Frédéric Lordon : souveraineté, démocratie, et processus constituant populaire

22/04/2014 | 7 commentaires

Quelques réflexions
sur l’as­pect « com­ment faire ? » des tra­vaux de Fré­dé­ric Lordon :

D’a­bord, un bref échange entre Fred et moi sur la ques­tion cen­trale de la qua­li­té du pro­ces­sus consti­tuant : (c’é­tait aux Ren­contres Décon­no­miques d’Aix en Pro­vence, en août 2011) :

Un peu plus tard, quand les jeunes gens de La Muti­ne­rie me demandent qui inter­ro­ger ensuite, je leur sug­gère évi­dem­ment Fré­dé­ric, mais en leur conseillant d’es­sayer un prisme par­ti­cu­lier, ori­gi­nal et important :

Enfin, l’exi­gence (bien­tôt consti­tuante ?) de Fré­dé­ric sur la sou­ve­rai­ne­té se fait de plus en plus pré­cise, plus poli­tique qu’é­co­no­mique, de plus en plus opé­ra­tion­nelle (ici sur France Inter, le 17 avril 2014) :

Je viens de retrans­crire, mot à mot, les paroles impor­tantes mar­te­lées par Fré­dé­ric à l’heure de grande écoute de France Inter :

– « Ce qu’il y va, dans la rup­ture avec le néo­li­bé­ra­lisme euro­péen, c’est de l’an­nu­la­tion d’une opé­ra­tion qui est la carac­té­ris­tique cen­trale de la construc­tion euro­péenne depuis le début des années 90, et sans doute depuis plus long­temps, – pro­prié­té de fait ou d’in­ten­tion, je ne sais pas, je men­tionne le débat, il serait inté­res­sant mais on va le lais­ser de côté –, et qui tient en la sous­trac­tion de la sou­ve­rai­ne­té poli­tique à toutes les échelles territoriales.

Alors il faut dire un mot d’a­bord de ce que c’est que la sou­ve­rai­ne­té, car c’est le lieu de toutes les confu­sions intel­lec­tuelles. La sou­ve­rai­ne­té est une idée qui a exclu­si­ve­ment à voir avec le fait de déli­bé­rer et de déci­der. La sou­ve­rai­ne­té, c’est que nous déci­dons.  Ce ne sont plus les puis­sances divines qui nous dictent ce que nous devons faire, ce ne sont plus leurs envoyés spé­ciaux : c’est nous qui déci­dons. La sou­ve­rai­ne­té, c’est cela, et cela seulement.

Ain­si rigou­reu­se­ment conçue, la sou­ve­rai­ne­té s’as­si­mile en tota­li­té à la démo­cra­tie. Le prin­cipe de la sou­ve­rai­ne­té, ça n’est pas autre chose que le prin­cipe démo­cra­tique lui-même, c’est-à-dire le droit de déli­bé­rer et de déci­der de toutes les matières qui inté­ressent les poli­tiques publiques, tout le temps.

Or, ce droit de dis­cu­ter et de redis­cu­ter de tout tout le temps, qui est le cœur même de la démo­cra­tie, ce droit-là est annu­lé par la construc­tion euro­péenne puis­qu’il existe un très grand nombre de poli­tiques publiques qui ont été sous­traites au péri­mètre de la déli­bé­ra­tion démo­cra­tique ordi­naire, pour être sanc­tua­ri­sées dans les trai­tés, qui sont comme de juste inac­ces­sibles, de telle sorte que, de toutes ces ques­tions, abso­lu­ment fon­da­men­tales (elles semblent loin­taines, elles semblent abs­traites, mais elles sont déter­mi­nantes pour les condi­tions maté­rielles d’exis­tence des popu­la­tions), de toutes ces ques­tions, nous ne pou­vons plus discuter.

Et j’en donne très rapi­de­ment la liste :

  • La Banque cen­trale doit-elle être dépen­dante ou indé­pen­dante ? On n’en dis­cu­te­ra pas, la réponse a été donnée.
  • Doit-elle consa­crer ses efforts uni­que­ment à la lutte contre l’in­fla­tion, ou doit-elle se pré­oc­cu­per de crois­sance et d’emploi ? On n’a plus le droit d’en discuter.
  • A‑t-elle le droit de finan­cer moné­tai­re­ment les défi­cits ? On n’a plus le droit d’en discuter.
  •  Les soldes bud­gé­taires

– (le jour­na­liste inter­rompt) On en dis­cute, de ça… sous des formes détour­nées ou édul­co­rées, mais on en discute…

– Ah, mais, le finan­ce­ment moné­taire des défi­cits ? mais je vous demande bien par­don, ça reste un article du trai­té et la Banque cen­trale conti­nue de s’y tenir rigou­reu­se­ment. Ce n’est pas parce qu’il y a un dis­po­si­tif comme l’OMT (qui d’ailleurs a été annon­cé mais qui n’a jamais été acti­vé) que ceci change quoi que ce soit à l’affaire.

Donc, je dis que, de toutes ces ques­tions qui ont été sous­traites à la sou­ve­rai­ne­té, nous devons avoir le droit de rediscuter. »

Mon com­men­taire :
Est-ce que je rêve ou cet homme-là est bien mûr pour inté­grer dans son ana­lyse l’i­dée (radi­cale) d’un pro­ces­sus consti­tuant populaire ? 🙂

J’aime beau­coup ce moment (1:32:27) de com­pli­ci­té joyeuse :

Pour m'aider et m'encourager à continuer, il est désormais possible de faire un don.
Un grand merci aux donatrices et donateurs : par ce geste, vous permettez à de beaux projets de voir le jour, pour notre cause commune.
Étienne

Catégorie(s) de l'article :

7 Commentaires

  1. lisztfr

    Il ne faut pas faire appel aux autres, pen­sez-vous que Freud deman­dait à Breuer etc, non. Il était assez fort pour impo­ser sa propre pen­sée, et Zara­thous­tra dit, il est temps que vous me per­diez. Ne deman­dez pas à Lor­don… ! Ni a Grae­ber, ni a Jorion ! Car ils sont fous, comme brume mêlée de neige (Yeats) :

    Vous me deman­dez, mon ami,
    Pour­quoi je sou­pire et frissonne ?
    C’est de com­prendre que même
    Cicé­ron, et Homère qui
    En savait tant, furent fous
    Comme brume mêlée de neige. 

    Qui a jamais com­pris ce que raconte Lor­don, il est là depuis com­bien de temps ? Une décen­nies presque, pen­sez-cous qu’il va arri­ver à faire quoique ce soit main­te­nant ? eh bien non ! Idem Pour Jorion.

    Déso­lé mais si vous conti­nuez à sans cesse vous ne remettre aux autres, ce sera sans moi.

    Réponse
    • Adrien

      C’est vrai tiens, arrê­tons d’es­sayer de convaincre les gens. Fai­sons le jeu de nos détrac­teurs qui pensent Etienne comme un gourou…
      Y’a de l’é­du­ca­tion popu­laire qui se perd là…

      Faut arrê­ter avec cet angé­lisme pour Etienne, il dit des conne­ries comme tout le monde, et à force de lui dire qu’il est génial, il va humai­ne­ment finir par oublier que le lea­der cha­ris­ma­tique est une plaie pour la démocratie.

      Réponse
  2. etienne

    Et quoi, Listfr ?
    Que me sug­gé­rez-vous donc de faire, qui soit davan­tage à votre goût ? 🙂
    Je ne fais PAS QUE cher­cher de temps en temps quelque ren­fort auprès d’in­tel­lec­tuels proches, n’est-ce pas ?

    Réponse
    • Ana Sailland

      L’a­veu.

      (Etienne essaya d’en avoir un du Rocard qui botte en touche, mais là c’est du spon­ta­né, sur le ton du rire, rire qui est par­faite illus­tra­tion du mépris qu’ont pour le monde ses maîtres)

      J’ai par­ti­ci­pé à l’é­cri­ture, dit Attali.
      On a pris soin d’ou­blier l’ar­ticle per­met­tant de sor­tir, dit il encore.

      L’a­veu donc, d’une volon­té, la même volon­té que celle du pêcheur qui uti­lise un hame­çon sans retour.
      Pauvre poisson.
      Et le pois­son c’est nous.

      Alors pour­rait on dire, Lis­bonne, c’est mieux, puis­qu’il y a l’ar­ticle 50.
      Que nenni.
      Peut on vrai­ment ima­gi­ner que les rédac­teurs de 2007 ont été plus hon­nêtes qu’un Atta­li et le club de Maastricht.
      Cer­tai­ne­ment pas : La conscience de qui domine n’at­teint pas sou­dai­ne­ment ni par miracle le degré néces­saire à se pré­oc­cu­per de la liber­té des faibles.
      Devant le non récent de deux ou trois pays en 2005 (tant d’autres n’ont pas été consul­tés) ils ont vou­lu se pré­mu­nir contre une fronde pos­sible, et ont jugé utile de lan­cer une illu­sion de pos­si­bi­li­té, poudre aux yeux, qui est en fait un outil de contrôle de la volon­té d’é­man­ci­pa­tion si elle survient.
      L’ar­ticle 50 garan­tit l’UE, du moins elle l’es­père, contre une sor­tie intem­pes­tive autant que non annon­cée, … donc efficace.
      Il incite per­ni­cieu­se­ment le peuple las­sé à s’en­ga­ger dans un laby­rinthe de négociations.
      L’oi­seau qui s’é­chappe de la cage ne dis­cute pas des moda­li­tés avec le chat : ce der­nier serait trop content d’a­voir le loi­sir d’af­fû­ter ses griffes.

      Ce qui se négo­cie ne peut qu’être infé­rieur à ce qui se prend quand on est de droit souverain.

      En outre, le peuple serait méca­ni­que­ment écar­té puisque nous ne sommes pas en démo­cra­tie mais sous oli­gar­chie élue.

      Alors qu’un peuple dis­po­sant de l’i­ni­tia­tive dirait, peut être, et ce serait à lui seul d’en déci­der) « on s’casse ».

      La réflexion sur la sor­tie de l’UE est indis­so­ciable de la réflexion sur la démo­cra­tie, et l’exi­gence démo­cra­tique passe avant la sor­tie, et non pas après, car un peuple sou­ve­rain c’est à dire dis­po­sant des droits et outils de la déli­bé­ra­tion libre et non faus­sée, et dis­po­sant du pou­voir de déci­sion col­lec­tive, est seul habi­li­té à défi­nir son choix et à en choi­sir les modalités.

      « Une géné­ra­tion ne peut assu­jet­tir à ses lois les géné­ra­tions futures » (1793)

      Un peuple sou­ve­rain n’est pas tenu de res­pec­ter des enga­ge­ments vieux de 21 ans ni ceux ulté­rieurs qui lui ont été arrachés.

      Réponse
  3. EFFAB

    « Ce qui se négo­cie ne peut qu’être infé­rieur à ce qui se prend quand on est de droit sou­ve­rain. » (ANA)

    Et ce droit sou­ve­rain ne s’ac­quiert que par un rap­port de force ou de majo­ri­té, puisque loi du nombre et démarche paci­fiste défi­nissent nos aspi­ra­tions et ce fait Consti­tuant, cette volon­té Démocratique.

    Réponse

Laisser un commentaire

Derniers articles

Essai pour un contrôle populaire des institutions – DÉFINITION, FORCE ET ENJEUX DE LA CONSTITUTION : pourquoi nous sommes complètement fous de ne pas nous y intéresser en priorité absolue (3 vidéos intégrales et texte)

Essai pour un contrôle populaire des institutions – DÉFINITION, FORCE ET ENJEUX DE LA CONSTITUTION : pourquoi nous sommes complètement fous de ne pas nous y intéresser en priorité absolue (3 vidéos intégrales et texte)

Chers amis, Je récapitule, sur ma chaîne et dans ce billet, les vidéos que j'ai conçues et publiées pour Une Nôtre Histoire pour faire le point sur la démocratie et les institutions, en insistant évidemment sur l'importance prioritaire d'un processus constituant...