[IMPORTANT et révoltant. Naufrage de la justice anglaise. Procès truqué du journalisme] Compte-rendu du Procès Assange à Londres, 1er jour (lundi 24 fév 2020), par Craig MURRAY

25/02/2020 | 7 commentaires

JulianAssange Belmarsh 24 fevrier 2020Source : Vik­tor Dedaj, Le Grand Soir, https://​www​.legrand​soir​.info/​c​o​m​p​t​e​-​r​e​n​d​u​-​d​u​-​p​r​o​c​e​s​-​a​s​s​a​n​g​e​-​1​e​r​-​j​o​u​r​.​h​tml

Wool­wich Crown Court est conçu pour impo­ser le pou­voir de l’État. Les tri­bu­naux nor­maux de ce pays sont des bâti­ments publics, déli­bé­ré­ment pla­cés par nos ancêtres en plein centre-villes, presque tou­jours à proxi­mi­té d’une rue prin­ci­pale. Le but prin­ci­pal de leur posi­tion­ne­ment et de leur archi­tec­ture était de faci­li­ter l’accès au public, avec la convic­tion qu’il est vital que la jus­tice soit visible par le public.

Wool­wich Crown Court, qui accueille le Bel­marsh Magis­trates Court, est construit sur un prin­cipe tota­le­ment oppo­sé. Il n’a pas d’autre but que d’exclure le public. Rat­ta­ché à une pri­son située dans un marais balayé par les vents, loin de tout centre social nor­mal, une île acces­sible uni­que­ment en navi­guant dans un laby­rinthe de routes à double voie, tout l’emplacement et l’architecture du bâti­ment sont pen­sés pour décou­ra­ger l’accès au public. Il est entou­ré par la même bar­rière de palis­sage en acier extrê­me­ment résis­tant qui cein­ture la pri­son. C’est une chose extra­or­di­naire, un palais de jus­tice qui fait par­tie du sys­tème car­cé­ral lui-même, un lieu où l’on est déjà consi­dé­ré comme cou­pable et incar­cé­ré dès son arri­vée. Le Wool­wich Crown Court n’est rien d’autre que la néga­tion phy­sique de la pré­somp­tion d’innocence, l’incarnation même de l’injustice cou­lée dans du béton, de l’acier, et des vitres blin­dées. Il a pré­ci­sé­ment la même rela­tion à la jus­tice que Guan­ta­na­mo Bay ou la Lubyan­ka. Il n’est en réa­li­té que l’aile de condam­na­tions de la pri­son de Belmarsh.

Lorsqu’il s’est ren­sei­gné sur les pos­si­bi­li­tés de par­ti­ci­pa­tion du public à l’audience, un mili­tant d’Assange s’est fait dire par un membre du per­son­nel du tri­bu­nal que nous devrions nous rendre compte que Wool­wich est un « tri­bu­nal anti­ter­ro­riste ». C’est vrai de fac­to, mais en réa­li­té, un « tri­bu­nal anti­ter­ro­riste » est une ins­ti­tu­tion incon­nue de la consti­tu­tion bri­tan­nique. En effet, il suf­fit de pas­ser une seule jour­née pas­sée au tri­bu­nal de la Cou­ronne de Wool­wich pour se rendre à l’évidence que la démo­cra­tie libé­rale est désor­mais un mensonge.

Les audiences d’extradition ne se tiennent pas à la Magis­trates Court de Bel­marsh, au sein de la Wool­wich Crown Court. Elles ont tou­jours lieu à la Magis­trates Court de West­mins­ter, car la demande est répu­tée avoir été remise au gou­ver­ne­ment à West­mins­ter. A vous de tirer les conclu­sions. Cette audience se tient à la West­mins­ter Magis­trates Court. Elle est tenue par les magis­trats de West­mins­ter et le per­son­nel de la cour de West­mins­ter, mais elle se déroule à la Magis­trates Court de Bel­marsh, à l’intérieur de la Crown Court de Wool­wich. Cette étrange convo­lu­tion a pré­ci­sé­ment pour but de leur per­mettre d’utiliser la « cour anti­ter­ro­riste » pour limi­ter l’accès au public et impo­ser la peur du pou­voir de l’État.

L’une des consé­quences est que, dans la salle d’audience elle-même, Julian Assange est confi­né au fond du tri­bu­nal der­rière un écran de verre pare-balles. Il a fait remar­quer à plu­sieurs reprises au cours de la pro­cé­dure qu’il lui était ain­si très dif­fi­cile de voir et d’entendre les débats. La magis­trate, Vanes­sa Barait­ser, a choi­si d’interpréter cela, avec une mal­hon­nê­te­té étu­diée, comme un pro­blème dû au très faible bruit des mani­fes­tants à l’extérieur (160 gilets jaunes venus de France dans la nuit], par oppo­si­tion à un pro­blème cau­sé par le fait qu’Assange est enfer­mé à l’écart dans une énorme boîte de verre pare-balles.

Or, il n’y a aucune rai­son pour qu’Assange se trouve dans cette boîte, conçue pour conte­nir des ter­ro­ristes extrê­me­ment vio­lents phy­si­que­ment. Il pour­rait sié­ger, comme le ferait nor­ma­le­ment un accu­sé à une audience, au sein du tri­bu­nal à côté de ses avo­cats. Mais la lâche et vicieuse Barait­ser a refu­sé les demandes répé­tées et per­sis­tantes de la défense pour qu’Assange soit auto­ri­sé à s’asseoir avec ses avo­cats. Barait­ser n’est bien sûr qu’une marion­nette, étant super­vi­sée par la magis­trate en chef Lady Arbuth­not, une femme tel­le­ment imbri­quée dans l’establishment des ser­vices de défense et de sécu­ri­té que son impli­ca­tion dans cette affaire ne pour­rait être plus corrompue.

Peu importe à Barait­ser ou Arbuth­not s’il est vrai­ment néces­saire d’incarcérer Assange dans une cage pare-balles, ou si cela l’empêche de suivre la pro­cé­dure judi­ciaire. L’intention de Barait­ser est d’humilier Assange, et de nous ins­pi­rer de l’horreur face à l’énorme pou­voir d’écrasement de l’État. La force inexo­rable de l’aile des condam­na­tions de la cau­che­mar­desque pri­son de Bel­marsh doit être affir­mée. Si vous êtes ici, c’est que vous êtes coupable.

C’est la Lubyan­ka. Vous ne pou­vez être qu’un pri­son­nier en déten­tion pré­ven­tive. Il ne peut s’agir que d’une audience, pas d’un pro­cès. Vous pou­vez n’avoir aucun anté­cé­dent de vio­lence et ne pas être accu­sé de vio­lence. Vous pou­vez avoir trois des plus émi­nents psy­chiatres du pays qui sou­mettent des rap­ports sur vos anté­cé­dents de dépres­sion cli­nique sévère et qui aver­tissent d’un risque de sui­cide. Mais moi, Vanes­sa Barait­ser, je vais quand même vous enfer­mer dans une boîte conçue pour le plus violent des ter­ro­ristes. Pour mon­trer ce que nous pou­vons faire aux dis­si­dents. Et si vous ne pou­vez pas suivre les pro­cé­dures judi­ciaires, tant mieux.

Vous accep­te­rez peut-être mieux ce que je dis de la Cour si je vous dis que, pour une audience sui­vie dans le monde entier, ils ont déci­dé de la tenir dans une salle d’audience qui a un nombre total de seize sièges dis­po­nibles pour les membres du public. 16. Pour être sûr d’avoir l’une de ces seize places et de pou­voir être votre témoin, je me suis pré­sen­té à l’extérieur de cette grande clô­ture de fer cade­nas­sée, à faire la queue dans le froid, l’humidité et le vent dès 6 heures du matin. À 8 heures, la porte a été déver­rouillée et j’ai pu entrer dans la clô­ture pour faire une autre queue devant la salle d’audience, où, mal­gré le fait que des avis indiquent clai­re­ment que la cour est ouverte au public à 8 heures, j’ai dû faire la queue à l’extérieur du bâti­ment pen­dant encore une heure et qua­rante minutes. Ensuite, j’ai dû pas­ser par des sas blin­dés, une sécu­ri­té de type aéro­port, et faire de nou­veau la queue der­rière deux autres portes ver­rouillées, avant d’arriver enfin à mon siège au moment où le tri­bu­nal com­men­çait à 10 heures. À ce stade, nous aurions dû être com­plè­te­ment inti­mi­dés, sans par­ler du fait d’être trem­pés et de ris­quer l’hypothermie.

Il y avait une entrée sépa­rée pour les médias et une salle de presse avec retrans­mis­sion en direct des débats dans la salle d’audience, et il y avait tel­le­ment de médias que j’ai pen­sé pou­voir me détendre et ne pas m’inquiéter car les faits le plus élé­men­taire allaient être lar­ge­ment dif­fu­sés. Gros­sière erreur. J’ai sui­vi les argu­ments très atten­ti­ve­ment à chaque minute de la jour­née, et pas un seul des faits et argu­ments les plus impor­tants aujourd’hui n’a été rap­por­té dans les médias grand public. C’est une affir­ma­tion auda­cieuse, mais je crains qu’elle ne soit par­fai­te­ment vraie. J’ai donc beau­coup de tra­vail à faire pour que le monde sache ce qui s’est réel­le­ment pas­sé. Le simple fait d’être un témoin hon­nête est sou­dain extrê­me­ment impor­tant, alors que l’ensemble des médias ont aban­don­né ce rôle.

James Lewis a fait la décla­ra­tion d’ouverture pour l’accusation. Elle était com­po­sée de deux par­ties, aus­si extra­or­di­naires l’une que l’autre. La pre­mière par­tie, la plus longue, était vrai­ment remar­quable car elle ne conte­nait aucun argu­ment juri­dique et s’adressait non pas au magis­trat mais aux médias. Il n’était pas seule­ment évident que c’était à eux que ses remarques étaient des­ti­nées, il a en fait décla­ré à deux reprises au cours de sa décla­ra­tion d’ouverture qu’il s’adressait aux médias, une fois en répé­tant une phrase et en disant spé­ci­fi­que­ment qu’il la répé­tait à nou­veau parce qu’il était impor­tant que les médias comprennent.

Je suis fran­che­ment éton­né que Barait­ser ait per­mis cela. Il est tout à fait inad­mis­sible qu’un avo­cat adresse des remarques non pas à la cour mais aux médias, et il ne pour­rait y avoir de preuve plus claire qu’il s’agit d’un pro­cès poli­tique à grand spec­tacle et que Barait­ser en est com­plice. Je n’ai pas le moindre doute que la défense aurait été arrê­tée très rapi­de­ment si elle avait com­men­cé à adres­ser des remarques aux médias. Barait­ser ne pré­tend nul­le­ment être autre chose qu’une marion­nette de la Cou­ronne, et par exten­sion du gou­ver­ne­ment américain.

Les points que Lewis sou­hai­tait faire connaître aux médias étaient les sui­vants : il n’est pas vrai que les grands médias comme le Guar­dian et le New York Times sont éga­le­ment mena­cés par les accu­sa­tions por­tées contre Assange, car ce der­nier n’était pas accu­sé d’avoir publié les câbles, mais seule­ment d’avoir publié les noms des infor­ma­teurs, et d’avoir encou­ra­gé Man­ning et de l’avoir aidée à ten­ter de pira­ter les ordi­na­teurs. Seul Assange avait fait ces choses, et non les grands médias.

Lewis a ensuite lu une série d’articles des grands médias atta­quant Assange, comme preuve que les médias et Assange n’étaient pas dans le même bateau. Pen­dant toute une heure, l’accusation s’est adres­sée aux médias pour ten­ter de creu­ser un fos­sé entre les médias et Wiki­leaks et ain­si réduire leur sou­tien à Assange. Il s’agissait d’un dis­cours poli­tique, et non d’une simple sou­mis­sion juri­dique. En même temps, l’accusation avait pré­pa­ré des copies de cette par­tie de l’intervention de Lewis, qui ont été dis­tri­buées aux médias et trans­mises élec­tro­ni­que­ment pour qu’ils puissent les copier-coller.

Après un ajour­ne­ment, la magis­trate Barait­ser a inter­ro­gé l’accusation sur la véra­ci­té de cer­taines de ces affir­ma­tions. En par­ti­cu­lier, l’affirmation selon laquelle les jour­naux ne se trou­vaient pas dans la même situa­tion parce qu’Assange était accu­sé non pas de publier, mais d’avoir « aidé et encou­ra­gé » Chel­sea Man­ning à obte­nir le maté­riel, ne sem­blait pas cohé­rente avec la lec­ture que fai­sait Lewis de la loi de 1989 sur les secrets offi­ciels, selon laquelle le simple fait d’obtenir et de publier un secret gou­ver­ne­men­tal consti­tue une infrac­tion. Cela signi­fiait cer­tai­ne­ment, selon Barait­ser, que les jour­naux qui se contentent de publier les fuites de Man­ning seraient aus­si cou­pables d’un délit.

Lewis a paru com­plè­te­ment pris au dépour­vu. La der­nière chose à laquelle il s’attendait, c’était la pers­pi­ca­ci­té de Barait­ser, dont le tra­vail consis­tait sim­ple­ment à faire ce qu’il disait [dont la mis­sion conve­nue était seule­ment de lui obéir. ÉC]. Lewis a grom­me­lé, bafouillé, enle­vé et remis ses lunettes plu­sieurs fois, ajus­té son micro­phone à plu­sieurs reprises et a ramas­sé une suc­ces­sion de mor­ceaux de papier dans son dos­sier, cha­cun sem­blant le sur­prendre par son conte­nu, alors qu’il les agi­tait en l’air d’un air mal­heu­reux et disait qu’il aurait vrai­ment dû citer l’affaire Shay­ler mais qu’il ne la trou­vait pas. C’était comme regar­der un épi­sode (du feuille­ton) Colum­bo mais sans le charme et sans la ques­tion qui tue à la fin.

Sou­dain, Lewis a sem­blé prendre une déci­sion. Oui, a‑t-il dit d’une voix beau­coup plus ferme. La loi de 1989 sur les secrets offi­ciels avait été intro­duite par le gou­ver­ne­ment That­cher après l’affaire Pon­ting, pré­ci­sé­ment pour éli­mi­ner la défense d’intérêt public et faire de la pos­ses­sion non auto­ri­sée d’un secret offi­ciel un crime de res­pon­sa­bi­li­té stricte – ce qui signi­fie que peu importe com­ment vous l’avez obte­nu, le fait de le publier et même de le pos­sé­der vous ren­dait cou­pable. Par consé­quent, en ver­tu du prin­cipe de la double incri­mi­na­tion, Assange était pas­sible d’extradition, qu’il ait ou non aidé et encou­ra­gé Man­ning. Lewis a ensuite ajou­té que tout jour­na­liste et toute publi­ca­tion qui publie­rait le secret offi­ciel com­met­trait donc éga­le­ment une infrac­tion, quelle que soit la manière dont il l’aurait obte­nu, qu’il ait ou non nom­mé des informateurs.

Lewis venait ain­si de contre­dire car­ré­ment toute sa décla­ra­tion d’ouverture aux médias en décla­rant qu’ils n’avaient pas à s’inquiéter puisque les accu­sa­tions d’Assange ne pou­vaient jamais leur être appli­quées. Et il l’a fait immé­dia­te­ment après l’ajournement, juste après que son équipe ait dis­tri­bué des copies de l’argumentation qu’il venait de contre­dire. Je ne peux pas croire qu’il soit sou­vent arri­vé au tri­bu­nal qu’un avo­cat che­vron­né se révèle de façon si évi­dente et si vite être un men­teur invé­té­ré et peu moti­vé. Ce fut sans aucun doute le moment le plus épous­tou­flant de l’audience d’aujourd’hui.

Pour­tant, il est remar­quable que je ne trouve nulle part dans les médias grand public la moindre men­tion de ce qui s’est pas­sé. Ce que je peux trou­ver, par­tout, c’est que les médias grand public rap­portent, par le biais du copier-col­ler, la pre­mière par­tie de la décla­ra­tion de Lewis sur les rai­sons pour les­quelles l’accusation d’Assange ne consti­tue pas une menace pour la liber­té de la presse ; mais per­sonne ne semble avoir rap­por­té qu’il a tota­le­ment aban­don­né son propre argu­ment cinq minutes plus tard. Les jour­na­listes étaient-ils trop stu­pides pour com­prendre les échanges ?

L’explication est très simple. La cla­ri­fi­ca­tion pro­ve­nant d’une ques­tion que Barait­ser a posée à Lewis, il n’y a pas d’enregistrement impri­mé ou élec­tro­nique de la réponse de Lewis. Sa décla­ra­tion ori­gi­nale a été four­nie aux médias sous forme de copier-col­ler. Sa contra­dic­tion exi­ge­rait qu’un jour­na­liste écoute ce qui a été dit au tri­bu­nal, le com­prenne et l’écrive. De nos jours, aucun pour­cen­tage signi­fi­ca­tif de jour­na­listes des médias grand public ne maî­trise cette capa­ci­té élé­men­taire. Le « jour­na­lisme » consiste à cou­per et col­ler uni­que­ment des sources approu­vées. Lewis aurait pu poi­gnar­der Assange à mort dans la salle d’audience, et cela n’aurait pas été rap­por­té à moins de figu­rer dans un com­mu­ni­qué de presse du gouvernement.

Je n’étais pas sûr de l’objectif de Barait­ser dans cette affaire. Il est clair qu’elle a très mal trai­té Lewis sur ce point, et sem­blait plu­tôt appré­cier de le faire. D’un autre côté, le point qu’elle a sou­le­vé n’est pas néces­sai­re­ment utile à la défense. Ce qu’elle a dit, c’est essen­tiel­le­ment que Julian pou­vait être extra­dé en ver­tu de la double incri­mi­na­tion, du point de vue bri­tan­nique, uni­que­ment pour avoir publié, qu’il ait ou non conspi­ré avec Chel­sea Man­ning, et que tous les jour­na­listes qui ont publié pou­vaient être incul­pés éga­le­ment. Mais ce point est cer­tai­ne­ment si extrême qu’il serait for­cé­ment inva­lide en ver­tu de la loi sur les droits de l’homme. A‑t-elle pous­sé Lewis à for­mu­ler une posi­tion si extrême qu’elle serait inte­nable – en lui don­nant assez de corde pour se pendre – ou a‑t-elle ali­men­té l’idée de non seule­ment extra­der Assange, mais aus­si de pour­suivre en masse les journalistes ?

La réac­tion d’un cer­tain groupe a été très inté­res­sante. Les quatre avo­cats du gou­ver­ne­ment amé­ri­cain assis juste der­rière Lewis ont eu la grâce de paraître très mal à l’aise, car Lewis a décla­ré sans ambages que tout jour­na­liste et tout jour­nal ou média qui publiait ou même pos­sé­dait un secret gou­ver­ne­men­tal com­met­tait un délit grave. Toute leur stra­té­gie avait consis­té à faire sem­blant de dire le contraire.

Lewis est ensuite pas­sé à la conclu­sion des argu­ments de l’accusation. Le tri­bu­nal n’avait aucune déci­sion à prendre, a‑t-il décla­ré. Assange doit être extra­dé. L’infraction répon­dait au cri­tère de la double incri­mi­na­tion puisqu’il s’agissait d’un délit à la fois aux États-Unis et au Royaume-Uni. La loi bri­tan­nique sur l’extradition inter­dit expres­sé­ment au tri­bu­nal de véri­fier s’il existe des preuves à l’appui des accu­sa­tions. S’il y avait eu, comme l’a fait valoir la défense, un abus de pro­cé­dure, le tri­bu­nal devait quand même pro­cé­der à l’extradition et exa­mi­ner l’abus de pro­cé­dure comme une affaire dis­tincte. (Cet argu­ment est par­ti­cu­liè­re­ment spé­cieux car il n’est pas pos­sible pour le tri­bu­nal d’engager une action contre le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain en rai­son de l’immunité sou­ve­raine, comme Lewis le sait bien). Enfin, Lewis a décla­ré que la loi sur les droits de l’homme et la liber­té d’expression n’étaient abso­lu­ment pas per­ti­nentes dans les pro­cé­dures d’extradition.

Edward Fitz­ge­rald s’est ensuite levé pour faire la décla­ra­tion d’ouverture pour la défense. Il a com­men­cé par décla­rer que le motif de l’accusation était entiè­re­ment poli­tique, et que les infrac­tions poli­tiques étaient spé­ci­fi­que­ment exclues en ver­tu de l’article 4.1 du trai­té d’extradition entre le Royaume-Uni et les États-Unis. Il a sou­li­gné qu’au moment du pro­cès de Chel­sea Man­ning et de nou­veau en 2013, l’administration Oba­ma avait pris des déci­sions spé­ci­fiques de ne pas pour­suivre Assange pour les fuites de Man­ning. Cette déci­sion a été annu­lée par l’administration Trump pour des rai­sons entiè­re­ment politiques.

Concer­nant l’abus de pro­cé­dure, M. Fitz­ge­rald a fait réfé­rence aux preuves pré­sen­tées devant les tri­bu­naux pénaux espa­gnols selon les­quelles la CIA avait char­gé une socié­té de sécu­ri­té espa­gnole d’espionner Julian Assange à l’ambassade, et que cet espion­nage com­pre­nait spé­ci­fi­que­ment la sur­veillance des réunions pri­vi­lé­giées d’Assange avec ses avo­cats pour dis­cu­ter de son extra­di­tion. Que l’État qui demande l’extradition espionne les consul­ta­tions client-avo­cat de l’accusé est en soi un motif de rejet de l’affaire. (Ce point est sans aucun doute vrai. Tout juge digne de ce nom rejet­te­rait som­mai­re­ment l’affaire pour cause d’espionnage scan­da­leux des avo­cats de la défense).

Fitz­ge­rald a pour­sui­vi en disant que la défense pré­sen­te­rait des preuves que la CIA a non seule­ment espion­né Assange et ses avo­cats, mais qu’elle a acti­ve­ment envi­sa­gé de l’enlever ou de l’empoisonner, et que cela mon­trait qu’il n’y avait aucun enga­ge­ment en faveur d’un véri­table État de droit dans cette affaire.

Fitz­ge­rald a décla­ré que l’accusation avait déli­bé­ré­ment défor­mé les faits, ce qui consti­tuait éga­le­ment un abus de pro­cé­dure. Il n’est pas vrai qu’il existe des preuves de pré­ju­dice cau­sé aux infor­ma­teurs, et le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain l’a confir­mé à d’autres occa­sions, par exemple lors du pro­cès de Chel­sea Man­ning. Il n’y a pas eu de com­plot pour pira­ter des ordi­na­teurs et Chel­sea Man­ning a été acquit­tée de cette accu­sa­tion devant la cour mar­tiale. Enfin, il est faux que Wiki­leaks soit à l’origine de la publi­ca­tion de noms d’informateurs, car d’autres orga­ni­sa­tions de médias l’avaient déjà fait avant.

Encore une fois, pour autant que je sache, si l’allégation amé­ri­caine de pré­ju­dice aux infor­ma­teurs a été lar­ge­ment dif­fu­sée, la réfu­ta­tion totale de la défense sur les faits et l’affirmation selon laquelle la fabri­ca­tion de faits équi­vaut à un abus de pro­cé­dure n’ont pas du tout été rapportées.

Fitz­ge­rald a enfin évo­qué les condi­tions de déten­tion aux États-Unis, l’impossibilité d’un pro­cès équi­table aux États-Unis et le fait que l’administration Trump a décla­ré que les res­sor­tis­sants étran­gers ne béné­fi­cie­ront pas des pro­tec­tions du pre­mier amen­de­ment, comme autant de rai­sons pour les­quelles l’extradition doit être refu­sée. Vous pou­vez lire toute la décla­ra­tion de la défense ci-des­sous, mais à mon avis, le pas­sage le plus fort a por­té sur les rai­sons pour les­quelles il s’agit d’un pro­cès poli­tique, ce qui inter­dit l’extradition.

Aux fins de l’article 81(a), je dois ensuite abor­der la ques­tion de savoir com­ment cette pour­suite à moti­va­tion poli­tique satis­fait au cri­tère d’être diri­gée contre Julian Assange à cause de ses opi­nions poli­tiques. L’essence de ses opi­nions poli­tiques qui ont pro­vo­qué ces pour­suites sont résu­mées dans les rap­ports du pro­fes­seur Feld­stein [pièce 18], du pro­fes­seur Rogers [pièce 40], du pro­fes­seur Noam Chom­sky [pièce 39] et le pro­fes­seur Kopelman :

i. Il est l’un des prin­ci­paux par­ti­sans d’une socié­té ouverte et de la liber­té d’expression.

ii. Il est anti-guerre et anti-impérialiste.

iii. Il est un cham­pion de renom­mée mon­diale de la trans­pa­rence poli­tique et du droit du public à l’information sur des ques­tions impor­tantes – des ques­tions telles que la cor­rup­tion poli­tique, les crimes de guerre, la tor­ture et les mau­vais trai­te­ments des déte­nus à Guantanamo.

5.4 Ces croyances et ces actions le mettent inévi­ta­ble­ment en conflit avec des États puis­sants, y com­pris l’actuelle admi­nis­tra­tion amé­ri­caine, pour des rai­sons poli­tiques. Ce qui explique pour­quoi il a été dénon­cé comme ter­ro­riste et pour­quoi le pré­sident Trump a, par le pas­sé, récla­mé la peine de mort.

5.5 Mais je dois ajou­ter que ses révé­la­tions sont loin de se limi­ter aux méfaits des États-Unis. Il a dénon­cé la sur­veillance exer­cée par la Rus­sie et a publié des articles sur M. Assad en Syrie ; et on dit que les révé­la­tions de Wiki­Leaks sur la cor­rup­tion en Tuni­sie et la tor­ture en Égypte ont été le cata­ly­seur du prin­temps arabe lui-même.

5.6 Les États-Unis affirment qu’il n’est pas jour­na­liste. Mais vous trou­ve­rez un compte-ren­du com­plet de son tra­vail dans le dos­sier M. Il est membre du syn­di­cat des jour­na­listes aus­tra­liens depuis 2009, il est membre de la NUJ et de la Fédé­ra­tion euro­péenne de jour­na­listes. Il a rem­por­té de nom­breux prix dans le domaine des médias, notam­ment la plus haute dis­tinc­tion pour les jour­na­listes aus­tra­liens. Son tra­vail a été recon­nu par The Éco­no­miste, Amnes­ty Inter­na­tio­nal et le Conseil de l’Europe. Il est le lau­réat du prix Mar­tha Gel­horn et a été nomi­né à plu­sieurs reprises pour le prix Nobel Prix de la paix, y com­pris l’année der­nière et cette année. Vous pou­vez voir qu’il a écrit des livres, des articles et des docu­men­taires. Il a eu des articles publiés dans le Guar­dian, le New York Times, le Washing­ton Post et le New Sta­tes­man, pour n’en citer que quelques-uns. Cer­taines des publi­ca­tions pour les­quelles l’extradition est deman­dée ont été évo­quées et invo­quées dans les tri­bu­naux du monde entier, y com­pris la Cour Suprême du Royaume-Uni et la Cour euro­péenne des droits de l’homme. En bref, il a défen­du la cause de la trans­pa­rence et la liber­té d’information dans le monde entier.

5.7. Le pro­fes­seur Noam Chom­sky s’exprime ain­si : – « en sou­te­nant cou­ra­geu­se­ment des opi­nions poli­tiques que la plu­part des per­sonnes déclarent par­ta­ger, il a ren­du un énorme ser­vice à tous ceux qui, dans le monde, ché­rissent les valeurs de la liber­té et la démo­cra­tie et qui réclament donc le droit de savoir ce que font leurs repré­sen­tants élus » [voir onglet 39, para­graphe 14].

L’impact posi­tif de Julian Assange sur le monde est donc indé­niable. L’hostilité qu’il a pro­vo­qué de la part de l’administration Trump est tout aus­si indéniable.

Le test juri­dique pour les « opi­nions politiques »

5.8. Je suis sûr que vous connais­sez les stan­dards en la matière, à savoir si une demande est faite en rai­son des opi­nions poli­tiques de l’accusé. Une approche large doit être adop­tée lors de l’application du test. Pour ce faire, nous nous appuyons sur l’affaire Re Asli­turk [2002] EWHC 2326 (auto­ri­tés char­gées des abus, onglet 11, para­graphes 25 – 26) qui éta­blit clai­re­ment qu’une approche aus­si large devrait être appli­quée au concept d’opinions poli­tiques. Et cela cou­vri­ra clai­re­ment les posi­tions idéo­lo­giques d’Assange. En outre, nous nous appuyons éga­le­ment sur des cas tels que Emi­lia Gomez contre SSHD [2000] INLR 549, onglet 43 du dos­sier infrac­tion poli­tique des auto­ri­tés. Celles-ci montrent que la notion d’« opi­nions poli­tiques » s’étend aux opi­nions poli­tiques impu­tées au citoyen par l’État qui le pour­suit. C’est pour­quoi la carac­té­ri­sa­tion de Julian Assange et Wiki­Leaks en tant qu’« agence de ren­sei­gne­ment hos­tile non éta­tique » par M. Pom­peo éta­blit clai­re­ment qu’il a été ciblé pour ses opi­nions poli­tiques. Tous les les experts dont vous avez les rap­ports montrent que Julian Assange a été pris pour cible en rai­son de la posi­tion poli­tique qui lui a été attri­buée par l’administration Trump – comme un enne­mi de l’Amérique qui doit tomber.

Demain, la défense pour­sui­vra. Je ne sais vrai­ment pas ce qui va se pas­ser car je me sens pour l’instant bien trop épui­sé pour être pré­sent dès 6 heures du matin et faire la queue pour entrer. Mais j’espère que d’une manière ou d’une autre, j’arriverai à rédi­ger un autre rap­port demain soir.

Je remer­cie vive­ment ceux qui ont fait des dons ou qui se sont ins­crits pour rendre ce rap­port possible.

Cet article est entiè­re­ment libre de repro­duc­tion et de publi­ca­tion, y com­pris en tra­duc­tion, et j’espère vive­ment que les gens le feront acti­ve­ment. La véri­té nous ren­dra libres.

Craig Mur­ray

Tra­duc­tion « avec plai­sir, M. Mur­ray » par VD pour le Grand Soir avec pro­ba­ble­ment toutes les fautes et coquilles habituelles

»» https://​www​.craig​mur​ray​.org​.uk/​a​r​c​h​i​v​e​s​/​2​0​2​0​/​0​2​/​y​o​u​r​-​m​a​n​-​i​n​-​t​h​e​-​p​u​b​lic…

Source : Vik­tor Dedaj, Le Grand Soir,
https://​www​.legrand​soir​.info/​c​o​m​p​t​e​-​r​e​n​d​u​-​d​u​-​p​r​o​c​e​s​-​a​s​s​a​n​g​e​-​1​e​r​-​j​o​u​r​.​h​tml

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7 Commentaires

  1. henri Laurens

    Mer­ci pour ce long com­men­taire inté­res­sant et révé­la­teur d’une justice

    tou­jours aux ordres des puis­sants .Que la véri­té réveille les consciences

    et abou­tisse à la libe­ra­tion de Julian Assange .

    Réponse
  2. Lehay

    Il n’est pas besoin de tra­ver­ser la manche ‚les pro­cès tru­qués sont légions en FRANCE .La loi scé­lé­rate KOUCHNER en est l’exemple type.Les vic­times de méde­cins fau­tifs n’ont pas droit à un pro­cès équitable.Les magis­trats sont char­gés d’inscrire sur la liste natio­nale des experts des pro­fes­sion­nels incom­pé­tents et cor­rom­pus, soit radié dans un autre pays pour ses incom­pé­tences notoires, soit incom­pé­tent dans la spé­cia­li­té soit ayant expri­mé sa désap­pro­ba­tion de la judi­cia­ri­sa­tion de la médecine…Ces dits « experts » rédigent des rap­ports d’expertise fal­la­cieux et gro­tesques pour dédoua­ner le fau­tif et dis­pen­ser l’Etat-solidarité et les assu­rances des fau­tifs d’indemniser la vic­time de ses pré­ju­dices. Le dit « expert » en col­lu­sion avec les méde­cins lamb­das manoeuvrent pour fal­si­fier les résul­tats d’examen .Le chi­rur­gien et son assu­reur fal­si­fie le dos­sier médical.
    Tous les cri­tères sont réunis pour déter­mi­ner que l’Etat com­met une escro­que­rie en bande organisée.

    Réponse
  3. Jacques

     » révé­la­teur d’une jus­tice tou­jours aux ordres des puis­sants » , vient d’é­crire avec rai­son Hen­ri Lau­rens. Je m’in­ter­roge :  » Fran­çois Asse­li­neau, qui vient de dire publi­que­ment tant de bien des ins­ti­tu­tions bri­tan­niques (au moment du Brexit), lira-t-il ce texte de Craig Mur­ray et fera-t-il des com­men­taires – publics, faut-il le préciser ? »

    Réponse
    • ève

      Asse­li­neau connait beau­coup de choses sur les droits et devoirs gou­ver­ne­men­taux , mais il est par­ti­san du FREXIT ! Sor­tir de là et voir ensuite ! C’est le plus impor­tant tout de suite ! Enfin c’est ce que moi je pense !
      Per­sonne n’est parfait !

      Réponse
  4. ève

    Si on ne va pas le cher­cher Julian , il sera brû­lé sur la plus grande place anglaise : Les ricains n’ac­ceptent jamais leurs torts et sur­tout pas le fait d’être contra­riés dans la marche de leurs inté­rêts secrets ! On l’a vu pour les Rosen­berg , Sac­co et Van­zet­ti , et bien d’autres .… qui eux n’a­vaient rien fait ! Ces gens sont des yan­kees et devraient conti­nuer de pro­duire des films de cow-boys à leur image en appuyant bien sur cette pra­tique mac­car­thyste des années 50 ! Les anglais ont tou­jours sou­te­nu l’A­mé­rique dans ses délires les plus injustes !
    Arrê­ter de dire par­tout que ce sont des puis­sants ! Des pou­voirs volés ne doivent pas don­ner même un quel­conque soup­çon de gloriole !

    Réponse
  5. Dom GDziD

    A. Supiot ana­lyse la mise en place d’un « ordre nor­ma­tif entiè­re­ment régi par le calcul ».

    Tant que nous agi­rons par « cal­cul » je ne vois guère de solutions…
    Cal­cul vs Don, à NOUS de choisir… 😉
    La balle est TOUJOURS dans NOTRE camp, celui de tous les humains, je veux dire…!!!

    Réponse
    • etienne

      Supiot l’a­na­lyse et le dénonce.

      Atten­tion au contre­sens 🙂 Supiot va dans ton sens (un peu).

      Réponse

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