tion est impuis­sante face aux contraintes de l’é­co­no­mie et de la tech­nique, nous avons accré­di­té cette idée dan­ge­reuse que la poli­tique ne peut rien chan­ger à rien, que ce qui arrive doit donc arri­ver et que nul n’en est res­pon­sable ni coupable.

On ne pour­rait rien contre la conjonc­ture inter­na­tio­nale, rien contre la concur­rence du Sud-Est asia­tique, rien contre les feuille­tons amé­ri­cains, rien contre le drame des ban­lieues, rien contre le pro­grès tech­nique, pré­ten­du­ment seul à l’ori­gine du chô­mage. Bref, tout cela serait ins­crit dans la nature des choses.

La réfé­rence constante à l’exemple des taux d’in­té­rêt pour jus­ti­fier de tels com­por­te­ments vaut qu’on s’y arrête à nou­veau, car elle n’a pas seule­ment des consé­quences éco­no­miques ou sociales, elle contri­bue à la démo­ra­li­sa­tion de la nation. Il y a quelque chose de pour­ri dans un pays où le ren­tier est plus célé­bré que l’en­tre­pre­neur, où la déten­tion du patri­moine est mieux récom­pen­sée que le ser­vice ren­du à la collectivité.

Ce que cache la poli­tique des comptes natio­naux, ce que cache l’ob­ses­sion des équi­libres comp­tables, c’est bien le conser­va­tisme le plus pro­fond, c’est bien le renon­ce­ment à effec­tuer des choix poli­tiques clairs dont les arbi­trages bud­gétaires ne sont que la tra­duc­tion. Que pen­ser d’une poli­tique éco­no­mique qui se contente de guet­ter la reprise amé­ri­caine ou la réces­sion outre-Rhin ? Que pen­ser d’une poli­tique éco­nomique qui se résume à l’in­dexa­tion de notre mon­naie et de nos taux d’in­té­rêt sur le deutsche mark et les déci­sions arrê­tées par la Bun­des­bank, au moment où l’Al­le­magne fait l’ob­jet de cri­tiques conver­gentes et crois­santes au sein du G7 pour la manière dont elle gère les consé­quences de la réuni­fi­ca­tion ? Quelle est la logique d’une poli­tique qui oscille au seul gré des pari­tés moné­taires, indif­fé­rente à l’é­co­no­mie réelle.

Ce n’est même plus de l’ « éco­no­misme », c’est de l’ « éco­no­mé­trisme » ! Et n’est-il pas para­doxal de voir l’É­tat, plus myope encore que les mar­chés, se déter­mi­ner au rythme de la publi­ca­tion de quelques indices financiers ?

Oui, la libé­ra­li­sa­tion et l’in­ter­na­tio­na­li­sa­tion des acti­vi­tés éco­no­miques sont à la fois souhai­tables et iné­luc­tables ! Oui, elles entraînent une redé­fi­ni­tion du rôle éco­no­mique de l’É­tat ! Non, il n’en résulte pas que l’É­tat n’ait désor­mais d’autre logique de fonc­tion­ne­ment que celle d’une entre­prise – au reste plus mal gérée qu’une véri­table entre­prise. Et oui, l’É­tat conserve une fonc­tion d’arbi­trage dans le par­tage de la valeur ajou­tée, une fonc­tion de régu­la­tion et d’an­ti­ci­pa­tion, dont l’ef­fi­ca­ci­té déter­mine la com­pé­ti­ti­vi­té des éco­no­mies comme le montrent à l’en­vi le Japon, l’Al­le­magne ou les pays d’A­sie du Sud-Est

Mais le pre­mier ali­bi de tous nos renon­ce­ments, c’est indu­bi­ta­ble­ment la construc­tion euro­péenne. Nous ne pou­vons rien faire, nous dit-on, puis­qu’il faut har­mo­ni­ser, Bruxelles en ayant déci­dé ain­si. Nous ne pou­vons pas réfor­mer la fis­calité puis­qu’il faut soi-disant uni­for­mi­ser les taux de T.V.A.

Nous ne pou­vons pas bais­ser les taux d’in­té­rêt puis­qu’il nous faut soi-disant res­ter accro­ché au mark en vue de l’u­nion moné­taire. Nous ne pou­vons rien pour notre indus­trie puisque le com­mis­saire à la concur­rence y fait obs­tacle. Nous ne pou­vons rien faire pour l’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire puisque nos marges de manœuvre sont mises à la dis­po­si­tion de la Communauté.

On voit bien l’a­van­tage poli­tique à trans­fé­rer sur Bruxelles ou sur les col­lec­ti­vi­tés locales la res­pon­sa­bi­li­té de ce que l’É­tat n’a plus le cou­rage d’as­su­mer. À com­men­cer par l’im­pôt, dont on veut bien désor­mais qu’il soit local ou même euro­péen, pour­vu qu’il ne soit pas natio­nal et qu’il n’en soit pas tenu compte dans les sta­tis­tiques de la poli­tique fiscale.

Mais cette Europe ali­bi est pleine de dan­gers car il est vain d’es­pé­rer que nos pro­blèmes seront réso­lus par ce qui n’est au fond qu’une fuite en avant. Il est illu­soire de cher­cher ailleurs qu’en nous-mêmes les réponses à nos dif­fi­cul­tés. Il est faux de pen­ser qu’en met­tant en com­mun nos pro­blèmes nous allons mira­cu­leu­se­ment les résoudre mieux, nous tous, Euro­péens de l’Ouest qui, pris sépa­ré­ment, n’a­vons eu jus­qu’à pré­sent pour leur faire face ni la volon­té ni l’i­ma­gi­na­tion nécessaires.

Com­ment peut-on croire que l’in­té­gra­tion appor­te­ra une meilleure sécu­ri­té à un moindre coût – alors que la défense, c’est d’a­bord la volon­té de se défendre ! – qu’elle per­met­tra d’aug­men­ter les salaires tout en pro­dui­sant moins, que la libre cir­cu­la­tion des chô­meurs auto­ri­se­ra la réduc­tion de leur nombre, que les finances publiques seront mieux gérées à onze ou douze que dans le cadre natio­nal ? Il s’a­git là de paris insen­sés ! D’au­tant plus insen­sés que le temps passe sans que per­sonne cherche à résoudre des pro­blèmes en voie d’ag­gra­va­tion rapide. Il faut dire qu’à force d’ad­di­tion­ner une mau­vaise concep­tion de la décen­tra­li­sa­tion et l’af­fai­blis­se­ment déli­bé­ré de l’É­tat, l’i­dée sui­vant laquelle la France n’est plus capable de se gou­ver­ner finit par acqué­rir quelque cré­dit. Est-ce là le fruit d’une stra­té­gie poli­tique ? Nul ne sau­rait le dire à coup sûr. Mais ce qui est cer­tain, c’est que ceux qui ne voient plus d’autre solu­tion pour la France que de se fondre dans l’Eu­rope inté­grée et rétré­cie de Maas­tricht sont pré­ci­sé­ment ceux qui pré­fèrent dou­ter de la France el des Fran­çais plu­tôt que d’ad­mettre que leur inca­pa­ci­té pour­rait être seule en cause.

On pré­tend – que n’a-t-on pas dit ? – qu’en refu­sant de rati­fier Maas­tricht nous déci­de­rions de fait, et peut-être même de jure, notre séces­sion de la Communauté.

Voi­là le plus infon­dé des pro­cès d’in­ten­tion, alors que, pré­ci­sé­ment, nous sou­hai­tons conser­ver les acquis de la Com­mu­nau­té et la chance qu’ils repré­sentent pour l’Eu­rope, en la remet­tant sur les rails et en la remet­tant en pers­pec­tive ! Car beau­coup de choses ont été accom­plies au .sein de cette Com­mu­nau­té, qui ne sau­raient être effa­cées. Beau­coup de liens ont été noués, qui ne sau­raient être rom­pus. Beau­coup de coopé­ra­tions ont été enga­gées, qui ne sau­raient être arrêtées.

Mais il nous faut redé­fi­nir les règles du jeu pour que la sou­ve­rai­ne­té reste où elle doit être, c’est-à-dire dans les nations. Dès lors, il ne sau­rait plus y avoir aucun trans­fert irré­vo­cable de sou­ve­rai­ne­té, mais seule­ment des délé­ga­tions de com­pé­tences, qui pour­ront tout natu­rel­le­ment être réin­ter­pré­tées, refor­mu­lées ou amen­dées dès lors que ce Par­le­ment le déci­de­ra, dans l’in­té­rêt national.

Alors, si nos par­te­naires font de même, la coopé­ra­tion entre les Douze fonc­tion­ne­ra comme elle fonc­tionne aujourd’­hui dans le S.M.E., c’est-à-dire par consen­sus, sans que, ni en droit ni en pra­tique, aucun État  ne se des­sai­sisse de façon irré­ver­sible de son pou­voir de décision.

Mais dans la redé­fi­ni­tion des règles qui régissent la coopé­ra­tion com­mu­nau­taire. il n’y a pas que la ques­tion des sou­ve­rai­ne­tés natio­nales à résoudre ; il y a aus­si la lan­ci­nante ques­tion du défi­cit démo­cra­tique. Or, pas plus après Maas­tricht qu’a­vant,  le Par­le­ment euro­péen ne sera un véri­table légis­la­teur et il n’exerce aucun contrôle effec­tif sur les déci­sions com­mu­nau­taires. Le gad­get de Maas­tricht s’ap­pelle la « codé­ci­sion », qui suc­cède à la coopé­ra­tion de l’Acte unique, la codé­ci­sion n’é­tant guère que le pou­voir recon­nu au Par­le­ment, au terme d’une pro­cé­dure qui relève du par­cours du com­bat­tant, d’en­ter­rer les textes sur les­quels il ne par­vient pas à se mettre d’ac­cord avec le Conseil.

Pour com­bler le défi­cit démo­cra­tique, en fait, il faut rendre leurs pré­ro­ga­tives. aux par­le­ments nationaux.

Cela ne veut pas dire qu’il faut se conten­ter d’as­so­cier les par­le­ments à la dis­cus­sion, ni même faire sem­blant de les faire par­ti­ci­per aux déci­sions, et encore moins intro­duire dans notre Consti­tu­tion la for­mu­la­tion théo­rique du prin­cipe dit de sub­si­dia­ri­té pour empê­cher que le droit com­mu­nau­taire n’empiète sur les com­pé­tences du légis­la­teur national.

Espoir vain si les trai­tés inter­na­tio­naux ne sont pas modi­fiés ou si l’in­ter­pré­ta­tion de l’ar­ticle 55 de la Consti­tu­tion n’est pas pré­ci­sée. Le prin­cipe de sub­si­dia­ri­té n’est pas, en effet, un prin­cipe juri­dique : c’est un prin­cipe d’ef­fi­ca­ci­té. Et il n’ap­par­tient pas aux juges d’ap­pré­cier sub­jec­ti­ve­ment l’ef­fi­ca­ci­té com­pa­rée des organes natio­naux et des organes communautaires.

En réa­li­té, si l’on veut rendre sa digni­té à notre Par­le­ment, il faut, dans un contexte radi­ca­le­ment dif­fé­rent de celui de Maas­tricht et de ce que vous pro­po­sez avec la mon­naie unique que nous ins­cri­vions dans Consti­tu­tion que la loi natio­nale prime dans l’ordre juri­dique interne tout texte com­mu­nau­taire dès lors qu’elle est pos­té­rieure à celui-ci.

Ce prin­cipe juri­dique fon­da­men­tal, dit de la loi écran, que recon­nais­saient la Cour de cas­sa­tion jus­qu’en 1976 et le Conseil d’É­tat jus­qu’en 1989 doit entrer dans l’ordre consti­tu­tion­nel pour qu’il soit pos­sible à la majo­ri­té par­le­men­taire de sus­pendre l’ap­pli­ca­tion d’une norme com­mu­nau­taire par le vote d’une loi contraire, qui s’im­pose à nou­veau aux juges.

Compte tenu des dérives récentes, il est éga­le­ment néces­saire que, pour toutes les matières qui relèvent du domaine légis­la­tif, aucune mesure ne puisse être intro­duite dans le droit interne sans qu’une loi l’au­to­rise expres­sé­ment ; de même qu’au­cune contri­bu­tion ne doit pou­voir être ver­sée par la France sans l’au­to­ri­sa­tion du Par­le­ment  Il appar­tient bien, en revanche, au Par­le­ment euro­péen de voter les dépenses de la Com­mu­nau­té, d’exer­cer éven­tuel­le­ment à cette occa­sion un droit de veto et d’a­men­de­ment ou de mettre en jeu la res­pon­sa­bi­li­té de la Commission.

Dès lors, on ces­se­ra de prendre à Bruxelles, entre gou­ver­ne­ments, sur pro­po­si­tion d’une com­mis­sion de tech­no­crates, des déci­sions qui relèvent exclu­si­ve­ment des Par­le­ments de chaque État.

Encore faut-il, pour que l’en­semble .soit cohé­rent, que la Com­mis­sion perde son mono­pole de l’i­ni­tia­tive pour ne plus être que l’or­gane de pré­pa­ra­tion et d’exé­cu­tion des déci­sions du Conseil. Voi­là qui remet­tra à sa place la tech­no­cra­tie, pour le plus grand pro­fit d’une démo­cra­tie qui n’en finit pas d’être vidée de sa substance.

Reste la ques­tion monétaire.

Ce n’est cer­tai­ne­ment pas l’Ins­ta­bi­li­té des mon­naies appar­tenant au S.M.E. qui étouffe la crois­sance euro­péenne, Aus­si, quand on se pose la ques­tion de la mon­naie euro­péenne, on doit se poser en rait la ques­tion d’une amé­lio­ra­tion mar­gi­nale de l’ef­fi­ca­ci­té de notre sys­tème moné­taire, certes signi­fi­ca­tive, mais cer­tai­ne­ment pas déci­sive pour la com­pé­ti­ti­vi­té de notre économie.

Écar­tant le fan­tasme de puis­sance qui sous-tend le pro­jet de mon­naie unique, que reste-t-il pour amé­lio­rer le sys­tème actuel sans renon­cer ni à notre sou­ve­rai­ne­té, ni à la sou­plesse d’a­dap­ta­tion que pro­curent les pari­tés ajustables ?

Eh bien, il reste l’in­tel­li­gente pro­po­si­tion défen­du au Royaume-Uni par John Major et, en France, par Édouard Bal­la­dur, et sur laquelle s’ac­cordent de nom­breux éco­no­mistes, je veux par­ler de la créa­tion d’une mon­naie com­mune cir­cu­lant paral­lè­le­ment aux mon­naies natio­nales, une mon­naie com­mune qui serait l’a­bou­tis­se­ment logique du S.M.E.

Celle-ci serait émise en contre­par­tie des mon­naies natio­nales par un ins­ti­tut d’é­mis­sion euro­péen dont le pou­voir de créa­tion moné­taire serait stric­te­ment limi­té pour évi­ter toute dérive Inflationniste.

Quels ser­vices ren­drait-elle ? Elle inten­si­fie­rait la concur­rence moné­taire en inci­tant chaque pays à une meilleure ges­tion de ses liqui­di­tés. Elle offri­rait aux entre­prises un ins­tru­ment effi­cace pour mieux gérer leurs risques de change. Elle pour­rait riva­li­ser avec le dol­lar et le yen sur les mar­chés inter­na­tio­naux de capitaux.

En adop­tant la mon­naie com­mune au lieu de la mon­naie unique, on choi­si­rait, je crois, l’ef­fi­ca­ci­té contre l’idéologie.

Tout le reste est l’af­faire de la coopé­ra­tion entre États. On obser­ve­ra d’ailleurs que ce qui fonc­tionne le mieux aujourd’­hui en Europe se situe sou­vent en dehors de l’or­bite com­mu­nau­taire, qu’il s’a­gisse d’A­riane espace, du GIE Air­bus ou du CERN.

Donc, la stra­té­gie est claire : il ne faut pas for­cé­ment des poli­tiques com­munes, avec leurs pro­grammes lourds, leur opa­ci­té, leurs pro­cé­dures inex­tri­cables, leur arbi­traire, leurs gas­pillages, mais plu­tôt un cadre souple per­met­tant des regrou­pe­ments en fonc­tion des moyens et des inté­rêts réels de cha­cun, des prio­ri­tés et des circonstances.

Met­tons en place un cadre souple qui favo­rise des coopé­ra­tions effi­caces mais aus­si un cadre ouvert où cha­cun pour­ra main­te­nir les soli­da­ri­tés qu’il entre­tient avec le reste du monde et qui sont sou­vent une part de lui-même.

Un cadre ouvert pour inté­grer au plus vite les nou­velles démo­cra­ties de l’Eu­rope de l’Est et pour Ies asso­cier aux pro­grammes euro­péens qui les Inté­ressent direc­te­ment. Un cadre ouvert pour évi­ter que le repli de cer­taines nations sur elles-mêmes ne débouche sur celui de l’Eu­rope tout entière.

Cette com­mu­nau­té-là est, en tout cas, la seule sus­cep­tible de s’ou­vrir rapi­de­ment aux autres nations euro­péennes. A par­tir d’elle, grâce à elle, nous pour­rions construire une Europe plus réa­liste, une Europe ren­due à sa dimen­sion véri­table, une Europe plus démo­cra­tique, une Europe plus sûre et, je n’en doute pas, une Europe plus prospère.

Conve­nons d’ap­pe­ler ce nou­veau sys­tème de rela­tions la Confé­dé­ra­tion euro­péenne puisque les nations y res­te­ront sou­ve­raines, tout en gérant ensemble et d’un com­mun accord leurs inter­dé­pen­dances chaque fois qu’elles le juge­ront utile ou néces­saire. Mais ce ne sera pas la Confé­dé­ra­tion que nous pro­pose M. Mit­ter­rand – conçue comme un noyau dur et for­mée d’une com­mu­nau­té de nan­tis autour de laquelle gra­vitent des États subor­don­nés ! Les pays de l’Est en ont déjà refu­sé le prin­cipe à Prague il y a un an à peine ; ils ne l’ac­cep­te­ront pas davan­tage demain. Celle concep­tion n’est pas la bonne. Elle est inadap­tée et même dangereuse.

Et c’est pré­ci­sé­ment parce que nous sommes pour l’Eu­rope que nous sommes contre l’Eu­rope de Maastricht.

Ain­si conçue à par­tir des États, c’est-à-dire sur une base qui pour­ra être démo­cra­tique, l’or­ga­ni­sa­tion de l’Eu­rope per­met­tra d’as­su­rer à tout le moins et sans délai l’en­tente, la détente, la coopé­ra­tion, ce qui n’est déjà pu si mal,

Que sera cette Europe ? Ce sera une Europe enfin réuni­fiée, dotée d’un sys­tème de sécu­ri­té col­lec­tive et d’un grand mar­ché com­mun. Car il l’a­git tout à la fois de conju­rer de conju­rer des risques et de garan­tir des chances.

Les risques tiennent à la pro­li­fé­ra­tion nucléaire, balis­tique et chi­mique. Ils sont tech­no­lo­giques et envi­ron­ne­men­taux. Les chances ce sont celles de la paix et de la pros­pé­ri­té à l’é­chelle du continent.

Com­ment conce­voir ce sys­tème de sécu­ri­té col­lec­tive euro­péen en faveur duquel la France doit agir de toutes ses forces, tout en moder­ni­sant sa propre défense ?

Il s’a­git de bâtir une orga­ni­sa­tion régio­nale conforme à ce qui est pré­vu par la Charte des Nations unies. Elle serait essen­tiel­le­ment fon­dée sur un Conseil de sécu­ri­té com­po­sé pour par­tie de membres per­ma­nents, car l’Eu­rope a besoin au plus vite d’une ins­tance d’ar­bi­trage capable de pré­ve­nir les affron­te­ments et, le cas échéant, de les cir­cons­crire et d’en limi­ter les effets. Il existe, en effet, au sein de l’Eu­rope actuelle une mul­ti­tude de conflits poten­tiels, d’au­tant plus à redou­ter que le prin­cipe de l’in­tan­gi­bi­li­té des fron­tières est sou­vent inte­nable, s’a­gis­sant de tra­cés impo­sés arbi­trai­re­ment par les vain­queurs des deux guerres mon­diales, au mépris sou­vent des réa­li­tés his­to­riques, cultu­relles et politiques.

Là est la voie, la seule voie d’une réelle indé­pen­dance euro­péenne. J’o­se­rai dire au pas­sage que, dans les diverses célé­bra­tions de Maas­tricht, rien ne m’a cho­qué davan­tage que d’en­tendre quelques atlan­tistes paten­tés reprendre à leur compte la pers­pec­tive d’une Europe indé­pen­dante, contri­buant A un rééqui­li­brage poli­tique et offrant un autre modèle au monde que le modèle actuel­le­ment domi­nant. Comme si cela était leur véri­table objectif !

A l’in­verse, un conseil de sécu­ri­té euro­péen per­met­trait de signi­fier que si d’au­cuns sou haltent orga­ni­ser sous leur dra­peau, comme on le dit, une gen­dar­me­rie mon­diale, il fau­drait lui trou­ver d’autres ter­rains de manœuvre que le conti­nent européen.

Pour indis­pen­sable qu’il soit, ce sys­tème de sécu­ri­té ne suf­fi­rait pas à empê­cher les ten­sions, les affron­te­ments et les mou­ve­ments de popu­la­tion incon­trô­lés, sans un trai­te­ment simul­ta­né de la ques­tion éco­no­mique., Et l’on ne pour­ra pas pro­gres­ser sur le ter­rain de l’é­co­no­mie si, au nom du « gra­dua­lisme » et des néces­si­tés de la tran­si­tion, on inflige aux anciennes démo­cra­ties popu­laires ce qu’on a fait subir aux pays du tiers monde depuis trente ans, à savoir la fer­me­ture de nos fron­tières à leurs produits.

Il faut donc son­ger à réa­li­ser au plus tôt un grand espace euro­péen à l’in­té­rieur duquel serait pro­gres­si­ve­ment garan­tie la liber­té des échanges. Certes, l’é­tat actuel des légis­la­tions ne per­met sans doute pas d’en­vi­sa­ger l’ou­ver­ture très rapide d’un mar­ché unique com­por­tant la recon­nais­sance mutuelle de toutes les régle­men­ta­tions sur l’en­semble du conti­nent, En revanche, rien ne s’op­pose à la mise en place d’un grand mar­ché com­mun dans l’es­prit du trai­té de Rome, avec la libre cir­cu­la­tion des mar­chan­dises. Rien ne s’op­pose non plus à ce que soit signé un accord euro­péen unique por­tant sur la pro­tec­tion des inves­tis­se­ments, avec la créa­tion d’une ins­tance arbi­trale unique pour régler les litiges en la matière et la mise au point d’une assu­rance unique des­ti­née à garan­tir les inves­tis­se­ments étran­gers contre le risque politique.

Et pour évi­ter que ne le referme une fois de plus le piège de la dette exté­rieure, peut-être faut-il admettre, pour apu­rer les comptes, que les créances publiques soient rem­bour­sées en mon­naie locale et réin­ves­ties sur place.

Remar­quons à ce pro­pos que si la libé­ra­tion des échanges doit être réa­li­sée au plus vite, le pas­sage à la conver­ti­bi­li­té moné­taire demande moins de hâte et ne pour­ra s’o­pé­rer avant que les banques cen­trales natio­nales aient réta­bli l’é­qui­libre entre la cir­cu­la­tion fidu­ciaire et le niveau des transactions.

Enfin, un vaste plan de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment et du patri­moine est à mettre en œuvre dans cette Europe cen­trale et orien­tale qui est au bord du désastre éco­lo­gique. Sans doute, une haute auto­ri­té de l’en­vi­ron­ne­ment aux com­pé­tences bien défi­nies, pou­vant sta­tuer dans cer­tains cas à la majo­ri­té, est-elle néces­saire pour pré­ser­ver ou res­tau­rer un patri­moine que l’Eu­rope tout entière consi­dère comme un bien commun.

Dans cette Europe-là, la France trou­ve­ra natu­rel­le­ment sa place, Elle a un grand rôle à y jouer et rien ne sera sans elle.

Voi­là, en tout cas, un pro­jet qui appelle à I’en­thou­siasme plu­tôt que de se nour­rir de frayeurs et de fantasmes.

II est temps de dire que bâtir l’Eu­rope des Douze sur la peur obses­sion­nelle de la puis­sance de l’Al­le­magne est tout de même une bien étrange démarche, proche de la para­noïa. D’au­tant qu’à force de vou­loir faire cette inté­gra­tion à tout prix, on va finir par faire l’Eu­rope alle­mande plu­tôt que de ne pas faire l’Eu­rope du tout, ce qui serait un comble.

Il ne ser­vi­ra à rien de ten­ter de fice­ler l’Al­le­magne. Car l’Al­le­magne, et c’est bien natu­rel dans sa posi­tion, et avecles moyens dont elle dis­pose, ne renon­ce­ra à sa sou­ve­rai­ne­té que si elle domine l’en­semble, cer­tai­ne­ment pas si elle lui est subordonnée.

Le débat qui se déve­loppe en ce moment en Alle­magne à pro­pos de Maas­tricht en fait la démons­tra­tion : les Alle­mands veulent bien d’une banque cen­trale euro­péenne, mais seule­ment si celle-ci est peu ou prou entre les mains de la Bun­des­bank, et d’une mon­naie unique, si cel­le­-ci s’ap­pelle le mark.

Et com­ment peut-on ima­gi­ner que l’Al­le­magne va renon­cer à jouer son jeu en Europe cen­trale ? N’a-t-elle pas d’ailleurs clai­re­ment annon­cé la cou­leur quand elle a recon­nu uni­la­té­ra­le­ment la Croa­tie, sans se sou­cier des enga­ge­ments com­mu­nau­taires qu’elle avait pris quelques semaines auparavant ?

Une fois de plus, il nous faut consi­dé­rer le monde tel qu’il est et non tel qu’on vou­drait qu’il soit. Et dans ce monde-!à, ce que la France peut appor­ter de plus pré­cieux à l’Eu­rope, c’est de trou­ver en elle-même assez d’éner­gie et de volon­té pour deve­nir un contre­poids, pour équi­li­brer les forces en pré­sence, pour peser lourd face à l’Al­le­magne, sinon pour faire jeu égal avec elle.

Le meilleur ser­vice que nous pou­vons rendre à l’Eu­rope, c’est donc de nous enga­ger réso­lu­ment sur la voie du redres­sement natio­nal, c’est de res­tau­rer la cohé­sion natio­nale et l’au­to­ri­té de l’État.

Encore faut-il que nous gar­dions les mains assez libres pour cela.

Pour autant, il ne s’a­git pas de rompre l’axe fran­co-alle­mand, qui est essen­tiel, mais au contraire de le conso­li­der en le rééqui­li­brant, en rede­ve­nant un par­te­naire cré­dible, un asso­cié influent, un inter­lo­cu­teur valeu­reux. Un couple fran­co-alle­mand où l’Al­le­magne serait tout et la France plus grand-chose ne serait pas un couple heureux.

Der­rière la ques­tion de savoir quelle Europe nous vou­lons, se pose donc fata­le­ment la ques­tion cru­ciale de savoir quelle France nous voulons.

Bien sûr, la France est soli­daire du reste de l’Eu­rope, bien sûr, sa par­ti­ci­pa­tion à la construc­tion euro­péenne est un grand dessein.

Bien sûr, elle se doit en par­ti­cu­lier de ras­sem­bler l’Eu­rope médi­ter­ra­néenne. Bien sûr, elle se doit de retrou­ver ses res­pon­sa­bi­li­tés vis-à-vis de l’Eu­rope danubienne.

Mais la France ne sau­rait avoir l’Eu­rope comme seul hori­zon, comme seul pro­jet, comme seule voca­tion. Il suf­fit de regar­der la carte de la fran­co­pho­nie pour com­prendre com­bien la voca­tion de la France va bien au-delà des fron­tières de l’Europe.

Tant pis pour les intel­lec­tuels de salon qui montrent dédai­gneu­se­ment du doigt ceux « qui ont cette convic­tion obses­sion­nelle que la nation fran­çaise est por­teuse d’un mes­sage uni­ver­sel de valeur supé­rieure et d’une mis­sion civi­li­sa­trice ». Oui, la France a une voca­tion mes­sia­nique, elle doit assu­mer et même y entraî­ner l’Eu­rope, en par­ti­cu­lier dans la coopé­ra­tion Nord-Sud pour pré­ve­nir les grands exodes que nous pré­parent la misère africaine.

Encore faut-il que, chez les hommes d’É­tat, le vision­naire l’emporte encore un peu sur le ges­tion­naire, l’i­déal sur le cynisme et la hau­teur de vue sur l’é­troi­tesse d’es­prit. Car pour don­ner l’exemple aux autres, il convient d’être soi même exem­plaire. Il faut, pour que la France soit à la hau­teur de sa mis­sion, qu’elle soit, chez elle, fidèle à ses propres valeurs.

Et la France n’est pas la France quand elle n’est plus capable, comme aujourd’­hui, de par­tager équi­ta­ble­ment les pro­fits entre le tra­vail, le capi­tal et la rente, quand elle conserve une fis­ca­li­té à la fois injuste et inef­fi­cace, quand elle se résigne à voir régres­ser la soli­da­ri­té et la pro­mo­tion sociale, quand elle laisse se déli­ter ce qu’au­tre­fois on appe­lait fiè­re­ment le creu­set fran­çais et qui était au cœur du pro­jet républicain.

Les défis que nous avons à rele­ver sont immenses, Jamais ils n’a­vaient tou­ché aus­si pro­fon­dé­ment ce que nous sommes et ce que nous vou­lons deve­nir. Ils tiennent en une seule et même obli­ga­tion : rompre enfin avec des sché­mas de pen­sée, des modes d’ap­proche tota­le­ment dépas­sés du fait de l’é­vo­lu­tion de nos socié­tés. Et c’est parce que nous nous y accro­chons contre toute rai­son que nous don­nons cette impres­sion d’im­puis­sance. A nous de savoir nous en déga­ger au lieu de nous y rési­gner ! Quel meilleur ser­vice rendre à l’Eu­rope que nous vou­lons construire !

Sachons, par exemple, prendre la vraie dimen­sion de la crise. Elle n’est pas seule­ment éco­no­mique et sociale. Elle est aus­si et pro­ba­ble­ment sur­tout cultu­relle. Elle tient à l’in­ca­pa­ci­té de nos socié­tés à s’a­dap­ter aux consé­quences de la révolution tech­no­lo­gique et de l’é­vo­lu­tion des mentalités.

Ain­si la lutte contre le chô­mage passe-t-elle par une meilleure éga­li­té des chances. La repro­duc­tion sociale qua­si­ment à l’i­den­tique n’est plus seule­ment into­lé­rable en termes moraux, elle est un han­di­cap insup­por­table en termes d’efficacité !

La muta­tion de notre sys­tème édu­ca­tif est elle-même une clef essen­tielle, car le pro­blème cultu­rel, le pro­blème des men­ta­li­tés, le pro­blème de l’a­dé­qua­tion de la moder­ni­té à son rythme trou­ve­ront leur solu­tion d’a­bord dans les repères intel­lec­tuels et les modes de pen­sée que nous sau­rons don­ner à nos enfants.

La gran­deur édu­ca­tive des débuts de la IIIe Répu­blique avait su don­ner à l’im­mense majo­ri­té des Fran­çais les moyens d’af­fron­ter le grand bas­cu­le­ment de la moder­ni­té urbaine, indus­trielle et scien­ti­fique de la fin du XIXe siècle. Un siècle après, voi­là la Répu­blique à nou­veau confron­tée aux mêmes grands défis. Il n’y a plus aujourd’­hui aucun grand pro­jet poli­tique qui ne com­mence par là.

Il est temps de com­prendre aus­si que la com­pé­ti­ti­vi­té d’une nation doit s’ap­pré­cier glo­ba­le­ment et que la tra­di­tion­nelle dis­tinc­tion entre l’é­co­no­mique, le social et le cultu­rel est désor­mais caduque. Mais rien ne se fera sans réta­blir l’é­qui­libre entre une néces­saire décen­tra­li­sa­tion et le rôle abso­lu­ment irrem­pla­çable de l’É­tat. Il faut en finir avec le déve­lop­pe­ment inégal, rendre leur sens aux prin­cipes d’u­ni­té, de conti­nui­té, d’in­di­vi­si­bi­li­té de la Répu­blique et les ins­crire dans la géographie.

Rien ne sera non plus pos­sible pour la France sans recons­truire le creu­set fran­çais pour assu­rer l’in­té­gra­tion des com­mu­nau­tés accueillies. Sachons en par­ti­cu­lier don­ner à ce qui est deve­nu la deuxième reli­gion de France la pos­si­bi­li­té d’être pra­ti­quée hors des influences poli­tiques étran­gères et dans le cadre des lois de la Répu­blique laïque. L’Is­lam est un des grands pro­blèmes euro­péens. Pour­quoi la France ne mon­tre­rait-elle pas les voles de sa solution ?

J’ai assez dit que la nation doit rede­ve­nir ce qu’elle est : notre prin­cipe fon­da­teur. Cela implique la res­tau­ra­tion de l’É­tat et la réha­bi­li­ta­tion de la Répu­blique. Nation, État et Répu­blique, ce sont là les moyens de construire une Europe com­pa­tible avec l’i­dée que la France s’est tou­jours faite d’elle-même.

On ne cesse de nous répé­ter, on n’a ces­sé de me répé­ter ce soir que la jeu­nesse a déjà fait son choix, qu’elle est contre les fron­tières, pour le droit de vote aux étran­gers, pour la supra­na­tio­na­li­té, pour la dis­so­lu­tion de la France au sein de l’Eu­rope fédérale.

Mais quelle est la France qu’on lui pro­pose ? Quel est l’a­ve­nir qu’on lui des­sine dans son propre pays ? Quelle est donc cette poli­tique pitoyable qui, renon­çant à faire vivre l’es­pé­rance natio­nale, se contente de faire miroi­ter à sa jeu­nesse l’at­trait des grands espaces tout en n’é­tant pas capable de lui don­ner sa chance ?

Au lieu de conti­nuer à déses­pé­rer la jeu­nesse de ce pays, il faut enfin lui poser la ques­tion cru­ciale, que cha­cun éIude soi­gneu­se­ment, la seule ques­tion qui vaille dans ce débat : est-ce qu’on garan­ti­ra plus aisé­ment la paix, la démo­cra­tie, le bon­heur, les condi­tions les plus favo­rables à l’é­pa­nouis­se­ment per­son­nel et aux grands élans col­lec­tifs en renon­çant à notre sou­ve­rai­ne­té ou bien en la préservant ?

Mon­sieur le pré­sident, mes­dames, mes­sieurs les ministres, mes chers col­lègues, si j’ai dépo­sé cette excep­tion d’ir­re­ce­va­bi­li­té, c’est parce que, je le répète, j’ai le sen­ti­ment que Maas­tricht et ses consé­quences sont à prendre ou à laisser. (…)

Une fois ouverte la dis­cus­sion sur le texte qui nous est sou­mis, le piège sera refer­mé. Nous serons pri­son­niers d’une logique dont nous ne pour­rons plus nous dégager.

Le trai­té, nous le savons tous, n’est pas amen­dable. Le Pré­sident de la Répu­blique a été par­ti­cu­liè­re­ment clair à ce sujet le 1er  mai : nulle réserve por­tant sur le cœur même du trai­té ne pour­rait être oppo­sable aux cocon­trac­tants. Quant à la voie de la modi­fi­ca­tion du texte consti­tu­tion­nel, elle me parait en l’é­tat sans issue.

Du fait de la dérive vers la supré­ma­tie du droit commu­nautaire, nous ne dis­po­se­rons d’au­cune garan­tie en cas de contra­dic­tion entre le trai­té et la Consti­tu­tion. D’ailleurs, l’o­bli­ga­tion de débattre à nou­veau de la mon­naie unique ne pour­rait figu­rer ni dans l’un ni dans l’autre, et serait de nul effet. De nul effet aus­si l’o­bli­ga­tion pour le Gou­ver­ne­ment fran­çais de s’ex­pli­quer devant l’As­sem­blée avant d’al­ler se lier les mains à Bruxelles. Quelle en serait la sanction ?

Quant au prin­cipe de la sub­si­dia­ri­té, en rap­pe­lant sa nature sub­jec­tive, je crois en avoir d’a­vance limi­té la por­tée. D’ailleurs, tous les règle­ments et de nom­breuses direc­tives s’ap­pliquent sans pas­ser devant le Par­le­ment et, pour tous ces textes, la sai­sine du Conseil consti­tu­tion­nel est impossible.

Quant à la maî­trise de notre poli­tique en matière de visas, si elle pou­vait être pré­vue dans la Consti­tu­tion, elle demeure­rait absente du trai­té. Alors, com­ment les juges inter­pré­te­raient-ils cette contradiction ?

Quant au droit de vote des étran­gers, je n’en parle même plus puisque j’ai déjà eu l’oc­ca­sion de démon­trer qu’on confon­dait pro­ba­ble­ment en la matière l’ac­ces­soire et l’essentiel.

Il n’y a donc, je le crains, aucune garan­tie à attendre d’un quel­conque amen­de­ment du pro­jet de loi. Il y a encore moins d’as­su­rance à attendre de l’u­sure du temps. Ce serait d’ailleurs une bien curieuse démarche que de nous en remettre à la sur­ve­nance d’hy­po­thé­tiques catas­trophes dans les années à venir pour nous sor­tir d’un piège dans lequel nous nous serions nous-mêmes enfermés.

Il est donc vain de cher­cher de sub­tiles esquives. Il faut se déter­mi­ner sans détour. Il faut se déter­mi­ner en pen­sant au droit de notre peuple. C’est à lui de sta­tuer. Voter l’ex­cep­tion d’ir­re­ce­va­bi­li­té, c’est, me semble-t-il, pro­cla­mer que nous refu­sons de nous sub­sti­tuer à lui pour déci­der de ce qui relève de lui et de lui seul.

Il faut se déter­mi­ner en pen­sant à la France. Le 24 novembre 1953 — peut-être est-ce un débat auquel vous avez par­ti­ci­pé, mon­sieur le ministre des affaires étran­gères — Pierre Men­dès France s’ex­pri­mait en ces termes : « On parle sou­vent de choix, j’ai fait le mien, je choi­sis l’Eu­rope, mais je veux les condi­tions de son suc­cès, qui sont aus­si les condi­tions du renou­veau de la France. »

Ce qui trouble le débat, c’est qu’une fois encore on nous pro­pose sépa­ré­ment un but dont nous sen­tons la valeur et la gran­deur, mais dont nous redou­tons de ne pas voir réunies les condi­tions de son succès.

Je pense qu’à qua­rante ans de dis­tance le pro­blème ne se pose pas en termes radi­ca­le­ment dif­fé­rents. L’a­ve­nir de la France ne dépend pas seule­ment du suc­cès de l’Eu­rope, mais l’a­ve­nir de l’Eu­rope, à ce moment cru­cial de son his­toire, passe cer­tai­ne­ment par le redres­se­ment de la France. En entra­vant sa liber­té d’a­gir, en la contrai­gnant à renon­cer un peu plus à elle-même, on ren­drait un bien mau­vais ser­vice à l’Eu­rope. Car la Répu­blique fran­çaise pour­rait être l’âme ou le modèle de cette Europe nou­velle, aujourd’­hui aspi­rée par le vide et qui hésite entre espoir et angoisse, goût de la liber­té et peur du désordre, fra­ter­ni­té et exclusion.

En votant l’ex­cep­tion d’ir­re­ce­va­bi­li­té, je crois donc que nous com­men­ce­rons à tra­vailler à rendre aux Fran­çais un peu de cette fier­té mys­té­rieuse dont pour l’heure – comme le disait André Mal­raux – ils ne savent qu’une chose, c’est qu’à leurs yeux la France l’a perdue.

Il faut se déter­mi­ner enfin en fonc­tion de l’Eu­rope que nous vou­lons. En votant l’ex­cep­tion d’ir­re­ce­va­bi­li­té, nous ne signi­fions pas un congé, nous expri­mons la volon­té de construire une autre Europe, la seule Europe qui vaille à nos yeux.

En 1958, le géné­ral de Gaulle arri­va au pou­voir au moment même où, après une décen­nie d’in­can­ta­tions euro­péennes, la IVe Répu­blique était en passe de sol­li­ci­ter de nos par­te­naires le béné­fice de la clause de sau­ve­garde, dif­fé­rant l’en­trée de la France dans le Mar­ché com­mun. On raconte que Jacques Cha­ban-Del­mas, mis­sion­né pour se faire l’é­cho des inquié­tudes de tous ceux qui s’é­taient per­sua­dés que le trai­té de Rome était condam­né, se serait enten­du répondre par le géné­ral de Gaulle : « Nous entre­rons, comme conve­nu, dans le Mar­ché com­mun, nous y entre­rons, oui, mais debout »

De fait, le redres­se­ment natio­nal que les élites diri­geantes d’a­lors ne croyaient plus pos­sible per­mit à la France de deve­nir le moteur de l’Europe.

Mon­sieur le pré­sident, mes­dames, mes­sieurs les ministres, mes chers col­lègues, la ques­tion et la réponse n’ont pas varié : oui, nous vou­lons l’Eu­rope, mais debout, parce que c’est debout qu’on écrit l’histoire !

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5 Commentaires

  1. J-Stéphane

    Énorme ! c’est une bombe qui hélas n’a fait qu’im­plo­ser dans l’hé­mi­cycle à son époque, je lui sou­haite d’ex­plo­ser maintenant.

    Réponse
  2. Sam

    Je n’a­vais encore jamais lu ce dis­cours auquel j’i­rais presque jus­qu’à dire que je n’au­rais rien à enle­ver et même à ajouter… 

    Tou­te­fois il y a une chose qui me choque, dans le fonds et sur­tout dans la forme de cette inter­ven­tion pour­tant si lucide et salu­taire. Un oubli dra­ma­tique, ou plu­tôt un renon­ce­ment de la part d’une per­sonne qui pou­vait sans doute consi­dé­rer qu’elle avait fait sa part du boulot ? 

    Car en un mot, tout en refu­sant – à très juste titre, bien sûr – de recon­naître au Par­le­ment le droit d’é­ra­di­quer la sou­ve­rai­ne­té natio­nale et d’a­bo­lir la répu­blique, il se « défausse » fina­le­ment com­plè­te­ment… en pro­po­sant sim­ple­ment que le peuple le fasse lui-même par référendum. 

    Or une révi­sion de la consti­tu­tion qui atten­te­rait un tant soit peu à la sou­ve­rai­ne­té natio­nale ou qui effa­ce­rait la sépa­ra­tion des pou­voir est de fait illé­gale et même nulle et non ave­nue, de par la nature même d’un régime consti­tu­tion­nel, et la Consti­tu­tion fran­çaise écrite est d’ailleurs très claire là-des­sus. En d’autres termes, on ne peut abo­lir la répu­blique qu’en décré­tant un chan­ge­ment de consti­tu­tion et non pas une révi­sion, fut-elle faite « à grandes eaux » (il est même sti­pu­lé qu’au­cune révi­sion consti­tu­tion­nelle ne peut abo­lir la forme répu­bli­caine du Gou­ver­ne­ment), et sur­tout, on ne peut tout bon­ne­ment pas aller cher­cher dans aucune consti­tu­tion une quel­conque auto­ri­sa­tion à ce que le Par­le­ment, mais aus­si le peuple lui-même, abo­lissent la sou­ve­rai­ne­té natio­nale ou la sépa­ra­tion de pou­voirs… C’est par­fai­te­ment évident… mais çà va mieux en le disant.

    Que le peuple donne les pou­voirs à un Pétain et la sou­ve­rai­ne­té natio­nale à un NSDAP alle­mand, met­tons ; la plus grande des tra­hi­sons consis­te­rait à pré­tendre le faire dans un cadre constitutionnel.

    Ain­si toute sa démarche semble fina­le­ment s’é­crou­ler. Natu­rel­le­ment, il n’at­ten­dait de salut, côté réfé­ren­dum, qu’en cas de réponse néga­tive, pour dire autre­ment que l’hon­nê­te­té de démarche pêchait fina­le­ment. Ce qui n’en­lève rien, bien sûr, à la qua­li­té de toute l’a­na­lyse, à ce « détail » près.

    J’a­vais d’a­bord pen­sé, d’ailleurs, pour cette même rai­son, que le titre que tu donnes à ce billet, Étienne, était mal trou­vé et était trop réduc­teur pour résu­mer le sens de l’in­ter­ven­tion de Seguin, mais le pro­blème est jus­te­ment qu’il est par­fai­te­ment adapté…

    Il faut sans doute dire et redire, sans se las­ser, car encore tant de gens ne l’ont pas com­pris, que tout le truc « euro­péen » (et plus lar­ge­ment, trans­na­tio­nal) per­met­tant de cou­vrir la muta­tion mons­trueuse à laquelle nous sommes confron­tés, consiste à léga­li­ser le coup d’É­tat en conti­nuant à recon­naître, sans le dire un peu trop fort (ce que fait chaque fois le Conseil consti­tu­tion­nel), que toute cette construc­tion « au-delà du légal » qui semble inver­ser la hié­rar­chie des normes et donc vio­ler sys­té­ma­ti­que­ment la consti­tu­tion, ne vaut et ne vau­dra que tant que le Par­le­ment natio­nal accepte de ne pas dénon­cer les trai­tés, et ne vau­drait plus rien dès lors qu’il se déci­de­rait à le faire. Et pour ce faire, comme dit A.-M. Le Pou­rhiet, « c’est d’une sim­pli­ci­té biblique » : il faut et il suf­fit de net­toyer ces mau­dits trai­tés « au karcher »…

    Bises,

    Sam

    Réponse
  3. TISSOT Michel

    Quelle leçon !
    La clair­voyance de l’a­na­lyse de Ph.SEGUIN est ras­su­rante car elle auto­rise à espé­rer que tout n’est ni irré­ver­sible ni perdu!!
    Ce texte devrait être sou­mis à nos élèves de ter­mi­nales (toutes orien­ta­tions confon­dues) et faire l’ob­jet de débats orga­ni­sés par les ensei­gnants, les élèves, le peuple et les élus poli­tiques en charge des res­pon­sa­bi­li­tés gou­ver­ne­men­tales. Pour, en finale, se poser la ques­tion : « La FRANCE doit-elle res­ter Euro­péenne avant d’être Natio­nale ? » MERCI

    Réponse
  4. LOCOCHE

    Bon­jour,
    Citoyen Fran­çais, né en France dans les années 56, je sais main­te­nant que les fédé­ra­listes ont eu pro­vi­soi­re­ment la peau de ma nation et que je mou­rais dans une confé­dé­ra­tion d’é­tats oli­gar­chiques voir mafieux. Je par­ti­rais pour­tant, sûre que cette oli­gar­chie que l’on nome « UE » dont on oblige aujourd’­hui a arbo­ré les talis­mans, fini­ra elle-même par s’ef­fon­drait sous la pres­sion des peuples.
    Espé­rons que cette dis­pa­ri­tion se fera sans dou­leur et que cette construc­tion, sera ban­nis par his­toire déplo­rable qu’elle aura lais­sé der­rière elle.

    Réponse

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