Enfin ! Le livre de Benjamin Lemoine est arrivé :
« L’ordre de la dette.
Enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché »
Ce livre est absolument passionnant, et décisif pour comprendre la méthode, les acteurs et la chronologie de la trahison fondamentale du peuple par ses « représentants », sabordage monétaire qui a commencé dans les années 60 (Pompidou + Giscard).
Extrait de la préface (d’André Orléan) :
[..] « Et son premier résultat a de quoi faire réfléchir : la dette publique de la France, telle que nous la connaissons aujourd’hui, à savoir sous la forme de titres négociables que souscrivent les marchés financiers internationaux, est le résultat d’une volonté délibérée, d’un choix politique !
En effet, nous explique Benjamin Lemoine, pendant de très nombreuses années, de l’après-guerre au début des années 1980, ce qu’on appelle la « dette négociable », ou encore la dette de marché, ne constituait qu’aux environs de 20 % du financement de l’État. La plus grande partie du financement public était obtenue via des mécanismes réglementaires qui contraignaient un ensemble d’acteurs économiques, selon diverses procédures qu’on trouvera décrites dans le livre, à placer leurs avoirs, pour partie ou pour totalité, dans un compte au Trésor. Il s’ensuivait un flux permanent et automatique de ressources, dont une grande partie sous forme de dépôts, qui venaient alimenter le Trésor et lui permettaient de faire face à ses responsabilités avec sécurité et à un coût que lui-même fixait. En conséquence, durant cette période, le recours à l’emprunt, comme d’ailleurs les avances de la Banque de France n’ont joué qu’un rôle périphérique.
Jean-Yves Haberer, inspecteur des finances et directeur du Trésor, qui sera un acteur crucial du démantèlement de ce système, parlait, pour décrire son fonctionnement, de « tous ces mécanismes automatiques qui faisaient que le Trésor, sans bouger le petit doigt, était irrigué de liquidités qui lui arrivaient de tous les circuits financiers ». On ne saurait dire les choses plus clairement. La nouvelle doctrine du Trésor cherche a contrario à faire de l’État un « emprunteur comme un autre » ; autrement dit, à lui faire perdre ses prérogatives et à en remplacer l’hégémonie par celle des marchés financiers. Aujourd’hui ce résultat est parfaitement atteint, comme chacun sait. Mais y parvenir fut le résultat d’une évolution longue et progressive que Benjamin Lemoine nous décrit avec précision.
Peut-être faut-il en situer le tout début à la fin des années 1950 lorsque Jacques Rueff, au nom de la lutte contre l’inflation, se fait le critique acerbe du dirigisme qui alors prévaut au sein de l’appareil d’État. Mais c’est avec l’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing au ministère des Finances en 1962 que les transformations institutionnelles se mettent réellement en branle et que commence véritablement le démantèlement de ce qu’on nomme le « circuit du Trésor ».
La victoire totale ne sera obtenue qu’en 1985 avec les réformes financières de Pierre Bérégovoy qui parachèvent l’œuvre de libéralisation poursuivie avec constance depuis plus de vingt années. Désormais, l’État dépend absolument des marchés financiers pour ce qui est de ses ressources financières. Ce sont eux qui fixent les conditions du financement public. Non seulement le taux de l’intérêt mais également quelle politique macroéconomique doit être suivie pour recueillir leur assentiment.
Il y a certainement un paradoxe français à observer avec quelle opiniâtreté la haute fonction publique du Trésor a lutté contre les pouvoirs de l’État banquier – qui était sa création et qui faisait sa puissance – pour faire en sorte que triomphe ce que l’on nomme aujourd’hui le capitalisme néolibéral.
Il est vrai qu’elle s’est trouvée fort bien récompensée par les positions de pouvoir qu’elle a acquises ce faisant dans le monde bancaire et financier privé.
Ce travail de conviction néolibérale des hauts fonctionnaires trouve son illustration exemplaire au moment de l’alternance de 1981 à laquelle Benjamin Lemoine consacre, à juste titre, d’importants développements. C’est le fameux tournant de 1983 qui porte en germe la politique suivie actuellement par François Hollande. Il est d’ailleurs étonnant d’observer à quel point les fondamentaux néolibéraux se trouvent mis en place dès cette date. Le chemin de la financiarisation est alors grand ouvert et il sera parcouru à grande vitesse durant la décennie suivante, par la droite comme par la gauche.
Cet accord transpartisan qui fonde l’adhésion de la France au néolibéralisme n’est pas sans rappeler celui de même nature qui a présidé à la création de l’État social-keynésien au sortir de la Seconde Guerre mondiale. S’élabore, à la fin des années 1970, un nouveau récit économique, ce qu’il faut bien nommer une nouvelle orthodoxie, qui vient légitimer l’abaissement de l’État social de même que la prépondérance accordée désormais aux entrepreneurs privés en matière d’emploi. » […]
Nous avions dévoré la thèse de Benjamin Lemoine quand nous l’avions découverte, à l’occasion de la grande controverse sur la loi de 73. La thèse était importante, passionnante, mais très volumineuse (une ramette de papier A4). Ce livre la rend enfin accessible à tous. C’est une bonne nouvelle.
Voici le plan du livre, très évocateur (et appétissant) pour tous ceux qui se sont déjà un peu intéressés à l’enjeu politique crucial de la création monétaire par la puissance publique :
Préface. Le résultat d’une volonté délibérée, par André Orléan
Introduction. Une histoire oubliée
I / Une histoire à (re)prendre : la mise en marché de la dette
1. Quand l’État a l’avantage : de la possibilité d’un financement hors marché
Couvrir autrement le déficit
Circuit du Trésor et marquage public de l’argent
Un prince de la République
Les banques sous contrainte
L’État, au-dessus du marché
Transgression avec l’orthodoxie et menace inflationniste
Le rappel à l’ordre monétaire
L’adoption du modèle britannique : le marché en rémission du « péché monétaire »
L’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing
Un tremblement de terre : au nom de la démocratie des marchés
Un point de non-retour
2. La gauche au pouvoir se plie à l’ordre de la dette
Stopper la « ruine » de l’épargnant : donner aux investisseurs plutôt que les « frapper »
La relance Chirac
L’orthodoxie de Raymond Barre
L’inconcevable réhabilitation des finances publiques « actives »
Renoncer définitivement à la tentation monétaire
« Une saison en enfer »
« Merci de m’aider à comprendre »
« Une France qui vit au-dessus de ses moyens »
Pierre Bérégovoy : plus royaliste que le roi
« Ce système-là, on va le casser »
Interpréter l’extinction d’un régime économique : « préhistoire » de la modernité financière ou expérience critique ?
3. La nourriture terrestre dont les marchés ont besoin
Sur le modèle américain
Les dealers de proximité
Mise en scène du « sacrifice » et gains durables des banques
Lier les mains de l’État et rendre impossible tout retour en arrière
Quand Fabius créée une agence « à la française »
La police des conduites administratives
Les obligations DSK : le Trésor parie sur la désinflation
L’autodiscipline de l’État
II / La dette entre dans le débat public
4. Discipliner les États : le rôle de l’Europe
Une « numérologie arbitraire » ?
Opération Juppé : l’« affaire » France Télécom
Derrière le cas France Télécom, l’enjeu des retraites
Les gardiens du temple comptable contre l’« opportunisme » des États
Obtenir les meilleures statistiques possibles
Jospin : le « faux rebelle »
La discipline « brute » de la dette : pleins feux sur les passifs de l’État
L’enjeu des retraites : quand on tire le fil, tout vient
L’éclosion d’un nouvel acteur : les générations futures
5. Le rapport Pébereau : coup médiatique et pédagogie économique
Briser un tabou
Trouble dans les rangs des experts
La contre-offensive des keynésiens
« Il n’y a pas d’alternative »
Quand le ministre en fait un peu trop…
La chasse gardée du Trésor
6. La présidentielle de 2007 verrouillée ?
Une évaluation « objective »
Un « déconomètre »
Bayrou se fond dans le script de la dette
Une version dégradée du débat politique ?
La mise en scène de l’héroïsme présidentiel
Le « keynésianisme » de la dépense fiscale
François Fillon : « à la tête d’un État en faillite »
7. Et si toutes les dettes se valaient ?
Sauver les banques
Traquer l’État derrière la forme juridique
L’invention de la dette nette
L’« inéluctable » baisse des retraites
L’ordre politique des agences de notation
L’implacable « acceptation sociale »
L’obturation de l’avenir
La dette financière contre la dette sociale
Promesses de l’État et « lutte de classes »
Conclusion. Percer les boîtes noires de la dette
Politique de la (re-)structuration.
Ce livre raconte l’histoire dans laquelle la banque (via Pompidou) a mis le pied dans la porte politique en France, pour contrôler la société française, comme le film INSIDE JOB raconte l’histoire dans laquelle la banque (via Rubin) a mis le pied dans la porte politique aux USA, pour contrôler la société américaine et donc le monde.
Livre important, livre-preuve, à connaître et à faire connaître, à mon avis.
Il fera, dans votre bibliothèque, un très utile complément pour approfondir le formidable petit livre d’André-Jacques Holbecq et Philippe Derudder, « La dette publique, une affaire rentable. À qui profite le système. », livre pionnier de l’éducation populaire sur ce sujet, dont Benjamin Lemoine parle dans son livre, bien sûr.
Bonne lecture 🙂
Étienne.
PS : c’était ce même Benjamin Lemoine qui nous avait préparé cette tonique intervention au « Sommet du Plan B » il y a quelques semaines (ça dure 10 minutes, à partir de 4 h 55 min) :
https://www.chouard.org/2015/12/30/formidable-les-suisses-vont-voter-pour-enfin-retirer-aux-banques-privees-leur-pouvoir-de-creation-monetaire/#comment-14894
PPS : rappel de l’aveu du crime antisocial de terrorisme économique (« à partir de maintenant, vous allez tous avoir peur, tout le temps ! »), proféré par Pompidou lui-même, patron d’une grande banque d’affaires (un usurier, donc), parvenu au pouvoir politique suprême (Premier ministre de de Gaulle) et recruteur d’un homme de main nommé Giscard, pour administrer à la société française le fouet « libéral » :
httpv://youtu.be/VgD6U9ZGANA
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Fil Facebook correspondant à ce billet :
https://www.facebook.com/etienne.chouard/posts/10154061246887317?pnref=story
A voir ou à revoir,
l’interview de feu Aaron Russo
httpv://youtu.be/owXtjrWACLg
Voir aussi son film
America : freedom to fascism
httpv://youtu.be/X1fqqqxnuWg
Merci Étienne pour tout ce que vous faites 😉
« Désormais, l’État dépend absolument des marchés financiers pour ce qui est de ses ressources financières. Ce sont eux qui fixent les conditions du financement public ». ..???
Les taux directeurs (et donc les taux d’intérêt à court terme au moins) sont décidés par les banques centrales (et/ou les états dans les pays souverains) et ne cessent d’ailleurs de tendre vers 0 % (à quelques exceptions spéculatives prêts ou pour des pays non souverains en ce qui concerne leur monnaie).
D’ailleurs à chaque adjudications, le demande est supérieure à l’offre..
Non ?
Même si l’adjudication est favorable à l’état Francais, ceci est conjoncturel et est réservé à la classe des pays se conformants aux ordres du marché : l’Allemagne, la France… mais pas la Grèce. Les réformes structurelles sont imposées par les marchés (leurs institutions, la Troika), sans quoi la France pourrait se retrouver dans le cas de la Grèce. Par ailleurs, en tant que valeur refuge et à cause des taux, il y a en effet une forte demande de dette souveraine. Et les banques en ont besoin, ce sont des titres sûrs, pris en pension sans condition pour obtenir des liquidité.
La menace d’une sanction des marchés fait que toute politique non favorable aux critères des financiers n’est plus possible. Le roulement de la dette sert de noeud coulant. Le démantèlement de toute la politique sociale, à terme, en est le signe.
Bonjour à tous je lis tt les jours Charles Sannat et je pense qu’on est bord du changement brutal de la société actuelle et cela ne sent pas bon.
L’avenir immédiat de centaines de milliers de travailleurs :
http://insolentiae.com/2016/03/25/officiel-les-voitures-autonomes-autorisees-par-les-conventions-de-vienne-revisees/
Et rajoutez a cela les quelques 200000⁄400000 emplois supprimer dans les 2 a 4ans chez les banquiers + j’en passe et des meilleurs
Et comme toujours quelques délits d’initiés de haute volée, genre les voitures automatiques autorisées et Uber comme par miracle les a déja commandés :
http://insolentiae.com/2016/03/23/quallez-vous-devenir-tous-ces-metiers-qui-vont-disparaitre-en-2020-ledito-de-charles-sannat/
Les réformes du droit du travail généralisent la précarité partout en Europe
http://www.bastamag.net/Partout-en-Europe-les-reformes-du-travail-facilitent-les-licenciements-et
Messages de bon sens en provenance du Québec :
https://www.facebook.com/439729779536628/videos/547129418796663/
Michel Collon :
Attentats de Bruxelles : non, monsieur le premier ministre !
http://michelcollon.info/Attentats-de-Bruxelles-non.html
Joseph Stiglitz : le TAFTA est inutile et dangereux :
Franck Lepage :
« Les patrons se plaignent que le code du travail est trop contraignant.
C’est amusant : c’est comme si les délinquants se plaignaient que le code pénal est trop contraignant. »
Stupeur chez France Inter : Eva et Vincent sont optimistes, par Daniel Schneidermann
http://www.les-crises.fr/stupeur-chez-france-inter-eva-et-vincent-sont-optimistes-par-daniel-schneidermann/
Source : les-crises.fr
Daniel Schneidermann :
« Il faut le dire calmement, mais clairement : la puissance des médias vendeurs d’effroi est une des meilleures alliées des poseurs de bombes. Chaque image, chaque seconde de ce tumulte, est une victoire des poseurs de bombes. »
Bonjour Etienne, je reviens sur la solution que je trouve la plus pertinente et l’excellent texte de B.Friot ds l’Huma :
Le capitalisme c’est l’URSS avec Zuckerberg a la place de Staline vive le salaire à vie avec la copropriété d’usage et la blockchain (comme outil non falsifiable et qui permet une relation marchande ou non marchande sans intermédiaires).
C’est là qu’est la modernité disruptive la seule possible sinon on aura le totalitarisme bureaucratique marchand dans toute sa splendeur.
http://www.humanite.fr/bernard-friot-un-capitalisme-rentier-qui-nassume-plus-detre-employeur-602372
Signalement du livre de Benjamin Lemoine dans la revue Alternatives Économiques :
L’ordre de la dette. Enquête sur les infortunes de l’Etat et la prospérité du marché
La Découverte, 2016, 304 p., 22 euros.
par Christian Chavagneux
dans Alternatives Economiques n° 356 – avril 2016
http://www.alternatives-economiques.fr/l‑ordre-de-la-dette–enquete-sur-le_fr_art_1432_75776.html
Le niveau de la dette publique française sert souvent d’épouvantail à moineaux. Signe d’un Etat dispendieux que les investisseurs ne finiront pas nous faire payer cher pour les uns, rente au service des riches pour les autres, elle fait régulièrement l’objet de débats publics. Mais d’où vient-elle, s’interroge le sociologue Benjamin Lemoine ? Se demandant par là non pas quelles sont les périodes de forts déficits qui l’ont fait croître, mais comment et quand la France a‑t-elle décidé de se financer en ayant recours aux marchés financiers ?
Un choix politique
Le livre commence par tordre le cou à l’idée répandue selon laquelle une loi de 1973 aurait supprimé toute possibilité de financement de l’Etat par la Banque de France. L’auteur rappelle que la banque centrale ne finançait déjà plus à cette date que 16 % de la dette publique française et que ses avances au Trésor n’ont été définitivement interdites qu’avec le traité de Maastricht en 1992.
Toute la première partie retrace de manière passionnante le mode de financement de l’Etat depuis l’après-guerre. Le constat est clair : la période est marquée jusqu’au début des années 1960 par une gestion politique de la monnaie (volume et taux d’intérêt) avec un crédit contrôlé et une obligation de souscription de la dette française par les banques. La contrainte se relâche dès le début des années 1960 avec les premières mises aux enchères des titres de la dette publique. Les réformes libérales de Michel Debré entre 1966 et 1968 – qui supprimeront notamment la séparation entre banque commerciale et banque de marché – accentuent le mouvement.
On passe ensuite aux années 1980. La montée des déficits engendre une quête de financements, dont l’un des épisodes donnera lieu à une humiliation du gouvernement français par ses créanciers saoudiens… Les techniciens de la gauche au pouvoir défendent le projet de faire des titres de la dette publique française un instrument de marché séduisant aux yeux des investisseurs étrangers. Il faut rendre les bons du Trésor compétitifs dans la course à l’épargne mondiale entamée alors par tous les Etats.
On sent bien que cette évolution déplaît à l’auteur. Mais le point de vue aurait mérité le débat. A partir du moment où les Etats-Unis ont commencé à libéraliser le financement de leur dette publique, bientôt suivie par les autres grands pays, pourquoi la France aurait-elle dû s’en priver ? La réduction de l’inflation, à deux chiffres à l’époque, que détestent les investisseurs, était alors de toute façon nécessaire.
Catastrophisme
La suite du livre montre comment la lecture libérale de la dette s’est imposée en France. Un catastrophisme, fondé sur un anti-étatisme primaire, relayé de deux points de vue. D’un côté, les technocrates européens, obnubilés par leur objectif de réduire l’intervention de l’Etat dans l’économie ; de l’autre, le rapport de Michel Pébereau de 2005, commandé par le ministre des Finances, Thierry Breton, qui a servi une dramatisation du niveau de l’endettement public.
Le sociologue nous apporte ainsi un autre regard – essentiel – car historique et politique. L’Etat français est-il pour autant « encastré dans les marchés financiers » auxquels il devrait obéir en permanence ? Avec la forte baisse des taux d’emprunt de la France, le débat sur la dette publique a perdu de son importance ces derniers mois. Raison de plus de s’y plonger sereinement avec ce livre.
L’ordre de la dette. Enquête sur les infortunes de l’Etat et la prospérité du marché, par Benjamin Lemoine
La Découverte, 2016, 304 p., 22 euros.
Source : http://www.alternatives-economiques.fr/l‑ordre-de-la-dette–enquete-sur-le_fr_art_1432_75776.html
Salut à tous. Un grosse bise à mon si cher Étienne.
Le lien qui était indiqué, sur la page « Loi de 1973… », vers la thèse de Benjamin Lemoine, n’est plus valide, ce me semble.
C’était : http://pastel.archives-ouvertes.fr/docs/00/71/22/84/PDF/THEI_SE_BENJAMIN_LEMOINE_LES_VALEURS_DE_LA_DETTE.pdf
[Tu peux bien sûr éditer mon message et virer cette dernière ligne, c’est pour ton info.]
On peut retrouver le .pdf ici :
http://www.fasopo.org/sites/default/files/jr/th_lemoine.pdf
Histoire de ne pas en reperdre et reperdre encore la trace, je suggère que tu héberges cette modeste somme de 426 pages… 😉
Sam
Un entretien avec Benjamin Lemoine dans Libération :
INTERVIEW
Benjamin Lemoine : « En voulant plaire aux marchés financiers, l’Etat fait de leurs priorités les siennes »
Par Vittorio De Filippis — 1er avril 2016
Dessin Christelle Enault
Dans son dernier ouvrage, le sociologue montre comment la France a abandonné sciemment à la finance le contrôle de sa dette. Cette histoire, aujourd’hui présentée comme une loi économique, se révèle éminemment politique.
Qui pourrait se satisfaire, nous dit-on urbi et orbi, d’une situation qui conduit chaque année à prélever sur nos finances publiques un montant proche de celui affecté à l’Education nationale pour payer les seuls intérêts de la dette publique ? Seuls les loufoques refusent de voir ce qui est donné à voir. Dans l’Ordre de la dette (La Découverte), le jeune sociologue Benjamin Lemoine s’oppose à cette fatalité.
A la manière d’un paléontologue, il a gratté le moindre document, épluché le moindre discours, pour aller par-delà du miroir des évidences. Benjamin Lemoine y trouve une histoire oubliée et montre comment l’Etat a abandonné le privilège qui fut longtemps le sien d’avoir la main sur ses dettes. Certes, tout au long de la lecture de l’Ordre de la dette, ce chercheur apparaît d’abord comme un sociologue. Mais il se montre aussi économiste, historien et même juriste. A mettre entre les mains de tous ceux qui s’intéressent à la vie publique.
Qu’est-ce que la dette publique ?
Pendant longtemps, cette dette était matérialisée par des titres détenus « en physique », sous forme papier. Le bon père de famille détenait en direct son bon et ses coupons d’intérêts à se faire payer régulièrement. Aujourd’hui, la dette est dématérialisée. Elle est distribuée et s’échange à travers le monde sur les marchés financiers. Mais tout l’enjeu politique et sociologique est que la dette peut exister de différentes façons. Elle peut par exemple être « mise en marché » ou encastrée dans un contrôle politique et administratif.
C’est-à-dire, « mise en marché » ?
Contrairement à l’idée qu’il est naturel que l’Etat se soumette au bon vouloir d’éventuels prêteurs, il a existé des alternatives à ce recours aux marchés financiers. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, on met en place un système qui permet précisément d’y échapper. La dette de marché ne représente alors que 20 % du financement de l’Etat. Il y a, dans les plus les hautes sphères, y compris dans la très libérale direction du Trésor, un imaginaire, une idéologie et un sens de l’intérêt public qui s’appliquent aussi à la question de la monnaie et de la finance. On considère que, vu l’urgence de la situation économique, le financement public doit se faire sans risque et en toutes circonstances. Pour y parvenir, on fait du Trésor une véritable banque de dépôt qui draine l’épargne nationale en permanence vers ses caisses. Aussi, au lieu de se soumettre à la loi du marché pour placer ses titres, l’Etat contraint les banques à détenir une partie de leurs avoirs en dette, à un taux d’intérêt fixé d’autorité par les pouvoirs publics. Tout est fait pour que l’Etat ne soit pas un emprunteur parmi d’autres. Placé en surplomb, il est responsable de la monnaie et du crédit, et décide des investissements.
Ce système s’arrêtera vers la fin des années 70 ?
Dès la fin des années 60, on considère que la guerre est lointaine et qu’il est normal de revenir à la « loi naturelle » du marché sur ces questions de finance, de monnaie et de dette. Des hauts fonctionnaires avides de réforme, mais aussi des banquiers voulant rompre avec le dirigisme militent pour que l’Etat redevienne un emprunteur comme les autres.
Une mise en marché de la dette qui n’affecte pas que la France ?
C’est une dynamique mondiale, mais produite par des forces politiques et administratives. C’est là qu’entrent en scène, dans les plus hautes sphères de l’Etat, des élites qui promeuvent la rupture avec le crédit et les financements administrés. Surtout, l’inflation devient la préoccupation politique numéro 1, et ce, alors même qu’elle est contenue dans les limites du raisonnable. C’est le début de la grande transformation. On démantèle les règlements qui régissent le financement de l’Etat, et on réintroduit des dispositifs de marché pour la dette : la loi de l’offre et de la demande fixe les règles du jeu, soit le niveau des taux d’intérêt. Et si les marchés font la fine bouche, l’Etat n’a d’autre choix pour attirer l’épargne à lui que de proposer des taux d’intérêt plus élevés, au risque de voir augmenter la part du service de sa dette dans le total de ses dépenses et d’amputer ainsi ses marges budgétaires.
Et pourtant des voix s’élèvent pour mettre en garde contre les risques de la mise en marché de la dette…
Ce sont d’ailleurs certains hauts fonctionnaires du Trésor eux-mêmes qui contestent ce changement de philosophie, le jugent illégitime et parlent d’un « enrichissement sans cause » pour les banques. Mais ils sont inaudibles parce que confrontés à un nouveau récit de la modernité. Ce n’est plus l’Etat qui doit diriger les banques, mais la finance qui, de moins en moins contrainte et de plus en plus privée, doit apprendre à l’Etat à se discipliner, à veiller à ses dépenses, à son équilibre budgétaire, et l’aider à créer moins de monnaie, afin de baisser l’inflation.
Le coup de grâce de cette mise en marché de la dette publique est porté par la gauche lorsqu’elle arrive au pouvoir en 1981…
Michel Debré, ministre des Finances, et son conseiller de l’époque Jean-Yves Haberer [il deviendra directeur du Trésor en 1978, ndlr] avaient déjà entre 1966 et 1968 remis en cause le financement « hors marché » de l’Etat. Mais c’est Pierre Bérégovoy, ministre socialiste de l’Economie et des Finances qui, en 1985, ouvrira totalement les marchés de capitaux. Avec l’élection de François Mitterrand en 1981, la France entreprend une politique budgétaire de relance de la consommation, de type keynésienne. Alors que les déficits se creusent, les hauts fonctionnaires du Trésor, convertis à l’orthodoxie monétaire, vont jouer un rôle décisif. Ils vont expliquer aux socialistes au pouvoir ce que le gouvernement doit légitimement faire afin de trouver l’argent qui lui manque désormais : ne surtout pas revenir à des mécanismes de financement administré, du type de l’après-guerre, encore moins recourir à une monnaie publique, via la Banque centrale – ce que proposent pourtant aux pouvoirs publics des chefs d’entreprise ou des économistes qui transmettent d’abondantes notes -, mais aller plus loin dans la mise en marché de la dette publique.
L’Etat a construit sa propre prison ?
En tout cas, il ne s’est pas opposé aux marchés financiers. Au contraire. Il a construit leur terrain de jeu et leur légitimité. Quand, au milieu des années 80, il ne reste plus que la dette de marché pour assurer la survie des services publics, les Etats se doivent d’adopter des politiques économiques et monétaires conformes aux exigences des investisseurs. Les hauts fonctionnaires qui agissent ainsi le font « au nom de l’intérêt général ». Il s’agit d’obtenir les meilleurs taux pour réduire la charge d’intérêt assumée par le contribuable. Quand les taux sont bas, voire négatifs, on ne voit pas cela comme une contrainte ou une prison, mais comme une facilité. Il n’en reste pas moins qu’une relation de dépendance s’est installée. Et on sait que les marchés sont imprévisibles…
En quoi l’Etat s’aligne-t-il sur les attentes des marchés financiers ?
Pour séduire, il faut se transformer. En voulant plaire aux marchés financiers, l’Etat fait de leurs priorités les siennes. En vendant son produit de dette, il est confronté aux inquiétudes du marché qui sont, par exemple : quel parti politique sera au gouvernement ? Les syndicats sont-ils trop puissants ? Le coût du travail est-il trop élevé ? Bien entendu, ces investisseurs veulent aussi que l’inflation soit sous contrôle, et que la Banque centrale soit indépendante du politique, afin que les rentiers, qui détiennent la dette, ne soient pas euthanasiés et remboursés en monnaie de singe, comme on dit. Les investisseurs ont d’ailleurs des sentinelles qui surveillent les politiques publiques : les agences de notation.
Les chiffres de la dette sont partout dans le débat public. Ne traduisent-ils pas la vérité sur l’urgence de la situation ?
Les chiffres des finances publiques ne sont pas des vérités mathématiques qui parleraient d’elles-mêmes. Ils ont été conçus comme des outils pour l’action politique. Le ratio de dette rapporté à la croissance (le seuil des 60 % par rapport au PIB) doit, au sein de l’Union monétaire européenne, maintenir l’attention de l’opinion publique et des gouvernements sur le problème de la dette. L’apport de la sociologie est de montrer que ces chiffres, au lieu de mesurer passivement la réalité de la dette, comme un miroir neutre, façonnent et modifient « ce qu’est la dette ». Par exemple, lorsque Thierry Breton est ministre de l’Economie et des Finances de Jacques Chirac, de 2005 à 2007, il explique, avec le rapport Pébereau, que la dette publique n’est pas de 60% mais de 120 %. Pourquoi ? Parce qu’il faudrait inclure l’engagement de paiement de l’Etat vis-à-vis des retraites des fonctionnaires et traduire cette dépense future, dès lors, dans le bilan comptable de l’Etat.
Quelle est la philosophie qui sous-tend ce discours ?
Cela permet d’introduire l’idée que ces fonctionnaires ont une créance sur l’Etat. Qu’ils ont capitalisé des droits sur l’Etat. Et voilà comment on tente de transformer un engagement de dépense en contrat de dette. Et voilà comment on change la manière de penser la retraite : non plus comme un transfert intergénérationnel, mais comme des droits accumulés par chaque individu. On peut considérer que c’est une façon d’accoutumer à l’idée que la retraite est un petit capital qu’on accumule, ou pas, au détriment de l’idée de retraite garantie et solidaire.
Que faites-vous de la formule : « Chaque nouveau né porte une dette de plusieurs milliers d’euros » ?
La rhétorique des générations futures est une manière de nier que nous ne sommes pas tous égaux devant la dette. La génération future ne recouvre pas une réalité sociale et économique homogène. Et, derrière la formule, se cachent des disparités nombreuses. Avec la dette, il y a des gagnants et des perdants. S’il est difficile de retracer avec précision, à un instant « i », qui sont les propriétaires de la dette française, il est en revanche évident qu’une ligne de fracture sépare les ménages dont les revenus et patrimoines, éventuellement allégés d’impôts, permettent de dégager de l’épargne placée en emprunts d’Etat. Ils sont, directement ou indirectement (via les différents supports de leur épargne et institutions qui la gèrent), les créanciers de l’Etat. Loin d’être lestée d’une charge, cette partie des générations futures est enrichie via la dette, car leur capital qui y est placé bénéficie du revenu des intérêts. Et puis, il y a ceux qui vivent tout juste de leur salaire. Qui n’ont pas, ou très peu, les moyens d’épargner. Par contre, en payant des impôts, ils contribuent à assurer le service de la dette et de ses intérêts à ceux qui en profitent. Eux subissent l’ordre de la dette, au nom duquel on engage les plans d’économie budgétaire et le démantèlement de l’Etat social.
Vittorio De Filippis
Source : Libération
http://www.liberation.fr/debats/2016/04/01/benjamin-lemoine-en-voulant-plaire-aux-marches-financiers-l-etat-fait-de-leurs-priorites-les-siennes_1443423
La Grèce indépendante est née avec une dette odieuse
http://cadtm.org/La-Grece-independante-est-nee-avec
Par Eric Toussaint
« Ce livre raconte l’histoire dans laquelle la banque (via Pompidou) a mis le pied dans la porte politique en France,… »
-C’est un truc que je n’ai jamais compris, cette salade de dette criminelle, ce n’était pas vraiment dans l’esprit de De Gaulle qui était quand même très avisé.
Alors pourquoi a‑t-il choisi Pompidou ? Il devait parfaitement savoir qui c’était !
Où bien lui a‑t-il été imposé pour quelque occulte raison ?
Entre les arcanes du pouvoir et les coulisses de l’Histoire, qui décidait ou qui biaisait au juste, entre, semble-t-il, l’autorité naturelle/historique d’un De Gaulle et ce pouvoir financier sous-jacent et déjà, forcément si puissant ?… « Où bien lui a‑t-il été imposé pour quelque occulte raison ? », oui, je suis aussi curieux et impatient que vous d’en savoir davantage, bien que notre obsession à vouloir positivement agir exige de nous cette autorité et non plus jamais ce pouvoir inégal et excessif.
Une revue comportant plusieurs articles aux titres très intéressants, et notamment un dossier « capital et dette publique » sous la direction de Benjamin Lemoine et Frédéric Lebaron :
Savoir/Agir n° 35 : ILS PROFITENT. Dettes publiques / Finances publiques
http://www.editions-croquant.org/component/mijoshop/product/332-savoir-agir-n-35
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