[Passionnant] La démocratie contre les experts. Les esclaves publics en Grèce ancienne.

27/07/2018 | 8 commentaires

Un livre pas­sion­nant, de Pau­lin Ismard :

« Sup­po­sons un ins­tant que le diri­geant de la Banque de France, le direc­teur de la police et celui des Archives natio­nales soient des esclaves, pro­prié­tés à titre col­lec­tif du peuple fran­çais. Ima­gi­nons, en somme, une Répu­blique dans laquelle cer­tains des plus grands ser­vi­teurs de l’État seraient des esclaves.

Ils étaient archi­vistes, poli­ciers ou véri­fi­ca­teurs de la mon­naie : tous esclaves, quoique jouis­sant d’une condi­tion pri­vi­lé­giée, ils furent les pre­miers fonc­tion­naires des cités grecques. En confiant à des esclaves de telles fonc­tions, qui requé­raient une exper­tise dont les citoyens étaient bien sou­vent dénués, il s’agissait pour la cité de pla­cer hors du champ poli­tique un cer­tain nombre de savoirs spé­cia­li­sés, dont la maî­trise ne devait légi­ti­mer la déten­tion d’aucun pou­voir. Sur­tout, la démo­cra­tie directe, telle que la conce­vaient les Grecs, impli­quait que l’ensemble des pré­ro­ga­tives poli­tiques soit entre les mains des citoyens. Le recours aux esclaves assu­rait ain­si que nul appa­reil admi­nis­tra­tif ne pou­vait faire obs­tacle à la volon­té du peuple. En ren­dant invi­sibles ceux qui avaient la charge de son admi­nis­tra­tion, la cité conju­rait l’apparition d’un État qui puisse se consti­tuer en ins­tance auto­nome et, le cas échéant, se retour­ner contre elle.

Que la démo­cra­tie se soit construite en son ori­gine contre la figure de l’expert gou­ver­nant, mais aus­si selon une concep­tion de l’État qui nous est radi­ca­le­ment étran­gère, voi­là qui devrait nous intriguer. »


Pau­lin Ismard est maître de confé­rences en his­toire grecque à l’université Paris 1 Pan­théon-Sor­bonne. Il a récem­ment publié L’Événement Socrate (Flam­ma­rion, 2013, prix du livre d’histoire du Sénat 2014).

Source : http://​www​.seuil​.com/​o​u​v​r​a​g​e​/​l​a​-​d​e​m​o​c​r​a​t​i​e​-​c​o​n​t​r​e​-​l​e​s​-​e​x​p​e​r​t​s​-​p​a​u​l​i​n​-​i​s​m​a​r​d​/​9​7​8​2​0​2​1​1​2​3​623

Fil Face­book cor­res­pon­dant à ce billet : 


Quand le politique primait sur l’expert

https://​you​tu​.be/​s​J​6​7​I​R​2​q​a​l​Y​&​f​e​a​t​u​r​e​=​y​o​u​t​u​.be

Avec son ouvrage sti­mu­lant, La Démo­cra­tie contre les experts. Les esclaves publics en Grèce ancienne, l’historien Pau­lin Ismard fait revivre un monde où le poli­tique refu­sait de délé­guer son pou­voir à des spé­cia­listes de la gou­ver­nance, et avait inven­té pour cela une concep­tion de l’État où des esclaves, sou­mis à l’autorité des citoyens, se char­geaient d’une par­tie de l’administration de la Cité. [Media­part]

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Étienne

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8 Commentaires

  1. BlueMan

    Très inté­res­sant, sauf que je me demande si l’as­pect de l’es­cla­vage, si pré­gnant et au coeur de cet ouvrage que je n’ai pas lu, n’est pas contre pro­duc­tif à la dif­fu­sion même des idées de la démo­cra­tie issue du tirage au sort et des conven­tions de citoyens.

    Seul point qui m’est appa­ru sen­sé et extrê­me­ment per­ti­nent dans cette interview :

    « Cette idée selon laquelle un groupe de citoyens ordi­naires, qu’on qua­li­fie­rait d’in­com­pé­tents, sont capables col­lec­ti­ve­ment de construire une com­pé­tence qui puisse être supé­rieure à celle d’un indi­vi­du par­ti­cu­liè­re­ment savant ou d’un expert, c’est quelque chose d’in­fi­ni­ment évo­ca­teur pour aujourd’hui. »

    Ça, c’est une décla­ra­tion très encou­ra­geante comme constat pour la suite, car cela rejoint exac­te­ment les mêmes conclu­sions aux­quelles est par­ve­nu Jacques Tes­tart avec ses conven­tions de citoyens : des gens qui ne connais­saient rien à un sujet sont rapi­de­ment deve­nus, par un pro­ces­sus et un métho­do­lo­gie adé­quate, capables d’ap­prendre et d’a­voir une vision glo­bale sérieuse sur le sujet, égale voire même supé­rieure à celle d’ex­perts décla­rés comme tels. Cela nous montre le chemin. 😉

    Réponse
    • clipa

      L’in­for­ma­tion est comme tou­jours intéressante.
      Le tra­vail remar­quable d’ab­né­ga­tion et de per­sis­tance de Chouard me pose la même ques­tion depuis long­temps, à quoi bon ? Après 13 années, rien n’in­dique un mou­ve­ment de foules sur sa pro­po­si­tion, pour­tant évidente.
      Les foules ont été ren­dues, au choix, rési­gnées, idiotes, cupides – je ne sais.
      Et puis à un moment don­né, pour que les choses changent, il faut au peuple un Sol­lon … sinon, on a droit aux Atta­li, Mincs et Consorts, de (sup­po­sés) aimables fas­cistes riant toutes dents dehors.

      Réponse
  2. Sebastien

    C’est à nous d’in­ven­ter des gestes de résis­tances du quo­ti­dien pour légi­ti­mer notre pou­voir local. Ce qui est amu­sant c’est que quand les gens com­mencent à réflé­chir, ils ne s’ar­rêtent plus et sortent plus ou moins rapi­de­ment de la sou­mis­sion libre­ment consen­tie qu’elle soit ali­men­taire, éco­no­mique, ou démo­cra­tique. Le savoir par­ta­gé est redou­table contre le pou­voir des maîtres !
    « Si vous consta­tez un recul de vos liber­tés chaque année
    et que vous vou­lez contes­ter tous les sys­tèmes imbé­ciles que vous subissez.
    Alors nous avons des solu­tions pour faire plier le système. »
    Pour lut­ter dans ce monde de fou, voi­ci quelques gestes de résis­tance à méditer :
    1/ Culti­vez l’art de se documenter.
    2/ Éteindre la télé­vi­sion et boy­cot­ter la pub (source Michel Des­mur­get Lobo­to­mie TV sur youtube)
    3/ Man­gez local, le + végé­ta­rien pos­sible et si pos­sible BIO (Greger,Casasnovas,Grosjean,Joyeux…)
    4/ Faire un pota­ger en per­ma­cul­ture et maî­tri­sez la dupli­ca­tion des graines vivantes (kokopelli,Vandana Shiva,Claude et Lydia Bourguignon…)
    5/ Faire du troc (Denu­zière)
    6/ Cher­cher la cause des causes en toutes cir­cons­tances. (Chouard)
    7/ Maî­tri­ser le vol des mots (ate­lier de dés­in­toxi­ca­tion de la langue de bois, Franck Lepage, Tanguy)
    8/ Boy­cot­tez ce qui vous semble être une escro­que­rie ou injuste (Gand­hi)
    9/Soyez le chan­ge­ment que vous vou­lez voir dans le monde (Gand­hi)
    … rajou­tez vos propres gestes de résis­tance à la suite des miens.

    Réponse
  3. alainr

    Oui, mer­ci Étienne de cette info très inté­res­sante sur la démo­cra­tie dans la Grèce ancienne, source de mul­tiples réflexions et d’espoirs. 

    Extrait :
    « En ren­dant invi­sibles ceux qui avaient la charge de son admi­nis­tra­tion, la cité conju­rait l’apparition d’un État qui puisse se consti­tuer en ins­tance auto­nome et, le cas échéant, se retour­ner contre elle. »

    Invi­sibles, mais sur­tout impuis­sants poli­ti­que­ment, du fait de leur statut.
    Nos hauts fonc­tion­naires actuels sont eux aus­si invi­sibles, mais constam­ment omni­pré­sents dans le pou­voir poli­tique au plus haut niveau déci­sion­nel, quel que soit les « alter­nances » électorales. 

    Petite revue de web : 

    1)

    Les centristes sont les plus hostiles a la démocratie, pas les extrémistes.

    (01÷06÷2018)
    https://​leme​dia​presse​.fr/​p​o​l​i​t​i​q​u​e​-​f​r​/​l​e​s​-​c​e​n​t​r​i​s​t​e​s​-​s​o​n​t​-​l​e​s​-​p​l​u​s​-​h​o​s​t​i​l​e​s​-​a​-​l​a​-​d​e​m​o​c​r​a​t​i​e​-​p​a​s​-​l​e​s​-​e​x​t​r​e​m​i​s​t​es/

    2)

    Mr Attali : porte-parole du marché, parrain de Mr Macron, nous parle.

    (31 mai 2017)

    3)

    [RussEurope-en-Exil] Emmanuel Macron et le mépris de la République, par Jacques Sapir

    (25.7.2018 // Les Crises)
    https://​www​.les​-crises​.fr/​r​u​s​s​e​u​r​o​p​e​-​e​n​-​e​x​i​l​-​e​m​m​a​n​u​e​l​-​m​a​c​r​o​n​-​e​t​-​l​e​-​m​e​p​r​i​s​-​d​e​-​l​a​-​r​e​p​u​b​l​i​q​u​e​-​p​a​r​-​j​a​c​q​u​e​s​-​s​a​p​ir/

    « La décla­ra­tion faite le 24 juillet au soir par le Pré­sident de la Répu­blique, M. Emma­nuel Macron, est grave […] cette décla­ra­tion fait un loin­tain écho au dis­cours que Beni­to Mus­so­li­ni pro­non­ça le 3 jan­vier 1925, devant le Par­le­ment italien […] 

    4)

    Mélenchon : libéraux et fachos se complètent.

    (12÷07÷2018)

    5)

    Benalla et l’arc d’extrême droite
    (Le Monde diplomatique, Frédéric Lordon, 23-07-2018)

    https://​blog​.mon​de​di​plo​.net/​b​e​n​a​l​l​a​-​e​t​-​l​-​a​r​c​-​d​-​e​x​t​r​e​m​e​-​d​r​o​ite

     » […] Faire peur en mas­sa­crant le pre­mier venu et, sous le regard ter­ro­ri­sé des autres, faire pas­ser à tous l’envie de reve­nir. Voi­là le régime poli­tique dans lequel nous vivons […] il y aura, a for­tio­ri, moins d’espoir encore de faire voir, et de faire nom­mer, la part d’extrême droite de ce pouvoir […] »

    6)

    Emmanuel Todd : « C’est un pays en cours de stabilisation morale qui vient d’élire Trump »

    (01÷03÷2017)
    https://​comp​toir​.org/​2​0​1​7​/​0​3​/​0​1​/​e​m​m​a​n​u​e​l​-​t​o​d​d​-​c​e​s​t​-​u​n​-​p​a​y​s​-​e​n​-​c​o​u​r​s​-​d​e​-​s​t​a​b​i​l​i​s​a​t​i​o​n​-​m​o​r​a​l​e​-​q​u​i​-​v​i​e​n​t​-​d​e​l​i​r​e​-​t​r​u​mp/

    « […] Les élites tra­hissent le peuple, c’est cer­tain. J’estime même de plus en plus qu’il y a au sein des élites des phé­no­mènes de stu­pi­di­té induits par le confor­misme interne du groupe, une auto­des­truc­tion intel­lec­tuelle col­lec­tive. Mais je ne pense plus que le peuple soit intrin­sè­que­ment meilleur […] »

    Réponse
  4. etienne

    « L’an­tique com­pa­rai­son, tirée du navire et du pilote, n’a pas fini d’instruire les citoyens de leurs devoirs et de leurs droits. Pre­miè­re­ment appa­raît cette remarque de bon sens qu’on ne choi­sit pas le capi­taine d’après sa nais­sance, mais d’après son savoir. Et par là nous sommes déli­vrés d’un genre de ser­vi­tude, mais pour retom­ber aus­si­tôt dans un autre, car c’est le plus savant qui est capi­taine. Dès qu’il a fait ses preuves, tout est dit. Prompte obéis­sance, prompte et silen­cieuse, voi­là ce qui nous reste.

    Il n’est pas dit que le simple mate­lot com­pren­dra tou­jours ; et le capi­taine n’est nul­le­ment ins­ti­tu­teur ; il n’en a pas le temps. Mais bien mieux, sup­po­sons qu’un capi­taine, et non sans renom­mée, soit au nombre des pas­sa­gers ; il n’est pas encore évident que celui-là aura le droit de dis­cu­ter, et d’expliquer aux mate­lots que la manœuvre à laquelle ils par­ti­cipent n’est peut-être pas la meilleure, ou la seule qui soit pos­sible ; car on agit mal si l’on pense à deux choses dont l’une exclut l’autre.

    Ain­si le mate­lot rai­son­nable devra se per­sua­der lui-même qu’il doit croire celui qui est au gou­ver­nail, et que, lorsqu’on double l’écueil, ce n’est pas le temps d’examiner. Et comme il n’est point du mate­lot de savoir où est l’écueil, quel est le risque, et à quel moment le navire est sauf, ce n’est jamais le temps d’examiner. Aux fers, donc, l’esprit fort qui dis­cute ; aux fers le mate­lot qui écoute. Son­gez main­te­nant à cette tra­ver­sée sans fin, et tou­jours périlleuse, que nous fai­sons tous sur un grand vais­seau ; son­gez qu’il n’y a point de port. C’est tem­pête de mon­naie, tem­pête de tra­vail, tem­pête de guerre tou­jours ! « Ne par­lez pas au capitaine. »

    Il est vrai que l’on juge le capi­taine qui a per­du son navire, comme aus­si le machi­niste qui est venu but­ter sur l’obstacle. De même l’on vou­drait juger le géné­ral qui a atta­qué témé­rai­re­ment, et le colo­nel qui a fait fusiller un peu trop vite des hommes qui peut-être se sont mépris, ou bien qui ont fait ce que tous fai­saient. Mais ce genre de pro­cès ne conduit à rien ; car il n’est pas dit que le plus savant ne se trom­pe­ra jamais. Et, au sur­plus, il est bien aisé de mon­trer que l’homme de métier a fait pour le mieux. Enfin, à la rigueur, si l’on vou­lait prou­ver que la faute était évi­table, il fau­drait pou­voir recom­men­cer et faire mieux. Or on ne peut jamais recom­men­cer. La vague est autre, le brouillard est autre. Une situa­tion ne se retrouve jamais.

    Ici le citoyen sou­vent s’abandonne, et même se détourne par sys­tème de ces irri­tantes pen­sées. Mais il faut suivre la com­pa­rai­son. Le capi­taine du navire est juge des moyens ; il n’est pas juge de la fin. C’est l’armateur qui dit où il faut aller. De même c’est le citoyen qui dit où il faut aller.

    Mais, répond le tyran, il n’y a point de doute là-des­sus ! Vous vou­lez tous richesse et puis­sance. À quoi Socrate répon­dait : « Non pas d’abord richesse et puis­sance ; mais d’abord jus­tice. » La puis­sance donne un genre de sécu­ri­té, la jus­tice en donne un autre, qui ne contente pas moins la par­tie infé­rieure de l’homme, et qui contente aus­si l’autre. Et si l’on vou­lait sou­te­nir que l’homme reste indif­fé­rent devant les mas­sacres, les sup­plices, les empri­son­ne­ments, les sus­pi­cions, on ferait rire. Mais bien mieux, il y a un bon nombre d’hommes qui s’indignent de ces choses, toute crainte mise à part, et ce ne sont pas les pires. Et encore est-il que beau­coup d’hésitants sui­vraient ceux-là s’ils ne se lais­saient étour­dir par les dis­cours bien payés, qui tou­jours plaident pour les pou­voirs, et non sans de fortes rai­sons que j’ai vou­lu ras­sem­bler ci-dessus.

    Tout exa­mi­né, je conclus qu’il faut plai­der aus­si contre, réveiller tous les citoyens autant qu’on peut, et tenir ferme cette idée que les pou­voirs sont nos ser­vi­teurs, et non point nos maîtres. « Ou puis­sance d’abord, ou jus­tice d’abord. » Et ce n’est point au pilote, si savant qu’on le sup­pose, qu’il appar­tient de répondre. »

    Alain, 1er juin 1927.

    Réponse
  5. etienne

    Trois bons articles de Régis de Cas­tel­nau relayés ensemble par les​-crises​.fr :

    Macron : Une erreur de casting ? Par Régis de Castelnau

    Source : Vu du droit, Régis de Cas­tel­nau, 27-07-2018

    Emma­nuel Macron semble avoir déci­dé de trai­ter ce que l’on appelle « le Benal­la­gate » avec sa désin­vol­ture habi­tuelle. Cet homme trop sûr de lui ne semble pas com­prendre grand-chose à la poli­tique. Pour s’être frot­té à quelques oli­garques, il s’imagine que le pré­sident de la Répu­blique n’est qu’une sorte de PDG aux pou­voirs de poten­tat. Ses der­nières saillies de cour de récré, d’abord en forme de bras d’honneur avec la phrase « qu’ils viennent me cher­cher ! », et ensuite avec la bra­vade sur sa fier­té d’avoir embau­ché son gorille, outre qu’elles sont objec­ti­ve­ment conster­nantes, consti­tuent autant d’erreurs tactiques.

    Ne jamais négliger les signaux faibles

    Qu’on le veuille ou non, la pre­mière a pro­vo­qué la réponse du juge d’instruction, le len­de­main, avec la per­qui­si­tion dans les bureaux de l’Élysée. Héré­sie juri­dique à laquelle il était dans l’incapacité poli­tique de s’opposer. Encore bra­vo ! Et ce com­por­te­ment, fruit d’un mélange de nar­cis­sisme pué­ril et de mépris social a nour­ri depuis quelques semaines l’hypothèse de l’erreur de cas­ting. Les inter­ven­tions de cer­tains de ses par­rains, à com­men­cer par le pre­mier des oli­garques fran­çais, Fran­çois Pinault, sui­vi par les gardes flancs que sont https://​you​tu​.be/​e​5​F​X​S​v​a​F​Pbc et Alain Minc, témoignent de leur per­plexi­té, face, non pas à ce que le jeune roi ferait, mais à la façon dont il le ferait. Le choix du terme « insur­rec­tion » par Minc n’est sûre­ment pas dû au hasard. Emma­nuel Macron fit répondre à Pinault par Fer­rand de manière insul­tante. Il a eu tort, oubliant qu’il ne faut jamais négli­ger les signaux faibles.

    C’est pour­quoi il faut essayer de com­prendre le pour­quoi de la volte-face du jour­nal Le Monde, jusque-là sou­tien assi­du d’Emmanuel Macron, qui a envoyé un sacré mis­sile avec la révé­la­tion de l’existence et du com­por­te­ment du chou­chou du pré­sident. Ne nous lais­sons pas impres­sion­ner par les élé­ments de lan­gage des godillots, et la risible invo­ca­tion de l’article 73 du code de pro­cé­dure pénale. Il faut quand même rap­pe­ler la bro­chette de graves infrac­tions mani­fes­te­ment com­mises à cette occa­sion. De façon inat­ten­due, quelques heures après la vic­toire en Coupe du Monde de foot­ball, en pleine période de congés d’été, l’étincelle lan­cée a embra­sé la plaine. Que s’est-il pas­sé ? La pre­mière inter­ro­ga­tion c’est la rai­son du mis­sile du Monde, ceux d’Ariane Che­min ne sont jamais gra­tuits. Les rafales de révé­la­tions qui ont sui­vi dans les deux jours montrent bien que le dos­sier était prêt. Et ne pou­vait être seule­ment le fruit d’un tra­vail de jour­na­liste d’investigation. Règle­ment de comptes au sein de la sphère poli­cière ou opé­ra­tion de plus grande enver­gure visant à affai­blir dura­ble­ment le chef de l’État ? Impos­sible de répondre aujourd’hui, mais il est clair que quelqu’un a appuyé sur un bou­ton. Et qu’à la sur­prise géné­rale de nom­breuses forces par effet d’aubaine se sont mises en mou­ve­ment et ont conver­gé pour en faire une affaire d’État.

    Parce que c’était leur projet

    On rap­pel­le­ra à ce stade que la vic­toire d’Emmanuel Macron à l’élection pré­si­den­tielle de 2017 est le fruit d’un ensemble d’éléments dont quelques-uns relèvent de l’opération concer­tée. Il y a le choix d’Emmanuel Macron par la caste de la haute fonc­tion publique de l’inspection des finances – incar­née par Jean-Pierre Jouyet -, l’appui de l’oligarchie, l’incroyable sou­tien média­tique, et des moyens finan­ciers consi­dé­rables. Mais sur­tout le raid judi­ciaire orga­ni­sé par le couple infer­nal Par­quet natio­nal finan­cier (PNF) et Pôle d’instruction du même nom contre la can­di­da­ture de Fran­çois Fillon. Lan­cé par Le Canard enchaî­né, il a vu une par­tie de l’appareil judi­ciaire conduire une pro­cé­dure à une vitesse sans pré­cé­dent pour ce type d’affaires. En liai­son, de façon gros­sière, avec la presse des­ti­na­taire en urgence de pièces tron­quées. Que Fillon ait été un mau­vais can­di­dat choi­si par la pri­maire, et qu’il se soit défen­du comme un manche n’est pas contes­table. Cela ne change rien et s’il se trouve des gens igno­rants ou de mau­vaise foi pour le contes­ter, tous les pro­fes­sion­nels sérieux du monde judi­ciaire savent à quoi s’en tenir : le com­por­te­ment du PNF et du Pôle finan­cier était des­ti­né à détruire le can­di­dat de la droite répu­bli­caine. La seule ques­tion qui reste posée aujourd’hui est de savoir si la volon­té des acteurs était de détruire Fillon pré­sen­té qua­si­ment comme de droite extrême, ou de créer les condi­tions pour faire élire Emma­nuel Macron. L’étonnante com­plai­sance affi­chée par les mêmes ins­tances par la suite vis-à-vis de l’entourage poli­tique de celui-ci pour­rait ame­ner à rete­nir la deuxième hypo­thèse. En l’état, per­son­nel­le­ment je ne choi­sis pas.

    Macron en mode Jeff Tuche

    Le résul­tat a été de faus­ser le pre­mier tour de l’élection pré­si­den­tielle et de per­mettre à Macron de deve­nir pré­sident de la Répu­blique grâce à moins de 18% des ins­crits au pre­mier tour qui était le seul qui comp­tait. Cette opé­ra­tion, qui a ame­né à l’Élysée un can­di­dat incon­nu et impro­bable au CV poli­tique par­ti­cu­liè­re­ment léger, et à l’Assemblée une cohorte de par­le­men­taires incom­pé­tents, a bien sûr par­ti­cu­liè­re­ment bru­ta­li­sé les mondes poli­tique et admi­nis­tra­tif exis­tants. Emma­nuel Macron est comme quelqu’un qui a gagné une for­tune au Loto. Il est per­sua­dé que ce sont ses qua­li­tés et non un concours de cir­cons­tances qui l’ont ame­né là. Ce concours de cir­cons­tances qui a impo­sé la fusion des deux com­po­santes du bloc bour­geois, la natio­nale et la mon­dia­liste. Comme l’avait fait à sa façon Valé­ry Gis­card d’Estaing en 1974 quand il s’était débar­ras­sé de Jacques Cha­ban-Del­mas pour accé­der à la pré­si­dence. Et comme rêvait de le faire Alain Jup­pé. Contraints et for­cés, les loden-bar­bours qui avaient choi­si Fillon à la pri­maire LR avaient dû se ral­lier, sans enthou­siasme, voire avec résignation.

    Nar­cis­sisme, ego bour­sou­flé, auto­ri­ta­risme et absence de véri­table culture poli­tique, Emma­nuel Macron a adop­té des com­por­te­ments et des atti­tudes qui ont trans­for­mé, pour les bat­tus, les humi­lia­tions en exas­pé­ra­tion. Notam­ment devant le com­por­te­ment incroyable de suf­fi­sance de la petite caste de ses amis, ver­rouillés dans le bun­ker de Ber­cy. Plus récem­ment, la gay pride por­no­gra­phique dans la cour de l’Élysée, l’exhibitionnisme gênant de la célé­bra­tion de la vic­toire en Coupe du Monde de foot­ball, le retour au galop d’un socié­ta­lisme que les bour­geois de pro­vince exècrent, et quelques autres inci­dents ont sérieu­se­ment fis­su­ré ce bloc bour­geois dont il ne faut pas oublier que le ral­lie­ment de la par­tie natio­nale fut contraint et for­cé. En son sein, beau­coup des per­dants de l’année der­nière, bat­tus aux légis­la­tives par des chèvres, sont avides de revanche. Il ne fal­lait pas croire non plus que cette façon de gou­ver­ner en soli­taire entou­ré d’une petite poi­gnée d’affidés et de favo­ris peu recom­man­dables n’allait pas heur­ter l’administration fran­çaise. Un État est aus­si un monstre admi­nis­tra­tif, il ne se réduit pas à trois bureaux à l’Élysée et quelques petits mar­quis répar­tis entre la rue du Fau­bourg Saint-Hono­ré et Bercy.

    La facture de la mystification de 2017 ?

    Fina­le­ment, la révé­la­tion du jour­nal de Mat­thieu Pigasse est entrée en réso­nance avec une sorte de cli­mat insur­rec­tion­nel. Non pas au sein des couches popu­laires, qui en géné­ral détestent Macron mais pour l’instant comptent les coups, mais plu­tôt dans des sec­teurs divers de la bour­geoi­sie, des couches moyennes et de l’administration. Per­sonne n’a envie de prendre les armes évi­dem­ment, mais on sent la rage et l’envie de régler des comptes. Et ce d’autant que, pour l’instant, le bloc popu­laire est divi­sé et les par­ta­geux silen­cieux. Le jeune roi se ver­rait-il pré­sen­ter la fac­ture de la mys­ti­fi­ca­tion de 2017 et de son comportement ?

    Que peut-il se pas­ser main­te­nant ? Il est impos­sible de le pré­voir. Mais l’on peut déjà consta­ter que l’autorité de cette Assem­blée natio­nale est anéan­tie et qu’il sera dif­fi­cile pour le pou­voir de pour­suivre sa des­truc­tion de la Consti­tu­tion et son pro­gramme d’atteintes aux liber­tés. C’est déjà une bonne nou­velle. L’une des clés de la suite réside aus­si dans l’attitude de la jus­tice. Car la diver­sion de l’Élysée qui tend à foca­li­ser sur la « faute » com­mise par Benal­la ne devrait nor­ma­le­ment débou­cher que sur une impasse. Le pro­blème ne réside pas dans les vio­lences exer­cées par celui-ci, mais dans le fait qu’il fut pré­sent en vio­la­tion de toutes les règles, et en com­met­tant avec d’autres plu­sieurs infrac­tions invrai­sem­blables. Et ça, c’est la res­pon­sa­bi­li­té d’Emmanuel Macron. Qu’ensuite ce favo­ri au com­por­te­ment dou­teux ait pu béné­fi­cier, ce qui est le pro­blème essen­tiel, de tout un tas d’avantages, dont cer­tains lou­foques, et en tout cas illé­gaux et inac­cep­tables, par la seule volon­té du prince, sans qu’aucun fonc­tion­naire d’autorité ne fasse son devoir en s’y oppo­sant… Mais qui sont ces gens ?

    La justice peut retrouver son honneur

    Et que, de la même façon, les infrac­tions com­mises par Benal­la aient été cou­vertes par l’Élysée… Pas de dénon­cia­tion au par­quet, absence évi­dente de sanc­tion au contraire de ce qui nous est dit, pour­suites des agis­se­ments du gorille. De tout ceci, les per­sonnes concer­nées devront en répondre. Devant la jus­tice, si celle-ci fait son devoir. Je consi­dère pour ma part qu’avec le raid Fillon et le sou­tien appor­té par la hié­rar­chie et les syn­di­cats de magis­trats à l’opération, l’institution judi­ciaire s’est lour­de­ment décon­si­dé­rée l’année der­nière. Elle ne s’est pas reprise avecles com­plai­sances dont ont béné­fi­cié les amis d’Emmanuel Macron.

    Avec l’affaire Benal­la, qui n’est en fait qu’une affaire Macron, et l’intérêt enfin por­té par les juges d’instruction au com­por­te­ment de Madame Péni­caud à la tête de France busi­ness, il semble tout de même qu’il soit pos­sible de faire preuve d’un peu d’optimisme…

    Source : Vu du droit, Régis de Cas­tel­nau, 27-07-2018


    Macrongate : Le petit roi et son mépris du droit, par Régis de Castelnau

    Source :Vu du Droit, Régis de Cas­tel­nau, 23-07-2018

    La presse nous rap­porte ce qu’aurait décla­ré, en garde à vue, celui que beau­coup appellent désor­mais « le gorille à Manu ». La pre­mière chose qui frappe, c’est l’étonnant culot dont il fait preuve. La seconde, c’est qu’il est clair qu’il a été dûment cha­pi­tré et que la stra­té­gie de la Macro­nie sera de semer la confu­sion en espé­rant conti­nuer à pro­fi­ter de la com­plai­sance dont elle a béné­fi­cié d’une par­tie du haut appa­reil judi­ciaire. C’est la rai­son pour laquelle il est utile sinon indis­pen­sable de reve­nir sur un cer­tain nombre d’aspects essen­tiels de la par­tie qui se joue aujourd’hui. D’autant plus essen­tiels qu’ils consti­tue­ront les enjeux du débat judi­ciaire. Or, avec un exé­cu­tif aujourd’hui pla­qué au sol et un légis­la­tif trans­for­mé en cirque, la jus­tice est le seul des trois pou­voirs dont on puisse espé­rer qu’il sera capable de res­ter à peu près debout.

    Gare au « gorille »

    Le jour du déclen­che­ment du scan­dale, après avoir vu la vidéo des faits, nous avions éta­bli la nature des infrac­tions qui devaient être repro­chées à Alexandre Benal­la et le carac­tère inad­mis­sible de la pro­tec­tion dont il avait béné­fi­cié après ses exac­tions. Le feuille­ton qui se déroule désor­mais nous apporte une révé­la­tion toutes les heures sur le sta­tut et les avan­tages déli­rants, et mani­fes­te­ment indus, dont béné­fi­ciait le « gorille ». Cha­cun de ces faits doit faire l’objet d’une ana­lyse juri­dique qui per­mette d’en carac­té­ri­ser l’aspect péna­le­ment répré­hen­sible, et d’en iden­ti­fier les auteurs.

    Dans la mesure où les évé­ne­ments que nous allons étu­dier ont fait l’objet de déci­sions prises par des fonc­tion­naires dans le cadre de struc­tures hié­rar­chiques, rap­pe­lons les prin­cipes de res­pon­sa­bi­li­té qui gou­vernent cette matière.

    Tout d’abord, en appli­ca­tion de l’article 28 de la loi sur le sta­tut de la fonc­tion publique, le fonc­tion­naire est tenu à un devoir d’obéissance. Assor­ti d’un devoir de déso­béis­sance si l’ordre qui lui est don­né est mani­fes­te­ment illé­gal. L’article 122–4 du Code pénal exo­nère le fonc­tion­naire auteur d’une infrac­tion accom­plie sur ordre à la condi­tion qu’il n’en ait pas connu le carac­tère illé­gal. Appa­rem­ment accor­dés à la demande d’Emmanuel Macron, les avan­tages dont a béné­fi­cié Mon­sieur Benal­la ont fait l’objet pour cha­cun de déci­sions admi­nis­tra­tives. Tous les fonc­tion­naires impli­qués sont donc res­pon­sables et il est indis­pen­sable qu’ils en répondent.

    Viens chez moi, j’habite chez un copain

    Pre­mier exemple, la rému­né­ra­tion exor­bi­tante (envi­ron 10 000 euros par mois) per­çue par l’homme de main, selon Le Pari­sien. S’agissant de fonds publics, il est clair qu’il ne peut y avoir d’arbitraire dans la fixa­tion de la rému­né­ra­tion des col­la­bo­ra­teurs de l’Élysée. De ce que l’on com­prend aujourd’hui, le mon­tant était direc­te­ment lié, non pas à l’utilité de la mis­sion, mais à la faveur du prince. Celle-ci ne sau­rait ser­vir de sup­port à une déci­sion régu­lière. Les chiffres qui cir­culent dans la presse sont effec­ti­ve­ment com­plè­te­ment exces­sifs, et peuvent encou­rir les foudres de l’application de l’article 432–15 Code pénal rela­tif au détour­ne­ment de fonds publics. Le pré­sident de la Répu­blique et ses col­la­bo­ra­teurs, et notam­ment son chef de cabi­net, sont res­pon­sables du manie­ment des fonds publics dont ils sont dépo­si­taires. Les enga­ge­ments de dépenses doivent être conformes à l’intérêt public et non pas le fruit de faveurs vou­lues et dis­pen­sées par le chef de l’État. Emma­nuel Macron sera pro­té­gé par son immu­ni­té pré­si­den­tielle. Ce n’est pas le cas de son direc­teur de cabi­net qui a dû signer le « contrat de tra­vail » et sai­sir le comp­table public de l’engagement des dépenses cor­res­pon­dant à la rému­né­ra­tion. Il est indis­pen­sable qu’il en réponde dans le cadre d’une pro­cé­dure judi­ciaire. Ceci n’a rien de fan­tai­siste, on apprend par un téles­co­page du calen­drier, que Maryse Joys­sains, maire d’Aix-en-Provence, vient d’être condam­née pour avoir pro­mu indû­ment son chauf­feur et four­ni à ses proches des emplois de complaisance !

    Deuxième exemple, le loge­ment de fonc­tion. Accor­dé, rap­pe­lons le, le 8 juillet der­nier, alors même que les com­mu­ni­cants de l’Élysée, empê­trés dans leurs men­songes, nous affirment que le « gorille à Manu » était puni. Dans la fonc­tion publique, concer­nant les loge­ments de fonc­tion, en appli­ca­tion du décret du 9 mai 2012, il existe deux régimes de « conces­sion de loge­ment ». D’une part, celle par « néces­si­té abso­lue de ser­vice » qui impose au fonc­tion­naire une dis­po­ni­bi­li­té totale, et ne donne pas lieu à per­cep­tion d’une contre­par­tie, c’est-à-dire d’un loyer. D’autre part, une conces­sion avec paie­ment d’un loyer, pour les fonc­tion­naires qui sans être assu­jet­tis à la néces­si­té abso­lue sont tenus d’accomplir un ser­vice d’astreinte. Il est clair que Mon­sieur Benal­la, au sta­tut com­plè­te­ment flou, ne rentre dans aucune des caté­go­ries. Et que l’on ne nous parle pas de sécu­ri­té, celle-ci est assu­rée dans le cadre de la loi répu­bli­caine par le Groupe de sécu­ri­té de la pré­si­dence de la Répu­blique (GSPR), com­po­sé de fonc­tion­naires for­més. Qui a pris la déci­sion d’attribuer ce loge­ment ? Quelle moda­li­té a été choi­sie ? Quelle est la jus­ti­fi­ca­tion de cet avan­tage en nature ? Mon­sieur Benal­la est-il assu­jet­ti au ver­se­ment d’un loyer en appli­ca­tion des sti­pu­la­tions du décret du 9 mai 2012 ? Si cette attri­bu­tion, ce qui est fort pro­bable, est contraire à la régle­men­ta­tion, l’article 432–15 du Code pénal trou­ve­ra encore à s’appliquer. Même motif, même puni­tion pour celui qui a signé sur ordre le contrat de bail.

    Aux armes, etcaetera

    Par­lons main­te­nant de la pseu­do-sanc­tion infli­gée au faux poli­cier après ses exploits place de la Contre­scarpe. Il appa­raît d’ores et déjà que les soi-disant mise à pied et rétro­gra­da­tion sans salaire n’ont jamais été appli­quées. Qu’en est-il de la rému­né­ra­tion ? Le bruit court qu’elle aurait quand même été ver­sée, contrai­re­ment à ce qui a été dit. Et pour­quoi donc ? À la demande de qui ? Encore le 432–15 ? Cela devient une habi­tude. Il serait bien de s’en expli­quer devant un juge d’instruction.

    Il y a éga­le­ment l’attribution au « gorille » d’un per­mis de port d’armes. Auto­ri­sa­tion invrai­sem­blable, mais mani­fes­te­ment sur ordre du châ­teau après un pre­mier refus cir­cons­tan­cié de la pré­fec­ture de police. Tout sim­ple­ment parce que les condi­tions juri­diques n’étaient pro­ba­ble­ment pas réunies. Qu’à cela ne tienne, le prince cède à son homme qui rêve depuis long­temps d’être « enfou­raillé ». Comme le démontre la lec­ture des « Macron­leaks », il en avait for­mé la demande pen­dant la cam­pagne pré­si­den­tielle. La valeur juri­dique de cette nou­velle auto­ri­sa­tion méri­te­rait d’être regar­dée de près. Son grand ami Vincent Crase, le sala­rié du par­ti LREM, s’est quant à lui pas­sé de l’autorisation légale puisqu’il parade, place de la Contre­scarpe, avec un flingue bien visible sur les pho­tos et les vidéos. Sous les yeux des poli­ciers vrais et faux mélan­gés que ça n’a pas l’air de gêner. Port d’arme pro­hi­bé, et de pre­mière caté­go­rie, excu­sez du peu. Là aus­si, il serait inté­res­sant de savoir pour­quoi et com­ment des civils aus­si dou­teux que nos duet­tistes peuvent se pro­me­ner ain­si armés jusqu’aux dents. Cela relève des inves­ti­ga­tions d’un juge d’instruction.

    Et ça continue encore et encore…

    Nous avons ensuite l’hérésie d’attribuer un pass d’entrée don­nant accès à tous les locaux de l’Assemblée natio­nale et notam­ment à l’hémicycle (!) à notre homme de main qui ne pou­vait bien sûr y avoir droit… Il serait inté­res­sant que Fran­çois de Rugy, le pré­sident de l’Assemblée natio­nale, vienne s’expliquer sur ce man­que­ment gra­vis­sime, qui serait de nature à éclai­rer sur le dis­po­si­tif qu’Emmanuel Macron com­men­çait à mettre en place pour pri­va­ti­ser à son pro­fit les ser­vices de sécu­ri­té de l’Élysée.

    On par­le­ra aus­si de la ful­gu­rante mon­tée en grade d’Alexandre Benal­la (il était réser­viste) dans la gen­dar­me­rie. Plu­sieurs fonc­tion­naires de police ont déjà été mis en garde à vue et mis en exa­men. Trois d’entre eux, aux grades consé­quents, ont trou­vé tout à fait nor­mal de tra­hir leur secret pro­fes­sion­nel et de mettre à la dis­po­si­tion d’une per­sonne visée par la jus­tice des élé­ments stric­te­ment confi­den­tiels. Encore bravo !

    La liste devrait nor­ma­le­ment s’allonger. Alors à ce stade, à tous ceux qui, par cupi­di­té, arri­visme ou lâche­té, ont prê­té la main aux dérives vou­lues par le chef de l’État, on rap­pel­le­ra l’existence d’un autre article du Code qui les concerne tous. L’article 433–1 du Code pénal, celui qui réprime tous ceux qui ont pris des mesures pour faire échec à l’exécution de la loi. Tous les faits, toutes les manœuvres, tous les ordres qui viennent d’être décrits ci-des­sus en relèvent.

    Mais que fait la justice ?

    Depuis déjà un moment, la jus­tice s’est lais­sée désho­no­rer par les agis­se­ments de la juri­dic­tion d’exception du Pôle finan­cier flan­quée du Par­quet natio­nal finan­cier (PNF). Outil poli­tique achar­né à faus­ser l’élection pré­si­den­tielle, d’abord contre Nico­las Sar­ko­zy puis contre Fran­çois Fillon. Outil diri­gé plus récem­ment contre le Ras­sem­ble­ment natio­nal. Il semble symé­tri­que­ment avoir ser­vi d’étouffoir dès lors que des choses très gênantes pou­vaient être repro­chées aux amis du Par­ti socia­liste ou à la Macro­nie. Que sont deve­nus Kader Arif, Bru­no Leroux, Faou­zi Lam­daoui ? Où en sont les affaires Fer­rand, Col­lomb, Las Vegas, les irré­gu­la­ri­tés finan­cières gros­sières de la cam­pagne élec­to­rale du can­di­dat Macron ?

    En allant au fond des choses, le par­quet de Paris et les juges d’instruction du même tri­bu­nal ont l’occasion de com­men­cer à recons­truire une cré­di­bi­li­té et une légi­ti­mi­té lour­de­ment enta­mées auprès de l’opinion. Il serait vrai­ment oppor­tun de la sai­sir. Pas sûr que l’histoire repasse les plats.

    Quant au pré­sident de la Répu­blique, il pour­rait appa­raître comme l’auteur ini­tial, et par consé­quent le res­pon­sable, de tout ce que le scan­dale vient de mettre au jour. Sachant que ce n’est pro­ba­ble­ment pas fini. À l’abri de son immu­ni­té, il va peut-être enfin faire un peu l’expérience du fait que la poli­tique est d’abord et avant tout un rap­port de force.

    Son incon­sé­quence l’a sin­gu­liè­re­ment iso­lé et il pour­rait faire l’expérience de l’ingratitude des hommes, et de leur capa­ci­té à rapi­de­ment cher­cher des pas­se­relles pour quit­ter le navire.

    Source :Vu du Droit, Régis de Cas­tel­nau, 23-07-2018


     

    Affaire Benalla : Le Code Pénal ? Pour quoi faire ?

    Source : Vu du droit, Régis de Cas­tel­nau, 19-07-2018

    Le com­por­te­ment d’Emmanuel Macron est désar­mant de sin­cé­ri­té. Le pré­sident de la Répu­blique affiche un nar­cis­sisme per­ma­nent et infan­tile auquel vient s’ajouter un éton­nant sen­ti­ment d’impunité. Et avec lui, aucune relâche, nous avons droit tous les jours à un épi­sode des­ti­né à nour­rir notre stu­pé­fac­tion devant l’absence de limites du per­son­nage. Il y a eu l’épisode qui a sui­vi la vic­toire fran­çaise en Coupe du Monde de foot­ball, occa­sion à laquelle Emma­nuel Macron a été inca­pable de se maî­tri­ser, en a fait des tonnes de façon gênante, avant de signi­fier son égoïsme mépri­sant avec la confis­ca­tion de la des­cente du bus sur les Champs-Ély­sées. « Moi d’abord, les autres ne sont rien. »

    Une sanction ridicule

    Il y a main­te­nant l’incroyable affaire qui concerne une espèce de « garde-du-corps-porte-flingue-conseiller » à l’Élysée auprès du chef et dont on apprend qu’il joue les ner­vis en allant cas­ser du pas­sant dans les rues de Paris. Une vidéo nous montre Mon­sieur Alexandre Benal­la pro­fi­tant d’un temps libre pour revê­tir les signes liés à la fonc­tion de poli­cier et pas­ser à tabac les gens qu’il soup­çonne d’être des oppo­sants à son patron. Au plan juri­dique, judi­ciaire et admi­nis­tra­tif, cette affaire est d’une gra­vi­té excep­tion­nelle. Elle s’est dérou­lée il y a plus de deux mois et demi et jusqu’à pré­sent, la seule consé­quence avait été une mise à pied de 15 jours de l’apprenti milicien !

    Ce simple petit expo­sé suf­fit à pro­vo­quer une forme de sidé­ra­tion à la fois devant le com­por­te­ment du « col­la­bo­ra­teur », mais aus­si devant celle de son patron admi­nis­tra­tif, le Secré­taire géné­ral de l’Élysée qui a pris cette sanc­tion abso­lu­ment ridi­cule. Et s’est sur­tout bien gar­dé d’accomplir les actes que lui impose l’article 40 du code de pro­cé­dure pénale, c’est-à-dire de trans­mettre au pro­cu­reur de Paris les infor­ma­tions dont il dis­po­sait. C’est presque pour moi la par­tie la plus impor­tante du scan­dale en ce qu’elle carac­té­rise l’incroyable et arro­gant sen­ti­ment d’impunité de la petite caste qui entoure le chef de l’État.

    Quand Benalla se déguise

    Parce qu’à la vision de la vidéo, la com­mis­sion d’un cer­tain nombre d’infractions, semble-t-il, très graves saute aux yeux. Il appa­raît tout d’abord que Mon­sieur Benal­la a revê­tu et por­té des insignes (casque et bras­sard) ten­dant à le faire pas­ser pour un poli­cier dans l’exercice de ses fonc­tions. Pre­mier délit pré­vu et répri­mé par l’article 433–5 du Code Pénal.Impa­rable.

    Ensuite, le même Mon­sieur Benal­la, affu­blé de son dégui­se­ment, a exer­cé des vio­lences contre des per­sonnes visant à les faire pas­ser pour des inter­ven­tions des forces de l’ordre elles-mêmes. Il a donc lour­de­ment vio­lé les articles 433–12 et 433–13 du Code Pénal qui inter­disent de s’immiscer dans une fonc­tion publique réser­vée à son titu­laire, et de le faire en intro­dui­sant une confu­sion dans l’esprit du public, et notam­ment par le port de cet uni­forme. Cela s’appelle en bon fran­çais une « usur­pa­tion de fonc­tions ». C’est une infrac­tion très grave.

    Il suf­fit par ailleurs de regar­der la vidéo pour consta­ter que l’énergique col­la­bo­ra­teur du pré­sident a exer­cé des vio­lences illé­gi­times sur la per­sonne de ces deux pas­sants. Dont il semble bien qu’ils ne par­ti­ci­paient même pas à la petite mani­fes­ta­tion sur cette place de la Contre­scarpe. Appli­ca­tion de l’article 222–13 du Code Pénal, le « poli­cier » de cir­cons­tance a, semble-t-il, bien com­mis les coups et bles­sures volon­taires inter­dits par la loi. Le pal­ma­rès de notre para­mi­li­taire 2.0 com­mence à sérieu­se­ment s’étoffer. Mais ce n’est pas fini.

    L’auteur de la vidéo semble dire qu’Alexandre Benal­la l’aurait mena­cé s’il s’avisait de la dif­fu­ser. De façon à la fois rete­nue et nuan­cée, il lui aurait lan­cé : « Si tu la dif­fuses, je te crame ! » Bien, bien, bien, com­ment inter­pré­ter cette menace ? Celui qui l’a lan­cé a fait la démons­tra­tion que la vio­lence phy­sique ne lui fai­sait pas peur et qu’il en avait même un cer­tain goût. C’est que la loi fait une dis­tinc­tion entre les menaces de vio­lence et les menaces de mort. Le tarif du Code pénal pour les menaces de mort, c’est plus cher. Alors « cramer » ?

    Et la justice dans tout ça ?

    Cha­cun ici connaît mon atta­che­ment au prin­cipe de la pré­somp­tion d’innocence. Alexandre Benal­la y a droit, comme tout le monde. Encore fau­drait-il que la jus­tice soit sai­sie. Et c’est là que se pose à mon avis le pro­blème le plus grave dans ce qui vient de se pro­duire. L’inertie dont a fait preuve le Secré­ta­riat géné­ral de l’Élysée à cette occa­sion consti­tue le cœur du scan­dale. Qu’Emmanuel Macron ait besoin d’un garde du corps n’est pas anor­mal, même si la qua­li­té du recru­te­ment ren­voie à la légè­re­té du chef de l’État. Mais que l’administration ayant connais­sance des faits et de leur extrême gra­vi­té ait jugé pou­voir s’en tirer, avec cette sanc­tion admi­nis­tra­tive, carac­té­rise un mépris de la loi et des règles inac­cep­table de la part de fonc­tion­naires de ce niveau.

    Car, en effet, au-delà du carac­tère ridi­cule de ladite sanc­tion admi­nis­tra­tive, il y avait l’obligation de trans­mettre au pro­cu­reur la connais­sance des faits de nature à consti­tuer les graves infrac­tions pénales que j’ai rele­vées. L’inobservation par un fonc­tion­naire de l’obligation qui lui incombe pré­vue par l’article 40 du Code de Pro­cé­dure pénale n’est pas assor­tie de sanc­tions pénales dans le texte. Pour une bonne rai­son c’est que c’est une obli­ga­tion admi­nis­tra­tive. Qui engage la res­pon­sa­bi­li­té pro­fes­sion­nelle du fonc­tion­naire et par consé­quent celui qui ne la res­pecte pas encourt une sanc­tion disciplinaire.

    Le Secré­taire géné­ral de l’Élysée n’a plus rien à faire à son poste. Nous sommes bien sûrs que le prince lui deman­de­ra d’y res­ter. Sen­ti­ment d’impunité quand tu nous tiens.

    Source : Vu du droit, Régis de Cas­tel­nau, 19-07-2018


    Source les​-crises​.fr : https://​www​.les​-crises​.fr/​m​a​c​r​o​n​-​u​n​e​-​e​r​r​e​u​r​-​d​e​-​c​a​s​t​i​n​g​-​p​a​r​-​r​e​g​i​s​-​d​e​-​c​a​s​t​e​l​n​au/

    Sources ori­gi­nales, « Vu du droit » :
    http://​www​.vudu​droit​.com/​2​0​1​8​/​0​7​/​m​a​c​r​o​n​-​e​r​r​e​u​r​-​d​e​-​c​a​s​t​i​ng/
    http://​www​.vudu​droit​.com/​2​0​1​8​/​0​7​/​m​a​c​r​o​n​g​a​t​e​-​p​e​t​i​t​-​r​o​i​-​m​e​p​r​i​s​-​d​r​o​it/
    http://​www​.vudu​droit​.com/​2​0​1​8​/​0​7​/​a​f​f​a​i​r​e​-​b​e​n​a​l​l​a​-​c​o​d​e​-​p​e​n​a​l​-​q​u​o​i​-​f​a​i​re/

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    https://​www​.face​book​.com/​e​t​i​e​n​n​e​.​c​h​o​u​a​r​d​/​p​o​s​t​s​/​1​0​1​5​6​4​6​8​2​0​7​6​4​7​317

    Réponse
  6. etienne

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