[Bien commun menacé – Tous concernés] Comment le Pentagone punit les lanceurs d’alerte

27/05/2016 | 18 commentaires

Mer­ci au Saker fran­co­phone (remar­quable site d’in­for­ma­tion quo­ti­dienne) d’a­voir tra­duit cet article impor­tant du Guar­dian.

Tous les pou­voirs vont jus­qu’à ce qu’ils trouvent une limite, et les pou­voirs n’aiment pas les limites : tous les pou­voirs tendent à s’au­to­no­mi­ser, à s’af­fran­chir pro­gres­si­ve­ment de tous les contrôles réels.
Les pou­voirs sont inca­pables de se limi­ter eux-mêmes.

Si nous n’ap­pre­nons pas à fixer nous-mêmes des limites aux pou­voirs, on ver­ra réap­pa­raître les camps et les mas­sacres, natu­rel­le­ment, les mêmes causes pro­dui­sant les mêmes effets.

Nous avons abso­lu­ment besoin que les lan­ceurs d’a­lerte soient bien pro­té­gés, par­ti­cu­liè­re­ment en ce moment, et il n’y a que nous pour le faire (les pou­voirs ne le feront jamais cor­rec­te­ment — à cause du conflit d’intérêts).

Com­plé­tez cette info autant que vous le pou­vez (dans les com­men­taires), et… faites passer.

ÉC.

Comment le Pentagone punit les lanceurs d’alerte


Par Mark Herts­gaard – Le 22 mai 2016 – Source The Guar­dian


À l’heure actuelle, presque tout le monde sait ce qu’Edward Snow­den a fait. Il a révé­lé des docu­ments top-secrets mon­trant que l’Agence natio­nale de sécu­ri­té (NSA) espion­nait des cen­taines de mil­lions de per­sonnes à tra­vers le monde, col­lec­tait des appels télé­pho­niques et des cour­riels de pra­ti­que­ment tout le monde sur terre uti­li­sant un télé­phone mobile ou Inter­net. Lorsque ce jour­nal [The Guar­dian, NdT] a com­men­cé à publier les docu­ments de la NSA en juin 2013, cela a pro­vo­qué un débat poli­tique féroce qui conti­nue à ce jour – à pro­pos de la sur­veillance du gou­ver­ne­ment, mais aus­si à pro­pos de la mora­li­té, de la léga­li­té et de la valeur civique de lan­cer des alertes.

Mais si vous vou­lez savoir pour­quoi Snow­den a fait une telle chose, et la façon dont il l’a fait, vous devez connaître les his­toires de deux autres hommes.

Le pre­mier est Tho­mas Drake, qui a dénon­cé les mêmes acti­vi­tés de la NSA dix ans avant Snow­den. Drake était un fonc­tion­naire de la NSA plus haut pla­cé dans la hié­rar­chie que ne l’était Snow­den. Il a obéi aux lois éta­su­niennes concer­nant les lan­ceurs d’alerte, en uti­li­sant les canaux offi­ciels pour trans­mettre ses griefs. Résul­tat, il fut explosé.

Drake fut viré, arrê­té à l’aube par des agents du FBI, pis­to­lets aux poings, dépouillé de son habi­li­ta­tion de sécu­ri­té, accu­sé de crimes qui auraient pu l’envoyer en pri­son pour le reste de sa vie, rui­né finan­ciè­re­ment et pro­fes­sion­nel­le­ment. Le seul tra­vail qu’il a pu trou­ver ensuite, fut dans un maga­sin Apple de la ban­lieue de Washing­ton, où il tra­vaille encore aujourd’hui. Ajou­tant l’insulte aux bles­sures, ses aver­tis­se­ments sur les dan­gers du pro­gramme de sur­veillance de la NSA ont été lar­ge­ment ignorés.

« Le gou­ver­ne­ment a pas­sé de nom­breuses années à essayer de me bri­ser, et plus je résis­tais, plus il deve­nait méchant », m’a dit Drake.

L’histoire de Drake a été racon­tée depuis, et a eu un impact pro­fond sur Snow­den, qui a dit à un jour­na­liste en 2015 : « Il est juste de dire que s’il n’y avait pas eu de Tho­mas Drake, il n’y aurait pas eu d’Edward Snow­den.»

Mais il y a un autre homme dont l’histoire n’a jamais été racon­tée et qui, pour la pre­mière fois, parle publi­que­ment ici. Son nom est John Crane, il était un haut fonc­tion­naire du minis­tère de la Défense, qui a com­bat­tu pour four­nir un trai­te­ment équi­table aux lan­ceurs d’alerte comme Tho­mas Drake – jusqu’à ce que lui-même soit contraint de quit­ter son emploi et de deve­nir lui aus­si un lan­ceur d’alerte.

Son témoi­gnage révèle un nou­veau cha­pitre cru­cial dans l’histoire Snow­den – et la bataille per­due de Crane pour pro­té­ger les pré­cé­dents lan­ceurs d’alerte montre très clai­re­ment que Snow­den avait de bonnes rai­sons de rendre ses révé­la­tions publiques.

Au cours de dizaines d’heures d’interviews, Crane m’a racon­té com­ment les hauts fonc­tion­naires du minis­tère de la Défense ont vio­lé la loi, à plu­sieurs reprises, pour per­sé­cu­ter Drake. Tout d’abord, raconte-t-il, ils ont révé­lé l’identité de Drake au minis­tère de la Jus­tice ; puis ils ont confis­qué (et peut-être détruit) les preuves, après que Drake eut été mis en exa­men ; enfin, ils ont men­ti à pro­pos de tout cela à un juge fédéral.

L’ironie suprême ? Dans leur zèle pour punir Drake, ces res­pon­sables du Penta­gone ont invo­lon­tai­re­ment ensei­gné à Snow­den com­ment échap­per à leurs griffes quand l’employé contrac­tuel NSA de 29 ans a, à son tour, lan­cé l’alerte. Snow­den igno­rait les machi­na­tions cachées à l’intérieur du Penta­gone pour cas­ser Drake, mais le résul­tat de ces machi­na­tions – l’arrestation de Drake, son incul­pa­tion et sa per­sé­cu­tion – a envoyé un mes­sage sans équi­voque : sou­le­ver des inquié­tudes au sein du sys­tème est source de malheur.

« Nom­mez un dénon­cia­teur de la com­mu­nau­té du ren­sei­gne­ment dont la divul­ga­tion a conduit à un chan­ge­ment réel – un chan­ge­ment de lois ou de stra­té­gies – et qui n’a pas été confron­té à des repré­sailles par la suite. Les pro­tec­tions n’existent tout sim­ple­ment pas, a décla­ré Snow­den au Guar­dian cette semaine. La triste réa­li­té d’aujourd’hui, est que trans­mettre à l’inspecteur géné­ral des preuves d’actes répré­hen­sibles vrai­ment sérieux est sou­vent une erreur. Les trans­mettre à la presse com­porte des risques graves, mais au moins vous avez une chance.»

Snow­den a vu ce qui était arri­vé à Drake et à d’autres lan­ceurs d’alerte comme lui. La clé de l’efficacité de Snow­den, selon Tho­mas Devine, le direc­teur juri­dique du Pro­jet Govern­ment Accoun­ta­bi­li­ty (PGA), est qu’il a pra­ti­qué la déso­béis­sance civile, plu­tôt que la dénon­cia­tion légale. (PGA, un groupe sans but lucra­tif de Washing­ton qui défend les lan­ceurs d’alerte, a repré­sen­té Snow­den, Drake et Crane.)

« Aucun des dénon­cia­teurs légi­times qui ont essayé d’exposer la sur­veillance sans man­dat du gou­ver­ne­ment – et Drake était loin d’être le seul à avoir essayé – n’a réus­si, me dit Devine. Ils se sont mani­fes­tés et ont avan­cé leurs charges, mais le gou­ver­ne­ment répond seule­ment : Ils mentent, ils sont para­noïaques, nous ne fai­sons pas ces choses là. Les dénon­cia­teurs ne pou­vaient pas prou­ver leur cause, parce que le gou­ver­ne­ment avait clas­sé ‘confi­den­tiel’ toutes les preuves. Consi­dé­rant que Snow­den a emme­né les preuves avec lui, quand le gou­ver­ne­ment a publié ses déné­ga­tions habi­tuelles, il a pu pro­duire, docu­ment après docu­ment, les preuves indi­quant que le gou­ver­ne­ment men­tait. C’est du lan­ce­ment d’alerte par déso­béis­sance civile. »

Crane, un résident de Vir­gi­nie, bien bâti avec des taches de gris dans son col­lier de barbe bien taillée, a com­pris la déci­sion de Snow­den de ne pas res­pec­ter les règles – mais la regrette. « Quelqu’un comme Snow­den ne devrait pas avoir à res­sen­tir le besoin de se faire du mal juste pour la bonne cause », me dit-il.

Le témoi­gnage de Crane n’est pas sim­ple­ment un indi­ca­teur des moti­va­tions et des méthodes de Snow­den. Si ses allé­ga­tions sont confir­mées par la cour, cela pour­raient ame­ner des hauts res­pon­sables actuels et anciens du Penta­gone en pri­son. (Des enquêtes offi­cielles sont tran­quille­ment en cours.)

Mais l’histoire de Crane a encore plus de consé­quences : elle réfute la posi­tion prise par Barack Oba­ma et Hil­la­ry Clin­ton contre Snow­den, disant que celui-ci aurait dû trans­mettre ses pré­oc­cu­pa­tions par des voies offi­cielles parce que la loi amé­ri­caine sur les lan­ceurs d’alerte l’aurait protégé.

Com­ment Edward Snow­den est-il pas­sé de ‘loyal entre­pre­neur tra­vaillant pour la NSA’ à ‘lan­ceur d’alerte’ ?

Au moment où Snow­den est deve­nu une figure publique en 2013, Crane avait déjà pas­sé des années à mener une bataille per­due au Penta­gone pour four­nir aux lan­ceurs d’alerte les pro­tec­tions juri­diques aux­quelles ils avaient droit. Il a pris ses res­pon­sa­bi­li­tés tel­le­ment au sérieux, et a été si sou­vent en conflit avec ses supé­rieurs, qu’il por­tait des copies de la loi sur la pro­tec­tion des lan­ceurs d’alerte de 1989 et de la Consti­tu­tion des États-Unis dans sa poche, pour les sor­tir pen­dant les conflits au bureau.

Les avo­cats de Crane à PGA – qui ont l’habitude de tra­vailler avec tous les types de lan­ceurs d’alerte, gou­ver­ne­men­taux ou pri­vés – ont été décon­cer­tés par son atti­tude. D’après leur expé­rience, les res­pon­sables gou­ver­ne­men­taux les plus éle­vés se sou­ciaient peu des droits des lan­ceurs d’alerte. Alors qu’est ce qui moti­vait Crane à conti­nuer à se battre pour les droits des lan­ceurs d’alerte au Penta­gone, alors même que ses supé­rieurs deve­naient de plus en plus hos­tiles et l’ont fina­le­ment for­cé à démissionner ?

Selon Crane, le cou­rage de se battre vient de sa famille. Il n’a jamais oublié l’histoire qu’il a enten­due étant enfant, de son propre grand-père, un offi­cier de l’armée alle­mande qui fit une fois face à Adolf Hit­ler, à la pointe du fusil, dans la nuit où le futur Füh­rer a ten­té son pre­mier coup d’État.

Ancien conseiller de presse pour les membres répu­bli­cains du Congrès, John Crane a été embau­ché par le bureau de l’inspecteur géné­ral du minis­tère de la Défense en 1988. Au sein des orga­nismes gou­ver­ne­men­taux des États-Unis, un ins­pec­teur géné­ral est comme une sorte de juge et chef de la police. L’IG, comme l’inspecteur géné­ral est connu, est char­gé de s’assurer qu’une agence don­née fonc­tionne selon la loi – obéit aux règles et règle­ments, dépense l’argent comme elle y est auto­ri­sée par le Congrès. « Dans le bureau de l’IG, nous étions les gars avec les cha­peaux blancs », nous dit Crane.

En 2004, Crane fut pro­mu ins­pec­teur géné­ral adjoint. À l’âge de 48 ans, ses res­pon­sa­bi­li­tés com­pre­naient la super­vi­sion du dépar­te­ment sur les dénon­cia­tions au minis­tère de la Défense, ain­si que d’enquêter sur toutes les allé­ga­tions de mal­ver­sa­tions pro­ve­nant des deux mil­lions d’employés du minis­tère (de loin le plus grand effec­tif au sein du gou­ver­ne­ment des États-Unis), et dans cer­tains cas les allé­ga­tions pro­ve­nant de la NSA et d’autres agences de renseignement.

A cette époque, Tho­mas Drake était déjà bien avan­cé sur le che­min qui allait fina­le­ment le relier à Crane. Le pre­mier jour de Drake comme employé à part entière de l’Agence natio­nale de sécu­ri­té fut le 11 sep­tembre 2001. Alors que la NSA allait gon­fler en taille et en bud­get lorsque les États-Unis répon­draient aux attaques du 11 Sep­tembre, l’agence était déjà clas­sée comme la plus grande orga­ni­sa­tion d’espionnage, la plus géné­reu­se­ment finan­cée sur terre. Créée en 1952, la NSA est le cas­seur de code du gou­ver­ne­ment et sonoreille mon­diale. La NSA inter­cepte les com­mu­ni­ca­tions des gou­ver­ne­ments et des indi­vi­dus étran­gers et tra­duit cette intel­li­gence brute en infor­ma­tion uti­li­sable par la CIA, le FBI et les agences gouvernementales.

Drake, père de cinq enfants, avait déjà tra­vaillé pour la NSA pen­dant 12 ans, comme entre­pre­neur du sec­teur pri­vé. Une fois deve­nu membre du per­son­nel de la NSA, il fut pla­cé direc­te­ment sous la res­pon­sa­bi­li­té du troi­sième plus haut fonc­tion­naire de la NSA, Mau­reen Bagins­ki ; elle a diri­gé la plus grande divi­sion de la NSA, la Direc­tion du ren­sei­gne­ment pour les signaux, qui était res­pon­sable de l’interception des appels télé­pho­niques et autres communications.

Grand, sombre, intense, Drake était un joueur d’échecs de cham­pion­nat à l’école secon­daire, dont le don pour les mathé­ma­tiques, l’informatique et les langues ont fait de lui un élé­ment natu­rel pour l’écoute clan­des­tine en langues étran­gères et la mise à dis­po­si­tion des com­pé­tences cryp­to­gra­phiques et lin­guis­tiques dont la NSA avait besoin. Pen­dant la Guerre froide, il a tra­vaillé pour le ren­sei­gne­ment de l’armée de l’air et la sur­veillance des com­mu­ni­ca­tions de la police secrète de l’Allemagne de l’Est, la Stasi.

Dans les semaines qui sui­virent les atten­tats du 11 sep­tembre, Drake a été affec­té à la pré­pa­ra­tion du plai­doyer de la NSA au sujet de la catas­trophe. Le Congrès, les médias et le public exi­geaient des réponses : qu’est ce qui avait mal tour­né à la NSA et dans les autres orga­nismes fédé­raux, pour per­mettre aux agents d’Oussama Ben Laden de mener une attaque si dévastatrice ?

Pen­dant que Drake inter­ro­geait des col­lègues de la NSA et fouillait les dos­siers de l’agence, il est tom­bé sur des infor­ma­tions qui l’ont hor­ri­fié. Il a décou­vert que la NSA – avant même le 11 sep­tembre – avait secrè­te­ment modi­fié son champ d’opérations pour étendre ses pouvoirs.

Depuis sa créa­tion, il était stric­te­ment inter­dit à la NSA d’écouter les com­mu­ni­ca­tions natio­nales. L’enquête de Drake l’a per­sua­dé que la NSA vio­lait cette res­tric­tion en col­lec­tant des infor­ma­tions sur les com­mu­ni­ca­tions à l’intérieur comme à l’extérieur des États-Unis. Et cela, sans avoir obte­nu les ordon­nances judi­ciaires exi­gées par la loi.

Res­pec­tueux de la loi depuis le lycée – il a une fois dénon­cé à la police les noms des cama­rades de classe qu’il soup­çon­nait de vendre de l’herbe – Drake m’a dit qu’il se sen­tait obli­gé d’agir. « J’ai fait le ser­ment de res­pec­ter et de défendre la Consti­tu­tion contre tous les enne­mis étran­gers et natio­naux », m’a‑t-il expliqué.

Pour Drake, le Pro­gramme de sur­veillance du Pré­sident, comme on l’appelait sous l’administration de George W. Bush, lui a rap­pe­lé l’état d’esprit de la Sta­si. « Vous ne pas­sez pas des années à écou­ter un État poli­cier sans en être affec­té, ce n’est pas pos­sible, me dit-il. Je me sou­viens m’être dit : Ouah, je ne veux pas que cela se pro­duise dans notre pays ! Com­ment pour­riez-vous vivre dans une socié­té où il faut tou­jours regar­der der­rière son épaule, ne sachant pas à qui pou­voir faire confiance, même dans votre propre famille ?»

Le cau­che­mar de la per­sé­cu­tion de Drake par son propre gou­ver­ne­ment a com­men­cé inno­cem­ment. Ayant décou­vert des preuves de com­por­te­ment appa­rem­ment illé­gal, il a fait ce que sa for­ma­tion mili­taire et le droit sur les lan­ceurs d’alerte lui deman­daient : il a trans­mis ces infor­ma­tions à la chaîne de com­man­de­ment. Dès le début 2002, il a fait part de ses pré­oc­cu­pa­tions, d’abord à un petit nombre de hauts fonc­tion­naires de la NSA, puis aux membres appro­priés du Congrès et au per­son­nel des comi­tés de sur­veillance du Sénat et de la Chambre des représentants.

Drake a pas­sé d’innombrables heures à ces séances, mais est fina­le­ment arri­vé à la conclu­sion que per­sonne ayant une posi­tion d’autorité ne vou­lait entendre ce qu’il disait. Quand il a dit à son patron, Bagins­ki, que la sur­veillance accrue de la NSA à la suite du 11 sep­tembre sem­blait juri­di­que­ment contes­table, elle lui aurait dit de lais­ser tom­ber car la Mai­son Blanche en avait déci­dé autrement.

John Crane a enten­du par­ler de Tho­mas Drake quand Crane et ses col­lègues du bureau de l’Inspection géné­rale du Penta­gone ont reçu une plainte d’un lan­ceur d’alerte en sep­tembre 2002. La plainte allé­guait que la NSA sou­te­nait une poli­tique de sur­veillance élec­tro­nique qui était à la fois finan­ciè­re­ment et consti­tu­tion­nel­le­ment irres­pon­sable. La plainte a été signée par trois anciens res­pon­sables de la NSA, William Bin­ney, Kirk Wiebe et Edward Loo­mis, et une ancienne membre du per­son­nel du Congrès prin­ci­pal, Diane Roark. Drake a éga­le­ment approu­vé la plainte – mais parce que lui, contrai­re­ment aux quatre autres, n’avait pas encore pris sa retraite de la fonc­tion publique, il a deman­dé à ce que son nom soit ano­nyme, même dans un docu­ment cen­sé être trai­té de manière confi­den­tielle au sein du gouvernement.

Bin­ney, Wiebe, Loo­mis et Roark ont par­ta­gé les pré­oc­cu­pa­tions de Drake sur les impli­ca­tions consti­tu­tion­nelles de la sur­veillance de masse sans man­dat, mais leur plainte por­tait sur deux autres questions.

Le pre­mier point était d’ordre finan­cier. Les lan­ceurs d’alerte ont sou­te­nu que le pro­gramme de sur­veillance de la NSA, du nom de code Trail­bla­zer, était un gas­pillage éhon­té de 3,8 mil­liards de dol­lars – il avait été plus effi­cace pour cana­li­ser l’argent des contri­buables vers des entre­pre­neurs pri­vés que pour pro­té­ger la patrie.

Le deuxième point dénon­cé était que Trail­bla­zer ren­dait en réa­li­té les États-Unis moins sûrs. Ils ont recon­nu que Trail­bla­zer avait consi­dé­ra­ble­ment élar­gi la quan­ti­té de com­mu­ni­ca­tions élec­tro­niques recueillies par la NSA. Mais cette ava­lanche de don­nées brutes était trop forte – les ana­lystes de la NSA avaient du mal à dis­tin­guer l’essentiel du futile et étaient donc sus­cep­tibles de man­quer des indices importants.

Drake en a décou­vert un exemple cho­quant en fai­sant des recherches pour son rap­port sur les atten­tats du 11 sep­tembre. Des mois aupa­ra­vant, la NSA était entrée en pos­ses­sion d’un numé­ro de télé­phone à San Die­go, qui a été uti­li­sé par deux des pirates de l’air qui plus tard se sont écra­sés sur le World Trade Cen­ter. Mais la NSA n’a pas agi suite à cette découverte.

Comme Drake l’a dit plus tard à l’expert sur la NSA, James Bam­ford, la NSA a inter­cep­té sept appels télé­pho­niques entre ce numé­ro de télé­phone à San Die­go et un QG d’al-Qaida au Yémen. Drake a trou­vé un enre­gis­tre­ment de ces sept appels enter­ré dans une base de don­nées de la NSA.

Les res­pon­sables amé­ri­cains savaient depuis long­temps que le QG du Yémen était une plaque tour­nante opé­ra­tion­nelle à tra­vers laquelle Ben Laden, depuis une grotte en Afgha­nis­tan, ordon­nait des attaques. Sept appels télé­pho­niques à un tel centre à par­tir du même numé­ro de télé­phone étaient évi­dem­ment sus­pects. Pour­tant, la NSA n’a pris aucune mesure – l’information avait appa­rem­ment été négligée.

Les lan­ceurs d’alerte de la NSA envoyèrent d’abord leur plainte à l’inspecteur géné­ral de la NSA, qui les a ren­voyés. Ils mon­tèrent plus haut dans l’échelle bureau­cra­tique, en dépo­sant la plainte auprès de l’inspecteur géné­ral du minis­tère de la Défense. Là, Crane et son per­son­nel ont sub­stan­tiel­le­ment défen­du la plainte – en d’autres termes, que leur propre enquête avait conclu que les accu­sa­tions des lan­ceurs d’alerte de la NSA étaient pro­ba­ble­ment valides.

Au cours de leur enquête, Crane et ses col­lègues du bureau de l’inspection géné­rale ont éga­le­ment confir­mé l’allégation selon laquelle le pro­gramme de sur­veillance de l’administration Bush avait vio­lé le qua­trième amen­de­ment de la Consti­tu­tion des États-Unis, en espion­nant les com­mu­ni­ca­tions des Amé­ri­cains sans man­dat légal. « Nous étions pré­oc­cu­pés par ces ques­tions consti­tu­tion­nelles avant même d’avoir étu­dié leur plainte, m’a dit Crane. Nous avions reçu d’autres docu­ments de la part d’autres lan­ceurs d’alerte qui confir­maient ce point.»

Confor­mé­ment à la pro­cé­dure stan­dard, ces résul­tats d’enquête ont été trans­mis aux comi­tés de la Chambre et du Sénat super­vi­sant la NSA – et cela a pous­sé le Congrès à mettre fin au finan­ce­ment du pro­gramme Trail­bla­zer. Mais pour les dénon­cia­teurs de la NSA, cette appa­rente vic­toire fut le début d’une sombre saga qui allait chan­ger leur vie à jamais.

Les efforts de sur­veillance de masse de l’administration Bush ont été par­tiel­le­ment expo­sés en décembre 2005, lorsque le New York Times a publié un article en pre­mière page, écrit par les jour­na­listes James Risen et Eric Licht­blau. Il révé­lait que la NSA avait espion­né des appels inter­na­tio­naux et des cour­riels de cer­taines per­sonnes aux États-Unis, sans man­dats légaux.

Huit ans plus tard, cette his­toire sera éclip­sée par les révé­la­tions de Snow­den. Mais à l’époque, la Mai­son Blanche de Bush était furieuse – et ils étaient déter­mi­nés à trou­ver et à punir celui qui avait divul­gué ces détails au New York Times.

Selon Crane, ses supé­rieurs du bureau de l’inspecteur géné­ral du Penta­gone étaient dési­reux d’aider à cela. Hen­ry Shel­ley, l’avocat géné­ral – l’avocat prin­ci­pal du bureau – a deman­dé que le bureau de l’inspection géné­rale dénonce Drake et les autres lan­ceurs d’alerte de la NSA aux agents du FBI enquê­tant sur la fuite du Times.

Après tout, la récente plainte des lan­ceurs d’alerte de la NSA avait dénon­cé les mêmes pra­tiques de sur­veillance décrites dans l’article du Times – ce qui en fai­sait logi­que­ment des sus­pects de la fuite. Crane s’y est vigou­reu­se­ment oppo­sé. Infor­mer qui que ce soit – encore moins des enquê­teurs du FBI – du nom d’un lan­ceur d’alerte était illégal.

Après avoir débat­tu de la ques­tion lors d’une réunion offi­cielle dans le bureau per­son­nel de l’inspecteur géné­ral, Shel­ley et Crane ont conti­nué à en débattre dans le cou­loir. « J’ai sor­ti ma copie de la loi sur la pro­tec­tion des lan­ceurs d’alerte de ma poche, se sou­vient Crane.Je crai­gnais qu’Henry ne soit en train de vio­ler la loi. Nos voix n’étaient pas fortes, mais la conver­sa­tion était, je dirais, très intense et agi­tée. Hen­ry [répon­dit] qu’il était l’avocat géné­ral, l’avocat géné­ral est celui char­gé de gérer les choses avec le minis­tère de la Jus­tice et qu’il ferait les choses à sa façon.»

Hen­ry Shel­ley a refu­sé mes demandes répé­tées pour une entre­vue. Dans un e‑mail, il m’a dit : « Je suis confiant que lorsque cette ques­tion sera com­plè­te­ment réso­lue, aucune faute de ma part ne sera rele­vée.»

Le désac­cord entre Crane et Shel­ley en res­ta là. Ou c’est ce qu’il sem­blait encore 18 mois plus tard. Le matin du 26 juillet 2007, des agents du FBI armés de fusils ont pris d’assaut les mai­sons de Bin­ney, Wiebe, Loo­mis et Roark. Bin­ney se séchait après la douche lorsque les agents l’ont arrê­té ; lui et sa femme se sont tout à coup trou­vés avec un canon de fusils entre les yeux, se sou­vient le retrai­té de la NSA.

Crane a sen­ti le coup four­ré. L’enquête que son per­son­nel avait menée sur la plainte des lan­ceurs d’alerte avait été hau­te­ment clas­si­fiée : très peu de gens pou­vaient connaître leurs noms, et ils auraient dû res­ter confi­nés à l’intérieur du bureau de l’Inspection géné­rale. Après les raids, Crane a confron­té Shel­ley et a exi­gé de savoir si le bureau de l’IG avait don­né les noms au FBI. Shel­ley a refu­sé de dis­cu­ter de la ques­tion, se rap­pelle Crane.

La bataille a bien­tôt dégé­né­ré. Quatre mois plus tard, des agents du FBI ont pris d’assaut la mai­son de Drake dans un raid tôt le matin, devant sa famille en état de choc.

Après que Drake eut été incul­pé en 2010, ses avo­cats ont dépo­sé une demande, conforme à la loi sur la liber­té d’information, pour obte­nir les docu­ments liés à l’enquête que le bureau de Crane avait menée sur les dénon­cia­tions des lan­ceurs d’alerte. Selon Crane, il lui a été ordon­né par ses supé­rieurs du bureau de l’IG de retar­der la remise des docu­ments – qui auraient pu inno­cen­ter Drake – jusqu’après le pro­cès, qui devait avoir lieu plus tard dans l’année.

Crane pré­tend qu’il lui a été ordon­né de le faire par Shel­ley et Lynne Hal­brooks – qui avait récem­ment été nom­mée direc­trice adjointe de l’inspecteur géné­ral (en d’autres termes, le deuxième plus haut fonc­tion­naire dans le bureau de l’IG). Crane a pro­tes­té, mais a aus­si per­du cette bataille. (Hal­brooks n’a pas répon­du à ses demandes répé­tées pour une entrevue.)

En décembre 2010, près de cinq ans après que le bureau de l’inspecteur géné­ral du Penta­gone avait appa­rem­ment don­né le nom de Drake aux enquê­teurs du FBI, les avo­cats de ce der­nier ont dépo­sé une plainte auprès de l’inspecteur géné­ral, allé­guant que Drake avait été puni en repré­sailles de sa dénon­cia­tion. Selon leur plainte, les crimes dont Drake avait été accu­sés étaient « basés en par­tie, ou en tota­li­té, sur des infor­ma­tions que M. Drake avait four­nies à l’IG [du Penta­gone]» au cours de son enquête sur les lan­ceurs d’alerte de la NSA.

Crane fut à la fois effrayé et révol­té. La plainte des avo­cats de Drake sem­blait confir­mer ses soup­çons que quelqu’un au bureau de l’IG avait illé­ga­le­ment dénon­cé Drake au FBI. Pire encore, l’acte d’accusation dépo­sé contre Drake pré­sen­tait des simi­li­tudes indé­niables avec le témoi­gnage confi­den­tiel que Drake avait don­né au per­son­nel de Crane – sug­gé­rant que quelqu’un dans le bureau de l’IG n’a pas sim­ple­ment don­né le nom de Drake au FBI, mais a par­ta­gé tout son témoi­gnage, une vio­la­tion fla­grante du droit.

La plainte de Drake deman­dait une enquête, a dit Crane à Hal­brooks. Mais Hal­brooks, rejoint par Shel­ley, aurait reje­té la demande de Crane. Elle a ajou­té que Crane n’était pas un « bon joueur d’équipe » et que s’il ne chan­geait pas, elle lui ren­drait la vie difficile.

Mais il y a pire encore. Alors que le pro­cès de Drake appro­chait, au prin­temps de 2011, Crane savait que la loi exi­geait du bureau de l’IG qu’il réponde à la plainte contre repré­sailles dépo­sée par les avo­cats de Drake. Mais, raconte Crane, Shel­ley l’a alors infor­mé qu’il lui serait impos­sible d’y répondre – parce que les docu­ments per­ti­nents avaient été détruits. Le per­son­nel de niveau infé­rieur « a fou­tu le bor­del », lui aurait dit Shel­ley : ils avaient déchi­que­té les docu­ments dans un net­toyage, pré­ten­du­ment de rou­tine, des vastes armoires de l’IG pleines de docu­ments confidentiels.

Crane ne pou­vait en croire ses oreilles. « J’ai rap­pelé à Hen­ry que la des­truc­tion de docu­ments dans de telles cir­cons­tances était, comme il le savait, une ques­tion très grave et pour­rait conduire l’inspecteur géné­ral à être accu­sé d’entrave à une enquête cri­mi­nelle. » Shel­ley a répon­du, selon Crane, qu’il n’y aurait pas de pro­blèmes si tout le monde se mon­trait bon joueur d’équipe.

Le 15 février 2011, Shel­ley et Hal­brooks ont envoyé au juge char­gé de l’affaire Drake une lettre qui répète l’excuse don­née à Crane : les docu­ments deman­dés ont été détruits, par erreur, lors d’un net­toyage de rou­tine. Ce net­toyage de rou­tine a eu lieu avant que Drake n’ait été incul­pé, est-il expli­qué dans cette lettre au juge Richard Bennett.

« Lynne et Hen­ry m’avaient écar­té à ce moment-là, donc je ne savais rien de cette lettre au juge Ben­nett, dit Crane. Ils ont donc fini par men­tir à un juge dans une affaire pénale, ce qui bien sûr est un crime.»

Avec Drake résis­tant fer­me­ment à la pres­sion des pro­cu­reurs pour trou­ver un accord – « Je ne vais pas négo­cier avec la véri­té », a‑t-il décla­ré –  le gou­ver­ne­ment a fina­le­ment reti­ré la plu­part des accu­sa­tions por­tées contre lui. Ensuite, le juge a fus­ti­gé la conduite du gou­ver­ne­ment. Il était « extra­or­di­naire », a‑t-il dit, que le gou­ver­ne­ment ait fait irrup­tion dans la mai­son de Drake, l’ait accu­sé, puis laisse tom­ber le cas à la veille du pro­cès comme si, après tout, ce n’était pas un gros pro­blème. « Je trouve cela inad­mis­sible, a ajou­té Ben­nett. Dérai­son­nable. Ce sont les racines même sur les­quelles ce pays a été fon­dé […] Ce fut l’une des choses les plus fon­da­men­tales dans la décla­ra­tion des droits, que ce pays ne devait pas être expo­sé à des gens frap­pant à la porte avec l’excuse de l’autorité gou­ver­ne­men­tale et péné­trant dans leurs mai­sons ».

Lorsque John Crane a mis sa car­rière en jeu en se mobi­li­sant pour un trai­te­ment légal des lan­ceurs d’alerte du Penta­gone, il sui­vait un code moral datant de 80 ans, trans­mis par son grand-père alle­mand. Crane a gran­di dans une ban­lieue de Vir­gi­nie, mais il a pas­sé presque chaque été en Alle­magne avec la famille de sa mère. Au cours de ces séjours d’été, Crane a enten­du d’innombrables fois l’histoire du moment où son grand-père a confron­té Hit­ler. Sa mère et sa grand-mère ont racon­té l’histoire, et la morale ne chan­geait jamais. « Il faut tou­jours essayer de faire la chose juste, même quand il y a des risques, se sou­vient Crane. Et si quelqu’un doit faire la chose juste, il peut bien sûr y avoir des consé­quences.»

Le grand-père de Crane était proche des 40 ans la nuit du Putsch de la bras­se­rie d’Hitler, le 8 novembre 1923. Com­plo­tant pour ren­ver­ser la Répu­blique de Wei­mar, Hit­ler et 600 membres armés de son nou­veau par­ti nazi ont encer­clé une bras­se­rie de Munich où le gou­ver­neur de Bavière, Gus­tav von Kahr, s’adressait à la foule. Les rebelles ont fait irrup­tion dans la salle, dans l’espoir d’enlever Von Kahr et de mar­cher sur Ber­lin. Après que ses hommes eurent dévoi­lé une mitrailleuse cachée dans la gale­rie à l’étage, Hit­ler a tiré en l’air et a crié : « La révo­lu­tion natio­nale a com­men­cé !»

Le grand-père de Crane, Gün­ther Rüdel, était dans la salle, dans le cadre de ses fonc­tions mili­taires. Rüdel a noté dans un mémo de huit pages, à simple inter­ligne, un compte ren­du du putsch, minute par minute, en tant que témoin ocu­laire. (Rüdel fut plus tard un témoin du gou­ver­ne­ment dans le pro­cès qui a condam­né Hit­ler à cinq ans de pri­son, même s’il n’a a pas été appe­lé à la barre.)

Fils d’un émi­nent géné­ral alle­mand, Rüdel avait ser­vi avec dis­tinc­tion dans la Pre­mière Guerre mon­diale, gagnant deux Croix de fer. En 1923, il occu­pait le poste de chef adjoint poli­tique au géné­ral Otto von Los­sow, plus haut fonc­tion­naire de l’armée alle­mande en Bavière. En tant que tel, Rüdel était le prin­ci­pal lien entre Von Los­sow et Von Kahr et au cou­rant des nom­breux rap­ports des deux hommes avec Hit­ler. Soup­çon­nant qu’Hitler et ses par­ti­sans avaient pré­vu un coup d’État, Los­sow et Rüdel avaient for­cé leur che­min dans la bras­se­rie afin de suivre les évè­ne­ments. Le chef de la police de l’État de Bavière, Hans Rit­ter von Seis­ser, était là aus­si, accom­pa­gné d’un garde du corps. Rüdel se tenait avec Los­sow et Von Seis­ser quand les hommes armés ont fait irrup­tion dans la salle, Hit­ler en tête.

« Hit­ler, pis­to­let au poing, escor­té à droite et à gauche par des hommes armés, sa tunique tachée de bière, a pris d’assaut la salle et le podium », a écrit Rüdel dans son affi­da­vit. « Quand il était exac­te­ment en face de nous, l’adjudant chef de la police Von Seis­ser a sai­si [mais n’a pas dégai­né] son épée. Hit­ler a immé­dia­te­ment poin­té son pis­to­let sur la poi­trine de l’homme. Je lui ai crié, Mon­sieur Hit­ler ce n’est pas de cette façon que vous libé­re­rez l’Allemagne. Hit­ler a hési­té, bais­sé son pis­to­let et a conti­nué son che­min entre nous vers le podium.»

Dans le chaos envi­ron­nant, les hommes d’Hitler ont essayé de for­cer Von Kahr, Los­sow et Von Seis­ser à rejoindre le coup d’État, mais leur sou­lè­ve­ment a fait long feu. Quelques jours plus tard, Hit­ler a été arrê­té et accu­sé de tra­hi­son. Il a pas­sé un an en pri­son, où il a écrit son auto­bio­gra­phie, Mein Kampf.

« Nous sommes en train de deve­nir un État poli­cier », a décla­ré Diane Roark dans une inter­view 2014 à la télé­vi­sion. En se réfé­rant à elle-même et aux autres lan­ceurs d’alerte de la NSA, elle a ajou­té : « Nous sommes les cana­ris dans la mine de char­bon. On n’a rien fait de mal. Tout ce que nous avons fait était de nous oppo­ser à ce pro­gramme. Et pour cela, ils nous ont piétinés. »

« Ils disent : Nous fai­sons cela pour vous pro­té­ger, m’a dit William Bin­ney, le col­lègue lan­ceur d’alerte de Roark. Je vais vous dire que c’est exac­te­ment ce que les nazis disaient dans un Ordre spé­cial 48 en 1933 – nous fai­sons cela pour vous pro­té­ger. Et voi­là com­ment ils se sont débar­ras­sés de tous leurs oppo­sants poli­tiques.»

Ce sont des décla­ra­tions fortes – com­pa­rer les actions du gou­ver­ne­ment des États-Unis à l’Allemagne nazie, aler­ter d’un état poli­cier nais­sant – il est donc utile de rap­pe­ler qui les a pro­non­cées. Les lan­ceurs d’alerte de la NSA ne sont pas des gau­chistes paci­fistes à la noix. Ils ont pas­sé leur vie pro­fes­sion­nelle à l’intérieur du sys­tème de ren­sei­gne­ment amé­ri­cain, consa­cré, pen­saient-ils, à la pro­tec­tion de la patrie et à la défense de la Constitution.

Ce sont des conser­va­teurs poli­tiques, très ins­truits, res­pec­tueux des preuves, fai­sant atten­tion à ce qu’ils disent. Et ils ont dit, sur la base de leur expé­rience per­son­nelle, que le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain a été diri­gé par des gens qui étaient prêts à enfreindre la loi et à sub­ti­li­ser les pou­voirs impres­sion­nants de l’État à leurs propres fins. Ils disent que les lois et les tech­no­lo­gies qui ont secrè­te­ment été mises en place menacent de ren­ver­ser la gou­ver­nance démo­cra­tique éta­su­nienne, que l’ont croyait acquise, et de réduire leurs liber­tés à néant. Et ils disent que quelque chose doit être fait à ce sujet avant qu’il ne soit trop tard.

À Washing­ton, les hauts fonc­tion­naires et les poli­ti­ciens insistent tou­jours pour dire que le vrai méchant est Edward Snow­den. L’ancien direc­teur de la CIA James Wool­sey a appe­lé à ce que Snow­den soit  « pen­du par le cou jusqu’à sa mort, plu­tôt que d’être sim­ple­ment élec­tro­cu­té ».

Les démo­crates sont moins san­gui­naires, mais guère plus indul­gents. Le pré­sident Oba­ma et Hil­la­ry Clin­ton sou­tiennent que Snow­den a vio­lé la loi alors qu’il aurait dû leur faire confiance. « Il aurait pu obte­nir toutes les pro­tec­tions pro­mises à un lan­ceur d’alerte, a décla­ré Clin­ton dans le pre­mier débat pré­si­den­tiel démo­cra­tique d’octobre der­nier. Il aurait pu sou­le­ver toutes les ques­tions qu’il a sou­le­vées. Et je pense qu’il aurait obte­nu une réponse posi­tive à tout cela.»

Dites cela à Tho­mas Drake. Dites cela aus­si, sur ce sujet, à John Crane.

Hal­brooks a for­cé Crane à démis­sion­ner de son poste en jan­vier 2013. Après avoir quit­té le Penta­gone, Crane s’est diri­gé vers le Govern­ment Accoun­ta­bi­li­ty Pro­ject, où l’ancien pro­tec­teur des lan­ceurs d’alerte est deve­nu lui-même un lan­ceur d’alerte.

Crane a dépo­sé plainte contre Shel­ley et Hal­brooks, détaillant de nom­breux méfaits, bien plus que ceux décrits dans cet article. Le Bureau du Conseil Spé­cial (BCS), l’agence amé­ri­caine char­gée d’enquêter sur ces ques­tions, a conclu en mars 2016 qu’il y avait une « forte pro­ba­bi­li­té » que les accu­sa­tions de Crane soient fon­dées. Le choix par le BCS de l’expression « forte pro­ba­bi­li­té » est frap­pant. Il aurait pu esti­mer tout  sim­ple­ment de « manière rai­son­nable » que les accu­sa­tions de Crane étaient véri­diques, et dans ce cas, aucune autre mesure n’aurait été néces­saire. En concluant plu­tôt à une « forte pro­ba­bi­li­té », le BCS a déclen­ché un pro­ces­sus qui a léga­le­ment requis du secré­taire de la défense Ash­ton Car­ter d’organiser une nou­velle enquête sur les allé­ga­tions de Crane. Parce qu’aucun orga­nisme fédé­ral n’est auto­ri­sé à enquê­ter lui-même, cette enquête est menée par le minis­tère de la Justice.

Aus­si incroyable que cela puisse paraître, Crane vise à réin­té­grer son ancien emploi. Son avo­cat, Devine, pense que c’est un fan­tasme. De l’avis de Devine, les pro­blèmes aux­quels sont confron­tés les lan­ceurs d’alerte sont sys­té­miques – et le sys­tème ne par­donne jamais, sur­tout à quelqu’un qui a expo­sé la cor­rup­tion du sys­tème comme Crane l’a fait.

Pour Crane, cepen­dant, c’est une simple ques­tion de bien et de mal. Il n’est pas celui qui a vio­lé la loi ; ce sont ses supé­rieurs. Ce n’est donc pas à lui d’en payer le prix, mais à eux.

« Je veux seule­ment voir le sys­tème fonc­tion­ner cor­rec­te­ment, dit-il. Je sais que le sys­tème peut échouer – la Seconde Guerre mon­diale, l’Allemagne nazie – mais je sais aus­si que vous devez faire ce qui est juste. Parce que le gou­ver­ne­ment est si puis­sant, vous devez le faire tour­ner effi­ca­ce­ment et hon­nê­te­ment et confor­mé­ment à la loi.»

« Quelles sont les chances que le sys­tème fonc­tionne cor­rec­te­ment pour votre cas ?» deman­dai-je à Crane.

« Je ne vais pas vous don­ner de chiffres, répond-il avec un petit rire. C’est juste quelque chose que je me dois de faire.»

Mark Herts­gaard

Tra­duit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone.

Article ori­gi­nal du Guar­dian en anglais :
http://​www​.the​guar​dian​.com/​u​s​-​n​e​w​s​/​2​0​1​6​/​m​a​y​/​2​2​/​h​o​w​-​p​e​n​t​a​g​o​n​-​p​u​n​i​s​h​e​d​-​n​s​a​-​w​h​i​s​t​l​e​b​l​o​w​ers

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[Lan­ceurs d’a­lerte] Elise Lucet sans filtre, Cash inves­ti­ga­tion, Pana­ma Papers, l’of­fen­sive des journalistes ?

Source : Thin­ker­view

[Lan­ceurs d’a­lerte] Michel Col­lon « Pro­pa­gande de Guerre, fes­ti­val de médias men­songes et complot ? »

Source : Thin­ker­view

[Lan­ceurs d’a­lerte] Denis Robert « Char­lie Heb­do sans filtre »

Source : Thin­ker­view

Il faut voir le film (très émou­vant et très impor­tant) qui raconte l’his­toire de Snowden
iti­zen four

Pre­mière inter­ven­tion publique d’Ed­ward Snow­den en France (Inté­gra­li­té – en français)

Lan­ceurs d’a­lerte : cou­pables [selon les hommes au pou­voir] ou héros [selon le bien com­mun] ? Arte 16 décembre 2014

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[Edit]

Sté­pha­nie Gibaud : « on vous prend tout » [quand vous lan­cez une alerte]

Her­vé Fal­cia­ni : « j’é­tais prêt à aller jus­qu’en pri­son après mes révélations »


Her­vé Fal­cia­ni : « j’é­tais prêt à aller jus­qu’en… par fran­cein­ter

Un ancien agent de Trac­fin com­pa­raît pour des révé­la­tions sur le compte de Cahu­zac – 0511

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Un article paru dans le jour­nal bri­tan­nique « The guar­dian » : le Penta­gone se pré­pare à une rup­ture civile de masse
http://​www​.upr​.fr/​a​c​t​u​a​l​i​t​e​/​m​o​n​d​e​/​g​u​a​r​d​i​a​n​-​p​e​n​t​a​g​o​n​e​-​s​u​r​v​e​i​l​l​a​n​c​e​-​m​o​u​v​e​m​e​n​t​s​-​s​o​c​i​aux

Le Pentagone se prépare à une rupture civile de masse

Publié le 17 juin 2014

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Un article paru dans le journal britannique « The guardian » : le Pentagone se prépare à une rupture civile de masse

Le jour­nal The Guar­dian – plu­tôt clas­sé à gauche sur l’échiquier poli­tique bri­tan­nique – s’est fait une spé­cia­li­té, depuis main­te­nant plu­sieurs années, d’ouvrir ses colonnes et son site Inter­net à ce qu’il est conve­nu d’appeler des whist­le­blo­wer (tra­duit approxi­ma­ti­ve­ment par « lan­ceurs d’alerte » en fran­çais). C’est-à-dire à des citoyens ordi­naires (fonc­tion­naires, cher­cheurs, uni­ver­si­taires,…), qui décident d’informer le grand public d’un dan­ger ou de dérives dan­ge­reuses ou cri­mi­nelles qu’ils ont pu consta­ter dans leur métier, en inter­pel­lant les pou­voirs en place et en sus­ci­tant la prise de conscience de leurs contemporains.

Par­mi les affaires les plus récentes, The Guar­dian a par exemple été l’un des prin­ci­paux médias dans le monde à don­ner en 2013 la plus large cou­ver­ture pos­sible à Edward Snow­den, ancien employé de la CIA et de la NSA, qui a ren­du public les pro­grammes de sur­veillance de masse de la NSA.

S’inscrivant dans cette ligne édi­to­riale, The Guar­dian a publié voi­ci quelques jours – le 12 juin 2014 sur son site Inter­net – un long article de Nafeez Ahmed, uni­ver­si­taire et jour­na­liste spé­cia­liste de la sécu­ri­té internationale.

Cet article révèle au grand public l’existence d’un pro­gramme – « l’initiative de recherche Miner­va » – lan­cé par le minis­tère amé­ri­cain de la Défense, qui consiste à mettre les sciences sociales et les recherches anthro­po­lo­giques au ser­vice opé­ra­tion­nel des mili­taires américains.

Par­mi les objec­tifs clai­re­ment annon­cés figure celui d’amener l’armée amé­ri­caine à étu­dier la façon dont appa­raissent les mou­ve­ments de pro­tes­ta­tion popu­laire (impli­quant plus de 1 000 par­ti­ci­pants en acti­vi­té de façon durable) dans 58 pays (dont les États-Unis eux-mêmes), et de la pré­pa­rer à neu­tra­li­ser ces mou­ve­ments. L’un des pro­grammes de recherche a ain­si orga­ni­sé des exer­cices mili­taires dans les­quels les par­ti­ci­pants étaient char­gés de repé­rer ceux qui ‘‘cau­saient les pro­blèmes’’, ceux qui ‘‘résol­vaient les pro­blèmes’’ et le reste de la popu­la­tion. L’objectif opé­ra­tion­nel était de défi­nir une cam­pagne « d’informations » « per­met­tant de dépla­cer le centre de gra­vi­té de l’opinion vers cet ensemble de valeurs et de points de vue qui consti­tuait ‘‘l’état final dési­ré’’ de la stra­té­gie de l’armée. »

Il ne s’agit pas de sup­po­si­tions « conspi­ra­tion­nistes », mais de faits éta­blis. Et il ne s’agit pas d’opérations anec­do­tiques. L’initiative de recherche Miner­va doit béné­fi­cier de 75 mil­lions de dol­lars sur cinq ans et a béné­fi­cié pour cette seule année d’une dota­tion de 17,8 mil­lions de dol­lars votée par le Congrès amé­ri­cain. Pour mémoire, le bud­get alloué par le Congrès à la Com­mis­sion d’enquête sur le 11 sep­tembre a été de 14 mil­lions de dol­lars. 

Autant dire que cet article est très inté­res­sant et qu’il me semble devoir être lar­ge­ment dif­fu­sé en France.

Je remer­cie le ser­vice de tra­duc­tion de l’UPR (Eli­sa­beth McCor­mick) pour avoir tra­duit en fran­çais cet article dont la ver­sion ori­gi­nale en anglais peut être consul­tée ici :http://​www​.the​guar​dian​.com/​e​n​v​i​r​o​n​m​e​n​t​/​e​a​r​t​h​-​i​n​s​i​g​h​t​/​2​0​1​4​/​j​u​n​/​1​2​/​p​e​n​t​a​g​o​n​-​m​a​s​s​-​c​i​v​i​l​-​b​r​e​a​k​d​o​w​n​?​C​M​P​=​twt

Le pentagone se prépare à une rupture civile de masse

Les sciences sociales se mili­ta­risent afin de déve­lop­per des « outils opé­ra­tion­nels » visant à cibler des mili­tants paci­fiques et des mou­ve­ments de protestation.

publié par Nafeez Ahmed le 12 juin 2014

le pentagone

 

Le Penta­gone finance des recherches en sciences sociales dans le but de modé­li­ser les risques de « conta­gion sociale » qui pour­raient com­pro­mettre les inté­rêts stra­té­giques amé­ri­cains. Pho­to­graphe : Jason Reed/REUTERS

Le Dépar­te­ment de la Défense amé­ri­cain (DoD) finance un pro­gramme de recherche uni­ver­si­taire dont le but est de modé­li­ser la dyna­mique, les risques et les points de bas­cu­le­ment de troubles civils à grande échelle à tra­vers le monde, sous la super­vi­sion de diverses agences mili­taires amé­ri­caines. Ce pro­gramme de plu­sieurs mil­lions de dol­lars est conçu pour éla­bo­rer des « éclai­rages per­ti­nents pour les com­bat­tants » à court et à long terme, des­ti­nés aux hauts fonc­tion­naires et déci­deurs de « la com­mu­nau­té de la défense ». Il vise éga­le­ment à infor­mer la poli­tique menée par « les com­man­de­ments de terrain. »

Lan­cée en 2008 – l’année de la crise ban­caire mon­diale – « l’initiative de recherche Miner­va » du DoD a noué un par­te­na­riat avec les uni­ver­si­tés, « visant à amé­lio­rer la com­pré­hen­sion de base des forces sociales, cultu­relles, com­por­te­men­tales et poli­tiques qui façonnent les régions du monde d’importance stra­té­gique pour les États-Unis. »

Par­mi les pro­jets rete­nus pour la période 2014–2017 figure une étude diri­gée par l’Université de Cor­nell, gérée par le Bureau scien­ti­fique de recherche de l’US Air Force, visant à déve­lop­per un modèle empi­rique « de dyna­mique de mobi­li­sa­tion du mou­ve­ment social et des phé­no­mènes de conta­gion. » Ce pro­jet déter­mi­ne­ra « la masse cri­tique (points de bas­cu­le­ment) » des conta­gions sociales à par­tir de l’étude de leur « empreinte numé­rique » dans les cas de « la révo­lu­tion égyp­tienne de 2011, des élec­tions de 2011 à la Dou­ma en Rus­sie, de la crise du car­bu­rant sub­ven­tion­né au Nigé­ria en 2012, et des mani­fes­ta­tions au parc de Gazi en Tur­quie en 2013. »

Les mes­sages sur Twit­ter et les conver­sa­tions seront exa­mi­nés « afin d’identifier les per­sonnes qui se mobi­lisent dans une conta­gion sociale et le moment à par­tir duquel elles se mobilisent. »

Un autre pro­jet attri­bué cette année à l’Université de Washing­ton « cherche à décou­vrir les condi­tions dans les­quelles les mou­ve­ments poli­tiques visant à des chan­ge­ments poli­tiques et éco­no­miques à grande échelle prennent nais­sance » ain­si que leurs « carac­té­ris­tiques et consé­quences ». Ce pro­jet, géré par le Bureau de recherche de l’Armée amé­ri­caine, met l’accent sur « les mou­ve­ments à grande échelle impli­quant plus de 1 000 par­ti­ci­pants en acti­vi­té de façon durable ». Il cou­vri­ra 58 pays au total.

L’an der­nier, l’initiative Miner­va du DoD a finan­cé un pro­jet per­met­tant de déter­mi­ner « Qui ne devient pas un ter­ro­riste et pour­quoi ? ». Ce pro­jet, cepen­dant, confond les mili­tants paci­fiques avec les « par­ti­sans de la vio­lence poli­tique », qui se démarquent des ter­ro­ristes en cela qu’ils ne versent pas eux-mêmes dans le « mili­tan­tisme armé ». Le pro­jet énonce expli­ci­te­ment qu’il va étu­dier les acti­vistes non violents :

« Dans chaque socié­té, nous trou­vons beau­coup d’individus qui ont en com­mun les mêmes arrière-plans  démo­gra­phiques, fami­liaux, cultu­rels ou socio-éco­no­miques que ceux qui ont déci­dé de s’engager dans le ter­ro­risme et qui, cepen­dant, s’abstiennent eux-mêmes de prendre les armes, même s’ils peuvent être favo­rables aux objec­tifs finaux de groupes armés. Dans le domaine des études sur le ter­ro­risme, les études n’ont pas, jusqu’à tout récem­ment, ten­té de regar­der ce groupe de contrôle. Ce pro­jet ne traite pas des ter­ro­ristes, mais des par­ti­sans de la vio­lence politique. »

Cha­cune des 14 études de cas du pro­jet « implique des entre­tiens appro­fon­dis avec plus de dix mili­tants et acti­vistes de par­tis et d’organisations non gou­ver­ne­men­tales qui, bien que favo­rables aux causes radi­cales, ont choi­si la voie de la non-violence. »

J’ai contac­té le cher­cheur prin­ci­pal du pro­jet, le Pro­fes­seur Maria Ras­mus­sen de l’École d’études supé­rieures du Centre naval amé­ri­cain, en lui deman­dant pour­quoi les acti­vistes non vio­lents tra­vaillant pour les ONG devraient être assi­mi­lés à des par­ti­sans de la vio­lence poli­tique  – et quels « par­tis et orga­ni­sa­tions non gou­ver­ne­men­tales » sont ain­si étu­diés. Mais je n’ai reçu aucune réponse.

De même, le per­son­nel du pro­gramme Miner­va a refu­sé de répondre à une série de ques­tions simi­laires que je leur ai sou­mises, deman­dant notam­ment com­ment les « causes radi­cales » pro­mues par les ONG paci­fistes pou­vaient consti­tuer une menace poten­tielle à la sécu­ri­té natio­nale sus­cep­tible d’intéresser le DoD.

Entre autres ques­tions, j’ai demandé :

  • « Le Dépar­te­ment amé­ri­cain de la Défense voit-il les mou­ve­ments de pro­tes­ta­tion et l’activisme social dans dif­fé­rentes par­ties du monde comme une menace pour la sécu­ri­té natio­nale amé­ri­caine ? Si oui pourquoi ? »
  • « Le Dépar­te­ment de la Défense amé­ri­cain consi­dère-t-il les mou­ve­ments poli­tiques visant un chan­ge­ment poli­tique et éco­no­mique à grande échelle comme une ques­tion de sécu­ri­té natio­nale ? Si oui pourquoi ? »
  • « L’activisme, la pro­tes­ta­tion, les ‘’mou­ve­ments poli­tiques’’ et bien sûr les ONG sont des élé­ments vitaux d’une socié­té civile saine et de la démo­cra­tie. Pour­quoi le DoD finance-t-il des recherches pour étu­dier de telles questions ? »

Le Dr Erin Fitz­ge­rald, direc­teur du pro­gramme Miner­va m’a répon­du  : « J’apprécie votre inté­rêt et je suis heu­reux que vous nous contac­tiez pour nous don­ner l’occasion d’apporter des cla­ri­fi­ca­tions », avant de me pro­mettre une réponse plus détaillée. Au lieu de quoi, j’ai reçu la vague décla­ra­tion sui­vante du bureau de presse du DoD :

« Le Dépar­te­ment  de la Défense prend au sérieux son rôle en matière de sécu­ri­té des États-Unis, de ses citoyens, des alliés de l’Amérique et de ses par­te­naires. Alors que tous les défis concer­nant la sécu­ri­té ne pro­voquent pas de conflit et que tous les conflits n’impliquent pas l’intervention de l’armée amé­ri­caine, Miner­va contri­bue à finan­cer des recherches en sciences sociales fon­da­men­tales qui aident le dépar­te­ment de la Défense à mieux com­prendre ce qui pro­voque l’instabilité et l’insécurité dans le monde entier. Par une meilleure com­pré­hen­sion de ces conflits et de leurs causes préa­lables, le Dépar­te­ment de la défense peut mieux se pré­pa­rer au futur envi­ron­ne­ment de sécu­ri­té dynamique. »

En 2013, Miner­va a finan­cé un pro­jet de l’Université du Mary­land, en col­la­bo­ra­tion avec le labo­ra­toire Paci­fic Nor­th­west Natio­nal du dépar­te­ment amé­ri­cain de l’énergie, pour éva­luer le risque de troubles civils dus au chan­ge­ment cli­ma­tique. Ce pro­jet trien­nal de 1,9 mil­lion de dol­lars éla­bore des modèles pour anti­ci­per ce qui pour­rait arri­ver aux socié­tés, selon un éven­tail de scé­na­rios de chan­ge­ments cli­ma­tiques potentiels.

Dès le départ, le pro­gramme Miner­va a été pré­vu pour four­nir plus de 75 mil­lions de dol­lars sur cinq ans dédiés à la recherche en sciences sociales et com­por­te­men­tales. Pour cette seule année, il lui a été alloué un bud­get total de 17,8 mil­lions de dol­lars par le Congrès amé­ri­cain.  

Une com­mu­ni­ca­tion par cour­riel interne des­ti­né au per­son­nel de Miner­va – réfé­ren­cée dans un mémoire d’ exper­tise de 2012 – révèle que le pro­gramme est orien­té vers des résul­tats rapides des­ti­nés à être direc­te­ment appli­cables aux opé­ra­tions sur le ter­rain. Le mémoire fai­sait par­tie d’un pro­jet finan­cé par Miner­va  visant à « contrer le dis­cours musul­man radi­cal » à l’Université de l’État de l’Arizona.

Un cour­riel interne du Pro­fes­seur Steve Cor­man, cher­cheur prin­ci­pal du pro­jet, fait état d’une ren­contre orga­ni­sée par le Pro­gramme de Modé­li­sa­tion Humaine, Sociale, Cultu­relle et Com­por­te­men­tale (HSCB) du Dépar­te­ment de la Défense, pro­gramme dans lequel des hauts res­pon­sables du Penta­gone indiquent que leurs prio­ri­tés sont « de déve­lop­per des capa­ci­tés rapi­de­ment dis­po­nibles » sous forme de « modèles et outils pou­vant être inté­grés aux opérations ».

Cor­man pré­cise dans son cour­riel que, bien que le res­pon­sable du Bureau de Recherche navale, le Dr Harold Haw­kins, ait assu­ré d’emblée aux cher­cheurs de l’Université que le pro­jet n’était qu’« un effort de recherche cou­rant, donc nous ne devrions pas être pré­oc­cu­pés par son appli­ca­tion pra­tique », la réunion a en réa­li­té mon­tré que le DoD cherche à « mettre en appli­ca­tion les résul­tats ». Cor­man conseille à ses cher­cheurs de « pen­ser à pré­sen­ter les résul­tats, les rap­ports, etc., de telle sorte qu’ils [le DoD] puissent clai­re­ment voir leur appli­ca­tion comme outils qui peuvent être mis en place sur le terrain. »

De nom­breux cher­cheurs indé­pen­dants cri­tiquent ce qu’ils consi­dèrent être les efforts du gou­ver­ne­ment amé­ri­cain en matière de mili­ta­ri­sa­tion des sciences sociales au ser­vice de la guerre. En mai 2008, l’Association Amé­ri­caine d’Anthropologie (AAA) a écrit au gou­ver­ne­ment amé­ri­cain pour sou­li­gner que le Penta­gone n’a pas « le genre d’infrastructure pour éva­luer la recherche anthro­po­lo­gique [et autres sciences sociales] » d’une manière qui assure « un exa­men par les pairs, rigou­reux, objec­tif et équi­li­bré » ; elle a deman­dé que de telles recherches soient gérées à la place par des orga­nismes civils comme la Fon­da­tion Natio­nal des Sciences (NSF).

Le mois sui­vant, le DoD a signé un pro­to­cole d’entente (Memo­ran­dum of unders­tan­ding) (MoU) avec la NSF afin de pou­voir coopé­rer à la ges­tion de Miner­va. En réponse, l’AAA a mis en garde que, même si les pro­po­si­tions de recherche devaient désor­mais être éva­luées par des comi­tés d’examen du mérite de la NSF, « les fonc­tion­naires du Penta­gone auront le pou­voir de déci­sion au moment de déter­mi­ner qui siè­ge­ra aux comi­tés d’examen » :

«… Il reste des inquié­tudes dans la dis­ci­pline que la recherche soit finan­cée uni­que­ment lorsqu’elle prend en compte l’ordre du jour du Penta­gone. Les autres cri­tiques du pro­gramme, notam­ment le Réseau des anthro­po­logues enga­gés, ont fait état de leurs inquié­tudes quant à un pro­gramme sus­cep­tible de décou­ra­ger la recherche dans d’autres domaines impor­tants, et de saper le rôle de l’Université comme lieu de dis­cus­sion indé­pen­dant et de cri­tique des ins­tances militaires ».

Selon le pro­fes­seur David Price, anthro­po­logue cultu­rel à l’Université de Saint-Mar­tin à Washing­ton DC et auteur de La mili­ta­ri­sa­tion de l’anthropologie : Les sciences sociales au ser­vice de l’État mili­ta­ri­sé : « Lorsque vous regar­dez chaque élé­ment d’un grand nombre de ces pro­jets, ils se pré­sentent comme des sciences sociales nor­males, d’analyse tex­tuelle, de recherche his­to­rique et ain­si de suite ; mais lorsque vous addi­tion­nez tous ces mor­ceaux, ils par­tagent tous des thèmes de lisi­bi­li­té avec toutes les dis­tor­sions résul­tant de la sur-sim­pli­fi­ca­tion. Miner­va tra­vaille à la pro­duc­tion des élé­ments de l’empire d’une façon qui peut per­mettre aux gens de dis­so­cier leurs contri­bu­tions indi­vi­duelles du pro­jet d’ensemble. »

Le Pro­fes­seur Price a pré­cé­dem­ment expo­sé com­ment le pro­gramme HTS (Human Ter­rain Sys­tems) du Penta­gone – pro­gramme conçu pour inté­grer des spé­cia­listes des sciences sociales dans le domaine des opé­ra­tions mili­taires – conduit régu­liè­re­ment des scé­na­rios de for­ma­tion dans les régions « à l’intérieur des États-Unis. »

Citant une cri­tique som­maire du pro­gramme envoyée aux direc­teurs d’HTS par un ancien employé, Price a rap­por­té que les scé­na­rios de for­ma­tion HTS « ont adap­té COIN [contre-insur­rec­tion] pour l’Afghanistan et l’Irak » à des « situa­tions internes aux États-Unis » où la popu­la­tion locale était consi­dé­rée d’un point de vue mili­taire comme une menace pour l’équilibre du pou­voir et de l’influence et une contes­ta­tion de la loi et de l’ordre ».

Price rap­porte qu’un exer­cice mili­taire impli­quait des mili­tants éco­lo­gistes pro­tes­tant contre la pol­lu­tion pro­ve­nant d’une cen­trale au char­bon près du Mis­sou­ri, dont cer­tains étaient membres de l’ONG envi­ron­ne­men­tale bien connue Sier­ra Club. Les par­ti­ci­pants furent char­gés d’« iden­ti­fier ceux qui ‘‘résol­vaient les pro­blèmes’’», ceux qui ‘‘cau­saient les pro­blèmes’’ et le reste de la popu­la­tion, qui devait être la cible d’opérations d’informations afin de dépla­cer le centre de gra­vi­té de l’opinion vers cet ensemble de valeurs et de points de vue qui consti­tuait ‘‘l’état final dési­ré’’ de la stra­té­gie de l’armée. »

Ces exer­cices mili­taires s’inscrivent dans le droit fil d’une série de docu­ments du Penta­gone qui indiquent que la sur­veillance de masse de l’Agence de la Sécu­ri­té Natio­nale (Natio­nal Secu­ri­ty Agen­cy – NSA) est en par­tie moti­vée par la pré­pa­ra­tion à l’impact désta­bi­li­sa­teur des chocs à venir, envi­ron­ne­men­taux, éner­gé­tiques et économiques.

James Petras, pro­fes­seur de socio­lo­gie à l’Université de Bin­gham­ton à New York, par­tage les inquié­tudes de Price. Les socio­logues finan­cés par Miner­va et liés aux opé­ra­tions de contre-insur­rec­tion du Penta­gone sont impli­qués dans l’« étude des émo­tions sur­ve­nant lorsqu’on ali­mente ou que l’on réprime des mou­ve­ments déter­mi­nés par une idéo­lo­gie » ajoute-t-il, notam­ment pour « contrer des mou­ve­ments populaires. »

Miner­va est un excellent exemple de la pro­fonde étroi­tesse d’esprit et de la nature défai­tiste de l’idéologie mili­taire. Pire encore, la mau­vaise volon­té des res­pon­sables du DoD pour répondre aux ques­tions les plus fon­da­men­tales est symp­to­ma­tique d’une évi­dence : dans leur mis­sion à toute épreuve pour défendre un sys­tème mon­dial de plus en plus impo­pu­laire qui sert les inté­rêts d’une infime mino­ri­té, les agences de sécu­ri­té n’hésitent pas à peindre le reste d’entre nous comme des ter­ro­ristes en puissance.

Le Dr Nafeez Ahmed est un uni­ver­si­taire et un jour­na­liste spé­cia­liste de la sécu­ri­té inter­na­tio­nale. Il est l’auteur du Guide de l’utilisateur de la crise de civi­li­sa­tion : et com­ment la sau­ver ain­si que du roman de science-fic­tion à paraître, ZÉRO POINT.

Source : http://​www​.upr​.fr/​a​c​t​u​a​l​i​t​e​/​m​o​n​d​e​/​g​u​a​r​d​i​a​n​-​p​e​n​t​a​g​o​n​e​-​s​u​r​v​e​i​l​l​a​n​c​e​-​m​o​u​v​e​m​e​n​t​s​-​s​o​c​i​aux

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Étienne

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18 Commentaires

  1. etienne

    Sté­pha­nie Gibaud : « on vous prend tout » [quand vous lan­cez une alerte]

    Réponse
  2. etienne

    Un ancien agent de Trac­fin com­pa­raît pour des révé­la­tions sur le compte de Cahu­zac – 0511

    Réponse
  3. Personne

    Etienne tu devrais jeter un oeil à Ethe­reum, je cite : 

    « Create a demo­cra­tic auto­no­mous organization

    Now that you have deve­lo­ped your idea and secu­red funds, what’s next ? You have to hire mana­gers, find a trust­wor­thy CFO to handle the accounts, run board mee­tings and do a bunch of paperwork.

    Or you can sim­ply leave all that to an Ethe­reum contract. It will col­lect pro­po­sals from your backers and sub­mit them through a com­ple­te­ly trans­pa­rent voting process.

    One of the many advan­tages of having a robot run your orga­ni­za­tion is that it is immune to any out­side influence as it’s gua­ran­teed to exe­cute only what it was pro­gram­med to. And because the Ethe­reum net­work is decen­tra­li­zed, you’ll be able to pro­vide ser­vices with a 100% uptime guarantee. »

    « You can build :

    A vir­tual orga­ni­za­tion where mem­bers vote on issues
    A trans­pa­rent asso­cia­tion based on sha­re­hol­der voting
    Your own coun­try with an unchan­geable constitution
    A bet­ter dele­ga­tive democracy »

    https://​www​.ethe​reum​.org/

    Sinon, plus pra­tique : tu devrais limi­ter le nombre d’ar­ticle par page sur ton blog, car avec toutes les vidéos ça devient un peu long à char­ger… (et pas spé­cia­le­ment lisible)

    Réponse
  4. etienne

    [juin 2015]Elise Lucet lance une péti­tion contre le secret des affaires prô­né par Bruxelles


    http://​www​.lex​press​.fr/​a​c​t​u​a​l​i​t​e​/​m​e​d​i​a​s​/​e​l​i​s​e​-​l​u​c​e​t​-​l​a​n​c​e​-​u​n​e​-​p​e​t​i​t​i​o​n​-​c​o​n​t​r​e​-​l​e​-​s​e​c​r​e​t​-​d​e​s​-​a​f​f​a​i​r​e​s​-​p​r​o​n​e​-​p​a​r​-​b​r​u​x​e​l​l​e​s​_​1​6​8​7​8​5​7​.​h​tml

    La journaliste de France 2 s’insurge contre une directive que le Parlement européen pourrait adopter à la mi-juin. Il y a cinq jours, elle a donc lancé une pétition qui comptabilise déjà plus de 140 000 signatures.

    Celle qui traque les mau­vais com­por­te­ments des mul­ti­na­tio­nales avec son maga­zine d’en­quêtes Cash Inves­ti­ga­tion, monte au cré­neau pour défendre le secret des sources jour­na­lis­tiques. Sa cible : une direc­tive de 2013 qui doit pas­ser devant le Par­le­ment Euro­péen le 16 juin pro­chain. Ce texte vise à pro­té­ger le secret des affaires des entre­prises afin de lut­ter contre l’es­pion­nage indus­triel. Mais, comme le sou­ligne Elise Lucet dans la péti­tion qu’elle a lan­cée au début du mois sur le site Change​.org, les jour­na­listes qui révè­le­raient des infor­ma­tions sen­sibles seraient, eux aus­si, sous le coup de la justice.

    La protection des sources mise en danger

    « Avec la direc­tive ‘Secret des Affaires’, vous n’au­riez jamais enten­du par­ler du scan­dale finan­cier de Lux­Leaks, des pes­ti­cides de Mon­san­to, du scan­dale du vac­cin Gar­da­sil… », inter­pelle Elise Lucet. Et pour cause : la pro­tec­tion des sources, au coeur de la déon­to­lo­gie du jour­na­lisme, est mena­cée car le texte sou­mis au Par­le­ment dans une semaine donne une défi­ni­tion vague du secret des affaires. « Toute entre­prise pour­ra arbi­trai­re­ment déci­der si une infor­ma­tion ayant pour elle une valeur éco­no­mique pour­ra ou non être divul­guée », pointe du doigt Elise Lucet. L’a­dop­tion de cette direc­tive par le Par­le­ment euro­péen serait donc « une cen­sure inédite en Europe » selon la journaliste.

    Dans Cash Inves­ti­ga­tion, Elise Lucet entend révé­ler les pra­tiques dou­teuses de cer­tains indus­triels. Si la direc­tive « Secrets des affaires » passe au Par­le­ment euro­péen, son tra­vail d’en­quête risque d’être com­pro­mis. Cash investigation

    Il faut dire que son maga­zine Cash inves­ti­ga­tion s’est fait une spé­cia­li­té de dévoi­ler les petits secrets des grands groupe comme le ciga­ret­tier Phi­lip Mor­ris ou les prin­ci­paux opé­ra­teurs télé­pho­niques. Elise Lucet se sent donc direc­te­ment concer­née : « Notre métier consis­tant à révé­ler des infor­ma­tions d’in­té­rêt public, il nous sera désor­mais impos­sible de vous infor­mer sur des pans entiers de la vie éco­no­mique, sociale et poli­tique de nos pays. Les repor­tages deCash Inves­ti­ga­tion, mais aus­si d’autres émis­sions d’en­quête, ne pour­raient cer­tai­ne­ment plus être dif­fu­sés. », s’a­larme-t-elle. Des pro­grammes tou­chés en pre­mier lieu au porte-mon­naie puisque « si une source ou un jour­na­liste ‘viole’ ce ‘secret des affaires’, des sommes colos­sales pour­raient lui être récla­mées », ajoute la jour­na­liste de France 2.

    Edwy Plenel, Laurent Léger, Franck Annese… la classe journalistique mobilisée

    Vent debout contre cette direc­tive, Elise Lucet a donc lan­cé une péti­tion que de nom­breux confrères ont déjà signée. Par­mi eux le « déni­cheur de scan­dales » et patron de Média­part Edwy Ple­nel, le repor­ter de Char­lie Heb­do Laurent Léger, le fon­da­teur de So Press Franck Annese ou encore Oli­vier Siou, rédac­teur en chef adjoint à France 2. En tout ce sont plus de 140 000 signa­taires qui se sont éle­vés contre la direc­tive « Secret de saf­faires », en seule­ment cinq jours.

    Edwy Ple­nel, patron de Média­part, est l’un des 140 000 signa­taires de la péti­tion lan­cée par Elise Lucet le ven­dre­di 5 juin.

    REUTERS/Charles Pla­tiau

    Des noms issus de la classe jour­na­lis­tique donc, mais pas que. Les réseaux se mobi­lisent éga­le­ment sous le hash­tag #Tra­de­se­crets. Tout comme plu­sieurs syn­di­cats fran­çais et euro­péens ain­si que des ONG, pour qui cette direc­tive « fait pri­mer les pro­fits des mul­ti­na­tio­nales sur les inté­rêts sociaux, envi­ron­ne­men­taux et démocratique. »

    Une impor­tante mobi­li­sa­tion qui entend bien réité­rer la vic­toire de jan­vier der­nier, quand un amen­de­ment por­tant sur le « secret des affaires » a été reti­ré du pro­jet de loi Macron.

     

    Source : L’Express
    http://​www​.lex​press​.fr/​a​c​t​u​a​l​i​t​e​/​m​e​d​i​a​s​/​e​l​i​s​e​-​l​u​c​e​t​-​l​a​n​c​e​-​u​n​e​-​p​e​t​i​t​i​o​n​-​c​o​n​t​r​e​-​l​e​-​s​e​c​r​e​t​-​d​e​s​-​a​f​f​a​i​r​e​s​-​p​r​o​n​e​-​p​a​r​-​b​r​u​x​e​l​l​e​s​_​1​6​8​7​8​5​7​.​h​tml

    Réponse
  5. Comte des Tuiles

    Il va fal­loir dis­sé­quer et ana­ly­ser tout ça, les choses deviennent de plus en plus com­plexes et je me demande qui a rai­son et qui dés­in­forme… j’ai moi-même relayé sur Elise LUCET et tout ce qui s’y rat­tache paraît très cré­dible, il n’empêche que cer­tains inter­nautes s’en méfient comme cette levée de bou­clier comme cer­tains noms (Edwy PLENEL en ce qui me concerne) pet poser tout autant de ques­tions, sans par­ler des péti­tions (ces réser­voirs à pro­tes­ta­tions) ou ces médias mains­tream qui relaie le tout… On aborde certes des pro­blèmes sérieux, des affaires de plus en plus déran­geantes, et tout cela est fort néces­saire pour aler­ter l’o­pi­nion et éclai­rer le monde comme il va, mais avance-t-on autant que ça pour autant ?…
    Je ne veux pas paraître pes­si­miste ou régu­liè­re­ment me faire l’a­vo­cat du diable, on doit être à la fois pru­dent et enthou­siaste et ne jamais oublier que ce rap­port de force en notre défa­veur est tout aus­si cer­tain que la mort et les taxes ^^

    Réponse
  6. zedav

    Je ne veux pas paraître mono­ma­niaque mais je rap­pelle néan­moins que l’op­pres­sion des lan­ceurs d’a­lerte ne serait pas pos­sible sans la caste des juges.

    Cette caste joue le rôle de machine à blan­chir, c’est elle qui donne la cau­tion du droit à la vio­lence des puis­sances d’argent.

    Ser­viles envers les puis­sants, impi­toyables envers les cibles des puissants…et tout cela en jouis­sant d’un sta­tut d’im­pu­ni­té dont, comble de la per­ver­si­té, l’a­li­bi est l’indépendance…

    Bien sûr, les juges tels qu’ils sont ne sont qu’une conséquence. 

    Mais une consé­quence essen­tielle à la légi­ti­ma­tion du sys­tème, à le faire paraître encore juste dans une cer­taine mesure, via l’é­ti­quette d’é­tat de droit…aussi essen­tielle que l’élection pour légi­ti­mer l’é­ti­quette démo­cra­tique que s’at­tri­buent nos gou­ver­ne­ments de tyran­nie insidieuse.

    Ces éti­quettes sont des outils par­mi d’autres du contrôle des repré­sen­ta­tions. Elles ne fonc­tionnent que grâce aux média.

    Le contrôle des repré­sen­tions sociales est la clé. Il per­met de mani­pu­ler le cer­veau col­lec­tif plus sûre­ment qu’un gou­rou ne mani­pule ses adeptes.

    Edward Ber­nays et les plus riches l’ont com­pris depuis longtemps…

    Réponse
  7. etienne

    Com­ment la Rus­sie se pré­pare à la Troi­sième Guerre mondiale
    Le Saker Francophone

    J’ai récem­ment publié un article dans lequel j’ai essayé de dis­cré­di­ter quelques mythes popu­laires au sujet de la guerre moderne. A en juger par de nom­breux com­men­taires reçus en réponse à ce texte, je dois dire que les mythes en ques­tion sont encore bien vivaces et que j’ai clai­re­ment échoué à convaincre de nom­breux lec­teurs. Ce que je pro­pose de faire aujourd’hui, est de regar­der ce que la Rus­sie est vrai­ment en train de faire, en réponse à la menace crois­sante de l’Occident. Mais d’abord, je dois défi­nir le contexte ou, plus exac­te­ment, re-défi­nir le contexte dans lequel la Rus­sie agit. Com­men­çons par exa­mi­ner les poli­tiques des Anglo-sio­nistes envers la Russie.

    […]

    http://​lesa​ker​fran​co​phone​.fr/​c​o​m​m​e​n​t​-​l​a​-​r​u​s​s​i​e​-​s​e​-​p​r​e​p​a​r​e​-​a​-​l​a​-​t​r​o​i​s​i​e​m​e​-​g​u​e​r​r​e​-​m​o​n​d​i​ale

    Réponse
  8. etienne

    Tous pour­ris (jus­qu’à l’os), les preuves s’accumulent :

    [scan­dale écœu­rant] J‑F Copé sou­haite faire pas­ser les lois impor­tantes en été pour évi­ter les mani­fes­ta­tions #ONPC

    Mon com­men­taire :

    L’élection pro­duit des maîtres, alors que le tirage au sort pro­duit des égaux

    D’avoir été dési­gné comme le meilleur, l’élu éprouve natu­rel­le­ment, et assez logi­que­ment, fier­té, vani­té et sen­ti­ment de supé­rio­ri­té, humeurs qui l’incitent natu­rel­le­ment à se sen­tir légi­time à tout déci­der tout seul, sans avoir à démon­trer davan­tage qu’il est digne de sa charge. 

    Bien des abus de pou­voir — et bien des négli­gences du bien com­mun — trouvent sans doute de pro­fondes racines dans ce sen­ti­ment de supé­rio­ri­té de « l’élu », qui naît for­cé­ment de cette pro­cé­dure aris­to­cra­tique qu’est l’élection par­mi des candidats.

    Au contraire, le tirage au sort n’offre aucune rai­son de res­sen­tir un sen­ti­ment de supé­rio­ri­té et incite donc le repré­sen­tant à l’humilité : on n’a pas été choi­si comme le meilleur, mais bien comme un égal, et il faut donc démon­trer à tout moment qu’on est digne de la charge.

    L’é­man­ci­pa­tion popu­laire ne vien­dra pas des « élus » — qui SONT le pro­blème —, mais des citoyens eux-mêmes, qui doivent apprendre (dès aujourd’­hui, et tous les jours un peu) à ins­ti­tuer en per­sonne leur propre puissance.

    Étienne.

    Réponse
  9. Comte des Tuiles

    Lors de son entée sur le pla­teau de l’é­mis­sion, COPé a pu faire illu­sion quelques ins­tants, si je puis dire, pas en ce qui concerne nom­breux d’entre nous évi­dem­ment ; que sais-je, cette atti­tude, ce main­tien, cet espèce de mélange entre bonne pré­sen­ta­tion, sérieux et affa­bi­li­té… et puis ^^ il a ouvert la bouche et là très vite tout trans­pa­raît, sans fard et sans pro­fon­deur, un oli­garque invé­té­ré qui ne nous appren­dra rien de neuf, un élu de trop comme on en a déjà trop vus, trop eus et qu’il est grand temps « d’éjecter » !
    Oui, oui, les mots ne sont pas trop forts quand, EUX, ne se voilent pour ain­si dire plus et osent avouer sans rete­nue aucune et le plus libre­ment du monde tout le ‘bien’ qu’ils pensent de nous… mais le « coup de vacances » est tel­le­ment gros qu’on peut se deman­der si tout cela n’a pas été pen­sé et vou­lu pour se dis­cré­di­ter au pro­fit d’un autre, SARKOZI par exemple_on peut bien tout ima­gi­ner maintenant !

    Réponse
  10. etienne

    Com­ment les ser­vices de ren­sei­gne­ment ont mis en place une sur­veillance géné­rale du Net dès 2009

    Bien avant les révé­la­tions d’Ed­ward Snow­den, la France avait mis en place un dis­po­si­tif de sur­veillance auto­ma­ti­sé de son réseau inter­net via l’ins­tal­la­tion de sondes sur l’en­semble du réseau ADSL. Ce pro­gramme, bap­ti­sé « IOL » pour Inter­cep­tions obli­ga­toires légales, per­met­tait de détour­ner le tra­fic d’un usa­ger en entrant sim­ple­ment son iden­ti­fiant. Il per­met­tait éga­le­ment de col­lec­ter « en temps réel », et poten­tiel­le­ment en masse, les méta­don­nées, pra­tique pour­tant non auto­ri­sée à l’époque.

    « Moi, assis der­rière mon bureau, j’avais cer­tai­ne­ment l’autorité pour pla­cer sur écoute n’importe qui, vous, votre comp­table, un juge fédé­ral, ou même le pré­sident des États-Unis si j’avais un mail per­son­nel. » Ce témoi­gnage, deve­nu his­to­rique, livré par Edward Snow­den à Glenn Green­wald en juin 2013 avait pro­vo­qué un véri­table séisme, sym­bo­li­sant en une phrase l’étendue des pou­voirs de la NSA, l’a­gence de sécu­ri­té amé­ri­caine. Il avait sus­ci­té, par­tout dans le monde, des réac­tions indi­gnées. Ce que l’on sait moins, c’est que le dis­po­si­tif décrit par le lan­ceur d’alerte n’était pas si inno­vant que cela et que d’autres pays, en l’es­pèce la France, dis­po­saient déjà depuis plu­sieurs années d’outils simi­laires dont cer­tains étaient, en théo­rie, encore interdits.

    Certes, les ser­vices de ren­sei­gne­ment fran­çais n’ont jamais dis­po­sé des mêmes moyens que leurs homo­logues amé­ri­cains. Mais plu­sieurs docu­ments et témoi­gnages recueillis par Media­part et Reflets montrent que le gou­ver­ne­ment a mis en place, à par­tir de 2009, un dis­po­si­tif d’écoute de grande ampleur, repo­sant sur l’installation de « sondes » chez les four­nis­seurs d’accès à Inter­net, per­met­tant d’intercepter n’importe quel flux de don­nées de manière auto­ma­ti­sée. [Lire la suite…]


    https://​www​.media​part​.fr/​j​o​u​r​n​a​l​/​f​r​a​n​c​e​/​0​6​0​6​1​6​/​c​o​m​m​e​n​t​-​l​e​s​-​s​e​r​v​i​c​e​s​-​d​e​-​r​e​n​s​e​i​g​n​e​m​e​n​t​-​o​n​t​-​m​i​s​-​e​n​-​p​l​a​c​e​-​u​n​e​-​s​u​r​v​e​i​l​l​a​n​c​e​-​g​e​n​e​r​a​l​e​-​d​u​-​n​e​t​-​d​e​s​-​2​009

    Réponse
  11. etienne
  12. Antoine

    La pre­mière demande poli­tique des masses : « le contrôle de l’autre ! »
    Alors que la stra­té­gie du nombre pour agir et la meilleure… Néan­moins dans l’his­toire de l’hu­ma­ni­té cette situa­tion idéale ne s’est jamais pro­duite… et pour­tant des ren­ver­se­ments ont bien eu lieu.
    Ils se sont pro­duits, à par­tir de mino­ri­té agis­sante, qui pro­po­sait la pre­mière demande poli­tique des masses !
    Est-il pos­sible de ren­ver­ser la table avec le nombre sans répondre à cette attente ?
    Nous, les gens de gauche nous sommes blo­qués dans ce dilemme !
    Com­ment en sortir ???

    Réponse

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