History Channel révèle enfin l’incroyable histoire secrète de la « guerre contre la drogue », par Jon Schwarz (source : les​-crises​.fr)

27/07/2017 | 5 commentaires

Encore un bon papier, tra­duit par l’in­dis­pen­sable (et quo­ti­dien) les​-crises​.fr :

History Channel révèle enfin l’incroyable histoire secrète de la « guerre contre la drogue », par Jon Schwarz

Pho­to : Avec l’aimable auto­ri­sa­tion de HISTORY

CHUCK GRASSLEY, un séna­teur répu­bli­cain de l’Iowa, est connu sur Twit­ter pour expri­mer son désir de voir His­to­ry Chan­nel mon­trer enfin un peu d’Histoire. Voi­ci deux de ses nom­breux tweets sur ce sujet :


J’adore l’Histoire. Donc de temps en temps je zappe sur His­to­ry Chan­nel. Quand vont-ils remettre de l’histoire sur cette chaîne, ces tanches ?

— Chuck­Grass­ley (@ChuckGrassley) Februa­ry 26, 2012


De temps en temps je zappe sur His­to­ry Chan­nel en espé­rant voir de l’Histoire. Quand est-ce que His­to­ry Chan­nel aura une bonne grille d’Histoire, à l’ancienne ?

— Chuck­Grass­ley (@ChuckGrassley) Janua­ry 7, 2012

La bonne nou­velle pour Grass­ley, et pour tout le monde, c’est que de dimanche soir à mer­cre­di, His­to­ry Chan­nel dif­fuse une nou­velle série en quatre par­ties inti­tu­lée « La guerre de l’Amérique contre la drogue ». Non seule­ment c’est une contri­bu­tion impor­tante à l’histoire récente amé­ri­caine, mais c’est aus­si la pre­mière fois que la télé­vi­sion US a révé­lé le fond de la véri­té sur l’un des plus impor­tants pro­blèmes des cin­quante der­nières années.

Le fond de la véri­té est : la guerre contre la drogue a tou­jours été une pure comé­die. Depuis des décen­nies le gou­ver­ne­ment fédé­ral s’est lan­cé dans une série d’alliances de com­mo­di­té avec quelques-uns des plus grands car­tels de la drogue dans le monde. Le taux d’incarcération amé­ri­cain a quin­tu­plé depuis la pre­mière décla­ra­tion de guerre à la drogue faite par le pré­sident Richard Nixon en 1971, mais les plus gros dea­lers ont dans le même temps pro­fi­té de la pro­tec­tion des plus hautes ins­tances du pou­voir en Amérique.

D’un côté, cela ne devrait pas être sur­pre­nant. La docu­men­ta­tion volu­mi­neuse de cette réa­li­té dans des dizaines de livres est acces­sible à n’importe qui de curieux pos­sé­dant une carte de bibliothèque

Pour­tant d’une cer­taine façon, bien que les États-Unis n’aient pas de sys­tème for­mel de cen­sure, ce scan­dale monu­men­tal n’a jamais été pré­sen­té de manière com­plète là où la plu­part des Amé­ri­cains vont s’informer : à la télévision.

C’est pour­quoi la série « La guerre de l’Amérique contre la drogue » est un véri­table tour­nant. Nous avons vu récem­ment com­ment des idées qui sem­blaient à un moment tota­le­ment ridi­cules et tabous – par exemple, que l’Église catho­lique ait consciem­ment pro­té­gé des prêtres ayant abu­sé sexuel­le­ment d’enfants, ou que Bill Cos­by n’ait pas été le meilleur choix pour America’s Dad – pou­vaient après des années de silence se his­ser dans la conscience popu­laire et être sui­vies de consé­quences pré­cises et réelles. La série pour­rait être un élé­ment déci­sif pour que la même chose se pro­duise pour l’une des plus cyniques et cruelles poli­tiques de l’histoire des États-Unis.

Un por­trait de l’ancien baron de la drogue Rick Ross dans le docu­men­taire de His­to­ry Chan­nel « America’s War on Drugs ». Pho­to : Avec la cour­toi­sie de History

La série, dont les pro­duc­teurs exé­cu­tifs sont Julian P. Hobbs, Elli Haka­mi et Antho­ny Lap­pé, est un docu­men­taire TV stan­dard, com­bi­nant des inter­views, des images d’archives et des recons­ti­tu­tions dra­ma­tiques. Ce qui n’est pas stan­dard en revanche, c’est l’histoire racon­tée face à la camé­ra par d’anciens agents de la Drug Enfor­ce­ment Admi­nis­tra­tion ain­si que par des jour­na­listes et des tra­fi­quants de drogue en per­sonne. (Un des repor­ters est Ryan Grim, le chef du bureau de l’Intercept à Washing­ton et auteur de « This Is Your Coun­try on Drugs : The Secret His­to­ry of Get­ting High in Ame­ri­ca ». « C’est ton pays au sujet de  la drogue : L’histoire Secrète pour se défon­cer en Amérique ».)

Il n’y a pas de ronds-de-jambe alam­bi­qués pour expli­quer ce qui s’est pas­sé. Le pre­mier épi­sode com­mence avec la voix de Lind­say Moran, un ancien offi­cier clan­des­tin de la CIA, décla­rant : « L’agence était impli­quée jusqu’au cou avec les tra­fi­quants de drogues ».

Richard Strat­ton, tra­fi­quant de mari­jua­na deve­nu écri­vain et pro­duc­teur de télé­vi­sion, explique alors : « La plu­part des Amé­ri­cains seraient pro­fon­dé­ment cho­qués s’ils connais­saient la pro­fon­deur de l’implication pas­sée de la CIA dans le tra­fic inter­na­tio­nal de la drogue ».

Ensuite, le pro­fes­seur de l’université de New York Chris­tian Paren­ti raconte aux télé­spec­ta­teurs : « Depuis son ori­gine la CIA col­la­bore avec les mafias impli­quées dans le tra­fic de drogue dans le but que ces mafias servent l’objectif plus large de la lutte contre le communisme ».

Pen­dant les huit heures sui­vantes, la série plonge à toute vitesse dans l’histoire des plus grands suc­cès du par­te­na­riat du gou­ver­ne­ment amé­ri­cain avec les tra­fi­quants d’héroïne, d’hallucinogènes et de cocaïne. Que ces plus gros suc­cès puissent rem­plir la majeure par­tie de quatre épi­sodes de deux heures montre à quel point l’histoire est extra­or­di­nai­re­ment pro­fonde et hideuse.

Tout d’abord, nous appre­nons que la CIA tra­vaillait avec le chef de la mafia de Flo­ride, San­to Traf­fi­cante Jr., au début des années 60. La CIA vou­lait la mort de Fidel Cas­tro et, en échange de l’aide de Traf­fi­cante dans divers pro­jets d’assassinat, était prête à fer­mer les yeux sur ses tra­fics de drogue exten­sifs et ceux de ses alliés exi­lés cubains.

Ensuite, il y a le récit extrê­me­ment curieux de la manière dont la CIA a impor­té de grandes quan­ti­tés de LSD de son pro­duc­teur suisse, dans l’espoir qu’il pour­rait être uti­li­sé pour contrô­ler men­ta­le­ment des gens. Au contraire, en appro­vi­sion­nant des mil­liers de jeunes volon­taires comme Ken Kesey, Whi­tey Bul­ger et le paro­lier des Gra­te­ful Dead, Robert Hun­ter, l’agence a acci­den­tel­le­ment contri­bué à popu­la­ri­ser l’acide et à géné­rer la contre-culture psy­ché­dé­lique des années 60.

Pen­dant la guerre du Viet­nam, les États-Unis se sont alliés avec les forces anti­com­mu­nistes du Laos, qui ont mis à pro­fit notre sou­tien pour deve­nir par­mi les plus gros pour­voyeurs d’opium de la pla­nète. Air Ame­ri­ca, une cou­ver­ture de la CIA, appor­tait des four­ni­tures pour les gué­rillas du Laos et repar­tait avec de la drogue, tout cela avec la par­faite connais­sance et pro­tec­tion des agents américains.

La même dyna­mique s’est déve­lop­pée dans les années 80, quand l’administration de Rea­gan a essayé de ren­ver­ser le gou­ver­ne­ment san­di­niste du Nica­ra­gua. Les avions qui appor­taient secrè­te­ment des armes aux contras rap­por­taient au retour de la cocaïne aux États-Unis, à nou­veau sous la pro­tec­tion des forces de l’ordre amé­ri­caines par la CIA.

Plus récem­ment, nous trou­vons notre guerre de seize ans en Afgha­nis­tan. Bien que moins de choses soient révé­lées sur les machi­na­tions de la CIA là-bas, il est dif­fi­cile de ne pas noter que nous avons ins­tal­lé Hamid Kar­zai comme pré­sident alors que son frère était sur les listes de paie de la CIA et simul­ta­né­ment, l’un des plus gros tra­fi­quants d’opium du pays. L’Afghanistan actuel­le­ment four­nit envi­ron 90% de l’héroïne mondiale.

À son cré­dit, la série explique que cela ne fait pas par­tie d’un plan secret du gou­ver­ne­ment pour trans­for­mer les Amé­ri­cains en toxi­co­manes. Mais, comme l’exprime Moran : « Quand la CIA se foca­lise sur une mis­sion, sur un but par­ti­cu­lier, ils ne vont pas s’asseoir et pon­ti­fier sur « les pos­sibles consé­quences glo­bales à long terme de leurs actions ». Gagner leurs guerres secrètes a tou­jours été leur pre­mière prio­ri­té, et si cela requiert une coopé­ra­tion avec des car­tels de la drogue qui inondent les États-Unis de leur pro­duc­tion, qu’il en soit ain­si ». « Beau­coup de ces pra­tiques qui remontent aux années 60 deviennent cycliques », ajoute Moran. « Ces rela­tions se déve­loppent encore et tou­jours pen­dant qu’on mène la guerre contre la drogue ».

Ce qui rend l’histoire tel­le­ment gro­tesque, c’est le degré d’hypocrisie effa­rant du gou­ver­ne­ment. C’est comme si Donald Trump décla­rait la guerre aux pro­mo­teurs immo­bi­liers et rem­plis­sait les pri­sons de gens louant occa­sion­nel­le­ment leur chambre sur Airbnb.

Cela nous ramène à Charles Grass­ley. Grass­ley est main­te­nant pré­sident du comi­té judi­ciaire du Sénat, un com­bat­tant enga­gé de longue date contre la drogue et – pen­dant les années 80 – un sou­tien des contras.

Pour­tant, même Grass­ley semble réa­li­ser qu’il y a peut-être eu quelques failles dans la guerre contre la drogue depuis le début. Il a récem­ment co-par­rai­né une loi pour réduire les peines mini­males pour les infrac­tions liées à la drogue.

Main­te­nant que His­to­ry Chan­nel comble les sou­haits de Grass­ley et dif­fuse cette his­toire extrê­me­ment impor­tante, il nous revient de nous assu­rer que lui et ceux qui sont comme lui, s’asseyent et la regardent. Le simple fait que cette série existe montre que nous sommes à un point de bas­cu­le­ment de ces men­songes catas­tro­phiques éhon­tés. Nous devons pous­ser suf­fi­sam­ment fort pour les mettre à terre.

Pho­to ci-des­sus : un plan fixe tiré du docu­men­taire de His­to­ry Chan­nel « America’s War on Drugs ».

Source : The Inter­cept, Jon Schwartz, 18-06-2017

Tra­duit par les lec­teurs du site www​.les​-crises​.fr. Tra­duc­tion libre­ment repro­duc­tible en inté­gra­li­té, en citant la source.


Mon com­men­taire :

C’est impor­tant, cette nou­velle contre-his­toire vue à la télé, mais n’ou­bliez pas qu’elle ne révèle qu’UNE CONSÉQUENCE, dont vous seriez bien ins­pi­rés de cher­cher (et de faire connaître) LA CAUSE première.

Un bon com­men­taire, lu chez Olivier :
Dans 50 ans on aura droit à un docu­men­taire : ” la véri­té sur la lutte contre le terrorisme ” …

Je ren­ché­ris : Et sur « la lutte contre l’in­fla­tion », et sur « l’u­ti­li­té éco­no­mique des ‘inves­tis­seurs’ « , et sur « l’au­to­ré­gu­la­tion des mar­chés », et sur « la lutte contre le chômage »…

- Tout pou­voir va jus­qu’à ce qu’il trouve une limite (Mon­tes­quieu).
– QUI fixe les limites ?
– Ce n’est pas aux hommes au pou­voir d’é­crire les règles du pouvoir.

#pas­de­dé­mo­cra­tie­sans­ci­toyens­cons­ti­tuants

Étienne.

 

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5 Commentaires

  1. etienne

    MILLE FOIS PLUS ÉNORME QUE LE WATERGATE
    ET POURTANT PASSÉ SOUS LE RADAR…

    Webb_01 : « Secret d’État », le film de Michael Cues­ta, raconte l’histoire vraie de Gary Webb. Le jour­na­liste qui a prou­vé les liens entre la CIA et les car­tels de la cocaïne à l’époque de Rea­gan. Tel­le­ment énorme que ça res­semble à une théo­rie de la conspi­ra­tion comme inter­net les aiment tant. Et pour­tant, tout est vrai. Il faut aller voir ce film avant qu’il ne dis­pa­raisse des écrans.

    J’avais ren­con­tré Gary Webb, alors que l’énormité de son scoop avait com­men­cé de le broyer.

    Inexo­ra­ble­ment. Jusqu’au 12 décembre 2004. Un peu avant Noël.

    Webb_02 : L’homme était seul dans sa petite mai­son de la ban­lieue de Sacra­men­to, en Cali­for­nie. Il venait de la vendre. Le len­de­main matin, il devait la quit­ter. Il n’avait plus les moyens de payer les traites. Ce qui res­tait de sa vie, ses sou­ve­nirs, tenait en quelques car­tons. Ce jour là, il n’a pas eu la force de s’en aller. Pas le cou­rage de conti­nuer. Il a écrit deux lettres. L’une à sa femme dont il était divor­cé : « Je n’arrive plus à écrire. Je suis rui­né. Je ne peux même pas vous aider à sub­ve­nir à vos besoins… C’est fini. Trop de souf­france. » L’autre à ses deux fils : « Soyez fidèles à la véri­té. Com­bat­tez la bigo­te­rie et l’hypocrisie. » Ensuite, il a posé une note sur la porte d’entrée, pour les démé­na­geurs : « Ne ren­trez pas, s’il vous plait. Pré­ve­nez la police. » Puis il a pris le vieux pis­to­let de son père qui était dans le tiroir de sa table de che­vet et il s’est tiré une balle dans la tête.

    Gary Webb avait 49 ans. C’était l’un des meilleurs jour­na­listes d’investigation de sa géné­ra­tion. Il avait quit­té son jour­nal, le San José Mer­cu­ry News, cinq ans aupa­ra­vant et n’avait plus retrou­vé de tra­vail sérieux depuis. Dépres­sif après son divorce, il a déci­dé de mettre fin à ses jours. Huit ans aupa­ra­vant, il avait mis le doigt sur une affaire où la rai­son d’état se mêlait à un réseau cri­mi­nel. Gary Webb allait se cogner à une machine tout entière dédiée à éteindre l’incendie qu’il avait allu­mé. Son scoop fini­ra par mettre fin à sa car­rière, puis à sa vie.

    Webb_03 : Quand je ren­contre Gary Webb, en 1997, son jour­nal a déjà com­men­cé à le lâcher. Ren­co­gné dans son petit bureau, il est sur­veillé par une assis­tante, aga­cée de voir des jour­na­listes euro­péens s’intéresser à son his­toire. Webb dis­si­mu­lait un regard fixe, étran­ge­ment impas­sible, sous une grande mèche blonde. Il habi­tait un pavillon clo­né dans un ensemble rési­den­tiel de Sacra­men­to. Sa femme Susan, ren­con­trée au col­lège, l’avait épou­sé alors qu’ils étaient encore étu­diants. Il avait trois gosses, jouait au hockey tous les same­dis avec l’aîné et bri­co­lait sa mai­son le week-end. Webb par­lait d’une voix sans emphase, étran­gère à l’excitation.

    Ce fils de mili­taire avait l’obsession de la méthode. Chaque matin, il ouvrait les grandes enve­loppes kraft des diverses agences gou­ver­ne­men­tales chez qui il avait dépo­sé des demandes de déclas­si­fi­ca­tion de docu­ments. Son achar­ne­ment lui avait déjà valu, à 43 ans, les dis­tinc­tions les plus pres­ti­gieuses de la pro­fes­sion. Je me suis dit : dif­fi­cile d’imaginer ce gars capable de pas­sion. Je me trom­pais. Webb croyait au jour­na­lisme. A son rôle de contre-pou­voir. « Aus­si long­temps que je me sou­vienne, raconte Kurt, son frère, il avait tou­jours vou­lu être journaliste. »

    Un an avant que je le ren­contre, à l’été 96, Webb avait déclen­ché une énorme vague dans l’opinion amé­ri­caine. Il avait révé­lé com­ment deux dea­lers de cocaïne nica­ra­guayens avaient inon­dé de drogue les ghet­tos noirs de Los Angeles dans les années 80. Les gangs Crips et Blood avaient trans­for­mé cette cocaïne en crack. Une drogue plus addic­tive encore. Le crack ali­men­tait des légions de toxi­co­manes, la pros­ti­tu­tion, la pri­son, des enfants délais­sés par des mères accro­chées à la plus des­truc­trice des sub­stances… L’invasion par le crack, les propres élus locaux de la com­mu­nau­té en avaient été témoins. Maxine Waters est une congres­siste démo­crate black du ghet­to de South Cen­tral à Los Angeles. Elle n’a jamais per­du le contact avec la rue. Les mômes des gangs qu’elle a vu gran­dir et déra­per, la res­pectent assez pour lui par­ler : « Qua­si­ment du jour au len­de­main, il y en avait par­tout. Tous les jeunes en ven­daient. Je leur deman­dais : Mais où diable trou­vez vous l’argent pour ache­ter toute cette drogue ? Ils me disaient : on nous fait cré­dit, on paye après… Mais après, bien sûr, il y en avait beau­coup qui ne pou­vaient pas rem­bour­ser leurs dettes. Et là, com­men­çaient les pro­blèmes, les meurtres, la vio­lence… La guerre des gangs était décu­plée… Jusqu’à l’enquête de Gary Webb, je me suis tou­jours deman­dé : mais d’où vient toute cette came ?!… »

    Maxine Waters va décou­vrir que l’affrontement des gangs, les drive-by shoo­tings des rouges et des bleus, ce folk­lore meur­trier sur­ex­ploi­té par Hol­ly­wood, avait aus­si des racines géo-poli­tiques. Les deux dea­lers nica­ra­guayens dénon­cés par Gary Webb n’étaient pas de simples gang­sters. Ils appar­te­naient à un réseau de sou­tien finan­cier à la Contra, un groupe armé contrô­lé par la CIA, qui com­bat­tait un gou­ver­ne­ment de gauche au Nica­ra­gua. Le finan­ce­ment de la Contra était orga­ni­sé sous l’ordre du pré­sident Rea­gan. Le réseau était noyau­té à tous les niveaux par des bar­bouzes, des sup­plé­tifs sous contrat avec la CIA. L’argent ne peut venir que de finan­ce­ment illé­gaux car jusqu’en 1986, le Congrès amé­ri­cain refu­sait que l’argent du contri­buable serve à payer des opé­ra­tions ter­ro­ristes. De 1980 à 1986, la Mai­son Blanche du mettre en place plu­sieurs com­bines illi­cites pour armer les Contras. Dans l’un de ces réseaux paral­lèles, les hommes du pré­sident en sont venus à col­la­bo­rer avec des tra­fi­quants de cocaïne.

    L’histoire parait folle, voire incroyable. Elle est par­fai­te­ment docu­men­tée. Au moment même où Nan­cy Rea­gan, la femme du pré­sident amé­ri­cain, occu­pait les écrans de télé­vi­sion avec sa célèbre cam­pagne « Say No to Drugs », alors que des lois d’une extrême sévé­ri­té allaient être votées et per­mettre d’envoyer en pri­son pen­dant des années les consom­ma­teurs trou­vés por­teurs de quelques grammes de crack, à quelques mètres du bureau de son mari, Ronald, des membres des ser­vices secrets coor­don­naient des opé­ra­tions avec des hommes du car­tel de Medel­lin. Des dea­lers lati­nos trans­por­taient des armes dans leurs avions vers le Nica­ra­gua et rame­naient de la drogue sur le ter­ri­toire des Etats Unis. C’est ce que met­tra au jour l’investigation menée par le séna­teur John Ker­ry de 1986 à 1988, pour une com­mis­sion d’enquête sénatoriale.

    John Ker­ry n’avait pu éta­blir où allait la drogue une fois arri­vée sur le sol amé­ri­cain. Lors d’une audi­tion célèbre, il avait posé la ques­tion au tra­fi­quant colom­bien Jorge Morales : « Je ne sais pas, avait-il répon­du. Mon job était d’amener la drogue. Ensuite, un autre réseau s’occupait de la distribution. »
    L’enquête de Gary Webb com­mence là où s’arrêtait celle du séna­teur Kerry.

    Au tout début de ses recherches, il appelle Robert Par­ry, le jour­na­liste qui le pre­mier a mis en lumière l’existence de la cel­lule occulte dans la Mai­son Blanche. Par­ry le met en garde, sa série de scoops lui a coû­té sa propre car­rière. « Quand il m’a appe­lé, je lui ai dit : c’est sûre­ment avé­ré, cette piste, mais c’est dan­ge­reux, j’espère que tes rédac­teurs en chef te sou­tiennent. Il a cru que j’étais lâche. Il a pen­sé : Ah-ah, encore un jour­na­liste de Washing­ton trop ner­veux. Et, dans un sens, je suis content de ne pas l’avoir dis­sua­dé parce qu’il était impor­tant de sor­tir la véri­té là des­sus. Mais lui allait payer un prix très éle­vé pour ça… »

    Gary Webb se lance dans une odys­sée qui va occu­per chaque minute de sa vie pen­dant une année entière. « Je suis allé à Mia­mi, au Nica­ra­gua, sur toute la cote ouest. J’ai inter­viewé beau­coup de monde. J’ai ren­con­tré des flics, des dea­lers, je suis allé dans des tri­bu­naux, j’ai déter­ré des pro­cès ver­baux, des cas­settes audio de la bri­gade des stups… »

    En août 1996, le San Jose Mer­cu­ry News publie enfin son enquête : « The Dark Alliance ». La grande presse et la télé­vi­sion com­mencent par l’ignorer.

    C’est là qu’intervient Inter­net. Consciente du carac­tère cho­quant et par­fois dif­fi­ci­le­ment croyable des révé­la­tions de Webb, la direc­tion de son jour­nal a déci­dé de mettre en ligne les docu­ments bruts recueillis au cours de l’investigation. Les pro­cès ver­baux de la police et la jus­tice, les pho­tos, les enre­gis­tre­ments audios devant les tri­bu­naux… Des cen­taines de pièces à por­tée d’un simple click. Chaque lec­teur inter­naute peut ain­si véri­fier par lui-même les asser­tions de l’auteur, refaire l’enquête à son tour. L’équipe du site inter­net du Mer­cu­ry News envoie des mes­sages aux forums, des e‑mails aux news­groups qui eux-même réper­cutent à d’autres news­groups. Cette expo­si­tion élec­tro­nique démul­ti­plie la puis­sance du dos­sier. En dix jours le site connaît plus d’un mil­lion de visiteurs.

    Pour la pre­mière fois de son his­toire, le pou­voir d’influence d’Internet va sup­plan­ter celui des jour­naux et de la télé­vi­sion. Mais per­sonne ne contrôle le feu qui courre sur la toile. L’enquête échappe à son auteur. Dans les sites et les chats conspi­ra­tio­nistes, les révé­la­tions du Mer­cu­ry News sont défor­mées, ampli­fiées, faus­sées. Dans la com­mu­nau­té noire, l’affaire prend une dimen­sion irra­tion­nelle. La CIA, démontre Webb, a fer­mé les yeux sur les acti­vi­tés de ce réseau occulte. Mais les blacks s’estiment ciblés. Pour cer­tains, la CIA veut la peau des afro-amé­ri­cains… On parle de géno­cide et on rap­pelle l’exemple de Tus­ke­gee, en Ala­ba­ma, où pen­dant qua­rante années, de 1932 à 1972, 399 sol­dats noirs avaient été injec­tés avec la tuber­cu­lose et la syphil­lis, à leur insu, aux fins d’expériences médi­cales. La presse black extré­miste de The Nation of Islam titre : « Com­ment le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain a répan­du la cocaïne dans les ghet­tos noirs ». Des mani­fes­ta­tions emplissent les rues de Los Angeles. Plane le spectre des ter­ribles inci­dents de 92 où les blacks des quar­tiers pauvres étaient remon­tés jusqu’à Mel­rose et Sun­set. Ils avaient mis à sac les rues hup­pées, pillé les maga­sins, incen­dié, lyn­ché quelques mal­heu­reux blancs qui croi­saient leur che­min. L’Amérique vit avec ce cau­che­mar : la colère des relé­gués se déverse et inonde les quar­tiers pro­té­gés. Régu­liè­re­ment ce mau­vais rêve devient réalité.

    Il va alors se pro­duire un évè­ne­ment extra­or­di­naire. Coin­vain­cu par des par­le­men­taires de la gauche du Par­ti Démo­crate, le propre direc­teur de la CIA décide de venir dans le ghet­to, s’expliquer auprès des habi­tants dans un gym­nase du quar­tier de Watts. Il vient annon­cer solen­nel­le­ment le lan­ce­ment d’une enquête interne. Même le plus fer­tile des scé­na­ristes aurait eu bien du mal à ima­gi­ner une telle scène. Des chefs de gang pati­bu­laires, mas­sifs, les bras croi­sés sur la poi­trine, des mili­tants afro-amé­ri­cains en dread-locks et aux vête­ments cou­verts de badges de sou­tiens aux causes les plus exo­tiques, des petites grand-mêres black endi­man­chées, aux visages acca­blés d’avoir vu s’éteindre leurs petits enfants pen­dant l’épidémie de crack, des jeunes femmes à la colère incon­trô­lable qui montent sur leur chaise et hurlent qu’elles ont mis dix ans à décro­cher, qu’elles ont dû aban­don­ner leurs gosses aux ser­vices sociaux après des années de prostitution.

    Aux quatre coins de la salle, des dizaines d’agents des ser­vices secrets, visages fer­més, cos­tumes sombres et liai­son par oreillette. A la tri­bune, John Deutsch, chef de la CIA, un intel­lec­tuel de la Côte Est éga­ré à ce poste depuis quelques mois. Le pré­sident démo­crate Clin­ton, sou­cieux de rompre avec les années Rea­gan, lui a don­né pour mis­sion de mora­li­ser l’Agence. Il n’a aucune res­pon­sa­bi­li­té dans les incri­mi­na­tions de Webb. Il semble sin­cè­re­ment tou­ché : « C’est une accu­sa­tion ahu­ris­sante, dit-il au micro. Une accu­sa­tion qui touche au coeur de ce pays. Qu’est ce qui est affir­mé ? Une agence du gou­ver­ne­ment amé­ri­cain, la CIA, qui a été fon­dée pour pro­té­ger les citoyens de ce pays, aurait aidé à intro­duire de la drogue, du poi­son, chez nos enfants et tué ain­si leur ave­nir ?!… Toute per­sonne qui est à la tête d’une agence gou­ver­ne­men­tale, et ça veut dire moi aus­si, ne peut tolé­rer une telle accu­sa­tion. J’irais jusqu’au bout, j’enquêterais et je vous ferais connaitre les résul­tats de notre investigation… »

    Dans la salle, très échauf­fé, un noir mas­sif, crâne ton­du et che­mise noire, se sai­sit du micro. Il parle avec ses épaules :

    – Auto­ri­sez Gary Webb à mener l’enquête avec vos hommes. Qu’ils puissent com­pa­rer leurs docu­ments tout au long de l’investigation… C’est tout ! Ca résou­dra tout, on arrê­te­ra de gueu­ler parce qu’on aura un repré­sen­tant, l’homme qui a fait écla­ter cette his­toire, dans l’affaire.

    – Le rap­port, répond Deutsch, sera ren­du acces­sible à tous les jour­na­listes quand il sera terminé. »

    Quelques semaines après son enga­ge­ment public, John Deutsch devra démis­sion­ner de la CIA. Offi­ciel­le­ment parce qu’il a empor­té quelques dos­siers sen­sibles pour tra­vailler à la mai­son sur son ordi­na­teur per­son­nel non sécu­ri­sé. D’après ce qui sort dans la presse à l’époque, ses manières d’universitaire pré­oc­cu­pé d’éthique lui ont fabri­qué quelques enne­mis mor­tels à la direc­tion de l’Agence.

    Sans attendre les résul­tats de l’enquête interne, les jour­na­listes spé­cia­li­sés CIA de la grande presse ont déci­dé de pas­ser le tra­vail de Gary Webb à la mou­li­nette. Le Washing­ton Post, le New York Times et le Los Angeles Times (au LA Times, une cel­lule spé­ciale de jour­na­listes est créée, elle avait un nom de code : les Webb bus­ters, les cas­seurs de Webb…). Dans leurs contre-enquêtes, des sources « proches du gou­ver­ne­ment et de la CIA » nient toute impli­ca­tion avec les deux dea­lers nicas. Le Washing­ton Post recon­naît que Webb a bien éta­bli la connexion entre la Contra et les tra­fi­quants de cocaïne mais il déplore que Webb n’ai pas réus­si à citer le nom d’un seul agent de la CIA dans ce sché­ma (*WP, 4 octobre 1996). Le New York Times admet que les deux dea­lers nica­ra­guayens sont bien allés ren­con­trer un chef Contra en Amé­rique Cen­trale : Enrique Ber­mu­dez mais ils écrivent : « Bien que Mr Ber­mu­dez, comme d’autres lea­ders de la contra, était sou­vent payé par la CIA, il n’était pas un agent de la CIA. » (*NYT, 21 octobre 1996). Nuance pré­cieuse, il est vrai… Enfin, les « sources ano­nymes » des jour­na­listes anti-Webb leur indiquent que les deux dea­lers ont effec­ti­ve­ment ver­sé de l’argent du crack aux Contras mais « seule­ment 50 000 dollars ». 

    Chiffres contre-dits par des docu­ments de jus­tice que Gary Webb a mis en ligne sur le site du Mer­cu­ry News.

    Au Washing­ton Post, c’est un vété­ran qui a tra­vaillé contre Gary Webb : Wal­ter Pin­cus. Il a des che­veux blancs, un regard per­çant qui dis­pa­raît sous des sour­cils en brous­sailles. Il porte des bre­telles, une cra­vate et sur­tout il suit la CIA depuis qu’il est étu­diant. Cet accès pri­vi­lé­gié lui a valu quelques scoops. Il recon­naît aujourd’hui que tous ces papiers visant à amoin­drir les révé­la­tions de Webb étaient moti­vés par la peur de la rue.

    « Quand le groupe des par­le­men­taires noirs, le Black Cau­cus, a com­men­cé à dire : Voi­là ce qui a ame­né la drogue dans nos quar­tiers, une agence gou­ver­ne­men­tale ! Il y avait les mani­fes­ta­tions par­tout… A ce moment là j’ai dit : il faut qu’on scrute son tra­vail de très près. Les accu­sa­tions sont trop énormes. C’est alors qu’on a fait un papier. On a décou­vert par exemple que Blan­don (l’un des deux nica­ra­guayens) n’était pas un gros dealer…

    – Les esti­ma­tions les plus faibles de la jus­tice lui attri­buent la vente de 800 kilos de cocaïne…

    – Au total, mais pas au début… Voyez vous la chro­no­lo­gie est une chose très impor­tante dans le jour­na­lisme d’investigation… »

    A force d’attaques, le jour­nal de Gary Webb qui l’a sou­te­nu pen­dant des mois, finit par le lâcher. Fin 1996, son rédac­teur en chef lui explique qu’il va publier un rec­ti­fi­ca­tif en Une : Oui, il y a eu un tra­fic de drogue d’une dimen­sion énorme mais tu exa­gères quand tu dis que l’épidémie de crack au niveau natio­nal est due exclu­si­ve­ment à cette opé­ra­tion ; et puis les dea­lers nica­ra­guayens n’ont pas envoyé tout l’argent aux Contras, ils en ont gar­dé beau­coup pour eux même…

    L’année 1997 com­mence mal pour Gary Webb. Il est KO debout. Mais il s’acharne :

    « Ils se trompent ! Ce qu’ils ont fait c’est qu’ils sont allés voir des sources ano­nymes au gou­ver­ne­ment qui ont nié les faits. Mais c’est clair : ces gens ont ven­du de la cocaïne aux Etats Unis, ils ont ven­du des tonnes de cocaine, ils ont col­lec­té de l’argent pour les contras et les argu­ments qu’on m’oppose c’est : ouais, y avait pas autant de cocaïne que vous le dites, ils ont pas ramas­sé autant d’argent que vous le dites… Mais per­sonne ne peut nier que c’est vrai­ment arrivé ! »

    Gary webb aura beau se défendre, son enquête est dis­cré­di­tée à Washing­ton. L’adjectif « contro­ver­sée » lui est appo­sé comme une marque d’infamie. Il subit le sort du séna­teur John Ker­ry, dix ans aupa­ra­vant, lorsque celui-ci s’était inté­res­sé de trop prêt à la même question.

    Fin 1997, Gary Webb est muté à 200 km de chez lui dans un bureau sans impor­tance où il fait les chiens écra­sés. Son ex-épouse se sou­vient de cette lente des­cente aux enfers : « C’est pas comme s’ils l’avaient viré. D’abord, ils lui ont dit, on t’envoie dans un petit bureau à Cup­per­ti­no. On te mute. Il écri­vait des nécro­lo­gies. Son pre­mier papier était sur le décès d’un vieux che­val de police. C’était ça son pre­mier article, à Cuppertino… »

    Humi­lié, bri­sé, Gary Webb se décide à démis­sion­ner. Signer la lettre lui pren­dra plu­sieurs mois : « Il vou­lait pas le faire, se sou­vient Susan. Il se pro­me­nait avec les papiers, je lui deman­dais : tu les a signés ? Il disait non… Il a fina­le­ment signé et envoyé sa lettre de démis­sion. Mais c’était dur et dépri­mant. Il avait l’impression de signer son arrêt de mort. »

    Le 8 octobre 1998, avec un an de retard, la CIA rend enfin les résul­tats du rap­port interne, celui pro­mis par John Deutsch sur les alle­ga­tions de Webb (*consul­table en ligne sur le site de la CIA : http://​www​.cia​.gov/​c​i​a​/​r​e​p​o​r​t​s​/​c​o​c​a​i​n​e​/​i​n​d​e​x​.​h​tml). Il s’agit du tome 2, le plus inté­res­sant, le plus abou­ti. Devant une bro­chette de par­le­men­taires, Fre­de­rick Hitz, ins­pec­teur géné­ral de la CIA, pré­sente les conclusions.

    Tout d’abord, dit-il, l’agence dément avoir col­la­bo­ré « direc­te­ment ou indi­rec­te­ment » avec les deux dea­lers nica­ra­guayens, Blan­don et Meneses, dénon­cés par Gary Webb :

    « – Nous sommes caté­go­riques en ce qui concerne l’absence de rela­tions entre la CIA et Blan­don et Meneses… »

    Mais l’enquête ne s’en tient pas là. Dans le coeur des 400 pages, cela four­mille d’informations qui indiquent une col­la­bo­ra­tion étroite entre la Mai­son Blanche et des dizaines de dea­lers de cocaïne, des spé­cia­listes du blan­chi­ment d’argent sale liés au crime. Un séna­teur qui sait lire, a décou­vert, en plein milieu du texte, quelques phrases alam­bi­quées. Le doigt sur le rap­port, lunettes demi-lunes posées sur le bout du nez, il demande des éclair­cis­se­ments à l’homme de la cia devant les camé­ras de la chaîne par­le­men­taire C‑Span.

    « Vous indi­quez avoir trou­vé des cas pour les­quels la CIA n’a pas aus­si­tôt cou­pé les liens avec des indi­vi­dus qui sou­te­naient la contra et qu’on soup­çon­nait de tra­fi­quer de la drogue. Est ce que ça pou­vait vou­loir dire que ces gens tra­fi­quaient sur le sol américain ?

    – Oui, répond l’Inspecteur Général.

    – Ces allé­ga­tions cou­vraient-elle du tra­fic en Californie ?

    – Non… Enfin… Pas spé­ci­fi­que­ment… » (* « cia-cocaïne : l’enquête à hauts risques », Canal plus, 25 avril 2005).

    Voi­là, c’est dit : la CIA recon­naît avoir, en connais­sance de cause, tra­vaillé avec des tra­fi­quants qui agis­saient sur le ter­ri­toire des Etats-Unis d’Amérique. Ce n’est pas la seule révé­la­tion. Pen­dant l’enquête, Maxine Waters, congres­siste de Cali­for­nie, a mis au jour un curieux docu­ment. Pour pou­voir tra­vailler en toute léga­li­té avec des tra­fi­quants de drogue, la CIA avait pas­sé un accord secret, un memo­ran­dum, avec le minis­tère de la justice.

    « Le texte de cet accord éta­blis­sait que les gens de la CIA n’étaient plus for­cés de dénon­cer les tra­fi­quants de drogue pen­dant tout le temps où notre gou­ver­ne­ment a sou­te­nu les contras. On est en droit de se poser la ques­tion : pour­quoi vous faites ça ? Pour­quoi est ce que vous rédi­gez un règle­ment par­ti­cu­lier pour dis­pen­ser vos gens de dénon­cer des tra­fi­quants de drogue ?… »

    En quelques semaines, la CIA recon­naît offi­ciel­le­ment devant un groupe de par­le­men­taires avoir col­la­bo­ré avec des dea­lers qui ven­daient de la cocaïne aux amé­ri­cains et avoir chan­gé les règles pour ne pas avoir à les dénoncer. 

    Théo­ri­que­ment, ces aveux devraient don­ner lieu à un trem­ble­ment de terre. Quelles consé­quences vont-ils avoir ?
    Aucune ou presque.

    Le rap­port passe inaper­çu. Deux petits papiers en pages inté­rieures dans le New York Times et le Washing­ton Post. Rien, pas une ligne, dans le Los Angeles Times qui avait pour­tant cru­ci­fié Gary Webb.

    Il faut dire que le rap­port de la CIA sort très oppor­tu­né­ment. A l’automne 98, l’Amérique est inon­dée par le scan­dale des scan­dales. Des forêts entières sont cou­pées chaque jour pour impri­mer les der­niers rebon­dis­se­ments de cette affaire pla­né­taire : une sta­giaire de la Mai­son Blanche répon­dant au nom de Moni­ca Lewins­ky aurait pro­cé­dé à des faveurs buc­cales sur la per­sonne du Pré­sident. En plein bureau ovale. L’Amérique, vis­sée à sa télé, ne prête aucune atten­tion aux arti­cu­lets signa­lant du bout du sty­lo et avec mille pré­cau­tions que leur agence de ren­sei­gne­ments aurait peut-être un peu col­la­bo­ré avec quelques tra­fi­quants de cocaïne. Elle n’a d’yeux que pour la bouche pul­peuse de Monica…

    L’affaire Lewins­ky, c’est 1502 sujets de télé­vi­sion, 43 heures d’antenne cumu­lées (*rap­por­té par Fran­çois Rufin dans « Com­bat pour les médias », Manière de voir, le monde diplomatique).

    Wal­ter Pin­cus fut l’un des seuls jour­na­listes à rendre compte du rap­port de la CIA dans les pages inté­rieures du Washing­ton Post. Aujourd’hui, il jus­ti­fie le peu de place qu’il lui a don­né : « Je dois être trop vieux… Mais pour moi, c’est du déjà vu. Déjà au Laos, il y avait de la contre­bande d’héroïne dans les années 70, pen­dant la guerre du Viet­nam. C’est comme ça dans les opé­ra­tions under­co­ver. On a besoin de pilotes d’hélicoptère, ils tra­vaillent pour la mafia et en pro­fitent pour rame­ner de la drogue… C’est connu tout ça… « Pour Pin­cus, il faut être bien naïf pour s’étonner d’un tel dés­équi­libre de trai­te­ment entre l’affaire Lewins­ky et les aveux de la CIA sur sa col­la­bo­ra­tion avec le nar­co­tra­fic : « C’est beau­coup plus sexy comme scan­dale (l’affaire Moni­ca). Il n’y a qu’une seule per­sonne et il y a le pré­sident des Etats Unis…

    – Enfin, tout de même… Il est prou­vé que dans les ghet­tos des Etats Unis, il y a eu des gosses tou­chés par la drogue. On sait que c’est un énorme pro­blème social et humain et ça n’a pas été per­çu comme un scan­dale aus­si impor­tant par le monde jour­na­lis­tique que l’affaire Moni­ca Lewinsky… »

    Pin­cus me toise, il semble api­toyé par tant de candeur :

    – C’est notre réa­li­té, ici… » (*inter­view avec l’auteur, jan­vier 2005)

    Quant à Gary Webb, après sa démis­sion du San Jose Mer­cu­ry News, il n’a pas retrou­vé de tra­vail dans un grand jour­nal. Il sen­tait le souffre.
    Sa femme le voit peu à peu som­brer. « Je lui ai dit : je n’arrive pas à croire que quelqu’un ne va pas finir par te don­ner du bou­lot, ça me cho­que­rai. Il m’a répon­du : j’espère que tu as rai­son. Et il a pleu­ré ce jour là, il s’est assis et il a pleu­ré. Parce qu’il avait vrai­ment peur… »

    Gary Webb va s’enfoncer dans la dépres­sion. Il fini­ra par divor­cer et quit­ter sa femme et ses trois enfants. Il ne remon­te­ra plus jamais la pente. « Il avait besoin de faire ces­ser la dou­leur, dit Susan. Il en était à ce point là, il fal­lait que ça s’arrête, il n’en pou­vait plus.

    Pour les funé­railles, John Ker­ry qui vient de perdre les élec­tions pré­si­den­tielles face à George W Bush, a envoyé un petit mot. Il disait ceci : « Grâce à son tra­vail, la CIA a du recon­naître des dou­zaines de rela­tions troubles avec des tra­fi­quants de drogue. Ca ne serait jamais arri­vé s’il n’avait pas pris tous les risques. J’espère qu’il trou­ve­ra enfin la paix qui l’avait quit­té dans cette vie. »

    Pos­té le 6 décembre 2014 par Paul Moreira.

    http://​www​.pltv​.fr/​f​r​/​b​l​o​g​s​/​m​i​l​l​e​-​f​o​i​s​-​p​l​u​s​-​e​n​o​r​m​e​-​q​u​e​-​l​e​-​w​a​t​e​r​g​a​t​e​-​e​t​-​p​o​u​r​t​a​n​t​-​p​a​s​s​e​-​s​o​u​s​-​l​e​-​r​a​d​ar/

    Réponse
  2. etienne

    POURRITURE POLITICIENNE

    Les gangsters et la République 13 ‑Au nom du drapeau

    Les gangsters et la République 23 Petits arrangements entre amis

    Les gangsters et la République 3÷3− La loi de la drogue

    Réponse
  3. etienne

    Jean-Luc Mélenchon :
    « LA PROCHAINE CRISE SERA UNE CRISE DE RÉGIME »

    Réponse
  4. joss

    En Ita­lie pareil (je pense que l’on retrou­ve­ra le même cane­vas dans d’autres pays),
    Col­lu­sion entre Mafia – ser­vices secrets/gladio/otan/cia – gou­ver­ne­ment – finance et indus­triels – magis­trats – armée – loge maçonnique…

    …un nom (par­mi d’autres) sur une liste : Sil­vio Berlusconi

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