[Mémoire des luttes] « LA SOCIALE », le nouveau film, épatant, de Gilles Perret, pour nous souvenir d’Ambroise Croizat

2/12/2016 | 7 commentaires

J’ai vu le der­nier film de Gilles Per­ret, « La sociale », et, encore une fois, c’est épatant.
Gilles nous invite à ne pas oublier Ambroise Croi­zat, à qui nous devons la Sécu­ri­té sociale. 

http://​www​.laso​ciale​.fr/

C’est un sujet à la fois impor­tant et émou­vant : de mon côté, je me bagarre depuis long­temps pour que les élec­teurs se mobi­lisent per­son­nel­le­ment pour deve­nir enfin citoyens en deve­nant consti­tuants, et donc, toutes les his­toires de grandes mobi­li­sa­tions popu­laires me bou­le­versent, au spec­tacle que c’est pos­sible, de fra­ter­ni­ser très nom­breux. L’his­toire de Spar­ta­cus et des esclaves contre l’empire romain, l’his­toire de la Révo­lu­tion fran­çaise entre 1792 et 1794 et l’his­toire de la Com­mune de Paris en 1771 racon­tées par Guille­min, l’his­toire popu­laire des États-unis que racontent Zinn et Chom­sky, l’his­toire de la Sécu­ri­té sociale racon­tée par Friot et Étievent, l’his­toire des démo­cra­ties pirates inven­tées par des mutins racon­tée par Redi­ker, toutes ces his­toires où les peuples s’é­man­cipent en se levant contre la tyran­nie me remuent en pro­fon­deur (comme tout le monde).

Et gar­der vivante la mémoire de ces luttes popu­laires est un car­bu­rant essen­tiel pour les luttes actuelles. C’est d’ailleurs pour ça que les patro­nats, par­tout sur terre, font tout pour effa­cer les traces de ces conflits gagnés et pour nous rendre com­plè­te­ment amné­siques. Ici, c’est le nom d’Am­broise Croi­zat qui est a été gom­mé par la bour­geoi­sie depuis 60 ans, au point qu’il soit oublié même par les acteurs de l’ac­tuelle Sécu­ri­té sociale (!), et qu’il s’a­git de main­te­nir en vie. 


Bande Annonce « La Sociale »

On y retrouve Ber­nard Friot, Michel Étievent, et plein d’i­mages d’ar­chives, « Les Jours Heu­reux »… Un chouette film, vraiment 🙂


Je pro­fite de l’oc­ca­sion pour vous signa­ler plu­sieurs docu­ments inté­res­sants à ce propos :

L’an­nonce du film par Franck Lepage : 
https://​www​.face​book​.com/​p​e​r​m​a​l​i​n​k​.​p​h​p​?​s​t​o​r​y​_​f​b​i​d​=​1​7​8​6​2​4​4​2​4​1​6​2​9​1​6​6​&​i​d​=​1​5​2​5​9​4​6​1​0​7​6​5​8​982

Les funé­railles d’Am­broise Croi­zat (Archives PCF) :

[Pas­sion­nant] Michel Etievent nous rap­pelle qui était (et qui devrait res­ter dans nos mémoires) Ambroise Croizat :

Un livre pas­sion­nant et impor­tant, de Michel Étievent :
Ambroise Croi­zat ou l’invention sociale

http://​www​.miche​le​tievent​.lautre​.net/​s​p​i​p​.​p​h​p​?​a​r​t​i​c​l​e10

Un autre livre épa­tant, d’une actua­li­té brûlante :
Mar­cel Paul Ambroise Croi­zat che­mins croi­sés d’in­no­va­tion sociale

http://​www​.miche​le​tievent​.lautre​.net/​s​p​i​p​.​p​h​p​?​a​r​t​i​c​le1

Une autre confé­rence de Michel Étievent sur Mar­cel Paul et Ambroise Croizat :

confé­rence Etiévent

Gilles Per­ret était l’in­vi­té de « Si tu écoutes, j’an­nule tout » sur France Inter, avec Guillaume Meurice :
https://​www​.fran​cein​ter​.fr/​e​m​i​s​s​i​o​n​s​/​s​i​-​t​u​-​e​c​o​u​t​e​s​-​j​-​a​n​n​u​l​e​-​t​o​u​t​/​s​i​-​t​u​-​e​c​o​u​t​e​s​-​j​-​a​n​n​u​l​e​-​t​o​u​t​-​2​1​-​n​o​v​e​m​b​r​e​-​2​016

La (très pré­cieuse) confé­rence ges­ti­cu­lée de Ber­nard Friot :

Le pro­gramme de (l’a­bo­mi­nable et détes­table) Fillon :
détruire la Sécu­ri­té sociale, carrément,
en douce et en vitesse pen­dant les vacances scolaires (!) :

Donc, allez tous voir le film La sociale, et par­lez-en autour de vous,
pour que nous soyons très nom­breux à ne pas oublier Ambroise Croi­zat, et pour défendre la Sécu.

Salut à tous, bande de virus 🙂

Étienne.

_______

Fil Face­book cor­res­pon­dant à ce billet :
https://​www​.face​book​.com/​e​t​i​e​n​n​e​.​c​h​o​u​a​r​d​/​p​o​s​t​s​/​1​0​1​5​4​7​0​8​0​0​8​9​9​2​317

Pour m'aider et m'encourager à continuer, il est désormais possible de faire un don.
Un grand merci aux donatrices et donateurs : par ce geste, vous permettez à de beaux projets de voir le jour, pour notre cause commune.
Étienne

Catégorie(s) de l'article :

7 Commentaires

  1. etienne

    La privatisation programmée de la Sécurité sociale

    par Laurent Mau­duit (Média­part) :

    « Fran­çois Fillon a pour pro­jet une pri­va­ti­sa­tion de la Sécu­ri­té sociale. Il est allé pio­cher dans un rap­port secret du Medef et une note de l’Institut Mon­taigne, dont le pré­sident, Hen­ri de Cas­tries, est un ami proche. L’ex-PDG d’Axa pour­rait deve­nir ministre si le can­di­dat Les Répu­bli­cains accé­dait à l’Élysée.
    […]
    C’est bel et bien une pri­va­ti­sa­tion à laquelle pense Fran­çois Fillon. Et pas une pri­va­ti­sa­tion par­tielle, comme le sug­gèrent la plu­part des décryp­tages parus dans la presse, dont celui des Échos. Non ! Une pri­va­ti­sa­tion totale, ouvrant l’immense mar­ché de l’assurance mala­die aux géants de l’assurance pri­vée, qui en rêvent depuis des lustres.

    « Défaire métho­di­que­ment le pro­gramme du Conseil natio­nal de la Résistance ! »

    Pour com­prendre dans quelle filia­tion intel­lec­tuelle s’inscrit Fran­çois Fillon, il faut se sou­ve­nir des nom­breux plai­doyers qui ont été enten­dus ces der­nières années, en faveur d’une pri­va­ti­sa­tion de la Sécu­ri­té sociale.

    Sans grande sur­prise, c’est l’un des géants de l’assurance pri­vée, Axa, qui depuis très long­temps est aux avant-postes du com­bat contre le sys­tème soli­daire de l’assurance mala­die. À preuve, c’est son fon­da­teur, Claude Bébéar, qui a été aus­si long­temps l’un des par­rains du capi­ta­lisme fran­çais, qui a conduit la pre­mière charge à la fin des années 1990, fai­sant valoir que le moment était venu d’avancer vers des « Sécu­ri­tés sociales pri­vées ». Une for­mule qui à l’époque avait fait grand bruit.

    Puis, il y a eu un deuxième assaut, celui de Denis Kess­ler (ancien numé­ro deux du patro­nat, ancien pré­sident de la Fédé­ra­tion fran­çaise des socié­tés d’as­su­rance et actuel pré­sident de la SCOR, un géant de la réas­su­rance) qui, dans une décla­ra­tion toni­truante au maga­zine Chal­lenges, le 4 octobre 2007, avait esti­mé que la poli­tique éco­no­mique de Nico­las Sar­ko­zy était moins brouillonne qu’on pou­vait le pen­ser : « Les annonces suc­ces­sives des dif­fé­rentes réformes par le gou­ver­ne­ment peuvent don­ner une impres­sion de patch­work, tant elles paraissent variées, d’im­por­tance inégale, et de por­tées diverses : sta­tut de la fonc­tion publique, régimes spé­ciaux de retraite, refonte de la Sécu­ri­té sociale, pari­ta­risme… À y regar­der de plus près, on constate qu’il y a une pro­fonde uni­té à ce pro­gramme ambi­tieux. La liste des réformes ? C’est simple, pre­nez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans excep­tion. Elle est là. Il s’a­git aujourd’­hui de sor­tir de 1945, et de défaire métho­di­que­ment le pro­gramme du Conseil natio­nal de la Résistance ! »

    Or si, à l’époque aus­si, le pro­pos fait grand bruit, c’est qu’il n’est pas dif­fi­cile à décryp­ter. La Sécu­ri­té sociale était en effet l’un des très grands pro­jets consi­gnés dans le pro­gramme du Conseil natio­nal de la résis­tance (CNR), que l’on peut consul­ter ici : le CNR défen­dait l’idée d’un « plan com­plet de sécu­ri­té sociale, visant à assu­rer à tous les citoyens des moyens d’exis­tence, dans tous les cas où ils sont inca­pables de se le pro­cu­rer par le tra­vail, avec ges­tion appar­te­nant aux repré­sen­tants des inté­res­sés et de l’État ».

    […] la phi­lo­so­phie géné­rale : la par­ti­tion de la Sécu, entre soins indis­pen­sables et coû­teux d’un côté, et de l’autre côté les autres. Y figurent aus­si déjà des mesures plus concrètes sur l’optique ou les soins dentaires…

    Or il faut bien com­prendre que cette par­ti­tion entre « gros » risques, rele­vant de la soli­da­ri­té, et « petits » risques qui pour­raient être pris en charge par les mutuelles ou les assu­reurs pri­vés, ne consti­tue­rait en rien une pri­va­ti­sa­tion par­tielle. Il s’agirait d’une pri­va­ti­sa­tion totale… de tout le péri­mètre de soins qui inté­resse les assu­reurs, celui sur lequel ils peuvent espé­rer faire des pro­fits. Comme sur les mala­dies longues et coû­teuses, il est dif­fi­ci­le­ment conce­vable de faire des pro­fits, ce sec­teur serait aban­don­né à la soli­da­ri­té. Et seuls les « petits risques », ceux qui sont sol­vables, relè­ve­raient des assu­reurs. Vieux prin­cipe libé­ral : il s’agirait donc de socia­li­ser les pertes (sur les « gros » risques) et de pri­va­ti­ser les pro­fits (sur les « petits » risques).

    Le but de la manœuvre est tel­le­ment trans­pa­rent que l’Institut Mon­taigne va même jusqu’à pré­co­ni­ser que le finan­ce­ment de l’assurance mala­die repose direc­te­ment sur l’impôt, soit sous la forme de la TVA (bap­ti­sée bien sûr « TVA sociale », même si le pro­jet est… anti-social !), soit sous la forme d’un nou­veau pré­lè­ve­ment, résul­tant de la fusion de l’impôt sur le reve­nu et de la CSG. Cela condui­rait donc à l’explosion de la Sécu­ri­té sociale, puisque les « petits » risques relè­ve­raient des assu­reurs pri­vés ou des mutuelles – qui pour beau­coup d’entre elles sont deve­nues au fil des ans des orga­nismes finan­ciers mutants, copiant tous les tra­vers des éta­blis­se­ments finan­ciers pri­vés ; et les « gros » risques pour­raient être finan­cés par l’impôt, c’est-à-dire par l’État lui-même, et non par la « Sécu ».
    […]
    Lire la suite :
    https://​www​.media​part​.fr/​j​o​u​r​n​a​l​/​e​c​o​n​o​m​i​e​/​3​0​1​1​1​6​/​l​a​-​p​r​i​v​a​t​i​s​a​t​i​o​n​-​p​r​o​g​r​a​m​m​e​e​-​d​e​-​l​a​-​s​e​c​u​r​i​t​e​-​s​o​c​i​a​l​e​?​o​n​g​l​e​t​=​f​ull

    Réponse
  2. Aquablue03

    Bon­soir ,
    Com­ment oublier , elle fait par­tie inté­grante de ma vie professionnelle !
    La CGT-FSM avait un châ­teau dans le Cher nom­mé « Ambroise Croi­zat « , un beau châ­teau sans doute repris aux oli­garques et réser­vé aux adultes ouvriers dans la métal­lur­gie de la Seine ! Ils pas­saient des séjours longs pris en charge par  » la Sociale » pour une  » remise en état phy­sique et morale  » ! Plus bas , à 300 mètres , un aérium  » J.P.Timbaud  » accueillait des enfants (cas sociaux) défi­cients en san­té géné­rale avec un retard sta­tu­ro-pon­dé­ral impor­tant ! Ajou­ter à cela , les pro­blèmes divers et nom­breux que peuvent avoir les mômes liés à la vie pré­caire de leur famille , dont l’ab­sen­téisme scolaire !
    Tout est remon­té de ma mémoire . Les visages des col­lègues un à un ont repris leur place , pas un nom ne manque ! Pour les enfants c’est plus dif­fi­cile , leur pas­sage était de trois mois minimum !
    L’en­semble était sous cou­vert de la sécu ! Res­tée quatre ans , j’en suis par­tie lors­qu’ils ont par­lé de fer­mer tous les aériums de France !
    Le châ­teau a été ven­du à des étran­gers il y a peu de temps !
    Bonne soirée

    Réponse
  3. etienne

    [Mémoire des luttes] La « République » face à ses crimes : La longue quête des mineurs grévistes de l’automne 1948

    12 déc 2016, JACQUES KMIECIAK :

    À l’automne 1948, la social-démo­cra­tie au pou­voir réprime dans le sang la grève des mineurs de France. Ce dimanche 4 décembre 2016, à Lens au cœur de l’ex-Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, un hom­mage a été ren­du à ces gré­vistes « vic­times du ter­ro­risme d’Etat », selon l’expression de Nor­bert Gil­mez, l’un d’entre eux. Les sur­vi­vants ou leurs ayants droit sont tou­jours en quête d’une répa­ra­tion « pleine et entière » qui tarde à se concré­ti­ser en dépit de la recon­nais­sance par l’Etat fran­çais des crimes commis.

    En mai-juin 1941, ils défient l’occupant alle­mand au cours d’une grève patrio­tique dure­ment répri­mée par les nazis avec le sou­tien de la police fran­çaise et du patro­nat des Mines. A la Libé­ra­tion, ils se lancent dans la Bataille de la pro­duc­tion pour assu­rer l’indépendance du pays. La Répu­blique bour­geoise encense alors une cor­po­ra­tion louée pour sa com­ba­ti­vi­té, sa loyau­té et son sens du sacri­fice (sic !). En 1947, les temps changent Les com­mu­nistes sont évin­cés du gou­ver­ne­ment et la Guerre froide ravive les ten­sions de classes à l’échelle tant inter­na­tio­nale que natio­nale. A l’été 1947, une cir­cu­laire Lacoste du nom du ministre socia­liste (SFIO) de le Pro­duc­tion indus­trielle remet en cause le salaire garan­ti. Un an plus tard, des décrets épo­nymes portent de nou­veau atteinte au Sta­tut des Mineur­si et au régime de la Sécu­ri­té sociale minière ins­ti­tuée en novembre 1946. Le « trans­fert de la ges­tion des acci­dents du tra­vail et mala­dies des mains des Socié­tés de secours minières (gérés par les élus des sala­riés NDLR) à la direc­tion des houillères »ii alarment les mineurs. Tout comme la pers­pec­tive de la dimi­nu­tion de 10 % des effec­tifs au jour. Des faci­li­tés de licen­cie­ment sont accor­dées à l’exploitant sous pré­texte de lutte contre l’absentéisme. Sur des posi­tions désor­mais réso­lu­ment atlan­tistes, le gou­ver­ne­ment opère un virage à droite sur le plan social. L’employeur, de fait l’Etat-patroniii, est confor­té dans son ambi­tion de démo­lir plus d’une décen­nie de conquêtes sociales amor­cées en 1936 sous le Front popu­laire. C’est la pro­vo­ca­tion de trop pour une cor­po­ra­tion qui s’estime mal récom­pen­sée des efforts consen­tis, dans un contexte de pénu­rie per­sis­tante. Les « gueules noires » craignent un retour à la période d’avant 1936…

    Occu­pa­tion des cités minières par les tanks

    En riposte, la puis­sante Fédé­ra­tion natio­nale du Sous-Sol CGT impulse un mou­ve­ment social d’ampleur qui para­lyse l’activitéiv. La grève a été déci­dée à une large majo­ri­té des 250 000 mineurs consul­tés par un vote à bul­le­tins secrets. Dans le Nord-Pas-de-Calais, 85 % d’entre eux se pro­noncent pour l’arrêt du tra­vail. Cédant à la pres­sion de leur base, la CFTC et Force ouvrière (dont la créa­tion récente a été finan­cée par la CIA pour affai­blir la CGT) entrent timi­de­ment dans la danse. La grève débute le 4 octobre 1948. Le gou­ver­ne­ment d’Henri Queuille, prin­ci­pa­le­ment com­po­sé de socia­listes et de radi­caux fait occu­per les bas­sins miniers par l’armée et les CRS. Dans les cités, règne désor­mais une atmo­sphère de guerre. C’est l’état de siège. Pré­tex­tant une remise en cause de la sécu­ri­sa­tion des puits par la CGT, la répres­sion s’intensifie sous l’impulsion de Jules Moch, le ministre socia­liste de l’Intérieur.


    Les bas­sins miniers occupés

    Une répres­sion d’une vio­lence inouïe

    Le bilan est lourd. Très lourd. Six gré­vistes perdent la vie consé­cu­ti­ve­ment aux vio­lences poli­cières, dont Jer­sej Jam­sek, un mineur slo­vène de Mer­le­bach (Moselle) mas­sa­cré à coup de crosse par deux CRSv. Des dizaines de mili­tants de la CGT, du PCF, anciens résis­tants par­fois, sont pla­cés sous man­dat de dépôt, condam­nés à des peines d’emprisonnement de plu­sieurs mois. 117 délé­gués-mineurs sont révo­qués et d’anciens mili­taires dégra­dés­vi. Les acti­vistes étran­gers, des Polo­nais notam­ment par­ti­cu­liè­re­ment nom­breux à tra­vailler à l’abattage depuis l’entre-deux-guerres, sont expul­sés. 3 000 sala­riés sont de sur­croît licen­ciés pour avoir sim­ple­ment fait grève, un droit pour­tant recon­nu par la Consti­tu­tion. Des licen­ciés qui sont chas­sés de leur domi­cile et perdent leurs droits aux indem­ni­tés de loge­ment ou de chauf­fage… La répres­sion se pour­suit tout au long de l’année 1949. Le 1er juillet, quinze mineurs sont encore condam­nés par le tri­bu­nal cor­rec­tion­nel de Béthune (Pas-de-Calais) ! Beau­coup sont contraints à une vie de misère ou de quit­ter la région ; les Houillères omni­po­tentes les empê­chant de retrou­ver du tra­vail auprès d’autres entre­prises du sec­teur. Com­bien de familles éplo­rées ? De des­tins bri­sés ? D’honneurs bafoués ?

    Pré­pa­ra­tifs de guerre ?

    Jules Moch voit dans ces troubles la main de Mos­cou. Pour jus­ti­fier cette répres­sion sans pré­cé­dent, le pou­voir qua­li­fie ce mou­ve­ment d’« insur­rec­tion­nel ». Une allé­ga­tion sans fon­de­ment pré­texte à pri­ver le mou­ve­ment ouvrier de son avant-garde ? Et de nature à anti­ci­per tout blo­cage de ce sec­teur stra­té­gique du char­bon dans la pers­pec­tive d’une guerre contre l’URSS, désor­mais ouver­te­ment envi­sa­gée par les Etats-Unis ? Le 29 novembre, l’ordre de reprise du tra­vail est don­né. En dépit de la soli­da­ri­té mani­fes­tée tant en France qu’à l’étranger et l’élan de sym­pa­thie qu’il sus­cite, le mou­ve­ment se solde par un échec… Il fau­dra attendre 1963 pour vivre à nou­veau une grève d’une telle ampleur.

    Le trau­ma­tisme de Daniel Amigo

    Daniel Ami­go de Méri­court, près de Lens (Pas-de-Calais), vit cette répres­sion dans sa chair. « A chaque fois qu’il en parle, il a des nuits agi­tées ! » lâche Léone, son épou­se­vii. A l’automne 1948, Daniel Ami­go a 21 ans. Il est mobi­li­sé sur les piquets de grève à la fosse 6 bis d’Hénin-Liétard (Pas-de-Calais). Lorsque la gen­dar­me­rie le convoque à la mi-novembre, il s’y rend « fran­co » sans se dou­ter du sort que les pan­dores lui réservent. Aus­si­tôt pla­cé en garde à vue, l’aide-ouvrier est envoyé à la mai­son d’arrêt de Béthune, puis som­mai­re­ment jugé. « Ça allait vite, les mineurs étaient condam­nés à la chaîne », se sou­vient-il. La sen­tence tombe : deux mois de pri­son. Son avo­cat com­mis d’office lui conseille de faire appel. Daniel s’exécute. Au même motif d’« entrave à la liber­té du tra­vail », il écope alors d’une forte amende et d’un mois de déten­tion sup­plé­men­taire. Bien que syn­di­qué à la CGT, Daniel n’a pour­tant rien d’un dur, d’un meneur… De son court pas­sage à Béthune, il conserve un sou­ve­nir amu­sé : « Aux contacts d’anciens des Bri­gades inter­na­tio­nales, des caïds, j’y ai appris des chants révo­lu­tion­naires… C’était la Révo­lu­tion là-dedans. » A la pri­son de Cuin­cy, près de Douai (Nord), où il purge sa peine, « l’ambiance était dif­fé­rente. On était à dix par cel­lule et il n’y avait qu’un lit. On dor­mait par terre. Il fal­lait le voir pour le croire. La jour­née, pri­vés de contacts avec les droits com­muns et mal vus des matons, on jouait au bal­lon ou aux cartes », pour­suit Daniel Ami­go libé­ré le 18 février 1949. C’est le jour­nal Liber­té, l’organe du PCF dans la région, « qui paie­ra mon amende ». Licen­cié des Houillères, Daniel trouve « grâce à un copain de mon père, un emploi à la coopé­ra­tive ouvrière (CCPM) du vil­lage voi­sin de Beau­mont ». Il y fini­ra sa car­rière. D’autres n’ont pas cette chance. « Il n’y en a eu des mal­heu­reux, avec des gamins à charge, pri­vés de mai­son et de cou­ver­ture sociale », lâche Léone. De ces tristes évè­ne­ments, Daniel ne parle pas à ses enfants. Long­temps, il tente de les éva­cuer de sa mémoire…

    Vers la reconnaissance…

    Dès juin 1949, la Fédé­ra­tion régio­nale CGT des mineurs simi­laires et retrai­tés (Nord, Pas-de-Calais, Anzin) demande une entre­vue au pré­fet du Pas-de-Calais pour l’entretenir du « pro­blème de l’amnistie pleine et entière à ceux de nos cor­po­rants frap­pés pour faits de grève »viii. Il faut cepen­dant attendre la loi d’amnistie de 1981, votée dans la fou­lée de l’élection à la pré­si­dence de la Répu­blique de Fran­çois Mit­ter­rand, pour entre­voir une éclair­cie. Sans effets sur le plan des répa­ra­tions, cette dis­po­si­tion offre pour­tant un point d’appui à un ancien gré­viste de la région len­soise le com­mu­niste Georges Car­bon­nier qui reprend contact avec d’anciens col­lègues. En octobre 1998, à son congrès de Gar­danne, la Fédé­ra­tion du sous-sol CGT en fait de nou­veau un axe reven­di­ca­tif majeur. La Haute auto­ri­té de lutte contre les dis­cri­mi­na­tions et pour l’égalité (Halde) et les Prud’hommes sont sai­sis. « Ce n’est pas pour l’argent qu’on se bat, mais pour le sym­bole », insistent Léone et Daniel Ami­go. Bien plus tard, en 2011, au terme d’un long épi­sode judi­ciaire, la poi­gnée d’irréductibles encore vivants obtiennent une répa­ra­tion par­tielle. La cour d’appel de Ver­sailles recon­naît en effet le carac­tère « illi­cite » des licen­cie­ments et condamne Char­bon­nages de France à payer des indem­ni­tés à dix-sept plai­gnants, anciens mineurs ou ayants droits. L’arrêt est inva­li­dé en cas­sa­tion pour cause de pres­crip­tion, mais après plu­sieurs mois d’atermoiements encore, le gou­ver­ne­ment (PS) finit par octroyer ces indem­ni­tés. Puis, en décembre 2014, sous l’impulsion de la radi­cale Chris­tiane Tau­bi­ra, ministre de la Jus­tice, c’est cette fois une loi qui admet le « carac­tère dis­cri­mi­na­toire et abu­sif » des licenciements.

    Des répa­ra­tions insuffisantes

    Depuis, en ver­tu d’un amen­de­ment à la loi de finances de 2015, trente-six familles ont béné­fi­cié d’une allo­ca­tion for­fai­taire (30 000 euros par mineur ou conjoint et 5 000 euros par enfant). Aler­tés de cette oppor­tu­ni­té, des des­cen­dants de gré­vistes se mani­festent alors auprès de la CGT ou de l’Agence natio­nale pour la garan­tie des droits des mineurs en charge du règle­ment des dos­siers. Il res­te­rait à ce jour 200 dos­siers en sus­pens ! La CGT s’en indigne d’autant plus que la répa­ra­tion « pleine et entière » du pré­ju­dice subi, avec recons­ti­tu­tion de car­rière, est loin d’être acquise. « En 1982, le ministre du Tra­vail Jean Auroux lors d’une ren­contre avec les syn­di­cats s’était enga­gé à satis­faire le droit à la recons­ti­tu­tion de car­rière comme dans toutes les autres branches natio­na­li­sées concer­nées par cette loi d’amnistie. Employé des Houillères aux Usines de Mazin­garbe, j’estime que mon licen­cie­ment m’a fait perdre un mini­mum de 600 000 euros ! » laisse entendre Nor­bert Gil­mez, le porte-parole de ces gré­vistes de 1948, aujourd’hui âgé de 95 ans.


    Nor­bert Gil­mez : porte-parole des mineurs de 1948

    Fri­lo­si­té socialiste

    Ce dimanche 4 décembre 2016, sur l’insistance de la « Mis­sion Gil­mez »ix ani­mée par le maire com­mu­niste de Gre­nay, Chris­tian Cham­pi­ré, une plaque a été dévoi­lée en hom­mage aux gré­vistes de 1948, à la Mai­son syn­di­cale de Lens désor­mais pro­prié­té de la Com­mu­nau­té d’agglomération de Lens-Lié­vin (CALL). Dans ce haut lieu des luttes des mineurs du siècle der­nier, elle rap­pelle la « répres­sion impi­toyable » dont ils furent vic­times. Elle est ornée du logo « bleu, blanc, rouge » de la Répu­blique fran­çaise qui recon­naît donc les crimes com­mis à leur endroit. Une recon­nais­sance qui demeure hon­teuse comme le confir­mait l’absence de repré­sen­tant de l’Etat fran­çais à cette céré­mo­nie. Ou le carac­tère éva­sif des pro­pos du maître de céré­mo­nie Syl­vain Robert ; le maire (PS) de Lens et pré­sident de la CALL refu­sant de s’exprimer sur les res­pon­sa­bi­li­tés de sa famille poli­tique dans ce drame. « L’heure n’est pas à la polé­mique », se jus­ti­fie-t-il. Com­ment s’étonner d’une telle fri­lo­si­té de la part d’un digni­taire local du Par­ti socia­liste à l’heure où « son » gou­ver­ne­ment use encore et tou­jours de l’arme de la répres­sion poli­cière et judi­ciaire contre ceux (Goo­dyear, Air France, mani­fes­tants contre la loi dite « El Khom­ri » de liqui­da­tion du Code du tra­vail) qui ont l’outrecuidance de s’opposer à sa poli­tique anti­so­ciale ? Cette céré­mo­nie a néan­moins offert l’occasion à Nor­bert Gil­mez et Ray­mond Fra­cko­wiak (CGT Mineurs) de pous­ser un nou­veau « coup de gueule » à l’endroit d’un gou­ver­ne­ment qui ne répond plus à leurs sol­li­ci­ta­tions depuis le départ de Chris­tiane Tau­bi­ra et son rem­pla­ce­ment par Phi­lippe Urvoas en jan­vier 2016. La Répu­blique pré­tend-elle « jouer la montre » et attendre la dis­pa­ri­tion des der­niers témoins pour clore le dos­sier ? Ou le mépris et la haine de classe tou­jours d’actualité six décen­nies après les faits…

    JACQUES KMIECIAK
    ________

    Notes :

    i Il a été décré­té le 14 juin 1946. Cette conven­tion col­lec­tive acte d’importantes avan­cées sociales. Des com­mis­sions pari­taires de dis­ci­pline et de conci­lia­tion pro­tègent les mineurs de l’arbitraire patro­nal. Une entrée pré­coce dans la pro­fes­sion leur assure quatre semaines de congés payés par an. Ils béné­fi­cient désor­mais de la gra­tui­té du loge­ment à vie et du charbon…

    ii Révo­lu­tion, 31 octobre 2011.

    iii La natio­na­li­sa­tion des com­pa­gnies minières pri­vées a com­men­cé en décembre 1944 pour s’achever en 1946, année de la créa­tion de Char­bon­nages de France.

    iv Sur le contexte et les enjeux de cette grève, voir Marion Fon­taine et Xavier Vigna : « La grève des mineurs de l’automne 1948 en France », Ving­tième siècle. Revue d’histoire, n° 121, jan­vier-mars 2014, p. 21–34.

    v L’Humanité, 12 octobre 1948.

    vi Le 28 sep­tembre 2016, Fran­çois Hol­lande, pré­sident de la Répu­blique, a res­ti­tué à titre post­hume les titres et grades mili­taires à quatre grévistes.

    vii Inter­view de Daniel et Léone Ami­go réa­li­sée à Méri­court en 2013 par Jacques Kmieciak.

    viii Archives dépar­te­men­tales du Pas-de-Calais, 1 W 5167.

    ix Ins­ti­tué en sep­tembre 2015 par Chris­tiane Tau­bi­ra, ce groupe de tra­vail com­po­sé d’experts (syn­di­ca­liste, his­to­rien, avo­cat, ins­pec­trice de l’Education natio­nale…) est « char­gée de pro­po­ser au Gou­ver­ne­ment des actions adap­tées pour com­mé­mo­rer comme il se doit ces moments impor­tants de l’histoire poli­tique et sociale de notre pays ». L’un des objec­tifs affi­chés par Chris­tian Cham­pi­ré est d’inscrire cette page de l’histoire sociale de l’Hexagone dans les manuels sco­laires. Voir le site du minis­tère de la Jus­tice : http://​www​.jus​tice​.gouv​.fr/​l​e​-​g​a​r​d​e​-​d​e​s​-​s​c​e​a​u​x​-​1​0​0​1​6​/​u​n​e​-​m​i​s​s​i​o​n​-​p​o​u​r​-​l​a​-​m​e​m​o​i​r​e​-​d​e​s​-​m​i​n​e​u​r​s​-​g​r​e​v​i​s​t​e​s​-​2​8​3​5​4​.​h​tml

    ___________________

    Source : Investig’Action, http://​www​.inves​ti​gac​tion​.net/​l​a​-​r​e​p​u​b​l​i​q​u​e​-​f​a​c​e​-​a​-​s​e​s​-​c​r​i​m​e​s​-​l​a​-​l​o​n​g​u​e​-​q​u​e​t​e​-​d​e​s​-​m​i​n​e​u​r​s​-​g​r​e​v​i​s​t​e​s​-​d​e​-​l​a​u​t​o​m​n​e​-​1​948

    Réponse
  4. etienne

    [Vivre de nou­veaux para­digmes ici et main­te­nant] Un point sur les SCOP : 

    Réponse
  5. Aquablue03

    Un oubli majeur cepen­dant , per­sonne ne parle des charges sociales des sala­riés , ni des ver­se­ments Asse­dic ! Pour créer , c’est pas dif­fi­cile d’a­près ceci , tout parait enfan­tin , simple , mais sans fonds ! Sachant qu’ Asse­dic ponc­tionne 50% des béné­fices de l’an­née écou­lée , celle à venir risque for­te­ment de se trou­ver en manque de fonds de rou­le­ment ! La suite est qu’il fau­drait cher­cher et sur­tout trou­ver le moyen de répar­tir équi­ta­ble­ment et les pré­lè­ve­ments et les béné­fices des salariés .
    À creu­ser … Je vais gui­der mes ché­ru­bins vers cette vidéo .… là , je dis MERCI
    J’ai bien aimé l’ar­ri­vée du tableau ! Rires
    Je vous sou­haite de bonnes fêtes de fin d’année
    Bon week-end
    ève

    Réponse

Laisser un commentaire

Derniers articles

Essai pour un contrôle populaire des institutions – DÉFINITION, FORCE ET ENJEUX DE LA CONSTITUTION : pourquoi nous sommes complètement fous de ne pas nous y intéresser en priorité absolue (3 vidéos intégrales et texte)

Essai pour un contrôle populaire des institutions – DÉFINITION, FORCE ET ENJEUX DE LA CONSTITUTION : pourquoi nous sommes complètement fous de ne pas nous y intéresser en priorité absolue (3 vidéos intégrales et texte)

Chers amis, Je récapitule, sur ma chaîne et dans ce billet, les vidéos que j'ai conçues et publiées pour Une Nôtre Histoire pour faire le point sur la démocratie et les institutions, en insistant évidemment sur l'importance prioritaire d'un processus constituant...