Populisme et souverainisme ne sont pas des gros mots

25/09/2016 | 4 commentaires

Cette syn­thèse de mon tra­vail (qui date d’août 2012) est un peu longue et pas assez ordon­née, par­don, mais ces pro­po­si­tions sont impor­tantes et déci­sives, je crois. Elles pour­raient être une ébauche de livre original 🙂

[J’y ai ajou­té (entre cro­chets) la pro­po­si­tion du « salaire à vie », car je la pense aujourd’­hui (4 ans plus tard) plus éman­ci­pante du capi­ta­lisme que celle du « reve­nu de base » (d’ores et déjà récu­pé­rée et cor­rom­pue par les exploi­teurs) — voir l’ex­pli­ca­tion de Ber­nard FRIOT. Toutes les tech­niques de sol­va­bi­li­sa­tion incon­di­tion­nelle des citoyens m’in­té­ressent a prio­ri, et mes recherches continuent.]

Bon cou­rage à tous, bande de virus 🙂

Étienne

[Un entre­tien qui date de 2012 (un peu désordre, par­don) avec un jeune jour­na­liste de Rage­Mag : http://​rage​mag​.fr/popu­liste-nest-pas-un-gros-mot-entre­tien-avec-etienne-chouard/ (Le lien est deve­nu mort, je ne sais pas pourquoi.)]

“Populiste n’est pas un gros mot”

entretien avec Étienne Chouard

Publié le 24 août 2012, par Ragemag

Il s’est fait connaître en 2005, en deve­nant l’homme qui a dit NON ! à la consti­tu­tion euro­péenne. Depuis, l’enseignant Étienne Chouard conti­nue de mener son com­bat contre les Ver­saillais. Cours (très) par­ti­cu­lier d’instruction civique en com­pa­gnie d’un empê­cheur de tour­ner en rond…

Étienne Chouard, chez lui, en mars 2012 © Mathieu Deslandes/Rue89

En 2005, vous vous êtes bat­tu contre l’adoption du trai­té consti­tu­tion­nel euro­péen, pou­vez-vous nous résu­mer les rai­sons et les moyens de cet engagement ?

J’ai déci­dé de m’engager (modes­te­ment et presque timi­de­ment) après avoir lu le texte de cette anti-consti­tu­tion que l’on nous pro­po­sait, et qui vidait de leur (peu de) sub­stance toutes les consti­tu­tions natio­nales. Cette situa­tion était aggra­vée par un trai­te­ment média­tique lamen­table (automne/hiver 2004 et prin­temps 2005). Les médias étaient tous en faveur du trai­té et dénon­çaient les par­ti­sans du non comme des xéno­phobes, des réac­tion­naires, des natio­na­listes, alors que ces der­niers avaient des argu­ments puis­sants, déci­sifs, docu­men­tés et d’inspiration démo­cra­tique pour signa­ler que ce texte était dangereux.

Comme tout le monde, j’en ai beau­coup par­lé autour de moi, et j’ai écrit un texte de syn­thèse qui expo­sait cinq argu­ments par­ti­cu­liè­re­ment frap­pants (à mon sens) et que j’ai envoyé à mes col­lègues ensei­gnants sur une liste pro­fes­sion­nelle pour les invi­ter à m’aider à y voir clair ; puis, j’ai pos­té ce texte sur mon (tout petit) site per­son­nel, comme une bou­teille à la mer… Et ce texte s’est répan­du dans le pays comme une trai­née de poudre : en le rece­vant, les gens, par je ne sais quelle alchi­mie, s’enthousiasmaient et le ren­voyaient sou­vent à tout leur car­net d’adresses… J’ai ain­si reçu douze mille mails en deux mois… Fina­le­ment, c’est à la fois le regard bien­veillant, la confiance, de la plu­part de mes lec­teurs, ain­si que la méfiance des autres — ceux qui disaient de moi que j’étais un impos­teur — qui ont été les moteurs de mon enga­ge­ment depuis.

Quant aux moyens, il y a mon tra­vail bien sûr, mais il y a aus­si le tra­vail des mil­liers de mili­tants qui ont repris le texte, et qui l’ont dif­fu­sé par­tout avec les moyens du bord ; ils l’ont pho­to­co­pié puis ils l’ont glis­sé dans les boîtes aux lettres de leurs rues, etc. Cer­tains ont même tatoué leur voi­ture ou leur moto d’un « votez non à la consti­tu­tion euro­péenne et allez voir le site http://etienne​.chouard​.free​.fr/​E​u​r​o​pe/ »… Il y a eu un tra­vail de four­mis de la part de per­sonnes qui ne sont pas des pro­fes­sion­nels de la poli­tique et des médias. Ils se sont pas­sé le mot entre eux.

“Ce n’est pas aux hommes au pou­voir d’écrire les règles du pouvoir”

Puis, les médias s’y sont mis, inter­pel­lés par leurs lec­teurs. Un pre­mier jour­na­liste a fait un papier dans L’Huma inti­tu­lé : « Et si Etienne Chouard fai­sait gagner le non » Puis j’ai vu pas­ser à la mai­son toutes les télés, les radios, les jour­naux. Mis à part quelques jour­na­listes bien­veillants, les médias n’ont d’ailleurs pas été très gen­tils (ils ne l’étaient guère avec les nonistes). Mais peu importe. Mon métier, c’est prof : je m’occupe du bien com­mun par voca­tion. Donc, ce que je fais en paral­lèle depuis 2005 n’est pas très éloi­gné : je conti­nue à m’occuper du bien com­mun, mais à plus grande échelle, parce que je pense avoir trou­vé une idée ori­gi­nale pour nous sor­tir — nous tous — du pétrin.

Quelle est cette idée ?

L’idée cen­trale de tout mon tra­vail est que “ce n’est pas aux hommes au pou­voir d’écrire les règles du pou­voir” : ce n’est pas aux pro­fes­sion­nels de la poli­tique d’écrire la Consti­tu­tion : ils doivent la craindre et donc ils ne doivent sur­tout pas l’écrire. La cause des causes de nos mal­heurs est, selon moi, en nous-mêmes, parce que nous ne sommes pas capables — en par­tie parce qu’on nous a trom­pés et en par­tie parce que nous nous trom­pons — de don­ner leur véri­table sens aux mots démo­cra­tie et consti­tu­tion, et parce que nous ne prê­tons pas atten­tion aux graves conflits d’intérêts qui empoi­sonnent le pro­ces­sus constituant.

Peut-on être aujourd’hui à la fois euro­péiste et démocrate ?

Oui, mais pas d’emblée, pas for­cé­ment, et sûre­ment pas de la façon dont cela s’est fait depuis cin­quante ans. La façon actuelle de construire l’Europe est anti­so­ciale, anti­par­le­men­taire, anti­dé­mo­cra­tique (sous cou­vert de dis­cours léni­fiants qui affirment l’inverse de la réa­li­té). J’ai publié il y a peu sur mon blog une pas­sion­nante confé­rence d’Henri Guille­min sur le fas­cisme en France, qui remonte à la révo­lu­tion fran­çaise pour com­prendre ce mot utile mais galvaudé.

Avec du recul, il me semble que le fond du fas­cisme (au sens large) est un pro­jet poli­tique de domi­na­tion des riches contre les pauvres, incar­né (avant même que le mot fas­cisme n’apparaisse) par les Giron­dins durant la révo­lu­tion, puis par les Ver­saillais durant la Com­mune en 1871, puis par les repré­sen­tants du centre gauche durant la troi­sième Répu­blique (le par­ti “centre gauche” était le par­ti des indus­triels et des ban­quiers, à droite de la droite la plus cupide et la plus cynique), et fina­le­ment par les fas­cismes stric­to sen­su du 20e siècle : quand les ultra-riches ont vu qu’ils allaient perdre les élec­tions (avec la mon­tée des socia­lismes au début du 20e), ils ont renon­cé au suf­frage uni­ver­sel (qui n’était sup­por­table à leurs yeux que tant qu’ils gagnaient toutes les élec­tions) et ils sont deve­nus des adver­saires achar­nés du suf­frage universel…

”L’obsession des pos­sé­dants est de main­te­nir le niveau des salaires le plus bas possible”

Autre­ment dit, les grands pri­vi­lé­giés ne sont pour le suf­frage uni­ver­sel que quand ils sont sûrs de gagner les élec­tions ; sinon, ils deviennent “fas­cistes”… Autant dire que le fas­cisme au sens large (comme domi­na­tion de classe) est une per­ma­nence depuis 200 ans. En dupant les pauvres (qui votent pour lui) le fas­cisme vide les Répu­bliques de leur sens et prive les sala­riés de leurs pro­tec­tions. Et je trouve que l’Union Euro­péenne obtient pré­ci­sé­ment ce même résul­tat, mais de façon beau­coup plus astu­cieuse et dis­crète que le fas­cisme à la papa : le résul­tat le plus concret des trai­tés euro­péens, c’est le chô­mage de masse ins­ti­tu­tion­na­li­sé par une poli­tique moné­taire obsé­dée par l’inflation ; et du chô­mage de masse découlent direc­te­ment les bas salaires et la doci­li­té des tra­vailleurs. Or, depuis 200 ans (depuis beau­coup plus de temps, en fait), l’obsession des pos­sé­dants est de main­te­nir le niveau des salaires le plus bas pos­sible. Et c’est la meilleure clef de lec­ture du réel, je crois, celle qui donne une cohé­rence aux “impuis­sances” des acteurs poli­tiques : l’Union euro­péenne est le meilleur outil que les riches aient inven­té à ce jour pour atteindre l’objectif des bas salaires, en para­ly­sant les luttes sociales.

Pour­quoi l’Europe inté­resse-t-elle tant les élites ?

Parce que l’Europe est d’une taille tel­le­ment gigan­tesque qu’aucune démo­cra­tie digne de ce nom n’y est pos­sible, et parce que sa pré­ten­due “Consti­tu­tion” y a été pen­sée et écrite par les pré­ten­dues “élites” en ques­tion : ce sont les indus­triels et les ban­quiers qui ont vou­lu, finan­cé et fait écrire les ins­ti­tu­tions euro­péennes. C’est pour­quoi les ins­ti­tu­tions euro­péennes ins­ti­tu­tion­na­lisent la guerre éco­no­mique : la “concur­rence libre et non faus­sée” crée une fata­li­té de la lutte du tous contre tous. Rien à voir avec l’intérêt géné­ral, mais tout à voir avec l’intérêt des plus riches. Nos plou­to­cra­ties se radicalisent.

”Sou­ve­rai­niste n’est pas un gros mot du tout !”

On a du mal à défaire les logiques d’intérêt des dogmes idéologiques.

C’est lié. Vous savez, un dogme c’est une pen­sée impo­sée, répé­tée, rabâ­chée. Les riches ont mis ça en place de façon très orga­ni­sée : ils ont ache­té presque tous les médias impor­tants. Pour­quoi le ban­quier Roth­schild achète le jour­nal Libé­ra­tion ? Pas pour gagner de l’argent, il va en perdre. Pour­quoi la banque Lazard achète le jour­nal Le Monde ? Idem. Pour­quoi le Cré­dit Agri­cole achète la radio Sky­rock ? Itou. Pour­quoi les mar­chands d’armes Lagar­dère et Das­sault ont-ils ache­té les trois quarts de la presse et une grande par­tie des mai­sons d’édition ? Que des mar­chands de canons maî­trisent les médias et l’édition, c’est à la fois dan­ge­reux et révol­tant. Avec ces outils-là, en plus de gagner les élec­tions (ce qui est tout à fait essen­tiel, évi­dem­ment), on peut effec­ti­ve­ment fabri­quer et entre­te­nir un dogme. Par exemple, on peut rabâ­cher tous les jours que “l’Europe, c’est bien”, ou qu’il faut abso­lu­ment, “pour des rai­sons huma­ni­taires”, aller faire la guerre un peu par­tout dans le monde : en Afgha­nis­tan, en Irak, en Lybie, en Syrie, en Iran, et puis quoi encore ?

Selon vous, peut-on être démo­crate sans être souverainiste ?

Non ; pro­ba­ble­ment non. Mais sou­ve­rai­niste n’est pas un gros mot du tout ! C’est plu­tôt le mot anti­sou­ve­rai­niste qui désigne des traîtres au bien com­mun : si vous êtes contre la sou­ve­rai­ne­té, vous êtes pour quoi ? Rous­seau et Robes­pierre étaient (évi­dem­ment) sou­ve­rai­nistes. La patrie est une fic­tion construc­tive qui nous ras­semble, qui essaye de repro­duire à plus grande échelle l’attraction fami­liale qui fait que l’on s’entraide volon­tiers. Le sou­ve­rai­nisme est le fon­de­ment de nom­breuses soli­da­ri­tés (natio­nales sou­vent, mais pas seule­ment) : on ne se connaît pas indi­vi­duel­le­ment mais l’on est prêt à se don­ner du mal pour ceux qui sont de la même patrie.Tenir en détes­ta­tion le natio­na­lisme, le sou­ve­rai­nisme ou le patrio­tisme fait par­tie du dogme des “libé­raux” qui, en fait, ne veulent plus d’État dans leur che­min (et ils nous jouent cette musique depuis les phy­sio­crates au 18e siècle). Les pré­ten­dus “libé­raux” affirment que l’on doit les guerres aux sen­ti­ments chau­vins liés au natio­na­lisme. Mais c’est une blague !

“La Consti­tu­tion doit sépa­rer les pou­voirs et per­mettre de les contrôler”

Les guerres, on les doit évi­dem­ment aux grands indus­triels et aux ban­quiers (lire Guille­min pour s’en convaincre avec force détail) ; on pour­rait même, d’une cer­taine façon, attri­buer les guerres aux phi­lo­sophes des “Lumières” (qui étaient de sor­dides uti­li­ta­ristes, des phi­lo­sophes des riches pour les riches, qui fai­saient tout ce qu’ils pou­vaient pour mettre les men­diants au tra­vail au lieu de les aider, et qui pré­fé­raient la tor­ture à vie des tra­vaux for­cés à la peine de mort, trop clé­mente à leurs yeux) phi­lo­sophes qui sou­te­naient les Giron­dins (dont la pre­mière déci­sion prise par l’assemblée légis­la­tive de 1792 fut de décla­rer une guerre de rapine contre les pays voi­sins, de façon à ce que l’État ain­si ren­floué puisse rem­bour­ser la dette publique à leur pro­fit au lieu de faire défaut), Giron­dins roya­listes qui pou­vaient bien se recon­naître plus tard dans les Ver­saillais, les riches mas­sa­creurs de la Com­mune de 1871. Une grande tra­di­tion qui semble bien per­du­rer aujourd’hui au sein de l’Union euro­péenne : endet­te­ment monstre des États auprès des plus riches, et guerre éco­no­mique per­ma­nente des pauvres contre les pauvres (pour les empê­cher de faire la révo­lu­tion). Bien sûr, je peux me trom­per, et gra­ve­ment, comme tout le monde. Mais il me semble que la contre-his­toire des 200 ans du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif reste à détailler et à dif­fu­ser largement.

Qu’est ce qu’une Constitution ?

C’est un texte supé­rieur qui décrit les condi­tions dans les­quelles les pou­voirs ins­ti­tués, légis­la­tif, exé­cu­tif, judi­ciaire, vont pou­voir pro­duire du droit, pro­duire des normes juri­diques impé­ra­tives qui s’imposeront à tous. C’est un texte qui va à la fois ins­ti­tuer des pou­voirs très utiles (parce que nous sommes nom­breux et que nous avons donc besoin d’eux) et aus­si très dan­ge­reux, car ceux qui les détiennent peuvent en abu­ser ou ser­vir les inté­rêts d’une classe pri­vi­lé­giée plu­tôt que l’intérêt géné­ral. Une Consti­tu­tion sert donc avant tout à limi­ter et à affai­blir les pou­voirs. La Consti­tu­tion doit sépa­rer les pou­voirs et per­mettre de les contrô­ler quo­ti­dien­ne­ment ; elle doit aus­si per­mettre au peuple de reprendre l’initiative à tout moment contre ses repré­sen­tants en cas de besoin.

“Chaque citoyen devrait pro­té­ger la Consti­tu­tion, SA Consti­tu­tion, les armes à la main”

Une bonne consti­tu­tion est donc un texte pro­tec­teur en cas de coup dur. Si, au lieu de ça, elle orga­nise l’impuissance des peuples et l’impunité des repré­sen­tants (comme le font toutes les Consti­tu­tions du monde), ce n’est plus une consti­tu­tion, c’est une impos­ture, c’est une anti-consti­tu­tion. C’est le cas de la consti­tu­tion fran­çaise et des ins­ti­tu­tions euro­péennes (et de bien d’autres). Les citoyens devraient non seule­ment savoir ce qu’est une consti­tu­tion, mais ils devraient aus­si faire atten­tion à qui l’écrit, qui la pro­tège et qui la fait exé­cu­ter : nous devrions tous sur­veiller la qua­li­té du pro­ces­sus consti­tuant. Chaque citoyen devrait pro­té­ger la Consti­tu­tion, SA Consti­tu­tion, les armes à la main.

Comme lors d’ une révolution ?

Oui, sauf qu’il y a de vraies et de fausses révo­lu­tions. La révo­lu­tion fran­çaise de 1789 est une fausse révo­lu­tion. C’est une révo­lu­tion entre riches : ces sont les mar­chands actifs qui prennent la place des nobles oisifs.

Carl Schmitt disait : « le sou­ve­rain est celui qui décide de l’état d’exception ». Qui aujourd’hui décide de cet état d’exception ?

Aujourd’hui le sou­ve­rain est col­lec­tif. C’est une bande de familles très riches qui financent les marion­nettes poli­tiques que sont les élus. Le régime de gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif n’est pas la démo­cra­tie. Il est anti-démo­cra­tique. Il a été construit pré­ci­sé­ment et sciem­ment pour inter­dire au peuple toute forme de démo­cra­tie. Le régime du gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif a per­mis aux riches de confis­quer 100% du pou­voir poli­tique. Le sou­ve­rain aujourd’hui, c’est une petite frac­tion du peuple : les plus riches. C’est pour­quoi, on doit par­ler de plou­to­cra­tie et pas du tout de démo­cra­tie. Et les marion­nettes poli­tiques sont des kapos : ce sont des élec­teurs qui ont déci­dé de col­la­bo­rer avec les enne­mis du peuple en échange de bons trai­te­ments. Nous sommes dans un régime qui est un inter­mé­diaire entre dic­ta­ture et démo­cra­tie. Inter­mé­diaire parce qu’on a le droit de par­ler, de mani­fes­ter, tant que ça ne change rien à ce qu’ils appellent “l’ordre social”. La “démo­cra­tie repré­sen­ta­tive” est un oxy­more qui n’a rien à voir avec la vraie démo­cra­tie. Elle pour­rait pour­tant l’être, mais à condi­tion que ce soit les citoyens eux-mêmes qui en écrivent les règles de contrôle quo­ti­dien. Je peux ima­gi­ner une démo­cra­tie repré­sen­ta­tive qui ne serait pas un oxy­more. Mais aujourd’hui la démo­cra­tie n’a rien de repré­sen­ta­tive : c’est une oli­gar­chie ploutocratique.

Qu’est-ce qu’est la démo­cra­tie selon vous ?

La démo­cra­tie est un régime dans lequel le peuple garde le contrôle de ses repré­sen­tants. Un peuple qui peut impo­ser les lois lui-même et refu­ser celles qu’on tente de lui impo­ser lorsqu’il n’est pas d’accord ; un peuple qui peut chan­ger la consti­tu­tion de sa propre ini­tia­tive ; un peuple qui peut révo­quer un acteur poli­tique lorsqu’il estime qu’il défaille. Si nous accep­tons d’appeler “démo­cra­tie” son strict contraire, on se rend inca­pable de com­prendre ce qu’est la vraie démo­cra­tie, et on s’interdit de la vou­loir. La mise à l’envers de ce mot essen­tiel est un très beau piège poli­tique.. Dans une vraie démo­cra­tie, les banques ne seraient pas pri­vées mais publiques. Nous aurions pro­ba­ble­ment ins­tau­ré le reve­nu de base et la TVA sociale qui va avec. Tous les impôts seraient rem­pla­cés par la TVA (50% des prix, impôt dif­fi­ci­le­ment frau­dable) et chaque humain tou­che­rait un reve­nu de base qui lui per­met­trait de dire non à un tra­vail dégra­dant. Grâce au reve­nu de base, tout le monde aurait la pos­si­bi­li­té de don­ner le meilleur de lui-même sans qu’on lui torde le bras parce que, pri­vé de terre, il a un besoin vital d’un reve­nu (chan­tage à la misère).

[Mieux encore ! Ayant com­pris les leçons fon­da­men­tales de Ber­nard Friot, dans une vraie démo­cra­tie, nous aurions ins­ti­tué nous-mêmes le SALAIRE À VIE, avec la qua­li­fi­ca­tion de la per­sonne (et pas du poste). Voir https://​you​tu​.be/​c​j​L​1​M​u​E​5​wpI et https://​you​tu​.be/​u​h​g​0​S​U​Y​O​Xjw.]

“Popu­liste n’est pas un gros mot”

La néces­si­té d’avoir un reve­nu pousse les gens à accep­ter n’importe quel tra­vail, et c’est pro­fon­dé­ment alié­nant. Ils sont contraints par ce sys­tème lamen­table à accep­ter des acti­vi­tés dégra­dantes, inutiles, voire nui­sibles pour le bien com­mun. Quand quelqu’un accepte, pour gagner de l’argent, de deve­nir un ingé­nieur finan­cier, ou un pro­duc­teur de semences sté­riles, ou un fabri­quant d’armes de des­truc­tion mas­sive, c’est révol­tant. Une vraie démo­cra­tie chan­ge­rait tout. Le pro­blème c’est que nous n’arrivons même pas à la vou­loir parce qu’on a lais­sé mettre à l’envers tous les mots impor­tants : consti­tu­tion, citoyen, élec­teur, démo­cra­tie, suf­frage uni­ver­sel. Tous ces mots ont été inver­sés et tant que nous l’acceptons nous sommes les jouets des maîtres du lan­gage. Mais ce n’est pas du tout une fata­li­té : on peut remettre tous les mots impor­tants à l’endroit, par édu­ca­tion popu­laire, c’est-à-dire entre nous, à la base.

Avez-vous lu La stra­té­gie du choc de Nao­mi Klein. Que pen­sez-vous de ses thèses ?

C’est une clef de lec­ture impor­tante, la mise à jour d’une stra­té­gie abjecte, cynique au pos­sible. Dans les années 50, des scien­ti­fiques ont décou­vert que des per­sonnes ayant subi des élec­tro­chocs per­daient toute volon­té, tout sens cri­tique et devien­draient dociles comme des bre­bis. Sur le modèle de cette tech­nique, les “libé­raux” intègrent le fait qu’une col­lec­ti­vi­té cho­quée par un évè­ne­ment (natu­rel ou arti­fi­ciel : un séisme, une guerre) n’est pas capable de résis­ter à une agres­sion sup­plé­men­taire et donc de se battre contre une “réforme” dont elle ne veut pas. Ces chocs peuvent très bien être pro­vo­qués : des atten­tats, des décla­ra­tions de guerre. Il existe toute sorte de pos­si­bi­li­tés pour pro­vo­quer des chocs.

“S’informer c’est résis­ter. Armez-vous !”

Qu’est-ce que le popu­lisme selon vous ?

Popu­liste n’est pas un gros mot. Je suis moi-même popu­liste, évi­dem­ment. J’ai lu Chris­to­pher Lasch et Orwell sur les conseils de Jean-Claude Michéa qui est un phi­lo­sophe spé­cia­liste du “libé­ra­lisme” que je trouve admi­rable. Le mot popu­lisme a un sens dif­fé­rent selon la bouche qui le pro­nonce. Chez Lasch, le popu­lisme est un mot posi­tif : un popu­liste c’est quelqu’un qui se pré­oc­cupe des inté­rêts du peuple. Dans la bouche des oli­garques et des Ver­saillais, ceux qui vou­draient “glo­ba­li­ser” la “gou­ver­nance”, c’est-à-dire cap­tu­rer la tota­li­té des pou­voirs poli­tiques, éco­no­miques, cultu­rels et média­tiques, le mot popu­liste veut dire déma­gogue, men­teur. Mais ce sont eux les déma­gogues. Ce sont eux qui mentent au peuple pour avoir le pouvoir.

“Le tirage au sort à la place de l’élection”

Encore une fois, “popu­liste” est un mot qui a été mis à l’envers. Je sug­gère d’ailleurs à tous les résis­tants de signa­ler les mots dan­ge­reux qui ont ain­si été mis à l’envers. Je pro­pose que nous bali­sions les mots men­teurs par un signal codé entre nous, avec des guille­mets à l’envers (Alt+175 et Alt+174 sur un cla­vier de PC), comme pour poin­ter un piège : par exemple, » popu­liste «, » démo­cra­tie «, » suf­frage uni­ver­sel «, » citoyen «, » réforme «, » consti­tu­tion «, etc. Un homme aver­ti en vaut deux. Si on repère clai­re­ment les men­songes de la Nov­langue, on sera moins vulnérable.

Vous disiez tout à l’heure que le peuple avait sa part de res­pon­sa­bi­li­té de se faire diri­ger. Peut-on consi­dé­rer qu’on est encore un peuple ?

Le peuple est un concept tem­po­raire. Une col­lec­ti­vi­té, à un moment don­né, se consi­dère comme un peuple et est prête à envi­sa­ger des objec­tifs com­muns et à se pro­té­ger mutuel­le­ment. En pre­nant conscience du dan­ger des voleurs de pou­voirs (qui exis­te­ront tou­jours dans les col­lec­ti­vi­tés : les aspi­rants chefs, les lea­ders…), nous devrions arri­ver à nous en méfier et à évi­ter à tout prix de leur don­ner le pou­voir, et donc à ins­ti­tuer le tirage au sort à la place de l’élection. Un peuple qui aurait tes­té à petite échelle, au niveau de la com­mune, une vraie démo­cra­tie, avec le tirage au sort et ses contrôles.

Est-ce que, selon vous, la Suisse est une démocratie ?

La Suisse est une semi-démo­cra­tie (ce qui est déjà bien), grâce au réfé­ren­dum d’initiative popu­laire. Les Suisses ont ain­si les moyens ins­ti­tu­tion­nels, à leur propre ini­tia­tive, de court-cir­cui­ter leurs repré­sen­tants sur les sujets les plus graves. La Suisse est donc infi­ni­ment plus démo­cra­tique que la France, qui ne l’est pas du tout. Mais il est essen­tiel de com­prendre que cette puis­sance des Suisses ‑et cette impuis­sance des Fran­çais- est pro­gram­mée, pro­gram­mée dans la Constitution !

“Les pro­fes­sion­nels de la poli­tique ont un inté­rêt per­son­nel à pro­gram­mer l’impuissance du peuple”

Qu’est-ce qu’un réfé­ren­dum d’initiative populaire ?

Le RIP (ou RIC : réfé­ren­dum d’initiative Citoyenne) est l’institution qui garan­tit au peuple qu’il lui est pos­sible, de sa propre ini­tia­tive et à tout moment, de reprendre le contrôle des pro­ces­sus légis­la­tifs et consti­tuants. C’est cen­tral. Le réfé­ren­dum d’initiative popu­laire existe dans quelques pays dans le monde : en Ita­lie, dans la moi­tié des États-Unis, au Vene­zue­la et en Autriche, par exemple. En France, en 2008, le par­le­ment, aux ordres du gou­ver­ne­ment, a révi­sé la consti­tu­tion pour ins­ti­tuer ce qu’ils ont appe­lé frau­du­leu­se­ment (je pèse mes mots) un “réfé­ren­dum d’initiative popu­laire”. Il suf­fit de lire l’article 11 pour consta­ter que ce n’est qu’un refe­ren­dum d’initiative par­le­men­taire. Nos pré­ten­dus » repré­sen­tants « se moquent donc ouver­te­ment de nous. Nous ne sommes pas en démo­cra­tie : nous sommes en ploutocratie.

Par quel moyen le peuple fran­çais peut-il re-deve­nir ou deve­nir le souverain ?

Il faut qu’on réflé­chisse pour créer quelque chose de nou­veau et concen­trer notre objec­tif sur un point pré­cis et aucun autre (pour réunir le plus grand nombre d’entre nous). Il fau­drait que ce point com­mun soit effec­ti­ve­ment déci­sif c’est-à-dire suf­fi­sant pour entrai­ner ensuite natu­rel­le­ment la plu­part des modi­fi­ca­tions que nous souhaitons.

Ce point est, me semble-t-il, dans la qua­li­té du pro­ces­sus consti­tuant : il ne faut plus qu’il y ait de pro­fes­sion­nels de la poli­tique dans l’Assemblée consti­tuante, ni dans le Conseil consti­tu­tion­nel. PLUS JAMAIS ET EN AUCUN CAS. En effet, les pro­fes­sion­nels de la poli­tique ont un inté­rêt per­son­nel à pro­gram­mer l’impuissance du peuple, et c’est ce qu’ils font, tou­jours et par­tout. Seule une consti­tu­tion d’origine citoyenne per­met­tra au peuple de reprendre le contrôle de ses affaires (les affaires publiques).

Le tirage au sort est-il l’avenir de la démocratie ?

Non, le tirage au sort n’est pas « l’avenir de la démo­cra­tie », il en est indis­so­ciable ; c’est un lien beau­coup plus fort qu’une simple étape chro­no­lo­gique : il n’y a pas de démo­cra­tie sans tirage au sort.

Étienne Chouard.

Pro­pos recueillis par Arthur Scheuer et Bap­tiste Thion

http://etienne​.chouard​.free​.fr/​E​u​r​o​pe/forum/index.php?2012/09/08/253-rage­mag-popu­liste-n-est-pas-un-gros-mot


Pour appro­fon­dir le tra­vail de Ber­nard Friot : 

Le site réseau sala­riat :

http://​www​.reseau​-sala​riat​.info/​?​l​a​n​g​=fr

Bernard Friot « La conférence gesticulée »

Usul présente le Salaire à Vie (Bernard Friot)

Friot formules ses reproches au revenu de base :

_______

Fil face­book cor­res­pon­dant à ce billet :
https://​www​.face​book​.com/​e​t​i​e​n​n​e​.​c​h​o​u​a​r​d​/​p​o​s​t​s​/​1​0​1​5​4​5​3​2​9​6​5​6​1​2​317

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Étienne

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4 Commentaires

  1. etienne

    [Pour­ri­ture polititienne]

    Neelie Kroes, ex-« commissaire à la concurrence » du régime totalitaire marchand fallacieucement intitulé « Union européenne », vient d’être embauchée par la banque Merrill Lynch !! et UBER !!

    Par ailleurs, elle émar­geait aux Conseils d’ad­mi­nis­tra­tion de plus de 40 entre­prises et diri­geait une boîte implan­tée aux Baha­mas, enfer fis­cal honteux…

    http://​www​.huma​nite​.fr/​n​e​e​l​i​e​-​k​r​o​e​s​-​e​x​-​c​o​m​m​i​s​s​a​i​r​e​-​l​a​-​c​o​n​f​u​s​i​o​n​-​d​e​s​-​g​e​n​r​e​s​-​6​1​6​308

    Source : L’Humanité

    #insa­tia­ble­sé­lus­vo­leurs­men­teurs
    #enne­mis­du­peuple
    #impu­ni­té­des­pi­res­cra­pules

    Réponse
  2. Thibaut

    C’est la pre­miere fois que je te vois lais­ser un petit indice sur l’i­dée d’un livre… J’en suis fort heu­reux car je pense qu’il pour­rait deve­nir, sinon une bible, un outil tres inté­res­sant et fort pour tou­cher encore plus de gens. 

    Je pense que pas mal de monde l’at­tends avec impa­tience ce livre Etienne.

    Réponse
  3. Eve

    Très bonne idée ! J’ai tou­jours pen­sé que le net n’est pas fiable dans la
    péren­ni­té des choses ! Tout peut dis­pa­raitre dans la seconde qui suit ! L’é­cri­ture d’un livre aus­si ardue qu’elle soit per­met d’en­gran­ger les idées pour l’a­ve­nir , et cela évite d’être tenu au rabâ­chage ! Je sup­pose que vous l’a­vez com­men­cé hier ? lol
    BON COURAGE
    ève

    Réponse
  4. etienne

    Jean-Luc Mélenchon face à Robespierre (Intégrale) – Et si c’était vous ? – Toute L’ Histoire

    Réponse

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