Le traité transatlantique, un typhon qui menace les Européens ! (Le Monde diplomatique, nov. 2013)

5/04/2014 | 1 commentaire

Ceux qui s’ap­pellent des « libé­raux » sont tous, au fond, depuis 300 ans, des escla­va­gistes.
Lisez
le livre stu­pé­fiant de Losur­do, si vous en dou­tez encore.

La der­nière preuve en date des pro­jets lit­té­ra­le­ment escla­va­gistes des pré­ten­dus « libé­raux », c’est l’Accord de Par­te­na­riat Trans­at­lan­tique (APT).
Si on ne se mobi­lise pas TOUS contre cette salo­pe­rie de Trai­té trans­at­lan­tique, comble de la haute tra­hi­son de la part de nos pré­ten­dus « repré­sen­tants » qui le négo­cient en secret, on n’au­ra RIEN à dire quand com­men­ce­ront pour nous les tra­vaux for­cés sans plus AUCUNE défense de la force publique. 
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(Je repro­duis inté­gra­le­ment cet article impor­tant du Diplo, en vous invi­tant ins­tam­ment à vous abon­ner : ce jour­nal a besoin de notre aide pour sur­vivre.)
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Sécu­ri­té ali­men­taire, droit social, écologie…

Le traité transatlantique, un typhon qui menace les Européens

Source : http://​www​.monde​-diplo​ma​tique​.fr/​2​0​1​3​/​1​1​/​W​A​L​L​A​C​H​/​4​9​803

Enga­gées en 2008, les dis­cus­sions sur l’accord de libre-échange entre le Cana­da et l’Union euro­péenne ont abou­ti le 18 octobre. Un bon pré­sage pour le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain, qui espère conclure un par­te­na­riat de ce type avec le Vieux Conti­nent. Négo­cié en secret, ce pro­jet ardem­ment sou­te­nu par les mul­ti­na­tio­nales leur per­met­trait d’attaquer en jus­tice tout État qui ne se plie­rait pas aux normes du libéralisme.

par Lori M. Wal­lach, novembre 2013
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Ima­gine-t-on des mul­ti­na­tio­nales traî­ner en jus­tice les gou­ver­ne­ments dont l’orientation poli­tique aurait pour effet d’amoindrir leurs pro­fits ? Se conçoit-il qu’elles puissent récla­mer — et obte­nir ! — une géné­reuse com­pen­sa­tion pour le manque à gagner induit par un droit du tra­vail trop contrai­gnant ou par une légis­la­tion envi­ron­ne­men­tale trop spo­lia­trice ? Si invrai­sem­blable qu’il paraisse, ce scé­na­rio ne date pas d’hier. Il figu­rait déjà en toutes lettres dans le pro­jet d’accord mul­ti­la­té­ral sur l’investissement (AMI) négo­cié secrè­te­ment entre 1995 et 1997 par les vingt-neuf États membres de l’Organisation de coopé­ra­tion et de déve­lop­pe­ment éco­no­miques (OCDE) (1). Divul­guée in extre­mis, notam­ment par Le Monde diplo­ma­tique, la copie sou­le­va une vague de pro­tes­ta­tions sans pré­cé­dent, contrai­gnant ses pro­mo­teurs à la remi­ser. Quinze ans plus tard, la voi­là qui fait son grand retour sous un nou­vel habillage.

L’accord de par­te­na­riat trans­at­lan­tique (APT) négo­cié depuis juillet 2013 par les États-Unis et l’Union euro­péenne est une ver­sion modi­fiée de l’AMI. Il pré­voit que les légis­la­tions en vigueur des deux côtés de l’Atlantique se plient aux normes du libre-échange éta­blies par et pour les grandes entre­prises euro­péennes et amé­ri­caines, sous peine de sanc­tions com­mer­ciales pour le pays contre­ve­nant, ou d’une répa­ra­tion de plu­sieurs mil­lions d’euros au béné­fice des plaignants.

D’après le calen­drier offi­ciel, les négo­cia­tions ne devraient abou­tir que dans un délai de deux ans. L’APT com­bine en les aggra­vant les élé­ments les plus néfastes des accords conclus par le pas­sé. S’il devait entrer en vigueur, les pri­vi­lèges des mul­ti­na­tio­nales pren­draient force de loi et lie­raient pour de bon les mains des gou­ver­nants. Imper­méable aux alter­nances poli­tiques et aux mobi­li­sa­tions popu­laires, il s’appliquerait de gré ou de force, puisque ses dis­po­si­tions ne pour­raient être amen­dées qu’avec le consen­te­ment una­nime des pays signa­taires. Il dupli­que­rait en Europe l’esprit et les moda­li­tés de son modèle asia­tique, l’accord de par­te­na­riat trans­pa­ci­fique (Trans-Paci­fic Part­ner­ship, TPP), actuel­le­ment en cours d’adoption dans douze pays après avoir été ardem­ment pro­mu par les milieux d’affaires amé­ri­cains. A eux deux, l’APT et le TPP for­me­raient un empire éco­no­mique capable de dic­ter ses condi­tions hors de ses fron­tières : tout pays qui cher­che­rait à nouer des rela­tions com­mer­ciales avec les États-Unis ou l’Union euro­péenne se ver­rait contraint d’adopter telles quelles les règles qui pré­valent au sein de leur mar­ché commun.

Tribunaux spécialement créés

Parce qu’elles visent à bra­der des pans entiers du sec­teur non mar­chand, les négo­cia­tions autour de l’APT et du TPP se déroulent der­rière des portes closes. Les délé­ga­tions amé­ri­caines comptent plus de six cents consul­tants man­da­tés par les mul­ti­na­tio­nales, qui dis­posent d’un accès illi­mi­té aux docu­ments pré­pa­ra­toires et aux repré­sen­tants de l’administration. Rien ne doit fil­trer. Ins­truc­tion a été don­née de lais­ser jour­na­listes et citoyens à l’écart des dis­cus­sions : ils seront infor­més en temps utile, à la signa­ture du trai­té, lorsqu’il sera trop tard pour réagir.

Dans un élan de can­deur, l’ancien ministre du com­merce amé­ri­cain Ronald (« Ron ») Kirk a fait valoir l’intérêt « pra­tique » de « pré­ser­ver un cer­tain degré de dis­cré­tion et de confi­den­tia­li­té (2) ». La der­nière fois qu’une ver­sion de tra­vail d’un accord en cours de for­ma­li­sa­tion a été mise sur la place publique, a‑t-il sou­li­gné, les négo­cia­tions ont échoué — une allu­sion à la Zone de libre-échange des Amé­riques (ZLEA), une ver­sion élar­gie de l’Accord de libre-échange nord-amé­ri­cain (Ale­na) ; le pro­jet, âpre­ment défen­du par M. George W. Bush, fut dévoi­lé sur le site Inter­net de l’administration en 2001. A quoi la séna­trice Eli­za­beth War­ren rétorque qu’un accord négo­cié sans aucun exa­men démo­cra­tique ne devrait jamais être signé (3).

L’impérieuse volon­té de sous­traire le chan­tier du trai­té amé­ri­ca­no-euro­péen à l’attention du public se conçoit aisé­ment. Mieux vaut prendre son temps pour annon­cer au pays les effets qu’il pro­dui­ra à tous les éche­lons : du som­met de l’Etat fédé­ral jusqu’aux conseils muni­ci­paux en pas­sant par les gou­ver­no­rats et les assem­blées locales, les élus devront redé­fi­nir de fond en comble leurs poli­tiques publiques de manière à satis­faire les appé­tits du pri­vé dans les sec­teurs qui lui échap­paient encore en par­tie. Sécu­ri­té des ali­ments, normes de toxi­ci­té, assu­rance-mala­die, prix des médi­ca­ments, liber­té du Net, pro­tec­tion de la vie pri­vée, éner­gie, culture, droits d’auteur, res­sources natu­relles, for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, équi­pe­ments publics, immi­gra­tion : pas un domaine d’intérêt géné­ral qui ne passe sous les fourches cau­dines du libre-échange ins­ti­tu­tion­na­li­sé. L’action poli­tique des élus se limi­te­ra à négo­cier auprès des entre­prises ou de leurs man­da­taires locaux les miettes de sou­ve­rai­ne­té qu’ils vou­dront bien leur consentir.

Il est d’ores et déjà sti­pu­lé que les pays signa­taires assu­re­ront la « mise en confor­mi­té de leurs lois, de leurs règle­ments et de leurs pro­cé­dures » avec les dis­po­si­tions du trai­té. Nul doute qu’ils veille­ront scru­pu­leu­se­ment à hono­rer cet enga­ge­ment. Dans le cas contraire, ils pour­raient faire l’objet de pour­suites devant l’un des tri­bu­naux spé­cia­le­ment créés pour arbi­trer les litiges entre les inves­tis­seurs et les États, et dotés du pou­voir de pro­non­cer des sanc­tions com­mer­ciales contre ces derniers.

L’idée peut paraître invrai­sem­blable ; elle s’inscrit pour­tant dans la phi­lo­so­phie des trai­tés com­mer­ciaux déjà en vigueur. L’année der­nière, l’Organisation mon­diale du com­merce (OMC) a ain­si condam­né les États-Unis pour leurs boîtes de thon label­li­sées « sans dan­ger pour les dau­phins », pour l’indication du pays d’origine sur les viandes impor­tées, ou encore pour l’interdiction du tabac par­fu­mé au bon­bon, ces mesures pro­tec­trices étant consi­dé­rées comme des entraves au libre-échange. Elle a aus­si infli­gé à l’Union euro­péenne des péna­li­tés de plu­sieurs cen­taines de mil­lions d’euros pour son refus d’importer des orga­nismes géné­ti­que­ment modi­fiés (OGM). La nou­veau­té intro­duite par l’APT et le TTP, c’est qu’ils per­met­traient aux mul­ti­na­tio­nales de pour­suivre en leur propre nom un pays signa­taire dont la poli­tique aurait un effet res­tric­tif sur leur abat­tage commercial.

Sous un tel régime, les entre­prises seraient en mesure de contre­car­rer les poli­tiques de san­té, de pro­tec­tion de l’environnement ou de régu­la­tion de la finance mises en place dans tel ou tel pays en lui récla­mant des dom­mages et inté­rêts devant des tri­bu­naux extra­ju­di­ciaires. Com­po­sées de trois avo­cats d’affaires, ces cours spé­ciales répon­dant aux lois de la Banque mon­diale et de l’Organisation des Nations unies (ONU) seraient habi­li­tées à condam­ner le contri­buable à de lourdes répa­ra­tions dès lors que sa légis­la­tion rogne­rait sur les « futurs pro­fits espé­rés » d’une société.

Ce sys­tème « inves­tis­seur contre État », qui sem­blait rayé de la carte après l’abandon de l’AMI en 1998, a été res­tau­ré en cati­mi­ni au fil des années. En ver­tu de plu­sieurs accords com­mer­ciaux signés par Washing­ton, 400 mil­lions de dol­lars sont pas­sés de la poche du contri­buable à celle des mul­ti­na­tio­nales pour cause d’interdiction de pro­duits toxiques, d’encadrement de l’exploitation de l’eau, du sol ou du bois, etc. (4). Sous l’égide de ces mêmes trai­tés, les pro­cé­dures actuel­le­ment en cours — dans des affaires d’intérêt géné­ral comme les bre­vets médi­caux, la lutte anti­pol­lu­tion ou les lois sur le cli­mat et les éner­gies fos­siles — font grim­per les demandes de dom­mages et inté­rêts à 14 mil­liards de dollars.

L’APT alour­di­rait encore la fac­ture de cette extor­sion léga­li­sée, compte tenu de l’importance des inté­rêts en jeu dans le com­merce trans­at­lan­tique. Trois mille trois cents entre­prises euro­péennes sont pré­sentes sur le sol amé­ri­cain par le biais de vingt-quatre mille filiales, dont cha­cune peut s’estimer fon­dée un jour ou l’autre à deman­der répa­ra­tion pour un pré­ju­dice com­mer­cial. Un tel effet d’aubaine dépas­se­rait de très loin les coûts occa­sion­nés par les trai­tés pré­cé­dents. De leur côté, les pays membres de l’Union euro­péenne se ver­raient expo­sés à un risque finan­cier plus grand encore, sachant que qua­torze mille quatre cents com­pa­gnies amé­ri­caines dis­posent en Europe d’un réseau de cin­quante mille huit cents filiales. Au total, ce sont soixante-quinze mille socié­tés qui pour­raient se jeter dans la chasse aux tré­sors publics.

Offi­ciel­le­ment, ce régime devait ser­vir au départ à conso­li­der la posi­tion des inves­tis­seurs dans les pays en déve­lop­pe­ment dépour­vus de sys­tème juri­dique fiable ; il leur per­met­tait de faire valoir leurs droits en cas d’expropriation. Mais l’Union euro­péenne et les États-Unis ne passent pas pré­ci­sé­ment pour des zones de non-droit ; ils dis­posent au contraire d’une jus­tice fonc­tion­nelle et plei­ne­ment res­pec­tueuse du droit à la pro­prié­té. En les pla­çant mal­gré tout sous la tutelle de tri­bu­naux spé­ciaux, l’APT démontre que son objec­tif n’est pas de pro­té­ger les inves­tis­seurs, mais bien d’accroître le pou­voir des multinationales.

Procès pour hausse du salaire minimum

Il va sans dire que les avo­cats qui com­posent ces tri­bu­naux n’ont de comptes à rendre à aucun élec­to­rat. Inver­sant allè­gre­ment les rôles, ils peuvent aus­si bien ser­vir de juges que plai­der la cause de leurs puis­sants clients (5). C’est un tout petit monde que celui des juristes de l’investissement inter­na­tio­nal : ils ne sont que quinze à se par­ta­ger 55 % des affaires trai­tées à ce jour. Évi­dem­ment, leurs déci­sions sont sans appel.

Les « droits » qu’ils ont pour mis­sion de pro­té­ger sont for­mu­lés de manière déli­bé­ré­ment approxi­ma­tive, et leur inter­pré­ta­tion sert rare­ment les inté­rêts du plus grand nombre. Ain­si de celui accor­dé à l’investisseur de béné­fi­cier d’un cadre régle­men­taire conforme à ses « pré­vi­sions » — par quoi il convient d’entendre que le gou­ver­ne­ment s’interdira de modi­fier sa poli­tique une fois que l’investissement a eu lieu. Quant au droit d’obtenir une com­pen­sa­tion en cas d’« expro­pria­tion indi­recte », il signi­fie que les pou­voirs publics devront mettre la main à la poche si leur légis­la­tion a pour effet de dimi­nuer la valeur d’un inves­tis­se­ment, y com­pris lorsque cette même légis­la­tion s’applique aus­si aux entre­prises locales. Les tri­bu­naux recon­naissent éga­le­ment le droit du capi­tal à acqué­rir tou­jours plus de terres, de res­sources natu­relles, d’équipements, d’usines, etc. Nulle contre­par­tie de la part des mul­ti­na­tio­nales : elles n’ont aucune obli­ga­tion à l’égard des Etats et peuvent enga­ger des pour­suites où et quand cela leur chante.

Cer­tains inves­tis­seurs ont une concep­tion très exten­sive de leurs droits inalié­nables. On a pu voir récem­ment des socié­tés euro­péennes enga­ger des pour­suites contre l’augmentation du salaire mini­mum en Egypte ou contre la limi­ta­tion des émis­sions toxiques au Pérou, l’Alena ser­vant dans ce der­nier cas à pro­té­ger le droit de pol­luer du groupe amé­ri­cain Ren­co (6). Autre exemple : le géant de la ciga­rette Phi­lip Mor­ris, incom­mo­dé par les légis­la­tions anti­ta­bac de l’Uruguay et de l’Australie, a assi­gné ces deux pays devant un tri­bu­nal spé­cial. Le groupe phar­ma­ceu­tique amé­ri­cain Eli Lil­ly entend se faire jus­tice face au Cana­da, cou­pable d’avoir mis en place un sys­tème de bre­vets qui rend cer­tains médi­ca­ments plus abor­dables. Le four­nis­seur d’électricité sué­dois Vat­ten­fall réclame plu­sieurs mil­liards d’euros à l’Allemagne pour son « tour­nant éner­gé­tique », qui encadre plus sévè­re­ment les cen­trales à char­bon et pro­met une sor­tie du nucléaire.

Il n’y a pas de limite aux péna­li­tés qu’un tri­bu­nal peut infli­ger à un État au béné­fice d’une mul­ti­na­tio­nale. Il y a un an, l’Équateur s’est vu condam­né à ver­ser la somme record de 2 mil­liards d’euros à une com­pa­gnie pétro­lière (7). Même lorsque les gou­ver­ne­ments gagnent leur pro­cès, ils doivent s’acquitter de frais de jus­tice et de com­mis­sions diverses qui atteignent en moyenne 8 mil­lions de dol­lars par dos­sier, gas­pillés au détri­ment du citoyen. Moyen­nant quoi les pou­voirs publics pré­fèrent sou­vent négo­cier avec le plai­gnant que plai­der leur cause au tri­bu­nal. L’État cana­dien s’est ain­si épar­gné une convo­ca­tion à la barre en abro­geant hâti­ve­ment l’interdiction d’un addi­tif toxique uti­li­sé par l’industrie pétrolière.

Pour autant, les récla­ma­tions n’en finissent pas de croître. D’après la Confé­rence des Nations unies sur le com­merce et le déve­lop­pe­ment (Cnu­ced), le nombre d’affaires sou­mises aux tri­bu­naux spé­ciaux a été mul­ti­plié par dix depuis 2000. Alors que le sys­tème d’arbitrage com­mer­cial a été conçu dès les années 1950, il n’a jamais autant ren­du ser­vice aux inté­rêts pri­vés qu’en 2012, année excep­tion­nelle en termes de dépôts de dos­siers. Ce boom a créé une flo­ris­sante pépi­nière de consul­tants finan­ciers et d’avocats d’affaires.

Le pro­jet de grand mar­ché amé­ri­ca­no-euro­péen est por­té depuis de longues années par le Dia­logue éco­no­mique trans­at­lan­tique (Trans-Atlan­tic Busi­ness Dia­logue, TABD), un lob­by mieux connu aujourd’hui sous l’appellation de Trans-Atlan­tic Busi­ness Coun­cil (TABC). Créé en 1995 sous le patro­nage de la Com­mis­sion euro­péenne et du minis­tère du com­merce amé­ri­cain, ce ras­sem­ble­ment de riches entre­pre­neurs milite pour un « dia­logue » hau­te­ment construc­tif entre les élites éco­no­miques des deux conti­nents, l’administration de Washing­ton et les com­mis­saires de Bruxelles. Le TABC est un forum per­ma­nent qui per­met aux mul­ti­na­tio­nales de coor­don­ner leurs attaques contre les poli­tiques d’intérêt géné­ral qui tiennent encore debout des deux côtés de l’Atlantique.

Son objec­tif, publi­que­ment affi­ché, est d’éliminer ce qu’il appelle les « dis­cordes com­mer­ciales » (trade irri­tants), c’est-à-dire d’opérer sur les deux conti­nents selon les mêmes règles et sans inter­fé­rence avec les pou­voirs publics. « Conver­gence régu­la­toire » et « recon­nais­sance mutuelle » font par­tie des pan­neaux séman­tiques qu’il bran­dit pour inci­ter les gou­ver­ne­ments à auto­ri­ser les pro­duits et ser­vices contre­ve­nant aux légis­la­tions locales.

Injuste rejet du porc à la ractopamine

Mais au lieu de prô­ner un simple assou­plis­se­ment des lois exis­tantes, les acti­vistes du mar­ché trans­at­lan­tique se pro­posent car­ré­ment de les réécrire eux-mêmes. La Chambre amé­ri­caine de com­merce et Busi­nes­sEu­rope, deux des plus grosses orga­ni­sa­tions patro­nales de la pla­nète, ont ain­si appe­lé les négo­cia­teurs de l’APT à réunir autour d’une table de tra­vail un échan­tillon de gros action­naires et de res­pon­sables poli­tiques afin qu’ils « rédigent ensemble les textes de régu­la­tion » qui auront ensuite force de loi aux États-Unis et dans l’Union euro­péenne. C’est à se deman­der, d’ailleurs, si la pré­sence des poli­tiques à l’atelier d’écriture com­mer­cial est vrai­ment indispensable…

De fait, les mul­ti­na­tio­nales se montrent d’une remar­quable fran­chise dans l’exposé de leurs inten­tions. Par exemple sur la ques­tion des OGM. Alors qu’aux États-Unis un État sur deux envi­sage de rendre obli­ga­toire un label indi­quant la pré­sence d‘organismes géné­ti­que­ment modi­fiés dans un ali­ment — une mesure sou­hai­tée par 80 % des consom­ma­teurs du pays —, les indus­triels de l’agroalimentaire, là comme en Europe, poussent à l’interdiction de ce type d’étiquetage. L’Association natio­nale des confi­seurs n’y est pas allée par quatre che­mins : « L’industrie amé­ri­caine vou­drait que l’APT avance sur cette ques­tion en sup­pri­mant la label­li­sa­tion OGM et les normes de tra­ça­bi­li­té. » La très influente Asso­cia­tion de l’industrie bio­tech­no­lo­gique (Bio­tech­no­lo­gy Indus­try Orga­ni­za­tion, BIO), dont fait par­tie le géant Mon­san­to, s’indigne pour sa part que des pro­duits conte­nant des OGM et ven­dus aux États-Unis puissent essuyer un refus sur le mar­ché euro­péen. Elle sou­haite par consé­quent que le « gouffre qui se creuse entre la déré­gu­la­tion des nou­veaux pro­duits bio­tech­no­lo­giques aux États-Unis et leur accueil en Europe » soit pres­te­ment com­blé (8). Mon­san­to et ses amis ne cachent pas leur espoir que la zone de libre-échange trans­at­lan­tique per­mette d’imposer enfin aux Euro­péens leur « cata­logue foi­son­nant de pro­duits OGM en attente d’approbation et d’utilisation (9) ».

L’offensive n’est pas moins vigou­reuse sur le front de la vie pri­vée. La Coa­li­tion du com­merce numé­rique (Digi­tal Trade Coa­li­tion, DTC), qui regroupe des indus­triels du Net et des hautes tech­no­lo­gies, presse les négo­cia­teurs de l’APT de lever les bar­rières empê­chant les flux de don­nées per­son­nelles de s’épancher libre­ment de l’Europe vers les États-Unis (lire La traque métho­dique de l’internaute révo­lu­tionne la publi­ci­té). « Le point de vue actuel de l’Union selon lequel les États-Unis ne four­nissent pas une pro­tec­tion de la vie pri­vée “adé­quate” n’est pas rai­son­nable », s’impatientent les lob­byistes. A la lumière des révé­la­tions de M. Edward Snow­den sur le sys­tème d’espionnage de l’Agence natio­nale de sécu­ri­té (Natio­nal Secu­ri­ty Agen­cy, NSA), cet avis tran­ché ne manque pas de sel. Tou­te­fois, il n’égale pas la décla­ra­tion de l’US Coun­cil for Inter­na­tio­nal Busi­ness (USCIB), un grou­pe­ment de socié­tés qui, à l’instar de Veri­zon, ont mas­si­ve­ment appro­vi­sion­né la NSA en don­nées per­son­nelles : « L’accord devrait cher­cher à cir­cons­crire les excep­tions, comme la sécu­ri­té et la vie pri­vée, afin de s’assurer qu’elles ne servent pas d’entraves au com­merce dégui­sées. »

Les normes de qua­li­té dans l’alimentation sont elles aus­si prises pour cible. L’industrie amé­ri­caine de la viande entend obte­nir la sup­pres­sion de la règle euro­péenne qui inter­dit les pou­lets dés­in­fec­tés au chlore. À l’avant-garde de ce com­bat, le groupe Yum !, pro­prié­taire de la chaîne de res­tau­ra­tion rapide Ken­tu­cky Fried Chi­cken (KFC), peut comp­ter sur la force de frappe des orga­ni­sa­tions patro­nales. « L’Union auto­rise seule­ment l’usage de l’eau et de la vapeur sur les car­casses », pro­teste l’Association nord-amé­ri­caine de la viande, tan­dis qu’un autre groupe de pres­sion, l’Institut amé­ri­cain de la viande, déplore le « rejet injus­ti­fié [par Bruxelles] des viandes addi­tion­nées de bêta-ago­nistes, comme le chlor­hy­drate de rac­to­pa­mine ».

La rac­to­pa­mine est un médi­ca­ment uti­li­sé pour gon­fler la teneur en viande maigre chez les porcs et les bovins. Du fait de ses risques pour la san­té des bêtes et des consom­ma­teurs, elle est ban­nie dans cent soixante pays, par­mi les­quels les États membres de l’Union, la Rus­sie et la Chine. Pour la filière por­cine amé­ri­caine, cette mesure de pro­tec­tion consti­tue une dis­tor­sion de la libre concur­rence à laquelle l’APT doit mettre fin d’urgence.

« Les pro­duc­teurs de porc amé­ri­cains n’accepteront pas d’autre résul­tat que la levée de l’interdiction euro­péenne de la rac­to­pa­mine », menace le Conseil natio­nal des pro­duc­teurs de porc (Natio­nal Pork Pro­du­cers Coun­cil, NPPC). Pen­dant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, les indus­triels regrou­pés au sein de Busi­nes­sEu­rope dénoncent les « bar­rières qui affectent les expor­ta­tions euro­péennes vers les États-Unis, comme la loi amé­ri­caine sur la sécu­ri­té ali­men­taire ». Depuis 2011, celle-ci auto­rise en effet les ser­vices de contrôle à reti­rer du mar­ché les pro­duits d’importation conta­mi­nés. Là encore, les négo­cia­teurs de l’APT sont priés de faire table rase.

Il en va de même avec les gaz à effet de serre. L’organisation Air­lines for Ame­ri­ca (A4A), bras armé des trans­por­teurs aériens amé­ri­cains, a éta­bli une liste des « règle­ments inutiles qui portent un pré­ju­dice consi­dé­rable à [leur] indus­trie » et que l’APT, bien sûr, a voca­tion à rayer de la carte. Au pre­mier rang de cette liste figure le sys­tème euro­péen d’échange de quo­tas d’émissions, qui oblige les com­pa­gnies aériennes à payer pour leur pol­lu­tion au car­bone. Bruxelles a pro­vi­soi­re­ment sus­pen­du ce pro­gramme ; A4A exige sa sup­pres­sion défi­ni­tive au nom du « pro­grès ».

Mais c’est dans le sec­teur de la finance que la croi­sade des mar­chés est la plus viru­lente. Cinq ans après l’irruption de la crise des sub­prime, les négo­cia­teurs amé­ri­cains et euro­péens sont conve­nus que les vel­léi­tés de régu­la­tion de l’industrie finan­cière avaient fait leur temps. Le cadre qu’ils veulent mettre en place pré­voit de lever tous les garde-fous en matière de pla­ce­ments à risques et d’empêcher les gou­ver­ne­ments de contrô­ler le volume, la nature ou l’origine des pro­duits finan­ciers mis sur le mar­ché. En somme, il s’agit pure­ment et sim­ple­ment de rayer le mot « régu­la­tion » de la carte.

D’où vient cet extra­va­gant retour aux vieilles lunes that­ché­riennes ? Il répond notam­ment aux vœux de l’Association des banques alle­mandes, qui ne manque pas d’exprimer ses « inquié­tudes » à pro­pos de la pour­tant timide réforme de Wall Street adop­tée au len­de­main de la crise de 2008. L’un de ses membres les plus entre­pre­nants sur ce dos­sier est la Deutsche Bank, qui a pour­tant reçu en 2009 des cen­taines de mil­liards de dol­lars de la Réserve fédé­rale amé­ri­caine en échange de titres ados­sés à des créances hypo­thé­caires (10). Le mas­to­donte alle­mand veut en finir avec la régle­men­ta­tion Vol­cker, clé de voûte de la réforme de Wall Street, qui pèse selon lui d’un « poids trop lourd sur les banques non amé­ri­caines ». Insu­rance Europe, le fer de lance des socié­tés d’assurances euro­péennes, sou­haite pour sa part que l’APT « sup­prime » les garan­ties col­la­té­rales qui dis­suadent le sec­teur de s’aventurer dans des pla­ce­ments à hauts risques.

Quant au Forum des ser­vices euro­péens, orga­ni­sa­tion patro­nale dont fait par­tie la Deutsche Bank, il s’agite dans les cou­lisses des pour­par­lers trans­at­lan­tiques pour que les auto­ri­tés de contrôle amé­ri­caines cessent de mettre leur nez dans les affaires des grandes banques étran­gères opé­rant sur leur ter­ri­toire. Côté amé­ri­cain, on espère sur­tout que l’APT enter­re­ra pour de bon le pro­jet euro­péen de taxe sur les tran­sac­tions finan­cières. L’affaire paraît d’ores et déjà enten­due, la Com­mis­sion euro­péenne ayant elle-même jugé cette taxe non conforme aux règles de l’OMC (11). Dans la mesure où la zone de libre-échange trans­at­lan­tique pro­met un libé­ra­lisme plus débri­dé encore que celui de l’OMC, et alors que le Fonds moné­taire inter­na­tio­nal (FMI) s’oppose sys­té­ma­ti­que­ment à toute forme de contrôle sur les mou­ve­ments de capi­taux, la ché­tive « taxe Tobin » n’inquiète plus grand monde aux États-Unis.

Mais les sirènes de la déré­gu­la­tion ne se font pas entendre dans la seule indus­trie finan­cière. L’APT entend ouvrir à la concur­rence tous les sec­teurs « invi­sibles » ou d’intérêt géné­ral. Les États signa­taires se ver­raient contraints non seule­ment de sou­mettre leurs ser­vices publics à la logique mar­chande, mais aus­si de renon­cer à toute inter­ven­tion sur les four­nis­seurs de ser­vices étran­gers qui convoitent leurs mar­chés. Les marges de manœuvre poli­tiques en matière de san­té, d’énergie, d’éducation, d’eau ou de trans­port se rédui­raient comme peau de cha­grin. La fièvre com­mer­ciale n’épargne pas non plus l’immigration, puisque les ins­ti­ga­teurs de l’APT s’arrogent la com­pé­tence d’établir une poli­tique com­mune aux fron­tières — sans doute pour faci­li­ter l’entrée de ceux qui ont un bien ou un ser­vice à vendre au détri­ment des autres.

Depuis quelques mois, le rythme des négo­cia­tions s’intensifie. À Washing­ton, on a de bonnes rai­sons de croire que les diri­geants euro­péens sont prêts à n’importe quoi pour ravi­ver une crois­sance éco­no­mique mori­bonde, fût-ce au prix d’un renie­ment de leur pacte social. L’argument des pro­mo­teurs de l’APT, selon lequel le libre-échange déré­gu­lé faci­li­te­rait les échanges com­mer­ciaux et serait donc créa­teur d’emplois, pèse appa­rem­ment plus lourd que la crainte d’un séisme social. Les bar­rières doua­nières qui sub­sistent encore entre l’Europe et les États-Unis sont pour­tant « déjà assez basses », comme le recon­naît le repré­sen­tant amé­ri­cain au com­merce (12). Les arti­sans de l’APT admettent eux-mêmes que leur objec­tif pre­mier n’est pas d’alléger les contraintes doua­nières, de toute façon insi­gni­fiantes, mais d’imposer « l’élimination, la réduc­tion ou la pré­ven­tion de poli­tiques natio­nales super­flues (13) », étant consi­dé­ré comme « super­flu » tout ce qui ralen­tit l’écoulement des mar­chan­dises, comme la régu­la­tion de la finance, la lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique ou l’exercice de la démocratie.

Il est vrai que les rares études consa­crées aux consé­quences de l’APT ne s’attardent guère sur ses retom­bées sociales et éco­no­miques. Un rap­port fré­quem­ment cité, issu du Centre euro­péen d’économie poli­tique inter­na­tio­nale (Euro­pean Centre for Inter­na­tio­nal Poli­ti­cal Eco­no­my, Ecipe), affirme avec l’autorité d’un Nostra­da­mus d’école de com­merce que l’APT déli­vre­ra à la popu­la­tion du mar­ché trans­at­lan­tique un sur­croît de richesse de 3 cen­times par tête et par jour… à par­tir de 2029 (14).

En dépit de son opti­misme, la même étude éva­lue à 0,06 % seule­ment la hausse du pro­duit inté­rieur but (PIB) en Europe et aux États-Unis à la suite de l’entrée en vigueur de l’APT. Encore un tel « impact » est-il lar­ge­ment irréa­liste, dans la mesure où ses auteurs pos­tulent que le libre-échange « dyna­mise » la crois­sance éco­no­mique ; une théo­rie régu­liè­re­ment réfu­tée par les faits. Une élé­va­tion aus­si infi­ni­té­si­male serait d’ailleurs imper­cep­tible. Par com­pa­rai­son, la cin­quième ver­sion de l’iPhone d’Apple a entraî­né aux États-Unis une hausse du PIB huit fois plus importante.

Presque toutes les études sur l’APT ont été finan­cées par des ins­ti­tu­tions favo­rables au libre-échange ou par des orga­ni­sa­tions patro­nales, rai­son pour laquelle les coûts sociaux du trai­té n’y appa­raissent pas, pas plus que ses vic­times directes, qui pour­raient pour­tant se comp­ter en cen­taines de mil­lions. Mais les jeux ne sont pas encore faits. Comme l’ont mon­tré les mésa­ven­tures de l’AMI, de la ZLEA et cer­tains cycles de négo­cia­tions à l’OMC, l’utilisation du « com­merce » comme che­val de Troie pour déman­te­ler les pro­tec­tions sociales et ins­tau­rer la junte des char­gés d’affaires a échoué à plu­sieurs reprises par le pas­sé. Rien ne dit qu’il n’en sera pas de même cette fois encore.

Lori M. Wallach

Direc­trice de Public Citizen’s Glo­bal Trade Watch, Washing­ton, DC, www​.citi​zen​.org
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(1) Lire « Le nou­veau mani­feste du capi­ta­lisme mon­dial », Le Monde diplo­ma­tique, février 1998.

(2) « Some secre­cy nee­ded in trade talks : Ron Kirk », Reu­ters, 13 mai 2012.

(3) Zach Car­ter, « Eli­za­beth War­ren oppo­sing Oba­ma trade nomi­nee Michael Fro­man », Huf­fing­ton Post, 19 juin 2013.

(5) Andrew Mar­tin, « Trea­ty dis­putes roi­led by bias charges », Bloom­berg, 10 juillet 2013.

(6) « Ren­co uses US-Peru FTA to evade jus­tice for La Oroya pol­lu­tion » (PDF), Public Citi­zen, 28 novembre 2012.

(7) « Ecua­dor to fight oil dis­pute fine », Agence France-Presse, 13 octobre 2012.

(8) Com­men­taires sur l’accord de par­te­na­riat trans­at­lan­tique, docu­ment du BIO, Washing­ton, DC, mai 2013.

(9) « EU-US high level wor­king group on jobs and growth. Res­ponse to consul­ta­tion by Euro­pa­Bio and BIO » (PDF), http://​ec​.euro​pa​.eu

(10) Sha­hien Nasi­ri­pour, « Fed opens books, revea­ling Euro­pean mega­banks were big­gest bene­fi­cia­ries », Huf­fing­ton Post, 10 jan­vier 2012.

(11) « Europe admits spe­cu­la­tion taxes a WTO pro­blem », Public Citi­zen, 30 avril 2010.

(12) Cour­rier de M. Deme­trios Maran­tis, repré­sen­tant amé­ri­cain au com­merce, à M. John Boeh­ner, porte-parole répu­bli­cain à la Chambre des repré­sen­tants, Washing­ton, DC, 20 mars 2013, http://​ec​.euro​pa​.eu

(13) « Final report. High level wor­king group on jobs and growth » (PDF), 11 février 2013, http://​ec​.euro​pa​.eu

(14) « TAFTA’s trade bene­fit : A can­dy bar », Public Citi­zen, 11 juillet 2013.

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1 Commentaire

  1. Magali

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