Alain Supiot : DU GOUVERNEMENT PAR LES LOIS À LA GOUVERNANCE PAR LES NOMBRES #4 L’essence de la loi dans la tradition juridique occidentale et #5 Ritualisme et légalisme

5/04/2020 | 2 commentaires

Les qua­trième et cin­quième leçons d’A­lain Supiot sur la gou­ver­nance par les nombres s’intitulent
#4 « L’es­sence de la loi dans la tra­di­tion juri­dique occidentale »
#5 « Ritua­lisme et léga­lisme »
.

Ce retour fon­da­men­tal à l’i­dée de LOI (pour ser­vir au mieux l’in­té­rêt géné­ral) est utile pour com­prendre la catas­trophe néo­li­bé­rale de « la gou­ver­nance par les nombres ». Ces 5 pre­mières leçons sont comme une « fon­da­tion » qui va don­ner leur assise, et donc leur soli­di­té, aux leçons sui­vantes (à par­tir de la 6) que je trouve enthou­sias­mantes de per­ti­nence et d’im­por­tance ; vous ver­rez, on y arrive presque 🙂

Voi­ci les deux pré­sen­ta­tions de Mer­ryl Mone­ghet­ti :

#4 « L’es­sence de la loi dans la tra­di­tion juri­dique occidentale »

Pour­quoi « Le Dic­ta­tus Papae » de Gré­goire VII repré­sente-t-il un moment fon­da­teur en 1075, un tour­nant dans l’his­toire de l’E­tat moderne ? Le juriste Alain Supiot ana­lyse com­ment l’autonomisation de la sphère juri­dique s’est trans­mise aux pre­miers états sécu­liers, nés de la révo­lu­tion grégorienne.

Image de Grégoire VII provenant de la Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs à Rome /Spirit of Justice by Ford Madox Brown (1845) / Dictatus papæ, archives du VaticanImage de Gré­goire VII pro­ve­nant de la Basi­lique Saint-Paul-hors-les-Murs à Rome /Spirit of Jus­tice by Ford Madox Brown (1845) / Dic­ta­tus papæ, archives du Vati­can • Cré­dits : Wikicommons

Com­ment la culture juri­dique de Com­mon Law est-elle celle qui a le plus de traits com­muns avec la Rome antique ?

Nous pour­sui­vons aujourd’hui l’examen de « L’es­sence de la loi dans la tra­di­tion juri­dique occi­den­tale » dans le cadre du cours quAlain Supiot, Pro­fes­seur au Col­lège de France, titu­laire de la chaire « État social et mon­dia­li­sa­tion : ana­lyse juri­dique des soli­da­ri­tés » consacre au pas­sage du « Gou­ver­ne­ment des lois à la gou­ver­nance par les nombres. »

Dans sa pré­sen­ta­tion pour le Col­lège de France, Alain Supiot rap­pelle pour­quoi il faut situer la notion de gou­ver­ne­ment, mais aus­si l’É­tat, l’histoire du droit, ce qu’il appelle « le gou­ver­ne­ment par les lois » dans la longue durée. Il s’at­tache notam­ment à la matrice juri­dique romaine de notre culture et à la divi­sion des empires romains d’orient et d’occident. Il sou­ligne com­bien on mécon­naît l’importance déci­sive de cette divi­sion dans l’histoire juri­dique. Nous allons décou­vrir com­ment la révo­lu­tion gré­go­rienne a fait naître une nou­velle concep­tion de l’ordre juri­dique mar­quée par la dis­tinc­tion du pou­voir tem­po­rel et de l’au­to­ri­té spi­ri­tuelle. Droit et théo­lo­gie sont sépa­rés et cela a ouvert, et cela peut-être non sans para­doxe, la voie à la recon­nais­sance cor­ré­la­tive d’un pou­voir tem­po­rel et à la nais­sance de l’Etat moderne.

« Dès lors, le droit s’est affir­mé comme une tech­nique pla­cée entre les mains d’experts qui n’ont pas besoin de s’interroger sur la rai­son des lois », nous explique Alain Supiot.

Pour­sui­vant son his­toire de l’évolution des ins­ti­tu­tions, Alain Supiot voit dans le droit dit « conti­nen­tal » et la Com­mon Law « deux rameaux de la culture juri­dique occi­den­tale », ain­si défi­nie, mal­gré les spé­ci­fi­ci­tés de cha­cun qui ont pu être accentuées.

« Bien que rivaux, Droit conti­nen­tal et Com­mon Law sont tous deux confron­tés depuis l’entreprise colo­niale à des mon­tages ins­ti­tu­tion­nels dif­fé­rents avec les­quels ils ont été et demeurent plus que jamais obli­gés de com­po­ser dans le contexte de la mondialisation. »

Il s’a­git enfin d’in­ter­ro­ger la notion de l’État de droit qui va naître de l’articulation de la loi et du droit à par­tir du XIXe siècle.

Nous gagnons l’amphithéâtre du Col­lège de France, pour le cours d’Alain Supiot, « L’es­sence de la loi dans la tra­di­tion juri­dique occi­den­tale », le 12 jan­vier 2013.


#5 « Ritua­lisme et légalisme »

Pour­quoi l’hétérogénéité de la loi en Afrique ? Qu’est-ce que l’Ecole des lois en Chine ? Sou­mis­sion aux lois ou obéis­sance à un rituel pour garan­tir l’ordre social ? Le juriste Alain Supiot revient sur le ritua­lisme & ques­tionne ces formes d’organisation des rap­ports sociaux par­mi les plus anciennes.

Le caractère chinois fă 法, "loi" / Peinture de Bernard d'Agesci (1757-1828), La justice, musée de Niort.Le carac­tère chi­nois fă 法, « loi » / Pein­ture de Ber­nard d’A­ges­ci (1757−1828), La jus­tice, musée de Niort. • Cré­dits : Wikicommons

Alain Supiot, Pro­fes­seur au Col­lège de France, titu­laire de la chaire « État social et mon­dia­li­sa­tion », met en valeur l’approche trans­na­tio­nale et trans-dis­ci­pli­naires des ques­tions posées par la mon­dia­li­sa­tion et la révo­lu­tion numé­rique, qui bou­le­versent toutes deux nos socié­tés et nos ins­ti­tu­tions. Aus­si, nous pro­pose-t-il dans le cadre de sa série consa­crée au pas­sage du « gou­ver­ne­ment par les lois à la gou­ver­nance par les nombres », de se pen­cher sur l’École des lois dans la culture juri­dique chinoise.

« Pen­ser un ordre en termes de loi n’a en effet rien d’universel », explique-t-il. Dans de nom­breuses socié­tés, c’est l’observance de rituels qui assure le bon ordre et non l’obéissance à des lois.

Le juriste ouvre sur l’exemple des « dif­fi­cul­tés de tra­duc­tions ren­con­trées dans de nom­breuses langues afri­caines pour incor­po­rer cette notion de loi, arri­vée avec la colonisation ».

Si le cas chi­nois est par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sant, sou­ligne-t-il encore, c’est parce que « les ins­ti­tu­tions impé­riales sont nées d’un conflit, puis d’une com­bi­nai­son du ritua­lisme et du léga­lisme ».

« Cette sym­biose est à l’œuvre dans de nom­breux trai­tés clas­siques chi­nois sur l’art du gou­ver­ner, qui se sont effor­cés de tem­pé­rer par le ritua­lisme la dimen­sion pro­pre­ment tota­li­taire du légisme. Et aujourd’hui encore, le légisme conti­nue de per­cer sous le ver­nis confu­cia­niste qui enduit l’économie socia­liste de mar­ché de la Répu­blique popu­laire de Chine ».

La pra­tique de l’a­na­lyse juri­dique d’A­lain Supiot, son approche qui mêle longue durée, com­pa­ra­tisme et inter­dis­ci­pli­na­ri­té, invitent à ouvrir le regard. Son cours a été publié chez Fayard, sous le titre La Gou­ver­nance par les nombres. En ouver­ture du cha­pitre, qui pré­sente les « Autres points de vue sur les lois », il remarque :

« chaque civi­li­sa­tion prête spon­ta­né­ment à ses caté­go­ries de pen­sée une uni­ver­sa­li­té qu’elles n’ont pas. Les Occi­den­taux y sont d’autant plus enclins que, grâce à leurs tech­no-sciences, ils ont domi­né depuis trois siècles le reste du monde. Cette période est en train de se clore, il leur faut désor­mais comp­ter avec d’autres manières de conce­voir l’organisation des socié­tés humaines. » (p.81)

Et nous gagnons l’amphithéâtre du Col­lège de France, pour le cours d’Alain Supiot , le 28 février 2013 : « Autres points de vue sur la loi, ritua­lisme et légalisme »

Source : France culture,
https://www.franceculture.fr/emissions/les-cours-du-college-de-france/du-gouvernement-par-les-lois-la-gouvernance-par-les‑3
et
https://www.franceculture.fr/emissions/les-cours-du-college-de-france/du-gouvernement-par-les-lois-la-gouvernance-par-les‑4

Fil Face­book cor­res­pon­dant à ce billet :

Pour m'aider et m'encourager à continuer, il est désormais possible de faire un don.
Un grand merci aux donatrices et donateurs : par ce geste, vous permettez à de beaux projets de voir le jour, pour notre cause commune.
Étienne

Catégorie(s) de l'article :

2 Commentaires

  1. joss

    Extrait de « La France contre les robots »
    Essai de Georges Ber­na­nos (1947)
    « Un monde domi­né par la Force est un monde abo­mi­nable, mais le monde domi­né par le Nombre est ignoble. La Force fait tôt ou tard sur­gir des révol­tés, elle engendre l’es­prit de Révolte, elle fait des héros et des Mar­tyrs. La tyran­nie abjecte du Nombre est une infec­tion lente qui n’a jamais pro­vo­qué de fièvre. Le Nombre crée une socié­té à son image, une socié­té d’êtres non pas égaux, mais pareils, seule­ment recon­nais­sables à leurs empreintes digitales. »

    Réponse

Laisser un commentaire

Derniers articles

Essai pour un contrôle populaire des institutions – DÉFINITION, FORCE ET ENJEUX DE LA CONSTITUTION : pourquoi nous sommes complètement fous de ne pas nous y intéresser en priorité absolue (3 vidéos intégrales et texte)

Essai pour un contrôle populaire des institutions – DÉFINITION, FORCE ET ENJEUX DE LA CONSTITUTION : pourquoi nous sommes complètement fous de ne pas nous y intéresser en priorité absolue (3 vidéos intégrales et texte)

Chers amis, Je récapitule, sur ma chaîne et dans ce billet, les vidéos que j'ai conçues et publiées pour Une Nôtre Histoire pour faire le point sur la démocratie et les institutions, en insistant évidemment sur l'importance prioritaire d'un processus constituant...