[Précieuse compilation scientifique contre le néolibéralisme et les voleurs de pouvoirs] « L’ENTRAIDE, L’AUTRE LOI DE LA JUNGLE », plus importante que la compétition !

29/12/2017 | 6 commentaires

Chers amis,

Voi­ci d’ex­cel­lentes nou­velles regrou­pées en un seul livre, impor­tantes et déci­sives : depuis quelques années, des scien­ti­fiques du monde entier sont en train de PROUVER que LA loi de la jungle, celle qui compte le plus, par­tout dans le monde vivant, y com­pris chez les hommes évi­dem­ment, la loi déci­sive qui per­met de sur­vivre, en fait, ce n’est pas la com­pé­ti­tion, c’est l’entraide !

Depuis des années, je vous parle de Dar­win et de Kro­pot­kine (un prince russe deve­nu anar­chiste qui a, lui aus­si, écrit un livre pas­sion­nant inti­tu­lé L’En­traide), mais là, c’est tout un archi­pel de scien­ti­fiques très modernes qui apportent d’a­bord 1) un fon­de­ment scien­ti­fique solide à ce que pré­tendent les démo­crates (les humains ne demandent qu’à s’en­trai­der quand l’en­vi­ron­ne­ment s’y prête), et sur­tout 2) un argu­ment majeur pour dis­cré­di­ter les couillon­nades des pré­ten­dus « éco­no­mistes » (qui nous voient tous comme des êtres égoïstes mus par leur seul inté­rêt, et qui nous imposent, sur ce fon­de­ment extra­va­gant, des poli­tiques publiques scan­da­leu­se­ment antisociales).

Je suis en train de dévo­rer un livre pas­sion­nant, inti­tu­lé L’en­traide, l’autre loi de la jungle, de Pablo Ser­vigne et Gau­thier Cha­pelle, et il me semble que tous les humains sou­cieux de jus­tice et de paix devraient lire ce for­mi­dable tra­vail de com­pi­la­tion scien­ti­fique, le crayon à la main. Ce livre nous offre une véri­table armu­re­rie intel­lec­tuelle, éco­no­mique et poli­tique, contre les néo­li­bé­raux et contre les voleurs de pouvoirs.

http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-L_Entraide-9791020904409–1‑1–0‑1.html

Pour com­men­cer, Pablo Ser­vigne pré­sente ici son pré­cieux bou­quin en quelques minutes :

Je repro­duis aus­si ci-des­sous la pré­face et l’in­tro­duc­tion, alléchantes :

Pré­face d’A­lain Caillé :

Quel beau sym­bole, au fond ! Deux bio­lo­gistes de for­ma­tion demandent à un socio­logue de pré­fa­cer leur excellent livre. Qui ne parle que très peu de socio­lo­gie, à moins qu’il ne parle que de ça. Tout dépend, évi­dem­ment, de ce qu’on entend par socio­lo­gie. Et aus­si par bio­lo­gie, et, au-delà, par science éco­no­mique, phi­lo­so­phie, etc. On l’au­ra com­pris : en met­tant au jour une « autre loi de la jungle », pas celle du struggle for life ou de la loi du plus fort, mais aus­si ou plus puis­sante qu’elle, la loi de la coopé­ra­tion et de l’en­traide, Pablo Ser­vigne et Gau­thier Cha­pelle bous­culent bien des fron­tières ins­ti­tuées entre les dis­ci­plines scien­ti­fiques — des fron­tières trop sou­vent héris­sées de bar­ri­cades et de bar­be­lés. Et ils ouvrent la pers­pec­tive de démarches de pen­sée géné­ra­listes et syn­thé­tiques qu’on avait trop tôt décla­rées impos­sibles, voire indé­si­rables. L’am­bi­tion est grande. Il ne s’a­git de rien moins que de « com­prendre la nature coopé­ra­tive de l’être humain dans le sillage de celle des autres orga­nismes vivants ». Sur ce sujet, écrivent nos auteurs, « pen­dant des années les résul­tats, les hypo­thèses et les théo­ries de chaque dis­ci­pline sont res­tés contra­dic­toires. Aucun tableau glo­bal n’é­mer­geait, il y avait trop de fos­sés entre les dis­ci­plines, et cha­cune tra­vaillait en igno­rant les autres. Ce n’est que très récem­ment que des pro­grès ful­gu­rants ont per­mis de pro­po­ser une struc­ture glo­bale de cette « autre loi de la jungle » ». C’est de ces « pro­grès ful­gu­rants » qu’ils nous font part.

Avant de ten­ter de pré­ci­ser en quelques mots en quoi ces pro­grès nous importent, je vou­drais sou­li­gner la flui­di­té et la maes­tria péda­go­gique avec les­quelles nos auteurs nous font entrer dans un uni­vers infi­ni­ment com­plexe qu’ils rendent aisé­ment acces­sible. Par­mi bien d’autres exemples, on peut évo­quer le pas­sage où ils nous expliquent la for­ma­tion d’un récif coral­lien à la manière d’une recette de cui­sine (p. 260–261).

Pour ceux qui, comme moi, ne sont pas par­ti­cu­liè­re­ment pas­sion­nés par les virus, bac­té­ries, archées, cya­no­bac­té­ries ou autres bac­té­ries dino­fla­gel­lées, on pour­rait résu­mer le tout par cette belle for­mule de Vic­tor Hugo, pla­cée en exergue du livre : « Rien n’est soli­taire, tout est soli­daire. » Des virus et des bac­té­ries aux socié­tés humaines les plus vastes et les plus com­plexes, L’En­traide — dont le titre est emprun­té au prince anar­chiste Kro­pot­kine et lui rend hom­mage — décrit à toutes les échelles du vivant, indé­fi­ni­ment emboî­tées les unes dans les autres, tous les entre­croi­se­ments pos­sibles de lutte et de riva­li­té, d’une part, de coopé­ra­tion, d’en­traide et de réci­pro­ci­té (directe, indi­recte ou ren­for­cée), de l’autre, que ce soit entre des orga­nismes d’une même espèce ou d’es­pèces dif­fé­rentes. Selon que c’est la coopé­ra­tion ou la lutte qui pré­do­mine, on obtient une des six formes de rela­tion sui­vantes : sym­biose (ou mutua­lisme), coexis­tence, com­men­sa­lisme, amen­sa­lisme, pré­da­tion (para­si­tisme) ou compétition.

De cette vaste syn­thèse, la leçon essen­tielle qui se dégage, à l’in­verse de tous les dar­wi­nismes pri­maires (que ne par­ta­geait nul­le­ment Dar­win lui-même…), est que, en matière d’é­vo­lu­tion, la clé du suc­cès n’est pas la lutte pour la vie, mais bien plu­tôt l’en­traide. Ou, pour le dire plus pré­ci­sé­ment, selon la for­mu­la­tion de deux bio­lo­gistes théo­ri­ciens de l’é­vo­lu­tion, David S. et Edward O. Wil­son (eh oui ! Edward Wil­son, l’in­ven­teur de la socio­bio­lo­gie, dont on consta­te­ra qu’il a radi­ca­le­ment inver­sé son pro­pos ini­tial, au grand dam de ses adeptes et dis­ciples) : « L’é­goïsme sup­plante l’al­truisme au sein des groupes. Les groupes altruistes sup­plantent les groupes égoïstes. Tout le reste n’est que com­men­taire. » Ou encore : dans l’ordre du vivant, des socié­tés bac­té­riennes aux socié­tés humaines, la coopé­ra­tion est hié­rar­chi­que­ment supé­rieure à la compétition.

Cette décou­verte, ici minu­tieu­se­ment argu­men­tée et docu­men­tée, consti­tue un apport essen­tiel, tant au plan théo­rique qu’é­thique et poli­tique — deux plans d’ailleurs tou­jours étroi­te­ment imbri­qués. Où en sommes-nous, en effet ? En science sociale — en éco­no­mie, bien sûr, mais aus­si en socio­lo­gie et en phi­lo­so­phie morale et poli­tique —, le dogme domi­nant depuis les années 1970–1980 est que, dans la vie sociale, tout — actions, normes, ins­ti­tu­tions, croyances, etc. — s’ex­plique par le jeu des inté­rêts en conflit, conscient ou incons­cient. C’est la même croyance qui a domi­né en bio­lo­gie, avec la socio­bio­lo­gie pre­mière manière et avec la théo­rie du gène égoïste. C’est ce que j’ap­pelle l’axio­ma­tique de l’in­té­rêt, ou encore l’u­ti­li­ta­risme1.

Cette croyance hégé­mo­nique est au cœur du néo­li­bé­ra­lisme. Elle s’est éta­blie avant même que ne com­mence à triom­pher à l’é­chelle pla­né­taire un capi­ta­lisme ren­tier et spé­cu­la­tif, et elle a per­mis son essor. L’un, en effet, ne va pas sans l’autre. Pour pou­voir affir­mer que la seule forme de coor­di­na­tion effi­cace, et donc sou­hai­table, entre les humains est le Mar­ché, il faut se convaincre et convaincre le plus grand nombre que nous ne sommes que des Homo œco­no­mi­cus, « mutuel­le­ment indif­fé­rents », comme le disait par exemple le phi­lo­sophe star de la fin du XXe siècle, John Rawls. Après, le pas est facile à fran­chir : si la seule chose qui nous anime est notre inté­rêt per­son­nel, et si la forme pre­mière ou ultime de celui-ci est l’ap­pât du gain moné­taire, alors libre à cha­cun de cher­cher à s’en­ri­chir par tous les moyens pos­sibles, le plus rapi­de­ment pos­sible. Plus aucune digue ne doit venir conte­nir l’ex­pan­sion conti­nue des mar­chés spé­cu­la­tifs, fut-ce au risque de la mon­tée inexo­rable de la cor­rup­tion, voire de la criminalité.

Après les livres de Mat­thieu Ricard ou de Jacques Lecomte, qui avaient ouvert une pre­mière brèche, L’Entraide vient à point pour nous aider à décons­truire cette croyance hégé­mo­nique. Dans le champ des sciences sociales, nous étions un peu seuls, au MAUSS2, à nous y oppo­ser depuis une tren­taine d’an­nées, et à plai­der pour une science sociale géné­ra­liste qui ne repo­se­rait pas sur l’axio­ma­tique uti­li­ta­riste de l’in­té­rêt, mais pren­drait au contraire comme point de départ la décou­verte de l’an­thro­po­logue Mar­cel Mauss dans son célèbre Essai sur le don (1924) : celle que, au cœur du rap­port social, on trouve non pas le mar­ché, le contrat ou le don­nant-don­nant, mais ce qu’il appelle la triple obli­ga­tion de don­ner, rece­voir et rendre. Ou, si l’on pré­fère, la loi de la réci­pro­ci­té. Quelle avan­cée que de décou­vrir avec P. Ser­vigne et G. Cha­pelle que, muta­tis mutan­dis, cette loi ne concerne pas seule­ment le monde humain, mais l’en­semble du vivant ! Tout ce qu’ils nous exposent est par­fai­te­ment congruent avec le « para­digme du don » éla­bo­ré peu à peu dans le cadre de La Revue du MAUSS.

Il n’est pas dif­fi­cile d’en déduire les impli­ca­tions éthiques et poli­tiques. Rien n’est plus urgent désor­mais que de com­battre la déme­sure, l’hu­bris, la soif de toute-puis­sance qu’a­li­mente le néo­li­bé­ra­lisme et qui conduit l’hu­ma­ni­té à sa perte. Jus­qu’i­ci, une des prin­ci­pales rai­sons de notre inca­pa­ci­té à sor­tir du néo­li­bé­ra­lisme pla­né­taire a été un cer­tain défi­cit de res­sources théo­riques. Mais c’est aus­si le manque d’une phi­lo­so­phie poli­tique, lar­go sen­su, qui nous per­mette d’al­ler au-delà des grandes idéo­lo­gies de la moder­ni­té — libé­ra­lisme, socia­lisme, anar­chisme ou com­mu­nisme. C’est cette éla­bo­ra­tion doc­tri­nale qu’a­morcent les auteurs mon­dia­le­ment connus qui se recon­naissent sous la ban­nière du convi­via­lisme3. P. Ser­vigne (qui compte par­mi eux) et G. Cha­pelle y contri­buent de manière déci­sive. Un bel exemple d’entraide.

Alain Caillé

____________________
Notes de la préface :

  1. Qui consti­tue la matrice de l’é­co­no­misme, c’est-à-dire de la croyance que seule l’é­co­no­mie importe. Depuis les années 2000, en science sociale, la mode a tour­né à un décons­truc­tion­nisme géné­ra­li­sé. Il s’a­git de mon­trer que toutes les normes ou ins­ti­tu­tions exis­tantes ont été construites his­to­ri­que­ment, qu’elles n’ont donc aucune natu­ra­li­té, mais se révèlent au contraire arbi­traires. D’où il est ten­tant de conclure qu’on pour­rait, voire qu’on devrait, les décons­truire. Il ne serait pas dif­fi­cile de prou­ver que cette pos­ture théo­rique repré­sente l’a­va­tar ultime d’un éco­no­misme généralisé.
  2. Cf. www​.revue​du​mauss​.com et www​.jour​nal​du​mauss​.net.
  3. Cf. www​.les​con​vi​via​listes​.org. Le Mani­feste convi­via­liste (consul­table et télé­char­geable sur le site), signé par soixante-quatre auteurs alter­na­tifs et enga­gés, bien­tôt rejoints par des dizaines d’autres à tra­vers le monde, a été publié en 2013 aux édi­tions Le Bord de l’eau. Il a été tra­duit, en abré­gé ou in exten­so, dans une bonne dizaine de langues (dont le japo­nais, le chi­nois, le turc ou l’hé­breu). Son pre­mier mérite est d’énon­cer des valeurs com­munes, uni­ver­sa­li­sables, sur les­quelles ont pu se mettre d’ac­cord des intel­lec­tuels ins­crits dans des hori­zons idéo­lo­giques très divers, allant de la gauche de gauche au centre-gauche, ou droit, voire un peu au-delà à droite quant aux sym­pa­thies. Conver­gence essen­tielle, car on ne sor­ti­ra de l’hé­gé­mo­nie du néo­li­bé­ra­lisme que grâce à un large consen­sus mon­dial. Une des thèses cen­trales du Mani­feste (ins­pi­rée de Mar­cel Mauss) est que le pro­blème poli­tique pre­mier est de per­mettre aux humains de « coopé­rer en s’op­po­sant sans se mas­sa­crer ». En lisant Ser­vigne et Cha­pelle, on découvre que c’est très exac­te­ment le pro­blème auquel le vivant en géné­ral a trou­vé une réponse.

INTRODUCTION

L’âge de l’entraide

Connais­sez-vous cette his­toire ? C’est un mythe des années 1980, mais on dit qu’il vient d’une époque bien plus loin­taine. Il était une fois la vie, une arène impi­toyable où des mil­lions de gla­dia­teurs se bat­taient et s’en­tre­tuaient. Pas de cadeaux, pas de quar­tier, pas de pitié. L’a­gres­si­vi­té était deve­nue un atout essen­tiel, c’é­tait une ques­tion de sur­vie. Dans ce monde, l’in­tel­li­gence — par­don, la ruse — ser­vait à pas­ser devant les autres, ou, mieux, à les enfon­cer. Il fal­lait sur­veiller ses arrières. « Que le meilleur gagne ! » enten­dait-on à l’en­vi. Le grand man­geait le petit, le plus rapide man­geait le plus lent, le plus fort man­geait le plus faible. C’é­tait comme ça depuis la nuit des temps, disaient les sages. Si vous ne fai­siez pas par­tie des gagnants, c’é­tait pas de chance. D’ailleurs, c’é­tait sûre­ment un peu de votre faute… « Bon sang ! Rele­vez-vous, bat­tez-vous ! Gagner ! Réus­sir ! Vous ne com­pre­nez donc pas ? »

Ce mythe a la vie dure. On dit qu’il se raconte encore de nos jours, un peu par­tout dans le monde. Entre employés pour grim­per dans la hié­rar­chie des orga­ni­sa­tions, ou entre ces der­nières pour conqué­rir des parts de mar­ché. On raconte que, au plus haut niveau de l’É­tat, c’est l’ob­ses­sion de la com­pé­ti­ti­vi­té, ou la bataille pour la conquête du pou­voir. Ailleurs, c’est la lutte entre les équipes de foot, les can­di­dats aux grandes écoles, les deman­deurs d’emploi…

Bien enten­du, ce ne sont pas de vraies guerres ; elles sont simu­lées, cathar­tiques, par­fois théâ­trales. Il paraît qu’elles cana­lisent les pul­sions humaines pour nous empê­cher de som­brer. Mais empêchent-elles les vrais affron­te­ments, délits, crimes, conflits armés, guerres des classes, guerres des peuples ou guerres contre le vivant ?

La loi de la jungle

Si vous obser­vez les êtres vivants (les « autres qu’­hu­mains ») à tra­vers ce filtre, celui de la com­pé­ti­tion, le tableau vous sau­te­ra aux yeux : le lion mange l’an­ti­lope, les chim­pan­zés s’en­tre­tuent, les jeunes arbres jouent des coudes pour l’ac­cès à la lumière, les cham­pi­gnons et les microbes ne se font pas de cadeaux. Le mythe se déploie à la lumière de cet uni­vers impi­toyable. L’é­tat de nature est syno­nyme de chaos, de lutte, de pillage et de vio­lence. C’est la loi de la jungle, la « loi du plus fort », la « guerre de tous contre tous », selon l’ex­pres­sion d’un des pères du libé­ra­lisme, le phi­lo­sophe Tho­mas Hobbes.

Les mythes donnent une cou­leur au monde. Et une idée répé­tée mille fois finit par deve­nir vraie. Faites l’ex­pé­rience autour de vous : dites que l’être humain est natu­rel­le­ment altruiste, et l’on vous pren­dra pro­ba­ble­ment pour un naïf ou un idéa­liste. Dites qu’il est natu­rel­le­ment égoïste, et vous aurez les faveurs des « réalistes ».

Depuis le siècle der­nier, la culture occi­den­tale, moderne et uti­li­ta­riste, est effec­ti­ve­ment deve­nue hyper­tro­phiée en com­pé­ti­tion, délais­sant sa par­tie géné­reuse, altruiste et bien­veillante, pas­sa­ble­ment atro­phiée. L’en­traide ? Mais qui y croit encore ? Par­fois elle resur­git mira­cu­leu­se­ment, à la faveur d’un fait divers excep­tion­nel rela­té au 20 Heures ou dans une vidéo ani­ma­lière sur Inter­net vision­née des mil­lions de fois. Fascinant !

Soyons sin­cère : qui n’a jamais res­sen­ti cette pro­fonde joie d’ai­der un proche ou de se voir tendre la main ? Et que se passe-t-il quand une région est sinis­trée par une inon­da­tion ? Y a‑t-il plus de pillages que d’actes de soli­da­ri­té ? À l’é­vi­dence, non ! Les voi­sins se serrent les coudes, d’autres accourent des alen­tours et prennent des risques insen­sés pour sau­ver ceux qui doivent l’être. Des incon­nus, à des cen­taines ou des mil­liers de kilo­mètres de là, s’or­ga­nisent et envoient de l’argent. Plus lar­ge­ment, la sécu­ri­té sociale, la redis­tri­bu­tion des richesses, l’aide huma­ni­taire, l’é­cole ou encore les coopé­ra­tives ne sont-elles pas d’in­croyables ins­ti­tu­tions d’en­traide ? Pour­quoi cela nous est-il deve­nu si invisible ?

Un exa­men atten­tif de l’é­ven­tail du vivant — des bac­té­ries aux socié­tés humaines en pas­sant par les plantes et les ani­maux — révèle que l’en­traide est non seule­ment par­tout, mais pré­sente depuis la nuit des temps. C’est simple : tous les êtres vivants sont impli­qués dans des rela­tions d’en­traide. Tous. L’en­traide n’est pas un simple fait divers, c’est un prin­cipe du vivant. C’est même un méca­nisme de l’é­vo­lu­tion du vivant : les orga­nismes qui sur­vivent le mieux aux condi­tions dif­fi­ciles ne sont pas les plus forts, ce sont ceux qui arrivent à coopérer.

En réa­li­té, dans la jungle, il règne un par­fum d’en­traide que nous ne per­ce­vons plus. Ce livre sera une ten­ta­tive de grande et pro­fonde inspiration.

Hémi­plé­giques à en mourir

L’a­gres­si­vi­té et la com­pé­ti­tion existent dans le monde vivant : il ne s’a­git pas de le nier. C’est par exemple la com­pé­ti­tion qui per­met d’é­vi­ter que des bac­té­ries patho­gènes n’en­va­hissent l’é­co­sys­tème micro­bien de notre bouche. Elle aus­si qui per­met aux félins de conser­ver leur ter­ri­toire, ou encore à cer­tains humains de sti­mu­ler leur goût de l’ef­fort, voire leur esprit d’é­quipe. Le sport tel que nous le pra­ti­quons est une façon ritua­li­sée de cana­li­ser la com­pé­ti­tion. Cette der­nière nous force à nous dépas­ser, et, pour cer­tains, à « don­ner le meilleur d’eux-mêmes ».

Mais la com­pé­ti­tion a aus­si de sérieux incon­vé­nients. Elle est épui­sante. La plu­part des ani­maux et des plantes l’ont bien com­pris : ils la mini­misent et évitent au maxi­mum les com­por­te­ments d’a­gres­sion, car ils ont trop à perdre. C’est trop ris­qué, trop fati­gant. Pour un indi­vi­du bien équi­pé, bien entraî­né et psy­cho­lo­gi­que­ment au meilleur de sa forme, la com­pé­ti­tion est un défi qui per­met de pro­gres­ser grâce à un effort puis­sant (et le plus court pos­sible). Mais, pour les autres, ceux qui ne sont pas prêts, ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas entrer dans l’a­rène, ou ceux qui y sont depuis trop long­temps, cet effort est une source infi­nie de stress.

De plus, la com­pé­ti­tion sépare ; elle fait res­sor­tir les dif­fé­rences. Les com­pé­ti­teurs foca­lisent leur atten­tion sur ce petit « del­ta », ce petit quelque chose qui les dif­fé­ren­cie de leurs concur­rents et qu’il faut gar­der secret, car il leur per­met­tra de gagner la course. Ne dit-on pas : « J’ai fait la dif­fé­rence » ? La com­pé­ti­tion ne favo­rise pas le lien, elle pousse à tri­cher, détourne du bien com­mun. En effet, pour­quoi inves­tir dans le com­mun si cela peut favo­ri­ser les concurrents ?

Au fond, qu’est-ce que « gagner » ? Se retrou­ver sur la pre­mière marche du podium… dra­ma­ti­que­ment seul ? Atti­rer le regard des autres par des pas­sions tristes comme l’en­vie, la jalou­sie ou même le res­sen­ti­ment ? Contri­buer à créer une pla­nète qui compte 99 % de « per­dants » ?

En pous­sant le culte de la com­pé­ti­tion à son extrême, et en l’ins­ti­tu­tion­na­li­sant, notre socié­té n’a pas seule­ment engen­dré un monde violent, elle a sur­tout ôté une grande par­tie de son sens à la vie. La com­pé­ti­tion sans limite est une invi­ta­tion — voire une obli­ga­tion — à une course à l’in­fi­ni. Le déli­te­ment des liens entre humains et des liens avec le vivant a créé un grand vide, un immense besoin de conso­la­tion, que nous ten­tons de com­bler en per­ma­nence par l’ac­cu­mu­la­tion fré­né­tique d’ob­jets, de tro­phées, de conquêtes sexuelles, de drogues ou de nour­ri­ture. La déme­sure, que les Grecs appe­laient l’hu­bris, devient alors la seule manière d’être au monde.

Com­pé­ti­tion, expan­sion infi­nie et décon­nexion du monde vivant sont trois mythes fon­da­teurs de notre socié­té depuis déjà plu­sieurs siècles. Leur méca­nique s’est révé­lée extrê­me­ment toxique : de la même manière qu’une cel­lule en expan­sion per­pé­tuelle finit par détruire l’or­ga­nisme dont elle fait par­tie, un orga­nisme qui détruit l’en­vi­ron­ne­ment dans lequel il vit et empoi­sonne ses voi­sins finit par mou­rir seul dans un désert.

Nous avons mal­heu­reu­se­ment dépas­sé l’é­tape du simple aver­tis­se­ment. C’est là notre réa­li­té. Notre rap­port au monde a pro­vo­qué des bas­cu­le­ments irré­ver­sibles : cer­tains sys­tèmes natu­rels qui consti­tuent la bio­sphère ont été gra­ve­ment désta­bi­li­sés, au point de mena­cer sérieu­se­ment les condi­tions de sur­vie de nom­breuses espèces sur terre, y com­pris la nôtre. Et c’est sans comp­ter sur la fin immi­nente de l’ère des éner­gies fos­siles, l’é­pui­se­ment des res­sources miné­rales, les pol­lu­tions géné­ra­li­sées, l’ex­trême fra­gi­li­té de notre sys­tème éco­no­mique et finan­cier ou la crois­sance des inéga­li­tés entre pays et du nombre de réfu­giés. Nous avons là une situa­tion qui res­semble à un immense jeu de domi­nos instable, c’est-à-dire aux pré­mices d’un effon­dre­ment de civi­li­sa­tion1.

Le bilan des pos­sibles formes que pour­rait prendre cet enchaî­ne­ment de catas­trophes est appe­lé la col­lap­so­lo­gie2 une dis­ci­pline qui, au-delà de sa fonc­tion d’in­for­ma­tion, per­met de mettre en lien dif­fé­rents milieux et dif­fé­rentes sen­si­bi­li­tés : éco­lo­gistes, sur­vi­va­listes, uni­ver­si­taires, mili­taires, ingé­nieurs, pay­sans, acti­vistes, artistes, poli­ti­ciens, etc. Au cours de nos ren­contres avec tous ces acteurs pré­oc­cu­pés par la situa­tion, nous avons été frap­pés de consta­ter à quel point la ques­tion de l’en­traide était récur­rente et urgente. Fré­quentes étaient les ques­tions et les réac­tions telles que : « Com­ment faire pour que tout cela ne dégé­nère pas ? », « Nous allons tout droit vers un scé­na­rio à la Mad Max,.. Il fau­drait faire res­sor­tir le meilleur de l’être humain pour l’é­vi­ter ! », « Nous sommes égoïstes, les gens vont s’entretuer ! »

Si le cli­mat éco­no­mique, poli­tique et social se dégrade rapi­de­ment, notre ima­gi­naire, lui, gavé de cette mono­cul­ture de la com­pé­ti­tion, pro­dui­ra tou­jours la même his­toire : la guerre de tous contre tous et l’a­gres­si­vi­té pré­ven­tive. Par une pro­phé­tie auto-réa­li­sa­trice, les « croyants » se pré­pa­re­ront à la vio­lence dans un cli­mat de peur et crée­ront les condi­tions par­faites pour que naissent de vraies ten­sions. Alors qu’un autre scé­na­rio, celui de la coopé­ra­tion, pour­rait tout aus­si bien émer­ger… si tant est que nous l’in­cluions dans le champ des possibles !

Ce livre est né de l’i­dée d’ex­plo­rer les condi­tions d’é­mer­gence des com­por­te­ments d’en­traide. À l’é­tin­celle de départ — une curio­si­té scien­ti­fique qui date de plus de dix ans — s’est récem­ment ajou­té un élan pour contac­ter une autre mytho­lo­gie, enri­chir un autre ima­gi­naire, racon­ter de belles his­toires bien enra­ci­nées dans révo­lu­tion du vivant, avec le sou­ci de mini­mi­ser les dégâts de cette spi­rale d’au­to­des­truc­tion et de vio­lence, et, pour­quoi pas, de contri­buer à favo­ri­ser une spi­rale vertueuse.

L’émergence d’une autre loi de la jungle

Nous ne sommes ni les seuls ni les pre­miers à pen­ser l’en­traide. Ces der­nières années, les articles scien­ti­fiques sur ce sujet se sont enchaî­nés à un rythme effré­né. Mais ils res­tent mal­heu­reu­se­ment rela­ti­ve­ment inac­ces­sibles au grand public et rares dans les cur­sus sco­laires. Il en va de même pour la longue filia­tion intel­lec­tuelle phi­lo­so­phique et reli­gieuse qui remonte à l’An­ti­qui­té et prend une dimen­sion véri­ta­ble­ment scien­ti­fique au XIXe siècle sous la plume, entre autres, du natu­ra­liste Charles Dar­win, du socio­logue Alfred Vic­tor Espi­nas, du géo­graphe Pierre Kro­pot­kine ou encore de l’an­thro­po­logue Mar­cel Mauss.

Qu’on ne s’y trompe pas : les héri­tiers de ces idées « naïves » sont nom­breux. On pense au mou­ve­ment du MAUSS3, lan­cé en 1981 par Alain Caillé et qui aujourd’­hui regroupe un grand panel d’in­tel­lec­tuels sous la ban­nière (très sti­mu­lante !) du convi­via­lisme4. On pense aus­si au tour d’ho­ri­zon natu­ra­liste de Jean-Marie Pelt (La Soli­da­ri­té chez les plantes, les ani­maux, les humains, 2004), ain­si qu’aux monu­men­tales syn­thèses de Jacques Lecomte (La Bon­té humaine, 2012), de Mat­thieu Ricard (Plai­doyer pour l’al­truisme, 2013) et de Pierre Dar­dot et Chris­tian Laval (Com­muns, 2014). Phi­lo­sophes, mana­gers, éco­logues, éco­no­mistes, anthro­po­logues ou socio­logues se démènent pour remettre sur le devant de la scène des notions aus­si démo­dées et rin­gardes que l’al­truisme5, la bon­té6, la gen­tillesse7, l’as­so­cia­tion8, l’é­ga­li­té9, les com­muns10, l’empathie11 ou la soli­da­ri­té12.

La force de cette culture renais­sante et émer­gente est de ne pas se conten­ter de res­ter dans les biblio­thèques. Elle sort dans la rue, trans­forme le monde grâce à de nou­veaux modes de consom­ma­tion, de tra­vail, de construc­tion, d’ap­pren­tis­sage,   de   com­mu­ni­ca­tion,   de  ges­tion13  ou de pro­duc­tion14. L’é­mer­gence d’une culture des biens com­muns, du peer-to-peer et de la col­la­bo­ra­tion prend une dimen­sion mon­diale et touche tous les sec­teurs. Il est trop tard pour l’arrêter.

Au siècle der­nier, notre monde est deve­nu extrê­me­ment per­for­mant en matière de méca­nismes de com­pé­ti­tion. Il est grand temps de deve­nir tout aus­si com­pé­tents en matière de coopé­ra­tion, de bien­veillance et d’al­truisme. L’autre objec­tif de ce livre est d’ap­por­ter une pierre à cet édi­fice, de par­ti­ci­per à la struc­tu­ra­tion de cette nou­velle culture. En pui­sant dans plu­sieurs dis­ci­plines, de l’é­tho­lo­gie à l’an­thro­po­lo­gie en pas­sant par l’é­co­no­mie, la psy­cho­lo­gie, la bio­lo­gie, la socio­lo­gie ou les neu­ros­ciences, nous pro­po­sons un tour d’ho­ri­zon des plus récentes décou­vertes sur cette ten­dance très puis­sante qu’ont les êtres vivants (et pas seule­ment les humains) à s’as­so­cier. L’i­dée d’in­clure le reste du monde vivant dans la syn­thèse était d’ar­ri­ver à déga­ger des prin­cipes géné­raux et une archi­tec­ture géné­rale de ce que l’on pour­rait désor­mais appe­ler « l’autre loi de la jungle ».

Le chan­tier du siècle

Notre sur­prise a été de consta­ter l’in­croyable diver­si­té des pro­ces­sus, des sen­ti­ments et des méca­nismes à l’œuvre depuis la nuit des temps. Mais com­ment nom­mer ce monde infi­ni­ment com­plexe, riche et colo­ré ? Com­ment nom­mer cette ten­dance qui décrit aus­si bien une asso­cia­tion entre bac­té­ries qu’une entente entre humains ou entre grands singes impli­quant des sen­ti­ments aus­si sub­tils que l’al­truisme, la bon­té, l’a­mi­tié, la gra­ti­tude, la récon­ci­lia­tion ou le sens de la jus­tice ? Nous avions besoin d’un terme qui inclue à la fois les actes et les inten­tions, mais aus­si tous les orga­nismes vivants et tous les processus.

Nous avons choi­si le terme d’entraide, conscients qu’il n’a pas la même défi­ni­tion pour tous, et qu’il peut par­fois impli­quer une touche d’an­thro­po­mor­phisme, sur­tout lors­qu’il s’a­git de décrire les com­por­te­ments d’êtres vivants qui ne nous res­semblent en rien. Mais ce mot a aujourd’­hui l’a­van­tage d’être à la fois bien accep­té par le lan­gage cou­rant et suf­fi­sam­ment oublié des sciences pour être à l’a­bri d’une défi­ni­tion trop étroite. C’est aus­si et sur­tout un clin d’œil au grand géo­graphe et anar­chiste Pierre Kro­pot­kine, l’un des pion­niers de cette aven­ture scien­ti­fique, qui écri­vit en 1902 une remar­quable syn­thèse dont le titre, Mutual Aid, fut tra­duit par son ami, le non moins géo­graphe et anar­chiste Éli­sée Reclus, par « entr’aide », mot qu’il offrit à la langue fran­çaise15.

Le sujet est évi­dem­ment colos­sal. Chaque cha­pitre de notre livre pour­rait faire l’ob­jet d’un trai­té de plu­sieurs tomes ! Le but n’é­tait pas d’en faire un tra­vail ency­clo­pé­dique, mais d’é­ta­blir des ponts entre les dis­ci­plines, en par­ti­cu­lier entre les sciences humaines et les sciences bio­lo­giques. Voir leur dis­ci­pline cro­quée à grands traits génère évi­dem­ment d’i­né­vi­tables frus­tra­tions chez les spé­cia­listes, et il en va de même pour nous, qui aurions aimé par­ta­ger encore plus d’ex­tra­or­di­naires détails des méca­nismes du vivant16.

Nous avons démar­ré ce chan­tier il y a une dou­zaine d’an­nées, avec autant d’en­thou­siasme que de naï­ve­té. Notre label « bio­lo­gique17 » ne nous avait pas pré­pa­rés à absor­ber les incroyables avan­cées des sciences humaines, ni les para­doxes qui émer­geaient de ce foi­son­ne­ment de décou­vertes18. Explo­rer tout cela a été une véri­table aven­ture qui n’a fait qu’at­ti­ser tou­jours davan­tage notre curio­si­té. Ce bilan est donc loin d’être défi­ni­tif, et il se révèle être au final une invi­ta­tion à conti­nuer l’exploration.

Ce livre n’est pas un trai­té de col­lap­so­lo­gie, ni une cri­tique de la socié­té de consom­ma­tion et du capi­ta­lisme, pas plus qu’une ency­clo­pé­die natu­ra­liste ou un trai­té phi­lo­so­phique. C’est une ten­ta­tive pour faire du lien entre tout cela et poser un jalon sur le che­min de notre génération.

Nous com­men­ce­rons notre voyage en tor­dant le cou au mythe d’une nature agres­sive où ne régne­rait qu’une seule loi. Puis nous décou­vri­rons au fil des cha­pitres les méca­nismes et les sub­ti­li­tés de l’en­traide humaine. Enfin, nous ter­mi­ne­rons en reve­nant à l’en­semble du monde vivant, ce qui nous per­met­tra d’ef­fleu­rer quelques grands prin­cipes de la vie sur terre.

Pablo Ser­vigne et Gau­thier Chapelle

______________________
Notes de l’introduction :

  1. Pour l’ins­tant, les pays indus­tria­li­sés sont rela­ti­ve­ment épar­gnés, mais uni­que­ment grâce à un fra­gile écran de tech­no­lo­gie… qui dépend de res­sources éner­gé­tiques et miné­rales de moins en moins accessibles.
  2. Ser­vigne et Ste­vens R. (2015).
  3. Mou­ve­ment anti-uti­li­ta­riste en sciences sociales. Voir ia pré­face de ce livre, ain­si que le site de La Revue du MAUSS, www​.revue​du​mauss​.com​.fr/.
  4. Mani­feste des convi­via­listes (2013) ; Alain Caillé (dir.) et les Convi­via-listes (2016); www​.les​con​vi​via​listes​.org.
  5. Kou­rils­ky (2009) ; Kou­rils­ky (2011) ; Ricard (2013) ; Ricard et Sin­ger (dir.) (2015).
  6. Lecomte (2012).
  7. Jaf­fe­lin (2015); Mar­tin (2014).
  8. Laville(2010).
  9. Wil­kin­son et Pickett (2013).
  10. Dar­dot et Laval (2014) ; Coriat (dir.) (2015).
  11. De Waal (2009) ; Rif­kin (2011).
  12. Pelt (2004) ; Supiot (dir.) (2015) ; Mathe­vet (2011).
  13. Mal­gré les pro­grès récents de cer­taines entre­prises, force est de consta­ter la conster­nante iner­tie de ce milieu. Gau­thier Cha­pelle a été conseiller en déve­lop­pe­ment durable (en bio­mi­mé­tisme) pen­dant dix ans pour les entre­prises. Il s’ef­for­çait de leur mon­trer que, en s’ins­pi­rant des rela­tions d’en­traide du monde vivant, leur orga­ni­sa­tion serait non seule­ment durable, mais bien plus effi­cace. Mal­heu­reu­se­ment, il s’est sou­vent ren­du compte que de nom­breuses entre­prises ne vou­laient pas prendre le risque de chan­ger leur struc­ture et leur rai­son d’être.
  14. Pour un tour d’ho­ri­zon, voir Novel (2013) ; Riot, Novel (2012) ; Filip-povaf­coord.) (2015). Sur les moyens de com­mu­ni­ca­tion, voir Rif­kin (2014); Bau­wens (2015). Sur les entre­prises, voir Laloux (2015); Lecomte (2016). Sur l’éner­gie, voir Rif­kin (2012).
  15. L’a­pos­trophe dis­pa­rut en 1931. À ce sujet, lire Enckell (2009).
  16. Nous n’a­vons mal­heu­reu­se­ment pu inclure dans ce tra­vail qu’en­vi­ron un tiers de notre biblio­gra­phie, et nous sommes conscients que celle-ci ne doit repré­sen­ter qu’une petite par­tie de ce qui est dis­po­nible sur le sujet…
  17. Nous sommes tous deux agro­nomes de for­ma­tion et spé­cia­listes de bio­lo­gie ani­male. Nous avons sur­tout le point com­mun d’é­prou­ver, depuis notre plus tendre enfance, un grand malaise à bai­gner dans ce mythe d’une nature cruelle, agres­sive et com­pé­ti­tive. Cela ne colle ni avec notre expé­rience, ni avec nos obser­va­tions, ni avec notre res­sen­ti. Même si notre sen­si­bi­li­té natu­ra­liste nous a vac­ci­nés contre une telle soupe idéo­lo­gique, il nous a tout de même fal­lu plus de vingt-cinq ans pour trans­for­mer cette intui­tion en cer­ti­tude, et quelques années de plus pour ins­crire cette der­nière dans une syn­thèse cohérente.
  18. Pen­dant des années, les résul­tats, les hypo­thèses et les théo­ries de chaque dis­ci­pline sont res­tés contra­dic­toires. Aucun tableau glo­bal n’é­mer­geait. Il y avait trop de fos­sés entre les dis­ci­plines, et cha­cune tra­vaillait en igno­rant les autres. Ce n’est que très récem­ment que des pro­grès ful­gu­rants ont per­mis de pro­po­ser une struc­ture glo­bale de cette « autre loi de la jungle ».

* * * * *

Source : « L’En­traide. L’autre loi de la jungle », livre de Gau­thier Cha­pelle et Pablo Ser­vigne, édi­tions Les Liens Qui Libèrent, 2017 http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-L_Entraide-9791020904409–1‑1–0‑1.html

Enfin, le som­maire montre bien que ce livre est d’une richesse inouïe pour tous les huma­nistes (concen­trez-vous, chaque ligne compte, ce bou­quin est un bijou) :

Table

Pré­face, par Alain Caillé

Intro­duc­tion. L’âge de l’entraide
La loi de la jungle
Hémi­plé­giques à en mourir
L’é­mer­gence d’une autre loi de la jungle
Le chan­tier du siècle

Cha­pitre 1. His­toire d’un oubli

Par­tout, tout le temps, et de toutes les couleurs
Entre sem­blables
Entre loin­tains cousins
Entre orga­nismes qui n’ont rien à voir
Nos plus loin­tains ancêtres, cham­pions de l’en­traide toutes caté­go­ries
Toutes les cou­leurs de la « symbiodiversité »
Nous sommes une inex­tri­cable pelote d’interdépendances
Remettre les pen­dules à l’heure

Pour­quoi la socié­té ne l’a pas vue — Une his­toire de mythes
Kro­pot­kine, le prince anar­chiste à contre-courant
Les oeillères de notre société

Pour­quoi la science ne l’a pas vue – Une his­toire de gènes
Avant les années 1970
Vie, mort et renais­sance de la socio­bio­lo­gie, 1970–2000
La renais­sance des années 2000

Cha­pitre 2. L’en­traide spontanée

Contrai­re­ment aux idées reçues
Où vit l’Homo oeco­no­mi­cus ?
Ce qui émerge en situa­tion de crise
Ce qui émerge du stress et de l’inconnu

Com­ment expli­quer ces automatismes ?
La fin des modèles simplistes
Un auto­ma­tisme malléable

Cha­pitre 3. Les méca­nismes du groupe

Le noyau dur de l’en­traide : la réciprocité
L’o­bli­ga­tion de rendre
Les racines de la réciprocité

Le pas­sage au groupe : la réci­pro­ci­té étendue
La répu­ta­tion (la réci­pro­ci­té indirecte)
Récom­penses et puni­tions (la réci­pro­ci­té renforcée)

Les très grands groupes : la réci­pro­ci­té invisible
Les normes sociales
Les ins­ti­tu­tions

Cha­pitre 4. L’es­prit du groupe

Un moment magique : quand le groupe fait corps
Le sen­ti­ment de sécurité
Le sen­ti­ment d’égalité
Le sen­ti­ment de confiance
La nais­sance d’un superorganisme

Vers des prin­cipes universels ?
Les « fon­da­men­taux », une mise en pratique
Les prin­cipes d’une bonne gouvernance

L’en­traide pous­sée à l’extrême
La dis­so­lu­tion du soi
L’ex­tase collective
La fer­me­ture du groupe

Un moment tra­gique : quand l’en­traide s’effondre

Cha­pitre 5. Au-delà du groupe

Le prin­cipe du grand méchant loup
La com­pé­ti­tion avec d’autres groupes
Un envi­ron­ne­ment hostile
Un objec­tif com­mun à atteindre

Les groupes peuvent-ils s’entraider ?
Dépas­ser la com­pé­ti­tion entre les groupes
Les mêmes méca­nismes qu’au niveau inférieur
Une limite de taille ?
L’op­por­tu­ni­té des catas­trophes globales

Cha­pitre 6. Depuis la nuit des temps

L’évolution de l’en­traide humaine
S’as­so­cier pour survivre
Une bande de pri­mates immatures

L’é­vo­lu­tion de l’en­traide entre semblables
« L’u­nion fait la force » : la puis­sance de la sélec­tion de groupe
« Win­ter is coming » : la puis­sance du milieu hostile
Les autres forces évolutives

L’é­vo­lu­tion de l’en­traide entre espèces
Avoir besoin de l’autre
par­fois de manière réciproque
au point de ne plus pou­voir s’en passer
Encore et tou­jours le milieu hostile

Une source infi­nie d’innovation
L’en­traide appelle l’entraide
Se trans­for­mer au contact des autres
Pas­ser au niveau supérieur
Com­ment l’en­traide a chan­gé la face du monde

Conclu­sion. Le nou­veau visage de l’entraide
Bien plus qu’une simple loi de la jungle
Les grands prin­cipes de l’entraide
Vers une nou­velle vision de l’entraide

Épi­logue. Pour quel monde ?
Allons-nous nous entretuer ?
Vers une autre mythologie
Au-delà de l’humanité

Annexe. De la « nou­velle socio­bio­lo­gie »

Trem­ble­ment de terre au pays de la sociobiologie
Le secret devait se trou­ver dans les gènes
La lente tra­hi­son du père fondateur
La puis­sance d’un seul homme

Les diverses forces évo­lu­tives à l’o­ri­gine de l’entraide
À l’o­ri­gine de la socio­bio­lo­gie : sélec­tion  de paren­tèle et altruisme réciproque
La décou­verte d’autres voies : réci­pro­ci­té indi­recte et sélec­tion spatiale
Vers une socio­bio­lo­gie plus ouverte et plus complexe

Gra­ti­tude

Réfé­rences

Biblio­gra­phie sélective
Les ouvrages indis­pen­sables en français
Les indis­pen­sables en anglais

 

En lisant ce livre, j’ai décou­vert, com­man­dé et com­men­cé une autre perle : « La bon­té humaine. Altruisme, empa­thie, géné­ro­si­té » de Jacques Lecomte… et je me régale… 🙂

https://​www​.odi​le​ja​cob​.fr/​c​a​t​a​l​o​g​u​e​/​p​s​y​c​h​o​l​o​g​i​e​/​p​s​y​c​h​o​l​o​g​i​e​-​g​e​n​e​r​a​l​e​/​b​o​n​t​e​-​h​u​m​a​i​n​e​_​9​7​8​2​7​3​8​1​2​7​1​0​5​.​php

Je ran­ge­rai ces pré­cieux outils avec mes livres de Jean-Marie Pelt (« La loi de la jungle » 2003, « La soli­da­ri­té chez les plantes, les ani­maux, les humains » 2004), et à côté des livres épa­tants de Frans de Waal (notam­ment « L’âge de l’empathie » 2009), sur le (grand) rayon « Res­pect et exem­pla­ri­té des ani­maux / éthique / bien-mal / humanité-animalité ».

Bonne lec­ture à tous, bande de virus 🙂

Étienne.

Fil Face­book cor­res­pon­dant à ce billet :

Pour m'aider et m'encourager à continuer, il est désormais possible de faire un don.
Un grand merci aux donatrices et donateurs : par ce geste, vous permettez à de beaux projets de voir le jour, pour notre cause commune.
Étienne

Catégorie(s) de l'article :

6 Commentaires

  1. claude saint-jarre

    Bon­jour mon­sieur Chouard, J’ai votre livre : Nous ne sommes pas en démo­cra­tie. Vous êtes contre l’é­lec­tion mais pour, pour les scru­tins muni­ci­paux. Mais, même s’il y a proxi­mi­té, n’y-a‑t–il pas de contrôle de la part des gou­ver­nés en dépit de la proximité ?

    Réponse
  2. claude saint-jarre

    J’ai lu La bon­té humaine.. et je me suis éga­le­ment régalé !
    Bonne année à tous et toutes !

    Réponse
    • alainr

      De JM Pelt, il y a aus­si *La rai­son du plus faible* (2009) :


      https://​www​.babe​lio​.com/​l​i​v​r​e​s​/​P​e​l​t​-​L​a​-​r​a​i​s​o​n​-​d​u​-​p​l​u​s​-​f​a​i​b​l​e​/​1​5​1​102

      Résu­mé :
      Alors que l’on s’apprête à célé­brer en 2009 le cent cin­quan­tième anni­ver­saire de la théo­rie de l’évolution fon­dée par Dar­win dans L’Origine des espèces, ce nou­vel essai de Jean-Marie Pelt s’emploie à récu­ser la fameuse « loi de la jungle » qui, dans une nature répu­tée « cruelle », serait le seul moteur de l’évolution.

      Il montre qu’il existe une rai­son du plus faible : tout au long de l’histoire de la vie sur terre, des pre­mières bac­té­ries jusqu’à l’homme, là où les plus gros et les plus forts n’ont pas su résis­ter aux grands cata­clysmes et aux chan­ge­ments cli­ma­tiques, ce sont sou­vent les créa­tures les plus humbles qui ont survécu.
      C’est aus­si par­mi les plus faibles que sont nées les plus belles his­toires de soli­da­ri­té, par la sym­biose. C’est enfin chez les plus vul­né­rables que l’ingéniosité adap­ta­tive a déve­lop­pé ses plus belles inventions.

      Notre socié­té humaine, livrée à un esprit de com­pé­ti­tion exa­cer­bé, où les « tueurs » de la guerre éco­no­mique sont venus ren­for­cer les rangs des guer­riers dans la lutte pour le « tou­jours plus », est pro­mise aux mêmes cata­clysmes, finan­ciers ou nucléaires, si elle n’entend pas cette leçon de la nature qui fait de l’égoïsme la mala­die mor­telle des plus forts et de la soli­da­ri­té la force indé­fec­tible des faibles.

      Dans cet ouvrage four­millant d’anecdotes pui­sées au cœur du monde végé­tal et ani­mal, Jean-Marie Pelt s’en donne à cœur joie pour nous racon­ter l’extraordinaire éner­gie des petits, répu­tés faibles

      Réponse
  3. etienne

    Géné­ro­si­té animale :

    Réponse
  4. joss

    Albert Jacquard : « On est en train de sélectionner les gens les plus dangereux »

    Ce n’est pas parce que la loi de la « jungle » existe, qu’il faut l’ap­pli­quer à tout bout de champ. L’hu­main a cette capa­ci­té que les ani­maux n’ont pas, c’est d’en être conscient. Nous en avons conscience, nous en connais­sons les consé­quences pos­sibles et nous lais­sons faire. A quoi sert notre « intel­li­gence » ? Com­ment la valo­rise-t-on ? A pro­duire des mar­chan­dises ? A domi­ner l’autre ?

    Henri Laborit dans « mon oncle d’Amérique » :

    https://youtu.be/FQcC-VB_W‑s?t=6961

    « On com­mence à com­prendre par quel méca­nisme, pour­quoi et com­ment, à tra­vers l’his­toire et dans le pré­sent se sont éta­bli des échelles hié­rar­chiques de domi­nance. Pour aller sur la lune, on a besoin de connaître les lois de la gra­vi­ta­tion. Quand on connaît ces lois de la gra­vi­ta­tion, ça ne veut pas dire qu’on se libère de la gra­vi­ta­tion. Ça veut dire qu’on les uti­lise pour faire autre chose. Tant que l’on n’au­ra pas dif­fu­sé très lar­ge­ment à tra­vers les hommes de cette pla­nète la façon dont fonc­tionne leur cer­veau, la façon dont ils l’u­ti­lisent, tant qu’on n’au­ra pas dit que, jus­qu’i­ci, ça a tou­jours été pour domi­ner l’autre, il y a peu de chances qu’il y ait quelque chose qui change. »

    Réponse

Laisser un commentaire

Derniers articles

Essai pour un contrôle populaire des institutions – DÉFINITION, FORCE ET ENJEUX DE LA CONSTITUTION : pourquoi nous sommes complètement fous de ne pas nous y intéresser en priorité absolue (3 vidéos intégrales et texte)

Essai pour un contrôle populaire des institutions – DÉFINITION, FORCE ET ENJEUX DE LA CONSTITUTION : pourquoi nous sommes complètement fous de ne pas nous y intéresser en priorité absolue (3 vidéos intégrales et texte)

Chers amis, Je récapitule, sur ma chaîne et dans ce billet, les vidéos que j'ai conçues et publiées pour Une Nôtre Histoire pour faire le point sur la démocratie et les institutions, en insistant évidemment sur l'importance prioritaire d'un processus constituant...